Kings of the Realm : Les Moissons de la Guerre - extrait

ILS ONT SEMÉ LES GR AINES DE LA GUERRE, MAIS CE NE SONT PAS EUX QUI EN RÉCOLTERONT LES MOISSONS…

En quête d’immortalité, un groupe de vétérans de l’empire de la Trinité – mené par l’illustre Giddion Warnock – profanent une tombe oubliée dans la plaine d’Ahten, libérant ainsi un démon aussi ancien qu’affamé. Vallen, le frère cadet de Giddion, parvient à s’échapper de la sépulture et parcourt alors le royaume pour annoncer la venue des légions de dévoreurs. Mais qui voudra bien le croire avant qu’il ne soit trop tard ?

Les Moissons de la guerre nous font suivre Vallen et ceux qu’il rencontre sur son chemin à travers le continent – de Tolka, diplomate céleste à Squall, guerrière du clan de l’Ours, ainsi que Seliza, sorcière des marais –, alors qu’ils trahissent leurs allégeances, forment des alliances et assistent à la destruction de leurs terres d’origines.

Le premier volet d’une saga de Fantasy épique, dans l’univers du jeu de stratégie en ligne Kings of the Realm

Traduit de l’anglais (Irlande) par Nathalie Huet ISBN : 978-2-8112-1294-0

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Oisín McGann est l’auteur et l’illustrateur de plus de vingt-cinq ouvrages destinés à toutes les tranches d’âge, dans lesquels il aborde des genres extrêmement variés, de la science-fiction à la Fantasy, en passant par l’horreur parodique et le thriller, mettant en scène de vastes conspirations. Il est marié, a trois enfants, un chat et un chien. Il habite actuellement dans un petit coin perdu de la campagne irlandaise, suffisamment loin de tout pour que personne ne puisse l’entendre hurler des injures à son ordinateur.

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Kings of the Realm Les Moissons de la guerre Traduit de l’anglais (Irlande) par Nathalie Huet

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Kings of the Realm: War’s Harvest Copyright © Digit Game Studios Ltd, 2014 Tous droits réservés

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Cartes : Copyright © David Atkinson, 2014 © Bragelonne 2014, pour la présente édition ISBN : 978-2-8112-1294-0 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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Personnages Les célestes Arya Tara : Sérénissime impératrice éternelle Chau Yun Rilyan : Sœur de Tolka. Conservatrice de la bibliothèque de Shemballa Chau Yun Tolka : Diplomate et guerrier Mirred : Sœur-capitaine dans l’armée de Dunarc Ushu : Protégé de Rilyan

Les dévoreurs Amut : La Dévoreuse d’Âmes Celle-qui-Crache-le-Venin : Prêtresse d’Amut Celui-qui-Boit-le-Sang-des-Abattoirs : Le tétrarque, grand prêtre d’Amut Celle-qui-est-la-Bien-aimée-des-Vautours : Grande prêtresse d’Amut Celui-qui-Sculpte-dans-la-Peau : Sous-commandant des légionnaires de la Hyène autrefois appelé Custin Celui-qui-se-Repaît-des-Héros : Commandant des légions de la Hyène

Les clans de la terre Clem : Skalde du clan de l’Ours Gullot : Mineur

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Kurussek Tovesson : Mineur du clan du Loup Mimsson : Frère du Fléau Maître des serments Oluf : Commandeur de la Confrérie du Serment Ancien du clan de l’Ours Shuvit Gunnesson : Sergent du clan de l’Ours Squallworth Bergdotter : Guerrière du clan de l’Ours Membre de la Confrérie du Serment

Les humains Baron Greachus : Commandant des forces de Dunarc Baron Larioll : Baron de Segra Clerc-général Clave Ollison : Commandant en second des forces de Dunarc Custin : Guerrier astartien qui deviendra Celui-quiSculpte-dans-la-Peau Devinia Quellican : Grande prêtresse et ancienne femme de Tolka Ettaya : Mère kémétanienne de Kaydi, femme d’Ommur Giddion Warnock : Chevalier astartien de La Trinité, frère de Vallen Hewman : Cavalier de La Trinité Humbold : Fermier Humdrick : Prêtre de la Trinité Kaber : Soldat astartien Kaydi Warnock : Épouse kémétanienne de Vallen Kylinus Trencham : Sa Grâce le duc de Constantu Ommur Haken : Marchand kémétanien, père de Kaydi Osséus : Petite brute constantienne Prestor Johannes : Grand théocrate de l’Astarté Rajette : Homme d’armes kémétanien Revius : Archer constantien et frère-lieutenant

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Tritus : Cavalier de la Trinité Vallen Warnock : Astartien, ancien frère-lieutenant dans l’ordre de la Lance Brillante, frère de Giddion et époux de Kaydi Wullaume : Marin, capitaine de Dunarc

Les sang-mêlé Gurry Rutt, dit Grutt : Orphelin de Constantu, demi-nain et demi-elfe

Les salamandres Bessa : Ombre rouge jenomienne Hassin Feng-Ky : Crêtefeu khormiscain Isséus : Ombre rouge khormiscaine Jazille : Crêtefeu khormiscaine Kuuzuk : Triton janissaire jenomien Lady Seliza : Sorcière des marais, épouse de Zessil Rossiad Li-Gan : Ombre rouge, maître de la guilde des chasseurs de Jenomo Trez : Ombre rouge jenomienne Yuuz : Triton janissaire jenomien Zessil : Époux de Seliza, ambassadeur à Constantu

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Mille ans sous les sables

L’

œil rivé sur les symboles ésotériques gravés dans la pierre, Vallen Warnock se disait qu’il aurait mieux fait d’écouter sa femme. Planté devant l’énorme dalle qui terminait le court tunnel qu’ils avaient découvert, il examinait les parois jaune safrané, de part et d’autre de la porte. Quelques pas en arrière, à l’entrée du couloir, la tempête de sable mugissait et rageait toujours. Le vent s’était levé d’un coup lorsqu’ils étaient arrivés à proximité de l’entrée, presque comme pour les pousser à s’y réfugier, mais à l’intérieur le calme était complet. Pas un souffle. Comme d’innombrables tombes du Kemet, celle-ci avait été bâtie pour résister aux siècles. Dans le but d’empêcher les voleurs d’y entrer ? se demanda Vallen. Ou pour empêcher les âmes mortes d’en sortir ?

Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Debout derrière lui, son frère Giddion observait la porte, comme hypnotisé. Mal à l’aise, Vallen s’agita. Son armure le gênait aux entournures et lui pesait lourdement sur les épaules.

Giddion, qui commandait leur petit groupe, avait insisté pour qu’ils sortent en armure complète, avec leurs couleurs et tout le fourniment, et Vallen ne pouvait s’empêcher de ressentir un peu d’aigreur. Les obliger à porter une cotte de mailles pour une simple excursion dans le désert, vraiment ?

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Le sable qui s’était insinué à l’intérieur de son col le grattait et lui écorchait la peau. Cette cochonnerie se glissait partout.

Il arpentait le désert depuis tant d’années qu’il avait fini par concevoir un farouche dégoût pour cette matière minérale. La tempête les avait si bien encerclés qu’ils auraient pu se rouler dedans. Instinctivement, il posa la main sur le pommeau de son épée et la fit légèrement coulisser dans son fourreau, histoire de vérifier qu’elle n’était pas grippée. Pour les armes, le sable était un véritable fléau.

Giddion, quant à lui, paraissait envoûté. Il ne quittait pas des yeux les pictogrammes gravés dans la pierre et la petite fente entourée d’un cercle percée au centre de la porte. Il était plus grand que Vallen et un peu plus large d’épaules, mais ils étaient aussi charpentés l’un que l’autre. Qu’il soit en armure ou non, il impressionnait généralement son entourage. Malgré les balafres qui marquaient son visage barbu, témoins d’une vie de soldat, et son crâne presque rasé, il conservait toute sa séduction virile. Il se pencha pour souffler la poussière accumulée dans la fente, puis essaya de voir à l’intérieur.

— Il nous faudrait plus de lumière, grogna-t-il. Que quelqu’un m’apporte une torche.

Kaber en avait déjà une de prête. À l’aide du silex et du percuteur d’acier de sa boîte à briquet, il enflamma le chiffon imbibé de poix enroulé à l’extrémité de son brandon.

Une clarté jaune se répandit dans le couloir. Un minuscule scorpion prit la fuite et disparut dans un interstice entre deux dalles. Kaber était un gros balourd chauve, taillé comme une barrique et à peu près aussi avenant, mais un ami d’une loyauté sans égale et un solide compagnon. Un vieux de la vieille. Exactement le genre d’homme qu’il faut avoir à ses côtés. Il tendit la torche à Giddion, qui se pencha de nouveau pour étudier les symboles à la lueur de la flamme.

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Vallen se poussa afin de ne pas faire écran au peu de lumière qui leur parvenait depuis l’entrée du tunnel. Même en mettant de côté les avertissements de sa femme, il y avait pas mal de choses qui ne lui plaisaient guère dans cette histoire. Pour commencer, le guide indigène qui avait conduit les quatre soldats astartiens jusqu’à cet endroit. Vallen le surveillait du coin de l’œil. Un petit bonhomme maigrichon, tanné et usé par les intempéries ; il s’était poussé sur le côté, bien à l’écart de cette maudite porte. En apparence, ce n’était qu’un paysan ordinaire, mais il avait un regard de fanatique. Au départ, il avait paru très enthousiaste à l’idée de les conduire jusqu’à cette tombe, mais à présent il se tenait à distance, prudent, tandis qu’ils inspectaient la dalle de grès jaune encastrée dans le fond du tunnel.

Et puis il y avait l’endroit ; l’entrée d’une tombe perdue au milieu de nulle part, dans la plaine d’Ahten, un coin de désert oublié de tous. Une tombe qui n’était pas là une semaine auparavant. Le Kémétanien les avait guidés jusqu’à la gorge, à peine plus qu’une crevasse, en vérité, une déchirure pareille à une blessure au milieu des dunes ondulantes. Le tunnel avait été mis au jour par un récent séisme, leur avait-il raconté. C’était un coup de chance extraordinaire. Personne n’était au courant, à part eux, mais la nouvelle ne tarderait pas à se répandre. À tout le moins, il y aurait des trésors à piller, mais cette découverte pouvait signifier tellement plus.

Les Astartiens n’avaient pas mis longtemps à se rendre compte qu’elle datait de l’ère adéquate. L’endroit semblait être le bon, également. Et les pictogrammes paraissaient confirmer leurs suppositions. C’était sûrement le lieu que Giddion Warnock cherchait depuis tant d’années. Le tombeau d’Amut. La tristement célèbre cité des catacombes, où la déesse et ses partisans avaient été ensevelis pour leur dernier sommeil. Le site où se dissimulait la mythique Fontaine de Jouvence.

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Kaber alluma une seconde torche, tandis que Giddion continuait à étudier la pierre. Giddion, Vallen et Kaber étaient les seuls survivants du groupe d’amis qui s’était joint à la croisade dans l’Est des chevaliers de la Trinité, pour la plus grande gloire de Dieu. À l’époque où Vallen avait encore la foi. Avant qu’il ne renonce à ses vœux.

— Il se pourrait bien qu’on ait trouvé, tu ne crois pas, Giddion ? lança le quatrième de leur petit groupe. Ça fait vraiment l’effet d’être le bon endroit, hein ? Songez un peu, les gars ! Ha ! On va être célèbres !

Il avait un long visage juvénile, crispé par l’arrogance et l’insécurité. Custin – c’était son nom – était un jeune zélote nouvellement arrivé dans l’ordre de la Lance Brillante.

Il n’avait jamais connu le désert, idolâtrait Giddion et ne cachait pas son mépris pour Vallen, au motif que celui-ci avait quitté l’ordre pour se marier. Il ne manquait pas d’astuce et était très habile, mais également cruel – et il était ignorant, comme beaucoup de soldats dépourvus d’expérience. Cette douloureuse meurtrissure dans son cou était le résultat de ce que les vétérans appelaient « la marque des idiots ». C’était ce qui arrivait aux maladroits qui ne savaient pas mettre leur gambison proprement sous leur armure de plaques avant de sortir des heures durant sous le soleil incandescent du désert : le métal brûlant vous marquait comme au fer rouge.

Les trois hommes attendaient en silence, le regard braqué sur Giddion. Vallen se sentait un peu nauséeux, comme avant une bataille, lorsqu’il était en selle, épée en main et bouclier prêt à parer, juste avant que soit donné l’ordre de charger.

Sauf qu’il n’y avait pas d’ennemi. À part eux et le guide, les seuls autres individus présents étaient morts depuis plus de mille ans. Pourtant, Kaber et Custin étaient sur le qui-vive, il le voyait bien. Ils n’étaient pas tranquilles. Comme lui, ils sentaient que quelque chose n’allait pas, dans cet endroit.

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Giddion, en revanche, paraissait imperturbable. Il jeta un regard à son frère et lui décocha son plus beau sourire.

— Où est la dague ? interrogea-t-il.

Ah oui. La dague, songea Vallen en plongeant la main dans la sacoche qui pendait à sa ceinture. Ce foutu couteau, fait d’or et d’un autre métal gris argenté que personne n’avait pu identifier mais qui ne rouillait pas. Cela ressemblait un peu au stellium dont se servaient les elfes pour fabriquer leurs armes. La dague était très belle, avec sa poignée enveloppée de fil d’or et sa lame incurvée, froide au toucher, aussi longue que son avant-bras et ornée d’arabesques et de pictogrammes.

Un objet qui n’avait pas de prix, vraiment, et que Giddion avait obtenu quelques mois auparavant, par un extraordinaire coup de chance. Dans une ruelle de Constantu, un vieux bonhomme qui avait le même regard calculateur que leur guide kémétanien avait proposé de la lui vendre. Ils avaient marchandé un bon moment, mais Giddion avait fini par l’emporter pour une bouchée de pain, compte tenu de sa véritable valeur.

Vallen la lui tendit, non sans examiner les pictogrammes au passage, pour la centième fois au moins. Malgré son manque d’éducation classique, il était le seul de leur petit groupe à parler couramment le kémétanien – et à pouvoir le lire un tant soit peu – grâce à Kaydi, sa jeune épouse kémétanienne. Cependant, il y avait là des symboles qu’il était incapable d’interpréter. Trop obscurs ou trop anciens… probablement les deux. En tout cas, identiques à ceux tracés sur la paroi rocheuse, en face de lui.

— Ils sont pareils, hein ? demanda Giddion avec avidité, en lui indiquant la porte du doigt. Vallen ? Ce sont bien les mêmes, pas vrai ?

Vallen opina. C’était effectivement la même citation : « Celui qui brisera le sceau jamais ne reposera dans la tombe. » On en retrouvait une version dans toutes les légendes où il

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était question de la Fontaine de Jouvence. À la lueur de la flamme, les yeux de Giddion semblaient embrasés par son ambition et son appétit de gloire. Ce serait un triomphe, plus grand que toutes les victoires qu’il avait remportées naguère.

Le héros de la vallée des Foudres, découvreur de la Fontaine de Jouvence. Son nom entrerait à jamais dans l’histoire. Une histoire qu’il pourrait lire et relire à loisir, durant les siècles que lui accorderait son immortalité.

— Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, Gidd, hasarda Vallen. D’après Kaydi, les Kémétaniens considèrent cette formule comme une malédiction.

Custin laissa échapper un gros rire et roula des yeux méprisants en adressant une grimace à Kaber.

— Oui, oui, tu me l’as déjà dit, grommela Giddion. Et c’est moi qui t’ai persuadé de remettre ton armure encore une fois, pour partager ma gloire avec toi. Nous avons toujours tout affronté ensemble, côte à côte. Il n’était que justice que tu sois là aujourd’hui aussi. Mais je crains, mon frère, que ta truie kémétanienne ne t’ait bel et bien coupé les grelots.

— Traite-la encore une fois de truie, mon frère, et ce sont tes grelots qui vont te remonter dans l’estomac, gronda sourdement Vallen.

Il se retourna vers les deux autres qui ricanaient sous cape.

— Et ne croyez pas que je vous laisserai vous en tirer comme ça, vous autres couillons ! ajouta-t-il férocement.

Kaber se mit à rire. Ça, c’était le Vallen qu’il connaissait.

Giddion le regarda dans les yeux, conscient d’avoir été trop loin. Avec un petit hochement de menton qui pouvait passer pour un mouvement d’excuse, il lui prit la dague des mains et se tourna vers la porte. Il introduisit la pointe du couteau dans la fente et poussa. La lame glissa à l’intérieur, jusqu’à la garde. Il y eut un crissement, comme un bruit de verre qui se craquelle, et un filet de vapeur monta de la fissure.

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Giddion retira la lame. Il observait le phénomène avec le regard fasciné d’un enfant.

L’encadrement formait un rectangle au sommet légèrement plus étroit que la base, comme le tunnel dans lequel ils se trouvaient, mais la porte elle-même était ronde et épaisse de plus d’un pied. Malgré sa masse imposante, elle se mit lentement en mouvement et disparut à l’intérieur d’une cavité pratiquée sur le côté, en roulant aussi facilement que la meule d’un moulin et avec le même crissement. Le mécanisme devait être aussi vieux que la tombe elle-même, et il demeurait totalement indétectable.

Les quatre chevaliers échangèrent un regard sidéré. Kaber en avait le souffle court et Custin paraissait clairement secoué. À l’évidence, la magie était à l’œuvre ici, une magie suffisamment puissante pour avoir perduré si longtemps.

Vallen serrait la poignée de son épée à en avoir les jointures blanchies. Partagé entre l’euphorie et l’effroi, Giddion lui adressa un large sourire et lui rendit la dague.

— Nous y sommes ! chuchota-t-il. Nous y sommes, Vallen ! Pardieu, garçon, est-ce que tu y crois ? As-tu jamais vu pareille chose ? Nous avons trouvé, ça ne peut être que ça !

Levant haut sa torche, il enjamba le seuil. Au-delà, le tunnel se perdait au cœur d’antiques ténèbres. Le passage était plus bas, et un peu plus étroit, aussi, si bien que Giddion devait se courber pour ne pas se heurter la tête au plafond.

Avec sa carrure, exagérée par son armure, il remplissait presque toute la largeur du couloir. Sans attendre de voir si les autres le suivaient, il s’engagea d’un pas résolu vers les profondeurs. Kaber fut le premier à suivre, la seconde torche en main, puis Custin lui emboîta le pas, non sans avoir jeté au passage un regard chargé de dédain en direction de Vallen, qui n’avait pas encore bougé.

— Tu te dégonfles, hein ? ricana-t-il. Tu devrais peut-être rester ici, en sentinelle. Dieu ne favorise guère les faibles. Mais

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bon, tout le monde n’a pas le goût de l’aventure… Et puis il faut bien que quelqu’un reste pour s’assurer que ce chien de Kémétanien ne fiche pas le camp avec nos chevaux.

Sur ces bonnes paroles, il se détourna et disparut dans l’obscurité du tunnel.

L’aventure…, songea Vallen avec dégoût. Il avait toujours trouvé cette notion stupide. Une illusion romantique, bonne pour les idiots, destinée à déguiser toutes les horreurs qu’il aurait préféré éviter de voir, s’il l’avait pu. Non, il n’avait guère d’appétit pour l’aventure, mais il n’avait jamais supporté l’idée de laisser son frère affronter tout seul ces mêmes horreurs.

Ramassant une torche, il l’alluma et passa le seuil à son tour.

Il y avait d’autres pictogrammes sur les parois du couloir.

Il prit le temps de les examiner en cheminant, lentement.

Après tout, il n’avait aucun besoin de se presser. Les tombes n’allaient pas partir en fumée, ni la Fontaine de Jouvence, si elle existait vraiment (ce dont il doutait fortement). Malgré le fait qu’il était incapable de lire la plupart de ces symboles, il leur trouvait un aspect assez inquiétant. Il tomba en arrêt, surpris, devant le dessin d’un couteau qui ressemblait presque trait pour trait à celui qu’il portait sur lui. Celui qui avait ouvert la porte. C’était comme si…

Un cri rauque brisa le silence du tunnel, un cri d’horreur, immédiatement suivi d’un grondement grave et de ce qui ressemblait aux grognements hargneux d’une bande d’animaux. Puis il y eut le tintement sonore du métal cognant contre le métal, et le bruit sourd et humide d’une lame qui tranche la chair. De nouveaux hurlements. Vallen reconnut les voix épouvantées de Kaber et Custin. Ils invoquaient le nom de Dieu. Affolé par les échos qui lui parvenaient des tréfonds du tombeau, il se mit à courir, la torche brandie devant lui. Que se passait-il, par l’Enfer ? Il ne dégaina pas sa large et longue épée – elle ne pouvait lui servir à grand-chose dans un espace aussi exigu – mais tira le poignard kémétanien

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de sa sacoche. La lame en était assez affûtée et bien mieux adaptée au combat entre ces murs resserrés.

— Vallen !

C’était Giddion. Sa voix avait une intonation désespérée, qu’il ne lui avait jamais entendue. Même dans les pires moments, jamais il n’avait vu paniquer son frère.

— Vallen ! Dieu du Ciel, où es-tu ?

Les bruits se perdirent dans le silence et Vallen se retrouva devant une intersection d’où partaient trois couloirs. Une torche gisait sur le sol ; sa flamme se mourait peu à peu. En maudissant la chiche lumière qui ne lui montrait que la gueule béante et noire des tunnels, il tendit l’oreille.

— Giddion ! beugla-t-il dans le silence, en pivotant d’un côté, puis de l’autre. Giddion ! Kaber ! Custin ! Où êtes-vous ?

Criez, nom de Dieu, que je vous entende !

Seul le silence lui répondit. Les seuls sons audibles étaient ceux de sa respiration haletante et le grésillement de sa torche.

Enfin, un bruit se fit entendre, un pas lourd, hésitant, comme celui d’un homme recru de fatigue, et puis un raclement de métal contre la pierre, quelque part dans l’un des tunnels qui lui faisaient face. Vallen scruta l’obscurité, mâchoires serrées, en faisant de son mieux pour conserver son calme et empêcher ses muscles de se figer d’horreur, se préparant à accueillir ce qui s’apprêtait à sortir de l’ombre.

C’était Giddion, mais il ne se déplaçait pas comme d’habitude, avec ce mélange de grâce et de force qui le caractérisait. Il avançait tête baissée, comme s’il venait de se réveiller, et le grattement était celui de la pointe de sa grande épée, qui traînait sur le sol. Ce n’était pas une façon de traiter une lame. Quelque chose n’allait pas, c’était évident.

En entrant dans la lumière, Giddion releva la tête. Il portait une meurtrissure ensanglantée au front. Avec un frisson de terreur glacée, Vallen reconnut le symbole. Il l’avait vu gravé

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dans la porte et les murs, et sur la garde du poignard qu’il tenait en main. C’était la marque d’Amut.

— Giddion ? souffla-t-il d’une voix rauque.

En réponse, celui-ci émit un son animal, un son que sa gorge n’aurait pas dû être capable de produire. Ses yeux, quand il les posa sur lui, ne parurent pas le reconnaître. En fait, il ne semblait rien voir. Dans ce regard, il n’y avait plus d’âme.

Il leva son épée et la balança en direction de son frère. La lame alla cogner contre la paroi en faisant jaillir des étincelles.

Vallen n’eut aucun mal à esquiver. Giddion grogna et fit une nouvelle fois tournoyer son épée en accrochant la muraille au passage, comme un imbécile de bleu qui n’a jamais tenu une arme. Vallen n’y comprenait rien.

— Giddion ? répéta-t-il.

Laissant tomber son épée, son frère se jeta sur lui et l’empoigna à la gorge avec une force surhumaine. Vallen sentit sa trachée céder sous la pression, une palpitation sourde enfler dans sa tête. Son frère essayait vraiment de le tuer.

Incrédule, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Durant un bref instant, il succomba à sa tristesse et faiblit, puis son instinct reprit le dessus. D’un violent coup de pied au genou, il déséquilibra son assaillant, tout en glissant son poing gauche entre ses deux bras tendus et en le cognant vigoureusement au menton, du talon de la main. La tête de Giddion se rejeta brutalement en arrière et sa prise se desserra. De l’autre main, Vallen lui mit la lame du poignard en travers de la gorge.

— Giddion ! Pour l’amour de Dieu, réveille-toi ! hurla-t-il.

Mais au plus profond de son cœur, il savait déjà que Giddion n’était plus. Quelle que puisse être cette chose, ce n’était plus qu’une enveloppe vide qui avait été autrefois habitée par l’âme de son frère.

D’autres pas traînants se firent entendre dans le tunnel, accompagnés de grognements. D’autres monstres

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approchaient. Et il y avait des bruits différents… Des voix, des dizaines de voix. Des centaines. Giddion le tenait toujours.

Vallen ne parvenait pas à se défaire de sa poigne de fer.

— Giddion ! Par pitié ! supplia-t-il. Par pitié, mon frère !

Ne me force pas à faire ça !

Kaber apparut. Lui aussi portait la marque d’Amut au front. Il se déplaçait de la même manière, lourdement, comme s’il sortait du sommeil. Lui aussi avait le regard vide. Il n’était plus qu’à quelques pas. Derrière lui, d’autres silhouettes émergeaient de l’obscurité, vacillantes et trébuchantes. Vallen fit une dernière tentative.

— Je t’en prie, hoqueta-t-il à son frère.

Puis, d’un seul geste, il lui trancha la gorge, et quand les mains de Giddion ne se desserrèrent pas, il taillada encore et encore. Le sang lui éclaboussait le visage et les épaules.

Finalement, Giddion lâcha et s’effondra lourdement. Vallen recula et s’enfuit à toutes jambes, abandonnant le corps de son frère, la tête à peine rattachée à son cou. Dans son dos, il crut entendre hurler Custin. Toujours vivant. Puis sa voix fut noyée par la clameur d’autres voix, sauvages, cruelles…

Chantant leur joie d’avoir été libérées. À l’instant où il surgit de l’ouverture, leur guide kémé­­­ tanien se rua à sa rencontre, bras levé, couteau en main, dans l’intention très claire de le tuer. Vallen ralentit à peine.

D’une parade, il détourna la lame, lui assena un coup de tête en pleine face, puis le poignarda à la cuisse, juste au niveau de l’artère. Que ce pourceau se vide de son sang ou que les monstres l’achèvent, peu lui importait.

Il se précipita dehors, au cœur de la tempête, sans se soucier du sable qui crépitait contre son armure et lui décapait le visage. Le tunnel s’ouvrait au flanc d’une falaise, dans une gorge apparue lors d’un tremblement de terre. Ils avaient pensé à laisser les chevaux à l’abri d’un éperon rocheux, protégés du vent hurlant qui s’engouffrait jusqu’au fond de la

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gorge. C’étaient des destriers, élevés pour la bataille, entraînés à ne jamais fléchir face à l’ennemi, quel qu’il soit ; pourtant, ils hennissaient frénétiquement et tiraient sur leurs longes en roulant des yeux blancs de panique. Ils avaient senti les monstres tapis dans le tunnel, prêts à en sortir.

Vallen réussit à conserver son calme suffisamment longtemps pour collecter les gourdes d’eau qui pendaient à toutes les selles, puis il libéra les bêtes, ne gardant en main que les rênes de sa propre monture et de celle de Giddion. Le village le plus proche se trouvait à trois jours de chevauchée, si l’on prenait le temps de dormir en route, mais il n’en avait pas l’intention ; il lui fallait donc un cheval de rechange.

Mettant le pied à l’étrier, il se hissa en selle, puis talonna son destrier, Ouragan, pour lui faire remonter la pente semée d’éboulis, en entraînant derrière lui l’étalon de Giddion.

La violence de la tempête de sable lui fit baisser la tête et plisser les paupières. On y voyait à peine à quelques pas. En jetant un bref regard en arrière, il entraperçut des silhouettes indistinctes qui venaient d’apparaître à l’embouchure du tunnel. La malédiction inscrite sur la lame du poignard et la porte de pierre lui revint en mémoire. « Celui qui brisera le sceau jamais ne reposera dans la tombe. » Ils étaient partis en quête d’immortalité, mais au lieu de la trouver, ils avaient libéré une puissance infernale. Nombreux étaient ceux qui espéraient ne jamais connaître le tombeau, mais personne ne pouvait faire le choix d’arpenter la Terre sous la forme d’un cadavre sans repos. Giddion en aurait été horrifié. Vallen s’enfonça dans la tempête, en songeant qu’il avait tranché la gorge de son propre frère pour lui épargner ce destin. Cette pensée ne lui apporta guère de réconfort.

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La Dévoreuse d’Âmes

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n voyant son mari faire irruption dans la pièce, Kaydi Warnock eut d’abord du mal à le reconnaître. Sa carrure, ses cheveux bruns et courts, son armure bosselée, tout cela lui était familier, mais ce regard hanté et ce visage hagard, blafard et jauni par la poussière du désert, semblaient appartenir à un étranger.

— Emballe tout ce qui pourra être porté par un cheval, déclara-t-il d’une voix cassée. On s’en va.

La chambre qui leur servait de demeure provisoire, à l’étage d’une taverne, n’avait rien de luxueux, cependant elle disposait d’un bon lit et de quelques meubles qui, malgré leur simplicité, étaient fort confortables. D’un pas chancelant, Vallen s’approcha de la commode sur laquelle attendait un gros pichet d’eau fraîche, et y but directement, à grandes lampées, avant de verser le reste dans la cuvette de terre cuite qui leur servait à faire leur toilette. Sans prendre la peine de retirer ne serait-ce qu’une pièce d’armure, il s’aspergea le visage, laissant couler l’eau dans sa barbe de trois jours, jusqu’à ce qu’il y en ait plus sur le sol et autour de lui que dans la jatte. Puis il s’appuya sur le dessus du meuble, la tête pendant au-dessus de la bassine, l’air épuisé. Kaydi l’observait d’un œil inquiet.

— Vallen ? interrogea-t-elle doucement. Que s’est-il passé ?

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Elle avait accroché son miroir favori au mur, au-dessus de la commode ; il leva le visage face à son reflet, mais son regard vide parut traverser le miroir et transpercer le mur chaulé pour se perdre dans le lointain. Kaydi connaissait bien cet air. Il avait le même lorsqu’il s’éveillait en hurlant de l’un de ces affreux cauchemars dans lesquels il semblait revivre les horreurs de ses années de guerre. Une fois la crise terminée, il demeurait assis, faible et tremblant, tandis qu’elle le serrait contre elle pour le réconforter. Il avait exactement le même regard.

Généralement, cela ne durait que le temps de s’éveiller complètement et de reprendre conscience de la réalité ; alors Vallen se dominait, et tout redevenait normal. Mais cette fois-ci, il ne semblait pas vouloir s’éveiller.

— Vallen ? essaya-t-elle de nouveau. Qu’est-ce qu’il y a, mon amour ? Vallen ? Tu me fais peur, chéri. Raconte-moi ce qui s’est passé ! Et les autres ? Où est Giddion ? À la mention du nom de son frère, il ferma les yeux et laissa échapper un long gémissement trémulant.

— Emballe tes affaires, répéta-t-il. Les chevaux sont en bas, on leur donne à boire et à manger. Ouragan a perdu un fer, le maréchal-ferrant s’en occupe. Fourre tout ce que tu pourras dans tes sacoches. Je veux partir dès qu’il en aura terminé.

— Je ne comprends pas. Où allons-nous ?

— On s’en va, Kaydi ! répliqua-t-il sèchement. On s’en va aussi vite que nos montures pourront nous porter !

En deux enjambées, il s’approcha de leur malle qu’il ouvrit d’un geste brusque.

Elle en oublia momentanément les soucis que lui inspirait son mari. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage aux traits un peu trop anguleux pour être qualifié de joli, mais c’était néanmoins une femme charmante qui prenait soin d’elle. En tant que fille d’un riche marchand de la grande

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cité de Constantu, elle était accoutumée à se déplacer dans un certain confort.

— Nous ne prenons pas la voiture ?

— Non, elle est trop lente. Nous allons devoir voyager léger, en ménageant les chevaux autant qu’il sera possible.

Elle jeta un regard en direction des trois malles qui contenaient toutes les possessions qu’elle avait emportées pour cette équipée dans ce désert à peine habité.

— Vallen ! Je refuse d’abandonner mes vêtements !

Il se retourna brusquement, les yeux fous, les mâchoires crispées, l’agrippa par les deux bras et serra à lui faire mal.

Soudain, elle eut peur qu’il la frappe – depuis un an et demi qu’ils étaient mariés, il n’avait jamais levé la main sur elle.

Mais une expression de tristesse absolue se peignit sur ses traits et il l’attira contre lui. Elle prit son visage entre ses mains, doucement, et remarqua alors les taches brunâtres sur sa tunique.

— C’est du sang ? demanda-t-elle, la gorge serrée. Tu es blessé ?

— Non. Ce n’est pas le mien, répliqua-t-il à voix basse.

— Pour l’amour de Dieu, parle-moi, Vallen ! Dis-moi ce qui s’est passé.

Il la dévisagea un long moment, comme s’il ne savait que répondre.

— Nous avons trouvé le tombeau d’Amut, articula-t-il finalement, et tu avais raison. Raison sur tout. Comme de pauvres fous, nous avons brisé le sceau, nous sommes entrés dans les catacombes et nous avons libéré Dieu seul sait quoi.

Des choses qui se sont échappées dans le désert et qui arrivent à présent par ici, je pense.

Kaydi laissa retomber ses mains et recula, bouche bée, le regard fixé sur son mari, les poings serrés.

— Qu’est-ce que je t’avais dit ? s’exclama-t-elle, d’une voix de plus en plus stridente. Qu’est-ce que je t’avais dit ? Tu

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ne m’écoutes jamais ! Si les Kémétaniens font peur à leurs enfants depuis des générations en leur racontant les histoires d’Amut, c’est qu’il y a une bonne raison ! On l’appelle Amut la Dévoreuse d’Âmes ! On leur raconte ces histoires pour qu’en grandissant, ils aient le bon sens de ne jamais jouer avec ces puissances impies ! Mais comment faut-il que… ?

Elle s’interrompit, à court de mots, et leva les bras au ciel avant de se couvrir le visage des deux mains, puis elle prit une profonde inspiration.

— Dis-moi ce qui s’est passé.

— Nous aurons tout le temps de parler à cheval, rétorquat-il en se retournant vers la malle. Je t’en prie, femme, emballe tes affaires. Ne prends que l’essentiel. Il nous faut de la nourriture, de l’eau et de l’argent. J’ai tout ce qu’il faut pour camper dans mon paquetage, dans la cour.

Il se pencha pour fouiller dans leurs affaires et y prit des cartes des régions qui s’étendaient entre l’endroit où ils se trouvaient et la côte nord, quelques vêtements propres, coupés dans le style kémétanien, une paire de sandales, et trois escarcelles, une gonflée de pièces d’or et les deux autres de pièces d’argent. Il sortit également un étui de tissu dans lequel il avait emballé quelques dagues et d’autres petites armes. Il le déplia rapidement, en inspecta le contenu et le roula de nouveau pour le jeter sur le petit tas de ses objets personnels.

Il tira la dague gravée de sa sacoche de ceinture. Un instant, il eut la tentation de la poser là, et de l’y oublier, mais Kaydi la lui prit des mains pour l’examiner. À la vue de l’inscription sur la lame – « Celui qui brisera le sceau jamais ne reposera dans la tombe. » – le sang se retira de son visage et elle la lui rendit, les mains tremblantes.

— C’est cette dague qui fascine tant Giddion ?

— Oui.

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— Et c’est de ça que vous vous êtes servis pour briser le sceau de la tombe ?

— Oui. — Oh, Vallen, gémit-elle d’une petite voix d’enfant effrayée. C’est… Oh, mon amour, qu’avez-vous fait ?

— Il n’y a qu’à la jeter, soupira-t-il. Je ne veux plus jamais voir cette dague maudite.

— On ne peut pas faire ça ! s’écria-t-elle. Ce que tu as devant toi, c’est la dague d’Amut, fou que tu es ! Espèce d’idiot ! Toi et ton idiot de frère ! Cette arme, c’est… Je ne sais pas ce qu’il faut en faire, mais ce n’est pas un objet dont on peut juste se débarrasser sans réfléchir. Garde-la, Vallen.

Garde-la bien jusqu’à ce que nous ayons trouvé quelqu’un qui la traitera avec un peu plus de respect !

Il détourna le regard, honteux, le cœur serré par la crainte, et fouilla maladroitement dans sa malle pour y trouver un fourreau qui conviendrait à la dague, puis l’accrocha à la ceinture qui maintenait sa cotte de mailles en place.

— Tu n’as pas encore fait ton sac, observa-t-il en voyant qu’elle ne bougeait pas et ne le quittait pas des yeux.

— Où est Giddion ? demanda-t-elle de nouveau. Et les deux autres ?

Prenant une sacoche de cuir dans la malle, Vallen se mit à plier ses affaires avec des gestes rapides et une efficacité née d’une longue habitude. Au fil des années, il avait parcouru des milliers de lieues ; il était accoutumé à lever le camp en quelques instants.

— Nous trouverons des provisions en chemin, avant de quitter la ville, marmonna-t-il.

— Vallen, où est Giddion ? insista-t-elle.

Il s’immobilisa, mais ne leva pas les yeux.

— Il est mort, avoua-t-il d’une voix brisée. Ils sont tous morts, je pense. Je t’en prie, Kaydi, tu es tout ce qui me reste.

Il faut que je t’emmène loin d’ici avant que…

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Kaydi s’était couvert la bouche des deux mains, puis elle l’enlaça et il eut envie de se recroqueviller dans la chaleur de son étreinte, d’enfouir son visage dans ses cheveux… Mais la faiblesse était un luxe qu’il ne pouvait se permettre. Pas s’il voulait avoir une chance de la sauver. Il se redressa en la repoussant doucement.

— Quelle que soit cette menace, nous pourrions nous battre, souffla-t-elle. Il doit y avoir quatre-vingts ou quatrevingt-dix hommes, ici. Nous avons des armes et suffisamment de réserves. Les remparts…

— Les remparts de cette ville ne sont rien, l’interrompit-il.

Je ne sais quels sont ces ennemis qui approchent, mais ils ont abattu trois des meilleurs guerriers que j’aie jamais connus en… En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé, car ils étaient partis en avant, mais avant que Giddion ne soit tué, je l’ai entendu crier. Je n’avais jamais entendu une telle terreur dans sa voix. Il ne s’agit pas d’un ennemi ordinaire. Ce sont… C’est une horde de goules échappées de leur tombe.

Il termina de remplir sa sacoche et boucla le rabat.

— Une fois, avec Gidd et Kaber, nous avons mené une troupe de nos gars à l’assaut d’une ville comme celle-ci. Nous étions à peine une dizaine. Il ne nous a fallu qu’une nuit pour franchir les remparts, tuer les sentinelles, avoir raison du reste des défenseurs et brûler la cité entière. La plupart des hommes d’ici sont des mineurs ou des artisans qui savent à peine par quel bout prendre une pique. Si ces abominations arrivent à traverser le désert, ce ne sont pas ces pauvres murs et cette porte branlante qui leur feront obstacle. Si cette bourgade a été construite ici, c’est pour son point d’eau, pas parce que le site est facile à défendre. Il suffit de voir les collines qui la dominent sur trois côtés. Une fois que ces… ces monstruosités auront pris la ville, elles auront des armes, des réserves et des chevaux. Il faut partir. Tout de suite.

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Kaydi leva les yeux vers le visage carré, buriné et balafré de l’homme qu’elle aimait tant et acquiesça.

— Très bien, soupira-t-elle. Je voyagerai comme une colporteuse, je m’enfuirai avec toi, ou je combattrai avec toi. Quelle que soit ta décision, mon époux, je resterai près de toi jusqu’au bout, pour le meilleur ou pour le pire. Mais si je dois traverser le désert à cheval, il y a quelque chose que tu dois savoir. J’attends un enfant, mon époux. Tu es sur le point de devenir père. Alors tu vas devoir faire de ton mieux pour que ce voyage soit le plus confortable possible.

Vallen lui jeta un regard presque aussi hagard que lorsqu’il était entré.

— Quoi ? Comment… ? Mais quand… ? Pardieu, femme, tu as choisi un drôle de moment pour me l’annoncer !

— Ça fait des semaines que tu étais parti errer dans le désert, au cas où tu ne t’en souviendrais pas ! riposta-t-elle.

Peut-être que si tu consacrais un peu plus de temps à prendre soin de ta femme et un peu moins à batifoler avec tes amis et à éveiller d’anciennes divinités maléfiques, nous aurions pu avoir cette discussion à un meilleur moment. Mais tu n’étais pas là, et voilà où nous en sommes !

Elle le poussa vers la porte.

— Maintenant, va t’occuper des chevaux. Je prépare des provisions pour le voyage. Et pour l’amour du ciel, préviens les gens d’ici. Ils ne te croiront probablement pas… Moi-même, j’aurais du mal à le croire si je n’avais pas vu Giddion se jeter dans cette quête imbécile avec un tel acharnement. Et puis tu m’as montré la dague… Mais ils méritent qu’on leur donne une chance de se défendre ou de s’échapper. Allez, Vallen !

Pour ce qu’il reste à faire ici, je m’en occupe.

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Autrefois, il aurait appelé cela de la couardise

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ette bourgade portait le nom de Johannes. À l’instar de tant de petites agglomérations nouvellement bâties sur les territoires maintenant sous la domination des Astartiens, elle avait été baptisée d’après le théocrate de l’Astarté, chef suprême de la Trinité. Bien que sa fondation soit assez récente, la ville était en développement constant grâce aux échanges commerciaux que lui valait la proximité de mines de plomb et d’argent. Comme souvent dans les contrées désertiques, ses habitations de blocs de grès taillé ou de briques de terre cuite avaient des toits plats, dans le style kémétanien, et étaient conçues de manière à conserver la fraîcheur. Johannes représentait ce qui se rapprochait le plus de la civilisation dans les étendues arides de la plaine d’Ahten, et c’était pour cela que Vallen avait choisi d’y installer Kaydi avant de s’enfoncer dans les dunes en compagnie de son frère et des autres, à la recherche du tombeau d’Amut.

La population y était essentiellement masculine, composée de mineurs endurcis, de prospecteurs et d’individus accoutumés à la vie dans les régions sauvages, venus de toutes les provinces de l’Astarté, et même au-delà, dans l’espoir de faire fortune. Ces gens-là ne s’effrayaient pas d’un rien. Ainsi,

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quand il se rendit chez le vieux chevalier bavard et chaleureux qui avait fondé la ville pour le prévenir de ce qui s’apprêtait à surgir du désert, l’homme l’écouta d’une oreille attentive, mais sans montrer d’inquiétude excessive. S’il connaissait la réputation de Vallen et lui accordait le respect que l’on doit à un soldat de métier, il pensait clairement que son interlocuteur s’était laissé impressionner par les coutumes barbares des tribus locales.

Le chevalier avait répondu à Vallen que certaines peuplades du désert pratiquaient d’étranges rituels et adoraient des dieux païens qui exigeaient de sanglants sacrifices, mais ce n’étaient que des sauvages, après tout, et ce ne serait pas la première fois que sa ville serait attaquée. Les Astartiens les repousseraient, comme ils l’avaient toujours fait. La plupart des hommes de la ville avaient déjà servi comme miliciens ou lanciers dans d’autres régions de l’empire de la Trinité.

Ils comptaient même quelques nains de Nidavellir, à la peau dure comme du cuir. De drôles de gaillards, pas bien grands mais diablement robustes et vigoureux. Il lui assura que ses administrés seraient capables de prendre soin d’eux-mêmes.

Pourtant, la rumeur s’était répandue, et lorsque Vallen et Kaydi passèrent à cheval sous l’arche de la porte nord, ils n’étaient pas seuls. Ayant eu vent de la nouvelle, certains Kémétaniens avaient chargé sur des chariots autant de possessions qu’ils en pouvaient contenir et avaient pris la décision de partir également. Pour eux, le nom d’Amut était synonyme de trop d’horreurs pour envisager de faire la sourde oreille. La plaine d’Ahten avait toujours été une région inhospitalière, où la vie était rude et où le nom d’Amut n’était prononcé qu’à voix basse, de crainte que la déesse ne l’entende du fond de son tombeau. Les Kémétaniens étaient partis sur la route du Nord, mais Vallen choisit le chemin des collines.

Kaydi avait revêtu une tenue de voyage, mais elle marqua un peu d’hésitation avant de le suivre. Dans l’agitation des

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préparatifs, elle n’avait guère pris le temps de s’interroger sur toutes les implications de leur départ. Il n’était pas dans la nature de son époux de reculer devant un combat. Elle se demandait ce qu’il pouvait ressentir à l’idée d’abandonner une ville où vivaient des gens qu’ils avaient appris à connaître, avec la terrible certitude que ceux-ci ne tarderaient pas à être attaqués. Autrefois, il n’y avait pas si longtemps, il aurait sans doute appelé cela de la couardise. À présent, il semblait uniquement se préoccuper de sa femme et de son enfant à naître. D’une certaine manière, cela la réconfortait. Elle était touchée par ses attentions, mais elle ne se souvenait pas de l’avoir jamais vu si effrayé.

Se pouvait-il que Vallen et les autres aient réellement brisé le sceau qui fermait le tombeau d’Amut ? Il avait parlé de catacombes, et la légende évoquait une nécropole peuplée d’une armée de morts sans repos, des damnés auxquels on donnait le nom de dévoreurs. Et si la moitié des mythes qui parlaient de ces dévoreurs étaient vrais… ? Un frisson lui courut le long de l’échine et elle posa une main protectrice sur son ventre.

— Pourquoi pas la route ? lança-t-elle à son époux. Ce serait plus facile, non ?

— Je veux mettre ces collines entre nous et la ville aussi vite que possible, rétorqua-t-il par-dessus son épaule.

Nous retrouverons la route de l’autre côté, à une dizaine de kilomètres, après qu’elle a contourné les collines. Ici, elle est faite de sable et de terre ; il serait trop aisé de suivre notre piste.

Nous laisserons moins de traces sur les pierres des sentiers.

— Tu crois vraiment qu’ils sont à ta recherche ? interrogeat-elle en se tournant vers le sud et en plissant les paupières pour se protéger de la dure lumière du soleil. S’ils viennent, c’est sûrement après la ville qu’ils en ont ?

— J’aimerais mieux ne pas attendre pour le découvrir.

Kaydi examinait toujours la plaine, au sud.

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— Il y a une tempête de sable qui se lève, là-bas, et une grosse, souffla-t-elle, presque pour elle-même. Je crois qu’elle se dirige de ce côté.

Vallen arrêta son cheval et se retourna à son tour pour scruter l’horizon. Il l’apercevait, lui aussi. Une large muraille de poussière jaunâtre qui barrait le paysage. Il fit la grimace, tout en flattant de la main l’encolure de son cheval qui s’ébroua en poussant un petit hennissement inquiet.

— Allons-y, lança-t-il. J’aimerais mieux être aussi loin que possible lorsqu’elle arrivera.

Ils s’engagèrent sur la piste qui grimpait au cœur des collines, puis, après avoir dépassé les monticules de graviers qui marquaient l’entrée d’une mine, escaladèrent la première crête. Kaydi songeait sans allégresse au voyage qui se préparait.

De longues journées à cheval, dans un paysage désolé, au milieu du sable et de la pierraille. Elle se demanda jusqu’où il faudrait aller avant que Vallen ne décide qu’ils étaient en sécurité. Elle espérait qu’il finirait par céder et accepterait d’aller vivre avec sa famille, à Constantu. Ou n’était-ce pas encore assez loin ?

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Embuscade

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hau Yun Tolka, honorable émissaire de la sérénissime impératrice éternelle Arya Tara et guerrier respecté de la caste du Dragon céleste, maudissait la déveine incroyable qui l’avait conduit à être envoyé en mission dans cette porcherie marécageuse au ciel perpétuellement gris qu’ils osaient appeler un pays. Il courait à perdre haleine dans le demi-jour qui régnait sous les arbres, dévalant la pente d’une colline abondamment boisée, sans ralentir malgré les broussailles et l’interminable chapelet d’imprécations et de jurons qu’il égrenait à voix basse. S’il lui fallait une preuve supplémentaire que l’Astarté était un continent gouverné par des troglodytes, la situation désastreuse dans laquelle il se trouvait en était l’illustration parfaite. Le dominion de la Trinité ? Vraiment ?

Quelle foutaise ! Les humains étaient bien plus obnubilés par l’idée d’étendre leur emprise que par celle de promouvoir la civilisation. En dépit de leur prétendue puissance, les barons de la Trinité se montraient désespérément incapables de se débarrasser des bandits qui infestaient leurs routes.

Un carreau d’arbalète le manqua de peu et alla se planter dans le tronc d’un hêtre. Il ne s’arrêta pas pour autant. Un cri résonna dans son dos. Le propriétaire de l’arbalète rameutait les autres chasseurs et essayait de les convaincre de se déployer à travers le bois, afin de l’encercler.

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Tolka en avait compté huit, mais ils pouvaient être plus nombreux. Six humains aux allures de barbares et deux de ces petites brutes des clans de la terre. Des nains. Des opposants à peine dignes d’un guerrier de sa classe, pourtant il fallait reconnaître que leur embuscade avait été mise en place avec une certaine habileté. Ses deux compagnons, qui gisaient morts en travers de la route, avec leurs trois chevaux, auraient pu en attester s’ils avaient été en état de le faire. Profitant du couvert de la brume matinale, les brigands, armés de leurs arcs et de leurs arbalètes, s’étaient perchés dans les arbres qui couvraient les flancs de la vallée. Et leurs armes grossières s’étaient révélées suffisamment précises pour tuer Yami et Goushin dès les premières secondes. Tolka cracha de colère en y repensant et se jura amèrement de venger ses amis.

Sa silhouette svelte, sa longue chevelure noire et lustrée, ses yeux en amande et ses oreilles pointues dénotaient clairement sa nature de céleste, de même que les vives couleurs de ses beaux vêtements de soie brodée et damassée, à présent trempés par sa course à travers les feuillages dégouttants de rosée. En outre, il était membre d’une caste extrêmement importante, mais pouvait-on attendre de ces bandits qu’ils aient la moindre idée de ce que cela signifiait ? Il s’était rendu à Paroque, la capitale de l’Astarté, où il avait rencontré Prestor Johannes, le souverain de l’empire de la Trinité – sans doute l’homme le plus puissant du monde, car son empire s’étendait sur trois continents, de l’Astarté, à l’ouest, à l’Asu, à l’est, en passant par l’Afarik, au sud. Ayant délivré son message, Tolka était sur le chemin du retour. Ces forbans prenaient des risques en s’attaquant à une personne aussi haut placée que lui, mais qui le saurait, une fois qu’il serait mort ? Peut-être se trouvaient-ils au cœur de l’Astarté, mais apparemment, ici, dans les profondeurs de la forêt hersénienne, dans cette région isolée dénommée les Bois noirs, la Trinité n’avait pas beaucoup d’influence.

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Cependant, l’obscurité et la brume étaient à présent ses alliées. Pour s’emparer de lui, les brigands devaient d’abord le trouver, et il existait peu d’êtres capables de surpasser un céleste dans l’art de la chasse en forêt. La rosée qui imprégnait les broussailles l’aiderait à faire disparaître la trace légère de son passage. Tout en courant, il ôta sa veste, la retourna et l’enfila de nouveau, échangeant ses riches couleurs pour un gris sombre et argenté qui lui serait d’un grand secours pour se dissimuler entre les troncs et les feuillages de cette futaie.

Malgré leur petite taille, les nains qui chassaient avec les humains étaient râblés et n’avaient pas le pied léger. L’un de ces petits balourds essayait de se faufiler derrière un épicéa avec tant de maladresse que Tolka l’entendit bien avant qu’il ne se montre. D’un geste fluide, il dégaina sa longue épée recourbée et la leva à l’instant où le nain bondissait à découvert en faisant tournoyer sa hache. L’épée lui trancha le cou et Tolka continua sur sa lancée et disparut avant même que le flot de sang qui jaillissait de la gorge de sa victime n’ait éclaboussé le tronc de l’arbre.

Un second bandit, humain cette fois, surgit des buissons à sa gauche, levant haut sa masse d’armes à tête hérissée de pointes, dans l’intention évidente de lui défoncer le crâne. Tolka pivota gracieusement, laissant son agresseur le dépasser, emporté par son élan, et l’éventra d’un coup d’épée.

Abandonnant son adversaire glapissant de douleur, il obliqua vers la droite ; il avait entendu quelque chose.

Il sauta par-dessus un roncier pour se retrouver face à un autre humain armé d’une arbalète. Abaissant brutalement l’arme d’une claque bien appliquée, Tolka le frappa à la gorge du bout de ses doigts raidis, puis lui trancha les jarrets.

L’homme poussa un cri d’agonie en tombant. D’un rapide mouvement de poignet, Tolka débarrassa sa lame de stellium poli du sang qui en dégoulinait, puis la rengaina et reprit sa course. Il en restait encore au moins cinq. Peut-être plus.

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Il filait à travers la forêt, survolant d’un pied agile les troncs couchés et les broussailles épineuses, plongeant dans les interstices entre les arbres resserrés, faisant tout son possible pour ne pas offrir à ses poursuivants la ligne de mire qu’ils espéraient. Au corps à corps, il pouvait assez aisément en venir à bout ; le plus grand risque était de se faire épingler à distance par un tireur embusqué. Comme pour confirmer ses craintes, un archer surgit sur sa droite, à une vingtaine de mètres à peine, et décocha une flèche qui troua les pans de sa manche flottante. D’une main preste, Tolka saisit une étoile de jet à sa ceinture. Elle se planta dans la poitrine de l’homme avec un bruit sourd, juste à l’endroit du cœur. La blessure n’était pas fatale, mais il aurait bien du mal à dégager l’arme d’entre ses côtes.

Un froissement de course se fit entendre dans son dos et il accéléra la cadence. Il déboucha soudainement à l’orée d’une clairière noyée de brume, bordée de sapins sur trois côtés et d’une rivière sur le quatrième. En terrain découvert, il ferait une cible facile pour n’importe quel tireur, pourvu que celui-ci ne soit pas trop mauvais. Tolka était certain qu’il y avait au moins trois bandits dans son dos, mais il ne parvenait pas à situer les autres. Il hésita, une fraction de seconde à peine, puis s’élança à toutes jambes à travers la clairière.

— Halte ! rugit une voix.

Une flèche se planta profondément à ses pieds, dans la terre moussue et gorgée d’eau.

Il obtempéra aussitôt. Des silhouettes émergèrent de sous les arbres et l’encerclèrent. Ils étaient sept… Non. Huit. Trois archers, deux arbalétriers. Et aucun abri possible. Même si la plupart le manquaient, l’un d’eux réussirait forcément à toucher sa cible.

— Pose tes armes à terre, ordonna l’homme.

Le chef du gang n’avait qu’une épée, mais il ne commit pas l’erreur de s’approcher. Son visage disparaissait presque

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entièrement entre la broussaille de ses cheveux et sa barbe touffue et dégoulinante de rosée. Ses yeux très bleus luisaient d’un éclat cruel au-dessus de ses joues rougeaudes. Comme les autres, il était vêtu de couleurs verdâtres et terreuses, afin de se fondre dans les bois, avec un pourpoint et des brassards de cuir, mais pas d’armure.

— Je ne le répéterai pas, grogna-t-il. Pour nous, tu vaux presque aussi cher mort que vivant.

Tolka exhala lentement, en examinant attentivement ses opposants et le cercle qu’ils formaient. Ils étaient trop nombreux. Il déboucla sa ceinture, à laquelle pendaient son épée et sa dague dans leurs fourreaux, ainsi qu’un certain nombre d’armes de jet, et la laissa tomber sur le sol. Il avait encore son petit couteau, dans un étui dissimulé dans sa manche droite, mais étant donné la situation, il n’aurait probablement pas l’occasion de s’en servir, à part pour se trancher la gorge afin de préserver son honneur. Il décida donc d’attendre pour voir ce qui se passerait.

— Que voulez-vous ? interrogea-t-il sèchement.

— Tu es drôlement bien attifé, pour une balade dans les bois, observa le chef de la troupe, mais tu devrais faire un peu attention à tes manières. Tu es sur mon territoire. Épargne-nous les grands airs et les minauderies et prends bien garde d’être poli.

Son territoire. Ainsi, il ne s’agissait que de simples bri­­gands, et pas, comme Tolka l’avait un instant supposé, d’agents de l’un des ennemis de Prestor Johannes désireux de le prendre en otage.

— Vous avez commis une grave erreur, lança-t-il. Je me nomme Chau Yun Tolka. Je suis un émissaire de Shemballa, envoyé avertir votre théocrate d’un danger menaçant son empire. Il n’appréciera guère cet incident.

— Mon théocrate ? lâcha l’homme avec un grand rire.

Johannes n’est rien pour moi. Juste le dernier d’une longue

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lignée de tyrans, et tu n’es plus à Paroque, mon ami. C’est nous qui faisons la loi, ici. Tu es rudement bien habillé pour un messager, même venu de l’étranger. Et un foutu elfe, par-dessus le marché ! Je suis en train de me dire que tu pourrais bien être une sorte d’espion.

— Moi, un espion ? cracha Tolka avec mépris. Un espion ?

Regardez mes vêtements. Et mes oreilles ! Je suis un céleste, espèce d’imbécile. Oui, un elfe. Est-ce que je vous fais l’effet de quelqu’un qui essaie de ne pas se faire remarquer ? Mon allégeance ne pourrait pas être plus claire. Vous devriez sortir de vos buissons, de temps à autre, pour aller un peu voir le monde.

L’homme s’était rapproché. Il avait les yeux braqués sur la ceinture qu’il avait laissée tomber à ses pieds. À son air avide, Tolka comprit pour quelle raison il avait été attaqué. La rapine, rien de plus. Les articles d’origine elfique, universellement admirés pour la qualité de leur fabrication, étaient très recherchés chez les humains. Certaines des possessions de Tolka, même les plus insignifiantes, étaient plus anciennes que la plupart de ces voleurs. Lui-même avait presque atteint sa cent trentième année, mais il était encore jeune selon les critères des célestes. La valeur cumulée de tout ce qu’il portait sur lui, vêtements, armes et instruments divers, dépassait sans aucun doute ce que ces hommes pouvaient espérer acquérir en une vie.

Il observa la disposition des brigands autour de lui, calculant ses déplacements et les actions qui s’ensuivraient.

Difficile d’imaginer une issue positive. Ils étaient trop nombreux, et surtout, pour la majorité, hors de portée.

Peut-être voudraient-ils le prendre en otage, après tout, ce qui lui donnerait l’occasion de s’échapper…

— Tuez-le, grogna le chef de la bande.

Deux ou trois de ses complices le mirent en joue, mais s’interrompirent, décontenancés par l’apparition d’une tête

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reptilienne qui se dressa soudain au milieu de la rivière. La créature qui émergea de l’eau et bondit agilement sur la berge avait le corps d’un homme, avec la tête et la queue d’un lézard et une peau gris-vert qui la rendait difficile à discerner contre l’arrière-plan de la forêt environnante. Elle n’était vêtue que d’une longue tunique bleu pâle, ceinturée à la taille, faite d’un matériau visiblement insensible à l’eau, et portait un sac sur le dos. Elle s’avança sur le rivage, et d’autres créatures semblables apparurent à sa suite. Elles se déplaçaient dans le courant presque sans laisser de sillage derrière elles et l’eau glissait sur leur peau lisse. Il y avait des mâles et des femelles ; certains portaient des enfants ou les menaient par la main.

— Des salamandres…, balbutia le chef des brigands, très surpris. Qu’est-ce qu’elles font là ?

Les reptiliens sortirent les uns après les autres de la rivière et suivirent leur guide, qui traversa la clairière embrumée et disparut sous les arbres. Leur procession comptait peut-être une centaine d’individus. Bien plus que l’on n’en avait jamais vu si loin dans le Nord. S’ils furent étonnés de voir un céleste encerclé par un groupe de bandits, aucun ne fit la moindre remarque, malgré les quelques coups d’œil soupçonneux que Tolka les vit jeter dans sa direction. Il n’y avait guère d’amour perdu entre les salamandres et les célestes.

En dépit de leurs lourds paquetages, les reptiles se déplaçaient avec la grâce commune à tous ceux de leur race, ce qui ne faisait qu’ajouter au caractère fantomatique de ce défilé dans la brume matinale. Les humains les regardèrent passer dans un silence stupéfait.

Décidant que cette diversion représenterait sa meilleure chance de salut, Tolka bondit vers le chef du gang en faisant glisser sa petite dague de l’étui dissimulé dans sa manche et empoigna les cheveux de l’homme en pressant la pointe de son arme contre sa gorge. Ensuite, soulevant sa ceinture du bout du pied, il la lança vers la berge de la rivière, puis,

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utilisant son prisonnier comme bouclier, recula en direction de l’eau.

— Baissez vos armes ou je lui dessine un nouveau sourire ! cracha-t-il aux autres. À sa grande déception, aucun des bandits ne parut particulièrement s’alarmer. Ils continuèrent même à pointer leurs arbalètes sur lui, comme si de rien n’était. Tolka se demanda à quel point ils tenaient à leur chef. C’était vraiment typique des humains : pour cette engeance, le respect et la loyauté n’étaient que des mots creux. Deux ou trois de ces rustauds entamèrent une discussion sur la valeur de ses biens, comparée aux butins que leur chef serait capable de leur assurer dans le futur. Quelques secondes avant qu’ils ne parviennent au bout de leurs calculs, il sentit son prisonnier se raidir de terreur contre lui.

Il se jeta sur le côté à l’instant où quatre carreaux d’arbalète se plantaient dans la poitrine du chef des brigands. Exécutant un roulé-boulé, il attrapa sa ceinture au passage, plongea sans hésiter dans la rivière et disparut dans ses profondeurs verdâtres et glaciales. Les bandits lancèrent des chapelets de jurons et se précipitèrent au bord de l’eau, décochant force flèches et carreaux dans la direction où avait plongé leur proie.

Elle était déjà loin.

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5

La divinepeau

I

l ressortit de la rivière avec un peu moins de grâce que les salamandres, à cause de la flèche qui lui transperçait la cuisse. Il était presque hors de portée quand, par un malheureux coup du sort, celle-ci l’avait atteint. Il avait néanmoins réussi à demeurer sous la surface et à se laisser entraîner par le courant, suffisamment loin pour échapper aux regards des bandits.

Il regagna la berge en titubant sur les roches glissantes et laissa tomber sa ceinture dans l’herbe, puis s’assit avec précaution, avant de retirer sa veste trempée. Il prit le petit couteau dont il s’était servi pour menacer le chef des brigands. Maintenant que la poussée d’adrénaline se dissipait, il commençait à avoir froid. Il était resté un bon moment dans cette eau glaciale. Malgré ses frissons, ses mains ne tremblèrent pas quand il découpa le tissu de son pantalon pour examiner les dégâts. La flèche lui traversait le gras de la cuisse, sur le côté, et comme il était assis sur le sol, jambes pliées, la pointe métallique ressortait vers lui.

Un peu de sang suintait autour de la hampe, et les rebords de la plaie étaient déchiquetés et tuméfiés par les mouvements qu’il avait dû faire pour nager. À l’arrière, la blessure d’entrée n’était guère plus jolie. Ce n’était pas grave, rien qui menace son existence, mais la douleur était cuisante. À chaque geste,

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un élancement parcourait son muscle transpercé par la hampe de bois. S’il voulait pouvoir se remettre à marcher, la première chose à faire était de l’enlever. D’après sa position, il était à peu près sûr qu’elle n’avait touché aucun vaisseau vital.

Son séjour dans la rivière avait lavé ses plaies. En vérité, elles étaient aussi bien nettoyées qu’il était possible, étant donné les circonstances ; en outre, il n’avait pas d’eau plus propre à sa disposition, et pas le temps d’allumer un feu pour en faire bouillir. Il découpa le capuchon de sa veste et le déchira en deux larges bandes, puis, empoignant fermement la hampe de la flèche, il la brisa juste sous la pointe. La brusque secousse lui fit pousser un grognement. Ensuite, il s’allongea sur le sol, leva la cuisse et saisit l’arrière de la flèche à deux mains.

Il inspira profondément, deux fois, émit un grondement sourd à l’idée de ce qu’il s’apprêtait à s’infliger, puis, lentement, douloureusement, fit glisser la hampe ensanglantée à travers peau et muscle, en la faisant tourner pour la dégager lorsqu’elle se coinça en chemin. Le sifflement qui s’échappait entre ses dents serrées se transforma en rugissement étouffé, jusqu’à ce que la flèche se libère finalement avec un léger « plop » humide, lui arrachant un glapissement d’enfant torturé.

Un flot de sang jaillit des deux plaies. Il prit une petite bourse de cuir dans l’une des poches de sa tunique et répandit un peu de son contenu, une poudre blanche, sur les deux trous. La brûlure le fit siffler de douleur. Il baissa son pantalon et se servit des lambeaux soyeux de son capuchon pour bander sa cuisse, puis se rhabilla. Une fois que tout cela fut terminé, il s’allongea sur le dos, se couvrit le visage du bras et laissa échapper un long gémissement.

La rencontre avec les salamandres n’augurait rien de bon. C’était une race très ancienne, plus ancienne encore que celle des célestes, qui avait connu la puissance dans un lointain passé avant de tomber en décadence. Leurs liens

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avec les déesses serpents, connues sous le nom de Nagas, étaient encore très forts, et celles-ci leur accordaient des savoirs qu’elles ne partageaient avec nuls autres qu’eux. La migration d’un si grand nombre de salamandres en Astarté était un phénomène inquiétant en lui-même, d’autant qu’elles ne prenaient pas le chemin du Sud et de l’Est, vers leur terre natale de Van Lang, mais semblaient vouloir remonter vers les froides régions du Nord, peut-être même aussi loin que le royaume nain de Nidavellir, que ce peuple reptilien évitait en temps ordinaire. Oui. Une preuve supplémentaire qu’un vent maléfique s’était levé au Sud. Il fallait qu’il reparte. Les brigands pouvaient être encore à sa recherche, même s’il estimait plus probable qu’ils soient retournés en hâte à la route où gisaient toujours les corps de Yami et Goushin, avec leurs riches bagages. Sans parler d’un monceau de succulente viande de cheval. À présent que leur chef était mort, les membres de la bande auraient sans doute quelques difficultés à se répartir le butin.

Tolka cracha un juron et leur souhaita du fond du cœur de s’entre-tuer, comme les chiens qu’ils étaient. Cela lui épargnerait de devoir s’en charger personnellement, même s’il en perdait la satisfaction de venger ses amis.

Il se força à se redresser et à s’asseoir. D’une autre poche, il tira un rouleau enfermé dans une bourse de cuir : une sorte de parchemin, un matériau comparable à une pièce de cuir brun foncé, mais tiède et un peu poudreuse au toucher, avec une légère odeur de compost. C’était une divinepeau, un artefact permettant de communiquer avec une autre personne se trouvant à des milliers de kilomètres.

Il y avait également un petit sachet d’épingles dans la bourse. Il en choisit une et se mit à piquer la peau, en traçant des alignements de points selon un motif bien défini. Dans sa demeure de Shemballa, très loin à l’est, au cœur de l’Asu, dans la chaîne de montagnes que l’on nommait le Toit du

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Monde, sa sœur, Rilyan, détenait l’autre moitié de cette peau. Lorsque Tolka commençait à « texturer » la peau, le parchemin de Rilyan réagissait presque instantanément en se couvrant de petites aspérités lisibles à l’œil ou du bout des doigts. C’était un moyen de communication très convoité, presque exclusivement réservé aux castes les plus élevées de la société céleste. Seuls quelques rares anciens des clans nains de la terre y avaient accès, et les humains qui en possédaient étaient encore moins nombreux.

Je te salue, ma sœur, textura-t-il. Après avoir enduré un mois d’attente, j’ai finalement été reçu par Prestor Johannes à qui j’ai transmis notre mise en garde. Il m’a assuré qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires et préviendrait ses gens afin de les empêcher de commettre des imprudences en s’intéressant de trop près aux tombeaux du Kemet, mais je n’ai guère de foi en ses lentes communications, pas plus que je ne me fie à la discipline des seigneurs féodaux de l’empire de la Trinité. Je crains également d’avoir été retardé trop longtemps. Les présages sont peut-être déjà entrés en action.

Et voilà qu’aujourd’hui, alors que j’étais sur le chemin du retour, je suis tombé dans une embuscade tendue par des brigands. Yami et Goushin sont morts. J’ai bien l’intention de les venger avant de quitter cet endroit.

Ayant terminé son message, Tolka se reposa un instant.

Les piqûres du code recouvraient presque toute la surface de la peau, mais elles disparaîtraient bientôt. En quelques heures, pas plus, la divinepeau serait prête pour un nouvel usage. Il attendit. Sa sœur devait certainement être aux aguets, car la réponse apparut seulement quelques minutes plus tard, en petites aspérités granuleuses entre les lignes qu’il avait tracées.

Tolka, nous porterons le deuil de Yami et Goushin, mais ta présence sera plus utile ici. L’impératrice et ses conseillers n’ont pas accordé beaucoup de crédit aux oracles. Ils ne croient pas que les dévoreurs soient capables d’arriver jusqu’à nous,

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et encore moins qu’ils puissent percer nos lignes de défense.

Ils refusent d’entendre le message des étoiles. Peut-être écouteront-ils ta voix, s’ils sont sourds à la mienne ? Et quelle que soit leur réponse, nous allons avoir besoin de tous nos guerriers pour faire face à la menace qui s’annonce. Hâte-toi, mon frère. Ta présence nous serait d’un grand secours.

Tolka poussa un grognement dépité. Cela faisait déjà longtemps qu’il regrettait de s’être laissé impliquer dans les intrigues tortueuses du monde politique. Que n’avait-il choisi d’embrasser l’érudition, comme sa sœur ? Elle était aujourd’hui conservatrice de la bibliothèque de Shemballa, chargée de préserver la plus importante collection de savoirs du monde. Pour Rilyan, l’univers des mots regorgeait d’idées et de connaissances. Pour un diplomate comme lui, les mots étaient avant tout des instruments et des armes destinés à tisser d’inextricables toiles de stratégies. Et il en était fatigué jusqu’à l’écœurement.

Une bonne guerre… Peut-être qu’une bonne guerre assainirait l’atmosphère ? Chacun y retrouverait le sens des priorités. Cependant, il s’était abondamment documenté, au sujet d’Amut et de ses serviteurs, et si les légendes recélaient la moindre part de vérité, les dévoreurs ne formaient pas une armée ordinaire. Ils avaient la conscience politique d’une nuée de sauterelles et n’étaient rien d’autre que les pantins d’une antique déesse à l’effrayante gloutonnerie. Leur objectif n’était pas de s’emparer de ressources, de contrôler des gouvernements ou de bâtir un empire. Leur seul et unique dessein était de fournir toujours plus d’âmes damnées à leur déesse, afin qu’elle s’en repaisse, tandis que son regard à elle était fixé ailleurs. Pour Amut, l’univers des vivants n’était qu’une simple ardoise sur laquelle tracer les plans qu’elle échafaudait en vue de la conquête de l’autre monde. Quant à ce qui resterait après qu’elle en eut terminé, elle n’en avait cure.

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Tolka se releva, tenta avec précaution de s’appuyer sur sa jambe blessée et constata avec satisfaction qu’il pouvait marcher, en dépit d’une boiterie prononcée. Il boucla sa ceinture et jeta sa veste humide sur ses épaules. Il avait froid et se sentait mal dans ses vêtements mouillés. Le chagrin d’avoir perdu ses amis commençait à le tourmenter. Il était fatigué, déprimé. Il aurait bien aimé trouver de quoi se restaurer et un endroit sûr où camper et faire sécher ses habits, mais il était plus important d’avancer et de couvrir autant de distance que possible avant la tombée du jour. Il lui fallait un cheval.

Mais avant cela, toutefois, un autre voyage, plus court, l’attendait. Il fallait qu’il échange quelques mots avec un dieu.

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À suivre...