L'Amante - extrait

CATHY MAXWELL

Tomber amoureux leur est fatal !

Lord Lyon est fier, obstiné et… maudit !

Depuis des siècles, tous les hommes de sa famille sont condamnés à mourir s’ils tombent amoureux. Pourtant, lord Lyon souhaite se marier et pour lever la malédiction qui l’enchaîne, il doit épouser une femme qui n’a aucun attrait pour lui. Il charge alors Théa, une amie d’enfance au caractère impétueux, de lui trouver la perle rare. Mais le souvenir de leur complicité passée ne risque-t-il pas de faire de Thea bien plus qu’une marieuse ?

INÉDIT Intrigues / Sentiments / Sexy

« Cathy Maxwell allie humour et personnages intrigants pour une histoire mémorable. »

Publishers Weekly Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanny Adams Photographie de couverture : © Shutterstock ISBN : 978-2-8112-1803-4

6,90 € AOÛT 2016

Couv L'Amante (160).indd Toutes les pages

La Malédiction des lords

CATHY MAXWELL

LA MALÉDICTION DES LORDS – 1

L’AMANTE

L’AMANTE

romance 31/05/2016 15:07

L Amante DEF-1.indd 1

Cathy Maxwell est née au Kansas. Elle a commencé sa carrière comme présentatrice du journal télévisé.

Puis, préférant être à la source de l’information, elle s’est engagée dans l’armée. Après un passage aux renseignements et au Pentagone, elle a décidé de se consacrer à l’écriture et a publié plus de trente romances, dont la plupart ont été saluées par la critique. Elle vit actuellement en Virginie avec ses enfants, ses chevaux, ses chiens et ses chats. Quand elle n’est pas devant son ordinateur à écrire, elle soigne ses animaux, fait du bénévolat ou voyage.

Retrouvez-la sur : www.cathymaxwell.com.

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 2

Ce livre est également disponible au format numérique

www.milady.fr

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 3

Cathy Maxwell

L ’A mante La Malédiction des lords – 1 Traduit de l’anglais (États-Unis) par Fanny Adams

Milady Romance

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 4

Milady est un label des éditions Bragelonne

Titre original : Lyon’s Bride Copyright © 2012 by Catherine Maxwell, Inc. Publié avec l’accord d’Avon Book, une marque de HARPERCOLLINS PUBLISHERS. Tous droits réservés. © Bragelonne 2016, pour la présente traduction ISBN : 978-2-8112-1803-4 Bragelonne – Milady 60-62, rue d’Hauteville – 75010 Paris E-mail : info@milady.fr Site Internet : www.milady.fr

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 5

Ă€ ma compagne de route, Judy Gomes Rogers.

Parce que je suis riche de mes amis.

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 6

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 7

La Malédiction

Donjon des Macnachtan, Écosse, 1632

U

ne mère connaît ces choses. C’est le drame de l’enfantement.

Pour elle, la vie vient au monde avec la violence d’un coup de couteau, violence qu’elle supporte volontiers en raison de l’issue dont celle-ci est le signe avant-coureur. D’instinct, elle encourage et protège son petit, et prie comme elle respire afin d’assurer sa sauvegarde. Aussi, faut-il s’étonner qu’elle puisse pressentir, deviner, l’arrêt brutal de ce précieux cœur qui bat ?

Fenella, épouse de feu laird Macnachtan, se trouvait dans la galerie sud où le soleil donnait à plein et où elle s’adonnait à ses travaux d’aiguille, lorsqu’elle fut frappée d’épouvante. Elle se tourna vers ses parentes qui s’étaient rassemblées autour d’elle afin de faire un brin de conversation ainsi qu’elles en avaient l’habitude. Parmi celles-ci figuraient les cousines et les sœurs de son mari, ainsi que ses propres filles, Ilona et Aislin.

— Où est Rose ? s’enquit-elle.

7

31/05/2016

Une mère ne devrait pas avoir de préférence, mais Fenella avait une favorite.

Ses autres filles étaient gaies et vives, mais Rose avait quelque chose en plus : elle avait hérité le don de guérisseuse de sa mère. Fenella s’était réjouie de constater que les pouvoirs de sa mère et de sa marraine – sa grand-mère – se perpétuaient chez sa cadette.

C’était donc à Rose que reviendrait Le Livre de la connaissance plénière.

Bien sûr, la beauté blonde de Rose était légendaire, et cela contribuait également à la distinguer. Ses prétendants avaient été légion à travers le pays, mais un seul avait su ravir son cœur : Charles Chattan de Glenfinnan.

L’amour que Rose portait à Charles rappelait à Fenella ses jeunes années, durant lesquelles elle avait défié et conquis le beau Macnachtan. C’était au temps où elle était obstinée et audacieuse.

Cependant, Chattan s’était révélé un amant infidèle. Il s’était fiancé avec Rose et puis en avait épousé une autre, une Anglaise de haut rang, issue de la puissance saxonne !

Tout à coup Fenella se souvint que c’était ce jour même qu’avaient lieu les noces de Charles et de son Anglaise. Comment avait-elle pu oublier ?

Cela expliquait le silence de Rose durant la matinée et son absence cet après-midi-là. L’inquiétude de Fenella diminua d’un cran.

Rose avait aimé Charles sans réserve et de tout son cœur. Celui-ci saignait, mais Fenella ferait en

L Amante DEF-1.indd 8

8

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 9

sorte qu’elle relève la tête. Dieu merci, Macnachtan n’était plus là pour assister au déshonneur de sa fille.

Fenella avait fait tout son possible pour que ses fils ne provoquent pas Charles en duel. Elle refusait que le sang des siens coulât pour un traître.

L’avenir de Rose lui restait inaccessible, car son don ne lui permettait pas de scruter le destin, mais elle ne doutait pas que sa fille connaîtrait de nouveau l’amour. Il ne pouvait en être autrement. Les dons puissants que le hasard des naissances avait transmis d’une ancêtre à l’autre germeraient nécessairement dans le ventre de Rose.

Soudain un cri d’effroi et de douleur retentit dans la cour.

Aussitôt, le pressentiment de Fenella devint une certitude.

Les autres dames se levèrent précipitamment et accoururent jusqu’à la fenêtre qui donnait sur la cour pavée. Fenella demeura immobile, invoquant à mi-voix de tout son être le prénom de sa fille : — Rose…

D’autres cris retentirent. Fenella entendit son fils Michael appeler sa sœur. Des pleurs, des lamentations angoissées et endeuillées parvinrent à ses oreilles. À la fenêtre, ses parentes, sous le choc, cédèrent au chagrin. Elles firent volte-face, et posèrent les yeux sur Fenella. Ilona, le visage tordu de douleur, s’approcha de sa mère avec hésitation.

Quant à Aislin, elle tomba à genoux sous le poids du chagrin.

9

31/05/2016

Fenella posa son ouvrage.

Elle ne tenait pas à s’approcher de la fenêtre.

Ses yeux étaient rougis par les larmes. Mais elle les retint et ne pleura pas. Elle ne pleurerait plus jamais.

Elle n’avait pas versé une seule larme au décès de Macnachtan. La mort faisait partie de la vie. Du moins était-ce ce qu’avait prétendu sa marraine. On ne mettait pas son cœur en deuil à cause de la vie !

Fenella se leva.

Elle respirait avec peine.

Elle s’avança jusqu’à la fenêtre. Ilona fit mine de la retenir mais se ravisa, songeant sans doute que rien n’arrêterait sa mère.

Penchée en avant, Fenella regarda la cour en contrebas.

Le corps de Rose gisait à terre, sa chevelure d’or souillée par le flot de sang qui s’échappait de son crâne.

Sa fille chérie – son adorée – venait de se précipiter du sommet des remparts ! Mettant ainsi fin à ses jours.

Michael leva la tête et aperçut sa mère. Il avait le visage baigné de larmes.

Il ressemblait tant à son père…

C’est alors que Fenella se sentit défaillir et qu’elle s’effondra sur les dalles glaciales du sol.

Marraine s’était trompée : on n’est pas maître de son chagrin !

D’abord simple flammèche, celui-ci grandit et s’intensifia jusqu’à devenir un brasier dévorant.

L Amante DEF-1.indd 10

10

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 11

Il ne faisait aucun doute que Rose de Loch Awe s’était donné la mort à cause de la perfidie de Charles Chattan, et son souvenir serait à jamais terni par la honte attachée au suicide.

Fenella désirait ardemment recourir à la magie afin d’inverser le cours du temps et de ramener sa fille à la vie.

Trois jours durant, après la tragédie, elle consulta le grimoire de sa marraine. Au milieu de toutes ces formules et de tous ces sortilèges pour guérir, acquérir la fortune, se débarrasser du doute et de la peur, il en existait assurément un pour repousser la mort !

L’écriture qui s’étalait sur ces pages jaunies était resserrée et effacée en de nombreux endroits. Fenella avait inscrit son nom sur la couverture, mais ne l’avait pas ouvert souvent, du moins après avoir mémorisé les remèdes contre la fièvre et les grelottements qui affligeaient les enfants et inquiétaient les mamans.

Elle avait eu la surprise de constater que Rose s’était également penchée sur ce livre. Le prénom de Charles figurait en effet à côté d’un charme utilisé pour trouver le véritable amour. Celui-ci requérait l’insertion d’une épine de rose dans la cire d’une bougie à faire brûler par une nuit de pleine lune.

La famille retrouva sous l’oreiller de Rose un bout de ladite chandelle avec son épine encore intacte et sa mèche calcinée.

11

31/05/2016

Fenella prit ce moignon de bougie dans le creux de sa main. Elle ferma lentement le poing et oublia pendant un instant son deuil.

La colère prit le dessus.

Le bruit courut que la famille proche de Chattan s’était enfuie en Angleterre. Le restant s’était dispersé dans d’autres clans. Tous craignaient Fenella de Macnachtan, et ils avaient raison ! Le chagrin l’avait rendue folle de rage.

Ils se croyaient à l’abri. Ils ne l’étaient pas ! L’Église refusait d’accorder une sépulture chrétienne aux suicidés ? Fenella saurait s’en passer ! Elle fit dresser un bûcher funéraire pour sa fille sur les berges du Loch Awe à la verticale d’un rocher escarpé qui surplombait le lac.

Le jour de la cérémonie, Fenella se tint au sommet du rocher et attendit le crépuscule. Le tartan des Macnachtan couvrait ses épaules. La brise vespérale jouait avec ses cheveux grisonnants que retenait un diadème d’or. Sa chevelure avait été jadis aussi blonde que celle de Rose.

Au signal de Fenella, ses fils allumèrent un cercle de feu autour de la dépouille de leur sœur. Les flammes s’élevèrent vers le ciel.

— Rose !

Que ce nom était mélodieux aux oreilles d’une mère !

Chattan croyait-il pouvoir se terrer à Londres ?

L Amante DEF-1.indd 12

12

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 13

Son père s’imaginait-il que son fils pouvait rompre impunément avec Rose ? Que la vie de celle-ci n’avait aucune importance ?

Croyaient-ils que l’honneur des Macnachtan était négligeable ?

— Je veux qu’il souffre autant que moi ! murmura Fenella. (Ilona et Aislin, qui se tenaient à ses côtés, acquiescèrent.) Il ne m’échappera pas ! se jura-t-elle.

— Mais il est parti ! rappela Ilona. Il est devenu un seigneur respecté, tandis que nous sommes seuls avec notre peine !

Cependant, la chaleur du brasier tenait un tout autre langage à Fenella.

Enfin, la lune monta au firmament. Le moment était venu… Marraine ne disait-elle pas qu’une sorcière sait toujours quand son heure approche ?

Cette nuit deviendrait légendaire. Elle resterait gravée à jamais dans la mémoire des hommes !

Surtout dans celle de Charles Chattan…

Les flammes avaient attiré les curieux de toute la paroisse. Ils observaient Fenella de la rive. Soudain, elle leva la main. Les membres de son clan et les siens firent silence. Michael ramassa la torche et se tint prêt.

Elle abaissa la main, et, sur son ordre, son aîné alluma le bûcher de sa sœur.

C’était la coutume des anciens. Aucun prêtre ni aucun ecclésiastique ne se présenta pour lui demander de se justifier. Et même s’il en était venu, Fenella se sentait si forte en cet instant qu’elle ne se serait pas laissé impressionner. Une puissance immense 13

31/05/2016

irriguait ses veines, faisait battre son cœur, l’animait, imbibait toutes les fibres de son être.

Elle s’avança au bord du précipice et posa les yeux sur le brasier. Les flammes venaient lécher les jupes de la robe mortuaire immaculée de Rose.

— Ma Rose est morte d’amour ! murmura-t-elle, avant de le répéter avec une force impérieuse.

Le vent emporta ses paroles qui semblèrent planer un instant au-dessus des eaux du Loch Awe éclairé par la lune.

— Dur destin que celui de la femme ! poursuivitelle. C’est l’amour qui nous donne courage, qui nous donne la robustesse. Ma Rose a fait le don précieux de son cœur à un individu qui n’en était pas digne.

L’assistance acquiesça comme un seul homme.

Tous avaient été émus par la personnalité de Rose.

Tous avaient pu apprécier son naturel rieur, sa bonté, son empressement à aider son prochain.

Fenella tendit la main en arrière. Ilona y plaça la crosse que sa mère avait fait tailler dans un if et baguer de cuivre.

— Je maudis Charles Chattan !

Brandissant le bâton, elle ajouta : — Je maudis non seulement Chattan mais tous ses descendants ! Il a trahi Rose pour un titre nobiliaire ! Il a jeté aux orties son serment de mariage par cupidité !

Qu’il goûte à présent les fruits amers de sa duplicité !

La lune parut briller d’un plus vif éclat. Les flammes du brasier dansèrent en s’étirant, et Fenella comprit que les paroles de la malédiction lui étaient

L Amante DEF-1.indd 14

14

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 15

insufflées du plus profond de ses entrailles. Danse macabre : tous égaux dans la mort !

Sa voix retentit dans la nuit : — Gardien du Seuil, gardiens de la Porte, Ouvrez les enfers et scellez le sort de Chattan !

Que tous ses mâles descendants au cœur épris d’amour Connaissent le feu du ciel !

Broyez leur cœur, ruinez sa descendance !

Et justice me sera faite !

Fenella lança sa houlette sur le bûcher funéraire.

Les flammes dévoraient à présent la dépouille. Leur chaleur parvenait jusqu’à Fenella, lui apportant le parfum de la malheureuse. Soudain, elle se jeta du rocher à la suite de son bâton qui reposait sur le sein de Rose. Elle agrippa le corps en feu et s’y cramponna.

Mère et fille quittèrent ensemble ce monde.

Six mois après son mariage, Charles Chattan mourut. D’un arrêt cardiaque. Assis à table, il agréait les félicitations de ses invités à l’occasion de la grossesse de sa femme, lorsqu’il s’effondra, la tête dans son assiette !

La nouvelle de sa mort en surprit plus d’un. Il était si jeune ! Un bel homme si dynamique et promis à un si bel avenir ! N’avait-il pas tout récemment confié à nombre de ses amis qu’il était amoureux de sa jeune épouse ? Comment Dieu avait-il pu écourter sa vie, alors qu’il était si heureux ?

15

31/05/2016

Quoi qu’il en soit, ses épousailles ne furent pas vaines. Sept mois après son décès, sa femme mettait au monde un garçon à même de transmettre le nom de Chattan… et de perpétuer la malédiction !

L Amante DEF-1.indd 16

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 17

Chapitre premier

Londres, avril 1814

L

a première idée qui traversa l’esprit de Thea Martin lorsqu’elle reçut la lettre de l’honorable sir James Smiley, avocat notoire des grands de ce monde, fut que son frère avait manigancé une nouvelle combine pour la faire chasser de Londres.

C’est donc les mains tremblantes qu’elle brisa le cachet de cire. Jusque-là, Horace s’était contenté de faire en sorte que toutes les portes lui soient fermées, ce en quoi il avait échoué, puisque le Tout-Londres n’aimait rien tant qu’un bon scandale, et que la querelle entre le puissant duc de Duruset et sa sœur déshéritée donnait amplement matière à ragots.

Ensuite, Horace avait essayé d’empêcher tous les propriétaires convenables de lui louer un logement.

Mais ses machinations n’aboutissaient à rien, car Thea était obstinée. Londres lui offrait la possibilité de gagner sa vie, entreprise ardue dans toute ville pour une mère de famille veuve sans le sou. La capitale avait été son lieu de résidence avant qu’elle ne s’enfuie de la maison pour épouser Boyd Martin, 17

31/05/2016

et cette ville représentait l’unique espoir d’avenir pour sa petite famille.

Thea avait trouvé une minuscule location dans un immeuble miteux situé dans un quartier plutôt malfamé. Cela impliquait qu’elle devait garder ses fils à la maison pendant toute la journée, et que ceux-ci n’auraient pas de jardin pour jouer ; mais c’était un début… et Thea n’aspirait qu’à prendre un nouveau départ.

Mettant à profit ses relations du temps où elle était une débutante, elle s’était lancée dans la seule activité qu’elle connaissait : l’entremise conjugale !

Elle était rompue aux usages de la bonne société, elle avait l’expérience du mariage et elle comprenait le désespoir des parents. Elle savait également se montrer discrète.

Cela déplaisait-il à son frère ? Bah, il l’avait déjà reniée ! Que pouvait-il faire de plus ?

Thea craignit de le découvrir en lisant la lettre de sir James.

— Qu’est-ce donc, mère ? s’enquit Jonathan.

Jonathan était un petit blondinet intelligent de sept ans qui se posait en défenseur de sa maman. Son frère, Christopher, qui n’avait encore que cinq ans, se tenait à ses côtés et regardait Thea en fronçant les sourcils d’inquiétude. La petite famille ne recevait pas souvent du courrier.

— Tu le sauras dans un instant, souffla Thea.

Attendez-vous une réponse ? demanda-t-elle au

L Amante DEF-1.indd 18

18

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 19

messager qui s’attardait dans l’entrée en faisant une moue à cause du décor.

— Oui, madame ! J’ai ordre de rapporter votre réponse.

Thea fit un effort pour se concentrer sur l’écriture penchée de sir James. Il désirait la rencontrer afin de l’entretenir d’« une affaire assez importante ».

Il précisait qu’il était l’oncle de Peter Goodfellow, à qui elle avait « apporté une aide en tout point miraculeuse », et qu’il espérait qu’elle accepterait « d’aider de nouveau une personne se trouvant dans la même situation ».

Peter Goodfellow était de ceux qui avaient donné le plus de fil à retordre à l’entremetteuse qu’était Thea.

Aussi grand que large d’épaules, il était accablé d’un strabisme, avait la manie de se gratter le visage et avait tendance à éructer. Elle lui avait néanmoins trouvé une épouse, mais cela n’avait pas été sans peine. Le pourcentage rondelet que lui avait remis la famille de Peter avait compensé la difficulté de la tâche. Thea se demanda si cette nouvelle requête lui rapporterait un autre gros pourcentage.

Oh, pourvu que ce soit le cas !

Elle avait caché le plus gros de la somme dans sa cagnotte réservée aux projets d’avenir. Il s’agissait d’un coffret de bois qu’elle gardait sous une latte du parquet sous son lit. Son but était d’assurer à ses deux fils une éducation qui en ferait des gentlemen. Jonathan aurait un entretien le mois suivant avec le principal de la Westminster School, externat prestigieux qui 19

31/05/2016

lui fournirait l’occasion de rencontrer des enfants issus des familles les plus distinguées, et qui n’avaient rien de commun avec celles qui vivaient dans leur quartier actuel.

— Sir James désirerait savoir si vous pourriez le rencontrer aujourd’hui à quatorze heures trente, annonça poliment le domestique.

— Quatorze heures trente ?

Thea consulta l’horloge posée sur le manteau de la cheminée. Elle avait appartenu à la mère de Boyd et était le plus bel objet en sa possession.

— Oui, naturellement, je peux !

Elle prit son réticule et en tira une pièce de mon­­­naie afin de donner un pourboire au messager.

Le visage de ce dernier s’illumina lorsqu’elle ouvrit son sac, mais redevint irritable lorsque l’homme découvrit le faible montant qu’elle déposait dans le creux de sa main. Thea devina le fond de sa pensée, mais elle n’en tint pas compte. Elle devait regarder à la moindre dépense.

— Je m’en retourne l’informer de votre accord.

Le messager s’inclina et s’éloigna.

Thea referma la porte. Elle s’autorisa un bref soupir de soulagement : finalement la lettre n’émanait pas de son frère ! Puis elle esquissa quelques allègres pas de danse. Christopher commença à virevolter avec elle, l’inquiétude cédant peu à peu la place à un immense sourire sur son visage.

— Que contenait la lettre, mère ? s’enquit Jonathan, trop digne pour se joindre à leur petite fête.

L Amante DEF-1.indd 20

20

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 21

Elle s’accroupit à hauteur de ses deux charmants garçons.

— Une occasion de gagner l’argent nécessaire pour vos frais de scolarité. À ces mots, elle les prit tous deux dans ses bras et leur fit un gros câlin.

— J’étais si inquiète… Mais Dieu pourvoit à tout.

Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Elle vivait d’expédients depuis le jour où Boyd les avait abandonnés à Manchester peu après la naissance de Christopher.

— Aurai-je toujours l’entretien avec le principal de l’école le mois prochain ? interrogea de nouveau Jonathan.

— Oui, répondit Thea. Et tu te débrouilleras très bien. L’école de Westminster sera ravie de te compter parmi ses élèves. Mais je dois d’abord rencontrer sir James.

Elle se redressa en un clin d’œil, l’esprit débordant d’activité.

Ayant besoin de quelqu’un pour veiller sur ses enfants pendant son absence, elle gravit l’escalier de l’immeuble quatre à quatre et frappa à la porte de Mrs Hadley. Ce fut Mrs Gray, la belle-sœur de Mrs Hadley, qui ouvrit. Elle n’était là que depuis une semaine, et Thea ne savait pas grand-chose à son sujet, si ce n’était que son défunt mari avait exercé la profession de pasteur à la campagne. C’était un petit bout de femme dotée d’une ample poitrine, ses yeux noisette étaient emplis de tristesse.

21

31/05/2016

— Je cherche Mrs Hadley, annonça Thea.

— Oh, elle est allée s’occuper de mon frère à l’hôpital, l’informa Mrs Gray. Vous savez comment ça se passe dans ces endroits-là… Si la famille ne s’occupe pas de vous, on vous laisse croupir !

Mr Hadley souffrait de tuberculose. Thea avait été soulagée lorsqu’on l’avait emmené au London Hospital – loin de ses fils –, lui et ses quintes de toux.

— Je suis désolée de l’apprendre, répliqua Thea. Je voulais lui demander de garder un œil sur mes garçons pendant que je pars faire une course. Mrs Hadley est d’ordinaire chez elle à cette heure-là.

— Je ne sais pas ce qui l’a retenue, mais si vous avez besoin d’aide, je garderai vos enfants, suggéra Mrs Gray.

Le premier réflexe de Thea fut de refuser cette aimable proposition. Elle n’aimait pas laisser ses fils tout seuls quelle que soit l’heure et se montrait très regardante sur la personne à qui elle les confiait.

Cependant, les circonstances étaient exceptionnelles.

— Êtes-vous sûre que cela ne vous ennuie pas ? Je ne voudrais pas que vous vous sentiez obligée.

— Pas le moins du monde ! J’ai vu vos garçonnets en promenade avec vous. Ils m’ont l’air d’être de bons petits.

Mrs Gray avait une voix chantante si suave… et quant à ses manières de grand-maman… Par ailleurs, Thea n’avait pas d’autre recours. Pas à la dernière minute !

L Amante DEF-1.indd 22

22

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 23

— Merci ! s’exclama-t-elle avec sincérité. Je dois changer de tenue, mais si vous pouviez descendre dans dix minutes ?

— Comptez sur moi !

Thea ne perdit pas un instant. Elle dévala les marches, mit sa plus belle robe – en batiste bordeaux –, puis elle enfila une coiffe napolitaine toute simple et une pelisse vert foncé. Dix minutes plus tard, convaincue que l’habit faisait l’entremetteuse, Thea se mit en route pour les bureaux de sir James sur Beatty Street.

Elle arriva quelques minutes en avance à son rendez-vous.

L’étude de l’honorable sir James Smiley comprenait deux pièces. Le clerc de sir James occupait un bureau dans la première. Lorsqu’elle entra, il se leva d’un bond. Tout au plus âgé de dix-sept ans, il avait un corps allongé ; une raie sur le côté partageait ses cheveux blonds et raides comme la justice. Il fit remonter ses lunettes le long de son nez.

— Mrs Martin ? Sir James vous attend.

Thea utilisait toujours son nom d’épouse. Elle ne se faisait jamais appeler lady Thea, titre qui avait été purement honorifique, puisqu’elle était la fille d’un duc. Mais, une vraie lady n’adoptait jamais un titre supérieur à celui de son mari. En outre, en cette période de sa vie, Théa se souciait plus de ce qui était honnête et vrai que des honneurs. Après tout, le duc, son père, ne l’avait-il pas reniée ? C’est pourquoi 23

31/05/2016

Mrs Martin était bien décidée à voler de ses propres ailes. Peu importait qu’elle se sente parfois un peu hésitante.

— J’espère que je ne suis pas trop en retard ? s’excusa Thea en haletant quelque peu à cause de sa nervosité.

— Vous êtes exactement à l’heure ! assura le clerc.

Un instant, s’il vous plaît. (Il gagna l’autre porte, frappa et ouvrit.) Sir James, Mrs Martin est arrivée.

— Faites-la entrer, faites-la entrer ! ordonna sir James d’une voix joviale.

Le secrétaire tint la porte ouverte.

— Mrs Martin, annonça-t-il en invitant celle-ci à entrer d’un petit geste de la main.

Les oreilles bourdonnantes, Thea s’exécuta.

La pièce tapissée de livres de sir James correspondait tout à fait à l’image que l’on se faisait d’un cabinet d’avocat. Le bureau était immense et croulait sous des piles de papiers bien rangés. La plume et l’encrier reposaient sur un support en argent massif. Il y avait également un guéridon pour le porte-perruque, sur lequel trônaient les bouclettes de sa profession. Deux fauteuils en bois confortables étaient disposés face au bureau.

— Entrez, entrez, lança sir James en guise de salutation en faisant le tour du meuble afin de l’accueillir.

C’était un solide gaillard au regard bleu et obstiné, au nez d’aigle et à l’aura de celui qui ne se laisse jamais marcher sur les pieds.

L Amante DEF-1.indd 24

24

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 25

— J’ai beaucoup entendu parler de vous, Mrs Martin, et je suis ravi de faire votre connaissance.

Je vous en prie, asseyez-vous.

Thea s’installa au bord du siège qu’il lui désigna, tenant son réticule sur ses genoux de ses deux mains gantées. Sir James reprit sa place derrière le bureau.

Il lui sourit.

Elle fit de même, très mal à l’aise.

— Je suppose que vous vous demandez pourquoi j’ai sollicité ce rendez-vous ?

— Vous avez fait allusion à mon intervention auprès de Mr Goodfellow, répondit-elle à mi-voix.

— Je suis son oncle, et, pour avoir suivi le dossier de près, je puis vous dire que j’apprécie à sa juste valeur le miracle que vous avez accompli. Dans la famille, nous sommes tous en adoration devant sa femme, Emma. Avoir réussi à la convaincre de l’épouser dépasse l’entendement, mais nous vous en sommes reconnaissants. En fait, sa mère, qui est aussi ma sœur, m’a suggéré de faire appel à vos services. Elle prétend que je suis trop vieux pour continuer à vivre comme un célibataire, mais je ne suis pas encore prêt à renoncer à ma liberté. À propos, savez-vous que Peter et son épouse attendent leur premier enfant ? s’enquit sir James. Il reste à espérer que le petit ressemble plus à sa mère qu’à son père !

Après un silence, il ajouta d’un air songeur : — Vous savez, tout indique qu’Emma aime Peter.

Elle voit ses bons côtés.

25

31/05/2016

Sauf que sans l’apport d’une dot – même modeste –, Emma n’avait guère le choix pour se dénicher un mari convenable ! pensa Thea.

— C’est merveilleux !

— Oui, et c’est pourquoi lorsque l’un de mes clients m’a laissé entendre qu’il désirait trouver une épouse qui réponde à ses exigences très insolites, j’ai pensé à vous.

— Je vous en remercie !

Elle pria pour que la tâche ne se révèle pas aussi ardue que pour Peter Goodfellow.

— Mais qu’attend votre client d’une femme au juste ?

Pour toute réponse, l’homme de loi se redressa et tendit l’oreille.

Des voix masculines leur parvenaient de l’autre pièce : celle du clerc et celle, grave et bien posée, d’un inconnu. Sir James esquissa un sourire.

— Il vous le dira lui-même. Je crois que vous serez contente. Ce n’est pas un cas aussi désespéré que mon neveu.

Il se leva, se dirigea vers la porte et l’ouvrit brusquement.

— Monsieur le comte ! salua-t-il. Merci de nous faire l’honneur de votre visite.

— Elle est ici ? s’enquit le comte.

Thea se leva à son tour. Elle entrevit le gentleman en question mais ne put voir son visage de là où elle se tenait. L’inconnu lui sembla plus grand que sir James,

L Amante DEF-1.indd 26

26

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 27

et c’était une bonne nouvelle ! Les femmes aimaient les hommes de grande taille.

— Oui, elle est ici, et elle a hâte de faire votre connaissance, répondit l’avocat.

— Je ne suis pas certain que…, commença le gentleman d’un ton dubitatif.

— Exposez-lui l’affaire. Vous verrez bien ce qu’il en ressortira, l’encouragea sir James, puis il fit un pas de côté afin de laisser la voie libre à son client.

Méfiante, Thea retint son souffle en espérant secrètement que l’inconnu n’ait pas la mine aussi disgracieuse que Peter Goodfellow. Mais, après tout, les personnes dont elle s’occupait n’étaient-elles pas toutes censées avoir quelque chose qui clochait ? Sinon elles n’auraient pas eu besoin de ses conseils…

Elle expira en manifestant sa surprise par une petite exclamation.

Ce client-là sortait de l’ordinaire !

Il avait tout du jeune lord ! Il était grand, plus grand que la moyenne, bien bâti, sans bedaine ni mollets flasques. Ses jambes puissantes étaient moulées dans des culottes brun-tabac et des bottes montantes noir luisant. C’était un bel homme ! Sourcils noirs bien dessinés, menton volontaire, regard bleu qui semblait pénétrer jusqu’au tréfonds de l’âme… L’étoffe dans laquelle était taillée sa veste verte était une laine de premier choix, et le vêtement tombait sur ses épaules de telle manière que Thea devina qu’il n’avait pas besoin de recourir à des épaulettes.

27

31/05/2016

De fait, il émanait de sa personne une telle énergie virile que la plupart des femmes n’auraient pu s’empêcher d’avoir le souffle coupé en sa présence, et a fortiori de garder la tête froide. Thea ne fit pas exception à la règle. Le vide se fit dans son esprit.

Totalement abasourdie, elle se contentait de le regarder fixement, non par excès d’admiration, mais parce qu’à sa grande stupéfaction elle l’avait reconnu…

Face à elle se tenait le richissime et solitaire Neal Chattan, alias lord Lyon, le célibataire le plus convoité de la bonne société et l’homme qui avait été autrefois son plus intime confident, jusqu’à ce qu’il rejette brutalement son amitié.

— Mrs Martin, commença sir James avec l’enthou­­ siasme de celui qui est très satisfait de lui-même. Voici lord Lyon. (Il referma la porte derrière ce dernier.)

Monsieur le comte, permettez-moi de vous présenter Mrs Martin, la marieuse que je vous ai recommandée.

Neal parut tout aussi ébahi de trouver Thea chez sir James. Il ne réagit pas aux présentations, mais la scruta avec une troublante insistance. À moins que ce ne fût l’âge qui lui ait donné ce regard aussi intense. Comment savoir ? Leurs routes ne s’étaient pas croisées depuis près de quatorze ans.

Mais voici qu’à présent il se dressait devant elle !

Elle se tint droite et releva le menton, les deux mains toujours sur son réticule afin de garder l’équilibre et un contact avec un objet familier.

— Monsieur le comte.

L Amante DEF-1.indd 28

28

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 29

Elle manqua de s’étouffer. Elle avait entendu dire que le père de Neal était mort plusieurs années auparavant et que ce dernier avait hérité du titre.

— Mrs Martin ? répéta-t-il, en reculant légèrement, comme s’il n’avait pas bien entendu.

Thea profita de ce déplacement pour se poster à deux pas de lui.

— Je me suis mariée, précisa-t-elle.

— Il semblerait !

Sir James se tourna vers la jeune femme, puis vers lord Lyon, avant de revenir à Thea. Son sourire chaleureux avait laissé la place au doute.

— Vous vous connaissez ?

— À peine ! répondit vivement Thea.

— Guère ! s’exclama simultanément lord Lyon en faisant claquer sa langue.

Ces mots restèrent en suspens avant de retomber en un pesant silence durant lequel Thea se souvint malgré elle de leur enfance, époque où son propre père avait exilé ses enfants à la campagne, incitant ses fils, qu’il préférait, à s’adonner à la chasse et à la pêche, pendant que les filles étaient cantonnées à la broderie. C’était lors d’une équipée hors de la maison que Thea avait fait la rencontre de Neal, lequel avait souffert tout autant qu’elle de solitude.

Lord Lyon avait sans doute laissé errer son esprit dans la même direction.

— Je la connaissais du temps où elle s’appelait lady Thea, dit-il en s’adressant à sir James.

29

31/05/2016

Il avait prononcé ces paroles d’un ton accusateur qui déplut à la jeune femme.

Sir James éluda d’un geste vague de la main.

— Oui, naturellement, nous savons tous qu’elle est la fille du duc Duruset. Mais vous n’avez pas à vous inquiéter de ce que pense Duruset, monsieur le comte. Son père l’a reniée quand elle s’est mariée.

Le duc a rendu publique sa décision de ne plus avoir aucun rapport avec elle.

Lord Lyon se rembrunit.

— Est-ce exact ? s’enquit-il en se tournant vers Thea.

Cette dernière n’appréciait pas beaucoup d’entendre ainsi évoquer sa vie privée, aussi fit-elle preuve d’une certaine irrévérence inspirée par un sursaut de fierté.

— Je suppose, puisque c’est sir James lui-même qui a rédigé l’acte par lequel mon père a rompu tout lien avec moi.

— Sale affaire que ce dossier-là ! lança sir James en repassant derrière son bureau. Ce ne fut pas de gaieté de cœur, et je dois reconnaître que je fais tout mon possible pour lui rendre service. Elle est veuve, à présent. L’union est rompue, et elle se fait un nom très respectable en aidant chacun à trouver sa moitié.

Nous lui sommes infiniment reconnaissants pour son aide dans le cas de Peter, et vous savez combien nous avons craint de ne jamais le voir se marier ! Étant donné vos desiderata inhabituels concernant l’épouse

L Amante DEF-1.indd 30

30

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 31

de votre choix, je ne peux que vous conseiller de vous en remettre à Mrs Martin.

— Peut-être que le comte préférerait ne pas recourir à mes services ? suggéra Thea avec raideur.

— Peut-être…, répéta sir James, les mains posées sur le bois lustré de sa table de travail. Accepteriezvous de vous asseoir et d’en discuter, Lyon ? Ou bien préférez-vous que je la jette à la rue ? s’enquit-il avec la familiarité de l’avocat qui connaît bien son client.

Lord Lyon remua sur son siège, indécis, puis il haussa les épaules.

— Très bien, elle peut toujours essayer ! Je suppose que l’intermédiaire n’a aucune importance, pourvu qu’elle soit efficace.

— Je pense que vous ne serez pas déçu, répliqua sir James.

Esquissant un sourire, il ajouta : — Sans doute un jour ferai-je moi-même appel à elle. Comme vous, je devrai me marier tôt ou tard.

— Vous voulez bien vous asseoir, Mrs Martin ?

Une irrésistible envie de s’enfuir s’empara de Thea, mais elle songea à ses fils, à ses projets pour l’instruction de Jonathan qui étaient sur le point de se réaliser. Et Lyon était riche !

— J’accepte de rester, mais cela vous coûtera une somme rondelette, monsieur le comte, répliqua-t-elle, dans l’intention de le punir pour son arrogance. Mes services ne sont pas bon marché.

— Le contraire m’eût étonné ! rétorqua lord Lyon.

En fait, si vous réussissez à me trouver une épouse 31

31/05/2016

selon mes vœux, je triplerai vos honoraires quels qu’ils soient.

Thea s’assit.

Lord Lyon en fit autant.

— Bon, n’est-ce pas mieux ainsi ? lança sir James d’un air jovial en s’installant à son tour.

Thea esquissa un sourire forcé. Quant à Neal, il resta de marbre.

Elle décida de lui damer le pion une bonne fois pour toutes et de prendre les rênes de la discussion.

— Sir James m’a dit que vous étiez à la recherche de certaines qualités chez une épouse. Vous voudrez bien me les indiquer ?

Lord Lyon changea de position, croisant bras et jambes, évitant son regard.

— Souhaitez-vous qu’elle soit blonde ? s’enquit Thea avec un mélange de malice et de professionnalisme qu’elle savait faire mouche avec lui. À moins que vous ne préfériez une brune ? Aimez-vous les femmes plantureuses ou plus élancées ?

— Tout cela est extrêmement gênant ! s’exclama lord Lyon en se tournant vers sir James.

— Ce sont des questions légitimes, Lyon, fit remarquer ce dernier. Pour pouvoir se mettre en quête d’une épouse pour vous, elle doit savoir.

— Sinon, intervint Thea, vous pouvez toujours vous lancer sur le marché matrimonial et vous débrouiller tout seul.

C’était ainsi que l’on appelait la ronde des soirées et des rendez-vous mondains durant la Saison où

L Amante DEF-1.indd 32

32

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 33

siégeait le Parlement. Maints couples se formaient lors de ces mondanités.

— Ce n’est pas ce que je souhaite, répliqua Neal, toujours en évitant de croiser son regard.

Un souvenir revint en mémoire à Thea. Ils étaient tous deux assis sur le même rocher au bord d’un cours d’eau. C’était leur endroit secret. Elle avait environ quatorze ans. Il devait en avoir seize. Ils riaient joue contre joue, puisant du courage dans la présence l’un de l’autre. Leur amitié avait rendu l’existence de Thea tolérable. Le lendemain, elle s’était enfuie de la maison pour aller le retrouver, ainsi qu’elle le faisait tous les matins depuis des semaines. Mais il n’était pas venu. Elle était retournée au rocher, tous les jours, jusqu’à la fin de l’été, mais il ne s’était plus jamais manifesté.

Il avait disparu sans prévenir, sans raison apparente. Jusqu’à ce que, par une journée d’automne, elle apprenne qu’il était parti rejoindre son école. Elle avait alors cessé de l’attendre. Elle ne l’avait plus revu, jusqu’à ce jour chez sir James.

— Dans ce cas, j’ai besoin de savoir ce que vous cherchez afin de faire le tri parmi le grand nombre de femmes potentiellement très désireuses d’épouser un riche et très respecté aristocrate.

Elle se fit l’effet d’une organisatrice de concours de danse. Ce ton ne lui déplaisait pas. Il était distant et ne trahissait pas son agitation intérieure.

Neal serra les dents.

33

31/05/2016

Voyant qu’il ne disait mot, sir James lui tendit de nouveau la perche.

— Lyon, que recherchez-vous chez une épouse ?

Le comte décroisa jambes et bras, et se redressa.

— Qu’elle soit de bonne famille, répondit-il à voix basse, presque inaudible, en s’adressant toujours à sir James.

Comme c’est original ! songea Thea.

— Tout à fait ! s’exclama-t-elle. Et quoi d’autre ?

Un bref silence s’ensuivit durant lequel le mépris de la jeune femme pour cet homme ne fit que grandir.

Intimes comme ils l’avaient été, comment pouvait-il se comporter comme s’ils étaient de parfaits étrangers ?

Comment pouvait-on être aussi glacial !

— Je ne veux pas d’une femme au tempérament glacial, lâcha-t-il enfin, comme s’il avait lu dans ses pensées. Ma mère était de celles-là, et d’aucuns prétendent que je tiens d’elle.

Mais ça n’a pas toujours été le cas ! rectifia inté­­­ rieurement Thea, et un brin de tristesse chassa son dédain.

— Je veux qu’elle soit une bonne mère, poursuivit-il. Nos enfants devront être sa priorité.

En cela aussi, sa future épouse différerait de sa mère.

Thea résista à l’irrépressible envie de poser une main réconfortante sur son bras. Mais Neal qui n’avait accordé aucune valeur à leur amitié ne voudrait probablement pas davantage de sa pitié.

L Amante DEF-1.indd 34

34

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 35

— Surtout, je veux une femme que je ne puisse pas apprécier. Elle pourra faire l’admiration d’autrui, mais je refuse qu’elle me plaise !

Toute la tendresse de Thea s’évanouit.

— Vous ne voulez pas que votre future épouse vous plaise ?

Il posa enfin les yeux sur elle. Il avait le visage crispé.

— Non !

— Monsieur le comte, c’est une attitude insensée et irresponsable !

Cela lui avait échappé, emportée qu’elle était par le souffle de déceptions passées.

Manifestement, peu de gens usaient d’autant de franchise avec le comte. Sir James resta bouche bée.

Lord Lyon se redressa de toute sa hauteur.

— Moi, je trouve au contraire que c’est très responsable !

— Dans ce cas, vous vous bercez d’illusions ! répliqua Thea. (Au point où elle en était, autant être franche jusqu’au bout !) Tous les mariages ne peuvent être fondés sur l’amour, même si ce sont les plus beaux. Mais tout au moins devrait-il exister une admiration et un respect mutuels entre les conjoints.

C’est la moindre des choses d’estimer la personne que l’on s’engage à assister et à qui l’on promet fidélité devant Dieu.

— C’est votre opinion. Je ne la partage pas.

Thea le regarda dans les yeux et vit un étranger.

35

31/05/2016

— Qu’est-il arrivé au jeune garçon qui croyait en l’amitié ? explosa-t-elle. Cet enfant dont je chérissais les secrets et suivais les conseils ?

— Ne nous emballons pas…, intervint sir James, tentant d’éviter une catastrophe.

— Je ne peux pas vous aider à arranger une telle union, poursuivit Thea en faisant comme si l’avocat n’était pas là. Vous connaissant comme je vous connais, ce ne serait pas bien.

— Vous ne savez rien de moi ! rétorqua lord Lyon.

— Permettez-moi d’être d’un autre avis. Il se pourrait que je vous connaisse mieux que vous ne vous connaissez vous-même.

— Et que savez-vous donc ? s’enquit-il en la mettant au défi.

Thea se laissa retomber en arrière, consciente que la conversation prenait une tournure délicate. De fait, le connaissait-elle vraiment ? Dans quelle mesure avait-il changé ?

Assurément, elle-même n’était plus la jeune fille en fleur d’autrefois. Mais une certitude lui demeurait : celle que l’amour existait !

Cet aveu la surprit. Après tout ce que Boyd, son père et sa famille lui avaient fait subir elle y croyait encore.

Les accès de connaissance de soi ne sont pas fréquents, et chacun revêt l’aspect d’un étonnement.

Soudain, Thea comprit pourquoi elle s’était établie marieuse. Elle voulait corriger les injustices, aider autrui à éviter les erreurs qu’elle avait elle-même commises.

L Amante DEF-1.indd 36

36

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 37

— Monsieur, commença-t-elle, un ton plus bas, le mariage n’est pas une mince affaire. Je ne prétends pas que vous deviez être amoureux de votre femme, mais il est indispensable qu’elle vous plaise. Autrement, vous risquez de vous exposer à une vie sans réconfort ni compromis.

Le genre d’existence que les parents de Neal avaient vécue durant toutes ces années. Le genre d’existence qu’elle se souvenait de l’avoir vu jurer de ne jamais embrasser.

Le changement de ton fit son œuvre. La colère s’effaça du regard du jeune homme, pour y être remplacée par le désespoir.

— Vous ne comprenez pas.

— Alors expliquez-moi !

— Je suis maudit !

Thea n’en crut pas ses oreilles. Parlait-il au sens figuré ou au sens propre ?

— « Maudit » ?

— Oui, répondit-il avec le plus grand sérieux.

Et mon seul espoir de rester en vie est d’épouser quelqu’un que je n’aime pas, dont je ne puisse jamais tomber amoureux. Cela requiert des qualités très rares chez une femme. Il y a une différence entre ne point aimer et détester.

Thea jeta un coup d’œil à sir James afin de s’assurer qu’il pensait, à son instar, que le comte délirait.

Mais l’homme de loi hocha la tête, semblant accréditer les paroles de lord Lyon.

37

31/05/2016

— Vous croyez également qu’il est maudit ? s’enquit Thea.

Sir James haussa les épaules.

— Certains signes tendent à le prouver.

L’espace d’un instant, Thea se demanda si elle ne s’était pas égarée dans un autre monde, puis elle se reprit. Une autre éventualité – plus sinistre – se fit jour dans son esprit.

— Mon frère se cache-t-il derrière tout cela ?

Lord Lyon et l’avocat parurent déroutés, mais elle était bien décidée à ne pas s’en laisser conter. C’était la seule explication rationnelle. Elle se leva.

— Oh, oh ! C’était très astucieux de sa part ! Je sais que cela déplaît à Horace que je sois indépendante et que j’ose même pousser le vice jusqu’à travailler pour gagner ma vie. Mais de là à concevoir une telle machination ! s’indigna-t-elle en secouant la tête. Vous devriez avoir honte, sir James ! Et vous aussi, lord Lyon !

Quel ami déloyal vous faites ! Manifestement, votre titre a détruit tout ce qu’il y avait de noble en vous !

— Je vous demande pardon ? s’indigna Neal Chattan, qui s’était levé en même temps que la jeune femme, prétendant ne rien comprendre à ses accusations.

Elle se dirigea vers la porte. Son enthousiasme à l’idée d’empocher de substantiels honoraires s’était mué en déception.

Sir James fit le tour du secrétaire et s’avança vers elle.

— Mrs Martin, je vous en prie, j’ignore lequel de nos propos vous aura contrariée…

L Amante DEF-1.indd 38

38

31/05/2016

L Amante DEF-1.indd 39

Elle l’interrompit en faisant volte-face, mains tendues afin de lui signifier de ne pas faire un pas de plus.

— Assez ! Je n’arrive pas à croire que j’aie pu gaspiller 1 demi-shilling pour venir jusqu’ici ! Vous êtes deux traîtres à la solde de mon frère ! En échange de quoi, je vous le demande ? Pour de l’argent, sir James ? En échange d’un quelconque arrangement passé en sous-main dans les coulisses de la Chambre des pairs, lord Lyon ? Oh, ne vous fatiguez pas, je connais les pratiques du duc. Il combine toujours de nouvelles alliances à son propre profit. Moi qui jadis ai vu en vous l’ami le plus cher, je constate pour mon plus grand désarroi que vous êtes devenu un homme froid, distant, en tout point semblable à vos parents : tout ce que vous prétendiez ne pas vouloir être. « Une malédiction ! » s’exclama-t-elle en savourant le mot comme s’il s’agissait d’un fruit. Pensiez-vous vraiment que je serais aussi crédule ? Eh bien, retournez auprès de mon frère et dites-lui que personne ne croit aux sortilèges de nos jours. Pas même sa sœur, celle qu’il refuse de considérer. À ces mots, elle ouvrit la porte et sortit d’un pas aérien.

— Thea, revenez ! ordonna Neal.

Pour toute réponse, elle poursuivit son chemin.

31/05/2016