Fable : Par les liens du sang - extrait

LE SANG… UN LIEN PUISSANT, QUE L’ON FAIT COULER SI FACILEMENT !

Lorsque la grande histoire de l’Albion sera écrite, un nom sera honoré entre tous : celui de Ben Finn.

Mais en attendant, me revoilà sur les routes. J’ai dû laisser derrière moi la belle et courageuse Page, et je me suis récupéré un tout autre genre de compagnon, un gnome vulgaire et insolent, incapable de la boucler.

Je me rends à la ville fortifiée de Blackholm, qui résiste à un envahisseur implacable. L’endroit rêvé pour un guerrier errant comme moi, qui cherche à vendre son épée.

Malheureusement, une force sombre sera bientôt déchaînée sur la ville, une force qui porte en son sein un secret intimement lié à mon propre sang…

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Rose Guillerme Illustration de couverture : © 2011 Microsoft Corporation.

Tous droits réservés. Microsoft, Fable, Lionhead, le logo Lionhead, Xbox et le logo Xbox sont des marques du groupe Microsoft. Fable est une marque déposée de Microsoft Corporation aux États-Unis et/ou dans les autres pays et est utilisé sous licence, détenue par Microsoft.

ISBN : 978-2-8112-1289-6

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Peter David est un auteur prolifique dont la carrière a commencé il y a presque une vingtaine d’années. Il a travaillé dans pratiquement tout ce qui touchait aux médias : télévision, cinéma, livres et comics. Il vit à Long Island avec sa femme et sa fille. N’hésitez pas à visiter son site à l’adresse suivante : www.peterdavid.net (site en anglais).

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Peter David

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Traduit de l’anglais (États-Unis) par Rose Guillerme

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Milady

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Fable: Blood Ties Copyright © 2011 Microsoft Corporation. Tous droits réservés y compris le droit de reproduction, en entier ou en partie.

Cette édition est publiée en accord avec The Berkley Publishing Group, membre de Penguin Group (États-Unis) LLC, une compagnie de Penguin Random House.

Microsoft, Fable, Lionhead, le logo Lionhead, Xbox et le logo Xbox sont des marques du groupe Microsoft.

Fable est une marque déposée de Microsoft Corporation aux États-Unis et/ou dans les autres pays et est utilisé sous licence, détenue par Microsoft. © Bragelonne 2014, pour la présente traduction

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ISBN : 978-2-8112-1289-6 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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Je lève mon épée à toute la fine équipe de Microsoft, qui nous a donné l’Albion, la plus aventureuse des contrées ; avec une pensée particulière pour Gareth.

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Note explicative Fable est un jeu qui repose sur le principe du libre arbitre, à travers les nombreux choix offerts aux joueurs lors de leur aventure. Ainsi, chaque expérience de jeu est unique, et l’Albion est un monde profondément modelé par l’influence de celui ou celle qui y évolue : chaque joueur en connaît un visage différent.

Dans ce roman, nous avons choisi de vous faire découvrir l’une de ces versions de l’Albion, telle que nous l’avons quittée à la suite des événements survenus dans Fable III. Si l’Albion que vous avez arpentée vous-même lors de vos quêtes n’est pas tout à fait identique à celle-ci, alors bravo, tant mieux pour vous !

Si les choix que vous avez faits (ou que vous ferez, vous qui n’avez pas encore découvert ce royaume) vous ont mené à d’autres destinations, parfois sous un autre nom ou une autre forme, alors, formidable !

Il n’existe pas d’Albion absolue, définitivement figée, qui correspondrait aux attentes et au vécu de tous les héros et de toutes les héroïnes. Alors, pour vous narrer notre histoire, nous vous proposons simplement d’entrer dans l’une de ces variantes, parmi tant d’autres.

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1 Ma réputation me précède

Je dirai ceci pour ma défense : je ne savais pas qu’elle était mariée.

Certes, j’aurais pu me renseigner. Mais il me semble qu’en de telles circonstances la responsabilité de faire toute la lumière sur le statut marital de chacun repose largement sur les épaules de la femme. En l’occurrence, une seule chose finit par reposer sur les épaules de la demoiselle en question : mes mollets. Nous nous trouvions dans une position aussi intime qu’acrobatique lorsqu’on frappa violemment à la porte. Les coups furent suivis par des beuglements furieux appelant « Jennifer ! ». Ce brave homme, à en juger par le son de sa voix, n’était a priori pas du genre à prendre ce bête malentendu avec philosophie.

Cette histoire avait commencé, comme toutes les histoires de ce genre, dans l’un des pubs principaux du marché de Bowerstone : Le Poulet couronné. L’endroit avait été quelque peu amoché pendant la bataille apocalyptique contre les forces du mal dont vous avez peut-être entendu parler. D’ailleurs, si vous lisez actuellement ce palpitant récit, vous n’êtes sans

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doute pas sans savoir que moi, Ben Finn, aventurier, soldat de fortune et voleur à mes heures, j’ai joué un rôle clé dans l’effort qui a permis de repousser la vague maléfique qui menaçait d’engloutir l’Albion tout entière. Certes, notre cher monarque a lui aussi apporté sa petite pierre à l’édifice ; mais vous savez quoi ? cette histoire, c’est la mienne, pas la sienne. Lorsque les mémoires de notre illustre dirigeant seront proposées au public, libre à vous de les lire et de voir par vous-même quel récit est le plus convaincant. Ou, du moins, le plus divertissant.

Je me détendais tranquillement dans un coin de l’établis­­­­ sement en songeant aux événements récents et à mon avenir proche. Hélas ! aborder ce dernier point m’était beaucoup moins facile. Je ne manque pas de talents, tous plus remarquables les uns que les autres, mais me projeter dans l’avenir n’en a malheureusement jamais fait partie. L’Albion est une terre fascinante et sublime qui regorge de découvertes, de merveilles et d’aventures. Mais la vie peut y être difficile, injuste, et dramatiquement courte. Pour des gens tels que les Héros, la façon de vivre cette existence si brève est capitale. Ils sont intimement et philosophiquement convaincus que leurs actes, bons ou mauvais, les affectent, eux et leur destin. J’ai autant de respect pour la profession de Héros, si déclinante et même quasi inexistante soit-elle, que n’importe qui ; pourtant, je m’interroge parfois. À quoi bon être un Héros ? ou même, tout simplement, quelqu’un de bien ? Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais les monstres qui vous tombent sur le râble au détour d’un chemin et les forces des ténèbres semblent tout à fait affranchies des notions de moralité, et ont tendance à zigouiller aussi bien les parangons de vertu que les pires fripouilles, sans plus de discernement que ça.

Tout ça pour vous dire que faire des projets à long terme m’apparaît comme une perte de temps absolue, alors que nul ne peut prédire la longueur du terme en question. Pourquoi s’inquiéter du lendemain ? Quoi qu’il arrive, l’avenir nous

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réserve le même sort à tous : la mort, tôt ou tard, d’une manière ou d’une autre. Il m’apparaît donc bien plus avisé de vivre dans le moment présent.

Je vous prie de bien vouloir pardonner mes digressions et mon style peut-être un peu relâché. Je suis, au fond, une sorte de vagabond professionnel, et il n’est que très naturel que mes ruminations et autres réminiscences aient autant que moi la fâcheuse manie d’errer sans but précis.

Bref, la fille. Jennifer de son prénom, comme vous devez vous le rappeler si vous avez suivi un minimum. Pulpeuse, charnue, avec de belles hanches bien larges, et des seins bien ronds qui tendaient le tissu de sa tunique d’une façon qui criait leur bonheur de me voir. Au bout d’un certain temps, je finis même par regarder son visage. La plupart des hommes commencent par là, et observent le corps ensuite. Quelle bande d’idiots. Si la demoiselle a un joli visage mais un corps déplaisant, vous n’y pourrez rien. Si c’est le contraire, eh bien, c’est précisément pour cette raison que les dieux ont inventé les chambres mal éclairées.

Par bonheur, même si elle ne risquait pas de remporter beaucoup de concours de beauté, Jennifer avait un visage plutôt séduisant : rond comme un joli fruit, au teint pâle moucheté de petites taches de rousseur, et surmonté par une montagne de cheveux roux. J’aime les rouquines. Elles sont souvent aussi volcaniques que la couleur de leur chevelure le suggère, et on en trouve beaucoup moins que de brunes ou de blondes. Jennifer s’était approchée de ma table, roulant des hanches, l’air aguicheur, et m’avait regardé de ses yeux de biche avant de me demander si la chaise face à moi était occupée. Jolie petite coquetterie.

Je l’invitai à s’y installer, et… je ne dirais pas qu’elle s’est assise, je dirais plutôt qu’elle s’est insinuée entre la table et le siège. Ce qui motivait sa présence ne faisait pas l’ombre d’un doute, et je ne doutais pas davantage d’être en mesure de lui

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proposer ce qu’elle recherchait. Un service clés en main, et entièrement gratis. Oui, c’est le seul de mes talents que je ne monnaie pas : il faut savoir se montrer charitable envers son prochain, après tout.

J’ajoute que nous n’avons pas détalé aussitôt comme des lapins en rut pour commettre notre crapulerie. Alors même que nous en connaissions tous les deux le dénouement, il fallait sacrifier au rituel, à l’inévitable parade amoureuse.

Elle me posa des questions sur ma vie. Je lui en fournis une version fort abrégée, car mon passé est si dramatiquement parsemé de tragédies que son évocation ne saurait mettre d’humeur coquine que les plus morbides des femmes. Je me limitai donc aux grandes lignes : un soldat de fortune, frappé de malchance dès son plus jeune âge, n’ayant pour seules armes que sa vivacité d’esprit et un don remarquable, celui de toucher n’importe quelle cible, quand bien même elles se trouveraient à une distance inatteignable par tous les autres tireurs. Je lui peignis, rapidement et sans trop de détails, ma rencontre avec notre noble dirigeant, et la façon dont nos chemins n’avaient ensuite cessé de se croiser pour finir par converger à Bowerstone, lors de la colossale et terrible bataille qui avait fait rage dans toute la ville.

— C’est vrai, vous y étiez ?

Elle me contempla de ses grands yeux limpides. Si j’avais dû, alors, lui révéler que j’étais en réalité un crapaud à qui un sort prêtait les traits d’un homme, je n’aurais pas suscité chez elle une stupéfaction plus profonde.

— Effectivement, répondis-je en faisant signe à la serveuse.

Je brandis deux doigts, indiquant que ma jeune camarade et moi étions désireux de nous rincer le gosier. Jennifer n’avait rien demandé, techniquement, mais elle m’adressa un sourire reconnaissant lorsqu’une pinte de bière fut placée devant elle.

J’étais décidément plein d’attentions délicates.

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Je lui décrivis alors, à grand renfort de détails dont certains étaient même véridiques, les événements de l’horrifiante guerre qui avait déchiré les rues de Bowerstone. Elle reconnut avoir été témoin de précisément rien du tout, ce qui m’allait très bien. Je pouvais donc embellir le tout à l’envi. Non que mes hauts faits nécessitent réellement d’être exagérés : nous avions vraiment affronté des forces aussi malfaisantes que redoutables, ce jour-là.

Elle écouta mon récit, très fouillé, l’œil rond et l’air captivé, tout en sirotant sa bière. Elle reposa sa pinte et je vis qu’elle arborait désormais une petite moustache de mousse. Je tendis la main pour l’essuyer, du bout du pouce. Sa peau était douce ; j’eus l’impression qu’une étincelle, un petit éclair, jaillit entre elle et moi.

— J’ai honte, monsieur, souffla-t-elle.

— Honte ? Mais pourquoi donc ?

— Parce que pendant que vous étiez là-bas, dans les rues rougies du sang d’hommes de valeur, j’étais cachée sous mon lit, les mains plaquées sur les oreilles. J’ai honte car j’ai été trop lâche pour mériter de partager la table d’un grand homme tel que vous.

— Si je ne fréquentais que ceux qui méritent mon atten­­ tion, je passerais la plupart de ma vie tout seul.

Elle rit.

— Vous êtes absolument charmant.

Nous étions d’accord sur ce point : j’étais tout bonnement irrésistible.

Elle se pencha vers moi, et j’entendis dans sa voix l’invitation dont nous avions toujours su, dès l’instant où elle s’était approchée de moi, qu’elle finirait par être lancée.

— Aimeriez-vous voir où je me suis cachée ?

— Sous le lit, vous voulez dire ?

Elle opina.

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— D’accord, sous le lit, très bien, poursuivis-je. C’est un bon début.

Elle acquiesça de nouveau, et un sourire un brin pompette naquit lentement sur son visage.

Elle me prit par la main et je jetai une somme arbitraire sur la table, espérant vaguement qu’elle suffirait à régler ma note. Au fond, si ce n’était pas le cas, je m’en fichais pas mal.

On peut dire beaucoup de choses à propos de Ben Finn mais, d’abord et avant tout, c’est un homme qui sait où résident ses priorités.

Nous quittâmes le pub ; elle se blottit contre mon bras et enfouit son visage dans ma manche, poussant quelques petits gloussements de temps à autre. Elle glissa ses doigts entre les miens et me répéta, encore et encore, que ma force sautait aux yeux autant que ma virilité, et qu’elle s’estimait très chanceuse de m’avoir rencontré. J’essayai de rester humble face à une adoration aussi excessive, mais ce ne fut pas chose aisée.

Elle logeait dans un petit appartement, au-dessus de la boutique d’un chapelier. L’alcool semblait lui faire de l’effet, et j’espérais lui en faire autant bientôt. Une porte, sur le côté du bâtiment, débouchait sur l’escalier qui nous mena jusqu’à chez elle. Jennifer, empressée, me traîna plus qu’elle ne me guida.

— Ne crains rien, ma chère, la rassurai-je. Je te suis. Et j’ai une vue imprenable.

— Oh ! tu n’as encore rien vu, répondit-elle dans un nouveau gloussement.

Si elle persistait à rire sottement de la sorte, elle finirait par me faire penser à une écolière. Or, ce n’était pas du tout ce que je recherchais : j’aime les femmes, pas les gamines.

Elles ont plus d’expérience, on n’a pas besoin de perdre un temps fou à leur faire des dessins, des cartes, des diagrammes et autres schémas.

Jennifer m’ouvrit la porte de son appartement et verrouilla derrière nous. L’endroit était sans prétention : un petit salon,

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une cuisine, une porte menant à la chambre à coucher. Je dois rendre hommage à Jennifer : elle ne tergiversa point, et m’entraîna directement dans la chambre tout en émettant, hélas ! son caquètement agaçant. Je compris que j’allais devoir en prendre mon parti, et m’efforcer d’en faire abstraction autant que possible pendant nos ébats.

Vêtements, jupons et autres dessous se mirent rapidement à voler dans tous les sens ; très vite, il y eut quelque chose entre nous. En l’occurrence, les jambes de Jennifer. Pour employer un doux euphémisme, la demoiselle se montra très ouverte à mes propositions. Mais, avant que je puisse aller au fond de ma pensée, l’on frappa à la porte, de façon aussi soudaine que prononcée.

— Qui que ce soit, murmurai-je à son oreille, encore tout absorbé par mes pulsions animales, dis-lui d’aller voir ailleurs.

Mais, au lieu de ça, Jennifer plaqua ses mains sur mon visage et me repoussa avec force. Déséquilibré, je basculai en arrière et heurtai le sol dans un grand bruit sourd. Les yeux écarquillés par la crainte, elle souffla, paniquée : — C’est mon mari !

— Ton quoi ? Pardon ?

— Va-t’en ! Vite, mets ton pantalon et sauve-toi !

J’empoignai ledit pantalon, juché au sommet de la pile de vêtements, m’efforçant toujours de comprendre ce qui se passait. Les coups, à la porte, se faisaient de plus en plus insistants.

— Tu ne m’as pas dit que tu…

— On n’a pas le temps ! Vite, saute par la fenêtre !

— Mais…

Le reste de mes habits, sans parler de mes divers effets, étaient encore sur le sol.

Jennifer ne perdit pas une seconde, et fourra le tas d’objets compromettants sous le lit.

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— Sors ! Sors ! souffla-t-elle avec urgence. Je te retrouverai au pub plus tard, je te rapporterai tes affaires.

Sans réfléchir, je me tournai vers la fenêtre mais, soudain, j’eus un déclic.

— Aaaaaattends un peu.

— Non, on n’a pas le temps. Hâte-toi, dehors !

Je lui fis face, un sourire amusé aux lèvres.

— Oh ! mais pourquoi tant d’empressement ? dis-je. Je serais ravi de rencontrer le petit veinard qui a la chance de t’avoir épousée. Je suis sûr qu’on va avoir une conversation très distrayante.

Ses yeux s’arrondirent, et ses sourcils grimpèrent si haut sur son front que j’eus l’impression qu’ils tentaient une évasion par le cuir chevelu.

— Est-ce que tu es complètement fou ? ou idiot ?

— Ni l’un ni l’autre mais, à l’évidence, toi, tu m’as pris pour un abruti, répliquai-je en secouant la tête, dépité. Voici un petit détail sur moi que je n’ai pas trouvé le temps de te révéler : je n’ai pas le plus reluisant des passés. J’ai volé, plus souvent qu’à mon tour, et j’ai monté avec succès un sacré petit paquet d’arnaques en tous genres. Aucune voix ne vient du couloir.

Je désignai la porte, qui était toujours martelée, d’un doigt tendu.

— Ce n’est pas ton mari, ça, poursuivis-je. C’est ton complice. Ou plutôt, ta complice, car je soupçonne qu’il s’agit d’une femme. Si c’était un homme, il continuerait de beugler pour rendre la situation encore plus pressante, plus menaçante. Donc il me paraît assez évident…

Subitement, les coups s’arrêtèrent. J’en conclus que la personne qui en était à l’origine avait ouï mes paroles.

D’ailleurs pourquoi ne m’aurait-elle – car je persistais à penser que c’était une femme, pour les raisons énoncées

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plus haut – pas entendu ? Je ne cherchais plus à m’exprimer discrètement. Mon sourire s’élargit, et j’eus l’air encore plus content de moi.

Puis j’entendis une voix bourrue et tout à fait masculine qui se rapprochait. Quelqu’un montait l’escalier.

— Meg ! gronda l’inconnu. Pourquoi tambourines-tu comme ça sur ma porte ? Si Jennifer n’est pas là, elle n’est pas là !

— Oh ! non, dit Jennifer.

Je ne pus passer à côté de la différence flagrante entre l’émotion feinte qu’elle affectait quelques instants plus tôt et cette crainte-ci, tout à fait sincère. Avec le recul, je ne peux qu’admettre qu’elle était bien piètre comédienne. Elle avait fait de son mieux pour simuler la peur d’être découverte en sachant que c’était son amie Meg qui cognait à la porte mais, comparé à sa vraie réaction, c’était le jour et la nuit.

Elle murmurait de nouveau, non pour me faire croire à une inquiétude profonde, mais parce que sa gorge était trop nouée pour lui permettre de parler normalement. Elle avait le visage blême, et je ne crois pas qu’il soit possible de faire semblant de devenir blanc comme un linge. Ses mains tremblaient. Quel que fût le tournant que cette rocambolesque histoire était en train de prendre, elle ne s’y était pas préparée.

— Mais… il ne devait pas revenir, bredouilla-t-elle. Pas encore, pas avant…

— Jennifer !

J’entendis une clé dans la serrure. Le loquet tourna, et la porte commença à s’ouvrir. Mais le mouvement s’arrêta soudain, bloqué par la petite chaîne de sécurité.

— Jennifer, tu es là ? Que se passe-t-il ? C’est ridicule, enfin !

Elle se tourna vers moi, absolument paniquée.

— Il est censé être en manœuvres, s’étrangla-t-elle. Il… Je ne… Il…

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Son corps fut pris de petits soubresauts. À part trembler comme une pucelle lors de sa nuit de noces, elle ne savait visiblement pas quoi faire.

Moi, au contraire, j’en avais une idée très claire. Je me jetai au sol, passai les bras sous le lit pour fouiller dans mes affaires, et tirai mon pistolet du désordre au moment précis où la porte s’ouvrait en grand, la chaînette se brisant avec un claquement aussi sec qu’un coup de fusil.

Un soldat à la carrure démesurée se tenait sur le seuil. Il avait des traits massifs et une épaisse moustache noire qui semblait vivante. Son uniforme était sale, couvert de boue et de terre, et un sac à dos pendait mollement à ses épaules. Cet homme collait à la perfection à la description que l’on venait de m’en faire : un soldat au retour de manœuvres. Le pauvre gars était à l’évidence pressé de rentrer chez lui pour laver son corps meurtri, et peut-être s’envoyer gentiment en l’air avec son épouse, avant de sombrer dans un coma bien mérité.

Par chance, il n’avait pas d’arme à la main. Son fusil était posé à côté de lui, appuyé contre le mur du couloir. J’aperçus brièvement une femme, une brune qui détalait dans l’escalier sans demander son reste. Sûrement la mystérieuse Meg. Elle jeta un ultime regard en arrière, vers le désastre auquel elle tournait le dos.

En me voyant, le pistolet braqué droit sur lui, le soldat eut le réflexe de tendre la main vers son mousquet.

Le son caractéristique d’un chien que l’on amorce est reconnaissable entre mille. Il exige l’attention immédiate et, le plus souvent, change chacun en statue. Et les soldats avaient un respect tout particulier pour ce petit bruit. Ce brave monsieur ne me déçut pas. Sa main se figea, à quelques centimètres de son fusil. Il resta pétrifié dans cette position, main tendue, tout en me jaugeant avec le regard que l’on réserve aux menaces potentielles. Je vis bien qu’il estimait ma capacité à viser, essayait de déterminer si ma main était

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stable, si j’avais l’air de savoir me servir d’une arme, ou bien si j’en trimballais une au cas où, un beau jour, un quidam se pointait avec l’idée saugrenue de me tuer. En bref, il tentait d’évaluer quelle chance il avait de pouvoir prendre son fusil, ajuster son tir et faire feu avant d’être lui-même l’hôte bien récalcitrant d’une balle de mon cru.

— Non, me contentai-je de dire.

Mais même ce simple « non » n’avait d’autre intérêt que de marquer mon insistance. Nos regards étaient accrochés, et ce que nous échangions ainsi était plus parlant que tous les discours. Le petit mot que j’avais prononcé n’était pas une supplique pour qu’il m’épargne, et il le savait. C’était une mise en garde monosyllabique. Je le prévenais que, s’il décidait de tenter le coup, il y perdrait probablement la vie. Au moins, il y récolterait un plomb logé quelque part.

Très lentement, le soldat éloigna sa main du fusil. Il se redressa, carra les épaules. Il avait sa fierté. Soudain, j’avais presque de la peine pour lui.

— Voilà qui est sage, dis-je.

— Garde tes compliments, répliqua-t-il.

Son regard glissa rapidement vers sa femme, pétrifiée, avant de revenir se poser sur moi.

— Qu’est-ce que tu fous chez moi ? Enfin, à part l’évidence.

— L’évidence n’est pas aussi évidente qu’il y paraît, expliquai-je.

Je désengageai le chien de mon pistolet en signe de bonne volonté. Cependant, je gardai mon arme braquée sur lui.

— Votre charmante épouse m’a accosté au pub et m’a proposé un petit tête-à-téton. Du moins, c’est ce que je croyais, et sûrement ce que vous croyez aussi. Mais ce n’est pas la vérité.

Notre chère Meg, partie trop tôt, dis-je avec un hochement de tête en direction du couloir par lequel l’autre femme avait décampé, était de mèche avec votre épouse. C’est une petite entourloupe plutôt bien pensée. Jennifer fait monter le pigeon,

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et, quand la température commence à grimper, Meg vient tambouriner à la porte. Le pauvre type panique et sort par la fenêtre, laissant derrière lui sa bourse et tous ses biens.

Ensuite, Jennifer et Meg se partagent l’argent et vendent les affaires pour augmenter leur butin. Notre pigeon, pendant ce temps-là, s’estime heureux de ne pas y avoir perdu la vie.

Je pense que j’ai plutôt bien résumé l’idée, non ? Jennifer ?

Elle ne pipa mot. C’était inutile. La façon dont elle baissa les yeux pour scruter le plancher était assez éloquente.

— Sale garce ! rugit le soldat.

Sa moustache frétillait plus que jamais, comme si elle s’apprêtait à bondir de sous le nez du mari bafoué pour aller corriger madame elle-même.

— Comment as-tu osé me faire ça ? Je m’en vais servir notre patrie, j’essaie de protéger Bowerstone de choses que tu ne peux même pas imaginer… et voilà comment tu récompenses mon sacrifice !

— En fait, je pense que l’idée était plutôt de se récompenser elle-même…

Il me décocha un regard aussi froid que furieux. Appa­­­ remment, sa colère avait pris le dessus sur la sagesse qui lui avait soufflé quelques instants plus tôt de ne pas s’en prendre à moi.

— Personne ne t’a rien demandé, alors la ferme. Sans quoi je te prends ton joli pistolet et je te le carre dans le cul !

— Je vous aurai mis une balle dans l’œil avant que vous ne fassiez un pas.

— Tu essaierais, peut-être.

— Je réussirais.

— Tu serais surpris, répliqua-t-il, de voir comme la ner­­­ vosité peut fausser la visée d’un homme. Comme la vue d’un soldat très entraîné et en colère fonçant vers lui peut briser son flegme. C’est facile de se vanter de pouvoir mettre un plomb

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dans l’œil d’un homme immobile. Je serais prêt à parier que ta main tremblerait, petit.

— C’est un pari que vous perdriez. Je ne manque jamais ma cible.

— Ha ! s’exclama-t-il avec un regard dédaigneux.

Il me paraissait assez clair que c’était à Jennifer qu’il en voulait vraiment. Mais elle était sa femme, et je n’étais qu’un inconnu. Naturellement, je devins donc l’objet privilégié de sa rage.

— Mais pour qui te prends-tu ? poursuivit-il. Ben Finn ?

Je reconnais que je n’aurais jamais dû baisser mon arme.

Mais ces mots me stupéfièrent à un point tel que je laissai mon bras dériver sur le côté. C’était là une imprudence impardonnable. Le soldat aurait pu saisir son mousquet, viser et tirer, et je serais mort avec un air hébété.

— Eh bien… oui. C’est moi.

Il éructa un rire moqueur, qui s’éteignit bien vite à mesure qu’il m’observait. Soudain, il me regardait comme si c’était la première fois qu’il me voyait.

— Oh, bonté divine ! souffla-t-il. Oh, bonté divine ! répéta-t-il, plus fort.

Il s’approcha d’un pas décidé, oubliant son fusil pour me tendre la main.

— Mais oui, c’est bien vous ! J’aurais dû vous reconnaître !

Comment ai-je pu ne pas vous reconnaître ?

— Sincèrement, ça me dépasse.

Il attrapa ma main et la serra vigoureusement, avec une force qui me fit dire que, si l’envie lui en prenait, il pouvait m’arracher le bras à tout moment.

— Caporal Tyler Clixby, se présenta-t-il. Premier régiment d’infanterie de Bowerstone. C’est un honneur, monsieur. Je vous ai aperçu pendant la grande bataille. De loin, mais tout de même ! Je n’ai jamais vu un tireur plus adroit que vous, jamais. Et vous voilà, sous mon toit. C’est un honneur.

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— Oui, il semblerait. Écoutez, caporal…

Je parvins à extirper ma main de sa pogne. Il était clair que le danger immédiat était passé, aussi je m’accroupis pour ramasser mes affaires. Tandis que j’enfilais ma chemise, je repris : — Je pense que je ferais mieux de vous laisser. Votre femme et vous avez des choses à régler en priv…

— Ma femme, répéta-t-il, comme si je venais de lui rappeler que nous n’étions pas seuls dans la chambre. Bien sûr, ma femme ! Vous l’avez trouvée séduisante ?

— Eh bien, oui, répondis-je. Mais je tiens à exprimer avec la plus vive clarté que j’ignorais totalement qu’elle était mariée.

Loin de moi l’envie d’humilier un homme tel que vous, aussi vous pouvez compter sur ma plus grande discrétion…

— M’humilier ? s’exclama-t-il, manifestement stupéfait que je puisse penser une telle chose. De la discrétion ? Mais de quoi parlez-vous donc ? Au contraire, je réclame le droit de me vanter de tout ça !

— Quoi ?

J’eus soudain la sensation de débarquer au milieu d’une conversation dont j’aurais raté le début.

— Et pas qu’un peu ! Attendez que j’en parle aux autres gars du régiment ! se réjouit Clixby. Ben Finn a failli faire la bête à deux dos avec ma bourgeoise !

— Pardon ?

Jennifer avait enfin retrouvé sa langue, et elle n’en croyait pas ses oreilles. Pour être honnête, je la comprenais parfaitement : je n’étais moi-même pas très sûr de savoir comment réagir.

— Tu… tu vas te vanter de ce qui s’est passé ? ajouta-t-elle.

— La ferme, rétorqua son mari. Tu as déjà bien de la chance que je ne te plaque pas sur le lit pendant que monsieur prend du bon temps avec toi, rien que pour te donner une leçon.

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— Ty ! s’exclama-t-elle, sa voix montant d’une octave.

Elle voulut ajouter autre chose, mais ses lèvres s’agitèrent sans qu’aucun son ne sorte de sa bouche.

Je ne pensais pas le caporal sérieux. Du moins, j’espérais vraiment qu’il ne l’était pas. Je me raclai la gorge, et intervins : — Vous êtes… euh… Vous avez l’esprit très ouvert, dites-moi. Vous ne m’en voulez donc pas de ce petit malentendu ?

— Dans des circonstances normales, je ferais sauter le caisson du salopiaud qui aurait posé ses pattes sur ma femme.

Mais vous, c’est différent. Vous êtes Ben Finn.

— Et alors ?

— Alors, si le grand Ben Finn trouve ma femme assez séduisante pour coucher avec elle, ça me donne le beau rôle, pardi !

Rares sont les situations où il ne me vient rien de spirituel à répondre, mais ce fut bien le cas à cet instant. Quelque part, je me dis que j’aurais dû trouver tout ça flatteur, et ça l’était certainement un peu ; mais tout ça m’apparaissait comme une histoire de fous. Je passai mes bottes et m’obligeai à sourire.

— Écoutez, caporal… vous êtes libre de raconter tout ceci à qui vous voudrez. Sincèrement, je m’en fous pas mal. Mais je dois vous avouer que je ne suis plus très à l’aise avec votre proposition de m’envoyer votre épouse, que ce soit avec ou sans votre permission. D’autant moins si elle a un pistolet sur la tempe. Donc, si vous voulez bien m’excuser, je vais vous laisser.

D’ailleurs, même si vous refusez de m’excuser, je m’en vais.

— Oui, bien sûr, bien sûr, répliqua Clixby.

Il s’effaça et m’indiqua que je pouvais sortir. Alors que je passais près de lui, je l’observai du coin de l’œil, redoutant qu’il ne me réserve une mauvaise surprise. Que tout ce numéro ne soit que comédie pour me faire baisser la garde et tenter de me tomber dessus par surprise au dernier moment. Cependant, il n’en était rien. Il ne fit pas un geste en direction de son fusil, ne fit même rien de plus qu’une légère courbette et un petit

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signe pour me signifier de passer. Je me hâtai de sortir de la chambre, sans jamais le quitter des yeux. Mais, vraiment, je m’inquiétais pour rien. Il était trop occupé à m’idolâtrer pour attenter à mes jours.

— Finn !

La voix urgente de Jennifer, dans mon dos. Je me retournai.

Elle haussa un sourcil et me souffla : « Reviens quand tu veux. » Elle ponctua son invitation d’un clin d’œil.

Je me pressai de descendre l’escalier, en profitant pour reprendre mes esprits. Quelques instants plus tard, j’émergeais dans la rue. Il était encore tôt, et la soirée était fraîche.

J’inspirai profondément.

Sur ma langue, l’air prit soudain un arrière-goût vicié. Je me demandai pourquoi, puis compris aussitôt : j’étais devenu une personnalité appréciée. Culte, même. Ma présence ne soulevait plus le moindre outrage. J’avais toujours aimé vivre à la marge de la société, car c’était là que je me sentais le plus à mon aise. Les gens n’attendaient pas grand-chose de moi, et ne me demandaient pour ainsi dire rien ; en outre, lorsqu’on vit en dehors de tout, il est d’autant plus aisé de partir. Pourtant, j’étais à présent au stade où un mari cocu voulait utiliser mon nom pour se faire mousser. « Ma femme a couché avec Ben Finn ! Je paie ma tournée ! » C’était inacceptable.

— Il faut que je quitte cette foutue ville, bougonnai-je.

Rien ne me retient, de toute façon.

Sauf que… bon… ce n’était pas tout à fait vrai. Il y avait bien une chose, une seule, qui me retenait.

Mais je pouvais peut-être l’emmener.

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