Extrait - Sisters - Michelle Adams

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Michelle Adams

Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Nicolas Jaillet



Collection Bragelonne Thriller dirigée par Lilas Seewald

Titre original : My Sister © Michelle Adams 2017 Première édition publiée par Headline Publishing Group © Bragelonne 2017, pour la présente traduction ISBN : 979-10-281-1005-5 Bragelonne 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris Email : info@bragelonne.fr Site Internet : www.bragelonne.fr


Ce livre est pour toi, Stasinos, car sans ta présence à mes côtés, il n’existerait pas. Ce livre appartient aussi à tous ceux qui, un jour, se sont dit qu’ ils n’avaient aucune valeur. J’espère que vous savez, aujourd’ hui, qu’ il n’en est rien.



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La vibration de mon téléphone évoque la course d’un cafard sous le lit. Pas de danger réel. Et pourtant, je suis terrifiée. Le même pressentiment qui veut qu’un coup frappé à la porte alors qu’on se prépare à aller se coucher annonce de mauvaises nouvelles ou la visite d’un assassin qui vous a choisie pour réaliser ses fantasmes. Je me tourne vers Antonio qui dort à côté de moi avec, pour seul vêtement, un pan de drap enroulé autour des hanches, comme une toge mal attachée. Son souffle s’écoule dans un sens, puis dans l’autre, paisible. À sa façon d’arrondir les lèvres en baiser, comme un bébé satisfait, je devine que ses rêves sont agréables. Sur la table de chevet, les chiffres rouges du réveil annoncent 2:02 AM. Un signal d’alarme. Je tâtonne à la recherche du téléphone, lentement, et regarde l’écran. Numéro masqué. J’appuie sur le bouton vert. J’entends la voix, dont la bienveillance ne trompe que les aveugles et les imbéciles : — Salut, c’est moi. Un temps. — Allô ? La voix attend que je réponde. — Tu m’entends ? Instinctivement, je remonte les draps pour réprimer le frisson qui se répand sur ma peau. Je couvre mes seins, dont le gauche, par l’effet d’une scoliose de quinze degrés, est légèrement plus bas que son voisin. C’est sa voix que j’entends. Je savais que 7


c’était elle. Le dernier lien qui m’attache à un passé que j’ai cru pouvoir effacer. Et pourtant, après six ans d’absence, elle a réussi à me retrouver. Elle a franchi le gouffre que j’ai creusé entre nous, tracé sa route à travers la boue qui nous sépare, comme un ver de terre, lentement, patiemment, et elle y est arrivée. Chapeau. Je me redresse. J’allume la lampe de chevet, histoire de chasser les monstres tapis dans les angles des murs. J’applique le téléphone à mon oreille et j’entends son souffle, qui attend, au fond des ténèbres, une réponse de ma part. Mes hanches flageolent quand je rampe pour m’éloigner d’Antonio, ce qui m’arrache une grimace. Je demande d’une voix aussi assurée que possible : — Qu’est-ce que tu veux ? J’ai appris à faire ça. Ne pas être polie. Ne pas m’impliquer. Ça l’aiderait. — Il faut que je te parle, et je t’interdis de raccrocher. Pourquoi tu murmures ? Je l’entends pouffer, comme si nous étions de bonnes copines ; une conversation banale entre deux adolescentes idiotes. Mais ce n’est pas le cas. Nous le savons toutes les deux. Je devrais lui raccrocher au nez mais j’en suis incapable. Je sais qu’il est déjà trop tard. — On est au milieu de la nuit. J’entends le trouble dans ma voix. Je grelotte. J’avale ma salive. Difficilement. Je l’entends bouger. Elle regarde l’heure. Je me demande où elle peut bien être, et ce qu’elle me veut, cette fois. — Ouais, enfin… c’est tôt le matin. Mais bon. Je répète : — Qu’est-ce que tu veux ? Je sens le suc froid qu’elle répand sous ma peau. El est ma sœur. Mon unique sœur. Elle appartient à une portion de ma vie qui ne m’a laissé que peu de souvenirs. Ceux que j’ai conservés sont flous, comme si je les regardais à travers une vitre inondée par une pluie battante. J’ai du mal à évaluer la 8


part de réalité qu’ils conservent pour moi. En trente ans, ils ont eu le temps de se métamorphoser. Ma nouvelle vie, celle dans laquelle je suis encore engluée aujourd’hui, a commencé lorsque j’avais trois ans et cinq mois. C’était un jour clair de printemps. Les dernières neiges étaient en train de fondre et les animaux dans les forêts voisines s’aven­­ turaient hors de leurs tanières. J’étais enveloppée dans un épais manteau de laine, sous une telle superposition de vêtements que mes articulations étaient verrouillées. La femme qui m’a donné la vie m’enfilait une paire de moufles rouges sans dire un mot. Souvenir d’une fillette de trois ans. Ma mère m’a emmenée sur un chemin boueux où pous­­ saient quelques herbes. Un peu plus haut, une voiture à l’arrêt nous attendait. J’étais une enfant au développement tardif. Mes hanches, notamment, n’étaient pas bien formées. Un mécanisme hasardeux tenu par des tendons maladifs. Je n’ai pas réussi à faire tout le chemin à pied. Je n’ai pas tenté de lutter quand elle m’a attachée dans le siège bébé. Parfois, je crois pouvoir reconstituer son visage. Le mien en plus vieux, marqué par la couperose, avec des rides en toile d’araignée autour des lèvres. Parfois je me demande si je n’invente pas complètement. Ce dont je suis certaine, c’est qu’elle ne m’a gratifiée d’aucune recommandation de dernière minute. Pas de « sois sage » ; pas de baiser d’adieu furtif sur la joue pour me remonter le moral. Elle n’a rien dit, rien fait. Je me serais souvenue de cela, je crois. Elle a claqué la porte et la voiture m’a emmenée, le plus banalement du monde. J’aurais voulu me retourner pour la voir disparaître, mais j’étais tellement engoncée dans mes vêtements que j’en ai été incapable. Et malgré tout, je savais que quelque chose de définitif avait eu lieu. On m’avait donnée. Abandonnée. Jetée. — Irène, tu m’ écoutes ? Il faut que je te parle, je te dis ! J’évacue mes vieux souvenirs et je m’entends murmurer : — Me parler de quoi ? 9


— T’es vraiment pas sympa ! Elle soupire et reprend : — Depuis combien de temps on ne s’est pas parlé ? Je m’éloigne d’Antonio, de peur de le réveiller. — El, il est 2 heures du matin. J’ai du travail, demain. J’ai pas le temps de jouer à ça maintenant. — Menteuse ! Elle a craché ce mot comme un jet de venin. Je sens que c’est fait, j’ai commis une erreur. Je l’ai mise en colère. Je m’adoucis instinctivement pour calmer le jeu. Question de survie. — C’est dimanche, demain. Tu ne travailles pas. — S’il te plaît, dis-moi seulement ce que tu veux. — C’est maman. Elle emploie le mot avec tellement de simplicité que ça me choque. Elle le lance dans la conversation comme un surnom qu’on donne à un ami. Ça sonne faux. « Maman ». Elle dit : « Maman ». Comme si je la connaissais. Comme si c’était la mienne. Je demande dans un souffle : — Qu’est-ce qu’elle a ? — Elle est morte. Il me faut un moment avant de retrouver le souffle. Je pense : Elle est partie. Je l’ai perdue. Une seconde fois. Je pose une main sur mes lèvres. El attend une réponse, mais comme je n’ai rien à lui offrir, elle se décide à demander : — Tu vas venir à l’enterrement ? C’est une question qui se justifie, mais à laquelle je n’ai pas de réponse. Parce que, pour moi, « maman », ce n’est qu’une idée. Un rêve, un espoir d’enfant. Pourtant la curiosité me tenaille. Je bégaie : — J… je crois. — Ne te sens pas forcée. Ce n’est pas comme s’ ils ne pouvaient pas se passer de toi. Je voudrais être à l’abri de ce genre de blessure, mais ce n’est pas le cas. Le fait que ma présence n’est toujours pas souhaitée, même après toutes ces années, est un dur rappel des réalités. En répliquant : — Pourquoi tu me proposes de venir, alors ? 10


Je sens que mon masque d’impassibilité se fissure. — Parce que j’ai besoin de toi. Elle a répondu sur un ton d’évidence, comme si elle s’éton­­ ­nait de ma question ; comme si elle ne savait pas que j’évite systématiquement ses coups de téléphone et que je déménage régulièrement dans le seul but de lui échapper. Six ans que je n’ai pas eu affaire à elle. Un record, pour l’instant. Elle a ce pouvoir, celui de m’anéantir. Le seul fait de savoir qu’elle a besoin de moi me vide de ma substance et me change en marionnette. — Et puis, tu as toujours une dette envers moi, Irène. Tu n’as pas oublié ce que j’ai fait pour toi ? C’est vrai. Elle a raison. Mes parents m’ont abandonnée, mais El ne l’a jamais accepté. Elle a passé sa vie à gratter la terre pour me rejoindre, et chacune de ses apparitions balayait les débris de ma vie comme une tempête. — Non, je n’ai pas oublié. Je suis bien forcée de l’admettre. Je lance un regard à Antonio qui dort comme un bébé. Puis je ferme les yeux, très fort. Comme si ce geste puéril pouvait la faire disparaître. Tu n’es plus là. Tu ne peux plus me voir. Une larme roule, alors que je serre le drap dans mon poing. Je me demande comment elle a trouvé mon numéro, cette fois. Tante Jemima doit le connaître. Celle qui, pour moi, s’approche le plus de l’idée qu’on se fait d’une mère. Si elle se donnait la peine de répondre à mes appels, je pourrais lui parler de cette ultime trahison familiale. — Appelle-moi demain, si tu veux venir. J’espère que tu pourras. Ne me force pas à venir te chercher jusqu’ à Londres. El raccroche avant que j’aie pu répondre.


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Je reste assise, étonnée, au bord du lit, et je regarde l’heure à l’horloge, qui passe de 2:06 à 2:07. Il a suffi de cinq minutes pour détruire six ans d’efforts, et voilà qu’El est de retour dans ma vie comme si elle ne l’avait jamais quittée. Je me lève, les jambes flageolantes, à croire que la gravité elle-même m’a trahie. Je ramasse ma robe et l’enfile en évitant le sac qui attend au pied du lit. Antonio a visiblement prévu de s’en aller quelque part, de toute évidence sans moi. J’écarte son sac avant d’enfiler une paire de sandales en cachemire. Un des nombreux cadeaux d’Antonio depuis que nous sommes ensemble. C’était si facile et si simple, au début. Et puis la réalité s’est insinuée dans notre couple, et l’idée qu’El puisse revenir pour tout détruire a fini par faire son chemin. Bien sûr, je ne lui ai pas parlé d’elle au début. Et quand ça a commencé à se gâter entre nous, il s’est dit qu’il pourrait se rattraper avec des cadeaux. Je le regarde dormir, si loin de notre vie du début, il y a trois ans, avec son petit sac de voyage préparé comme d’habitude, et je me dis que tous les cadeaux du monde n’auraient pas pu combler le fossé qui s’est creusé entre nous. El est mon destin. Je ne lui échapperai pas. Elle est revenue, et elle va tout détruire. J’ai toujours su que ça finirait comme ça. Je glisse en silence sur le plancher de la maison, située au coin d’une enfilade d’autres maisons toutes semblables, quelque part à Brixton, et je quitte la chambre. Je regarde la rue en bas, 12


derrière la baie vitrée. Déserte, enveloppée dans un linceul de nuit. Un halo de lumière me rappelle la présence de la ville, au loin. Une ville assez grande pour vous permettre de disparaître sans que personne ne s’en aperçoive. Si Antonio était réveillé, il me prendrait dans ses bras. Il me parlerait. M’écouterait. Il me dirait : « Ça va aller, maintenant que tu as dit ce que tu avais sur le cœur. » Une expression qu’il a ramassée quelque part, et qu’il emploie à contresens comme font les gens qui apprennent une nouvelle langue. C’est ce qu’il a dit quand je lui ai révélé qu’El, un jour, a tué un chien. Son propre chien. Il a dit que « ça va aller, maintenant que tu as dit ce que tu avais sur le cœur ». Comme s’il suffisait d’en parler pour que tout redevienne comme avant. Et que le chien mort, avec sa boîte crânienne enfoncée, revienne courir entre nos jambes, la langue pendue, joyeux comme tout. Home, sweet home. Tu parles. Je descends les marches de bois avec précaution, la main sur le mur pour maintenir l’équilibre, et me voilà dans la cuisine. Je me dis : Bon, ma mère est morte. Je prends un verre abandonné sur le plan de travail et joue à faire tourbillonner le fond de chianti qui s’y trouve. Je le repose et saisis deux mugs dans le placard, en faisant autant de bruit que possible. Peut-être qu’Antonio va se réveiller, se lever et me rejoindre. Pour me dire que tout ira bien, comme il l’a toujours fait. Ça ne me déplairait pas. Ça m’aiderait peut-être à résorber la panique qu’a provoquée le retour d’El. Je fais même un pas pour remonter dans la chambre, convaincue que sa présence adoucira ma solitude, mais je repense à son sac qui l’attend sur le sol, prêt pour son prochain départ, alors je change d’avis et je remets le second mug dans le placard. Est-ce qu’il a décidé de me quitter ? Ça se pourrait. Le destin, probablement. Il faudra que je m’habitue à son absence. Je glisse une cartouche dans la cafetière, et j’attends que la diode passe au rouge avant de reprendre ma tasse. La vapeur me frappe le visage et la première gorgée me brûle les lèvres. Je longe le mur en allumant tous les interrupteurs que je croise sur mon chemin, et je m’installe devant le plateau de verre 13


de mon bureau pour mettre en route mon ordinateur. J’aime les meubles neufs et sans originalité. Des objets sans passé, sans histoires ni secrets. Un équipement qu’on peut quitter sans regret. Je reste immobile, les yeux sur l’écran. C’est à peine si je respire. Qu’est-ce que je fais là ? Est-ce que je suis vraiment en train de me préparer à y aller ? Croyant entendre un bruit de pas derrière moi, je me retourne, espérant trouver Antonio. Personne. Je me penche pour voir le haut des marches noyées dans l’ombre que je viens de quitter. Je me retourne vers l’écran et tape « Édimbourg » dans la barre de recherche. De toute évidence, j’ai bel et bien l’intention de m’acheter un billet d’avion. L’heure est-elle parfaitement choisie pour prendre ce genre de décision ? Et, au fait… un aller et retour ou un aller simple ? — Qu’est-ce que tu fais ? demande Antonio. — Oh, putain ! je hurle en sursautant sur ma chaise. Je t’ai pas entendu ! À quoi tu joues ?! Mon cœur attaque ma poitrine au marteau-piqueur. — Et toi, qu’est-ce que tu fais ? réplique Antonio, sur la défensive. Tu te promènes en pleine nuit. Tu m’as fait peur. Il se tient serré dans son slip blanc, une de mes chaussures à la main en guise de gourdin, pour se défendre. Sa voix a l’onc­­ tuosité du chocolat fondu et le corps d’un expresso bien tassé. — Qu’est-ce que tu fabriques ? Je réponds, encore à bout de souffle : — Je cherche un truc sur Internet. Il se penche vers moi pour poser la chaussure sur le bureau. Je peux sentir mon parfum sur sa peau. Il passe la main sur mes épaules et, comme je ne fais rien pour le repousser, il me caresse le cou avant de descendre sur le haut de ma poitrine. Il a toujours été très tactile. Même quand il m’en veut, il me veut. Il faut qu’il me tripote. — Détends-toi, dit-il en enfonçant ses doigts dans ma chair. Respire à fond. Je me rappelle ce qu’on faisait il y a à peine une heure et ça me donne envie de recommencer, malgré l’étrange dispute 14


postcoïtale qui a suivi. Plus rien n’est jamais facile, entre nous. Il reprend son massage d’épaules et se penche sur l’écran pour lire. Puis il m’interroge, incrédule : — Tu t’en vas ? Je repense à son sac de voyage au pied du lit. Je pourrais lui retourner la question. Mais je préfère avaler une nouvelle gorgée de café, trop heureuse, au moins, d’échapper à ma solitude. — Cassandra est morte. Il lui faut un moment de réflexion pour reconnaître ce nom qui ne lui est pas familier. — Quand ça ? demande-t-il après avoir recollé les morceaux. Il s’accroupit et ma robe se soulève, dégageant mes jambes jusqu’au début de ma cicatrice. Il pose une main ferme sur ma cuisse gauche, la plus faible, et remonte vers la large rougeur de ma blessure. Ce faisant, il observe mon visage pour voir comment j’encaisse la nouvelle. Je me sens vide, lisse et tremblante comme une feuille de papier blanc. — Comment ça s’est passé ? demande Antonio. Je m’écarte, car ma cicatrice commence à s’irriter. Je prends conscience un peu tard que j’ai oublié de demander à El comment notre mère est morte. En paix, dans son lit ? Ou dans le fracas épouvantable d’un accident de la route ? J’aimerais pouvoir dire que, si je n’ai pas posé la question, c’est parce que je m’en fous. Mais ce n’est pas le cas. Et pourtant, j’ai essayé de m’en foutre. Pendant trente ans. Sans succès. Antonio se retient de me pousser à la confidence, même si je devine qu’il comprend mal mon détachement. La famille, il y croit, lui. Dur comme fer. Et ça commence par le mariage. Et pourtant, il est là, avec moi. Il m’a pardonné notre dispute de cette nuit. Une discussion vaseuse qui est partie de son inappétence pour les tâches domestiques, et qui a échoué sur mon non-désir de maternité. — Tu vas y aller ? Je hausse les épaules. J’ai les meilleures raisons du monde de ne pas y aller. Il est encore temps de m’enfuir, de changer de 15


numéro, de déménager avant qu’El ne trouve mon adresse. En faisant comme si je ne lui devais rien. D’un autre côté, si je me décidais à y aller, je pourrais extorquer à mon père quelques petits secrets, du genre : pourquoi m’ont-ils abandonnée, moi ? Pourquoi l’ont-ils gardée, elle ? — Il faut que tu y ailles, je pense, dit Antonio. Il prend la souris et fait défiler les vols qu’on me propose. Il sélectionne celui de 15 h 30 et fait des cercles autour avec la flèche pour attirer mon attention. — Celui-là, c’est bien. Tu y seras dans l’après-midi. Avec un petit sourire, j’acquiesce à sa conviction que ce voyage est inévitable, que c’est la seule bonne chose à faire. — OK. Passe-moi ma valise, dis-je en cliquant d’une main tremblante sur le lien qu’Antonio a sélectionné pour moi. J’opte pour un aller simple, car j’ignore quand je serai en état de rentrer chez moi. Cette idée me fait perdre aussitôt le peu d’assurance que j’ai pu puiser. Antonio ne me propose pas de m’accompagner. Peut-être qu’un peu d’air lui fera du bien. Peut-être que ça nous fera du bien à tous les deux. — Viens te recoucher, maintenant, dit-il. Antonio m’emmène en me tenant par la main, comme une adolescente qui s’apprête à se faire sauter pour la première fois. On se glisse dans les draps. Il me prend dans ses bras et m’embrasse. Une sensation qui m’a manqué ces derniers temps, alors qu’il s’est montré de plus en plus froid et distant. Je m’abandonne à son étreinte, en essayant de retrouver mes sensations d’antan. Mais ce n’est pas le cas. Le toucher d’Antonio est anguleux, comme si nous étions deux pièces de puzzle qui ne vont pas ensemble. Sa présence auprès de moi n’a plus le pouvoir de balayer le passé, comme avant. Le réveil affiche maintenant 2:46. Le temps s’écoule de plus en plus lentement. Chaque seconde m’enfonce un peu plus loin sous la surface. Je pourrai battre des pieds tant que je veux, ça n’y changera rien. Le compte à rebours a commencé, vers ce rendez-vous inéluctable, avec une femme silencieuse qui a 16


été ma mère. Entourée par la nuit et les bras d’Antonio, je me demande quelle terrible bêtise je viens de faire. Je n’aurais pas dû dire à El que je venais. J’aurais dû ignorer la voix au fond de moi qui me disait que j’avais une dette envers elle. J’aurais dû m’enfuir en courant, comme je l’ai fait il y a des années quand, en pyjama, les larmes dégoulinant de mon visage et le bras en sang, j’ai compris que ma seule chance de survie était de m’éloigner d’elle. Cette journée nous a séparées pour de bon, en même temps qu’elle nous a liées l’une à l’autre définitivement. Ce jour-là, El m’a sauvé la vie. Elle m’a aussi terrifiée, plus que jamais. Ce n’est pas seulement la soif d’en savoir plus qui me ramène au bercail. J’ai besoin de revoir El, aussi. Je suis irrémédiablement liée à elle, en dépit du danger. Je n’y peux rien. J’ai cru pouvoir la repousser, toutes ces années durant, mais j’en suis incapable. Je croyais que je pouvais me passer d’elle. C’est faux. Et cette idée me terrifie, parce que, quand El m’a annoncé la mort de notre mère, et que j’ai oublié de lui demander comment elle est morte, j’avais une bonne raison d’oublier. Je n’avais pas besoin de le lui demander. Je sais comment elle est morte. Je suis sûre que c’est El qui l’a tuée.


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La dernière fois qu’El m’a retrouvée, c’était aux urgences de l’hôpital où je travaillais. À l’abri derrière la vitre du premier étage, je l’ai vue se débattre sur le parking pour s’ouvrir un chemin jusqu’à moi. Un de mes collègues a fait une blague sur les patients égarés du département psychiatrie quand, juste à ce moment-là, El a frappé du poing l’infirmière qui essayait de la retenir. J’ai ri, en agrémentant la conversation de quelques commentaires de mon cru sur la tenue vestimentaire de ma sœur. Elle portait un pull de laine hors de saison, qui laissait déborder par les manches et le col une sorte de blouse d’écolière qu’elle avait boutonnée de travers ; un pantalon ultramoulant et des Doc Martens. Elle était équipée pour une rave party en plein hiver alors qu’on était au mois de juin, sous un soleil de plomb. Elle a hurlé mon nom en agitant les bras dans ma direction, l’infirmière pendue à son flanc. Les gars de la sécurité ont fini par la plaquer au sol, puis ils l’ont emmenée à travers le parking en déchirant sa chemise. Ils devaient faire attention au couteau de cuisine qu’elle serrait dans son poing. El n’a pas réussi à m’approcher suffisamment ce jour-là pour me parler, mais elle savait où me trouver. Je l’ai senti au frisson glacial qui m’a parcourue quand elle a levé les yeux et qu’elle a croisé mon regard à travers la vitre derrière laquelle je me croyais en sûreté. Quand je suis rentrée chez moi, j’avais déjà fait le nécessaire pour obtenir une mutation éclair. Durant les six années qui ont suivi, j’ai fui aussi loin que possible. Sans grand succès, finalement. 18


Car aujourd’hui, je ne suis pas beaucoup plus avancée. Avec tout ce que je sais d’El, je me prépare à la rejoindre. Sur le chemin de l’aéroport, j’ai appelé l’hôpital de Queen’s College, histoire de demander trois jours d’indisponibilité pour cause de complication familiale. Je n’ai pas précisé à l’administration que la complication familiale, c’est moi. Je m’installe dans le siège 28A et attache ma ceinture de sécurité. Le petit avion se met à trembler en accélérant sur la piste. Mon estomac se retourne au moment du décollage. Je prononce une petite prière silencieuse pour que l’aile se détache et que l’avion chute dans un crash digne du journal de 20 heures. Mais mon vœu n’est pas exaucé. Nous grimpons avec aisance, Londres apparaît au loin, petite cité en miniature, puis nous perçons un épais nuage et tout devient gris. Dans mon sac, j’ai pris deux tenues de rechange, une car­­­­touche de cigarettes, une boîte de Valium générique piqué à l’hôpital et un livre que je ne vais pas lire. J’ouvre la boîte et lance une capsule au fond de ma gorge, que je fais glisser avec un petit fond de brandy. Ce petit cocktail suffirait à envoyer pas mal de gens au tapis, mais moi, non. La force de l’habitude. C’est peut-être dû à ma fonction de médecin anesthésiste. Dans ma branche, on n’a pas peur de l’automédication. La seule chose qui me fait peur, c’est ma famille. Mais le Valium fait effet. Assez, du moins, pour que j’arrête de grincer des dents. Je prends mon téléphone et je fais défiler les messages. Je m’aperçois que j’en ai laissé passer un, d’Antonio. Je clique sur l’icone en forme d’enveloppe. Le message se délivre : Je te souhaite un bon vol. Dis-moi quand tu te poses. Ti amo, A. J’assistais à une conférence sur la gestion de la douleur, quand j’ai rencontré Antonio. Il servait les petits pains au buffet. Il semait des miettes partout. Dans les premiers mois, bénis, de notre union, j’ignorais l’existence de la petite copine insipide 19


qu’il me cachait. Elle, elle l’a su et l’a largué pendant que je l’attendais dehors dans la voiture. Le même jour, il s’est installé chez moi, en m’expliquant comme il était soulagé d’être enfin libre. À l’entendre, ça sonnait comme un conte de fées, mais dans la vraie vie, il n’avait nulle part où aller. Je me suis montrée extraordinairement compréhensive. J’ai pris tout ça très bien. Le fait est que, quand je me retrouvais au lit avec lui, ses jambes nues autour des miennes, mon passé s’estompait sérieusement. J’étais en droit de croire à un nouveau départ. Avec Antonio, j’avais le sentiment de ne plus exister, mais dans le bon sens du terme. Je n’étais plus moi, la pauvre petite Irène. Irène avait fondu dans notre couple. J’étais une partie de ce couple. Alors, il en a un peu profité. Il s’est un peu servi de moi. La belle affaire. Ce qu’il m’a fait n’a rien de comparable avec ce que ma famille m’a fait. Et puis, il avait envie de moi. Pour de vrai. Coup de chance, notre coup de foudre a eu lieu durant une période où El n’était pas dans les parages. Ça nous a permis de vivre nos vies, tout simplement. Notre goût commun pour les documentaires animaliers et ses petits plats maison. Pendant deux ans de bonheur partagé, je n’ai même pas évoqué l’existence de ma sœur et le fait de vivre dans ce mensonge par omission était un véritable baume. Je l’avais, lui. Je n’avais plus besoin d’elle. Et puis, on est allés en Italie rencontrer sa famille. Au retour, il a commencé à me parler de mariage et d’enfants. J’ai refusé. Quelle mère je ferais, franchement ? Je n’ai pas eu de parents ! Notre relation a commencé à se disloquer à partir de ce moment-là. En fait, notre villégiature en Italie a commencé à se ratatiner dans cette chaise longue, d’où nous regardions le soleil plonger derrière l’horizon. C’est le dernier souvenir de nous qui s’apparente au bonheur. J’ai cru qu’il allait me quitter. Mais il est resté. Il pleurait, il disait qu’il ne pouvait pas vivre sans moi. C’était un soulagement. Je ne savais pas si j’étais capable de vivre sans lui, moi non plus. Qu’est-ce que j’aurais bien pu faire ? Disparaître sous une muraille de livres, terrassée de travail. C’était une solution. Mais j’avais déjà 20


tenté l’expérience, et j’en connaissais le vide sidéral. J’avais tâté de l’osmose totale avec Antonio, assez pour savoir qu’une relation médiocre avec lui valait mieux que la solitude. Je ne voulais plus être Irène, la fille sans amis… ni parents. Depuis, nous avons laissé pourrir la situation. Et je suis en train de redevenir Irène, et ma liaison se disloque, rongée aux mites. Antonio ne comprend pas pourquoi je refuse de faire entrer le mariage et les enfants dans le cadre de nos projets communs. Quant à moi, je suis incapable de lui avouer que, oui, moi aussi je veux fonder une famille… Mais que le seul fait d’en avoir envie me terrifie. Il m’est impossible de lui dire tout ça, alors je renonce à lui répondre. Je range mon téléphone et je commande un autre brandy. Après un atterrissage médiocre, salué par des applau­­­dis­­ sements immérités, je me lève et m’engage dans l’allée. Je suis restée assise trop longtemps et ma hanche me fait mal. Je me sens de plus en plus tendue à l’idée que la réunion de famille approche. Mon estomac se manifeste et mon souffle se fait rare. Je me répète mentalement que le voyage sera bref. Que je vais dormir à l’hôtel. Je n’aurai qu’à me montrer au moment des funérailles. J’ai choisi de venir. Je peux même me débrouiller pour ne pas voir El seule, si je n’en ai pas envie. C’est la dernière minute de négociation qui m’est offerte entre mes nerfs en vrille, mes souvenirs et ma raison. À peine sortie du contrôle des douanes, je la vois. Elle m’attend devant les portes. Et pourtant, je m’étais bien gardée de lui dire sur quel vol je serais. La première chose qui me frappe, c’est qu’elle a profité de ces années d’absence pour changer de look. Malgré ma gorge sèche et mes mains moites, je m’appuie sur cette observation pour tenter de me convaincre que quelque chose a peut-être changé, en mieux. Jusqu’à présent, elle avait toujours montré une incapacité à se conformer aux normes sociales. Ça se voyait au premier coup d’œil. Sa tenue de raveuse à l’entrée de l’hôpital n’est qu’un exemple parmi d’autres. Aujourd’hui, elle apparaît dans une silhouette affinée, ses cheveux blonds, nets, au carré. 21


Elle porte une tenue de sport qui lui va bien, une bouteille d’Évian dans la main. Aux oreilles, elle arbore des perles aussi grosses que des pierres tombales. Une femme active de Stepford, mariée, deux enfants parfaits, une casserole sur le feu, et assez de bonnes manières pour s’essuyer la bouche en dame du monde, une fois qu’elle a sucé la dernière goutte de votre sang. Est-ce qu’elle aurait changé ? Est-ce un sourire que je vois poindre à ses lèvres ? Elle a l’air… normal. Elle se comporte comme quelqu’un qui voit la même chose que tout le monde quand elle se regarde dans le miroir. Le seul détail qui cloche encore, c’est cette petite cicatrice triangulaire à son front. Ni elle ni moi ne cicatrisons parfaitement. Ça doit être génétique. Je me demande ce qu’El cache vraiment sous les apparences. En surface, elle est tout l’inverse de moi. Elle marche la tête haute, moi je traîne un reste de patte folle, surtout en hiver, quand mon articulation dysplasique se rappelle à mon bon souvenir. Elle est mince et, en comparaison, je suis un véritable bibendum. À l’exception de ma hanche gauche qui refuse de se former en dépit de tous mes efforts. Quand on fait l’amour, Antonio est très attentif à cette partie de mon anatomie, qu’il caresse et embrasse abondamment, en l’effleurant comme s’il s’agissait d’une nou­­ velle zone érogène. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Je me demande si le but de l’opération n’est pas de me rappeler que, après tout, je ne suis qu’une infirme, une boiteuse, que je ferais bien de me sentir reconnaissante de son amour, et par conséquent me montrer un peu plus perméable à ses idées quand il me parle de mariage. Avec El, aucun homme ne s’y risquerait. En me rapprochant, je vois sa mâchoire contractée, ses dents serrées. Ce n’était pas un sourire qu’elle m’adressait. Je m’en rends compte en la regardant scruter la foule de ses yeux fixes. Je me reprends et franchis les barrières, avalant difficilement ma salive. El me repère et s’avance, les yeux rivés sur sa cible, bousculant au passage une maman avec un bébé en larmes. Elle a un geste d’agacement, comme en ont les adultes sans enfants qui essaient de faire culpabiliser les parents dont les marmots se montrent trop 22


expressifs à leur goût. Encore un symptôme de cette assurance éhontée dont El fait preuve et qui m’est totalement étrangère. Son culot me sidère. En fait, rien n’a changé. Sous une nouvelle apparence, c’est bel et bien elle. S’il y a une chose qui est sûre et qui ne changera jamais avec ma sœur, c’est qu’elle ne s’est jamais lassée de me poursuivre. Au début, je ne lui rendais pas la tâche trop dure : je me contentais de changer de numéro ; je déménageais dans la même ville. La solitude me pesait et, malgré les excellentes raisons qui m’avaient poussée à la fuir à l’âge de dix-huit ans, la savoir à ma recherche me faisait du bien. Alors j’ai commencé à la tester en augmentant la difficulté. Fausses pistes. Culs-de-sac. Je la mettais à l’épreuve. Ce cache-cache était une drogue et j’étais entrée en dépendance. Oh, être désirée… Quelle jouissance cela procure ! Malheureusement, il n’y avait qu’une chose plus pénible que son absence, c’était sa présence. — Je me demandais combien de temps tu allais me faire attendre, me déclare-t-elle. Je suis venue dès que j’ai eu ton message. Elle m’observe de la tête aux pieds, m’évalue, la mâchoire toujours serrée, les lèvres retroussées en une grimace névrotique. Je souris aussi cordialement que possible, en essayant d’oublier le fait que j’ai passé ma vie à l’esquiver. Je joue avec la poignée de mon sac, incapable de la regarder dans les yeux. — Je viens juste d’arriver. Je t’ai vue tout de suite. Elle s’avance et me prend dans ses bras, de façon tout à fait inattendue. J’avance en flageolant sur ma hanche gauche et m’abandonne à son étreinte. Un type entre deux âges nous regarde en souriant. Cette touchante réunion familiale le réjouit. El aussi l’a remarqué, et redouble d’affection. Elle me serre d’autant plus fort, en laissant échapper de petits miaulements joyeux. Quand ma joue effleure son cou glacial, un frisson se répand dans toute ma colonne vertébrale. Avec un sourire bidon, adressé seulement à notre public attendri, El se retire et m’emmène, en enroulant son bras autour de mes épaules. J’essaie de me convaincre que son 23


étreinte n’est pas beaucoup plus puissante que nécessaire, mais je sens déjà ma paix intérieure faseyer, comme la voile d’un navire, déchirée par la tempête. Je me répète mentalement que j’ai choisi de venir. Que je suis là pour savoir la vérité. Bon. Et alors ? Je ne suis pas arrivée depuis cinq minutes, que je suis déjà tombée sous son charme. Je la laisse me guider, aveuglément. Demain, que restera-t-il de moi ? — C’est génial… ! s’exclame-t-elle, d’une voix pleine de sentiments forcés, alors que nous nous approchons de la sortie… comme tu as grossi ! Elle dit ça avec enthousiasme, en me malaxant les joues de ses doigts parfaitement manucurés. Elle m’arrache mon sac et je me laisse entraîner dans son sillage tandis qu’elle fend la foule. À la sortie, un vent violent me pique les yeux. J’essuie mes larmes du revers de la main. Je m’arrête, ce qui la force à s’arrêter aussi. — El, j’ai une question à te poser avant qu’on aille plus loin. On dirait qu’elle n’a rien entendu. — Ça fait trop longtemps ! Elle avale difficilement sa salive, comme si l’émotion la submergeait. J’ai une bouffée de sympathie, et même un peu de culpabilité, mais je sais que c’est un de ses trucs préférés, cette faculté qu’elle a de me faire croire qu’elle tient à moi. J’essaie encore. Je sais que, si je n’ai pas la force de le lui deman­­der maintenant, je ne l’aurai jamais plus, alors j’insiste : — El, comment est-ce qu’elle est morte ? El m’observe froidement de ses yeux gris-bleu. Elle saisit ma main et glisse ses doigts entre les miens, comme elle l’aurait fait, enfant, si l’on nous avait donné une chance de vivre entre sœurs. Elle m’entraîne sans un mot à travers le parking. Un demi-rictus va et vient sur ses lèvres. Son silence est comme un aveu de sa culpabilité, et ça me terrifie. Et je comprends enfin ce qui est en jeu. Toutes ces années passées à l’abri d’El m’ont permis d’oublier ce que je suis vraiment. J’ai fait semblant d’être autre chose que cette petite fille abandonnée. 24


Mais maintenant que nous sommes réunies, je sais que j’existe. Je suis venue pour savoir la vérité. Il a suffi de quelques minutes avec El pour en connaître au moins une. Je serai toujours cette petite fille ; cette enfant non voulue. Je peux toujours lutter, me raconter des histoires comme cette merveilleuse relation avec Antonio va me rendre heureuse… Ça n’y changera rien. Je me souviens de ces années pendant lesquelles je n’ai cessé de la fuir, dans l’espoir de me trouver moi-même. Les moments passés avec Antonio, à me persuader que tout allait bien, qu’il était mon complément d’âme et qu’avec lui je pouvais dire adieu à la pauvre petite Irène Jambe de Truie. Les années d’études pour devenir médecin. Un masque derrière lequel personne ne pouvait deviner mon vrai visage. Tout ce temps perdu. Je sens déjà El se répandre dans les fissures de mon être, comme un poison qui me remplit, qui me complète. Sa coupe de cheveux impeccable, qui fend l’air à chaque pas, comme un coup de couteau, me donne envie de pleurer. Il n’y a qu’une personne au monde que j’ai le droit d’être, c’est Moi, la petite fille abandonnée, telle que j’étais dès ma naissance.


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