+ La légitimité du bois dans l'architecture contemporaine publique

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+ LA LÉGITIMITÉ DU BOIS DANS L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE PUBLIQUE

ÉTUD. UNIT

FRANQUESA Brice UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. DE MEM DEMILLY E. MASTER ARCHI

MEM

S10 INTERDEM 16-17 FI

© ENSAL



La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

+ LA LEGITIMITE DU BOIS DANS L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE PUBLIQUE. + POINTS DE VUE CROISES

FRANQUESA-NAAS Brice Directeur d’étude : DEMILLY Estelle 2016-2017 Mémoire de Master École Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

+ PLAN + Introduction et Problématique

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+ Architecture publique & Perception de l’espace + La perception de l’espace en Architecture

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+ Bâtiments publics, photographie de la société

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+ Influence de la matérialité

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+ Le bois, matériau aux facettes multiples ? + Un matériau écologique ?

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+ Un matériau aux propriétés phénoménologiques ?

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+ Un matériau évolutif,

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+ Le bois dans son application dans l’architecture publique contemporaine + Méthodologie

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+ Études de la perception dans les bâtiments publics et limites des hypothèses

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+ Conclusion

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+ Bibliographie + Iconographie

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+Annexe

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

+ INTRODUCTION ET PROBLEMATIQUE Le monde et la société moderne évoluent de plus en plus rapidement, et chacun des aspects qui les composent doivent eux aussi prendre part à ces changements. L’architecture peut se définir comme un point fondamental d’une société dans la mesure où elle représente et caractérise à un instant T, le mode de vie, les coutumes, la culture, le rapport social, les savoir-faire ou encore les avancées technologique de cette société. Cette relation forte entre architecture et société implique que la production dans le domaine architectural se doit d’évoluer en permanence, afin de suivre les modes de vies évolutifs de tout-un-chacun voir même de les anticiper afin de proposer de nouvelles voies. Chacune des époques ayant ses caractéristiques et ses problématiques propres, nous pouvons observer des retranscriptions de ces particularités au sein de l’architecture. Les marqueurs de ces avancées et autres changements de la société sont notamment observables dans l’espace et l’architecture publics, véritable scène de représentations des codes sociaux1 (G.-N. Fischer, 1981). Les administrations publiques quand à elles, se présentent comme « les promotrices des changements, améliorations [et] des innovations »2 de cette société. Il convient donc de se demander comment l’architecte et ses réalisations peuvent-ils retranscrire ces idées, tout en étant un des acteurs de ces transitions. En poussant la réflexion plus en avant l’architecture publique ne pourrait-elle pas proposer des concepts d’évolution plutôt que simplement les communiquer ? C’est à partir de cette première réflexion que s’est formulé ce mémoire : de cette idée que l’on pourrait transmettre (et peut être mettre en avant) un pan entier d’une culture et des améliorations d’une société par le biais de parti pris architecturaux. Pour comprendre les mécanismes sous-jacents à ces questions, ce mémoire s’intéressera premièrement à la perception dans le domaine de l’architecture. Ces bases permettront de mettre l’accent sur deux critères principaux qui affirmeront le cadre de la démarche : un critère typologique – l’architecture publique pour sa représentation et son impact potentiel sur la société – et un second critère qui mettra en avant la matérialité et son importance dans le champ de la perception. Une fois le cadre perceptif posé, c’est donc la question des caractéristiques d’une matérialité spécifique qui sera traité. Et c’est ici que le choix a été fait de questionner en particulier la légitimité du bois en étudiant les différentes caractéristiques qui lui sont propres et leurs influences potentielles. Ces caractéristiques seront observées et mises en relation avec des modifications du comportement en fonction du lieu – ces potentialités du lieu peuvent être nommées affordances environnementales3 (G.Moser & K.Weiss, 2003) et tendent à montrer une variation de comportement notamment en fonction de paramètres

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Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.14 2 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.322 3 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.67

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physique et/ou sociaux comme la texture4 (G.-N. Fischer, 1981) –. Mais ces caractéristiques seront aussi mises en relation avec des évolutions possibles du système sociétal actuel et notamment par l’idée qu’une forme d’influence et de sensibilité à des questions écologiques peut passer grâce à la matérialité d’une architecture. Enfin, une fois le cadre théorique mis en place, c’est au travers des différents points de vue – à la fois des concepteurs et de leurs intentions mais aussi des usagers et de leurs expériences – que seront comparées les hypothèses émises précédemment. Le but serait d’en ressortir un impact potentiel réaliste du matériau bois dans le cadre d’une intervention dans l’architecture publique contemporaine. Tout d’abord, l’origine de ce sujet apparaît comme une suite du travail de Rapport d’étude en Licence, où les questions soulevées par des territoires étudiés comme le Vorarlberg en Autriche, ont amené à commencer à me positionner en tant qu’architecte. En effet, si ce Land situé à l’ouest de l’Autriche a choisi de développer son architecture autour du bois, ce n’est pas par simple choix esthétique mais bien motivé par les multiples caractéristiques du bois. Que l’on cite les avantages d’un matériau écologique – de son extraction à son recyclage en fin de vie – à ses attributs sensorielles – visuels, tactiles, olfactifs, etc… - le bois présentait dans ce territoire un atout indispensable au développement aussi bien humain, que social ou économique. Mais au-delà, d’une problématique territoriale particulière, le bois est apparu comme un matériau ancien mais en constante réinvention. Il semblait donc judicieux de se pencher un peu plus en profondeur sur ce que représentait et pouvait représenter ce matériau dans l’architecture contemporaine. L’intérêt de ce travail d’initiation à la recherche est donc premièrement scientifique mais aussi social. Scientifique dans le sens où il cherche à apporter un nouveau point de vue sur un matériau en constante évolution par une approche non plus uniquement technique comme on l’observe actuellement mais aussi par une approche se rattachant plus à l’expérience vécue et aux propriétés indirectes ou induites du matériau. L’intérêt est aussi social par son influence potentiel sur le bien être des usagers ou son caractère permettant d’imaginer de nouveaux scénarii de rapports sociaux Pour définir le contexte de ce travail, nous devons prendre en compte le fait qu’il existe une production déjà notable d’œuvres concernant le bois en architecture depuis de nombreux siècles. Si l’on remonte au plus loin, les grecs ou les romains utilisaient déjà de manière savante le bois même si peu de traités théoriques lui ont été consacrés. On peut observer une production plus conséquente du côté des cultures asiatiques et notamment nippone mais c’est surtout après le Moyen-Âge qu’apparaîtront les premiers grands traités théoriques sur le bois. En France, on pourra noter un premier renouveau dans l’approche de ce matériau aux alentours du 18ème siècle avec des travaux qui au-delà d’aborder le bois sur ses aspects techniques, se préoccupera aussi de mettre en avant les qualités visuelles du matériau. Par exemple dans le « Traité de stéréotomie, à l'usage de l'architecture »5 4

Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.10 5 Amédée FREZIER , 1739, « LA THEORIE ET LA PRATIQUE DE LA COUPE DES PIERRES ET DES BOIS POUR LA CONSTRUCTION DES VOUTES ET AUTRES PARTIES DES BATIMENTS CIVILS & MILITAIRES » (Livre), Tome 3, Strasbourg, France, J.-D. Doulsseker

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d’Amédée FREZIER où le bois et la pierre sont considérés comme deux alternatives proposant des applications mécaniques mais aussi matérielles différentes. D’autre part, on peut observer jusqu’à nos jours une production, plus ou moins continue, de bâtiments en bois – en premier lieu pour l’architecture religieuse mais aussi l’habitat – dans toutes les régions où la ressource est naturellement abondante. On peut par exemple citer les pays scandinaves (Suède, Finlande et Norvège) mais aussi l’Europe de l’est (Slovaquie, Hongrie, Slovénie, etc…), les Alpes (sud de l’Allemagne, la Suisse, l’ouest autrichien, le nord de l’Italie ou l’est français) ou encore la Russie. Malheureusement, toutes ces réalisations architecturales n’ont, encore une fois donné lieu qu’à peu de théorisation concernant les aspects qui intéresse ce travail de recherche aujourd’hui et qui sont l’influence du bois sur les comportements et sa capacité à véhiculer et ou modifier des concepts sociaux. Ceci peut probablement en partie s’expliquer car le bois a été un matériau relativement délaissé lorsque les grands architectes modernes ont décidé de pousser les théories architecturales telles qu’on les connait aujourd’hui. En effet avec la découverte et le développement très rapide de nouveaux matériaux comme l’acier, le béton – armé notamment – ou les matières plastiques et synthétique, le bois est apparu comme un peu vieillot et limitant pendant de longues décennies. Mais on observe de nouveau un intérêt croissant pour ce matériau qui a su se réinventer : on trouve aujourd’hui, en plus du bois traditionnel, un grand nombre de produits dérivés qui donne une toute autre liberté de création. Du lamellé-collé (Gluelam), au contreplaqué (CLT), en passant par les bois lamellés de placage (LVL), ou les planches de fibre de bois laminés (LSL) ou disposés en couches parallèles (PSL) 6, il existe aujourd’hui une grande variété de bois aux propriétés bien différentes les uns des autres. Des personnes comme Joseph MAYO7 (pour l’aspect de la mise en œuvre) ou encore Yves WEINAND8 (concernant l’innovation avec le matériau bois) ont publié des ouvrages dédiés à ces questions. Récemment de nouveaux travaux de recherche – plus en phase avec l’approche de ce mémoire – ont été conduits par des équipes de psychologue, sociologues et autres scientifiques sur l’impact du bois d’un point de vue psychologique, physiologique et comportementale. Pourront être cité les travaux de David FELL9 – autour des bénéfices que peut apporter le bois dans le milieu hospitalier entre autre –, ceux de l’équipe de S. SAKURAGAWA & Al. 10 concernant cette fois l’impact du bois sur les réactions physiologiques et comportementale dans l’environnement bâti ou encore de l’agence MANA avec les travaux de Stéphane CHEVRIER11 sur la perception des bâtiments bois par le grand public.

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Traduction du texte de J.MAYO, 2015, “SOLID WOOD: CASE STUDIES IN MASS TIMBER ARCHITECTURE” (Livre) Technology and Design. New York: Routledge, p. 9 7 Ibid. (texte integral) 8 Yves WEINAND, 2010, « TIMBER PROJECT » (Livret d’exposition), Lausanne, SUISSE, École polytechnique fédérale de Lausanne. 9 David FELL , 2015, « WOOD A S A RESTORATIVE MATERIAL IN HEALTHCARE ENVIRONMENTS » (Article Scientifique),CANADA, FPInnovation, 35p. 10 S.SAKURAGAWA & Y.MIYAZAKI & T.KANEKO & T.MAKITA, 2005, « INFLUENCE OF WOOD WALL PANELS ON PHYSIOLOGICAL AND PSYCHOLOGICAL RESPONSES» (Article Scientifique), Journal Of Wood Science, The Japan Wood Research Society, 140p. 11 Stéphane CHEVRIER, 2013, « PERCEPTION DES BATIMENTS BOIS PAR LE GRAND PUBLIC» (Étude sociologique), Région Pays de la Loire, France, Étude réalisée dans le cadre de l’action PRECOBOIS, 62p.

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Nous avons donc pu voir qu’un certain nombre de question ont déjà pu être soulevées par différents chercheurs mais le sujet semble loin d’être épuisé. Ce mémoire vise donc à entreprendre une nouvelle approche de cette problématique autour du bois partant d’un questionnement architectural perceptif pour essayer d’arriver à une conclusion sur la légitimité d’un matériau dans l’architecture publique contemporaine. En effet, comme évoqué dans l’introduction, nous nous trouvons en phase avec une société qui évolue de manière rapide et constante, pour autant il existe des marqueurs de ces évolutions. Nous pouvons alors nous demander : Quels sont ces marqueurs dans le domaine de l’architecture ? Est-ce l’architecture dîtes publique qui joue ce rôle ? Si c’est le cas, quels concepts/idées doit-elle et peut-elle faire passer ? Comment retranscrire ces intentions architecturalement parlant ? De ces premières interrogations découlent une deuxième série qui prend en compte une application physique de ces enjeux théoriques : Quels sont les moyens les plus parlants pour les transmettre fidèlement aux usagers ? La forme suffit-elle ? Quel rôle tient la matérialité dans ce dialogue concepteurs/usagers ? Par extension quelle relation cela instaure-t-il entre l’usager et l’institution représentée ? Ce questionnement sur la matérialité nous amène à nous poser une troisième série de question qui précise la démarche de ce travail d’initiation à la recherche : Est-ce que certains matériaux sont plus efficaces à cet effet ? Et quelles qualités devrait-il posséder idéalement ? Le bois répond-il à ces problématiques ? Le cheminement de ces questions à donc permis de formuler la question qui sera celle à laquelle tentera de répondre ce mémoire : Quelle légitimité pour le bois dans l’architecture contemporaine publique ?

Pour pouvoir répondre à cette question il faut tout d’abord clarifier certains des termes qui permettront de rentrer en profondeur dans le sujet. En parlant de légitimité, ce travail cherche à mettre en avant la « conformité de quelque chose, d'un état, d'un acte, avec l'équité, la raison, la morale »12 et dans ce cas précis, de la légitimité de l’utilisation d’un matériau – le bois – dans le but de créer et de pérenniser l’impact positif que celui-ci peut avoir dans la production architecturale publique contemporaine. De plus, ce mémoire va s’intéresser aux différentes caractéristiques du bois via plusieurs filtres comme l’écologie, la phénoménologie ou encore le potentiel d’innovation qui seront défini au moment de leurs évocation respectives dans cet écrit. Mais pour avancer des hypothèses sur le sujet il faut aussi déterminer le cadre temporel et typologique des interventions que ce travail prendra comme références et étudiera. Concernant le cadrage temporel, ce travail de recherche s’appuie sur des réalisations des 10 dernières années dans la mesure où une production en forte augmentation et beaucoup plus diversifiée est observable lors de cette période et que cette production fait suite à une prise de conscience des commanditaires comme des concepteurs de l’importance de notion comme l’écologie et les enjeux de la société de demain. En ce qui concerne l’aspect typologique, comme évoqué dans la première partie, c’est au travers de bâtiments destinés à recevoir du public (ERP institutionnel, culturel, éducatif ou hospitalier)

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Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/


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que nous essayerons de voir l’influence d’un matériau sur le rapport au pouvoir, le système d’éducation, les soins et le bien être ou encore l’évolution de la société. Pour explorer ce cadre et son contexte, ce mémoire s’efforcera de mettre à l’épreuve une série d’hypothèse de base au travers de différents filtres explicités en amont. Ainsi, il est proposé de mettre à l’épreuve l’importance présumée (au moins équivalente à celle des volumes) de la matérialité dans la perception en architecture. Cette première hypothèse est établie en supposant du potentiel du bois à posséder des qualités multi-sensorielles propres qui rendrait donc son utilisation très intéressante dans le cadre de l’architecture publique contemporaine. Enfin ces deux premiers postulats servent de support à une hypothèse de conception architecturale : un parti pris sur la matérialité dans un bâtiment peut aider à développer et/ou influencer des comportements et même un modèle social. La mise à l’épreuve de ces hypothèses a pour premier objectif de déterminer de manière raisonnée et raisonnable les caractéristiques du matériau bois pour son application dans l’architecture publique. Cela permettant par extension de proposer des conclusions sur l’impact et la légitimité d’un tel matériau sur l’espace et la manière de l’arpenter dans la production contemporaine. Mais ces conclusions ne seraient se faire sans prendre en compte le degré de compatibilité que nous chercherons à estimer entre les attentes des usagers et les enjeux sociaux d’une part, et les concepteurs et les intentions des grandes institutions d’autre part. Enfin, ce mémoire a pour objectif de permettre d’initier et de développer une posture d’architecte sur un sujet d’avenir au potentiel riche afin de poser les bases d’une prise en compte de la responsabilité morale et de l’éthique architecturale indispensable à la pratique du métier.

Pour arriver à dégager ces conclusions, différentes méthodes ont été employées dans ce mémoire. Après la mise en place de la théorie en s’appuyant sur des textes de recherches, un corpus de projet a fait l’objet d’une analyse selon les différents critères évoqués précédemment pour mettre en avant dans chacun des cas, une propriété remarquable du bois. Ce corpus s’est intéressé notamment à l’architecture produite dans le Vorarlberg avec les travaux de Hermann KAUFMANN13 ou ceux de Micheal GREEN14 pour ce qui concerne le volet écologique de l’analyse, à des productions telles que le Tverrfjellhytta, Norwegian Wild Reindeer Pavilion de Snohetta15 ou encore la Maison Symphonique de Montréal de AEDIFICA16 pour le volet phénoménologique ; mais aussi pour la partie innovation à des avancées techniques et technologiques telles que le bois translucide de Timothée BOITOUZET17 ou encore les recherches formelles et techniques de l’exposition TIMBER PROJECT menée par Yves WEINAND18. Mais ce corpus de projet n’est pas la seule matière pour déterminer au mieux les interactions et 13

http://www.hermann-kaufmann.at/index.php?pid=0&lg=fr http://mg-architecture.ca/ 15 http://snohetta.com/projects/2-tverrfjellhytta-norwegian-wild-reindeer-pavilion 16 http://m.aedifica.com/fr/expertises/architecture/maison-symphonique 17 http://woodoo.fr/ 18 Yves WEINAND, 2010, « TIMBER PROJECT » (Livret d’exposition), SUISSE, École polytechnique fédérale de Lausanne. 14

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interdépendances qui peuvent exister entre intentions et expériences réellement vécues. C’est pourquoi un questionnaire à destination des usagers a été diffusé pour estimer l’impact du bois dans l’expérience de l’espace de chacun. La méthodologie appliquée pour cette démarche repose sur les méthodes décrites, entre autres, par Gabriel MOSER et Karine WEISS19 qui ont eu recours à des séries de différenciateurs sémantiques. Le mémoire se termine ensuite sur une série de conclusions établies grâce aux hypothèses et aux résultats de leurs mises à l’épreuve concernant la légitimité et/ou les limites de l’emploi du bois dans l’architecture contemporaine publique.

19

Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.70-79

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+ARCHITECTURE PUBLIQUE ET PERCEPTION DE L’ESPACE Pour aborder la question de la légitimité d’un matériau dans son application dans l’architecture contemporaine publique, il faut d’abord émettre et poser un certain nombre de points théoriques afin de comprendre l’influence et l’apport d’un tel choix. Premièrement, ce travail cherchera à comprendre la notion de perception de l’espace et de la manière dont elle influe notre relation à l’architecture. Dans une seconde partie, ce sera la définition et le sens que l’on donne aux bâtiments publics qui seront interrogés. Il est important de comprendre les enjeux et les symboles que peuvent représenter ces bâtiments vis-à-vis des usagers et de la société en général car ce sont justement ces symboles qui permettront d’établir l’importance que peut prendre la mise en œuvre du matériau bois. Enfin, dans une troisième partie seront abordées les questions de l’influence de la matérialité. En effet, une fois le cadre perceptif et typologique posé, il semble nécessaire de questionner les paramètres qui font varier l’expérience des usagers dans les conditions définies précédemment. La matérialité est la porte d’entrée qui a été choisi pour aborder ce sujet : elle permet à la fois de faire écho à des travaux menés dans des sciences transversales à l’architecture (comme évoqué en introduction avec les travaux de Fell et Sakuragawa) mais aussi de faire écho à des enjeux actuels de la société comme l’économie, l’écologie ou la sociologie.

+ LA PERCEPTION DE L’ESPACE EN ARCHITECTURE Pour aborder la légitimité d’un matériau dans une construction contemporaine et au travers de certaines de ses spécificités, il convient d’abord de comprendre les mécanismes sous-jacents à la perception et à la représentation habituelle des espaces architecturaux. Aujourd’hui nous vivons dans une société où l’espace architectural est représenté et partagé quasi uniquement de manière visuelle. Ce modèle vient du fait, qu’au premier abord, «l’expérience de l’architecture est

essentiellement visuelle […]. En effet, on la regarde, on la parcourt, on photographie des intérieurs, on achète des cartes postales de façades ; les revues et les livres d’histoire de l’architecture sont remplis de dessins, d’illustrations »20. Et même si ce modèle est plutôt efficace pour une représentation généralisée de l’espace en architecture, il ne correspond pas strictement à la perception que l’on peut se faire de ces mêmes espaces. 1. Planche de représentation classique d’un projet, uniquement basée sur les visuels. [PFE_ Valentin DAMVILLE]

20

Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.9

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En réalité, l’expérience vécue de l’architecture et donc sa perception sont bien plus complexes que cela. « L’expérience de l’architecture est bien

multisensorielle, et le fait de réduire cette multitudes d’impressions seulement à des dessins, à des photos, l’ampute d’une grande partie de ses constituants »21. Le problème est donc que l’on simplifie la perception de l’architecture en la réduisant à une simple acquisition d’information visuelle alors qu’elle est bien plus complexe que cela. Parmi les autres sens sollicités lors de l’expérimentation de l’espace nous pouvons aisément citer le toucher, l’ouïe, ou encore l’odorat. Tous nos sens sont en réalité mis en œuvre pour saisir l’entièreté d’un lieu. Et ces sens et les informations qu’ils nous transmettent, sont eux même plus complexe qu’ils n’y paraissent. Si l’odorat est peut être peu exploité dans nos architectures européennes (« il n’y a

jamais réellement de parti olfactif, de démarche consciente pour intégrer les odeurs aux espaces, ou d’espace construit autour d’une odeur »22), il est cependant impossible de ne pas dire que chaque maison a son odeur propre, chaque lieu d’activité est teinté d’une signature olfactive si légère soit-elle (M.Crunelle, 2001), créant ainsi un lien avec l’usager et son expérience du lieu qu’il est impossible de retranscrire visuellement. Il en est de même pour l’ouïe, où l’arpentage d’un couloir en pierre brute avec son écho clair et englobant ne donnera pas la même perception qu’un couloir recouvert de moquette ou de tissu où tous les sons seront calfeutrés et atténués. Enfin en ce qui concerne le toucher – qui n’est pas un sens à proprement parler car il n’est pas supporté par un organe simple ou double–, il regroupe en réalité quatre formes de sensibilités cutanées (M.Crunelle, 2001). On trouve la sensibilité aux pressions, aux pressions profondes et à la douleur, au chaud et au froid. On peut aussi rajouter « la kinesthésie (muscle + position des

articulations et rotations), la somesthésie (les maux internes, ex : la faim) et l’équilibre, le tout combiné. […] Aussi par toucher, entendrons-nous l’expérience sensorielle globale, appelée HAPTIQUE et pas uniquement le tact»23. Et même au sein de ce système, il y a encore deux nuances à différencier qui sont le toucher passif et le toucher actif. Lorsque l’on fait l’expérience d’un lieu, nous subissons un certain nombre de stimuli de manière passive : une sensation de fraîcheur d’une paroi, le rayonnement de chaleur émis par une lampe ou un radiateur ou l’humidité d’une pièce. Mais il y a aussi les données tactiles que nous acquérons de manière active et qui relève du toucher exploratoire (arpenter un sol, se guider par une main-courante ou s’appuyer contre un support). Ce sont l’ensemble de ces données qui forge une partie de notre expérience et de notre perception d’un lieu. 2. Plan d’étude des variations thermiques pour maitriser les atmosphères intérieures [Interior Golf Stream _ Philip Rahm]

21

Ibid, p.10 Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.50 23 Ibid, p.19 22

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On remarque donc que la perception d’un lieu est beaucoup plus complexe qu’une simple analyse visuelle de l’espace. Mais ce préjugé sur la perception de l’espace découle directement d’un autre fait de notre société qui est de considérer l’espace comme du vide. La plupart du temps, on pense que « l’architecture ce sont

les bâtiments et l’espace c’est le vide contenu entre les parois. Et c’est ici que réside le malentendu, car l’espace ce n’est pas du vide, mais bien un véritable milieu de vie enclos dans les murs, un milieu de vie stimulant les sens. Ce sont des ombres et des lumières évidemment, des proportions et des couleurs, des perspectives et des décors, mais aussi des sons qui se réverbèrent, des surfaces que nos pieds foulent, des textures que l’on touche, des températures qui nous mettent à l’aise et des odeurs qui nous enveloppent et nous séduisent. Toutes choses qui s’additionnant, multiplient leurs effets en un ensemble que nous percevons comme un « entourement » globalisant»24. On peut prendre comme exemple les riads – maisons traditionnelles au Maroc – dont l’espace central est un grand vide. Or les qualités principales de ce lieu sont d’être un lieu de vie et d’échange principal dans la maison tout en étant un des endroits les plus frais du bâtiment. C’est donc bien l’utilisation et l’interaction possible des usagers dans un milieu possédant des qualités sensorielles spécifiques qui caractérise la manière dont est perçu et vécu cet espace. 3. Plan d’une maison traditionnelle au Maroc. La cour centrale a pour qualité principale d’être un lieu de fraicheur, non représentable en plan. [Plan d’un Riad]

Mais la perception de l’espace n’est pas uniquement due à cet ensemble d’information pragmatique que nous délivre nos sens. C’est aussi la résultante de préconstructions de ces espaces et de l’attente que l’on en a. « Pour PIAGET, la

représentation, au sens direct, se réduit à l’image mentale ou à l’image souvenir. LYNCH se réfère à la même définition pour montrer que les expériences perceptives permettent de construire des images mentales. « L’image de l’environnement et le produit de tout à la fois, de la sensation immédiate et de l’expérience passée recueillie par la mémoire : c’est elle qui permet d’interpréter l’information et de diriger l’action. La nécessité de reconnaître notre environnement et de pouvoir lui donner une forme plonge des racines tellement profondes dans le passé que cette image revêt pour l’individu une importance

24

Ibid, p.88

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pratique et affective considérable » »25. Cette hypothèse implique donc que la perception que l’on se fait d’un lieu dépend aussi de caractéristiques propres à chaque individu et met en avant « le rôle effectif des expériences antérieures et des hypothèses que l’on élabore à partir de notre perceptions des lieux »26, comme effectué dans les expériences de LOWENTHAL et RIEL (in Broadbent, 1980). C’est en partie grâce à ces vécus antérieurs d’espaces de références que l’on peut se projeter plus loin dans la perception d’un nouvel espace. Cette possibilité de perception plus avancé voir même de projection dans l’espace vient du sentiment d’habitude et donc de sécurité que le lieu procure. « Un bâtiment sera d’autant plus

vite considéré comme une maison protégée que les éléments architecturaux sauront solliciter cette prise de contact tout en rassurant. Ainsi par exemple, une rampe d’escalier agréable au toucher et permettant un prise ferme mais facile non seulement nous aidera à gravir les marches mais nous donnera en outre un sentiment de sécurité»27. Nous avons donc pu voir dans cette partie un extrait des composantes de la perception en architecture et de leurs implications sur l’expérience de l’espace par les usagers. Les conclusions suggérant une plus grande prise en compte de l’ensemble des sens amène à se poser des questions afin de mettre en avant des caractéristiques architecturales qui pourraient palier à cette problématique. Et c’est ici que la notion de matérialité en architecture vient prendre toute son importance. Mais avant de développer ce point, il est important de se pencher sur les autres conclusions que nous avons pu tirer dans le domaine de la perception que sont la préconstruction mentale des espaces en fonction du vécu et notamment au vu des activités habituellement conduites dans ces lieux. C’est pourquoi nous allons maintenant nous intéresser à une typologie en particulier et à la symbolique qui lui est associé : les bâtiments publics.

+ BATIMENTS PUBLICS, PHOTOGRAPHIE DE LA SOCIETE ? L’architecture publique est par essence un acte bâti qui influence la société. Que cela soit par les idéologies qu’elle cherche à véhiculer, par son importance et son rôle dans la vie courante ou par l’utilisation et le rapport réels qu’elle entretient avec les usagers, l’architecture publique occupe une place effective et symbolique importante. Elle met en place un certain nombre de code qui sont en fait les avancées technologiques, techniques mais aussi sociales et culturelles d’une société à un instant T. Dans l’architecture publique, «la distance intervient donc

dans la relation tout comme le choix des positions respectives, tel qu’il a été montré dans les expériences de SOMMER. Par ailleurs, l’espace véhicule des éléments de cultures dans les relations historiquement définies de l’être humain et de son

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Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.81 26 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMMEENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.65 27 Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.40

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environnement»28. Ces bâtiments font donc souvent office de photographie du modèle de la société dans laquelle ils ont été érigés. L’autre caractéristique importante de ces architectures publiques est qu’elles sont des lieux d’interactions privilégiés entre les instances dirigeantes – le pouvoir – et le peuple. C’est à la fois un espace de discussion, de protestation, de représentation mais aussi d’affirmation d’intentions pour une ville, une région ou un pays par les dirigeants. «Ainsi, l’espace est appréhendé comme la scène sur laquelle est dite une manière de vivre les conditions sociales »29 et l’on peut même aller plus loin en disant que l’aménagement de l’espace est aussi l’expression de l’action d’une société sur l’organisation de sa vie (G-N. Fischer, 1981). Mais si ces lieux sont représentatifs d’un état social cela implique que « les administrations publiques

sont aussi les principales promotrices des changements, des améliorations, des innovations et de l’établissement d’objectifs stratégiques communs. Ceci implique la connaissance des différentes situations existantes, la détection des besoins et des tendances sociales, du fonctionnement des systèmes techniques »30. Afin de répondre de manière plus juste à ces attentes et ces ambitions de la société, les institutions peuvent avoir recours à des outils à la fois architecturaux mais aussi bien psychologiques ou sociaux. C’est par exemple le cas lorsqu’elles ont recours à

« la psychologie environnementale [qui] apporte au commanditaire institutionnel plusieurs éléments indispensable à la pertinence de ses décisions prises en matière d’évaluation de l’environnement : choix des alternatives d’aménagement en fonction de leur évaluation par les intéressés, stratégies de communication sur les thèmes environnementaux, adhésion des publics aux actions entreprises, amorce et consolidation du changement des rapports environnementaux»31 En France, on a très clairement pu observer ce phénomène aux travers des grands travaux présidentiels sous la Vème république qui « renouait avec une tradition bien établie d’usage politique, et donc avant tout symbolique, de l’architecture»32. Par exemple, dans le cas des grands projets de François Mitterrand, ces bâtiments

« ont contribué à renforcer cet intérêt pour les formes architecturales et pour les fonctions symboliques des bâtiments : chacun d’entre eux devait dès son inauguration (voire plus tôt encore) entrer comme symbole du pouvoir tout à la fois dans l’histoire de l’art et dans l’histoire du politique, c’est-à-dire être investi d’emblée du statut de monument »33. En donnant à une partie de ces constructions publiques le statut de monument, nous avons assisté à une forme de patrimonialisation de ces lieux. Et cette idée d’en faire des objets représentatifs pour le long terme d’idées ou d’intentions politiques, a amené ces bâtiments publics à être conçu comme des objets intouchables, inaltérables et dans un sens aseptisés. « On se réfère à des édifices contemporains, construits sous des climats 28

Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.19 29 Ibid, p.14 30 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.322 31 Ibid, p.87 32 Florent CHAMPY, 2003, « DES VALEURS ET DES PRATIQUES DE L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE» (Article scientifique), L’homme et la société, Numéro 145, l’Harmattan, p.11 33 Florent CHAMPY, 2003, « DES VALEURS ET DES PRATIQUES DE L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE» (Article scientifique), L’homme et la société, Numéro 145, l’Harmattan, p.9

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tempérés ainsi qu’à des lieux où règnent une luminosité et une température plus ou moins constantes, peu ou pas d’odeurs, un taux de réverbération faible et pas de courant d’air : ce qui est le cas de nos espaces commerciaux, bureaux, musée, locaux de cours, etc… »34. Pour autant, chacun de ces bâtiments est bien représentatif d’un rapport social spécifique à une époque (on peut voir la relance de l’intérêt culturel comme un réel changement après l’époque où le fonctionnalisme et le productivisme étaient mis en avant dans l’architecture). Et c’est justement ce rapport social de l’architecture publique qui nous intéressera dans ce mémoire car il instaure, selon les lieux et les époques, une relation ou au contraire une mise à distance entre les instances du pouvoir et les usagers. «En

répartissant les volumes physiques et en inscrivant les signes hiérarchiques dans la matérialité de leurs emplacements, on instaure, par la distance ou la promiscuité, un ordre social et on organise la représentation sociale du pouvoir »35. De plus, comme évoqué dans l’introduction, la société actuelle change et évolue de plus en plus rapidement. Si l’on fait une parenthèse et que l’on regarde la situation actuelle sur le territoire français, on voit émerger différents horizons de développement et d’investissement de le part des potentiels pouvoirs publics. Ceci pourrait engendrer des résultats totalement différents au vu de la diversité des programmes proposés. Jacques Herzog a dit récemment «L'architecture est toujours un reflet politique » (interview, 2017) à propos de ses interventions à Londres ou à Paris. On pourrait donc assister aussi bien à l’avènement de grands bâtiments culturels ou éducatifs pensés de manière durable et responsable que d’institutions centrées sur les besoins économiques ou encore de bâtiments érigés dans but identitaire. La perception de ces bâtiments publics ainsi que de leurs symboles (au travers de tous les médiums évoqués précédemment) est donc un vrai enjeu actuel. Et en prenant en compte l’influence supposée de la matérialité sur les systèmes perceptifs du corps humain, nous pourrions y deviner le rôle et donc la légitimité que le bois pourrait acquérir dans l’architecture publique contemporaine. 4. Photo aérienne d’un des grands projets menés par les présidents de la Vème République qui fonctionne comme une symbole pour la société. [Bibliothèque Nationale de France _ Dominique Perrault]

Nous avons donc pu voir l’impact que pouvait revêtir l’architecture publique et encore plus dans une période contemporaine en Europe et en France. Nous pouvons donc imaginer, en s’appuyant sur les outils de perceptions que nous avons mis en avant dans la partie précédente, que la constructions d’architecture publique contemporaine devrait mettre en accord ces nouveaux modèles sociaux 34

Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.12 35 Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.56

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mais pour cela elle devra s’appuyer sur une utilisation ou du moins un sollicitation plus complète des sens. Si l’architecture publique semble aujourd’hui s’orienter un peu plus vers le peuple (architecture participative), les ambitions écoresponsables (promotion des bâtiments à énergie positive) ou encore le bien-être et le partage entre les gens (multiplication de projets culturels et récréatifs), n’est-il pas utile de ce demander par quels médiums, nous pourrions atteindre ses ambitions ? Et c’est ici que la matérialité en architecture prend son sens. Il existe depuis longtemps de nombreuses caractéristiques, plus ou moins mise en avant, qui permettent de qualifier l’architecture et de lui transmettre ces intentions. Dans l’architecture publique, une nouvelle manière de penser la matérialité pourrait permettre d’amener ces transitions entre deux modèles de société. Par exemple, «pour

désigner une relation entre deux personnes, on a souvent recours aux notions de chaud et de froids ; ainsi, par exemple, quand deux personnes sont brouillées, on dit qu’elles sont en froid. Il en va de même pour l’espace qui a souvent pour connotation l’idée de chaud et de froid, idée qui va servir à évaluer sa signification »36. Il serait donc possible en théorie de modifier le rapport social entre un bâtiment et ses usagers en modifiant la perception au travers d’un travail sur la matérialité.

+ INFLUENCE DE LA MATERIALITE La matérialité en architecture évoque un domaine vaste et complexe qui permet de « donner matière » à des idées conceptuelles. On pourrait définir le terme matérialité par l’idée de « caractère, et d’existence sensible »37 d’une matière physique Nous avons vu précédemment l’importance nouvelle qu’elle peut revêtir dans la perception de l’espace quand celui-ci est vécu dans son intégralité et non seulement au travers des informations acquises visuellement. «Il me semble

qu’une autre perspective se dessine. Une tendance qui investirait dans l’homme, dans ses émotions, dans une recherche d’un mieux-être sensoriellement parlant, et dans une plus fine adaptation de l’espace à ses besoins psychologiques et émotionnels »38. C’est donc en partant de ce postulat que ce mémoire va chercher à montrer l’importance et l’influence de la matérialité dans l’architecture publique contemporaine. Si la perception de l’architecture est multisensorielle (M. Crunelle, 2001), on peut facilement imaginer en quoi la matérialité est un enjeu majeur. Si les volumes, les distances et les ombres peuvent être majoritairement compris par une simple acquisition visuelle des informations ; la texture, la fraicheur, l’ambiance sonore, la sensation chaleureuse et accueillante d’un lieu font appel à d’autres sens et ont donc besoin d’autres support pour être comprises. Mais avant d’être comprises ces sensations ont besoin d’un moyen de s’exprimer et dans un sens d’être maitrisées. C’est grâce notamment à une matérialité particulière que l’on peut proposer des usages spécifiques à un modèle spatiale générique. Gabriel MOSER et Katrine 36

Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, p.84

37 38

CNRTL, www.cnrtl.fr

Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.100

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WEISS ont travaillé sur ce sujet en cherchant l’influence – entre autres – de la matérialité sur un espace défini. «Les études d’observations sont utiles pour

analyser les affordances (opportunités) environnementales (Heft, 1988). Par exemple, on peut s’intéresser aux comportements que permet un mur bas dans le cadre de l’utilisation de l’espace, de manière à déterminer son rôle et sa valeur. On peut ainsi observer combien de personnes l’utilisent pour se reposer, pour se poser et bavarder, lire, etc… pour combien de temps, seules ou accompagnées. On pourra aussi se demander si des murs avec différentes orientations (face au nord ou au sud), ou avec des revêtements présentant des textures différentes, entraînent des comportements différents »39. Ce questionnement vient faire suite à la constatation que les rapports aux bâtiments et notamment à leur matérialité avaient changés. De bâtiments institutionnels forts et imposants, on imagine aujourd’hui des espaces permettant la discussion et l’échange, et d’une architecture de minéral massive – établissant un rapport de force entre l’usager et les pouvoirs – nous passons doucement à d’autres matérialité invitant à s’installer et par extension s’intéresser à la vie et aux occupations de ces même institutions. Le constat peut être le même avec les espaces médicaux et hospitalier (anciennement fonctionnalistes, froids et purs alors qu’aujourd’hui on favorise un environnement permettant de se rétablir plus vite), les espaces éducatifs et scolaires (organisation et rapport à l’enseignement et aux enseignants) ou encore les espaces sportifs (qui ne sont plus des espaces de confrontation simple, mais où des préoccupations comme le bien être prédomine). La société a évolué et continue sa transition, on notera comment les espaces culturels et muséaux, quand à eux, sont en train de passer d’espace élitiste à une composante de la culture commune. Pour ne parler que de ce dernier exemple, la matérialité joue un rôle prédominant dans la perception, l’utilisation et l’appropriation nouvelle de ces espaces. Pour ne parler que de l’aspect tactile dans ces espaces, Marc Crunelle nous dit : « Quand les gens parlent de toucher, ils ne pensent pas à cela, mais plutôt

à une autre forme de toucher, une forme interdite, celle précisément qui est sanctionnée dans les musées, endroit reflétant bien selon eux l’aspect puritain de notre société, dans son coté restrictif et non permissif. Le touche auquel ils pensent, est une forme de toucher-plaisir englobant tout aussi bien le fait de fouiller que de caresser, toucher pour explorer ou par curiosité »40, ce qui souligne bien cette préoccupation nouvellement pris en compte par de réels parti-pris matériels. Il est important de noter que si l’expérience plus approfondie de la matérialité et donc la perception plus globale d’un espace est désormais possible, c’est grâce au niveau d’avancement de la société en général. En effet, pour pouvoir atteindre ce niveau, il faut préalablement avoir accès à un niveau suffisant de confort. « C’est le

sens même de la recherche du confort, du confortable, qui sont directement fonction du degré de civilisation qu’il a établi. Un abri chaud en hiver et frais en été, des sols réguliers sur lesquels on ne trébuche pas, des matières non agressives, de la prévisibilité dans ses mouvements (marche d’escaliers de hauteurs constantes), 39

Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.67 40 Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.60

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des fauteuils confortables, des lits moelleux où « l’on ne sent plus son corps », etc… font que cette part d’énergie ainsi gagnée va être transférée à d’autre attentions, dans d’autres activités, parfois physique, mais surtout intellectuelles, émotionnelles, communicationnelles »41. C’est donc cette « facilité » de mouvoir et d’utiliser son environnement qui permet de se concentrer sur d’autres aspects et notamment tout ce que peuvent nous transmettre les matériaux et leurs mises en œuvre. Marc Crunelle rajoute d’ailleurs : « A ce moment, un autre aspect de la sensibilité tactile

va apparaître, plus sensuelle : celle où le corps, une fois au repos vis-à-vis des agressions, va faire place à la prise de conscience de la qualité des matériaux qui l’entourent (soyeux des tissus, élasticités des fauteuils, douceurs des reliefs) ainsi qu’à un certain sentiment de bien-être corporel. L’homme se sent bien, portera son attention aux autres, dialoguera plus facilement et communiquera davantage»42. Mais ce n’est pas uniquement la possibilité de prendre en compte la matérialité qui lui donne toute son importance dans l’architecture publique contemporaine. En effet, nous pouvons observer qu’aujourd’hui de nouvelles préoccupations émergent de notre société. Nous avons déjà évoqué précédemment l’écologie qui est un des enjeux majeurs dans un futur proche. Et cette préoccupation-là justifie aussi, l’influence et l’impact que peut avoir le travail particulier de la matérialité dans l’architecture. C’est d’autant plus vrai lorsque l’on évoque le bois dans l’architecture contemporaine publique. MOSER et WEISS observent lors de leurs travaux que : «L’évolution des modèles explicatifs de l’engagement dans la

préservation des qualités environnementales passe par l’intégration de la dimension affective positive développée dans le contact direct avec les éléments naturels, qui est un autre facteur prédictif du comportement proenvironnemental»43. Ce qui indique qu’une attention particulière apportée à la mise en relation des usagers et de matériaux naturels comme le bois, serait un point primordial (et notamment sur les scènes d’échange publiques que représente l’architecture publique contemporaine) pour sensibiliser et montrer l’importance des enjeux écologiques de demain. MOSER et WEISS rajoutent : « Selon cette

hypothèse, ce ne serait plus une dimension affective négative (indignation, culpabilité, colère) qui soutiendrait le lien entre la responsabilité et la conduite écologique, mais une dimension affective positive. Cet état affectif serait suscité par l’expérience d’une certaine affinité vis-à-vis de la nature (concepts avancés relatifs à emotional affinity, biophilia), ainsi que par la beauté de ses qualités esthétiques spécifiques»44. C’est donc bien par une attention toute particulière à leur matérialité et aux sensations transmises que ces espaces pourraient être les vecteurs d’une sensibilisation écologique globalisée. Pour étendre ce propos à d’autres concepts que l’écologie, nous pourrons prendre comme exemple différentes expériences menées par des équipes au Japon ou au Canada. Ces études cherchent à montrer l’importance de la matérialité et tout particulièrement du bois vis-à-vis d’environnements stressants ou 41

Ibid, p.22 Ibid, p.25 43 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.101 44 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.101 42

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d’environnements médicaux (hospitaliers). Dans le premier cas, c’est l’équipe de S.SAKURAGAWA & Al.45 qui montrent dans une expérience soumettant des sujets à un stress qu’ils s’adaptent, réagissent et récupèrent d’autant plus vite que la pièce où il se trouve est meublé d’éléments en bois (en comparaison à l’expérience similaire menée avec du mobilier en métal ou en plastique blanc). C’est donc que la matérialité a bien un impact sur les réactions psychologiques, physiologiques et comportementales du sujet. Les recherches étant effectuées dans un environnement totalement maîtrisé, on ne peut retranscrire à 100% l’influence du bois dans un contexte impliquant plus d’usager en même temps. Mais ce qui est quand même très intéressant est de noter l’intérêt du recours au bois au vu de son influence positive sur les sujets à toutes les étapes de l’expérience. En ce qui concerne la deuxième étude canadienne, elle a été réalisée par David FELL46 et démontre cette fois l’influence de caractéristiques matérielles sur la convalescence et le rétablissement des patients. Ses conclusions montrent que « à la fois le bien-

être physique, mesuré par des critères comme la pression artérielle, mais aussi le bien-être psychologique, évalués par des niveaux de stress, sont améliorés lorsque le bois est employé (traduction) »47. Encore une fois, une amélioration de l’expérience du lieu est notable grâce à l’emploi du bois. Nous avons vu dans cette partie toute l’importance que devait prendre la question de la matérialité dans l’architecture publique contemporaine. Les différents exemples et les différentes expériences menées semblent aussi tendre à dire que le bois possède des qualités intrinsèques qui pourrait permettre de palier aux actuelles lacunes dont peuvent faire preuve les constructions publiques. Cette première partie aura servi à mettre en avant les caractéristiques fondamentales qui permettent la perception et l’expérience d’un espace mais aussi le manque de prise en compte de certains paramètres dans la situation actuelle. En remédiant à ces lacunes, notamment en reconsidérant la place des autres sens dans la perception de l’espace architectural, cela permettrait de mieux prendre en compte le vécu réel et ainsi les informations et idées réellement transmises aux usagers du lieu. Cette transmission plus efficace prendrait tout son sens dans le cadre d’une architecture publique car comme il a été montré, elle est un lieu privilégié d’échange entre de nombreux acteurs de la société. Cette typologie est particulièrement touchée car elle est souvent mise en œuvre comme la démonstration à la fois d’un état actuel de cette société mais aussi de son évolution potentielle dans un futur proche.

45

S.SAKURAGAWA & Y.MIYAZAKI & T.KANEKO & T.MAKITA, 2005, « INFLUENCE OF WOOD WALL PANELS ON

PHYSIOLOGICAL AND PSYCHOLOGICAL RESPONSES» (Article Scientifique), Journal Of Wood Science, The Japan Wood

Research Society, 140p. 46 David FELL , 2015, « WOOD A S A RESTORATIVE MATERIAL IN HEALTHCARE ENVIRONMENTS » (Article Scientifique),CANADA, FPInnovation, 35p. 47 Ibid, p.16

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

+ LE BOIS, MATERIAU AUX MULTIPLES FACETTES ? Après avoir introduit les différents principes théoriques qui posent les bases du travail de ce mémoire, cette partie s’intéressera plus directement aux caractéristiques particulières du bois. Nous avons vu l’ensemble complexe des sens auquel faisait appelle la perception de l’espace et ce qu’impliquait cette perception dans le cadre d’architecture publique contemporaine. La première sous-partie s’intéressera particulièrement aux caractéristiques et au potentiel écologique du bois, en définissant d’abord le terme « écologie » puis observant les opportunités que présente ce matériau. Ensuite nous, une seconde sous-partie s’intéressera au bois à travers le prisme de la phénoménologie. De la même manière en définissant ce domaine ainsi que les composantes qui nous intéressent dans notre cas, puis en mettant en avant les propriétés sensorielles intéressantes et sous-exploitées du bois. Enfin, dans la dernière sous-partie, c’est le caractère évolutif du matériau qui nous intéressera aussi bien dans sa mise en œuvre que dans le matériau lui-même ou dans ses applications formelles. Cette partie a donc pour but d’émettre des hypothèses théoriques sur les raisons ou les avantages de l’emploi d’un tel matériau dans l’architecture contemporaine publique.

+ UN MATERIAU ECOLOGIQUE ? Dans ce premier regard sur les caractéristiques du bois, nous allons nous intéresser à son rapport avec l’écologie et le développement durable. Pour commencer il semble important de définir le terme « écologie ». D’après le CNRTL, l’écologie est :

« La science qui étudie les relations entre les êtres vivants (humains, animaux, végétaux) et le milieu organique ou inorganique dans lequel ils vivent »48. Dans le cas des sciences sociales et donc de l’application particulière à l’homme et son environnement, elle est définie ainsi : « Études des relations réciproques entre l'homme et son environnement naturel, moral, social, économique»49. C’est donc à la fois une notion qui évoque les relations interdépendantes entre un organisme et son environnement mais aussi avec les composantes – notamment sociale et économique – que le compose. Par extension et dans le domaine de l’architecture, l’écologie sert à désigner toutes les démarches par lesquels nous tendons à nous inscrire dans une démarche responsable et durable (encore une fois aussi bien environnementalement parlant, qu’économiquement ou socialement). Dans le cadre de ce mémoire, c’est donc les caractéristiques du bois qui adhéreront avec ces principes qui feront l’objet d’un questionnement afin d’essayer d’établir des hypothèses justifiant le recours au matériau bois dans l’architecture publique contemporaine. Le bois peut être qualifié de matériau durable et responsable pour plusieurs et à plusieurs échelles. Pour commencer, si l’on part de son origine, c’est une ressource naturelle renouvelable et relativement abondante dans de nombreuses zones géographiques. Contrairement à d’autres matériaux de constructions c’est une ressources qui, si elle est gérée de manière responsable est inépuisable. De plus, sa 48 49

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr Ibid

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disponibilité régionale dans de très nombreux endroits de la planète est un avantage indéniable. Cela donne l’opportunité de mettre en place des circuits courts, allant de l’extraction de la ressource jusqu’à sa mise en œuvre finale en passant par tout son processus de transformation, le tout dans une zone géographique restreinte. Cela présente des intérêts écologiques et économiques importants qui vont au-delà du simple bâtiment car cela met aussi en place une dynamique en termes de savoir-faire d’extraction et de production locale qui sont souvent très intéressant pour le développement de la filière et de la région. 5. Carte de la répartition et de la concentration des ressources en bois sur le territoire européen. [Cartographie ENEA]

Pour soutenir cette hypothèse des avantages écologique et économique du recours au bois, nous pouvons prendre l’exemple du Centre Culturel de SKELLEFTEA par l’agence d’architecture suédoise White Arkitekter. Ce projet au nord de la Suède s’appuie à la fois sur une ressource locale abondante mais met aussi en avant « une tradition d’architecture en bois qui ont inspiré le design »50. En effet, la matérialité du projet a ici servi à asseoir le projet dans son contexte direct. Les architectes rajoutent d’ailleurs : « l’industrie forestière et les savoir-faire constructifs de la région ont joué un rôle important dans l’élaboration du projet »51. 6. Réalisation d’un bâtiment public important en utilisant les savoirs faire et les ressources locales pour assoir son implantation dans le contexte. [Skelleftea Cultural Center _ White Arkitekter]

50 51

(Traduction) http://en.white.se/projects/culture-house-in-skelleftea/ Ibid

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Cette démarche peut d’ailleurs aussi se retrouver dans d’autres régions qui possèdent une ressource abondante en bois. C’est le cas du Vorarlberg – Land situé à l’ouest de l’Autriche – qui fait office de précurseur dans l’utilisation de ce matériau local. Mais les acteurs de cette région ont poussé plus en avant encore les opportunités offertes par le bois. Entre le matériau brut et le matériau mis en œuvre, un certain nombre de transformation lui sont appliqués et ces opérations génèrent des déchets. C’est ici que le bois possède une qualité supplémentaire visà-vis d’autres matériaux de construction, car ses déchets sont directement valorisable. Quand l’on sait qu’aujourd’hui, « 46% des structures démolies au Royaume-Uni n’avait qu’entre 11 et 32 ans au moment de leur destruction »52 et que

« la même étude montre qu’au Japon, la durée de vie moyenne des bâtiments de bureau se situe entre 23 et 41 ans »53, il semble plus qu’important de reconsidérer l’importance des déchets dans la construction. On peut alors utiliser ces rebuts et autres sciures pour créer en premier lieu d’autres produits dérivés du bois comme certains types d’agglomérés mais aussi en les transformant en combustible. On transforme alors directement ce qui est habituellement une perte en énergie. Cette démarche est aussi valable en fin de vie d’un bâtiment, où les éléments en bois peuvent recycler jusqu’à terminer leur cycle de vie en source d’énergie calorifique. Cette énergie peut donc être directement réemployée dans l’équipement public en question pour alléger sa consommation et donc son empreinte énergétique. Pour reprendre l’exemple du Vorarlberg, en 2008, grâce à ce système de valorisation des déchets, « 20% de l’énergie nécessaire au chauffage était fourni par la biomasse » 54 dans le Land. Et dans certaines communautés de communes, la barre des 50% a été atteinte55. 7. Représentation du cycle de vie du bois et des différentes opportunités de réemplois qu’il offre. [Schéma concept]

Pour citer un exemple concret des bénéfices que peut apporter le recours au bois en termes de gestion et des valorisations des déchets de toute la filière, nous pouvons regarder l’exemple de la Centre à Biomasse de Lech, réalisé par Hermann Kaufmann. Le bâtiment, construit principalement en bois car se situant dans une zone où les forêts sont nombreuses et où les industries d’extraction et de transformation sont très actives, récupèrent les déchets de ces activités pour les 52

O’Connor, J. & Dangerfield, J., 2004, « THE ENVIRONMENTAL BENEFITS OF WOOD CONSTRUCTION», In proceedings, 8th World conference on timber engineering, p. 171-176 53 Ibid 54 Dominique GAUZIN-MÜLLER, 2009, « L'ARCHITECTURE ECOLOGIQUE DU VORARLBERG: UN MODELE SOCIAL, ECONOMIQUE ET CULTUREL » (Livre), Le Moniteur Éditions, p.155 55 Ibid

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

valoriser. Cet équipement transforme ainsi cette masse en énergie qui sert à chauffer la plupart des équipements de la commune. De plus, le lieu d’implantation n’a pas été choisi de manière anodine : il se situe à l’entrée de la ville, comme un symbole des efforts et des engagements des institutions locales envers les habitants et les touristes. Le bois est ici donc producteur d’énergie et de symbole social. 8. Bâtiment qui met en œuvre ces principes écologique à la fois dans sa construction mais aussi dans son activité quotidienne par la récupération de biomasse végétale. [Centrale à Biomasse _ Hermann Kaufmann]

Les avantages énergétiques et les bienfaits qui découlent de l’utilisation du bois dans l’architecture et notamment dans l’architecture publique contemporaine sont aussi applicables à de plus grande échelle. L’amélioration au niveau énergétique (au niveau global, c’est-à-dire aussi bien au niveau de la consommation que de l’énergie grise) participe à l’amélioration de nos équipements et autres ensembles urbains à l’échelle du quartier ou de la ville. L’énergie gris peut d’ailleurs être définie comme «la quantité d'énergie nécessaire lors du cycle de vie d'un matériau ou d'un

produit : la production, l'extraction, la transformation, la fabrication, le transport, la mise en œuvre, l'entretien puis pour finir le recyclage de ce matériau »56. On peut aussi ajouter que le bois pourrait être un grand allié au sein des villes. En effet, chaque arbre « est capable de stocker jusqu’à 1 tonne de CO2 »57. « En considérant

le fait que 36% des émissions de carbone totales en Europe proviennent de l’industrie du bâtiment, [et représente] même 39% aux États-Unis »58, il semble non-négligeable de prendre en compte cette caractéristique très intéressante du bois. Ces avantages présentés par le matériau bois pourrait amener à améliorer à la fois les conditions sanitaires mais surtout sociales et de vie en général au sein de grandes agglomérations.

56

http://www.bepos.fr/energie-grise (Traduction) Eduardo WIEGAND, 2016, « THE COMPACT WOODEN CITY: A LIFE-CYCLE ANALYSIS OF HOW TIMBER COULD HELP COMBAT CLIMATE CHANGE» (Article numérisé), http://www.archdaily.com/ 58 Ibid 57

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9. Les arbres fixes le CO2 pendant qu’ils poussent et relâche de l’oxygène. Une fois coupé et employé dans la construction, le bois stock définitivement cette quantité de Dioxyde de Carbone absorbée. [Schéma de principe de consommation de CO2 par un arbre]


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Le travail de Michael GREEN peut notamment être cité avec sa proposition lauréate BAOBAB pour le concours Réinventer Paris. Ce projet est issu d’une réelle démarche pour limiter l’impact environnementale des prochaines grandes interventions dans Paris en tirant le meilleur parti du bois. On observe aussi une volonté de proposer, par les dispositions spatiales et la matérialité, une autre façon d’imaginer la vie ne communauté. La matière vient aussi au service de cette écologie sociale. Michael Green dit d’ailleurs à propos de cette proposition qu’elle cherche « à atteindre de nouveaux sommets en terme de bâtiment durable en bois

[…] comme un modèle pour de futurs projets tout autour du monde ».59

10. Projet prototype qui teste de nouvelle matérialité afin de réduire l’impact écologique des grandes opérations urbaines du futur. [Baobab, Réinventer Paris _ Micheal Green]

Dans cette sous partie nous avons donc pu observer les différentes caractéristiques du bois concernant son potentiel écologique et durable, en établissant un certain nombre d’hypothèses sur les avantages qu’il peut présenter de la gestion de sa ressource jusqu’à sa fin de vie. Ces hypothèses – comme les suivantes qui nous émettrons seront mise à l’épreuve dans la troisième partie de ce mémoire. Il semble pour le moment que le matériau soit apte et adapté pour répondre aux enjeux présentés précédemment dans l’architecture publique contemporaine. Mais ce ne sont pas les seuls caractéristiques qui semble poser la légitimité du bois dans cette typologie, c’est pourquoi nous allons maintenant étudier la suivante.

+ UN MATERIAU AUX PROPRIETES PHENOMENOLOGIQUES ? Pour ce deuxième regard sur les caractéristiques propre au bois, nous allons prendre en compte et essayer de mettre en avant tout ce que ce matériau pourrait apporter d’un point de vu phénoménologique. Encore une fois pour commencer, il est important de définir ces termes. A l’origine, la phénoménologie est un courant philosophique qui se défini comme : « l’observation et la description des

phénomènes et de leurs modes d’apparition considéré indépendamment de tous jugements de valeurs »60. Plus tard lorsque ce concept a été repris par les sciences humaines, il a été défini ainsi : « Étude des faits de l'expérience vécue, 59 60

(Traduction) http://mg-architecture.ca/work/reinventer-paris/ Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

indépendamment des principes ou des théories (étude des rapports du sujet humain avec le monde, de la signification de la réalité sociale...) »61. En architecture, le terme s’appuie sur ces définitions philosophiques et des sciences humaines pour donner un nouveau regard, une nouvelle approche à l’architecture. La phénoménologie architecturale donne au travail de la perception et de l’expérience vécue de l’espace une importance fondamentale dans la conception du projet et propose de repenser le rapport de l’usager au monde qui l’entoure. Pour ne citer que deux exemples, on pourrait se référer à Daniel LIBESKIND ou encore Peter ZUMTHOR comme des architectes de renom qui porte une attention particulière à cette démarche. Quand au bois, c’est un matériau qui possède de nombreuses qualités qui permettraient de rendre l’expérience de l’espace globale (dans le sens où l’entend Marc Crunelle comme détaillé dans la première partie de ce mémoire) au travers des interactions possibles avec tous les sens perceptifs. Tout d’abord, considérons les aspects du matériau qui font appel au système haptique du corps humain. Comme nous l’avons vous dans le chapitre « La perception de l’espace en architecture », ce système regroupe l’ensemble des sensations reliées au chaud, au froid, aux pressions et à la douleur en y ajoutant la kinesthésie. Cet ensemble de données acquis par notre corps sont une forme assez pragmatique – bien que peu mis en avant actuellement – d’expérimenter un espace. Le bois possède différentes possibilités de finitions et de textures qui peuvent permettre de jouer sur ces effets de contact et de prise d’information. De plus c’est un matériau qui généralement est vu et vécu comme chaud et agréable62 mais aussi qui encourage l’autre forme de toucher : le toucher exploratoire (ou toucher plaisir comme défini par Marc Crunelle et abordé dans le premier chapitre). 11. Un des nombreuses finitions possibles du bois, lui conférant cette fois ci un aspect lisse et doux avec des formes permettant de s’y lover. [Omicron Campus _ Untertrifaller Architekten]

Pour pousser la réflexion plus loin, nous pouvons prendre comme exemple le travail de l’agence Snøhetta avec le Norvegian Wild Reindeer Pavilion, où un gros travail a été réalisé sur l’expérience du lieu grâce à la matérialité. Ce travail commence directement avec le premier contact de l’usager à l’extérieur de ce bâtiment qui – par la mise en place d’une paroi de bois ondulante – vient trancher avec la minéralité omniprésente des environs. Une fois que l’on pénètre à l’intérieur du pavillon, c’est l’idée d’une sensation de chaleur aussi bien visuelle (contraste avec le paysage extérieur froid et hostile) que physique (le bois restituant 61 62

Ibid Ce thème sera développé dans un chapitre de la troisième partie du mémoire «L’expérience des usagers »

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doucement la chaleur du poêle) qui a été tentée d’être mise en place. Les architectes ont voulu imaginer cet endroit comme « un lieu chaleureux et de rassemblement »63. Ce volume de bois vient donc allier la forme et la matière pour créer un espace accueillant qui invite à se lover, se détendre et explorer. Cette exploration est permise par ce sentiment de sécurité et de bien-être qui libère l’esprit (Marc Crunelle, 2001) et qui permet d’envisager l’exploration tactile de l’espace mais aussi visuelle du paysage. Cet exemple met en avant la possibilité qu’offre le matériau bois à créer un lieu et même une atmosphère simplement par ses propriétés sensorielles. 12. Un espace en oppositon matérielle radicale avec son environnement afin de le sublimer. [Norvegian Wild Reindeer Pavilion _ Snohetta]

Mais ce n’est pas seulement par le toucher que le bois peut créer des atmosphères et une relation particulière avec l’usager. En effet nous allons maintenant aborder les aspects du matériau qui font appel à des propriétés acoustiques intéressantes. Si l’on repart du constat établi dans le premier chapitre qu’il faut considérer l’espace vécu comme un volume englobant et non un espace vide (Marc Crunelle, 2001). Une atmosphère sonore permet d’avoir un vécu totalement différent selon si l’environnement est bruyant ou silencieux, qu’il permet de se faire entendre de tous ou au contraire de discuter dans l’intimité. Ces ambiances sonores des bâtiments publics peuvent grandement aider dans la représentation que se font les usagers des institutions. En reprenant les idées développées par Karine Weiss et Gabriel Moser concernant la préconception mentales que l’on se fait d’un espace en fonction des aprioris que l’on en a, on peut imaginer qu’un modèle de bâtiment avec une atmosphère plus attirante aurait tendance à créer une bonne image des institutions qu’ils représentent et par extension, pourrait engendrer une volonté de s’impliquer dans cette société. Cela rejoins notamment le reste de leurs écrits qui implique qu’un travail de la matérialité par le prisme de l’affectif positif pourrait amener des résultats très intéressant (Moser & Weiss, 2003). Une nouvelle hypothèse semble donc émerger, mettant en avant la possibilité du bois d’avoir cette capacité de créer un environnement physique, sonore ou globalement sensoriel dont le contact et l’expérimentation sont plaisants pour l’usager. L’exemple même de cette gestion possible offerte par le bois peut se retrouver dans les très nombreux théâtres,

63

http://snohetta.com/projects/2-tverrfjellhytta-norwegian-wild-reindeer-pavilion

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opéras et autres salles de représentations contemporaines qui sont le plus souvent habillées de ce matériau. 13. Une des nombreuses salles modernes d’opéra ou de théâtre recouvert quasi exclusivement de bois. [Harbin Opera House _ MAD]

Pour prendre un exemple de ce propos, nous pouvons regarder le travail réalisé par AEdifica avec la Maison Symphonique de Montréal. La salle de représentation est entièrement vêtue de bois et ce choix a été fait après plusieurs discussions avec les musiciens et le chef d’orchestre. En effet la volonté était à la fois d’obtenir une salle « chaude » (dans le sens de chaleureuse et à l’acoustique adapté à l’orchestre symphonique. Ces choix ont permis de proposer un espace avec une cohérence et un fonctionnement global. Le chef d’orchestre virtuose de l’orchestre s’est d’ailleurs exprimé et estimé très satisfait que les spectateurs puissent vivre « une véritable expérience symphonique globale »64. Ces performances techniques et notamment acoustiques servent aussi le parti architecturale et c’est cette relation qui crée la force et la cohérence de cet environnement global en bois. En effet, à l’image d’un instrument de musique, la salle de représentation se transforme elle-même en instrument et ce grâce au bois. Les architectes ont créé un «espace à acoustique variable»65 qui permet de créer l’ambiance sonore adaptée à chaque représentation à la manière d’un instrument de musique. C’est donc bien la matérialité qui a ici permis de retranscrire ces concepts environnementaux en atmosphère réelle et expérimentable. 14. La grande salle de représentation qui possède des possibilités de réglages acoustique (grâce au bois) pour donner une expérience symphonique globale. [Maison symphonique de Montréal _ AEdifica]

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Kent Nagano, dans CECOBOIS, automne 2012 http://m.aedifica.com/fr/expertises/architecture/maison-symphonique

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Pour continuer sur la création d’atmosphère englobante faisant appel à d’autre sens ; il existe encore une autre caractéristique naturelle du bois à exploiter : les propriétés olfactives. C’est un sujet qui reste très peu évoqué dans nos architectures publiques contemporaines car comme énoncé dans le premier chapitre, «il n’y a jamais réellement de parti olfactif, de démarche consciente pour intégrer les odeurs aux espaces, ou d’espace construit autour d’une odeur»66. Et pour cause, il est difficile de parfaitement maitriser ces caractéristiques olfactives dans un bâtiment public normé tant elles sont volatiles. Cependant, après avoir recueilli l’avis de centaines d’usagers, la notion de bonne odeur du bois revient régulièrement67. Pour certains, c’est même un point très positif de ce matériau car il fait appel à des souvenirs d’enfance agréables. Nous observons donc encore une fois l’importance de la préconception des espaces énoncée par Moser & Weiss68 et pour aller plus loin nous pouvons aussi évoquer l’importance que peuvent prendre les perceptions olfactives et les associations que les usagers en font, comme montré dans les expériences de Suzel Balez69. Le bois pourrait donc aussi permettre de travailler des ambiances olfactives positives pour une meilleure appréhension des bâtiments publics contemporains. Mais ce n’est pas tout, on pourrait aussi imaginer la création d’autres environnements olfactifs qui permette de faire passer d’autres type d’informations à l’usager. Dans cette démarche particulière et peu utilisée, nous pourrions citer Peter Zumthor et son travail sur la Chapelle Bruder Klaus. Dans ce projet, le bois n’est plus présent physiquement à l’intérieur du lieu de recueillement mais il est toujours là sensoriellement parlant. On peut le deviner aussi bien visuellement – par les résidus et la texture sur les murs – qu’olfactivement parlant – par l’ambiance et l’odeur générale régnant dans la chapelle. En effet après avoir réalisé le volume intérieur avec des troncs massifs, puis coulé l’enveloppe en béton autour, Zumthor a choisi de mettre le feu à l’intérieur même du bâtiment pour laisser se consumer le bois. La symbolique de ce geste est double, à la fois pour la purification de cet espace sacré par le feu, mais aussi par la mise en place d’un lieu de mémoire et de contemplation pourtant sans vues. C’est ici que le bois brûlé et son odeur imprégnant les murs en béton viennent jouer leur rôle en créant cette atmosphère de souvenir recherché. 15. Les traces laissées par les troncs calcinés sont toujours visible et l’odeur imprégnée dans les murs afin de conférer des propriétés spatiales et symboliques particulière au lieu [Chapelle Bruder Klaus _ Peter Zumthor]

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Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, p.50 67 Cette partie sera développé plus en détail dans un chapitre de la troisième partie du mémoire «L’expérience des usagers » 68 Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, p.65 69 Suzel BALEZ, 2001, « AMBIANCES OLFACTIVES DANS L’ESPACE CONSTRUIT » (Article Scientifique), Université de Nantes, 290p.

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Comme nous avons pu le voir avec ces trois catégories de caractéristiques propres au bois, ce matériau peut légitimement être considéré comme une possibilité pour une approche multisensorielle. Le bois répondrait alors entièrement à une approche phénoménologique de l’architecture. C’est donc un matériau capable – au travers de ses propriétés de retranscrire une foule d’émotion pour les usagers qui parcours l’espace et donc légitime pour son utilisation dans les bâtiments publics contemporains. Nous allons nous pencher sur une troisième facette de ce matériau afin d’essayer d’en saisir l’ensemble des caractéristiques le composant.

+ UN MATERIAU EVOLUTIF ? Dans cette troisième approche des caractéristiques du matériau bois, c’est sa relation avec les domaines de l’innovation et des évolutions qu’il pourrait connaître qui nous intéresserons. Pour commencer nous allons redéfinir les notions de matériau évolutif et d’innovation. Tout d’abord évolutif se dit de quelque chose « qui engendre ou qui résulte d’une évolution »70 alors qu’innovation se définit par

« la capacité d’introduire du neuf dans quelque chose qui a un caractère bien établi »71. En architecture, et plus particulièrement lorsque l’on parle de matière, le potentiel d’innovation peut résider dans différentes catégories. Tout d’abord, on peut imaginer le bois comme un matériau éprouvé depuis des années et chercher plutôt à faire évoluer sa mise en œuvre. Cela revient d’ailleurs aussi à travailler sur les symboles qu’il représente et sa place dans la société. Mais on peut aussi considérer le matériau comme évolutif en soi, ayant et pouvant encore évoluer. Ce parti-pris ci fait donc appel aux nouvelles connaissances disponibles pour faire évoluer l’ensemble au sein même de la matière. Enfin, le potentiel d’innovation peut s’exprimer d’une troisième manière, en extension ou non des deux précédentes, par la recherche d’évolution formel. Bien sûr, la mise en œuvre est aussi questionner dans ce cas, mais l’intérêt porte moins sur la technique que le processus de pensée ou l’objet formel non standard et les nouvelles interactions qu’il crée. Par objet non standard est entendue la définition donnée par Chiara Silversti : « Les architectures non standard veulent explorer les possibilités des

alternatives à la logique de la répétition, qui sont possible avec les techniques productives contemporaines et qui permettent par exemple la personnalisation des composants ou la création de forme complexe »72. Dans le cas du bois, il existe des personnes qui travaillent sur ces trois types d’innovation et nous allons chercher à voir dans quelles mesures ces avancées pourraient être bénéfiques et légitimes dans une application directe dans l’architecture publique contemporaine. Intéressons-nous en premier lieu au symbole et à la mise en œuvre. Une première forme d’innovation pour un matériau réside donc dans le procédé concret de son application dans un projet. En effet, on peut penser qu’une partie de nos matériaux contemporains sont à un stade de développement avancé et que ce sont les techniques vernaculaires qu’il faut repenser ou remettre à jour pour répondre aux 70

Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr Ibid 72 Chiara SILVESTRI, 2009, « PERCEPTION ET CONCEPTION EN ARCHITECTURE NON-STANDARD » (Article scientifique), Université Montpellier II - Sciences et Techniques du Languedoc, p.15 71

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

problématiques actuelles. La mise en œuvre elle-même pose des questions dans ces formes d’évolution. On peut se demander si cela doit être une remise au goût du jour de techniques connues dans un modèle d’application contemporain. C’est le cas de la recherche d’Erwin Thoma sur le travail théorique des assemblages bois traditionnels dans les procédés industriels modernes. Il le décrit lui-même comme

«c’est le secret ancestral de nos traditions vernaculaires, validé par la recherche moderne»73. Dans son application concrète, ses recherches l’ont mené à utiliser les principes des chevilles en bois traditionnels, adaptés de manière à obtenir des panneaux structurels toute hauteur en bois sans recours à aucune vis, ni clou, ni même colle74. En termes de symbolique, ce travail cherche aussi à redonner ses lettres de noblesse à un matériau beaucoup hybridé ces dernières années alors qu’il possède naturellement les caractéristiques suffisantes pour répondre aux contraintes modernes (résistance au feu, économie, écologie, etc…)75 sans additifs. 16. Échantillons de la gamme de cloisons assemblés uniquement par chevillage en bois. [Holz100 _ Erwin Thoma]

Une autre voie d’évolution de la mise en œuvre peut être celle du progrès et de l’innovation dans des procédés nouveaux d’application. Le recours à de nouvelles techniques chercherait à pallier aux problèmes actuels et futurs. Cette fois-ci, nous pouvons nous pencher sur le travail de Michael Green dans son projet, utopique mais réalisable, Empire State of Wood. Dans cette démarche, l’architecte a cherché à recréer l’iconique Empire State Building mais intégralement en bois pour prouver que les techniques de productions et d’assemblages étaient aujourd’hui capable de produire des immeubles de très grandes hauteurs. Tout a été pensé pour conserver « la taille globale, l’espacement des étages ainsi que celui des colonnes comme dans la structure originelle »76. La portée symbolique de l’intervention est évidente dans le sens où « nous associons habituellement les bâtiments comme

l’Empire State Building avec une ère de progrès et d’innovation en architecture et en ingénierie. C’est une manifestation physique du progrès et des possibilités »77. Le recréer en bois montre donc un nouvel été d’avancement technique et social, reflet possible de notre société dans un futur actuelle et de ces préoccupations pour le futur. Cette fois, l’hypothèse qui semble se dégager impliquerait que le matériau

73

https://www.espazium.ch/bois-naturel-et-prjugs-artificiels Ces panneaux sont aujourd’hui commercialisés sous la référence HOLZ 100 75 https://www.espazium.ch/bois-naturel-et-prjugs-artificiels 76 (Traduction) http://mg-architecture.ca/work/empire-state-of-wood/ 77 Ibid 74

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bois possède les qualités techniques suffisantes et offre des opportunités de mises en œuvre pour représenter ce changement. Une deuxième forme d’innovation prend origine dans une recherche centrée sur le matériau lui-même. « Le bois est le matériau le plus performant que la Nature ait élaboré sur des centaines de milliers d’années »78 et aujourd’hui grâce à des connaissances nouvelles en chimie et en biologie, nous sommes capables de lui faire franchir un nouveau cap. Innover dans la matière c’est aussi chercher à créer les clés pour relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Dans ce domaine de l’innovation dans la matière et particulièrement du bois, il semble important d’introduire les travaux de Timothée Boitouzet et son innovation WOODOO. WOODOO est le résultat du questionnement d’un architecte sur un matériau abondant et sous exploité. Grâce à des études en chimie et en biologie, il a réussi à extraire la lignine du bois – substance qui compose majoritairement ses fibres avec l’air – afin de la remplacer avec une résine végétale. Le résultat est surprenant et sans appel. Premièrement, le bois a acquis une nouvelle caractéristique impossible à envisager jusque-là : il est désormais translucide. Mais les améliorations du matériau ne s’arrêtent pas là puisque « le bois en devient imputrescible, trois fois plus rigide que le bois d’origine et plus résistant au feu »79 . Cette innovation du matériau permet d’envisager des options et des applications en plus large pour le bois dans l’architecture publique contemporaine. Les notions de transparence – aussi bien physique que symbolique – pourraient être remises en cause par ce nouveau stade du bois. 17. Echantillon de bois transformé, avec ses nouvelles propriétés comme la translucidité. [WOODOO _ Timothée Boitouzet]

Troisièmement, l’innovation peut aussi chercher à interroger les applications formelles d’un matériau. Cela rejoint en partie la démarche sur la mise en œuvre mais comme énoncé dans l’introduction, c’est cette fois le procédé créatif et sa résultante formelle qui nous intéresse. Envisager de travailler une matière à la façon d’une autre ou via des outils non-habituels peut permettre de révéler de nouvelles opportunités pour le bois. Pour aller plus loin dans cette recherche, Yves Weinand ajoute : « la connotation du bois en tant que « matériau traditionnel »

représente un avantage pour légitimer socialement les recherches plus avancées sur les formes complexes et les surfaces libres »80. Innover dans la forme est aussi 78

Thimothée BOITOUZET, « ET SI LE BOIS DEVENAIT LE MATERIAU DU XXIEME SIECLE », 2017, L’échappé Belle Ibid 80 Yves WEINAND, 2010, « TIMBER PROJECT » (Livret d’exposition), Lausanne, SUISSE, École polytechnique fédérale de Lausanne, p.7 79

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

un moyen de questionner les applications courantes du bois dans la société et de sa valeur social. Pour son application dans l’architecture contemporaine publique, c’est la création de ces formes nouvelles qui permet la création de nouvelles typologies d’espace et donc de nouvelles interactions sociales très importante dans une société en évolution constante. 18. Exemple des différentes expérimentations des étudiants de l’atelier Ibois de l’EPFL. [Timber Project _ Yves Weinand]

Nous pouvons citer dans cette démarche le travail de l’agence dECOI et spécifiquement pour le bois, leur travail sur la rénovation de bureaux « One Main Office ». L’utilisation d’outils numérique pour l’usinage leur a permis de « fraiser

tous les éléments intérieurs en contreplaqué d’épicéa – cultivé de manière durable –, les données numériques formant la ressource renouvelable qui absorbe le CO2 »81. Recherche de nouveauté formelle et pensée écologique sont combinées pour accentuer la force du message de cette institution engagée dans le développement durable. 19. Mise en œuvre spatiale innovante grâce au recours aux nouveaux outils numériques. [One Main Office Renovation _ dECOI Architects]

Un autre travail, partant de la même démarche, peut être cité ; c’est celui de l’agence PRODUCE Workshop et de leur installation « FabricWood ». Cette fois, la recherche formelle a entrainé les designers à travailler le bois dans des épaisseurs très fines pour l’envisager comme un tissu. « Le processus a commencé avec la

découpe à la laser d’un motif sur une surface plate en bois. L’équipe a ensuite employé une technique de couture appelé « darting » pour coudre les fentes, 81

(Traduction) https://www.decoi-architects.org/2011/10/onemain/

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

permettant au bois de se plier à la manière d’un tissu reposant sur un corps »82. La recherche formelle est cette fois au service de l’expérience du lieu en faisant appel aux propriétés phénoménologique – évoqué dans la sous partie précédente – du matériau pour proposer une expérience unique. 20. Réinterprétation des propriétés du matériau pour expérimenter de nouvelles mises en œuvre et de nouvelles formes. [FabricWood _ PRODUCE Workshop]

Au travers de ces différents volets d’étude et de ces différentes applications dans des projets d’architecture, nous avons pu apercevoir les principales hypothèses sur caractéristiques du bois. Du potentiel d’intérêt écologique et économique (de la gestion de la ressource jusqu’à son recyclage en fin de vie), en passant par ses propriétés intéressantes pour une approche phénoménologique de l’architecture (par sa capacité a sollicité l’intégralité de nos sens et non seulement la vue) ainsi que son caractère évolutif (par son potentiel d’innovation déjà en marche), le bois semble présenter un des avantages certains. Il semble répondre notamment aux problématiques théoriques soulevées dans le premier chapitre de ce mémoire sur les bâtiments publics, leurs perceptions et surtout sur ce que pouvait et devait ambitionner la production en architecture contemporaine publique. Mais si ces hypothèses semble être en adéquation avec les questionnements théoriques du domaine il convient maintenant dans quelle mesure cette retranscription pratique des intentions des concepteurs est vécue par les usagers. En effet, une des limites possible à la mise en œuvre de ce matériau pourrait non pas provenir de ces caractéristiques propres mais des préjugés qui le concernent ou plus globalement de son acceptation ou non dans la société. Nous allons donc nous intéresser au ressenti réel des usagers dans ces lieux dans la troisième partie de ce mémoire.

82

(Traduction) http://produce.com.sg/

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+ PERCEPTION DU BOIS PAR LE GRAND PUBLIC Ce troisième grand chapitre du mémoire aura pour but de mettre en avant un nouveau point de vue vis-à-vis de l’architecture contemporaine publique en bois. C’est cette fois par le prisme du regard des usagers qui nous chercheront à déterminer dans quelles limites peuvent s’appliquer les hypothèses soulevées dans le chapitre précédent. L’usager confère un nouveau point de vue et surtout un vécu de l’espace direct sans surinterprétation possible, qui donnera de la profondeur aux propos portés jusqu’à présent. Par usagers nous pouvons définir toute personne qui pratique, expérimente, vit l’espace d’une manière à être confronter à ses volumes et ses fonctions mais aussi sa matérialité. Et c’est dans ce cadre que les interactions qui nous intéresse s’opèrent, mettant à l’épreuve les intentions conceptuelles des architectes. Pour étudier ces écarts nous ferons tout d’abord un point théorique sur la méthodologie employée et sur les études qui servent de comparatif avec les hypothèses théoriques. Dans une deuxième partie nous analyserons une partie de ces résultats pour en tirer des conclusions plus ou moins concordantes aux idées du deuxième chapitre de ce mémoire.

+ METHODOLOGIES Pour essayer de cerner l’expérience réelle d’usagers au sein de ces bâtiments, nous appuierons notre propos sur deux études différentes. Tout d’abord un questionnaire réalisé personnellement et diffusé par mail et par les réseaux sociaux pour obtenir le panel de réponse le plus large et varié possible. Et en comparaison, nous regarderons une étude sociologique menée par Stéphane Chevrier et l’agence MANA, sur 11 sites architecturaux différents (seul les 7 sites portant sur des bâtiments publics seront pris en compte afin de rester dans le cadre théorique défini dans ce travail de mémoire) et qui se compose d’une phase de visite et d’un retour d’usager. Pour parler de la première enquête, elle a été réalisée par la mise en place d’un questionnaire « Google Forms » et a permis de récolter 211 réponses d’hommes et de femmes de catégories variées – principalement en architecture mais aussi dans l’industrie, l’enseignement, les ressources humaines, le droit, etc… ainsi que quelques spécialistes dans le domaine du bois comme la menuiserie ou l’ébénisterie – et d’une tranche d’âge assez vaste (18 à 79 ans). Les questions ainsi que les échantillons de réponse sont disposés en annexe de ce mémoire. Pour parler de la forme même du sondage, il s’organise en 6 parties : premièrement une présentation générale demandant le sexe, l’âge ainsi que le domaine d’activité et la région d’origine afin de vérifier s’il existe des tendances ou des corrélations en fonction des profils. Ensuite la partie suivante développe des questions afin d’appréhender les aprioris et les préjugés de ces usagers dans leur rapport quotidien à l’architecture en bois. Les trois prochaines parties se développent sous un format commun et cherchent à éprouver les hypothèses soulevées dans la deuxième grande partie de ce mémoire sur les sujets comme l’écologie, la 39


La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

phénoménologie ou encore l’innovation avec le bois. Enfin une dernière partie sert de conclusion sur cette réflexion du rapport et de la légitimité estimée du bois. Il s’agissait donc ici de mettre en avant des différences entre intentions architecturales et perceptions effectives de l’environnement bâti selon les critères évoqués en partie 2 du mémoire. Pour se faire un avis sur la question, le questionnaire a recours – pour les trois catégories que sont l’écologie, la phénoménologie et l’innovation – à des différenciateurs sémantiques83 afin de déterminer des tendances dans la perception de ce matériau. Des choix préférentiels (en classant par ordre d’importance des notions ou des images) ont aussi permis d’estimer l’impact du bois dans l’imaginaire commun. En ce qui concerne la deuxième étude – réalisée par Stéphane Chevrier et l’agence MANA – elle a été commandée pour étudier sociologiquement la perception des bâtiments bois par le grand public sur différents sites. La méthode consistait notamment à effectuer une visite des bâtiments en questions (sans renseignements en amont afin de conserver au maximum un avis neutre) pour y réaliser des observations d’usages ; puis à concerter les employés, responsables et usagers lors d’entretiens et de tables rondes. Cette étude met aussi en avant des hypothèses préalables (plus ciblées que celles émises dans le cadre du questionnaire personnel car elles sont spécifiques à chaque typologie de bâtiment public) afin de les confronter aux expériences réelles de l’espace. On y retrouve les idées suivantes : dans le cadre de la petite enfance, c’est l’aspect chaleureux et protecteur qui jouerait un rôle prédominant en tant qu’enveloppe ou de matrice rassurante. Dans le cadre de l’enseignement, se serait cette fois la capacité du bois à transmettre des idées relatives au changement climatique, à la responsabilité citoyenne ou de créer un cadre de discussion permettant la projection dans un horizon prospectif. Dans un cadre médico-social, c’est avant tout l’humanisation de l’espace qui découle de l’emploi généralisé du matériau bois – en opposition aux caractères techniques et hygiéniques qui leurs sont aujourd’hui associés – qui semble former l’intérêt du bois. Enfin dans le cadre culturel, ce serait les propriétés ambiantales supposées du bois qui favoriserait la création d’un lieu calme qui permettrait de s’élever culturellement et spirituellement parlant. Ces hypothèses et cette démarche les mettant à l’épreuve permettront notamment d’appuyer ou de nuancer nos propres résultats issus du questionnaire ou de mettre en regard des notions vis-à-vis d’une typologie particulière.

+ ÉTUDES

DE LA PERCEPTION DANS LES BATIMENTS PUBLICS ET LIMITES DES

HYPOTHESES

Pour commencer, nous allons nous appuyer sur le questionnaire diffusé par mail et via les réseaux sociaux. En effet ce questionnaire permet de connaître le panel interrogé et les intentions réelles des questions, minimisant ainsi les risques de surinterprétation. La seconde étude de l’agence Mana, réalisée avec une méthodologie assez différentes sera plutôt prise en compte comme un facteur d’accentuation ou au contraire de nuance des propos tenus. 83

Méthode explicitée dans l’ouvrage de Gabriel MOSER & Karine WEISS, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMME-ENVIRONNEMENT »

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La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

Dans le premier sondage réalisé, la première partie consistait donc à connaître la répartition du panel pour une présentation générale. Le panel se constitue donc de 59.2% de femmes et de 40.8% d’hommes. La majorité des réponses provient de personnes ayant entre 18 et 25 ans (71%) et ensuite se répartissent entre les jeunes actifs et actifs de 25 à 40 ans (14%) ; les actifs avec de l’expérience où s’approchant de la retraite de 40 à 55 ans (10%) et enfin les plus de 55 ans qui représente 5% du panel. Nous pouvons relier ces résultats et cette répartition au fait que le questionnaire a été majoritairement diffusé via des réseaux sociaux aussi la boite mail de l’école, ciblant donc une majorité de personnes de moins de 25ans. Ce constat vaut également pour la répartition des domaines d’activités. En effet, nous retrouvons une majorité de personnes étant étudiants en architecture ou architectes (55%) avec un léger complément d’urbanistes et de designers (4%). Cependant, le questionnaire a aussi permis de réunir les réponses de personnes d’autres domaines tels que l’industrie, l’enseignement, le droit, etc… avec 28% des réponses et même quelques spécialistes du domaine du bois – en menuiserie, charpente ou ébénisterie – pour 2% du panel. En ce qui concerne la répartition géographique, nous observons de même une très fort concentration sur la région Rhône-Alpes (53%) mais aussi des personnes des régions Nord de la France – Ilede-France, Haut de France, Grand-Est – avec 25% des réponses ou encore des personnes des régions Sud de la France – PACA, Occitanie – avec 17%. Nous noterons aussi les 5% de personnes étrangères ayant répondu au questionnaire et qui permettront peut-être de poser certaines nuances au propos.

La deuxième partie du questionnaire cherchait à interroger la vision globale que les usagers pouvaient se faire de l’architecture en bois. La première question s’intéresse à l’architecture bois dans l’imaginaire commun : « Qu’est-ce qui vous évoque le plus l’architecture en bois ? » avec 4 propositions de typologies avec des exemples : Équipement public (école, hôpital, mairie, gymnase, ...) / Construction privée (Logement collectif, maison individuelle, ...) / Installation et équipements extérieurs (jeux pour enfant, abris, halle couverte, ...) / Autre. Cette question permettait avant tout de connaître les idées préconçues des usagers sur l’architecture bois dans un mémoire qui s’intéresse à la typologie particulière que sont les bâtiments publics contemporains. Les réponses montrent ainsi qu’une grande majorité des gens sondés envisage la construction privée comme le secteur 41


La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

le plus évident de l’architecture bois (53.7%), suivi des installations et équipements extérieurs (28.9%) et seulement 11.9% des personnes interrogées considèrent les équipements publics comme représentatif de la production architecturale bois. (On ne prendra que peu en compte les 5% de réponses autres qui proviennent principalement d’incompréhension). Ces résultats rentrent en corrélation avec l’idée évoquée au début du mémoire qui mettait en avant la place mimine qu’occupait la construction bois dans les bâtiments publics contemporains.

La deuxième question s’intéresse quand à elle aux représentations de la mise en œuvre du bois l’imaginaire commun. La question était donc : « Par ordre d’importance, que vous évoque le plus les termes "architecture contemporaine en bois" ? » et les résultats ont été classé par ordre de fréquence d’apparition entre les trois propositions suivantes : « Structure en bois (Poteau, poutre, dalle, mur massif) », « Intérieur en bois (Cloison, mobilier, sol) » et « Revêtement façade en bois (parement, brise-soleil, double-peau) ». Les résultats montrent que le critère prédominant lorsque l’on évoque l’architecture bois contemporaine se rapporte à la structure (citée 104 fois en premier choix pour seulement 78 fois pour le revêtement) puis ensuite à la façade et au revêtement (citée 95 en second choix) et enfin l’intérieur et les aménagements mobiliers (citée 117 fois en troisième position). On peut donc remarquer que c’est avant la mise en œuvre contemporaine du bois qui évoque le plus l’architecture actuelle en bois.

Cependant nous pouvons tout de suite mettre en regard ce résultat avec une autre question qui demandait de choisir la photo qui représentait le plus une architecture contemporaine en bois. Sur les quatre réponses proposées – une maison individuelle tout en bois aux Pays-Bas, un centre culturel avec un parti pris structurel bois important, une rénovation de bureau utilisant un outillage numérique du bois pour créer les volumes intérieurs et enfin une opération de logement sociaux revêtu de bois à Paris – c’est la rénovation du One Main Office de dECOI Architects qui a recueilli 40.8% des voix suivi des trois autres propositions quasiment à égalité à 18.3, 20.2 et 20.6%. Ce résultat vient donc nuancer le propos 42


La légitimité du bois dans l’architecture contemporaine publique

précédent car c’est bien une utilisation et une mise en œuvre de nouvelle génération (utilisation de CNC pour couper le bois selon une maquette numérique) qui a été plébiscité plutôt qu’une opération comme le centre culturel qui présente pourtant un travail très complet sur la structure bois.

Cette idée est appuyée par la dernière question de cette première partie qui demandait aux personnes si elle avait déjà eu l’occasion de visiter ou de fréquenter un bâtiment public en bois qui les aurait marqué (46.8% des interrogés ont répondu positivement à cette question). Et lorsque nous leur demandons quel est ce bâtiment, les réponses qui reviennent le plus souvent sont le Centre Pompidou de Metz – avec une structure bois non standard signé Shigeru Ban – (avec 12 citations sur les 88 réponses) ainsi que le Pavillon français de l’Exposition Universelle de Milan de l’agence XTU avec encore une fois une mise en œuvre non standard du matériau (cité 10 fois). On remarquera ici l’influence des réponses quasi exclusivement par un panel français qui fait que ce sont des bâtiments sur le territoire ou en rapport avec la France qui sont cités (malgré quelques évocations du Metropol Parasol de Jürgen Mayer à Séville). On peut donc en conclure, au vue des différentes questions et de la répartition des réponses que malgré le fait que l’architecture bois soit encore peu associée à la construction d’équipement public, il semble exister une réelle conscience des opportunités nouvelles que représente encore le bois. Il semble assez largement admis qu’il est possible de transformer ce matériau pour obtenir de nouveaux langages architecturaux qui se plient plutôt bien aux exigences des équipements publics contemporains.

La troisième partie de ce questionnaire regroupe trois groupements de question qui reprennent le schéma développé dans la partie « Le bois, matériau aux multiples facettes ? » et s’intéressent donc au sujet de l’écologie en premier, la phénoménologie en deuxième et à l’innovation pour terminer. Ces réponses, appuyées par les résultats des études de Stéphane Chevrier, permettront 43


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d’envisager l’impact réel du matériau dans la perception des constructions publiques. Si l’on considère donc le premier filtre que représente l’écologie, nous avons vu que nous avons pu établir l’hypothèse que le bois semblait répondre sur de nombreux points aux concepts écologiques et que les concepteurs avait recours à ce matériau notamment pour ces capacités supposées à retranscrire ces intentions durables dans le bâtiment. Un des points primordiaux de cette hypothèse résidait dans la nature même de la ressource, et de ce point de vue-là, les usagers sont plutôt en accord avec les intentions des concepteurs car au sein de l’échelle des différenciateurs sémantiques, ils ont répondu à 87.2% en un accord avec la notion de matériau respectueux de l’environnement (46.9% plutôt d’accord et 40.3% entièrement d’accord) ainsi qu’à 73% en accord avec l’idée de ressource renouvelable. C’est aussi un point que l’on retrouve lorsque le questionnaire donne la possibilité d’ajouter des éléments ou de nuancer son propos, c’est avant tout cette question de la ressource (de son extraction à sa mise en œuvre) qui est évoquée avec 41 occurrences sur 74 commentaires. Cependant la question de la provenance de la ressource pose une des premières limites à cette hypothèse car le bois employé aujourd’hui ne semble pas convaincre totalement car sa provenance serait dans la moitié des cas seulement de territoire proche (52% seulement en accord partiel ou total de la localité du matériau), annulant une grande partie des bénéfices du bois dans son bilan énergétique. De même pour le caractère écologique du matériau, il est majoritairement jugé comme pérenne (61.6% en accord total ou partielle avec la notion) mais reste quand même un matériau difficile d’entretien (cité à 19 reprises) et cher pour les personnes sondées. Ces recours obligatoires à des additifs ou les difficultés d’entretien dans le temps du matériau limiterait donc en partie la possibilité de recours plus systématique et d’acclimatation simplifiée dans un environnement en bois au quotidien. Dans le cadre de l’étude de Stéphane Chevrier, les mêmes notions sont abordées et des limites similaires apparaissent. Les difficultés d’entretiens et donc l’apparition de traces, de tâches et le grisement du bois, sont des reflets perçus comme négatif, « pour l’usager lambda, la tâche est avant tout une souillure qui s’expose aux yeux d’un spectateur prompte à juger »84. C’est donc dans ce cas le problème de l’écologie au sens social du terme qui pose une limite aux hypothèses développées précédemment et cette limite est confirmée par l’évocation très anecdotique de l’écologie sociale dans le questionnaire (4 occurrences seulement) et des avantages que l’on pourrait rencontrer. Le bois, si il n’est pas pris en compte dans son intégralité temporel (sa couleur lors de la pose de la façade mais aussi son état après plusieurs années) peut se transformer en un point négatif pour le bâtiment, qui à son tour ne reflètera plus des intentions durables. On peut aussi émettre une réserve au vu de l’écart observé entre les réponses de personnes vivant en RhôneAlpes – où le bois est relativement présent – et les personnes étrangères au territoire provenant du Mexique ou d’Afrique du Nord notamment qui malgré des solutions envisageable à petite échelle, ne semble pas en mesure de considérer le bois comme un partie pris durable et d’avenir. Ce constat provient probablement de la disponibilité de la matière première sur ces territoires. 84

Stéphane CHEVRIER, 2013, « PERCEPTION DES BATIMENTS BOIS PAR LE GRAND PUBLIC» (Étude sociologique), Région Pays de la Loire, France, Étude réalisée dans le cadre de l’action PRECOBOIS, p.53

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La deuxième sous partie se concentrait sur les hypothèses émises autour des caractéristiques phénoménologiques du bois. Les concepteurs cherchent à mettre en avant les capacités du matériau à créer une atmosphère sollicitant l’intégralité des sens, venant ainsi permettre une expérience globale de l’espace. Du point de vue des usagers, 99% des personnes sondés sont en accord avec l’idée générale que le bois peut être vecteur de modifications positives de la perception de l’espace et de son vécu. Les notions qui lui sont associés reflètent plutôt bien les concepts qu’on essayer de faire passer les créateurs de ces lieux. Si l’on prend le caractère chaleureux de l’espace en bois, souvent vanté par les concepteurs, 83.9% des personnes interrogées sont en accord total avec l’idée d’un matériau accueillant, 68.3% avec l’idée d’un matériau chaud et 73.5 avec l’idée d’un matériau accueillant. Ces points positifs conférés au bois semblent être confirmés dans les travaux de Stéphane Chevrier : « Cet environnement fournit des repères et permet de construire un sentiment d’apaisement, […] de convivialité, de chaleur »85. Il précise même qu’au-delà d’un sentiment chaleureux de l’atmosphère, « dans le discours des personnes rencontrées, cette chaleur semble parfois émaner du bois luimême »86 et semble donc être en soi la promesse d’un confort thermique. Si nous nous intéressons aux autres sens, les sondés sont plutôt ou totalement d’accord pour définir ce matériau comme doux et confortable (respectivement 58.3% et 90.5%), ces résultats semblant confirmer l’importance de la transmission d’information via le système haptique lors de la mise en œuvre du bois. Mais ce ne sont pas le seul autre sens qui semble confirmer son intérêt. En effet sur 32 avis recueilli, 6 mentionnaient les propriétés acoustiques positives et 5 l’odeur comme des caractéristiques positives du matériau. Pour 3 personnes supplémentaires, cette stimulation globale du système de perception donne un sens plus profond car il rappelle « l’enfance et ses souvenirs bienveillants ». L’étude de l’agence MANA va dans ce sens, avec la constatation que la construction en bois jouerait « un rôle d’enveloppe ou de matrice protectrice »87 permettant une appropriation de l’espace et le sentiment de sécurité nécessaire à pour pouvoir aller plus en avant dans le vécu de l’espace et l’échange avec autrui (comme évoqué dans les travaux de Crunelle en partie 1). Le potentiel phénoménologique semble indéniable au vu des réponses des usagers, mais semble quand même différer légèrement de la pensée théorique des concepteurs. Les apports positifs possibles du bois peuvent très rapidement se retourner en points négatifs dans l’appréciation d’un bâtiment public si celui ne respecte pas un certain nombre de point assez précis alors que pour les concepteurs le bois ne semble pouvoir apporter que du positif dans la perception de l’espace. Dans la troisième sous partie, le sujet qui est abordé est celui de l’évolutivité du matériau et du potentiel d’innovation qu’il intègre. C’est sur ce dernier point que les résultats sont les plus mitigés vis-à-vis des qualités ou des propriétés qui semblent évidentes pour une partie des concepteurs. Le matériau n’est pas jugé comme jeune ou vieux (45.5% des réponses se situent dans le choix neutre) ou encore matériau du passé ou du futur (même si personne ne réponds matériau du passé, 85

Stéphane CHEVRIER, 2013, « PERCEPTION DES BATIMENTS BOIS PAR LE GRAND PUBLIC» (Étude sociologique), Région Pays de la Loire, France, Étude réalisée dans le cadre de l’action PRECOBOIS, p.25 86 Ibid, p.43 87 Ibid, p.30

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ce lien entre un matériau mis en œuvre depuis la nuit des temps mais aussi un matériau qui continue d’évoluer et d’avoir une place dans le futur est la remarque la plus réalisée avec 15 citations sur 38 retours). Là où les usagers se montrent beaucoup plus critiques est sur la manière de voir cette évolution. Si il semble communément admis que les techniques de mise en œuvre continuent d’évoluer (cette précision a été apportée 12 fois), le caractère évolutif au sein du matériau ne semble pas être aussi connu ou aussi convaincant. Ainsi une évolution moléculaire comme celle présentée dans le travail de Timothée Boitouzet n’apparaît qu’une seule et unique fois dans les possibilités d’évolution du bois. Et le matériau en luimême à tendance à être vu comme limité dans son potentiel d’innovation (37,4%). On observe donc ici l’écart le plus important entre intentions des concepteurs et réalités des usagers. Si certains envisagent le bois comme un moyen de réinterroger les symboles de notre société par l’évolution de ce matériau (en référence au travail de Michael Green par exemple), il semble que cette idée soit totalement absentes des consciences collectives. Les résultats obtenus auprès du panel mais aussi en comparaison avec les travaux de Stéphane Chevrier semblent pencher pour une corrélation plutôt globale entre les intentions théoriques et la perception effective de l’espace et de sa matérialité. Une des limites de cette étude repose tout de même sur la provenance majoritaire des résultats d’étudiants en architecture (des personnes en théorie plus sensibles et plus ouvertes à percevoir des idées derrière une mise en œuvre) et aussi majoritairement des personnes de la région (où l’emploi du bois n’est pas privilégié dans la construction publique mais est loin d’être absent). Nous pouvons donc utiliser ces résultats comme une base de réflexion plus en avant sur l’emploi de ce matériau car le contexte et sa perception semblent plutôt favorable.

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+ CONCLUSION Ce travail d’initiation à la recherche avait pour but de s’interroger sur la légitimité du bois dans l’architecture contemporaine. Ce questionnement provenait d’une série de réflexions cherchant à réfléchir sur les notions de marqueurs représentatifs de la société en architecture – et dans quelles mesures il était possible de retranscrire ces informations dans une typologie particulière – ou encore les limites qui pouvaient exister dans cette retranscription entre un concepteur émettant l’idée et un usagers l’interprétant en parcourant l’espace proposé. Ces réflexions ont amené à se demander quels étaient aussi les vecteurs de transmission disponible et notamment si la matérialité en était un. C’est donc en extension de ces premières intentions que s’est formé la problématique de ce mémoire : Quelle légitimité pour le bois dans l’architecture contemporaine publique ? C’est autour de cette question que se sont formées la démarche et la méthodologie de cet écrit.

Nous avons pu voir par la mise en place du cadre perceptif, que l’environnement tendait à être un espace plein et non pas un espace vide comme il est aujourd’hui majoritairement considéré, Ce constat a permis de mettre en avant le manque actuel de prise en compte de l’intégralité de nos sens pour saisir ce réservoir d’informations qu’est le vide qui nous entoure. Ensuite par la mise en place du cadre typologique, nous avons pu identifier la fonction symbolique de l’architecture publique. Ce deuxième constat nous a permis d’émettre l’idée d’une prise en compte de la capacité de ces lieux à transmettre des intentions par l’expérimentation de leurs espaces et de leurs matérialités. Enfin cette prise en compte de l’influence de la matérialité a permis de définir et de saisir une partie des facteurs qui pouvaient favoriser ces échanges. Ce cadre théorique complet a fait émerger plusieurs hypothèses sur le matériau bois que nous avons fait passer au travers de trois filtres – l’écologie, la phénoménologie et l’innovation – afin de retirer des hypothèses viables sur les intentions des concepteurs. L’hypothèse écologique qui a émergé semble positionner le bois comme une ressources intéressante à la fois dans sa gestion globale mais aussi dans son économie et sa propension symbolique de promotion du durable. L’hypothèse phénoménologique prédominante définie le bois comme un matériau sensoriel global, dans le sens où des interactions avec le toucher, l’ouïe et l’odorat ou tous les trois en même temps, semble possibles et peuvent se décliner en différentes valeurs afin de créer et de maitriser l’atmosphère désirée. Enfin en termes d’innovation, c’est cette fois l’hypothèse de la diversité d’évolution du matériau (mise en œuvre comme au niveau moléculaire) qui se présente comme importante, et qui permettrait de diversifier les emplois et les informations transmises par le bois. Ces différentes hypothèses ont donc été soumises à une mise à l’épreuve dans une application concrète et une expérience réelle. Les résultats issus du questionnaire nous permettent de dire que si les intentions écologiques semblent se confirmer, 48


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elles sont néanmoins nuancées par une série de critères. Que l’on parle de la gestion de la ressource, des recours aux additifs chimiques ou encore de la provenance et du transport du matériau, ce sont tous des critères qui peuvent renverser la perception positive – au premier abord – que les usagers ont de ce matériau. En ce qui concerne les intentions phénoménologique et au vu des retours d’expérience analysés, il semble aussi que la capacité du bois à mobiliser une multitude de sens et de créer des atmosphères particulière soit le plus souvent jugé positivement en comparaison avec un espace similaire mais dont la matérialité serait différente. Pour le potentiel d’innovation et sa perception par le grand public, les résultats semblent beaucoup plus ténus et le bois semble encore être limité dans son appréciation de matériau du futur (les avancées techniques de mise en œuvre semblent admises mais l’évolution du matériau même semble rencontrer plus de scepticisme même dans sa dimension symbolique)

Pour conclure sur le mémoire, il est désormais possible de dire que l’emploi du bois dans une architecture publique contemporaine semble une alternative tout à fait correcte. Il y a plusieurs points qui peuvent quand même s’opposer à son recours. La provenance et la location géographique (du concepteur, du projet comme de l’usager) ont une influence relative sur l’emploi d’un matériau plutôt qu’un autre, c’est vraiment le cas pour le bois. Cette différence d’appréciation de la matérialité et de la culture du bois se trouve beaucoup plus implanté dans certaines cultures et certaines régions. Une deuxième limite identifiable peut être le facteur d’altération du matériau dans le temps qui est quasi systématiquement perçu comme négatif impliquant un traitement important et complexe du bois afin de maintenir son aspect au service d’un message ou d’un symbole pour lequel il a été employé. Malgré les qualités qu’il présente le bois pourrait donc conserver parfois cette idée d’altérabilité et donc le « disqualifier » pour un emploi représentatif d’institutions. Enfin une dernière nuance pourra être apportée sur l’expérience exacte vécue par chacun dans un environnement en bois dans la mesure où elle dépend aussi des pré-conceptions mentales que chaque individu possède. Un environnement en bois semblable en tout point, pourrait être beaucoup plus influent sur une personne possédant déjà une sensibilité au sujet écologique ou dont l’enfance a été liée à ce matériau dans un habitat traditionnel par exemple. Enfin un dernier point critique à soulever dans ce travail sont les limites de la démarche en elle-même : premièrement parce qu’elle étudie l’influence du bois sur une typologie complexe, qui est subdivisée en plusieurs sous catégories et où il semblerait que les effets du bois, bien qu’observable et quantifiable soient assez diversifiés. Une étude approfondie au cas par cas pourrait être envisagée pour saisir plus subtilement et efficacement l’impact réel du bois. Deuxièmement, la démarche est limitée aussi par l’obtention de résultat provenant d’un panel de personne plutôt sensibilisées sur ces sujets de la perception des espaces et des intentions sous-jacentes qui biaisent peut-être en partie les réactions qu’ils en ont (on peut se poser la question du conflit de perception en étant à la fois concepteur et usager).

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Pour pousser la réflexion initiée plus en avant et afin d’inscrire cette recherche dans une démarche consciente dans le monde professionnel actuel, nous pourrions envisager ces résultats comme un véritable questionnement sur le travail de l’architecte. Nous pouvons alors envisager la question de deux manières : Quelle importance doit-on donner au message que l’architecture cherche à transmettre et surtout quels compromis peut-on faire sur ces intentions afin de préserver par tous les moyens ce message dans le temps (altération d’une vérité actuelle pour une conservation et un impact à long terme) ? Ou alors nous pouvons aussi envisager la question ainsi : Ne pourrions-nous ou devrions-nous pas appliquer ces idées dans la mise en œuvre directe du bâtiment afin de montrer une éthique réelle plutôt que projetée et ainsi d’accepter que le temps puisse l’altérer (honnêteté architecturale et matérielle comme démonstrateur de savoirs) ?

Merci de votre attention

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+ BIBLIOGRAPHIE &

AUTRES REFERENCES

+ Suzel BALEZ, 2001, « AMBIANCES OLFACTIVES DANS L’ESPACE CONSTRUIT » (Article Scientifique), Université de Nantes, 290p. + CECOBOIS, Automne 2012, « CONSTRUIRE EN BOIS, SPECIAL BATIMENTS INSTITUTIONNELS » (Revue), Journal de la construction commerciale en bois, Volume 4, Numéro 3, 12p. + Florent CHAMPY, 2003, « DES VALEURS ET DES PRATIQUES DE L’ARCHITECTURE CONTEMPORAINE,

TROIS TENTATIVES D’EXPLICATION DE LA « MONUMENTALISATION » DES CONSTRUCTIONS PUBLIQUES » (Article scientifique), L’homme et la société, Numéro 145, l’Harmattan, p.9-28. + Grégoire CHELKOFF, 1981, « POUR UNE CONCEPTION MODALE DES AMBIANCES ARCHITECTURALES » (Article scientifique), Faces Journal d'architecture, p.18-23 + Stéphane CHEVRIER, 2013, « PERCEPTION DES BATIMENTS BOIS PAR LE GRAND PUBLIC» (Étude sociologique), Région Pays de la Loire, France, Étude réalisée dans le cadre de l’action PRECOBOIS, 62p. + Marc CRUNELLE, 2001, « TOUCHER, AUDITION ET ODORAT EN ARCHITECTURE » (Livre), Lanrodec, FRANCE, Éditions Scripta, 132p. + Jean-Jacques DELETRE, 2004,. « QUEL ROLE LES MESURES PHYSIQUES PEUVENT-ELLES JOUER DANS LA COMPREHENSION DES AMBIANCES ARCHITECTURALES ET URBAINES ? ». Ambiances en débats, Editions A la Coisée, p.185-207 + David FELL, 2015, «WOOD AS A RESTORATIVE MATERIAL IN HEALTHCARE ENVIRONMENTS » (Article scientifique), CANADA, FPInnovation, 35p. + Gustave-Nicolas FISCHER, 1981, « LA PSYCHOLOGIE DE L’ESPACE » (Livre), Paris, FRANCE, Collection Encyclopédique « Que sais-je ? », Presses Universitaires de France, 128p. + Amédée FREZIER , 1739, « LA THEORIE ET LA PRATIQUE DE LA COUPE DES PIERRES ET DES BOIS POUR LA CONSTRUCTION DES VOUTES ET AUTRES PARTIES DES BATIMENTS CIVILS & MILITAIRES » (Livre numérisé), Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Gallica, 590p. + Dominique GAUZIN-MÜLLER, 2009, « L'ARCHITECTURE ECOLOGIQUE DU VORARLBERG: UN MODELE SOCIAL, ECONOMIQUE ET CULTUREL » (Livre), Le Moniteur Éditions, 405p. + J.MAYO, 2015, «SOLID WOOD: CASE STUDIES IN MASS TIMBER ARCHITECTURE» (Livre) Technology and Design. New York: Routledge, 12p. + Gabriel MOSER & Karine WEISS, 2003, « ESPACES DE VIE, ASPECTS DE LA RELATION HOMMEENVIRONNEMENT » (Livre), Paris, FRANCE, Armand Colin Éditeur, 398p. + O’Connor, J. & Dangerfield, J., 2004, « THE ENVIRONMENTAL BENEFITS OF WOOD CONSTRUCTION», In proceedings, 8th World conference on timber engineering, p. 171-176 + S.SAKURAGAWA & Y.MIYAZAKI & T.KANEKO & T.MAKITA, 2005, « INFLUENCE OF WOOD WALL PANELS ON PHYSIOLOGICAL AND PSYCHOLOGICAL RESPONSES» (Article scientifique), Journal Of Wood Science, The Japan Wood Research Society, 140p. 52


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+ Chiara SILVESTRI, 2009, « PERCEPTION ET CONCEPTION EN ARCHITECTURE NON-STANDARD » (Article scientifique), Université Montpellier II - Sciences et Techniques du Languedoc, 214p. + Anne VAN DE VREKEN, 2008, « PERCEPTION ET REPRESENTATION DE L’ESPACE ARCHITECTURAL » (TFE – Travail Universitaire), Liège, Belgique, Université de Liège, 184p. + Eduardo WIEGAND, 2016, « THE COMPACT WOODEN CITY: A LIFE-CYCLE ANALYSIS OF HOW TIMBER COULD HELP COMBAT CLIMATE CHANGE» (Article numérisé), http://www.archdaily.com/ + Yves WEINAND, 2010, « TIMBER PROJECT » (Livret d’exposition), Lausanne, SUISSE, École polytechnique fédérale de Lausanne.

+ RESSOURCES EN LIGNE + AEdificae , www.m.aedificae.com + BEPOS, www.bepos.fr + Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales, http://www.cnrtl.fr/ + Comité National pour le Développement du Bois, http://www.cndb.org/ + Dictionnaire Larousse, http://www.larousse.fr/ + dECOI Architects, www.decoi-architects.org/ + Espazium, https://www.espazium.ch/ + Micheal GREEN, www.mg-architecture.ca + Hermann KAUFMANN, www.hermann-kaufmann.at + PRODUCE Workshop, http://produce.com.sg/ + SNOHETTA, www.snohetta.com + White Arkitekter, http://www.white.se/ + WOODOO, www.woodoo.fr/

+ CONFERENCES + Thimothée BOITOUZET, « ET SI LE BOIS DEVENAIT LE MATERIAU DU XXIEME SIECLE », 2017, L’échappé Belle

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+ ICONOGRAPHIE COUVERTURE 1.

Composition personnelle (projet One Main Office Renovation _ dECOI Architects)

ILLUSTRATIONS

ET DOCUMENTS TECHNIQUES

1. http://valentindamville-architecte.eu/portfolio/rehabilitation-pfe/ 2. http://www.royalmansour.com 3. http://www.philipperahm.com/data/projects/interiorgulfstream/in dex.html 4. http://www.perraultarchitecture.com/fr/projets/2465bibliotheque_nationale_de_france.html 5. http://www.enea.it/it/pubblicazioni/EAI/anno-2011/specialeforest-a-millenary-heritage-that-guarantees-us-life/futurescenarios-of-european-forests 6. http://en.white.se/projects/culture-house-in-skelleftea/ 7. http://www.bioclimatique-conseil.com/maison-passive-basseconsommation.html 8. http://www.hermann-kaufmann.at/?pid=2&prjnr=98_44 9. http://www.triangulo.us/environment/ 10. http://mg-architecture.ca/work/reinventer-paris/ 11. http://www.archdaily.com/801127/omicron-campus-dietrichuntertrifaller-architekten 12. http://snohetta.com/projects/2-tverrfjellhytta-norwegian-wildreindeer-pavilion 13. http://www.archdaily.com/778933/harbin-opera-house-madarchitects 14. http://m.aedifica.com/fr/expertises/architecture/maisonsymphonique 15. http://www.archdaily.com/106352/bruder-klaus-field-chapelpeter-zumthor 16. https://www.thoma.at/holz100/ 17. https://woodoo.fr/ 18. http://ibois.epfl.ch/ 19. http://www.archdaily.com/778976/one-main-office-renovationdecoi 20. http://www.archdaily.com/804590/produce-workshop-debutsplywood-based-fabricwood-pavilion-for-herman-millers-shop-inshop

Un grand merci à Estelle DEMILLY qui m’a accompagné tout au long de cet exercice de réflexion qu’est le mémoire de master.

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+ ANNEXES

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La matérialité est un des points fondamentaux de l’architecture. Dans le cadre de l’architecture publique contemporaine, elle revêt une importance primordiale de par les idées, concepts et autres intentions qu’elle cherche à traduire et à transmettre. Ce mémoire s’attachera à étudier le cas particulier du bois au travers de notions comme l’écologie, la phénoménologie ou encore l’innovation afin de comparer des enjeux théoriques avec l’expérience réellement vécue par les usagers des ces espaces.

Materiality is one of the fundamental points of architecture. In the contemporary public architecture context, it’s becoming even more important because of the ideas, concepts and other intentions it seeks to translate and transmit. This thesis will focus on studying the particular case of wood through notions such as ecology, phenomenology or innovation , aimaing to compare the theoretical stakes with the real experience lived by the users of these spaces.

Architecture Bois - Architecture Publique Contemporaine - Perception Écologie - Phénoménologie - Innovation


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