La Main du démon - extrait

SON MÉTIER : FLIC. SON HOBBY : INVOQUER DES DÉMONS. Kara Gillian, flic et invocatrice, est, à présent, prisonnière dans le royaume des démons. Expert dans l’art de la traîtrise, le seigneur démon qui la retient captive compte bien empêcher Rhyzkahl – le seigneur à qui elle est liée par serment – de la sauver. Kara cherche alors à découvrir la vérité sur elle-même ainsi que sur Rhyzkahl et Ryan, son collègue du FBI. Elle va devoir faire appel à toute sa détermination et à son expérience pour démêler le vrai du faux, ou le supplice qu’elle subit risque de se prolonger à jamais… « Fascinant, plein de suspense, et délicieusement sexy. » Jenna Black , auteure de la série Morgane Kingsley

Action / Romance

Dans la même série :

INÉDIT

« Un subtil mélange de roman policier et de bit-lit. » Charlaine Harris, auteure de True Blood Traduit de l’anglais (États-Unis) par Virginie Paitrault Photographie de couverture : © Shutterstock Illustration de couverture : Anne-Claire Payet ISBN : 978-2-8112-1263-6

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Du même auteur, chez Milady : Kara Gillian : 1. La Marque du démon 2. Le Sang du démon 3. Les Secrets du démon 4. Les Péchés du démon 5. La Main du démon

Ce livre est également disponible au format numérique

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Diana Rowland

La Main du démon Kara Gillian – 5 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Virginie Paitrault

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Milady

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Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Touch of the Demon Copyright © 2013 by Diana Rowland © Bragelonne 2014, pour la présente traduction

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ISBN : 978-2-8112-1263-6 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

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Pour Kat Johnson, qui s’est assurée que l’ histoire reste continue, cohérente et cool.

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Remerciements Un immense merci à Carrie Vaughn, Daniel Abraham et Paolo Bacigalupi, qui m’ont aidée à rester à peu près saine d’esprit pendant que j’écrivais ce roman. Un merci tout particulier à Tara Sullivan Palmer, qui a invité ma fille à jouer avec ses enfants quand j’ai dû commencer à écrire toute la journée pour respecter le délai que m’avait fixé mon éditeur. Un énorme merci à Mary Robinette Kowal, Nina Lourie, Nicole Peeler et Lindsay Ribar, qui ont lu les premières versions de ce livre et n’ont pas hésité à me dire franchement ce qu’elles en pensaient. Un merci géant à Matt Bialer, Joshua Starr et Betsy Wollheim, qui se sont chargés du gros œuvre en coulisses. Un merci trempé de sueur à Robert Butler, J.J. McCleskey et ma sœur, Sherry Rowland, qui m’ont aidée à ne pas perdre complètement la tête. Et, enfin, un super merci et plein de baisers bien baveux à mon mari, Jack, et ma fille, Anna, qui me supportent au quotidien, croient en moi et font de notre famille la meilleure famille de tous les temps.

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Chapitre premier

Q

uand le seigneur démon referma le collier autour de mon cou, m’empêchant de voir les arcanes distinc­­ tement et réduisant à néant mes chances d’être localisée, je ne gémis pas. Je ne jurai pas. Je ne pleurai pas. Je ne hurlai pas.

Je ne me laissai pas tomber à terre avant de me recroqueviller sur moi-même.

J’en avais envie. Putain, j’en avais sacrément envie. Mais après tant d’années en tant qu’invocatrice et flic, je savais que s’il y avait bien une occasion où je ne devais pas montrer signe de faiblesse, c’était là : quand je me retrouvais face à face avec un seigneur démon dans leur royaume. « Tu ne reconnais pas cet endroit ? s’était-il étonné. C’est ton ancienne chambre d’ invocation. » Je balayai de nouveau la pièce du regard. Des murs si nombreux qu’elle en semblait presque ronde, qui se ressemblaient tous. Des glyphes usés par le temps sculptés dans le sol de marbre gris sombre. Pas de fenêtres ni de meubles. En face de moi, d’énormes doubles portes noircies par le feu, dont l’une était entrebâillée, et deux portes plus petites de chaque côté. La lumière arcanique provenant des sigils scintillants disposés en hauteur baignait les lieux d’une lueur ambrée tout en créant un inquiétant jeu d’ombres.

Des volutes de fumée s’élevaient de charbons ardents dans un brasero placé contre le mur ; c’était sans doute de là que venait cette odeur âcre à mi-chemin entre le jasmin et le liquide projeté par une moufette.

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J’étais apparue ici moins de deux minutes plus tôt, enfin invoquée au royaume des démons après avoir réussi à m’y soustraire pendant plus d’un mois à l’aide d’un bracelet supprimant l’effet des arcanes semblable au collier que je portais à présent. Je voyais déjà que celui-ci, moins rudimentaire que le bracelet, exerçait son action de manière moins brutale : je n’avais pas la nausée, et je distinguais la lueur dansante des dessins formés par les sigils à la limite de mon champ de vision. Malgré tout, je savais sans même essayer que je serais incapable de les toucher ou d’en tracer de nouveaux.

Vêtu de ce qui ressemblait fort à un costume Armani gris anthracite parfaitement taillé, le seigneur démon se tenait devant moi. Grand et élégant, il portait également une chemise blanche immaculée et une cravate noire. Ses yeux perçants couleur argent ne laissaient aucune place au doute : il était en train de me jauger. Ses traits étaient légèrement orientaux, et ses cheveux d’un noir de jais étaient rassemblés en une épaisse et complexe natte mêlée de fils d’or, qui lui arrivait en bas du dos. Les ondulations de puissance qui émanaient de lui étaient si maîtrisées que je pressentis que je n’avais accès qu’à une infime parcelle de son aura.

Un humain élancé au torse nu – le trou-du-cul qui m’avait invoquée – s’affairait en bordure du cercle d’invocation, ancrant les flux et refermant le portail. Il avait beau sembler à peine sorti de l’adolescence avec cette masse insensée de boucles blondes qui évoquait presque une auréole, je devais admettre qu’il paraissait connaître son affaire. Il traçait et effaçait les sigils avec une assurance qui témoignait de son savoir-faire.

— Je n’ai jamais mis les pieds ici, lançai-je en me redres­­ sant. À quoi vous jouez ?

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Le visage du seigneur se durcit. Quand il ouvrit la bouche, sa voix me fit penser à un torrent de lave qui aurait juré de tout consumer sur son passage.

— Ceci n’est pas un jeu, invocatrice. (Me prenant par le menton, il m’observa comme s’il cherchait à déterminer ce que je valais.) Si tu ne le sais pas, c’est que ton seigneur t’a maintenue dans l’ignorance.

Il me lâcha en me poussant légèrement, et je trébuchai avant de retrouver mon équilibre. Malgré la peur qui me nouait le ventre, je fis de mon mieux pour afficher un air railleur.

— Ce n’est pas ma chambre d’invocation, affirmai-je en me redressant et en m’efforçant d’avoir l’air aussi détendue que si je me retrouvais dans ce genre de situation tous les jours. Je sais ça, en tout cas.

Je grimaçai avant d’épousseter mon pantalon. Celui-ci paraissait collant, et en baissant les yeux, je m’aperçus que j’étais encore couverte de petits morceaux de Tracy Gordon, l’invocateur qui avait été atomisé très peu de temps auparavant quand son portail s’était effondré, ce qui m’avait entraînée dans cette galère. Beurk !

— Pourquoi m’as-tu invoquée ? demandai-je après avoir relevé la tête.

Le seigneur m’examina rapidement, notant les éclaboussures sur mes vêtements et – je le savais – dans mes cheveux. Je ne doutais pas qu’il savait exactement ce dont il s’agissait. Mais s’il pensait que le fait de m’avoir invoquée avait interrompu un rituel et réduit quelqu’un en bouillie, il ne parut pas perturbé ni contrit pour un sou. Au lieu de cela, il se détourna, joignit les mains dans le dos et partit en direction des portes.

— Amène-la, ordonna-t-il.

Un bruit léger mais caractéristique résonna derrière moi : des griffes sur de la pierre. En me retournant, je découvris

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le plus gros reyza que j’aie jamais vu : presque deux fois plus grand que le seigneur, il avait l’apparence d’un homme bien musclé, mais un visage bestial. Il approcha, les lèvres retroussées et la queue fouettant l’air derrière lui. Sous la lumière ambrée, sa peau brillante semblait être en bronze.

Lorsqu’il déploya ses immenses ailes parcheminées, une légère odeur musquée flotta jusqu’à moi, et je me demandai si les déodorants humains n’étaient en réalité qu’une version bas de gamme du parfum naturel des reyzas.

Je déglutis d’un coup sec et levai les mains.

— Inutile d’employer la force, honorable démon, me dépêchai-je de lui dire. Je n’opposerai aucune résistance.

Le reyza émit un grondement sourd et m’indiqua les portes de sa main munie de griffes. L’ordre était assez clair, et je me tournai rapidement pour y obéir. Depuis que j’avais été éviscérée par Sehkeril, un autre reyza, peu de temps auparavant au cours de la confrontation avec le Tueur au symbole, j’avais plus ou moins abandonné mes illusions sur la gentillesse des démons.

Faisant de mon mieux pour avoir l’air d’une prisonnière coopérative, je passai les énormes portes de bois finement sculptées. Celles-ci, qui mesuraient trois mètres de haut, avaient de toute évidence connu des jours meilleurs : elles étaient complètement carbonisées, au point que par endroits, on pouvait presque voir à travers. Une légère odeur âcre subsistait, mais les dégâts devaient dater de très longtemps, car ils semblaient avoir été patinés par les années.

En jetant un coup d’œil derrière moi, je vis que le jeune homme blond nous suivait tout en enfilant une chemise en soie noire. Son expression était un intéressant mélange de soulagement, de fierté et de joie. Je me détournai rapidement avant qu’il s’aperçoive que je l’observais.

Cette nouvelle pièce faisait la même taille que la chambre d’invocation, mais possédait deux fois moins de murs.

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Deux d’entre eux s’ouvraient sur des couloirs, tandis que le long des deux autres, des alcôves contenaient des statues de démons et d’humains incroyablement ressemblantes.

Je tâchai de rester alerte et de penser en flic, car toute information sur le lieu où je me trouvais ainsi que sur les personnes présentes – humains comme démons – pouvait se révéler utile par la suite. Mais surtout, adopter ce point de vue me permettait d’éviter de penser au fait que j’étais sacrément dans la merde et de me liquéfier sur place. Je tentai d’observer mon environnement autant que possible, mais avec le reyza qui me collait au train, je n’avais pas le temps de faire du tourisme.

Après quelques mètres dans un couloir, nous tournâmes à droite et commençâmes à monter un escalier jusqu’à déboucher dans une pièce qui, à en juger par la distance parcourue, se trouvait probablement juste au-dessus de la chambre d’invocation.

Un obélisque de pierre polie noire s’élevait au milieu de la pièce. Une pluie d’étincelles arcaniques déferlait de sa pointe, qui touchait presque le haut plafond, tandis que onze fissures irrégulières partaient de sa base, tels les rayons d’une roue de vélo, et se prolongeaient jusqu’aux murs. J’étais certaine qu’il existait un mot pour désigner la figure ainsi créée, mais je n’avais pas la moindre idée de ce que c’était. Et qui avait besoin de savoir un truc pareil, de toute façon ?

Le monument vibrait d’énergie ; même avec le collier, je le ressentais de manière très nette. D’étranges glyphes dessinés à la craie colorée marquaient les bordures acérées de chaque fissure, tels des miroirs physiques de la lumière vacillante des sigils qui flottaient quelques mètres plus haut. Je me concentrai sur l’un d’entre eux pour tenter de comprendre de quoi il s’agissait, mais mon cœur s’affola aussitôt, comme si je venais de m’éveiller d’un cauchemar dont j’étais incapable de me souvenir.

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Redescendre l’escalier semblait être un bien meilleur plan que continuer à avancer… mais c’était sans compter sur l’énorme reyza qui me barrait la route. À l’autre bout de la pièce, le seigneur se tenait sur un balcon, tourné vers l’extérieur, les mains jointes dans le dos.

De là où je me trouvais, je ne voyais que les sommets de collines arides, les cimes dentelées de montagnes dans le lointain et une étendue de ciel sans nuages. Étrangement, ce fut ce ciel d’un bleu profond si différent de celui qu’on pouvait admirer sur Terre qui me fit enfin prendre conscience que je n’étais plus en Louisiane. Des démons et des seigneurs ? Pff. On en trouvait à la pelle par chez moi.

Oui, j’étais parfois longue à la détente…

Longeant le mur pour rester le plus loin possible des « Fissures de la Mort », j’avançai de quelques pas en direction du seigneur, mais lorsqu’un flot scintillant d’énergie brute surgit des crevasses, telles des flammes azur en furie, je me figeai. Des ondes de puissance malsaine s’abattirent brièvement sur moi avant de s’évanouir, et il ne subsista qu’un tintement dans mes oreilles et une sensation de vertige. Je vacillai, puis m’adossai au mur, à peine capable de rester debout. Quelques instants plus tard, on aurait pu croire que cela n’était jamais arrivé si je n’avais pas été en train de chanceler, la bouche incroyablement sèche comme si je venais de me déshydrater complètement. Je fus légèrement réconfortée en constatant que l’invocateur blond avait également reculé et que son air hautain avait disparu, mais il se ressaisit rapidement et retrouva son équilibre. Ensuite, il leva une main et traça des sigils dans les airs, mais avec le collier, je ne distinguai pas ce qu’il dessinait.

— Mais on est où, bordel ? réussis-je à m’exclamer malgré ma bouche desséchée, énervée que ma voix chevrote légèrement.

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Pour toute réponse, le seigneur démon leva son bras droit et me fit signe d’avancer d’un petit mouvement de l’index et du majeur sans esquisser le moindre geste pour se tourner vers moi. Serrant les dents, je m’approchai.

Quand je le rejoignis, il ouvrit la bouche, et je fus perturbée en entendant à quel point sa voix grave était mélodieuse.

— La chambre d’invocation croit qu’elle t’appartient, même si ce n’est pas ton cas.

Je jetai un coup d’œil aux fissures.

— Mais comment est-ce possible ? m’exclamai-je. Je suis certaine de ne jamais avoir effectué la moindre invocation ici.

Le seigneur leva très légèrement le menton.

— Idris. (Sa voix autoritaire résonna dans la pièce, et l’invocateur blond se redressa.) Va préparer un diagramme de purification. Nous en aurons besoin bientôt.

Voilà qui n’était pas du tout inquiétant… Déglutissant d’un coup sec, je continuai à m’efforcer de ne pas paraître complètement paniquée.

Le seigneur se tourna vers moi. Son visage était glacial, mais je voyais le feu qui brûlait dans ses yeux.

— Beaucoup pensent que ce paysage apocalyptique (il me montra une chaîne de montagnes aux pics acérés et une rangée de collines étrangement dépourvues de toute végétation) ainsi que l’état de cette pièce (il esquissa un geste vers le sol crevassé) sont le résultat de tes actions.

Je levai les bras au ciel, frustrée et exaspérée.

— Comment ? m’exclamai-je. Je n’ai jamais effectué la moindre invocation ici, bon sang ! Je n’étais venue qu’une fois au royaume des démons avant aujourd’hui, et c’était pour y mourir !

Cela s’était produit après mon éviscération. Rhyzkahl m’avait ramenée au royaume des démons pour que j’y meure, me permettant ainsi de traverser le néant pour me reformer saine et sauve dans mon propre monde. Mais le seigneur

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démon qui se tenait devant moi à présent m’avait dit que ça risquait de ne pas fonctionner une seconde fois. Et je n’étais pas assez désespérée pour risquer de mourir définitivement.

Pas encore.

Le seigneur ne réagit pas, mais son calme devint peut-être encore plus effrayant, comme s’il avait été un serpent parfaitement immobile, mais capable de frapper en un instant avec une rapidité et une précision mortelles.

Me regardant dans les yeux, il prononça un simple mot : — Elinor.

Je sursautai quand le nom me heurta comme si une lance avait traversé mon essence. Mes genoux fléchirent brièvement, et je me retins au mur tandis qu’une terreur étrange et inattendue s’emparait de moi.

Au bout de quelques instants, la sensation s’évanouit. À bout de souffle, je me tournai vers le seigneur : — Je ne comprends pas, balbutiai-je d’une voix rauque sans lâcher le mur.

Tendit-il la main pour m’aider à retrouver mon équilibre ?

Sûrement pas.

— Non, répliqua-t-il en me contemplant d’un air toujours aussi dur. Je le vois bien, en effet. Rhyzkahl ne t’a pas dit pourquoi il tenait à toi.

Je me ressaisis petit à petit, mais gardai malgré tout une main sur le mur.

— Je suppose que tu comptes me l’expliquer ? demandai-je, agacée que ma voix tremble encore.

— Non. Tu portes sa marque. (Il contempla mon avantbras gauche, là où Rhyzkahl m’avait marquée comme étant son invocatrice dédiée, et eut un léger sourire.) Je me contente de l’empêcher de t’appeler.

Le sang se glaça dans mes veines. Jusqu’où irait-il pour cela ?

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— Alors pourquoi tout ce cinéma ? m’exclamai-je avec un geste vers la pièce et le paysage au-dehors. Si tu veux juste te mettre entre Rhyzkahl et moi, pourquoi cette mise en scène et cette grande révélation sur…

Je ne terminai pas ma phrase. Je ne voulais pas prononcer son nom.

Il inclina la tête vers moi et son sourire s’élargit très légèrement, mais cela ne servit qu’à rendre son expression encore plus glaciale.

— Parce que j’en ai obtenu exactement ce que je voulais.

(Se détournant, il partit à grandes enjambées vers l’escalier.)

Et maintenant, nous allons te purifier.

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Chapitre 2

L

e reyza me fit descendre l’escalier et emprunter un couloir qui s’éloignait de la chambre d’invocation, puis descendre de plusieurs étages supplémentaires jusqu’à ce que nous parvenions enfin à une petite chambre à coucher.

De ce que je vis pendant cette marche rapide, les lieux étaient splendides. Mal entretenus, à l’évidence, mais un petit nettoyage aurait suffi à y remédier. De menus débris jonchaient le sol, des éclats de verre craquaient sous les pieds aux abords de fenêtres brisées, dont certaines avaient été réparées avec des protections arcaniques tandis que d’autres étaient restées en l’état, et une épaisse couche de poussière recouvrait le tout ; mais au-delà de cet état de délabrement, l’extraordinaire beauté de l’architecture me laissa sans voix.

La sensation d’espace et la manière dont la pierre et le bois ne cessaient de se mêler œuvraient à créer quelque chose qui évoquait une entité à la fois rude et gracieuse plutôt qu’un simple bâtiment. Couloirs et alcôves étaient bordés de tableaux et de statues, et je fus frustrée qu’on ne m’accorde pas le temps de m’arrêter pour les admirer.

Après avoir traversé la chambre, le reyza pénétra dans une pièce contenant une large baignoire de pierre à moitié remplie d’eau. On aurait dit qu’elle était en marbre blanc, mais je n’avais jamais vu ces irisations rappelant les ailes d’une libellule sur Terre. Du marbre démoniaque ? En tout cas, c’était sans doute de là que venait cette légère odeur d’œuf pourri.

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— Le temps presse, gronda le démon. Tu dois être lavée et préparée.

Il tendit la main vers moi, et je reculai contre le mur en écarquillant les yeux.

— Je peux le faire ! m’exclamai-je. Je peux me laver.

Il montra les dents, mais alla s’accroupir près de la porte.

— Tu as cinq minutes, répliqua-t-il en pliant et en dépliant ses griffes. Et je vais compter.

Je me débarrassai de mes vêtements dégoûtants, les écartai d’un coup de pied et me glissai dans l’eau tiède.

Oui. Du soufre. Dans ma région, de nombreux puits avaient la même odeur. Tout en comptant mentalement les secondes qui s’écoulaient, je m’immergeai et commençai à me frictionner le crâne. Je n’avais rien vu qui ressemble à du savon, donc l’idée était sans doute simplement que je n’aie plus de petits morceaux d’humain dans les cheveux.

Quand mon propre compte atteignit quatre minutes, je m’extirpai de la baignoire et me tins nue, dégoulinante et frissonnante devant le reyza. Mes affaires avaient disparu.

Je n’avais pas la moindre envie de les remettre, mais cela m’agaça malgré tout.

Le démon me jeta une serviette.

— Sèche-toi et mets ça.

Il me passa une chemise noire qui m’arrivait aux genoux, et qui s’avéra n’être guère plus qu’un sac avec des trous pour la tête et les bras. Pas de soutien-gorge ni de culotte. Dire que je me sentais exposée était un doux euphémisme.

Avec un ricanement, le démon se releva et fit un geste en direction de la porte. Je grimaçai, mais me mis en route pour retourner à la chambre d’invocation en tâchant d’éviter les débris et autres morceaux de verre. Quelques minutes plus tôt, ils avaient simplement contribué à l’atmosphère des lieux, mais à présent que j’étais pieds nus, ils représentaient un véritable danger, et je n’avais aucune envie d’amuser ces

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enfoirés en me coupant les pieds. Par miracle, je réussis à éviter tout incident.

Dans le couloir qui menait à la chambre d’invocation, le démon ouvrit une porte et attendit que j’avance.

Une étrange sensation de déjà-vu s’empara de moi, et je m’arrêtai dans l’entrée. Je m’étais déjà trouvée dans cette pièce ; des dizaines de fois, même. Des fragments de souvenirs fantomatiques me parvinrent : l’odeur d’ozone pur d’un portail qui venait de s’activer… des bribes de conversation en démon et dans une langue qui ressemblait à l’italien… des frissons d’excitation, d’inquiétude et d’émerveillement.

Une poussée dans le dos dissipa la sensation et me rappela d’avancer.

La pièce n’était pas très grande ; deux mètres par trois, peut-être. Elle ne contenait qu’un banc de pierre aligné contre un mur, et une autre porte se trouvait en face de celle que je venais de franchir. Le rituel de purification comportait peut-être un massage ? Hé, j’avais le droit de rêver.

Un grand bas-relief rappelant L’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci dominait le mur situé en face du banc. Des dizaines de touffes de poils – ou étaient-ce des cheveux ? – étaient pendues tout autour de la sculpture par des cordons de soie passés autour de pitons tout le long du mur. Avec mon collier, je distinguais à peine la lumière vacillante des sigils qui les éclairaient.

Le reyza entra à son tour, et son corps massif rendit la petite pièce complètement oppressante.

Quand il ferma la porte, les ténèbres s’abattirent sur nous. Je distinguais toujours les protections sur le mur, mais l’autrevue ne pouvait rien contre l’obscurité à moins que des sigils aient été allumés ou tracés spécialement pour fournir de la lumière. Serrant les poings, je tentai de ne pas paniquer.

Au lieu de cela, je me laissai glisser sur le banc et écoutai la respiration du reyza.

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— Tu viens souvent ici ? demandai-je en m’efforçant d’afficher un sourire effronté au cas où il serait capable de voir dans le noir – on ne savait jamais. À ma grande surprise, il lâcha un petit rire avant de répondre : — En de rares occasions.

Je gloussai, soulagée qu’il me parle.

— Je suis Kara Gillian, repris-je.

J’étais parfaitement consciente que le démon savait qui j’étais, mais les noms détenaient un grand pouvoir puisqu’ils faisaient partie intégrante des rituels d’invocation, donc c’était sans doute mieux de lui offrir le mien avant de lui demander le sien.

— Salutations, Kara Gillian, répondit-il. Je suis Gestamar.

Bon sang. Je connaissais ce nom. Gestamar était mentionné dans des textes vieux de plusieurs siècles.

C’était l’un des démons de haut niveau les plus invoqués.

Personnellement, je ne l’avais jamais appelé, mais ce n’était que parce que je commençais tout juste à invoquer des reyzas et que j’avais tendance à être plus à l’aise avec Kehlirik, qui était l’un des démons de Rhyzkahl et le premier démon de douzième niveau que j’aie jamais fait apparaître.

— C’est un honneur de te rencontrer, Gestamar, repris-je.

Le seigneur qui m’a fait invoquer… quel est son nom ?

J’entendis ses ailes bruisser lorsqu’il remua avant de me répondre : — Mzatal.

— Inconnu au bataillon.

Hé, pour l’heure, la raillerie et l’impertinence étaient mes seules armes, et je comptais bien les utiliser autant que possible.

Et puis c’était la vérité. Les seuls seigneurs que je connaissais étaient Rhyzkahl et Szerain. Mais j’avais le pressentiment que beaucoup de mes lacunes se verraient bientôt comblées, et ce, que je le souhaite ou non.

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Je commençais à lui demander ce que c’était que cette histoire de purification quand je fus interrompue par un profond bourdonnement provenant de la porte opposée à celle par laquelle nous étions entrés.

Une fraction de seconde plus tard, les mains de Gestamar étaient autour de mon cou. Ses griffes ne perçaient pas ma peau, mais c’était tout juste. Ravalant un cri de surprise, je cherchai instinctivement à desserrer ses doigts, mais il retira aussitôt ses mains en m’enlevant le collier, et je laissai échapper un soupir crispé tandis qu’autour de moi, les arcanes retrouvaient leur netteté. Devant moi, des sigils semblables à des fils de lumière colorée s’entrelaçant selon des motifs élaborés vibraient très légèrement en réponse au bourdonnement qu’on entendait derrière la porte. Levant une griffe, Gestamar dessina un sigil qui flotta dans les airs au-dessus de nous, éclairant la pièce d’une lumière dorée. Il ressemblait à ceux que j’avais vus dans la chambre d’invocation à mon arrivée, puis dans la pièce avec les fissures ; mais avec le collier, je n’avais pas pris la mesure de leur beauté ou de leur puissance. Je l’observai avec fascination, heureuse d’être temporairement distraite de ma situation. Sur Terre, je traçais des motifs sur différentes surfaces – portes, sols, murs – pour protéger un lieu, repousser des créatures ou adresser des avertissements. Avec de la craie et du sang, je créais des glyphes pour mes invocations. Mais je n’avais jamais vu un sigil s’animer ainsi dans les airs.

Gestamar gloussa en voyant mon expression.

— Les sigils de notre monde. Les humains les appellent des flotteurs.

Je soupirai en hochant la tête. Je ressentais le symbole aux couleurs chatoyantes comme si mon autrevue était soudain devenue un « autretoucher ». Ensuite, je me détournai pour observer le reste de la pièce.

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À présent, je voyais mieux le bas-relief sur le mur en face de moi. J’avais beau m’être préparée à toutes sortes de manifestations étranges, je me sentis viscéralement attirée par la sculpture encore plus que par le flotteur. La pierre ressemblait beaucoup au marbre démoniaque de la baignoire, mais contenait de fines veines d’or qui s’embrasaient sous la lumière du sigil, ce qui faisait paraître la sculpture encore plus réelle. Un homme grandeur nature – humain ou démon, je n’aurais su le dire – me faisait face, nu, les membres écartés au milieu d’un cercle à la périphérie duquel se trouvaient d’innombrables symboles entremêlés que je n’aurais pu nommer bien qu’ils me soient familiers. Une lueur arcanique bleutée partait du sommet de sa tête en s’élargissant jusqu’à atteindre le cercle. Mais ce furent ses yeux si particuliers qui retinrent toute mon attention : semblables à des larmes obliques, ils étaient sculptés de manière si subtile qu’on aurait presque pu passer à côté, mais lorsque je les vis, je ne pus en détacher les miens. Non seulement ils avaient deux pupilles, mais ils paraissaient rivés sur moi, et ils m’étaient si étrangement familiers que j’en fus toute retournée. Mais qu’est-ce que c’était que ce truc ?

Je parvins enfin à m’arracher à ma contemplation pour observer les dizaines de mèches réunies le long du mur. Oui, tout ça ressemblait sacrément à des cheveux humains.

Cela faisait-il partie du rituel ? Ce seigneur allait-il me couper les cheveux ? Bon sang, ils étaient enfin assez longs à mon goût ! Je grimaçai, mais m’efforçai malgré tout de me préparer à l’idée. Il était fort possible que mon sort dépende de ma capacité à encaisser des choses étranges ou désagréables telles que celle-là. Et je préfère me dire qu’une coiffure moche est le pire qui puisse m’arriver. Malgré les battements affolés de mon cœur, je fis de mon mieux pour avoir l’air détachée.

— Donc, euh… si vous me coupez les cheveux, vous pouvez les peigner avant ? Je n’ai pas pu m’en occuper après

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mon bain. Quand je n’utilise pas d’après-shampoing, j’ai plein de nœuds ensuite, expliquai-je, comptant sur le « pouvoir absolu » du sarcasme pour m’aider à affronter la situation.

Gestamar gloussa.

— Personne ne touchera à tes cheveux. Ceux-là viennent d’humains et d’invocateurs chers à Szerain.

Un étrange frisson me parcourut l’échine.

— C’est là que nous sommes ? Dans le palais de Szerain ?

Je n’avais appris que récemment que Ryan Kristoff, l’agent du FBI qui était devenu mon ami, était en réalité le seigneur démon Szerain, et qu’il avait été exilé du royaume des démons et privé de tous ses souvenirs. Je contemplai la collection de mèches, me demandant laquelle était la plus ancienne et à quel genre de personnes elles avaient appartenu. J’avais toujours du mal à me représenter le fait que les seigneurs démons existaient depuis plusieurs millénaires. Lorsque mes yeux se posèrent sur une mèche de cheveux blond vénitien entourée d’un ruban vert, une nouvelle vague de déjà-vu me submergea, encore plus forte que la première.

Quand le démon répondit, sa voix parut perdre une octave : — Oui. Nous nous trouvons dans le palais de Szerain.

Plus précisément, dans l’antichambre secondaire de la chambre d’invocation qui a entraîné le cataclysme.

Mon souffle s’accéléra tandis que le souvenir prenait vie.

Des sigils baignent la chambre de leur douce lumière. Je soulève mes cheveux pour permettre au seigneur Szerain d’en couper une mèche. Il m’adresse un sourire bienveillant et m’embrasse sur le front…

Je me raidis, et le souvenir s’évanouit aussi vite qu’il était apparu, me laissant tremblante et incertaine de ce qui venait de se passer. Luttant pour me ressaisir, je me tournai vers Gestamar.

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— Le cataclysme… tu parles des fissures et du paysage apocalyptique dehors ? C’est parti d’ici ?

Le démon m’observa attentivement, et ses pupilles rétrécirent jusqu’à n’être plus que des fentes.

— Oui. De la chambre dans laquelle tu as été invoquée.

Un événement atroce dû à Szerain et à Elinor.

J’avais la bouche terriblement sèche.

— Que s’est-il passé ?

Il gronda légèrement et se pencha vers moi, si proche que je sentis la chaleur de son souffle et dus me retenir de reculer.

— Un accident s’est produit pendant un rituel complexe.

Elinor tentait d’établir un portail permanent.

Sa voix était mélodieuse et son débit lent, mais ses accents menaçants me nouèrent le ventre.

— Le contrôle du portail lui a échappé, et elle a péri. (La manière dont il étira les syllabes de ce dernier mot me fit frissonner de la tête aux pieds.) Et notre monde s’est brisé, et des flammes sont descendues des cieux, et les océans ont ravagé les plaines.

Sans me quitter des yeux, il pencha la tête, avant de reprendre : — Et les chemins vers la Terre se sont refermés, condam­ nant les humains à mourir ici et nous isolant de votre monde durant plus de deux siècles pendant que ce royaume cherchait à imiter votre vision de l’enfer.

Les mots se bousculaient dans ma tête. Légèrement essoufflée, je fermai les yeux et luttai pour essayer d’emboîter les pièces du puzzle entre elles, puis secouai la tête pour tenter de chasser le brouillard. Ce qu’il m’avait raconté sonnait faux.

Quelque chose n’allait pas dans sa version, mais je ne savais pas du tout quoi.

— Comment… (Ma voix se brisa, et je tentai de nouveau.)

Comment est-elle morte ?

Gestamar se recula.

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— Elle a été tuée pendant le rituel quand le portail s’est emballé.

Je l’observai attentivement.

— Mais comment ? insistai-je sans savoir pourquoi je tenais tant à connaître la réponse. Qu’est-ce qui l’a tuée ? Le portail ? Quoi ?

Soudain, le bourdonnement se fit plus intense. Gestamar se leva.

— Attends, lançai-je, le cœur battant la chamade. Tu le sais, au moins ?

Pour toute réponse, il me montra les dents et, d’un mouvement si preste que je n’eus pas du tout le temps de réagir, me glissa un fin capuchon sur la tête.

Je fermai les poings tandis qu’il attachait rapidement le tissu à l’aide de liens arcaniques. Celui-ci n’était pas serré et je n’avais pas de difficulté à respirer à travers, mais la simple idée d’être amenée encapuchonnée dans une chambre d’invocation suffisait à me donner une petite crise de panique. Bon, d’accord, une grosse crise de panique. Ce qui était très probablement le but de ce seigneur Mzatal, songeai-je un instant plus tard.

La colère m’aiguillonna, faisant reculer légèrement la terreur, même si ce n’était guère suffisant. Je n’avais toujours pas de raisons de penser que j’allais survivre à ce rituel.

Soudain, Ryan me manqua. Pourtant, je savais qu’il s’était sans doute écoulé moins d’une demi-heure depuis que je l’avais vu.

Depuis que nous nous étions embrassés.

Ryan et moi travaillions ensemble depuis presque un an et étions bons amis, même si notre relation semblait toujours en voie de prendre une tournure moins platonique. Pendant ces instants effrayants où nous avions tous deux compris que nous ne pourrions pas arrêter l’invocation, il m’avait enfin embrassée, et je n’avais pas hésité un instant à lui rendre

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son baiser. Il m’avait dit qu’il m’aimait, et je lui avais dit que je l’aimais aussi. Et ensuite, j’étais arrivée au royaume des démons.

Je souris très légèrement sous le capuchon. Eh bien, si je dois mourir maintenant, au moins on se sera occupés de ça.

Gestamar me prit par l’épaule gauche.

— Le sol est lisse, lança-t-il en me faisant franchir la porte.

Contente-toi de marcher.

J’obéis. Quelques instants plus tard, il me lâcha, et quelqu’un d’autre m’empoigna le bras droit, fermement, mais sans brutalité. Sans doute pas le seigneur. Il devait s’agir de l’invocateur.

Lentement, le jeune homme me fit faire le tour du cercle rituel. Heureusement, le capuchon ne bloquait pas mon autrevue. Des sigils étincelants flottaient au-dessus du sol – les plus bas à hauteur du genou et les plus hauts à hauteur de la poitrine –, formant de splendides arabesques. Pour ma part, j’avais toujours utilisé de la craie, mais la puissance qui se dégageait des motifs ne laissait aucune place au doute : il s’agissait bien d’un diagramme. On dirait qu’ils aiment faire les choses avec panache au royaume des démons.

J’aperçus une lueur dorée de l’autre côté du cercle. Le seigneur Mzatal. J’en étais certaine. Dans n’importe quelle autre circonstance, j’aurais sans doute trouvé tout ça super cool. En réalité, c’était le cas… C’était juste que je ne trépignais pas d’impatience à l’idée que ce diagramme super cool allait bientôt être utilisé sur moi… et Dieu seul savait dans quel but.

Après s’être arrêté en face de la lueur dorée, l’invocateur me lâcha puis recula. À présent, le seigneur passait ses mains sur moi tel un policier effectuant une fouille corporelle.

Sauf qu’il n’évita aucune zone… pas plus qu’il ne ressentit le besoin d’utiliser le dos de ses mains. Les dents serrées, je restai parfaitement immobile.

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Après s’être accroupi pour palper mes jambes, il se releva enfin.

— Au centre, ordonna-t-il d’une voix encore plus intense qu’avant.

Il dit quelque chose en démon, et Gestamar grommela une réponse.

Me prenant de nouveau par le bras, l’invocateur me guida fermement au milieu du cercle, manœuvrant pour éviter certains des sigils tandis qu’il n’hésitait pas à en traverser d’autres. Ma peau me picota à l’endroit où ils me touchèrent, et certains m’attirèrent à eux comme s’ils ne voulaient pas me laisser passer.

— Sur le dos, lança-t-il.

Son ton était hautain, mais un soupçon de tremblement dans sa voix me fit me demander s’il jouait la comédie. Une mise en scène pour me déstabiliser, une nouvelle fois ? Si c’était le cas, c’était très efficace.

De la sueur dégoulinait sous mes bras et dans mon dos quand j’obéis et m’allongeai au milieu du diagramme.

Ensuite, le seigneur approcha et s’accroupit pour retirer mon capuchon. Clignant des yeux, je tentai de toutes mes forces de ne pas montrer à quel point j’avais peur.

Il leva une main et, d’un mouvement désinvolte du poignet en direction de chacun de mes membres, utilisa les arcanes pour m’attacher dans la même position que l’homme du bas-relief. Ma terreur augmenta, et je ravalai un gémissement.

Au moins, je n’étais pas nue.

Mzatal continua à m’observer quelques instants, puis se leva et sortit du cercle et de mon champ de vision ; sauf si j’avais souhaité attraper un torticolis, mais ce n’était vraiment pas le cas. Je testai légèrement les liens, et ce que je craignais se trouva confirmé : je devrais attendre que le seigneur me détache pour retrouver ma liberté. Au lieu de ça, je tâchai de

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calmer mon souffle et tentai – mais sans succès – de ne pas me demander ce qui allait arriver ensuite.

Une lumière blanche et intense apparut brusquement au-dessus de ma tête, et les motifs du diagramme flamboyèrent.

Je fermai les yeux. Vibrant au rythme du vrombissement qui retentissait toujours dans la pièce, la lumière semblait se répandre dans chacune des fibres de mon être. Ce n’était pas douloureux, mais c’était très étrange.

Après quelques minutes, Mzatal s’accroupit de nouveau à côté de moi. Il fit glisser une main sur ma gorge et mon torse, mais sa manière de me toucher n’avait rien de sexuel. Lorsqu’il s’arrêta au niveau de mon ventre, une chaleur commença à se répandre lentement juste sous ma peau, presque plaisante au départ, mais qui devint très vite franchement désagréable.

Je déglutis péniblement, puis sentis sa main se fermer en un poing contre mon ventre tandis que la chaleur se mettait à évoquer la douleur provoquée par des points de suture… mais en trois fois pire. Minimum. Quand la souffrance s’intensifia encore, je me raidis, serrant les dents pour éviter de montrer que j’avais mal. Pour finir, au moment précis où je m’apprêtais à renoncer à être stoïque, une bouffée de chaleur parcourut mon abdomen, et la douleur disparut.

La peur me noua le ventre, remplaçant la « Crampe de la Mort », et je cherchai à reprendre ma respiration. J’avais vraiment envie de demander ce qui se passait, mais je savais que Mzatal ne répondrait pas. Il remonta sa main jusqu’au milieu de mon sternum, et je sentis de nouveau de la chaleur se répandre sous ma peau, suivie d’une douleur aiguë. Mais cette fois, la brûlure était encore plus cuisante, et je ne pus retenir un gémissement. J’avais fermé les poings, et j’étais secouée de spasmes à mesure que la crampe empirait.

— Maintiens les flux tels quels sans trembler ! lança Mzatal à l’invocateur d’un ton hargneux.

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Je ne doutai pas un instant que le jeune homme blond avait blêmi. Je savais que cela aurait été mon cas.

Le seigneur appuyait sa main avec force sur ma poitrine.

J’ouvris les yeux pour le regarder, mais le regrettai presque en voyant son air sinistre. Grimaçant, il se tourna vers Gestamar et dit quelque chose en démon, mais je ne compris que le nom « Rhyzkahl ». Ensuite, il accentua la pression sur mon sternum, et je luttai pour ne pas me laisser emporter par la panique.

— Tiens-toi prêt, Idris, lui enjoignit-il de sa voix implacable avant de me lâcher et de lever la main à une quinzaine de centimètres de mon corps.

Un feu brûlant embrasa ma poitrine. Avec un hurlement, je me cambrai, tirant sur les liens arcaniques. Le souvenir d’une douleur semblable à celle-ci explosa en moi, et je criai de nouveau en luttant pour me libérer afin de pouvoir me défendre.

Puis la douleur et le souvenir s’évanouirent, et il n’en resta que des échos. Me laissant retomber sur le sol, je cherchai à ravaler mes sanglots. Des larmes coulaient le long de mon visage, et je tâchai de me concentrer sur mon agacement de ne pouvoir les essuyer. Je préférais être furieuse que terrifiée, et en cet instant, ce n’était pas difficile d’être en colère.

Mis à part le moment où j’avais pu embrasser Ryan, cette journée avait été royalement merdique. Et elle n’était même pas terminée…

Mzatal observa mon corps avant de se tourner de nouveau vers mon visage.

— Maintenant, ton seigneur ne pourra plus te récupérer, annonça-t-il d’un ton sinistre.

Avant même que j’aie eu le temps de réagir, il repassa le collier autour de mon cou. Les arcanes disparurent presque entièrement, et mon cœur se serra.

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Le seigneur se releva d’un mouvement souple, puis effaça tous les motifs et rompit mes liens d’un geste de la main simple mais efficace. Je me recroquevillai sur moi-même et luttai pour m’asseoir, serrant les poings sur ma poitrine bien que la douleur ait complètement disparu. Je n’avais pas eu conscience que Rhyzkahl disposait d’un moyen de me sauver, mais quelque part, perdre cet espoir dont j’avais tout ignoré quelques minutes auparavant termina de m’anéantir. Je n’avais pas l’habitude de me sentir vulnérable ou impuissante, et je détestais ça.

— Emmène-la, ordonna le seigneur à Gestamar en s’éloignant de moi. À ma grande surprise, le démon se contenta de me soulever pour me prendre dans ses bras. Je m’accrochai à lui, étrangement soulagée, car je n’étais pas sûre que j’aurais réussi à marcher. Au-delà de tout le stress dû aux événements de cette journée glorieusement pourrie, je ne parvenais pas à me souvenir de la dernière fois que j’avais mangé, et mon corps tenait apparemment à me le rappeler. Reposant ma tête contre le torse de Gestamar, je m’autorisai à m’apitoyer sur mon sort un moment tandis qu’il sortait de la chambre d’invocation et remontait plusieurs couloirs. Après avoir traversé une salle commune meublée de tables et de canapés qui sentaient le renfermé, il entra dans une petite pièce carrée d’environ trois mètres de côté, qui ne contenait qu’un lit étroit et une table de chevet sur laquelle était posé un mug. Tout en haut du mur opposé à l’entrée, une minuscule fenêtre laissait entrevoir un morceau de ciel couleur pervenche et une unique étoile clignotante. Contrairement à la salle commune, la pièce n’était pas du tout poussiéreuse, et on voyait que la couverture qui était sur le lit venait d’être changée. Sur la droite, une porte semblait mener à un genre de salle de bains.

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Le démon me posa par terre beaucoup plus doucement que je m’y étais attendue, puis me guida jusqu’au lit pour que je m’y assoie.

— Et maintenant ? demandai-je, trop épuisée pour dissimuler le chevrotement de ma voix.

Ramassant le mug sur la table, il me le mit entre les mains.

— Tu bois, grommela-t-il.

Je n’y connaissais rien en antiquités, mais j’étais à peu près certaine que ce mug était authentique. Il semblait être en argent, un motif de rainures verticales dorées en ornait le contour et des feuilles étaient sculptées sur son anse délicatement recourbée. Il m’avait bien l’air de provenir de la Terre. En revanche, son contenu d’un marron douteux était loin d’être aussi engageant. Le soulevant d’un air sceptique, je pris une gorgée prudente. Le breuvage rappelait du ragoût liquide qu’on aurait oublié de saler, mais avec un soupçon d’amertume que je ne parvenais pas à identifier. Mon corps affamé se moquait sans doute éperdument de son goût, mais j’étais malgré tout reconnaissante qu’il ne soit pas infect.

Après avoir vidé le mug, je le reposai sur la table d’une main qui ne tremblait presque plus.

— Et maintenant ?

— Tu dors, répondit le démon.

— Et ensuite ? demandai-je en me tournant pour le regarder dans les yeux. Qu’est-ce qui va m’arriver ? Pourquoi je suis ici ?

— Parce que telle est la volonté de Mzatal, répliqua-t-il avec un grognement.

Je grimaçai devant cette non-réponse, mais me détournai et me pelotonnai sur le lit.

— Tu n’es pas morte, reprit-il. Réfléchis donc à cela, Kara Gillian.

Et je l’entendis sortir et refermer la porte.

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Il n’avait pas tort… Je devais tirer avantage de chaque seconde qui s’écoulait pour tenter de trouver comment me sortir de ce merdier. Je tendis l’oreille, mais n’entendis pas de verrou ni de clé. Ce ne serait sans doute pas aussi facile, mais je devais malgré tout essayer. Je me rassis, avançai jusqu’à la porte sur la pointe des pieds et posai les mains dessus. Une légère vibration m’indiqua qu’elle était sans doute fermée par les arcanes. J’abaissai lentement la poignée pour ne pas faire de bruit, puis tentai de la tirer vers moi, mais la porte ne bougea pas d’un millimètre. Et merde.

Je fis le tour de la pièce pour essayer de trouver un objet pointu ou quelque chose que j’aurais pu transformer en une arme, mais sans succès. Je levai alors la tête vers la fenêtre ; j’y distinguai le ciel qui s’obscurcissait, ainsi que quelques étoiles. Après avoir déplacé le lit pour qu’il se trouve juste en dessous, j’y empilai la table en la calant contre le mur. Parfait. Quand je grimpai sur mon échafaudage de fortune, mes yeux se retrouvèrent à hauteur du bas de la fenêtre ; j’allais au moins pouvoir la tester.

En posant ma main contre la vitre, je ne décelai qu’un soupçon de puissance arcanique. Puisqu’une poignée me tendait les bras, je la soulevai avant de la tirer vers moi. Oh putain ! Avec un grincement, la fenêtre bascula vers l’intérieur, faisant tomber une pluie de poussière dans la pièce. Mon cœur s’emballa, rendu fébrile par les possibilités qui s’ouvraient à moi. À en juger par ce que je voyais de ma position – du ciel et encore du ciel –, je conclus que j’étais au moins au premier étage.

D’accord, Jill, je vais utiliser ces muscles que tu as essayé de me faire travailler. Je n’étais pas une grande fan de l’exercice, mais je ne savais trop comment, Jill, la technicienne de la police scientifique qui était devenue ma meilleure amie, parvenait parfois à me motiver. Me hissant vers le haut, je réussis tant bien que mal à trouver une prise à l’extérieur, les bras contre l’appui de fenêtre et le reste du corps toujours pendu à l’intérieur. Super. Et maintenant ?

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Je reçus une réponse qui ne me fit aucun plaisir. Les étoiles s’éteignirent, remplacées par les ténèbres, puis par deux yeux rouge sang moins d’un mètre au-dessus de ma tête. Un léger parfum de soufre flotta jusqu’à moi, et je compris que je me trouvais face à un zhurn, ces démons de dixième niveau qui étaient semblables à des ombres. Crotte de bique.

— Salutations, honorable démon, lançai-je d’un ton crispé par l’effort que je faisais pour rester dans cette position inconfortable. Belle soirée, n’est-ce pas ?

De toute évidence, je n’allais pas m’enfuir par là aujourd’hui.

La voix du zhurn crépita comme du bois mouillé en train de s’enflammer : — Tu n’es pas autorisée à sortir par ici, invocatrice.

— Oui, lâchai-je en redescendant sur la table. Ça ne m’étonne pas.

— Dors, reprit-il en tendant un tentacule que je distinguai à peine pour refermer la fenêtre.

Les yeux rouges s’évanouirent, mais les étoiles ne réapparurent pas. Ce foutu zhurn s’était installé juste devant ma fenêtre.

Descendant du lit, je remis la table à sa place. La fatigue s’abattit sur moi d’un seul coup. La journée avait été non seulement longue, mais aussi spécialement merdique.

Dormir n’était pas une mauvaise idée. J’avais besoin de repos pour être en pleine possession de mes moyens le lendemain.

Il fallait que je sois prête à affronter ce que cet abruti de Mzatal avait en réserve pour moi. Je me pelotonnai sous la couverture et m’assoupis aussitôt, des images de ma vie terrestre tourbillonnant dans ma tête. Tessa, Jill, Zack… et Ryan.

— Je vais rentrer à la maison, ne vous inquiétez pas, murmurai-je.

Même en proie au doute et à la détresse, je savais que je n’aurais aucun mal à m’endormir. Heureusement, je ne me trompais pas.

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