Mémoire d'architecture - Habiter la favela : Processus à apprendre de l'informel

Page 1

ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE GRENOBLE

MEMOIRE D’ARCHITECTURE 2020-2021 MASTER AEDIFICATION, GRANDS TERRITOIRES, VILLES Enseignants : CANKAT Aysegul, PAVIOL Sophie, DELLINGER Frédéric, et MARIN Philippe. Professeur encadrant : CANKAT Aysegul

BRISA EMELINE

HABITER LA FAVELA : Processus à apprendre de l’informel

1


2


Figure 1 : L’Enfant des Favelas. Source : Photographie de JAGUARIBE Claudia prise en 2014. URL : https://elpais.com/cultura

3


« Une beauté purement accidentelle produite par des autodidactes avec des talents et des réussites anonymes : c’est l’esthétique qui s’est élevée jusqu’au sublime. »

Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.178.

4


SOMMAIRE

Remerciements

6

Préface

7

Introduction

8

1. La Favela, une nécessité pour habiter à Rio de Janeiro

12 12 20 26

2. Un mode d’habiter accidenté dans la beauté de la pente délaissée

34 34 42 50

a. Rio de Janeiro, une métropole contrainte par sa géographie b. La migration en ville, une fatalité dans une économie en mutation c. Le développement des favelas, un nouveau mode d’habiter inscrit dans la pénurie de logement a. La pente, une spatialité risquée mais disponible pour accueillir les plus démunis b. Les espaces ouverts comme un apport qualitatif dans l’habitabilité c. De l’informel au vernaculaire, la Casbah d’Alger comme installation ingénieuse

3. Le bricolage et le savoir-faire local : les outils d’une inventivité à toute épreuve

a. Les ressources disponibles sur le territoire comme patrimoine actif b. L’informel comme processus de bricolage, à la croisée de la frugalité et de l’éphémère c. Le bidonville de Dharavi où bricoler fabrique la qualité de vie des habitants

58 58 64 74

Conclusion

82

Annexe

88

Bibliographie

94

5


REMERCIEMENTS

À ma professeur encadrante, CANKAT Aysegul, pour le temps qu’elle m’a accordé, pour sa disponibilité et pour ses conseils avisés. À l’équipe enseignante composée de PAVIOL Sophie, DELLINGER Frédéric, et MARIN Philippe pour leurs contributions théoriques. À l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble pour la qualité de ses enseignements, sans quoi mon positionnement face à l’architecture n’aurait jamais mûri.

Ainsi qu’à mes parents, pour leurs corrections et relectures.

6


PRÉFACE

Avant de commencer, je souhaite évoquer mon attirance face au mode d’habiter vernaculaire. En effet, à travers mon parcours universitaire, j’ai toujours eu l’envie de m’attacher davantage à des processus de conception sans architectes, sans techniques à part entière, mais révélant le savoir-faire local. De plus, les notions de réemploi et de frugalité des matériaux me semblent être un des points centraux dans l’actualité constructive, se traduisant par un manque de ressources constant, marquant notamment les pays en voie de développement. Un travail sur les habitats précaires réalisé dans le cadre des cours d’anglais en licence d’architecture m’a profondément touchée. A travers lui, il m’est apparu nécessaire de percevoir l’urgence dans laquelle se trouvent certaines personnes en état de pauvreté. C’est pourquoi je tenais à orienter mon mémoire dans cette direction, c’est-à-dire analyser une autre manière d’habiter moins conventionnelle ; puisque le monde regorge d’ingéniosité sans forcément être prédisposé à une quelconque technicité. Mes recherches sur l’architecture sans architecte m’ont rapidement orientée vers l’architecture du Brésil, qui suscitait déjà ma curiosité depuis le début de mes études. Cette architecture informelle, unique et haute en couleur use d’un savoir-faire inspiré de l’habitat traditionnel comprenant le climat, les matériaux locaux, et un caractère spontané. « Depuis des centaines d’années, les populations adaptent leur habitat au milieu dans lequel elles vivent, il préserve la fraîcheur et l’intimité. […] apporter une réponse plus sociale à la prolifération du pavillonnaire et de lutter ainsi contre le délitement du vivre ensemble. ». 1 Mais pour pouvoir rendre compte du caractère architectural de ce pays, il a fallu se concentrer sur celui d’un territoire en particulier, et, du fait de sa géographie et de son histoire, Rio de Janeiro m’a semblé être le juste choix pour cristalliser ma réflexion. Dans son organisation territoriale comme dans les formes et les figures d’habiter qu’elle abrite, la métropole, figurant parmi les plus importantes du continent américain, forge son paysage grâce à ses contrastes architecturaux, sa géographie, son commerce, sa culture du carnaval et de la danse ainsi que son passionnant passé. En conséquence, il me tenait à cœur de révéler les richesses dont regorge ce territoire de mouvement et de vie. L’objectif de cette recherche est donc de reconsidérer notre manière de concevoir l’espace et l’habiter en comprenant la favela comme une leçon et une réserve d’architecture, pour participer à ma vision architecturale dans le but de renouveler les outils et concepts du projet, en les puisant dans la diversité des paysages et des espaces fabriqués par les habitants, artisans et Hommes aux autres compétences inconnues.

1. Citation de l’architecte DORAY Vladimir, L’architecture vernaculaire, quand l’habitat se fond dans son environnement. Article rédigé par GODFRAIN Marie et publié en janvier 2014. URL : https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/01/24/retour-aux-sources_4353074_4497186. html

7


INTRODUCTION

Le siècle dans lequel nous vivons est un siècle de transition. D’une part, la plupart des pays du Sud émergent, mais d’autre part, la crise actuelle touche la majorité des pays déjà développés. Dans ce contexte de mutation, la population est en constante hausse. Alors, le pourcentage de pauvres en ville augmente, entrainant aussi avec lui la hausse de la part des gens en situation précaire face au logement. En effet, en France par exemple, 7 millions de personnes n’ont à leur disposition que 800€ par mois pour vivre, et 13 autres millions vivent dans des logements sociaux sans possibilité d’appropriation réelle des lieux. Parallèlement à cette paupérisation, on observe le phénomène de ségrégation urbaine, catastrophe sociale et politique, dont l’issue est l’isolement des uns et des autres réduisant la force d’action commune, ce qui menace la démocratie et notre droit à agir sur le monde qui nous entoure. « L’heure est venue de répondre à la préoccupation majeure de notre société : comment mieux vivre ensemble ? Comment faire pour corriger les défauts qui dégradent depuis plusieurs décennies l’idéal de l’habitat, au point d’en faire une impasse que l’on s’efforce de résoudre à coups de dynamite ? » 1 Il apparait alors évident que les architectes seront placés à la tête de l’action à mener. Pourtant, au sein même de cette vaste discipline qu’est l’architecture, le logement est encore trop souvent traité selon les dogmes fonctionnalistes du 20ème siècle. Durant cette période, les rationalistes ont éradiqué l’anarchie de la ville grâce à l’ordre et la standardisation, en lui supprimant son mouvement. Mais comment avoir pu raisonner de la sorte face à la complexité de l’être humain ? Les usages quotidiens de l’Homme, qui jusqu’à maintenant étaient exclus du processus constructif doivent être réintégrés. « La question de la fin de l’architecture se pose alors et les hypothèses sont nombreuses. Est-ce que le terme « architecture » ne correspond plus à ce que les architectes font… Ou bien, est-ce que tout ce que l’on connaissait jusqu’à ce moment comme architecture ne correspond plus aux besoins de notre société d’un point de vue symbolique ou plutôt significatif.» 2 Ce n’est pas la fin de l’architecture, mais peut-être que nous assistons au 21ème siècle à la disparition de l’Homme considéré comme l’acteur passif de « la machine à habiter » 3 pour endosser le rôle de l’habitant actif et conscient de ce qui l’entoure. Dans la conjoncture actuelle, la position de l’architecte doit s’adapter aux nouvelles situations urbaines qu’il rencontre sur son parcours en s’appuyant sur les mouvements de la société, engagé et soucieux de l’Homme. Il a pour devoir de proposer une alternative, c’est-à-dire de renouveler les modes d’habiter. En réalité, cette altérité architecturale existe déjà mais a revêtu le voile de la globalisation, la rendant invisible à nos yeux. C’est dans les territoires en développement qu’elle se cache, dans leur forme vernaculaire où les habitants ne sont plus seulement consommateurs, mais acteurs de leur ville en construisant sur des friches industrielles, des lieux délaissés par l’aménagement urbain… L’existence de cette architecture nous invite à reconsidérer notre façon d’habiter, de communiquer et de vivre avec les autres ; en adoptant une attitude en cohérence avec des réalités floues, mouvantes, et inconnues.

1. Citation de BOUCHAIN Patrick, Construire ensemble le Grand Ensemble, Actes Sud, Collection L’impensée, 2010, p.8. 2. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.34. 3. Citation de PINSON Daniel, Dans l’architecture, des gens…, Séminaire Logiques sociales et architecture, juillet 2017. URL : https:// core.ac.uk/download/pdf/87883014.pdf

8


En réponse à cette reconsidération architecturale, je souhaite m’orienter vers le mode d’habiter brésilien via les favelas, véritable lieu de sociabilité et d’expérimentation de la pente brésilienne, au sein de la ville urbaine de Rio de Janeiro. L’objectif de ce travail est donc de reconsidérer la manière de concevoir et de vivre de l’Homme en jugeant la favela comme une leçon d’architecture, un trésor d’architecture, pour ma conception architecturale présente et future. En effet, au Brésil, la favela est perçue comme la solution d’habitation populaire par excellence, sous une image pittoresque quelque peu altérée par le mythe de la marginalité, où elle apparaît comme étant sale, insalubre et désorganisée.1 La favela représente en elle-même la condition d’habitation d’urgence, et en ce sens, elle touche l’essence même de l’architecture, abriter l’Homme. Son caractère spontané, en termes d’implantation en pente et de construction fragmentée, répond néanmoins au défi de loger les nouveaux arrivants en quête de travail et de meilleures conditions de vie. Et c’est pourquoi, je crois que l’organisation brésilienne présente une vision architecturale plus juste par rapport à notre société actuelle qui manque d’architectures participatives, et qui implique de moins en moins l’Homme et ses besoins dans les projets constructifs. Or, l’étude de ce mode d’habiter ne doit pas être vue comme celle d’un objet isolé, mais bien au contraire, comme un tout à insérer dans une remise en question de l’architecture des «sachants». C’est pourquoi, j’ai souhaité élargir mes recherches à d’autres modes d’habiter en pente, me tournant à la suite de mes lectures vers la Casbah d’Alger, qui se retrouve aussi perchée sur d’abruptes verticalités organisées sous forme de gradins. De plus, la construction de manière bricolée et fragmentée des favelas m’a directement menée à l’analyse d’un bidonville, qui comporte de nombreuses similitudes avec la favela brésilienne. Le terme « bidonville » a été employé pour la première fois en France en 1953, désignant le Maroc et ses « maisons en bidons », c’est-à-dire un ensemble d’habitations construites avec des matériaux de récupérations. 2 Le bidonville de Dharavi, le deuxième plus grand d’Asie, comptant entre 500 000 et un million d’habitants sur 223 hectares d’anciens marécages est fondé sur la même histoire que celle des favelas du Rio de Janeiro avec une croissance rapide soutenue par l’accroissement démographique et l’exode rural. Alors, Dharavi sonne comme une évidence pour étayer mes propos. Ainsi, sera montrée l’ingéniosité de diverses architectures non codifiées pour entretenir la volonté d’agrandir notre étroite conception de l’art de bâtir. « Il ne doit pas être vu comme un manifeste contre l’architecture qui proposerait une anarchie urbaine, une indiscipline architecturale. Il s’agit simplement de l’étude d’une situation urbaine et sociale dans le cas précis, qui montre qu’il existe d’autres façons de construire et de traiter l’espace, qui peuvent ouvrir la voie à des nouvelles urbanités contemporaines où les nouveaux architectes urbains auraient un rôle principal déterminant à jouer. » 3

1. Cf. BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.70. 2. Cf. NICOLAS Alexandre, Les bidonvilles dans l’espace urbain. Article écrit par NICOLAS Alexandre, ancien officier géographe du Ministère de la Défense. URL : https://le-cartographe.net/dossiers-carto/monde/34-mon-travail/monde/67-bidonvilles 3. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.172.

9


En somme, il est intéressant de comprendre comment l’intelligence créative des favelados1 leur permet de s’inscrire dans les reliefs du Brésil pour les habiter. Pour saisir cette leçon architecturale que donnent les favelados, ma pensée s’est confrontée à différentes lectures, afin de livrer une analyse la plus complète possible. Sont mobilisées une méthodologie iconographique et une textuelle, à l’aide de dessins, redessins, photographies, cartographies, et écrits. Dans un premier temps, afin d’avoir tous les outils nécessaires à la compréhension de la favela, nous reviendrons sur l’origine de ce phénomène en explicitant sa naissance dans un contexte de migration et de pénurie puis sur l’évolution du tissu urbain qui en découle. Une fois conscient de cela, nous étudierons les concepts majeurs de la favela. Ainsi, dans un second temps, nous approcherons les concepts d’ancrage dans la pente brésilienne laissant place à une artificialisation et à des espaces ouverts de sociabilité. L’application de cette implantation s’élargit au cas de la casbah d’Alger, ville vernaculaire et façonnée dans la pente. Enfin, nous évoquerons le caractère informel et bricolé des favelas, en comprenant la fragmentation des matériaux, le manque de technicité dans la réalisation de la construction, et l’évolutivité ; pour l’appliquer ensuite au bidonville de Dharavi en Inde qui démontrera les vertus du labyrinthe comme espace de sociabilité, de pratiques collectives, et d’accompagnement du mouvement. Rappelons qu’il ne s’agit pas ici de prôner la favela comme modèle architectural absolu, mais telle une référence considérée comme ressource pour fabriquer l’architecture d’aujourd’hui.

1.

Habitants des favelas.

10


Figure 2 : Les contrastes de Rio de Janeiro. Source : Photographie de Jaguaribe Claudia, de la série «Entre Morros» en 2018. URL : https://www.hangar.art/claudia-jaguaribe

11


1. LA FAVELA, UNE NÉCESSITÉ POUR HABITER À RIO DE JANEIRO a. Rio de Janeiro, une métropole contrainte par sa géographie

Rio de Janeiro peut être présentée comme la ville symbole de la construction de la nation brésilienne, berceau de la culture tropicaliste, la référence de la brésilianité. En effet, sa composition sociale constitue une synthèse du pays tout entier, ne se comparant à aucune autre. Sa particularité tient, à la fois, à son site de reliefs granitiques surgissant des forêts et des rivages, à son héritage colonial, et à l’ampleur de sa mixité ethnique. De l’ancienne ambivalence d’une ville des élites et des esclaves est né un ensemble urbain fragmenté de renommée mondiale et demeurant la première destination touristique du pays, mêlant urbanisation et beauté accidentée des favelas dans les hauteurs brésiliennes. Historiquement, la flotte portugaise a découvert la baie de Guanabara au 16ème siècle, qui dès lors fut nommée Rio de Janeiro. Ils réaménagèrent profondément cette ville coloniale en développant le commerce de la canne à sucre, puis la découverte capitale de l’or du Minas Gerais fut rendue possible grâce à la construction d’une route franchissant la baie. Elle devint rapidement la capitale urbanisée du Brésil et accueillit le roi du Portugal en exil, dont l’arrivée provoqua une grande ouverture sur l’Europe. Un palais fut implanté, de même qu’un jardin botanique, une faculté de droit et de médecine, et un musée des Beaux-Arts.1 Au début du 20ème siècle, de grands travaux modelèrent son portrait actuel. De larges avenues virent le jour, et certains morros furent rasés et nettoyés. Mais l’âge d’or de Rio de Janeiro s’établit de 1930 à 1960, années durant lesquelles une classe moyenne aisée se développa, entourée d’un petit peuple de travailleurs industriels. Durant cette période, l’héritage culturel des anciennes classes se mêla aux traditions populaires d’influences africaines. Mais un certain déclin se fit ressentir avec la perte du statut de capitale brésilienne, au profit de la toute nouvelle Brasilia, suivi d’un coup d’état. Enfin, la crise économique des années 1980 emporta avec elle une importante part de l’industrie, créant ainsi une hyperinflation plongeant les pauvres dans la misère et les riches dans l’opulence de la spéculation.2 Géographiquement, Rio de Janeiro s’apparente à un site spectaculaire et s’inscrit dans un territoire de contraintes entre mer et montagne. Des reliefs granitiques en forme de pitons, la végétation tropicale, les rivages bordés de plages composent ce paysage d’une grande beauté. Effectivement, la ville occupe la rive occidentale de la baie de Guanabara et ses îles. Immiscée entre les étroites plaines inondables et les montagnes de la baie, elle est marquée de côtes escarpées aux abords des massifs, et de côtes basses proches des plages intégrées dans le paysage urbain. « Rio est un gruyère : un territoire avec des vides qui correspondent historiquement aux mornes, aux grands massifs montagneux, aux forêts ; le tissu urbain n’y est donc pas continu. Les mornes, les tunnels, tous ces goulots de fluidité spatiale entraînent naturellement la fragmentation du tissu urbain. »3

1. Cf. DROULERS Martine, Rio de Janeiro. Article écrit par Martine DROULERS, docteur en géographie, directrice de recherche au C.N.R.S. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/rio-de-janeiro/#:~:text=D’une%20ville%20coloniale%20%C3%A0,un%20 %C3%AElot%20de%20la%20baie. 2. Cf. LE ROUTARD, Histoire et dates clés de Rio de Janeiro. Article Guide-Voyage. URL : https://www.routard.com/guide/rio_de_ janeiro/3570/histoire_et_dates_cles.htm 3. Citation de WASHINGTON Fajardo, Nouvelles perspectives pour Rio de Janeiro. Article rédigé par WASHINGTON Fajardo, chargé de l’urbanisme et du patrimoine à la mairie de Rio, et aidé par CABOT Roberto, peintre, sculpteur et musicien. Publié en 2014 dans Stream 3. URL : https://www.pca-stream.com/fr/articles/nouvelles-perspectives-pour-rio-de-janeiro-31

12


0

Massif du Tijuca

Favelas

Corcovado

Centre-ville

1700

3400m

Mont du Pain de Sucre Côte touristique Baie de Guanabara

Figure 3 : Une métropole riche en contrastes géographiques. Source : Carte sensible personnelle réalisée sur Illustrator en mars 2021.

13


14


Figure 4 : La particularité de Rio, entre quartiers de la plaine et des morros. Source : Carte sensible de World Heritage Rio, Service patrimoine, WASHINGTON Fajardo. URL : https://www.pca-stream.com/fr/articles/nouvelles-perspectives-pour-rio-de-janeiro-31

15


D’une part, le massif de Tijuca est formé d’une série de reliefs abrupts et de morros visibles grâce à l’érosion des gneiss et des granites. Le plus célèbre est le Pain de Sucre d’une hauteur de 396m marquant l’entrée de la baie, mais d’autres sommets sont à observer, notamment celui du Corcovado atteignant 710m, ainsi que le point culminant de Rio étant de 1024m avec le relief Pico da Pedra Branca. La superficie du massif de Tijuca est principalement occupée par le parc national du même nom, désigné comme la troisième plus grand forêt urbaine mondiale abritant une faune et une flore riches. Ces forêts tropicales recouvrant plus de 90 % du territoire, souffrent de l’urbanisation et des plantations de café ou de canne à sucre, mais quelques rares sites préservés de toute trace humaine se cachent sur les pics des chaînes de montagnes. D’autre part, la baie de Guanabara, profonde de 17m dans le chenal d’entrée, de 8m à la hauteur du pont Rio Niteroi et de 3m vers son fond, accueille plusieurs autres cours d’eau qui s’y jettent. L’accumulation de sédiments a permis la formation de mangroves, dont la survie est compromise par la croissance urbaine et la présence d’une grosse raffinerie de pétrole, qui a déjà causé plusieurs graves marées noires. La pollution est sévère par la proximité avec la plupart des banlieues industrielles dotées d’égouts déficients.1 Une enquête menée par Associated Press2 a d’ailleurs indiqué que les eaux de la baie sont d’une qualité déplorable, et qu’une simple baignade pouvait déclencher des maladies tels que des fièvres, des diarrhées, des vomissements… Des déchets flottent à la surface, avec environ 65% des eaux usées de la ville rejetées directement et surtout sans traitement. Quant au climat, Rio de Janeiro, située dans la zone tropicale, présente des températures mensuelles moyennes de 18°C, des saisons sèches, avec certains changements locaux engendrés par l’altitude. Se situant dans l’hémisphère sud, la saison estivale s’étend de décembre à mars et est plus humide que la saison hivernale, qui dure de juin à septembre. De plus, dans le système de classification des climats défini par Köppen, le climat tropical est un climat non aride où la température moyenne mensuelle ne descend pas en dessous de 18°C tout au long de l’année. C’est donc la pluviosité qui définit avant tout les saisons : Il existe une saison sèche durant le solstice d’hiver et une saison humide durant celui de l’été lors des mois les plus chauds pendant une période plus ou moins longue. La problématique des risques naturels n’apparaît guère dans l’aménagement et la planification urbaine de Rio de Janeiro, malgré la répétition d’inondations catastrophiques. Elle se traduit par des crues à l’ampleur médiatique, psychologique, politique et financier mais aussi par des mouvements de masses provoquant des glissements et des coulis de débris. Cette pollution signifiante et ce climat tropical engendrent des risques naturels pour la ville, notamment des inondations torrentielles dues à de fortes crues, entrainant souvent des dégâts matériels importants. Aucune catastrophe meurtrière et de grande ampleur n’est recensée, cependant l’épisode particulièrement pluvieux du 28 janvier 2011 avait provoqué le débordement du canal de Rio Grangeiro, laissant certains secteurs construits et complètement imperméabilisés avec les revêtements en asphalte des sols, complètement dévastés. Les rues les plus étroites avaient également augmenté la vitesse d’écoulement de l’eau créant des coulées de boues et une obstruction du canal par des troncs de palmiers, des débris de bâtiments, des blocs de grès et de béton… 3

1. Cf. THERY Hervé, Rio de Janeiro, portrait géographique. Article écrit par THERY Hervé, directeur de recherche émérite au CNRSCreda - professeur à l’Université de São Paulo et publié le 06 juillet 2016 . URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/eclairage/rio-dejaneiro-portrait-geographique 2. L’enquête « Athletes at Rio Olympics to compete in ‘basically raw sewage’, study reveals » est publiée par The Guardian le 30 juillet 2015, à l’approche des Jeux olympiques d’été de 2016. 3. Cf. DE OLIVEIRA MAGALHAES Alexsandra et PEULVAST Jean-Pierre, Aléas et risques naturels dans l’intérieur semi-aride du Nordeste brésilien : la crue-éclair du Rio Grangeiro (Crato, Ceará) du 28 janvier 2011. Article publié en octobre 2013. URL : https://journals. openedition.org/echogeo/13596

16


Figures 5 : La crue du 28 janvier 2011. Source : Photographies Aléas et risques naturels, par MAIA H. et VIEIRA W., en janvier 2011. URL : https://journals.openedition.org/echogeo/13596

17


Economiquement, l’État de Rio s’oriente vers des activités industrielles spécialisées dans la sidérurgie, la métallurgie, le raffinage du pétrole ainsi que l’automobile. Les principaux produits minéraux extraits sont les sels marins, le calcaire et le marbre, jusqu’à la découverte du pétrole sur le littoral et dans les eaux profondes au large de la baie de Guanabara entrainant l’aménagement d’importantes installations de plates-formes off-shore pétrolières. En plus de ses grandes entreprises implantées sur le territoire, d’autres sociétés de moindre importance mais essentielles au développement de la région se sont implantées à Rio. Ainsi, les entreprises pharmaceutiques, de transports, de presse, ou de matières premières sont les plus compétitives non seulement dans la région mais également à l’échelle nationale. A contrario, la ville de Rio ne semble pas avoir misé sur le développement de l’agriculture, tant en volume qu’en valeur. L’économie locale bénéficie de la culture de fruits, de légumes et de céréales, mais pour des raisons stratégiques, le tourisme, l’exploitation du pétrole et les industries secondaires la dominent. Finalement, sa nature propre fait de cette ville un pôle attractif et ouvert à l’internationale grâce à son port en liaison directe avec l’océan Atlantique, facilitant les échanges de marchandises, mais aussi la migration des Hommes. « La longue et riche histoire de Rio de Janeiro lui confère une place à part entière dans l’urbanisme sud-américain, mais aussi potentiellement dans le reste du monde. Capitale rayonnante puis ville sinistrée, elle renaît aujourd’hui en jouant de ses atouts singuliers, que ce soit l’omniprésence de la nature dans le tissu urbain ou sa richesse culturelle et sociale. »1 Par ses spécificités, Rio de Janeiro favorise l’imagination et la créativité des habitants pour se loger sur le territoire par le biais d’un nouveau mode d’habiter, les favelas. Le façonnage de ces aires informelles2 représente le défi à relever pour l’avenir de la population.

1. Citation de WASHINGTON Fajardo, Nouvelles perspectives pour Rio de Janeiro. Article rédigé par WASHINGTON Fajardo, chargé de l’urbanisme et du patrimoine à la mairie de Rio, aidé du point de vue de CABOT Roberto, peintre, sculpteur et musicien. Publié en 2014 dans Stream 3. URL : https://www.pca-stream.com/fr/articles/nouvelles-perspectives-pour-rio-de-janeiro-31 2. Terme préféré par WASHINGTON Fajardo, pour décrire la spatialité des favelas produites à partir de méthodes informelles, plutôt que « subformel » comme le fait l’Institut brésilien de géographie et de statistiques (IBGE).

18


0

4500

9000km

Réseau hydrolique

hydrographique PortRéseau de fret dehydrolique Rio de Janeiro Réseau Portroutier de fret

de Rio de Janeiro

Réseau routier

Figure 6 : Le port, l’attractivité économique centrale de Rio de Janeiro. Source : Cartographie réalisée sur Illustrator en avril 2021 basée sur un poster de Rio de Janeiro. URL : https://www.mapiful.com/inspiration/rio-de-janeiro/

19


b. La migration en ville, une fatalité dans une économie en mutation

Historiquement, l’immigration brésilienne est perçue comme un phénomène de faible intensité, en se concentrant dans un premier temps presque exclusivement sur la baie de Guanabara. S’installe alors une migration de « voisinage », événement essentiellement local. Or, au fur et à mesure du temps, il semble que ces flux de population s’étendent aux frontières internationales. Ce phénomène majoritairement urbain et métropolitain, conserve néanmoins un fort ancrage frontalier. La multiplication et la diversification des lieux de migration me conduisent à formuler des hypothèses quant aux éventuelles organisations spatiales, car cette population présente un profil complexe, en raison de la diversité de ses origines géographiques, des lieux de son ancrage au Brésil, et de la spécialisation des migrants dans certaines activités : l’artisanat et le commerce. La structure de la société rurale du Brésil est la première cause des mouvements migratoires vers Rio. Au début du 20ème siècle, la principale source de revenus du pays s’oriente vers l’agriculture d’exportation, que l’on cherche à maintenir, favorisant alors la toute-puissance des planteurs sur les paysans travaillant dans les fermes, malgré l’abolition de l’esclavage. Ces derniers sont exploités, travaillant avec des méthodes archaïques pour n’obtenir que de faibles revenus. De plus, l’industrialisation des méthodes de production rend le besoin de main-d’œuvre temporaire, la recherche d’emploi devient difficile et pousse alors les populations à se nomadiser en quête de travail. En 1963, cette situation s’aggrave avec la mise en place d’un salaire minimum ainsi qu’un mois de congé pour quelqu’un d’employé pour une période de douze mois. Cependant, les planteurs n’appliquent pas toujours ces lois et cherchent au contraire à les contourner, aggravant encore la condition paysanne et engendrant une paupérisation croissante. A ces causes rurales, s’ajoute aussi l’industrialisation du Brésil qui place Rio comme son premier centre industriel. Fort de sa position géographique le Brésil tente de s’inscrire dans le contexte de mondialisation de l’époque avec le développement logique de son port et de ses industries, créant ainsi un important besoin de main-d’œuvre à l’origine de l’important exode rural brésilien. La condition paysanne se dégrade donc, et la structure de la société rurale s’écroule avec cette montée en puissance de l’industrialisation obligeant la population à se nomadiser vers le sud. Plusieurs phases migratoires apparaissent à travers les époques, engendrant une nouvelle organisation spatiale à Rio de Janeiro : La première débute fin 19ème, début 20ème siècle en raison de l’essor de la ville et de l’attractivité des salaires formant la souche primitive de la population de Rio avec les ruraux venus de l’Etat de Guanabara1. Cet exode rural se poursuit encore aujourd’hui, où les migrants ainsi que leurs descendances constituent environ 40% de la population logeant sur les morros2, dans les favelas. La deuxième correspond à la période comprise entre 1940 et 1960 avec des vagues de migration provenant des états limitrophes. Une estimation s’établit à environ 400000 habitants du Minais Gerais et du Espirito Santa dans cette décennie, ce qui représente approximativement 15% de la population des favelas de Rio. Puis, la troisième de 1960 à 1970 s’appuie sur la construction de la route reliant Salvador de Bahia à Rio de Janeiro, créant un appel des populations du nord-est du Brésil. A l’heure actuelle, plus de 30% des favelados proviennent du Nordeste.

1. Ancien nom de l’état fédéral de Rio de Janeiro. 2. Collines.

20


0

500

Rio de Ja

1000km

Régions S

Régions N

Régions N

Migration

Migration

Migration

Migration

Migration

Ancrages

E xo

ru

ra

00

l

400 0

de

5 m illi o n

s

Rio de Janeiro, attractivité des salaires, essor de la ville Régions Sud-Est: territoires peuplés et plutôt riches Régions Nord-Est: territoires pauvres en manque d’activités Régions Nord : territoires peu exploités Migrations dûes à la naissance des favelas à Rio : Migrations internes fin 19ème s : Guanabara Migrations internes 1940-1960 : Minais Gerais et Espirito Santo Migrations internes 1960-1970 : Nord-Est Migrations externes fin 20ème s : Migration intercontinentale Ancrages internes 1970-Aujourd’hui : Descendance des migrants

Figure 7 : Les flux migratoires du Brésil. Source : Carte personnelle réalisée sur Illustrator en décembre 2020.

21


0

2000

4000km

Europe de l’Ouest et latine

Minas Gerais Golfe de Guinée

Minas Gerais

Rio de Janeiro, attractivité des salaires, essor de la ville Flux de migration forcée pour des raisons politiques et économiques > fuire le conflit et rechercher du travail Flux de migration volontaire pour des raisons économiques > apprécier le tourisme et rechercher du travail Territoire d’accueil

Rio de Janeiro, attractivité des salaires, essor de la ville

Territoire d’origine

Flux de migration forcée pour des raisons politiques et économiques > fuire le conflit et rechercher du travail Flux de migration volontaire pour des raisons économiques > apprécier le tourisme et rechercher du travail Territoire d’accueil Territoire d’origine

Figure 8 : L’immigration internationale au Brésil. Source : Carte personnelle réalisée sur Illustrator en mai 2021 à partir de données existantes : URL : http://psf.ong/projet/fr/nos-ressources/publications/nos-regards-sur/143-rgdmemoimmibr et https://www.researchgate.net/figure/Migratory-routes-of-Portuguese-people-living-in-Rio-de-Janeiro_fig1_333839807

22


Figure 9 : L’exode rural vers la ville merveilleuse. Source : Croquis de TIM, pseudonyme de MITELBERG Louis, célèbre caricaturiste du 20ème siècle. URL : https://www.lyonne.fr/auxerre-89000/loisirs/journees-du-patrimoine-2019-notre-selection-de-lieux-a-visiter-dans-l-yonne-ces-samedi-21et-dimanche-22-septembre_13644160/

23


Ces trois premières phases migratoires se sont superposées, à tel point que l’exode rural atteint son apogée dans les années 60, où l’estimation qu’un brésilien sur cinq a migré dans l’ancienne capitale, est établie. Enfin, la quatrième et dernière vague d’expansion à partir de 1970 et s’étendant jusqu’à aujourd’hui n’est autre que la descendance des premiers migrants qui s’installent à leur tour sur les morros, augmentant continuellement le nombre d’habitants sur les hauteurs de Rio de Janeiro.1 Ce contexte de migration rurale forge le mythe du Sud Merveilleux. « Marchands de rêve, nouvelles extraordinaires, désir d’un style de vie nouveau et certitude d’une réussite rapide… Le migrant n’hésite pas à prendre la route mais il ne sait pas encore qu’au bout du voyage, c’est la favela qui l’attend. » 2 La radio, la presse et les premiers immigrés eux-mêmes entretiennent ce mythe auprès des familles restées travailler dans les fermes des villes limitrophes. En effet, pour donner de leurs nouvelles, les ruraux fraîchement arrivés envoient des lettres où leur quotidien est embelli. Se joignent aussi des photos prises à la plage, devant des voitures de luxe, des palaces... Ainsi, les villes s’enrichissent d’une main d’œuvre délaissant les campagnes à des fins de productivité et d’économie. Parvenant à la cité merveilleuse, les migrants, plongés dans leur délicieuse insouciance, se heurtent à une dure réalité totalement différente de ce qu’ils imaginaient en lisant des journaux et des lettres illusionnistes et artificiels. Très vite, ces ouvriers doivent trouver une manière pour survivre dans ce nouveau monde inconnu. Au début, ils commencent par se loger sur les chantiers à défaut d’avoir un vrai toit dans leur intimité familiale. Ils espèrent alors mettre suffisamment de côté pour emménager dans une vraie habitation, comme un appartement en quartier résidentiel, mais là encore la désillusion les dupe puisque ces logements ne leur seront jamais accessibles du fait de leur loyer, sept voire dix fois au-dessus du salaire d’ouvrier. Cette trajectoire résidentielle oblige alors la population à trouver d’autres manières de s’établir au sein de ce pays complexe unifié et divers, aux dimensions continentales, à la fois plein de promesses et de frustrations. Le Brésil apparaît aujourd’hui comme une mosaïque d’ombres et de soleil, d’inquiétudes et d’espoirs pour ses nouveaux arrivants.3 C’est ainsi, dans un contexte de pénurie de logement, que l’on voit s’ériger une masse incroyable d’habitats sur les collines de Rio. La transformation de la société brésilienne s’opère en réponse à ces mutations politiques et économiques, par le biais de l’apparition de ces premières favelas à Rio de Janeiro induisant un nouveau mode d’habiter.

1. Cf. FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.36. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final 2. Citation de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.112. 3. Cf. L’EXPRESS, Le Brésil, c’est le mythe de Sisyphe permanent. Article publié en février 2020 sur LEXPRESS.fr. URL : https://www. lexpress.fr/actualite/monde/amerique/le-bresil-c-est-le-mythe-de-sisyphe-permanent_493870.html

24


Figure 10 : Un nouveau mode d’habiter : les favelas en construction. Source : Photographie de PARINEJAD Patricia, prise en mai 2016. URL : https://www.archdaily.com/787375/structures-of-spontaneous-architecture-in-the-favelas-of-rio-de-janeiro

25


c. Le développement des favelas, un nouveau mode d’habiter inscrit dans la pénurie de logement

L’utilisation du terme Favela pour désigner l’habitat populaire brésilien remonte à la période de la guerre de Canudos et fait référence à la plante la Favella, Jatropha Phyllacantha. Lors de cette guerre, les soldats ont établi leur campement sur la Colline de la Favella, nommée ainsi à cause de l’abondance de ce grand arbuste aux fruits foncés. Le terme « favella » est ensuite utilisé pour désigner un phénomène urbain nouveau, celui de l’occupation des collines de la ville par des populations pauvres dans des Favelas.1 La population immigrante développe un nouveau mode d’habiter dans les favelas brésiliennes, devenant alors des favelados. Ces derniers réussissent donc à s’établir dans la ville de Rio de Janeiro par le biais de ces habitations en usant de leur capacité d’adaptation et leur imagination constructive en guise d’outils de construction. « Les favelas sont le résidu du résidu, le reste du reste urbain, les abris sont construits de restes urbains (restes de chantier, déchets de consommation…)» 2 «Les abris apparaissent au milieu même de la ville, entre les quartiers conventionnels, exactement comme l’herbe qui pousse entre les pavés ou au milieu de l’asphalte, en formant des enclaves, c’est-à-dire des micro-territoires à l’intérieur d’autres plus vastes. L’invasion d’un terrain vague et son occupation par des abris forment un nouveau territoire dans la ville. » 3 Si la naissance des favelas s’explique principalement par l’exode rural et le contexte de crise de pénurie de logement, l’accroissement de ces dernières s’explique également par la façon dont Rio de Janeiro les a exploitées. Leur multiplication, leur densification et la croissance des favelados prouvent que la ville conventionnelle n’a pas su gérer l’accueil de ses flux de migrants. Cette nouvelle population en surnombre et pour la plupart sans emploi représente une masse de travailleurs nommée « l’armée de réserve » par Didier Dumont. Ainsi, cette existence a causé la chute des salaires, engendrant la plus grande contradiction de la société brésilienne : la favela étant à la fois la conséquence et le moteur du miracle économique du pays. Elle symbolise effectivement le mal nécessaire à la logique du système pris dans un engrenage d’un processus de paupérisation constante en recherche d’activité professionnelle. Tout d’abord, la favela naît sous forme d’habitat provisoire et écorché dans la pente de Rio, traçant un premier tissu urbain à travers le territoire. Plusieurs chemins sont amorcés liant le bas de la colline aux logements regroupant des foyers par famille, par affinité ou par région d’origine. Ces cheminements s’élargissent par la suite pour aller chercher encore plus d’espaces vides. Les habitations se contraignent à la pente en s’orientant de manière perpendiculaire par rapport aux lignes de niveau, ainsi c’est le site que détermine l’implantation et la rationalité constructive. La construction sur pilotis s’impose d’ailleurs souvent à cause de la topographie du site. Selon Didier Drummond, comme on peut l’observer sur les esquisses ci-jointes : les gestes, la technique et les espaces produits sont assez similaires et permettent de définir le modèle primaire type de l’abri du favelado. Cette première version est la base de la favela d’aujourd’hui, et bien que cela ne soit pas dans les intentions de départ, elle est destinée à être améliorée. De plus, en termes de plan, l’abri est toujours composé d’une unique pièce, en réponse au besoin immédiat de se loger. Cette unité est ensuite vouée à s’agrandir, se diviser et se moduler.

1. Cf. VALLADARES Licia, La Favela d’un siècle à l’autre. Mythe d’origine, discours scientifiques et représentations virtuelles, Editions Maison des Sciences de l’Homme, 2006, 229p. 2. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.43. 3. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.207.

26


0

Présence des favelas

1000

2000km

BRASILIA

Non Oui

RIO DE JANEIRO SAO PAULO

Nombre de foyers en favelas 500 72000

378863

Figure 11 : Visibilité des favelas au Brésil. Source : Carte personnelle réalisée sur Illustrator en novembre 2020.

0

Favelas

7

14km

Altitudes +900 700 500 300 100 50 0

Rio de Janeiro

Figure 12 : Localisation des favelas à Rio de Janeiro. Source : Carte personnelle réalisée sur Illustrator en novembre 2020.

27


0

Figures 13 : Tissu urbain primaire de l’abri écorché dans la pente. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p67.

4

8m

28


Figures 14 : Première favela sous forme d’abri. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p21.

29


Pris dans la spirale du profit brésilien pour le moins injuste, le migrant doit complètement se détacher du Mythe du Sud Merveilleux, et se résigner à consolider son abri précaire afin de perdurer à Rio de Janeiro. C’est ainsi que s’opère la mutation de l’abri précaire en baraque en trois phases, créant par la même occasion un nouveau tissu urbain. Dans un premier temps, l’habitant remplace les matériaux de fortune de son abri par des matériaux plus nobles rendant une structure et un parement plus solide face aux temporalités. Puis, il peut aussi ériger un petit étage selon ses besoins pour accueillir davantage de membres de la famille. Enfin, ces baraques s’uniformisent et se tournent de plus en plus vers de véritables matériaux de construction. L’abandon progressif des espaces extérieurs au profit de l’intérieur de l’habitation est aussi à observer. En parallèle, la mutation de l’abri à l’échelle architectural produit un tout nouveau schéma urbain. Les parties les plus hautes du morro deviennent le berceau de migrants toujours plus nombreux en recherche de terrains inoccupés. D’autres choisissent de s’approprier les derniers espaces libres entre les habitations du bas. Ainsi, petit à petit, le tissu urbain devient moins perméable et la vie collective prend le pas sur une vie individualiste.

Pour finir, la troisième et dernière étape d’évolution nécessite de densifier les constructions pour répondre à un constant flux d’arrivées. Le développement horizontal est pris d’assaut et devient rapidement saturé par le manque de terrain viable disponible, c’est pourquoi la verticalité s’impose en apparaissant comme la meilleure des solutions pour loger cette masse importante de personne. La verticalisation des constructions prend donc place dans ce contexte de manque de place, donnant l’impulsion pour un nouveau mode d’organisation du logement et de l’espace public. De plus, l’utilisation d’un étage se concrétise souvent sous forme de porte-à-faux au-dessus des ruelles, dans l’esprit d’espace habitable supplémentaire et de désir d’amélioration du confort. Ainsi, les cheminements se transforment en rue-escalier, véritable espace de sociabilité que chacun investit en suivant les règles du voisinage. Passer de baraque en baraque instaure alors une forte relation entre voisins, à tel point que les deux habitats tendent à se toucher réellement. A l’échelle du quartier, tout le monde se connait, interagit dans la rue, notamment les femmes au foyer qui sont les premières actrices de cette solidarité par le biais d’échange de services, mais aussi les hommes qui aident à la construction. L’espace public se voit donc être gérer collectivement avec un entretien et un aménagement des rues faits pas la communauté. « C’est donc la promiscuité qui détermine la solidarité entre les voisins. » 1 Ainsi, les prémisses de ces favelas auraient pu laisser penser à une étape provisoire quant au processus d’intégration des ruraux migrateurs, mais aujourd’hui, force est de constater qu’elles constituent en fait leur unique alternative, leur unique moyen de survivre à Rio de Janeiro. En termes de chiffre, on dénombrait en 1955 seulement 59 favelas dans la métropole mais aujourd’hui plus de 600 sont estimés et un carioca sur sept habiterait dans l’une d’entre elles. Finalement, après avoir analysé la genèse des favelas et leur résistance au temps, nous pouvons constater qu’aucun projet n’est préétabli, seul le terrain disponible impulse le point de départ des favelas. Le tissu urbain mute et s’étale considérablement sur les morros de Rio de Janeiro, en colonisant encore et encore les espaces inoccupés.

1. Citation de FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.36. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final

30


0

4

Figures 15 : Tissu urbain secondaire avec la baraque à étage Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p25., p37.p49.

8m

31


0

4

Figures 16 : Tissu urbain tertiaire avec la rue collective. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p51 et p70.

8m

32


Figures 17 : Ancrage risqué dans les morros. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p51. et p70.

33


2. UN MODE D’HABITER ACCIDENTÉ DANS LA BEAUTÉ DE LA PENTE DÉLAISSÉE a. La pente, une spatialité risquée mais disponible pour accueillir les plus démunis

Initialement, la ville de Rio de Janeiro s’est insérée entre les reliefs du territoires brésiliens, au sein d’une plaine dans le bouclier Atlantique. Dans le passé, ce bouclier subit plusieurs bouleversements tectoniques dont ont résulté des collines, des montagnes et des vallées, véritables caractéristiques de la métropole actuelle. Aujourd’hui, même après avoir perdu son statut de capitale, la ville reste la vitrine du pays en de nombreux domaines tel que l’accueil de grandes manifestations de prestige. Outre ce statut unique, Rio est le siège de la grande compagnie pétrolière Petrobas instaurée au large de la ville en 1974, générant un énorme boom immobilier le long du littoral en direction de l’ouest. Intrinsèquement, les différentes phases de migration engendrent de graves problèmes sociaux découlant de la croissance rapide et non planifiée de la population, passant de 500 000 à 800 000 habitants de 1890 à 1906. Cet essor démographique considérable impulse le changement de visage de Rio. En effet, cet afflux de personne exacerbe la crise du logement, constante dans la vie urbaine de Rio depuis le milieu du 19ème siècle. Les travailleurs s’entassent dans les taudis où vit un prolétariat dans des conditions particulièrement misérables et insalubres. Le centre-ville est ainsi le berceau de cette crise apportant avec elle la problématique de l’hygiène, puisque la surpopulation et la dégradation de l’habitat facilitent la naissance de violentes épidémies comme la fièvre jaune ou encore le choléra. A la suite de cela, plusieurs campagnes sanitaires sont lancées par le gouvernement pour combattre ces fléaux meurtriers, comme la célèbre réforme urbaine du centre, surnommée «Haussmann carioca»1 et mise au point par le nouveau maire de Rio de Janeiro, l’ingénieur PASSOS Pereira2. Sa réforme consiste en un plan de modernisation suivant la politique urbaine de Haussmann à Paris, ayant pour issue de faire de Rio la devanture du Brésil, à l’instar de la capitale française. Sont alors mis au point l’éclairage au gaz, le premier chemin de fer, la communication par câble… Les avenues sont élargies pour accueillir davantage de touristes, et les bâtisses portugaises sont remplacées par des édifices importés d’Europe, tel que le théâtre municipal inspiré de l’Opéra de Paris. Ainsi, les transformations de la ville parisienne appliquées, l’autre côté de l’Atlantique se retrouve immédiatement influencé. Ce phénomène peut être illustré par la librairie Garnier, installée depuis 1844 dans la rue la plus fameuse de l’époque, Rua do Ouvidor où sur 205 établissements, 91 sont français, 68 portugais, 35 brésiliens et les autres tenus par divers étrangers. Cette ouverture européenne donne au Brésil l’opportunité d’intégrer le monde dit « civilisé ». A la fin des travaux, Rio apparaît comme une sorte de condensé global du pays mais, malgré ses récentes innovations, et à cause des nombreuses démolitions d’immeubles et d’expulsions d’habitants, Haussmann carioca marque les esprits de l’époque et n’est particulièrement pas appréciée de la population pauvre qui se retrouve être délogée.3 1. Le nom un carioca désigne l’habitant de Rio de Janeiro. L’adjectif carioca quant à lui, signifie venant de/relatif à Rio de Janeiro. 2. PASSOS Francisco Pereira commence ses études d’ingénieur à l’École Militaire, puis les achève à l’École des Ponts et Chaussées de Paris de 1857-60 où il est témoin des travaux de Haussmann. De retour au Brésil, il est chargé de développer le réseau ferré du pays avant d’être nommé maire de Rio où il entreprend de grands travaux de rénovation urbaine durant son mandat de 4 ans (1902-1906). 3. Cf. RITUI Christine, «João do Rio : ombre et lumière du Rio de Janeiro de la Belle Époque». Chapitre de PENJON Jacqueline et PASTA JR. José Antonio, Littérature et Modernisation au Brésil, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2004, p. 31-40. URL : https://books.openedition.org/ psn/9395?lang=fr

34


Figures 18 : Métropolisation de Rio de Janeiro Source : Photographies assemblées par LAMBERT Maxime en décembre 2016. URL : https://www.ohmymag.com/voyage/22-photos-avant-apres-qui-montrent-a-quel-point-les-villes-du-monde-ont-change_art104174.html

Figures 19 : Copacabana avant et après l’élargissement de l’avenue et de la plage par l’architecte COSTA Lúcio. Source : Photographies assemblées par VIDAL Laurent en juin 2019. URL : https://balneomar.com/2019/06/13/la-reinvention-du-front-de-mer-de-copacabana-1969-70-entre-duplication-de-lavenida-atlantica-etelargissement-de-la-plage/

35


Ce nouvel urbanisme s’avère bénéfique pour le centre-ville, mais les plus démunis n’en sont que peu avantagés. Assurément, la métropole se densifie et s’enrichit, mais elle rend aussi l’espace constructible de plus en plus rare pour les nouveaux arrivants. De ce fait, les favelas se développent parallèlement à cette politique de rénovation urbaine. 20 000 habitants sont alors délogés, mais contrairement aux grands travaux de Haussmann où les travailleurs sont rejetés dans les faubourgs parisiens, ceux de la capitale brésilienne se tournent vers les pentes des morros situées tout autour de la ville urbanisée, entrainant les favelas à coloniser de façon désordonnée et spontanée les sommets cariocas, rythmant verticalement le paysage. Le petit peuple, soit 25% de la population c’est-à-dire 1.5 million de personnes, composé de nouveaux arrivants, de familles sans travail, de marginaux, mais aussi de travailleurs pauvres, se retrouve inévitablement dans ce point de chute réservé à tous ceux qui n’ont pas accès aux logements sociaux, perché là où toute construction parait impossible du fait de la difficulté d’accès. La favela se concentre donc sur les pentes escarpées des collines, en intégrant des matériaux fragmentés collectés dans la ville. Mais cette situation provoque de nombreux accidents lors des glissements de terrains faisant suite la plupart du temps à de fortes précipitations. Ces dernières détruisent les fondations et font alors glisser des blocs entiers de maisons qui causent la mort de nombreuses personnes. Cependant, c’est directement le mode d’occupation des sols qui détermine de façon décisive la capacité de résistances des constructions face aux intempéries. « Tant qu’il n’y aura pas de planification urbaine et une véritable intervention de l’Etat pour contrôler les constructions dans les zones à risque, les pluies de l’été resteront synonymes de glissements de terrain, d’inondations et de morts. » clame ERLICH Mauricio, professeur de géologie à l’école d’ingénieurs de l’université fédérale de Rio de Janeiro. 1 Une fois ébauchée, la favela est considérée comme une plaie visible dans la ville de Rio, puisqu’elle s’est installée sur les hauteurs dominant la mer ; vue par tous de la terre comme de l’eau, et surtout par les touristes dépensiers. Néanmoins, il me semble plus juste de la percevoir comme une beauté accidentelle. En effet, elle est dépourvue de conception, préférant le hasard sans architecture, en clair un paramètre que les architectes repoussent depuis bien trop longtemps dans l’architecture conventionnelle : l’accident, c’est-à-dire un évènement inattendu, non conforme à ce que l’on pourrait raisonnablement prévoir. Les habitants, n’ayant aucune forme prédéfinie à atteindre, favorisent alors la fonction d’abriter qui prend le dessus pour faire écho à leurs besoins. Là est toute la puissance esthétique de la favela. Selon BOUCHAIN Patrick, pour que l’accident puisse exister, « il faut dire ce que l’on veut atteindre et non ce qu’il faut exécuter ». En décidant de ne pas pousser un projet jusque dans le moindre détail, on laisse libre cours à l’interprétation, et donc à l’accident. Il me paraît important actuellement de construire une architecture plus humaniste, et pour ce faire nous avons plutôt intérêt à laisser une marge d’interprétation à la main qui fait, à la main qui construit et non à un dessin figé et préétabli. Il faut accepter que l’œuvre architecturale puisse échapper aux concepteurs pour devenir réelle. « Il faut permettre à ceux qui construisent de laisser la trace de leurs sentiments et c’est cette charge émotionnelle qui va redonner de l’enchantement à l’architecture qui sera alors chargée de la substance de ce qu’ils ont réalisé. » 2 Ainsi, je pense que la favela n’est pas à dessiner, ni à paralyser, pour qu’elle conserve son architecture emplie d’imprévues et donc de cette sensation qui charme chacun d’entre nous face aux constructions vernaculaires.

1. Cf. LEMOS Rafael, Brésil : Des favelas soumises au déluge. Article mis en ligne en janvier 2011. URL : https://www.courrierinternational. com/article/2011/01/14/des-favelas-soumises-au-deluge 2. Citation de BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Actes Sud, Collection L’Impensé, 2006, p65.

36


ANCRAGE DANS LA PENTE

MARCAGE DE L’EMPREINTE DE L’HABITAT

PRÉCARITÉ DE LA CONSTRUCTION : RISQUES DE GLISSEMENT

Figure 20 : Ancrage risqué dans les morros. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p25.

Figures 21 : Glissement de terrain emportant tout sur son passage. Source : Photographies de REUTERS, publiées en juin 2010. URL : https://www.rts.ch/info/monde/1767363-pluies-a-rio-le-bilan-ne-cesse-de-salourdir.html

37


Figures 22 : La beauté des favelas colorées. Source : Photographies mises en ligne par DENIS Jacques à Paris en octobre 2011. URL : https://riofavela.wordpress.com/

38


Figure 23 : Les yeux des enfants rivés sur le vide du morros. Source : Photographie de JAGUARIBE Claudia, de la série «Entre Morros» en 2018. URL : https://www.hangar.art/claudia-jaguaribe

39


Finalement, ce revirement de situation avec le renouvellement urbain permettant d’atteindre une certaine modernisation à l’européenne oblige le gouvernement à céder ces terres en pente à une population en manque de place pour vivre sur le territoire de Rio de Janeiro. Ces collines offrent des espaces vacants aux migrants qu’ils investissent de manière prioritaire et spontanée, afin d’habiter à proximité des emplois et des commerces, étant donné que la ville est implantée et connectée tout autour des hauteurs. Néanmoins, des tensions ne tardent pas à apparaître au sein du morros et de la plaine, entre les favelas et le centre-ville métropolisé qui n’accepte pas ce nouveau mode d’habiter et encore moins la population qui y vit. En effet, les personnes aisées refusent de rencontrer les favelados, et forment alors une sorte de zone tampon entre ces « deux mondes ».

40


Habitants des favelas travaillant dans l’informel urbain Confrontation sociale latente

Favelas

Centre-ville, commerces, quartiers d’affaires

Espace de la pauvreté dûe à l’exode rural

Espace de commandement national

Grands Hôtels

Océan et plages

Espace touristique international 0

7.5

15m

Figure 24 : Coupe de l’organisation sur la pente de Rio de Janeiro. Source : Représentation personnelle réalisée sur Illustrator et Photoshop en décembre 2020.

41


b. Les espaces ouverts comme un apport qualitatif dans l’habitabilité

De mon point de vue, un espace ouvert correspond à une portion d’un territoire, d’une ville, ou d’une agglomération, non occupée par des constructions. Ce sont des lieux vacants à la disposition des habitants, prenant en compte tous les espaces creux tels que les places, les rues, les cheminements, les zones de recul devant les monuments, les espaces verts, les berges… et où dominent les éléments naturels, c’est-à-dire des lieux privilégiés de la vie urbaine en termes d’espace public, d’espaces de rencontres ou encore de lieu de détente. Il se veut très diversifié, exigu ou spacieux, urbain ou rural, permanent ou temporaire, public ou privé… Mon intérêt pour ces spatialités ouvertes découle d’un lâché prise sur la pensée architecturale du plein, en s’orientant principalement sur l’organisation liant tous les éléments d’un projet dans l’espace imaginé, projeté, matérialisé et construit. Dans cette idéologie renouvelée, le vide devient structurant, apportant un apport qualitatif dans l’habitabilité des populations. « Le vide, par sa capacité à structurer l’espace, à relier les lieux et à faire penser les différentes échelles en même temps, permet d’investir les questions de société dans leur complexité relationnelle mais non confondue. (…) Penser par le vide comme structure spatiale permet de considérer les espaces ouverts comme systèmes vivants et convoque les domaines de la soutenabilité en simultanéité des différentes échelles. (…) Il contient et tient ensemble les différentes cultures de l’habiter et toutes les modalités d’établissement humain des plus classiques et les plus connus au plus bizarres, y compris les quartiers d’habitat informel aux contours flous, aux configurations incertaines. Il permet ainsi de penser le territoire comme système à l’échelle de la Terre, qui elle, est l’échelle de l’Homme. » 1 Ici, à Rio de Janeiro, les espaces ouverts désignent principalement les cheminements labyrinthiques des rues à travers les quartiers ainsi que les espaces vides offerts par les toitures plates des favelas. Je tiens à m’attarder sur ce dernier, qui selon moi, apporte une spatialité de rencontre au plus proche de l’intimité des habitants en créant une ambiguïté entre la limite du public et du privé. Effectivement, les favelados réussissent à enrichir leur habitat d’un lien communautaire érigé et entretenu par ces lieux de rencontre, berceau d’une puissante sociabilité. Ces vides issus des imbrications des habitations ou des toitures, générateurs d’espaces, leur permettent de s’épanouir et de s’évader collectivement par le biais d’activités, notamment sportives. Il est courant de voir se transformer le sommet des favelas en un terrain de football ou encore de basketball le temps d’une après-midi, ravissant les petits comme les grands. Ainsi, les favelados s’approprient ces espaces dépourvus de construction en des espaces de vie, de surprise et de mouvement en faisant preuve de toujours plus d’inventivité et de liberté. La question de la nécessité et de la survie dessine la liberté que le confort de notre société actuelle nous a ôté. « L’idée d’une création collective et anonyme est une caractéristique majeure qui aide à comprendre la façon de construire et aussi de vivre dans les favelas. » 2 Il n’existe aucun auteur à proprement parlé, il n’y a pas de notion de signature, tout est construit ensemble, et appartient d’une certaine façon à toute la communauté. Au Brésil, cette caractéristique est nommée mutirão3, désignant l’ensemble des actions collectives et bénévoles mises en œuvre pour arriver à une fin. D’après BERENSTEIN JACQUES Paola, ce terme se définit aussi comme étant la réunion des habitants pour construire ensemble et eux-mêmes leur lieu de vie. Le fait même qu’un terme existe en portugais pour désigner ce phénomène observable témoigne de l’importance de l’action collective dans la culture carioca.4 1. Citation de CANKAT Aysegul, Être architecte, la construction d’une éthique par la compétence spatiale. Volume 3, L’Inédit, Université Paris-Nanterre, p.20. 2. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.140. 3. Force collective d’intervention. 4. Cf. FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.45. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final

42


Figures 25 : Les espaces ouverts de Rio de Janeiro : lieux de sociabilité. Source : Photographies de GIBERT Vincent publiées en 2014. URL : https://motaen.com/wallpapers/view/id/45233

43


Il est d’ailleurs marquant pour un visiteur se promenant dans des quartiers cariocas, de constater que les portes des favelas sont toujours ouvertes sur la rue, donnant à voir la vie des maisons depuis la rue, et la vie de la rue depuis la maison, comme si ces rues n’étaient autre que des couloirs et les habitats les pièces d’une grande maison participative et familiale. Ce paramètre sensible émanant des morros, généré par son organisation spatiale ouverte et particulière, fait sortir l’architecture de son statisme en activant l’espace d’une tension, celle de l’infini, du mouvement, de l’incertain, créant une expérience unique et émotionnelle impossible dans une ville moderne et prédéfinie par des plans d’urbanisme. La majorité des rues mais aussi les escaliers de l’espace public sont coulés en béton, recouvrant le réseau d’eau précaire mais bien existant des morros. C’est cette pratique collective de l’espace, la mise en commun des savoirs et des savoir-faire, qui permettent à la favela de disposer d’infrastructures. Néanmoins, malgré la qualité spatiale produite par cette mise en commun, il faut avoir conscience du paramètre économique des favelados qui contraint le choix des matériaux, la mise en forme de l’espace mais aussi l’occupation du territoire donné. Pour pallier cela, on voit s’élever aujourd’hui de plus en plus de constructions participatives à l’initiative de nouveaux modes d’habiter plus collectif et où la rencontre avec le voisinage est essentielle pour permettre d’aménager des lieux extérieurs. On constate aussi que depuis quelques décennies, certains acteurs de l’architecture réalisent l’importance de sortir des modèles figés au profit d’une architecture plus mouvante où l’espace se transforme sans cesse et ne s’arrête pas à un usage prédéfini, mais plutôt appartient à un éternel inachevé. Cet inachevé permet le passage à l’acte, l’expérimentation, la découverte créant un véritable terrain de jeux pour les favelados, en constante recherche de confort et d’habitat qualitatif.« Il ne fait aucun doute à nos yeux qu’élaboré à partir d’une bonne infrastructure (eau, égouts…) et donc dans les conditions d’hygiène normal, un habitat construit selon le même processus, et considéré avant tout comme une pratique et non comme un produit, vaudrait par sa qualité tous les projets de logement populaire déjà conçu et à concevoir. » 1 Du point de vue bioclimatique, la favela offre à la fois des avantages et des inconvénients face aux problématiques de la salubrité dans les habitats et du climat tropical sévissant à Rio de Janeiro. En effet, d’une part sa densification sur les morros entraine l’étroitesse des systèmes de circulation, forçant le voisinage à cohabiter dans une promiscuité notable, qui peut être perçue comme une gêne pour certaines personnes. A travers des ruelles, cette densité rapprochée des bâtis crée aussi une perte conséquente de repères dans la ville, puisque toutes voies ne sont qu’enchevêtrements et cheminements interminables. De plus, l’organisation de la plupart des favelas autour de deux ou trois pièces et de peu de fenêtres empêche une bonne circulation de l’air durant la journée au sein des logements. Cet air chaud qui s’engouffre dans la maison stagne et ne réussit pas à s’échapper, formant alors une masse de chaleur à chaque étage. Aussi, la lumière naturelle n’arrive pas à se propager dans chaque pièce et demeure au niveau des fenêtres. D’autre part, la proximité des édifices engendre une masse d’ombre importante, utile pour amener de la fraîcheur puisque la ville subit un climat tropical pouvant se montrer lourd et irrespirable. Le rapprochement des baraques quant à lui permet de recréer des étages en se rapprochant jusqu’à se toucher, pour favoriser encore plus les liens entre voisinage. Ces systèmes de passerelles viennent clore les rues en les abritant de toutes précipitations. Ainsi, grâce à leur habitacle unique, les favelados sont protégés des rayons du soleil parfois trop puissants durant les périodes chaudes, tout en conservant la chaleur naturelle emmagasinée pour les périodes froides. 1.

Citation de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.64.

44


0

7

14m

Ventilation naturelle des morros Mauvaise circulation de l’air au sein de la favela Entrée importante de la chaleur au sein de la favela Faible entrée de la lumière naturelle au sein de la favela Espace frais et ombragé dans les ruelles des morros Stagnation de la chaleur au sein de la favela

Figure 26 : Le bioclimatisme des favelas. Source : Coupe bioclimatique personnelle réalisée sur Illustrator et Photoshop en avril 2021.

45


46


Figure 27 : Les espaces ouverts sur les toitures des habitations. Source : Croquis personnel réalisé au stylo noir en avril 2021.

47


Donc, la mise en œuvre des favelas en elle-même favorise l’agencement spatiale des morros. L’entraide et le lien entre les habitants, naissant des espaces ouverts, leur permettent de s’impliquer jusque dans la construction de leur quartier, et finalement de cette « ville dans la ville ». Par le biais de leurs savoir-faire et de leur ingéniosité, les favelados réussissent à apporter un confort et une qualité de vie considérable dans leur baraque malgré le manque d’une base financière et technique stable. Les espaces vides sont appropriés au grès de leurs envies, illustrant parfaitement l’adaptabilité et la réversibilité de la favela.

48


Figure 28 : L’apport qualitatif des espaces ouverts de la favela. Source : Photographie de FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural, Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.75. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final

49


c. De l’informel au vernaculaire, la Casbah d’Alger comme installation ingénieuse

Il est intéressant de juxtaposer le mode d’habiter brésilien dans les favelas en pente de Rio de Janeiro, à celui algérien dans les casbahs d’Alger afin d’étoffer ma réflexion sur l’architecture sans architectes. En effet, les habitations de la capitale de l’Algérie comportent de nombreuses similitudes en ce qui concerne la manière de s’implanter, de construire, et de vivre au sein du logement mais aussi de la rue. Cela peut s’expliquer par leur caractère spontané, fonctionnel et informel, mais aussi par leur forme en demi-cercle presque parfait qui font que les deux villes séparées par l’océan Atlantique sont considérées géographiquement comme les plus belles baies au monde. L’implantation de la ville remonte à l’installation d’une série de relais sur le littoral méditerranéen pour contrôler les flux commerciaux mais aussi pour loger les navigateurs en quête d’un refuge et d’un lieu où échanger leurs marchandises. Son site, protégé par sa baie, ses îlots et sa rade, répond à l’époque en tout point à cette nécessité d’escale. Ainsi, riche de son caractère commerçant, de son statut de port important et de ses diverses productions locales, Alger attire une nouvelle main d’œuvre sous son climat méditerranéen, c’est-à-dire un climat où les étés sont chauds voire caniculaires mais restant tout de même en deçà des valeurs tropicales. Aussi, sa topographie se caractérise par la succession, à partir du rivage actuel et jusqu’à une altitude de plus de 300 mètres, d’une série de gradins disposés les uns au-dessus des autres comme les marches d’un escalier. Ces marches permettent d’interrompre brusquement la continuité des pentes très raides facilitant l’ascension à l’échelle humaine. Quant à son système hydrographique, il est propre au milieu méditerranéen, avec un débit d’eau faible mais un risque de crues importantes en cas de pluie, rappelant celui de Rio de Janeiro faisant courir de nombreux risques naturels à sa population. Se développe alors la Casbah d’Alger au creux des remparts ottomans de la fin du 16ème siècle, tirant son nom du point culminant de la médina de l’époque ziride qui s’applique désormais à l’ensemble de la vieille ville. Elle symbolise donc le cœur historique occupant une place géographiquement stratégique par sa proximité avec la mer Méditerranée mais aussi la place centrale qu’elle occupe entre l’Algérie et le Maghreb. Présentant un dénivelé de 118m, la Casbah offre ainsi le paysage d’un enchevêtrement de constructions sur une pente, respirant grâce à d’étroites et sinueuses ruelles sans voitures et où le ravitaillement et le système de ramassage des déchets se font encore traditionnellement à dos d’ânes.1 Depuis la mer, elle apparait comme étant une pyramide colossale d’environ 50 hectares développant tout un imaginaire autour du sphinx grâce à la blancheur de ses maisons. De plus, ce sont les diverses histoires dramatiques subies au fil des années qui ont forgé le caractère, le portrait, l’atmosphère et l’identité du lieu, fondant à mon avis, l’âme de la ville. Il en va de ce fait que la Casbah a exercé une influence considérable sur l’architecture et la planification urbaine en Afrique du Nord, en Andalousie et en Afrique subsaharienne du 16ème au 17ème siècles. 2 Subséquemment, le fleurissement de la Casbah engendre une cascade d’alcôves, de maisons à patio, de ruelles, et de mosquées sur le territoire algérien, fort du savoir-faire artisanal et ancestral de ses habitants. Dans cet ensemble vivant accueillant près de 50 000 personnes, sont conservées des constructions traditionnelles tels que des palais ou encore des hammams, dont la forme témoigne d’une stratification de plusieurs tendances au sein d’un système unique et complexe, qui s’est adapté, avec une remarquable souplesse, à un site fortement accidenté.

1. Cf. le magazine GEO, mars 2012, Editions Prisma Media, n° 397, p. 87 2. Cf. MEDDI Adlène, L’Afrique à vivre : Alger, ville secrète et farouche. Article publié à Alger en 2018. URL : https://www.lepoint. fr/culture/l-afrique-a-vivre-alger-ville-secrete-et-farouche-15-07-2018-2236351_3.php#:~:text=De%20l%C3%A0%2Dhaut%2C%20on%20 domine,Jdid%20et%20Jamaa%20el%2DKebir.

50


Figures 29 : Les ambiances de la Casbah. Source : Croquis de GUION Paul, La Casbah d’Alger, Paris, Publisud, 1999. URL : https://issuu.com/semarsonia/docs/semar_ sonia_la_casbah_crise_identitde_fin_d_etude

Figures 30 : La densification de la Casbah. Source : Croquis de DELUZ Jean-Jacques, Les voies de l’imagination, Ed Bouchène, Saint Denis, 2003. URL : https://issuu.com/linameskine/docs/memoire_de_fin_d_etude

51


« La Casbah d’Alger est un exemple éminent d’un habitat humain traditionnel représentatif de la culture musulmane profondément méditerranéenne, synthèse de nombreuses traditions. Les vestiges de la citadelle, des mosquées anciennes, des palais ottomans, ainsi qu’une structure urbaine traditionnelle associée à un grand sens de la communauté sont les témoins de cette culture et le résultat de son interaction avec les diverses couches de peuplement. (…) La Casbah témoigne d’une authenticité remarquable, aussi bien au niveau de la forme et de la conception (trame urbaine très dense), des matériaux de construction (briques en terre crue, enduits de terre et à la chaux, pierre et bois) que de l’utilisation (habitation, commerce, culte) et des traditions populaires.» 1

De même que les favelas de Rio, la Casbah d’Alger cherche rapidement à se densifier sur les hauteurs des collines. Effectivement, dans un premier temps, la citadelle s’ancre ingénieusement dans la pente de manière horizontale, colonisant les moindres espaces vacants pour offrir davantage de possibilités à la nouvelle population, souhaitant se loger à Alger à la suite d’opportunités commerciales. Cette première densification amène à la formation de la morphologie même des lieux, c’est-à-dire à une ville amphithéâtre où s’étend une série de gradins, disposés les uns audessus des autres, reliés par des escaliers allant du sommet jusqu’au niveau de la mer. Puis, dans un second temps, apparaissent les premiers tracés verticaux offrant des espaces supplémentaires pour les habitants souhaitant accueillir davantage de membres de la famille ou simplement agrandir la leur. Les constructions s’étoffent alors d’étages complémentaires, tels que ceux créés grâce aux porte-à-faux de la troisième forme d’évolution des favelas de l’autre côté de l’océan. En découle donc une lecture altimétrique de la Casbah avec une partie haute et une partie basse, le tout établi sur cette topographie tortueuse où s’invente une expérience unique enrichie par les vues saisissantes et spectaculaires de la baie d’Alger. 2 De part cette colonisation des espaces, le cheminement des ruelles se voit recouvert partiellement par des habitations rentrant en contact l’une avec l’autre. Elles sont si proches qu’elles finissent par se toucher avec leurs diverses avancées et balcons. Des maisons construites en voûtes viennent même clôturer entièrement les rues au niveau du ciel, qui deviennent alors des sortes de tunnel mettant à l’abri du climat méditerranéen le peuple algérien. Ces contacts de façades contre façades provoquent alors au sein de la Casbah une connivence, une unité de sociabilité où la communauté a la possibilité de se souder grâce à ses propres choix d’aménagement spatial. Ainsi, un lien tant dans l’architecture des lieux que dans la population s’établit en gravitant au-dessus des rues qui deviennent de véritables couloirs où règne la convivialité. Il en va de même avec les espaces ouverts situés en toiture des habitations entrelacées. En qualité de pièces supplémentaires, la famille les utilise en réinventant les usages courants du quotidien, comme par exemple le séchage du linge à l’air libre sur un cordage fixé de part et d’autre des parois extérieures. C’est là toute la dynamique de la Casbah d’Alger, cantatrice d’émotions et regorgeant de vie. Cela fait encore une fois appel à l’architecture mouvante de Rio de Janeiro, où l’organisation territoriale s’émancipe d’une quelconque fin, préférant l’inachèvement dans le but de promouvoir l’expérimentation de l’Homme dans l’espace. De plus, cette étendue ouverte en toiture ébauche les premières notions d’un bioclimatisme certain, avec la ventilation naturelle s’engouffrant dans les ruelles ondulantes et l’ombrage du bâti apportant protection et fraîcheur contre le rude soleil du pays à l’intérieur des logements.

1. Citation de l’UNESCO où la Casbah d’Alger y est inscrite depuis 1992. URL : https://whc.unesco.org/fr/list/565/ 2. Cf. MESKINE Lina, Vers une narration architecturale : Récit sur Alger. PFE, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Rabat, publié sur Issuu en août 2019. URL : https://issuu.com/linameskine/docs/memoire_de_fin_d_etude

52


Dimension sociale pour une architecture durable

Assise au sol pour un confort thermique

Murs porteurs partagés pour un coût minime Patios pour un apport de confort thermique

Habitat compact pour une économie d’énergie Figure 31 : La casbah, sa rue, son logement, son patio. Source : Axonométrie de TOUZOUT Redouane, La Casbah Aux Yeux De L’occident, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, réalisé en 2014. URL : http://calameo.download/00109740066d8aa8b587a

Figure 32 : Espace ouvert, espace supplémentaire. Source : Photographie de AMARI Tarik, Ecole polytechnique d’architecture et d’urbanisme, prise en 2003. URL : https://fr.slideshare.net/rymanrym/exposer-sur-la-casbah

Figure 33 : Espace ouvert, espace de vie. Source : Croquis de TOUZOUT Redouane, La Casbah Aux Yeux De L’occident, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, réalisé en 2014. URL : http://calameo.download/00109740066d8aa8b587a

53


54


0

6

12m

Figure 34 : La casbah inscrite dans la pente d’Alger. Source : Coupe paysagère de TOUZOUT Redouane, La Casbah Aux Yeux De L’occident, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, réalisé en 2014. URL : http://calameo.download/00109740066d8aa8b587a

55


Les habitations quant à elles, s’ancrent dans les hauteurs d’Alger en suivant les courbes topographiques mais aussi en prenant en compte la relation à la mer. Effectivement, l’orientation des bâtisses s’exécute en « escalier » pour ne pas occulter la vue à celles implantées en amont. Les diverses typologies présentes varient en tailles et en ornementations architecturales selon les revenus du propriétaire. Elles diffèrent donc en allant de la plus modeste à la plus luxueuse, mais gardent la même organisation avec une division en général de trois parties ou étages avec une terrasse. Ces spatialités efficaces et leurs modes de gestion originale découlent de la volonté même de la population autochtone algérienne. Cette dernière a d’ailleurs œuvré en usant de toutes ces compétences pour éviter d’être expulsée de manière « naturelle », sous l’effondrement des édifices en ruines. L’utilisation de matériaux locaux tels la brique de terre cuite et le liant de mortier chaux permettent de renforcer les structures affaiblies. Cependant, les modifications comme l’ajout de pièces supplémentaires engendrent rapidement une surcharge importante de poids perturbant l’ensemble du système d’aération et l’ensoleillement accentuant la présence d’humidité.1 Pour pallier cela, dans chaque typologie d’habitat, on retrouve le patio, l’espace le plus important où se déroule la vie familiale à ciel ouvert. C’est lui qui organise l’ensemble du logement, se déployant tout autour grâce à un système de circulation ingénieux mêlant apport de lumière et ventilation naturelle. Ainsi, cette respiration permet à l’habitacle de fournir le confort nécessaire dont l’Homme a besoin. A travers cette analyse comparative, on s’aperçoit que le mode d’habiter à Rio et à Alger comportent de nombreuses similitudes, à commencer par leurs territoires alliant reliefs et ouverture sur la mer, puis par la formation de leurs habitations due à une nouvelle population en quête de travail, et enfin par l’étroitesse des ruelles desservant les logements où règne un lien communautaire évident. Ainsi, sans oublier les différences territoriales et climatiques, les deux territoires rayonnent de vie grâce à l’ingéniosité et à la persévérance des personnes à s’implanter sur une spatialité sinueuse et disponible. Finalement, habiter dans un paysage topologiquement contrasté relève d’une implantation difficile, mais elle offre la possibilité de vivre aux nouveaux arrivants. L’inscription périlleuse des favelas dans les reliefs exprime tout le savoir-faire des favelados, qui se retrouvent dans la nécessité et l’obligation de se construire un toit. Après avoir explicité ce mode d’habiter accidenté dans la beauté de la pente délaissée, il est maintenant intéressant de comprendre comment les favelados actent, et avec quels matériaux et quelles intentions ils arrivent à concevoir leur logement en passant outre des contraintes tant techniques que financières.

1. Cf. LESBET Djaffar, «La casbah d’Alger, gestion de la salubrité». Chapitre de BOUROND Daniel, CASTORIADIS Zoé..., Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 33, 1987, pp. 58-68.

56


Figure 35 : Implantation des logements. Source : Croquis personnels réalisés en février 2021.

Exemple 1

Exemple 2

Figure 36 : Plusieurs exemples d’organisations d’un logement en plan. Source : Plans de TOUZOUT Redouane, La Casbah Aux Yeux De L’occident, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble, réalisés en 2015. URL : http://calameo.download/00109740066d8aa8b587a

Figure 37 : La vue des toits. Source : Photographie de DOR Michel publiée sur Pinterest. URL : https://www.pinterest.fr/pin/23643966771016604/

Exemple 3 Le logement circulaire Le patio au centre

57


3. LE BRICOLAGE ET LE SAVOIR-FAIRE LOCAL : LES OUTILS D’UNE INVENTIVITÉ À TOUTE ÉPREUVE a. Les ressources disponibles sur le territoire comme patrimoine actif

L’inexistence d’architectes dans la conception des favelas a occasionné une indépendance constructive complète des habitants qui font appel aux ressources disponibles sur le territoire, notamment celles jetées et abandonnées dans ses ruelles. Ces ressources, sous forme des matériaux fragmentés et s’articulant autour de déchets de chantier et de déchets ménagers, constituent le patrimoine actif du Brésil, c’est-à-dire l’ensemble des biens matériels ou immatériels qu’engrange le pays depuis le début de son histoire à aujourd’hui. Ce patrimoine, hérité des générations passées, cherche perpétuellement à s’enrichir afin d’être transmis aux générations futures qui constitueront le bien commun de demain. Nécessairement, les ressources utilisées pour édifier impactent le fonctionnement et la manière de vivre des habitants de Rio. On peut d’ailleurs véritablement différencier les logements du morro et ceux dans la plaine. Les favelados usent en effet de matériaux recyclés trouvés ça et là dans la ville, tandis ce que les citadins dans leurs quartiers résidentiels se tournent plutôt vers d’avantage de noblesse avec l’emploi de marbres, de bois rares, et de verres traités. « Contrastes et similitudes… les constructions sont les mêmes, les mêmes « tares spatiales » se retrouvent, seules les dimensions et les matériaux changent. »1 Sur les reliefs, les favelados cherchent donc à collecter et recycler de substantielles ressources dans le but de leur donner une nouvelle vie et surtout un nouvel usage au sein de leurs constructions. Selon Didier DRUMMOND, on peut distinguer trois phases distinctes quant aux choix des matériaux dans l’évolution de l’abri primaire à la favela d’aujourd’hui : -Pour ériger leur première version de la favela, les habitants se mettent en quête de divers matériaux qui s’avèrent être des déchets encore utilisables, au sein de la ville de Rio de Janeiro. Ce détournement de fonction amène les logements à être bâti de manière empirique, à partir de l’accumulation au fil du temps des morceaux de matières choisies pour s’assembler en parois, en toitures… Effectivement, les favelados se tournent principalement vers des structures en bois, des façades en planches, des ajouts de plastique et de tissus… Cette fragmentation formelle emploie donc un ensemble de matériaux juxtaposés les uns aux autres donnant naissance à une architecture chimérique, ne ressemblant à rien d’existant, ni même à un abri ; puisque chaque fragment est unique. De ce fait, il est impossible de reproduire la même composition architecturale. « Le fragment est puissance de ce dont on ne connaît pas la nature et qui ne fournit aucune garantie d’actualisation. Le fragment sème le doute. Il peut être un morceau, une étape, ou un tout, y compris son contraire. Le hasard s’installe. L’architecture a de grandes difficultés à prendre les risques du hasard, de l’aléatoire, de l’arbitraire, du fragmentaire. » 2

1. 2.

Citation de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.62. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.79.

58


Figure 38 : Les inégalités socio-spatiales entre les favelas et les hôtels de luxe. Source : Photographie tirée de BLANCHARD Émilie, Histoire-Géographie (5ème), Paris, lelivrescolaire.fr, 2010, p.237 URL : https://journals.openedition.org/confins/7485

59


-Ensuite, cet abri évolue et opte pour une transition progressive jusqu’à atteindre une nouvelle forme, la baraque. Ce changement prend en compte les moyens et les besoins des habitants. C’est alors que la fragmentation de déchets recyclés, peu propice à la construction à cause de son irrégularité dans la forme, est progressivement remplacée par des matériaux plus adéquats et avec des dimensions plus généreuses. La tôle apparait pour former la toiture du logement, les structures de bois se solidifient, et les ouvertures murales s’apparentent dorénavant à de véritables fenêtres. La favela perd petit à petit son aspect fragmenté, pour apporter davantage de confort et une meilleure qualité de vie aux personnes.

-Enfin, les baraques tendent à s’uniformiser pour devenir des maisons en dur, symbolisant l’archétype de la favela du 21ème siècle à Rio. La fragmentation n’est alors plus vraiment formelle mais elle demeure dans le cadre de son aspect informel, car encore aujourd’hui, les habitations ne cessent d’être fragmentaires par leur continuel inachèvement. En effet, le logement ne cesse de s’améliorer, de s’agrandir en ne trouvant jamais aucune fin mais plutôt restant dans l’ordre de l’infini. C’est la perpétuelle remise en question du choix des matériaux qui le définit comme fragmenté. 1 Finalement, avec le temps, les favelas s’homogénéisent grâce à des éléments de construction plus conventionnels, plus nombreux, et plus urbains, notamment la brique et le béton. Non plus récupérée, la matière première est achetée en ville, ce qui témoigne d’ailleurs d’une dépendance et donc quelque part d’une intégration économique florissante du favelado au reste des citoyens brésiliens. Avec la transition progressive des choix de matériaux employés, une structure primaire en béton armé maintenu par du ferraillage permet de maintenir des murs de briques rouges souvent recouverts de ciments colorés. De plus, les menuiseries en bois habillant les diverses ouvertures viennent parfaire l’ensemble. Cette toute nouvelle mise en œuvre ne tarde pas à rentrer dans les mœurs constructives de la favela d’aujourd’hui. Au regard des matériaux employés, on a pu remarquer qu’au fur et à mesure de la transformation de l’habitat, les composants augmentent en nombre et en qualité. En fin de compte, les ressources disponibles sur le territoire symbolisent le fondement même de la fragmentation architecturale de la favela puisque sa conception empirique accueille des habitants vivant au jour le jour, sans de réels emplois du temps. Il en va de même pour leur architecture, qu’ils imaginent et développent grâce à la mise en valeur des matériaux errants dans la ville à la recherche d’une nouvelle vie, finalement mise entre les mains des favelados et de leur savoir-faire. Cette notion de réincarnation reflète une temporalité changeante et évolutive, maitresse du processus de bricolage que mettent en œuvre les brésiliens grâce à leur savoir-faire. « C’est de la fragmentation des anciennes architectures que le bricolage naît. La recomposition de ces fragments, brides et morceaux, mélangés à divers autres, a toujours pour résultat une forme complètement différente de celle d’où ils proviennent.» 2

1. Cf. FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.45. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final 2. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.207.

60


Figure 39 : Evolutivité de la matérialité. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p63.

61


Figure 40 : Structure de la maison en dur. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p60.

62


Figure 41 : La framentation des favelas. Source : : Photographie de ANDRE Cypriano prise en 1964. URL : https://www.loc.gov/item/2020633535/URL : https://www.hangar.art/claudia-jaguaribe

63


b. L’informel comme processus de bricolage, à la croisée de la frugalité et de l’éphémère

Chaque fragment et chaque méthode sont propres au favelado. En recyclant et en offrant une nouvelle vie aux matériaux encore utilisables mais rejetés dans les rues, il adopte une éthique frugale sans gaspiller les ressources locales du territoire. Cette frugalité en énergie, en matières premières, et en entretien ne signifie pas une absence de technologie, mais au contraire, un recours orienté vers des techniques pertinentes, adaptées, non polluantes ni gaspilleuses. De cette notion, en découle l’implication directe des occupants, qui font appel à l’innovation, l’invention et l’intelligence collective. « Ce n’est pas le bâtiment qui est intelligent, ce sont ses habitants. »1 Les favelas se soucient de leur contexte en reconnaissant la culture, les lieux pour y puiser leur inspiration constructive. La construction frugale et le territoire frugal de Rio de Janeiro permettent la naissance de la philosophie du bricolage, un concept énoncé et exposé par divers chercheurs. 2 Cette façon empirique dont les favelados se servent pour bâtir par accumulation de fragments évoque la non-conception d’un quelconque projet. En effet, on ne prévoit pas, on ne dessine pas, on ne se projette pas. Aucun projet n’est préétabli pour guider la forme architecturale de la favela, qui préfère se laisser diriger par l’acte en lui-même de construction. L’unique but d’une telle édification réside, sans considération esthétique, dans le fait de mettre à l’abri sa famille des intempéries et des dangers alentours. Mais, comment qualifier cette manière de faire architecture ? Il me semble que le terme «Bricolage» est adéquat, puisque qu’il s’oppose finalement à toute forme de projection. Ici, la favela ne s’achève jamais et demeure en perpétuelle recherche de formes et de spatialités. Elle est le produit de tâtonnements, d’échecs, de réussites, de bricolages, sans se concrétiser sur une homogénéité quelconque. A contrario dans la pratique architecturale conventionnelle, l’édifice, en réponse au projet conceptualisé, est voué à s’achever dans tels et tels délais n’offrant que très rarement des possibilités d’évolution. Cette dernière vision entraîne une rationalisation extrême, accompagnée d’une simplification des espaces proposés avec la répétition d’un module singulier. Elle n’en est que plus amplifiée avec l’avènement de la standardisation et de l’architecture moderne. « Refaire pareil, appliquer un modèle, c’est ce que tout homme tente de faire quand il est perdu : en cherchant, il finit par trouver une solution qui le satisfait enfin et qu’il a donc tendance à répéter. Or en répétant cette solution à un problème précis, il en perd le sens. » 3 A l’encontre du conformisme, les habitats s’ancrent sur des parcelles qui ne sont pas rationnellement droites. Les favelados préfèrent donc les encorbellements à l’étage pour rattraper l’irrégularité parcellaire, apportant une configuration intéressante basée sur une vision des codes architecturaux inversés. Ainsi, le bricolage se laisse porter par le moment, et n’aboutit jamais à une forme identique, non pas par volonté, mais parce que sa définition ne lui laisse pas d’autre choix que celui-ci. Le bricolage offre au constructeur le rôle principal d’explorateur, qui a la liberté d’agir en aval, sans penser en amont. Il détient la responsabilité de modifier et de s’approprier comme bon lui semble la parcelle familiale et disponible de la pente brésilienne de Rio, en usant de sa créativité sans failles.

1. Cf. BORNAREL Alain, GAUZIN MULLER Dominique et MADEC Philippe, Manifeste pour une frugalité heureuse & créative. Article publié en janvier 2018. URL : https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html 2. BERENSTEIN JACQUES Paola, FRIEDMAN Yona… 3. Citation de BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Actes Sud, Collection l’Impensé, 2006, p108.

64


Figure 42 : Une favela en construction. Bricolage et fragmentation des matériaux. Source : Photographie prise de l’article The Favela, publié en février 2013. URL : https://approachaarch.wordpress.com/2013/02/06/the-favela/

Figure 43 : Le chantier participatif d’un parc pour le morro. Source : Photographie de BLECHER Leonardo, publiée en mai 2020. URL : https://catracalivre.com.br/cidadania/moradores-da-favela-do-moinho-se-unem-para-construir-parque/

65


Figure 44 : Le chantier participatif d’un parc pour le morro. Source : Photographie tirée de Observatório de Favelas do Rio de Janeiro, O que é a favela, afinal?, 2009, p37. URL : https://observatoriodefavelas.org.br/wp-content/uploads/2013/09/o-que-%C3%A9-favela-afinal.pdf

66


0

1.6

3.2m

Figure 45 : Appropriation des spatialités de la favela. Source : Elévation de FERNEYRA publiée en décembre 2017. URL : https://www.behance.net/gallery/59659351/Tipologia-Telescopica

67


Cette créativité s’ancre dans le langage courant brésilien avec l’utilisation de la notion Gambiarra. Ce terme s’emploie pour désigner le phénomène constructif et créatif des favelados. Par ailleurs, il existe une branche scientifique étudiant cette singularité : la Gambiologia, assimilée à une approche contemporaine de la réponse inventive face aux besoins de la société. Elle consiste en une recherche sur la manière dont la tradition brésilienne d’adaptation, d’improvisation, et de recherches de solutions simples pourrait répondre aux problèmes quotidiens d’aujourd’hui. Gambiarra est donc l’acte même de constituer une solution improvisée grâce à une intervention alternative, que je pourrais également définir comme une technique de réappropriation matérielle à travers une attitude de différenciation et d’improvisation. Ensuite, il me semble important d’évoquer également que le bricolage est le fruit d’une entraide constructive, mise en place par le voisinage, à la suite d’une nouvelle arrivée nécessitant un agrandissement d’un foyer déjà présent ou alors tout simplement une construction. Une grande implication de l’Homme et de son entourage se fait ressentir dans l’acte architecturale où chacun combine ses connaissances pour ériger la nouvelle et unique favela. De plus, il est aussi intéressant d’apprécier la manière dont les personnes s’approprient collectivement les lieux en les transformant, en faisant muter les spatialités pour qu’elles deviennent confortables et habitables. Ils possèdent alors une totale liberté d’usages et d’actes : à eux de décider vers quel habitat ils souhaitent s’orienter. Ainsi, le favelado s’approprie continuellement la temporalité à travers l’évolutivité de la favela, en prenant appui sur les premières civilisations où la première préoccupation de l’Homme et encore plus celle de l’Architecte était le temps. Ce dernier souhaitait et souhaite toujours défier dans ses monuments l’éternel en faisant abstraction du temps qui passe. Car construire pour l’éternel, c’est faire abstraction du temps qui passe. Car construire permet de se rassurer par rapport à notre nature éphémère d’être vivant. De ce fait, les architectes spécialisent le temps, alors que les favelados temporalisent l’espace. Les habitations des morros nous intéressent grâce à leur relation avec le temps inconstant traduite dans la complexité spatiale des favelas ajoutée à la complexité temporelle. « De la même façon que les abris bâtis par les favelados sont plus proches du bricolage que de l’architecture, leur façon de vivre se rapproche plus de l’idée d’abriter que de celle d’habiter » 1 Paola BERENSTEIN explique d’ailleurs que la différence entre la notion d’habiter et celle d’abriter se retrouve directement dans la langue portugaise puisqu’il n’existe pas un verbe être mais deux, ser pour désigner le permanent et estar le temporaire ; en somme, deux façons d’être, deux façons de vivre, et finalement deux rapports au temps. Elle décrit la temporalité comme le cœur de l’architecture brésilienne où l’Homme vit et évolue. Comme expliciter précédemment, l’arrivée d’un nouveau venu sur les hauteurs de Rio de Janeiro implique une mouvance quant à la construction du logement familial. En effet, l’essence même de l’abri est l’évolutivité avec la transition des ressources utilisées, plus robustes, plus étanches et plus salubres que les premiers matériaux récupérés en ville. Mais ce qui est le plus frappant dans la temporalité évolutive des favelas est l’addition d’étages au rez-de-chaussée ancré dans la pente de Rio. Cette première version de l’habitat prend à cœur le concept de l’anticipation avec une structure jamais fermée marquant l’accroche nécessaire pour que dans un proche ou lointain futur, un niveau puisse prendre place et se rattacher à sa base.

1.

Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 2003, p.57.

68


Figure 46 : Détails constructifs de la favela. Source : Croquis de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p57.

69


Figure 47 : Plusieurs types d’extension de la favela. Source : Croquis personnels réalisés au stylo noir, en avril 2021. Analyse des études de DRUMMOND Didier et de BALLINGER Berry.

70


Figures 48 : Quand usages et temporalités forgent la favela de Rio. Source : Analyses photographiques de VEYSSEYRE Solène publiées en août 2014. URL : https://www.archdaily.com/531253/case-study-the-unspoken-rules-of-favela-construction

71


L’imagination et la créativité des favelados permettent l’évolution de ces façades se développant verticalement en prenant appui sur ces liens de ferraillage dépassant des toitures. Les matériaux s’additionnent, toujours récupérés lors des collectes dans les rues de la ville, pour habiller ces étages de briques, de bois, de ciment… Le but est donc de rendre possible un maximum d’annexes en hauteur pour accueillir d’autres membres de la famille. Parfois, le cas inverse est observable lorsqu’un parent décède ou quitte la maison. Un étage se retrouve alors vacant, et il est courant que cet espace désormais inutile soit loué à un proche ou à une autre famille, voire utiliser pour une activité commerciale si la favela est implantée sur l’un des axes majeurs du morro. La réversibilité et la flexibilité des constructions s’expriment aussi à l’échelle plus quotidienne des favelados. Pour pallier le peu d’espace disponible malgré la possibilité d’ajouts en étage, les habitants usent de leur intelligence pour mettre au point des systèmes leur permettant une certaine mutation d’usages. Au sein de la maison, il n’est pas rare de retrouver certaines spatialités unitaires le jour, mais fragmentées quand la nuit tombe avec une pensée ingénieuse de parois de tissus amovibles. Ainsi, ils redonnent de l’intimité à chaque personne de la famille le soir. Nous retrouvons cette élasticité dans les espaces publics des favelas, véritable espace de liberté bénéficiant d’un investissement divergeant d’un jour à l’autre. Aujourd’hui, les architectes tentent d’assimiler cette idée de flexibilité des espaces au cœur de leur réflexion de conception, puisque produire des spatialités modulables apparait comme une nécessité en prenant en compte la diversité des besoins d’une seule famille. Nous sommes dans une rupture complète avec l’urbanisme des années 1960, appelant à la sédentarité des populations et à une unique carrière. Effectivement, la société a glissé vers un mode de vie plus nomade, où les personnes évoluent à travers une multiplicité d’emplois de différentes natures les poussant à se déplacer de ville en ville.1 Finalement, on comprend que les favelados ont réussi à dompter la temporalité en l’acceptant tout au long du processus de construction de leur habitat bricolé. Ce dernier mute tout en demeurant inachevé pour toujours permettre la modification par l’agrandissement à la guise des habitants. « Aqui tudo parece construçao, mas ja é ruina » 2 A partir du moment où rien n’est conçu, ni établi au préalable, tout est spontané et s’oppose au projet architectural que nous connaissons. Cette production, n’appartenant à aucune autre, issue de processus sans planification et sans architecte, s’appuie sur la transmission des savoir-faire, des savoir-vivre, et savoir-être. Son organisation spatiale est remarquablement efficace, discernant toutes les activités des favelados de nuit comme de jour. L’informel fait indéniablement partie de l’essence même de la favela et offre la possibilité de répondre spatialement aux questions architecturales que je me pose par rapport à notre société actuelle. Il m’est nécessaire d’inclure dans ma pratique ces richesses brésiliennes pour alimenter ma culture constructive. 3

1. Cf. FROGER Jordan, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Bretagne, publié sur Issuu en février 2016, p.43. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final 2. Parole de VELOSO Caetano dans «Fora da ordem». Chanson portugaise de l’album Circulado écrite en 1991. Traduction : « Ici, tout parait en construction mais est déjà en ruines ». URL :https://www.youtube.com/watch?v=r_VetZLeBmw&t=1s 3. Cf. CANKAT Aysegul, Être architecte, la construction d’une éthique par la compétence spatiale. Volume 3, L’Inédit, Université ParisNanterre, 135p.

72


Figure 49 : L’informel, l’essence même de la favela. Source : Photographie de ANDRE Cypriano prises en 1964. URL : https://www.loc.gov/item/2020633535/URL : https://www.hangar.art/claudia-jaguaribe

73


c. Le bidonville de Dharavi où bricoler fabrique la qualité de vie des habitants

Il est remarquable d’associer conjointement les favelas de Rio de Janeiro avec les bidonvilles en Inde, puisqu’elles sont elles-mêmes désignées comme étant les bidonvilles du Brésil. Définir un bidonville n’est pas chose évidente, en vue de l’image péjorative de ces quartiers de la ville mais aussi à cause de leur implantation spontanée et pas forcément légale sur un territoire urbain. Cette organisation spatiale est répandue dans le monde entier, en gardant une définition assez différenciée avec des critères adaptés à chaque contexte. On parle d’ailleurs couramment de Villa Miseria1 en Argentine, de Elendsviertel2 en Allemagne, de Katchi Abadi3 au Pakistan… Malgré la pluralité des cultures, ces dominations renvoient toujours à l’imaginaire de la misère et des matériaux réutilisés en matière première. Selon l’ONU Habitat, le bidonville est une zone urbaine très densément peuplée, caractérisée par un habitat inférieur aux normes mais misérable, en incluant des notions architecturales et urbaines, à savoir la densité d’habitant, la construction de piètre qualité, et la pauvreté des édifices. Ces espaces sont dépourvus des services de base tels l’électricité, la gestion des déchets, l’éclairage… favorisant des conditions de vie malsaines. La précarité du logement dans laquelle se retrouve les nouveaux arrivants représente le cœur de ce mode d’habiter : en effet aucun contrat de location ou de titre de propriété n’est établi, certaines zones ne sont même pas viables à la construction et le surpeuplement atteint une haute densité.4 Nous nous pencherons plus particulièrement sur le bidonville de Dharavi, le second plus grand d’Asie, situé au cœur de l’agglomération de Bombay en Inde. Sa fondation remonte à 1880 et sa superficie s’est largement accrue en absorbant mêmes des nouveaux arrivants venus de campagnes lointaines. Au sud-ouest de l’Inde, à l’embouchure du fleuve Ulhas, la ville s’inscrit à une altitude proche du niveau de la mer, de dix à quinze mètres en moyenne. A contrario, le nord de la métropole abrite le point culminant du territoire haut de 450m, forçant les édifices à s’écorcher dans la pente. Son rivage maritime se caractérise par une abondance de criques et de baies. Quant au sol, il se compose majoritairement de sable et de roche du fait de sa proximité avec la mer. Composition parfaite pour le développement d’un marais de mangroves riches en faune et en flore. Bombay est fortement exposée à la montée des eaux sous l’effet de l’accélération du réchauffement climatique et de son climat à deux saisons, sèche et humide. De plus, la ville est implantée sur la trajectoire de la mousson, phénomène pluvieux pouvant se montrer particulièrement dévastateur. Selon une étude mondiale menée par l’organisation scientifique Climate Central en 2019, plus des trois quarts de l’agglomération devraient d’ailleurs être submergés dans les trente années à venir. Près d’un million d’habitants ont colonisé ces 223 hectares d’anciens marécages. Ces estimations portent la densité au chiffre de 17 000 hab/km2. Cette spatialité est rapidement devenue l’archétype, le paradigme de la bidonvilisation des villes des pays du Sud, notamment depuis que le cinéaste BOYLE Danny l’a mis en scène dans son film Slumdog Millionnaire réalisé en 2008. Economiquement, Bombay affiche deux visages : c’est d’abord le siège de nombreuses sociétés axées sur différents secteurs d’activités comme la bourse, la banque, le cinéma, le textile… De ce fait, la ville est désignée comme la capitale économique et financière de l’Inde, en parvenant par exemple à fournir 10% des emplois industriels, 40% de l’impôt sur le revenu, et 40% du commerce extérieur. En somme, elle rapporte au budget indien près de 40 milliards de roupies.5

1. Ville Misère. 2. Quartier misérable. 3. Maison de terre. 4. Cf. LONDONO Daniel Juan, Corps, Espace et Bidonville : une redécouverte urbaine à travers la perception. Mémoire d’architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, publié sur Issuu en janvier 2018. URL : https://issuu.com/londono.juan/docs/m_moire_de_ recherche_complet_pdf.co 5. Équivalant à 600 000 000€.

74


0

DHARAVI

1000

2000m

BOMBAY

EXTENSION DU BIDONVILLE

BOMBAY

DHARAVI

Migration économique vers le centre ville : -Haute densité de logements -Opportunités d’emplois -Vie chère

Migration économique et spatiale vers Dharavi : -Terrain disponible et abordable -Habitat modeste mais salubre -Vie peu chère

EXTENSION Migration spatiale vers l’extension du bidonville : -Pauvreté importante -Opportunités d’emplois nulles -Habitat insalubre

Figure 50 : Les flux migratoires de Bombay. Source : Carte personnelle réalisée sur Illustrator en avril 2021.

75


C’est également l’arrivée d’une multitude d’artisans, comme des potiers de Gujarat, des tanneurs de Uttar Pradesh, des couturiers du Maharashtra...qui œuvrent d’arrache-pied dans leurs ateliers sans jamais gagner plus d’1.1€ par jour. Ainsi, composé d’un réseau complexe de quartiers, de commerces, d’écoles et de mosquées, ce bidonville est le témoignage de flux migratoires successifs et différenciés. Ce n’est pas sans rappeler l’histoire de la formation des favelas de Rio de Janeiro en réponse à la masse de population envahissant les pentes vacantes de la ville. Effectivement, deux populations radicalement opposées se côtoient dans la métropole : l’une aisée et l’autre mise à l’écart économiquement et fondée sur des castes. Les personnes les plus pauvres sont donc contraintes à développer de manière autonome un nouveau mode d’habiter au sein du bidonville, puisqu’ils ne touchent pas le salaire nécessaire pour loger dans les zones urbaines et développés. Erigeant leurs habitats à partir de matériaux de récupération assemblés de la manière la plus ingénieuse qu’il soit, nous pouvons aisément qualifier la population du bidonville de Dharavi de bricoleurs. En effet, elle compose et agence les débris et déchets de Bombay, pour en faire un ensemble nouveau, cohérent et appartenant à la fonction d’abriter. Du rejet qu’ils subissent, les pauvres sont repoussés par la ville qui refuse de les accueillir. Ils finissent donc par recréer une ville dans une ville, une vie novatrice et bricolée. Le bricolage est au cœur de l’esthétique architecturale des foyers des bidonvilles, c’est un art de faire, une manière d’inventer, et de créer les spatialités. Pour LEVI STRAUSS Claude, cette manière de construire s’apparente à « la science du concret » qui assemble des éléments hétéroclites collectés au préalable, afin de créer un ensemble neuf avec des moyens détournés. La conception architecturale enlace le bricolage physique mais aussi intellectuel et s’ancre dans les pratiques de récupération. En effet, dans les usines, l’ouvrier récupère les déchets et diverses chutes de matériaux pour des fins personnels, « pour le plaisir d’inventer des produits gratuits destinés seulement à signifier par son œuvre un savoir-faire propre et à répondre par une dépense à des solidarités ouvrières ou familiales. » 1 On peut clairement voir le lien avec les baraques des favelas, construites elles aussi avec la fragmentation de matières recyclées et récupérées en ville. « Mais plus qu’un simple mode de construction, le bricolage préside aussi à une manière de penser, de concevoir le monde, et de l’organiser. (…) Même en ce qu’il a véritablement de plus trivial, le bricolage est une prise de position intellectuelle — dans un sens certes modeste — comme positionnement face à ce qui a déjà été fait, face à ce que l’on réutilise, face à ce que l’on fait à son tour. » 2 La force de ces petits dispositifs habitables réside dans l’économie des matériaux mais aussi des surfaces possibles, puisque le logement se déploie à l’extérieur. La famille rencontre le dehors, ainsi que le voisinage, ce qui permet une belle réconciliation face à la résilience de la pauvreté et des conditions de vie. Ce déploiement participe à un apport qualitatif au sein des logements. Ainsi, c’est de cette nécessité d’habiter que le bricolage naît au sein du bidonville de Dharavi. Les habitants, bricoleurs, se logent finalement grâce au fruit du hasard d’une collecte de tous les fragments susceptibles d’être utilisables. Les résultats sont donc tout à fait provisoires, tant la construction en est infinie. Le bricolage demeure un mode constructif aléatoire, accidenté et éternellement inachevé. Ce phénomène entraîne une constante évolution des maisons.

1. Citation de DE CERTEAU Michel, L’invention du quotidien 1, Arts de faire, Paris, Collection Folio essais (n° 146), Gallimard, 1990, p.45 2. Citation de BOURGOINT Patricia, Esthétique des bidonvilles. Mémoire de Sciences de l’Homme et Société publié en 2015, p.39. URL: https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01109920/document

76


Figure 51 : Les berges du bidonville de Dharavi. Source : Photographie de LE CORF Pierre publiée en 2017. URL : https://medium.com/@pierrelecorf/ouvrir-des-portes-aux-enfants-des-bidonvilles-en-inde-8a556c2b5591

Figure 52 : Le bricolage des bidonvilles à partir de matériaux fragmentés. Source : Photographie de LEPROPRE Olivia publiée en avril 2020. URL : https://www.levif.be/actualite/international

77


De même, le bidonville n’est jamais fini, puisque ces composants sont toujours actifs et vivants. Il devient alors un tout, dont la croissance quasi-organique s’épanouit de l’intérieur. L’organisation empirique des cheminements et des habitations dispose de cet espace en mouvement, et puisqu’elle n’est jamais planifiée, elle reflète la volonté et le désir de la population, à un moment donné. Pour BERENSTEIN Paola, cette évolution perpétuelle devient une caractéristique de la manière de vivre, de penser, de se mouvoir pour les favelados qu’elle analyse dans ces différentes œuvres : ces flux à travers les rues interminables de Dharavi font échos à celles de Rio de Janeiro, car cet inachèvement constructif contribue à créer un espace labyrinthique. Le tissu urbain naît donc de deux états de fait : l’absence de plan préétabli et de volonté unificatrice. La fragmentation est seule maîtresse de la modélisation de cet espace entre deux, oscillant entre le dedans et le dehors. Effectivement, à Dharavi, il me parait impossible de discerner clairement l’espace public de l’espace privé, en raison des systèmes de cheminement au statut incertain. Les habitants bénéficient alors d’espaces aux qualités multiples, grâce à la pensée collective de construction par tous et pour tous. Cette mise en commun des savoir-faire permet de diversifier connaissances et techniques, en les partageant et les faisant circuler à travers l’ensemble du bidonville. C’est la raison pour laquelle chacun est apte à maîtriser toutes les étapes de la production architecturale. Chacun se réapproprie ses conditions de vie et dicte sa propre vision de la vie, tout en prenant en compte la pauvreté qui limite cette fabuleuse liberté d’agir. « Le caractère indéterminé, indéterminable, interminé et interminable du bidonville bricolé fait partie de sa propre poétique. Il sera le fragment d’un tout, d’une vision du monde, d’une façon de le percevoir mais aussi de l’exprimer qui va de pair avec la création bricoleuse. Non seulement dans les productions artistiques, comme la danse ou la musique que nous avons cité plus haut, mais aussi dans de simples manières de faire, de parler, infusées par le bricolage et son modèle de pensée. » 1 De plus, le bricolage se modifie en optant pour une densification verticale. En effet, lorsque le migrant arrive dans la ville de Bombay, il se dirige directement vers sa famille pour être logé. Puis avec le temps, et au fur et à mesure qu’il collecte de l’argent grâce à un travail provisoire, il aspire au rêve commun à tout Homme du 21ème siècle : devenir l’heureux propriétaire d’un bien immobilier pour être indépendant. Pour se faire, il se met en quête d’un terrain vide pour pouvoir se l’approprier et implanter son nouveau logement, ou il choisit d’acquérir une maison inoccupée et déjà existante. Ce marché de l’immobilier est d’ailleurs totalement autogéré par la population du bidonville, puisqu’il est conçu par ses habitants eux-mêmes. Cependant, lorsque toute la superficie au sol est occupée, il cherche à agrandir son habitat selon un processus de densification verticale, allant jusqu’à cinq étages. Avec ces spatialités importantes, il est tout à fait possible au propriétaire de louer quelques mètres carrés afin de créer un revenu supplémentaire. 2 Les structures sont donc pensées pour accueillir un nouveau niveau permettant d’agrandir le logement, selon les besoins et les moyens de la famille. En conséquence, une esthétique morphologique apparait en façade avec ces rajouts de matériaux çà et là dans la même unité bâtie. Les frontages illustrent les histoires de l’évolution de la maison, et forgent le caractère unique des bidonvilles, exprimant l’intelligence créative des habitants comme une manifestation de leur propre savoir-faire.

1. Citation de BOURGOINT Patricia, Esthétique des bidonvilles. Mémoire de Sciences de l’Homme et Société publié en 2015, p.44. URL : https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01109920/document 2. Cf. LONDONO Daniel Juan, Corps, Espace et Bidonville : une redécouverte urbaine à travers la perception. Mémoire d’architecture, École nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, publié sur Issuu en janvier 2018. URL : https://issuu.com/londono.juan/docs/m_moire_de_ recherche_complet_pdf.co

78


Figure 53 : Tissu urbain labyrinthique de Dharavi. Source : Vue aérienne tirée d’une vidéo drône, au dessus du bidonville de Dharavi. URL : https://fr.depositphotos.com/stock-footage/bombay.html

Figure 54 : La densification verticale pour développer de nouvelles spatialités. Source : Photographie de LEPROPRE Olivia publiée en avril 2020. URL : https://www.levif.be/actualite/international

79


Ainsi, le processus de bricolage à la structure labyrinthique, fragmentaire et imprévue fait transparaître à sa manière le portrait de son constructeur. Il témoigne de l’empreinte humaine personnelle qui associe l’art de faire et la manière de penser. « Par ses caractéristiques, le bidonville peut être envisagé non seulement comme un quartier urbain en gestation, mais comme un quartier susceptible d’enrichir la ville et de lui donner une qualité, une spécificité unique au contexte. »1 La communauté soudée au sein du bidonville rappelle un organisme vivant complexe constamment renouvelé. Réalité ancrée dans les mémoires des habitants, comportant une identité unique rythmé par leurs besoins et leurs envies. Les expériences dans la ville deviennent communes, et les souvenirs vécus s’accordent sur le défi du « vivre ensemble ». Les spatialités, qu’elles soient publiques ou privées, sont définies par ces liens inter individus qui ressortent de l’expérience solidifiés. Cette méthode participative contribue à la qualité de vie de l’ensemble de la communauté indienne ; c’est ce facteur communautaire qui fait la force et le caractère du bidonville de Dharavi. En fin de compte, l’approche bricolée issue de l’intelligence collective offre les outils nécessaires à la population contre toute épreuve. Les favelas, comme les bidonvilles, ne sont pas contraints par quelque précarité qu’il soit, au contraire ils s’expriment à travers l’habileté de l’Homme afin de créer un tout viable et confortable. Ces espaces attestent de la situation en marche, où des personnes de classe défavorisée ont appris de manière autonome à habiter autrement. A travers ce nouveau mode d’habiter spontané, se forgent des relations tant architecturales que sociales, très riches et de l’ordre de l’émotionnel. Ces appropriations particulières de l’espace ne répondent en aucun point aux mêmes logiques du bâti conventionnel : l’identité, l’intimité, les ambiances, les rapports entre intérieur et extérieur.

1.

Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.178.

80


Figure 55 : Le «vivre ensemble» Source : Photographie de NEYRA Fernando publiée en février 2018. URL : https://www.archdaily.co/co/889446/gehl-la-paradoja-de-planificar-la-informalidad

81


CONCLUSION Face à l’objectivation de l’architecture dans une société où l’image domine et où l’architecte remplit de moins en moins ses fonctions sociales, il m’a semblé judicieux d’aller rechercher des solutions ailleurs que sur notre continent. En effet, la norme, notre norme, peut être facilement remise en question en confrontant une culture et une autre, sans pour autant penser que notre territoire n’est pas capable d’apporter une réponse correcte au problème donné. C’est l’altérité et la cohabitation parfois brutale que j’ai choisies d’étudier, afin de mettre en lumière le potentiel architectural et urbanistique de ce mode d’habiter d’urgence issu de ses habitants eux-mêmes ; puisque c’est en se rapprochant des conditions d’habitations les plus précaires que l’on opère un retour sur la quintessence architecturale. Face à la crise internationale qui touche le secteur du logement, les favelas s’érigent sur les morros de Rio de Janeiro en devenant synonyme d’une beauté purement accidentelle. Mais aujourd’hui, il faut le reconnaitre, ces baraques sont le résultat pragmatique de la recherche de solutions adaptées face à la pénurie d’habitat et surtout aux besoins de chacun. « La favela est pour nous un modèle qui anime notre espoir de pratiquer une architecture du quotidien, véritablement au service des besoins et des désirs de chacun. » 1

La pertinence d’apprendre du processus informel de la mise en œuvre des favelas comporte un double engagement inscrit dans la conception spatiale et sociale unique de Rio de Janeiro. Le premier voue une attention particulière aux personnes pauvres pour développer des espaces qualitatifs de vie à travers cette spatialité en pente. « Les bâtisseurs autodidactes savent dans le temps et dans l’espace adapté avec un talent remarquable leur construction à l’environnement. Au lieu de s’évertuer, comme nous, à dominer la nature, il tire un profit extrême des caprices du climat, des obstacles de la topographie. » 2 Mis à l’écart de l’urbanisation des villes, ces espaces oubliés témoignent d’une organisation démocratique où règne la liberté d’expression, d’action, et d’échange. En découle le phénomène de gentrification actuel dans certains morros de Rio de Janeiro, faisant foi de la qualité de vie notable retrouvée dans les habitations et les ruelles, sans pour autant omettre le facteur géographique exhibant une magnifique vue en hauteur sur le paysage maritime. C’est donc cette altérité spatiale que j’ai voulu traduire en une possible alternative vis-à-vis de l’architecture contemporaine, en une solution aux logements de masse se révélant aujourd’hui inadaptés aux besoins des plus démunis. Ainsi, l’organisation de la favela et du quartier offre à sa population un apport qualitatif de confort et de sens dans les spatialités complexes du Brésil. La seconde promesse de ce mode d’habiter s’articule autour du caractère social fédéré par le puissant lien communautaire du peuple brésilien. Force est de constater qu’une vraie communauté voit le jour grâce à ces architectures sans architectes, développant une pratique collective des espaces. La proximité avec le voisinage, l’entraide lors de l’édification de logements, mais aussi le « vivre ensemble » font partie des nombreux enjeux sociaux qui enrichissent l’âme de Rio de Janeiro. Le schéma labyrinthique organisant les ruelles crée de multiples cheminements, véritables lieux de sociabilité investis par la population. C’est donc la promiscuité qui détermine la solidarité entre voisins, en suivant les règles mises en place et imposées pour tous et par tous. 1. 2. 1977

Citation de DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.6. Citation de RUDOSKY Bernard, Architecture sans architectes : brève introduction à l’architecture spontanée, Editions du Chêne, Paris,

82


De plus, les favelados doivent faire preuve de résilience face aux conditions économiques au sein de la ville urbanisée auxquelles ils ne peuvent pas forcément subvenir. Mais en développant ce mode d’habiter imaginé par leurs mains et leurs envies, ils arrivent à se faire une place dans les sommets de Rio grâce à une volonté et une entraide sans failles. C’est ensemble qu’ils forgent ce lien communautaire si fort, plongés dans la nécessité d’avoir un toit pour s’abriter et habiter. Cependant, je ne cherche pas à condamner l’architecture contemporaine, ni à faire l’apologie du chaos urbain, mais plutôt à porter un regard sur une autre situation architecturale, urbaine, et sociale ; où une autre façon de faire architecture est développée et où des méthodes spécifiques et adaptées au cas par cas peuvent devenir de véritable chemins urbains et architecturaux à découvrir. Bien-sûr, il n’est pas question de « copier-coller » les typologies urbaines des favelas en France ou partout ailleurs. Une simple transposition ne suffirait pas à s’adapter aux différences de normes, de niveaux de vie, de climats, de cultures, qui sont autant de facteurs qui m’obligent à penser une réponse en cohérence avec l’espace donné. En ce sens, la favela n’est certainement pas le seul mode de vie alternatif qui pourrait nous permettre de remettre en cause les dogmes de l’architecture pensée jusqu’à aujourd’hui. « On peut autant parler des favelas ou d’autres bidonvilles dans le monde, que des banlieues délaissées, des abords de parkings ou d’autoroutes, des terrains vagues urbains - ces nouvelles situations urbaines problématiques réclament une nouvelle posture de la part des professionnels de l’espace urbain qui est aussi à réinventer, une bonne piste dans ce sens tiendrait aux retrouvailles entre la participation en architecture et l’urbanisme. » 1 Finalement, la favela m’apparait comme une ouverture du champ des pratiques de l’architecture et comme une genèse urbaine à part entière transcrivant un espoir pour les constructions de demain. Cette évolution de l’Homme dans un monde nouveau où les situations urbaines sont de moins en moins identiques et de plus en plus nombreuses me laisse à réfléchir, en tant que future architecte, à ma participation dans le développement de la ville de demain à travers un investissement plus direct et plus profond. « Les architectes ont tout à gagner en remplissant ce nouveau rôle qui consistera alors à intervenir dans ses nouvelles situations, dans les urbanités déjà pris existantes, fussent-elles construites par d’autres architectes. » 2 L’architecture n’est plus à considérer comme une science autonome, mais au contraire, s’inscrit dans un mouvement interdisciplinaire. Ce qui compte c’est de voir dans les situations actuelles, générées par les constructions du 20ème et 21ème siècles, l’abandon des autorités et la migration des populations, autant de voix ouvertes pour la pratique de l’architecture de demain. Je ne prône pas la sauvegarde des constructions populaires, mais je souhaite la préservation de la morphologie spontanée des villes érigées de façon empirique par le biais d’interventions minimalisées mais efficaces, puisqu’elle me semble être l’avenir de l’organisation des villes et des vies d’autrui. Bien évidemment, l’architecte est tenu d’ajuster son positionnement dans la société pour répondre de manière optimale aux besoins les plus modestes, en mettant de côté sa posture démiurgique au profit d’une posture plus sociale. Le citoyen n’a plus à se retrouver en bout de chaîne de la production constructive, réduit à son statut de « consommateurs » d’espaces conçus par d’autres. 1. 2.

Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.172. Citation de BERENSTEIN JACQUES Paola, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 2001, p.171.

83


C’est pour cela que nous avons besoin de mettre en lumière la désillusion dont nous faisons preuve depuis bien trop longtemps quant aux logements sociaux d’aujourd’hui. C’est pour cela que le rapprochement de l’architecte et de l’habitant doit s’opérer au plus vite, de façon à renouer avec une architecture au service de l’humain. C’est pour cela que nous avons beaucoup à apprendre de l’architecture construite par des non-spécialistes, ici les favelados qui réussissent à ancrer leurs habitats à travers les reliefs complexes du Brésil pour y vivre et s’épanouir collectivement. « Plus on en fait, plus on ferme ; moins on en fait, plus on ouvre et on donne : le moins de forme pour le plus de sens, le moins de règlements pour le plus de liberté.» 1 Développer des outils et des méthodes pour utiliser ce mode de construire et de vivre au sein de notre contexte occidental, dans notre architecture, dans mon architecture, ne cessera de susciter mon intérêt. Cette recherche n’en est qu’à ces débuts, ces conceptions-là sont toutes nouvelles pour moi, mais j’aimerais par la suite, dans la suite de mes études et dans ma vie professionnelle à venir, élargir ces connaissances en continuant à arpenter les processus de l’architecture informelle et spontanée mise en œuvre par l’intelligence créative de la population elle-même.

1.

Citation de BOUCHAIN Patrick, Construire autrement, Actes Sud, Collection l’Impensé, 2006, p41.

84


85


86


Figure 56 : Les favelas dans la lumière des morros. Source : Photographie de BELTON Padraig prise en août 2016. URL : https://www.worldremit.com/fr/stories/story/2016/08/22/olympics-favelas-google-map

87


ANNEXE 1. Données économiques brésiliennes

a. Les salaires à la ville et à la campagne 1

1/2 salaire minimum 1/2 à 1 salaire 1à2 salaires

non argicole

agricole

1 246 000

1 236 000

3 560 000

1 290 000

4 490 000

396 000

1. 2. 3.

2à3 salaires 3à4 salaires Plus de 15 salaires

agricole

1 930 000

32 200

2 470 000

16 300

38 900

335

b. Dégradation du pouvoir d’achat 2 Année 1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 1974

non argicole

Salaire réel 9.44 13.21 42.00 84.00 129.60 187.20 268.80 415.00

Salaire absolu 199 121 119 101 99 100 92 82

c. Activités des favelados par secteurs économiques 3 Favela de la Rocinha (estimation)

Moyenne Générale (d’après G. Nunes)

Activités

10% 30% 30% 14% 10% 6%

34% 20% 20% 10% 10% 6%

Industrie Construction civile Services domestiques Commerces Transports Administrations publiques

IBGE extrait de Movimento n°130, décembre 1977. DIESSE (Departamento Intersindical de Estatistica e Estudo Socio-Economico). DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.108.

88


2. Données démographiques brésiliennes

a. Evolution de la population urbaine et rurale au Brésil 1 Année 1940 1950 1960 1970 1980

1. 2.

Population urbaine (en millions) 12 880 18 783 32 005 52 905 80 000

Population urbaine (en %) 31.2 36.1 45.1 55.8 66.7

Population rurale (en millions) 28 356 33 162 38 988 41 604 40 000

Population rurale (en %) 68.8 63.9 54.9 44.2 33.3

TOTAL 41 236 51 954 70 993 94 509 120 000

b. Croissance comparative des populations urbaine et rurale au Brésil 2 Période

Population urbaine (en millions)

Population rurale (en %)

1940-1950 1950-1960 1960-1970 1970-1980

+5 903 +13 222 +20 900 +27 170

+4 806 +5 826 +2 616 -1 604

Ces chiffres nous permettent de remarquer la rapidité avec laquelle s’est inversée la répartition des populations rurale et urbaine. Le Brésil a ainsi atteint en 40 ans le même taux d’urbanisation que la France, la Suisse ou le Canada.

c. Nombre de favelados à Rio de Janeiro 2 1950

1960

1975

1977

Population de Rio de Janeiro

2 374 457

3 281 908

-

5 154 493

Nombre de favelados

169 309

335 063

762 000

1 000 000

%

7.5

10.2

-

19.4

PERLMAN J.E., Mito da marginalidade, Editions Paz e Terra, Rio, 1977. DRUMMOND Didier, Architectes des favelas, Dunod, 1981, p.109.

89


3. Données climatiques brésiliennes

a. Relevé météorologique de Rio de Janeiro 1 jan.

fév.

mars

avril

mai

juin

jui.

août

sep.

oct.

nov.

déc.

Moyenne

Température minimale (°C)

23,3

23,5

23,3

21,9

20,4

18,7

18,4

18,9

19,2

20,2

21,4

22,4

21

Température moyenne (°C)

26,3

26,6

26

24,4

22,8

21,8

21,3

21,8

22,2

22,9

24

25,3

23,8

Température moyenne (°C)

30,1

30,2

29,4

27,8

26,4

25,2

25

25,5

25,4

26

27,4

28,6

27,3

Record de froid (°C)

15

17

14

12

10

6

4

6

7

11

10

14

4

Record de chaleur (°C)

43

43

42

40

39

36

37

40

43

42

42

44

44

Précipitations (mm)

130

120

130

100

70

50

40

40

60

80

90

130

1 090

b. Cartographie mensuelle des températures brésiliennes 2

1. 2.

INMET, moyennes établies entre 1961 et 1990. RIHOUX Jean-Pol, Vivre au Brésil, Article publié en juin 2017. URL : https://www.vivre-au-bresil.com/l-hiver-au-bresil/

90


4. Données géographiques de Rio de Janeiro

a. Positionnement et course du soleil du territoire brésilien1

b. Géologie du territoire de Rio de Janeiro 2

1. SUNEARTHTOOLS Rio de Janeiro. URL : https://www.sunearthtools.com/dp/tools/pos_sun.php?lang=fr 2. DRM-RJ.

91


3. Données spaciales d’une favela

a. R-1

b. RDC

92


c. R+1

d. R+2

1. UBISOFT ENTERTAINMENT, Favela. Article publié en 2015. URL : https://www.ubisoft.com/fr-fr/game/rainbowsix/siege/game-info/maps/favela

93


BIBLIOGRAPHIE Livres et Revues

BERENSTEIN JACQUES Paola, 2003, Esthétique des favelas, Paris, L’Harmattan, 207p. BERENSTEIN JACQUES Paola, 2001, Les favelas de Rio : Un enjeu culturel, Paris, L’Harmattan, 178p. BOUCHAIN Patrick, 2006, Construire autrement, Actes Sud, Collection L’Impensé, 192p. BOUCHAIN Patrick, 2010, Construire ensemble le Grand Ensemble, Actes Sud, Collection L’impensé, 72p. BOUCHAIN Patrick, 2013, Simone et Lucien Kroll, une architecture habitée, Actes Sud, 355p. CANKAT Aysegül, non publié, Etre architecte. La construction d’une éthique par la compétence spatiale. Volume 3, L’Inédit, Université Paris-Nanterre, 245p. DE CERTEAU Michel, 1990, L’invention du quotidien 1, Arts de faire, Paris, Collection Folio essais (n° 146), Gallimard, 416p. DRUMMOND Didier, 1981, Architectes des favelas, Dunod, 112p. JR ART RAO Vyjayanthi, ETH Studio Basel…, 2010, Learning form, Lotus, n°143, 129p. LESBET Djaffar, 1987, «La casbah d’Alger, gestion de la salubrité» dans BOUROND Daniel, CASTORIADIS Zoé..., Les Annales de la Recherche Urbaine, n° 33, pp. 58-68. LEVI-STRAUSS Claude, 1962, La pensée sauvage, Paris, Presses Pocket, Collection Agora, 347p. NAJI Salima, 2019, Architectures du bien commun, Pour une éthique de la préservation, MétisPresses, Collection vuesDensemble Essais, 240p. RAGON Michel, 1977, l’Architecte, le Prince et la Démocratie. Editions Albin Michel, 256p. REGHEZZA-ZIT Magalie et RUFAT Samuel, 2015, Résiliences. Société et territoires face à l’incertitude, aux risques et aux catastrophes, Londres, Iste éditions, 242 p. RITUI Christine, 2004, «João do Rio : ombre et lumière du Rio de Janeiro de la Belle Époque» dans PENJON Jacqueline et PASTA JR. José Antonio, Littérature et Modernisation au Brésil, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, pp. 31-40. RUDOSKY Bernard, 1977, Architecture sans architectes : brève introduction à l’architecture spontanée, Editions du Chêne, Paris, 156 p.

Travaux d’étudiants

FROGER Jordan, 2016, La favela comme potentiel architectural. Mémoire d’architecture, ENSA Bretagne, 112p., publié sur Issuu. URL : https://issuu.com/jordanfroger/docs/mep_me__moire_final GALLAIS Jeanne, 2020, La pérennité dans l’architecture d’urgence aménager un monde avec des ressources et de l’espace limite. Rapport d’étude d’architecture, sous la direction de MANOLA Théa, ENSA Grenoble, 35p. LONDONO Juan Daniel, 2018, Corps, Espace et Bidonville ; une redécouverte urbaine à travers la perception. Mémoire d’architecture, ENSAS, 74p., publié sur Issuu. URL : https://issuu.com/londono.juan/docs/m_moire_de_ recherche_complet_pdf.co MESKINE Lina, 2019, Vers une narration architecturale : Récit sur Alger. PFE, ENSA Rabat, publié sur Issuu. URL : https://issuu.com/linameskine/docs/memoire_de_fin_d_etude PACHECO Francisco, 2019, L’architecte aux favelas. Mémoire d’architecture, ENSAP de Lille, 172p., publié sur Issuu. URL : https://issuu.com/frapaes/docs/memoire_master_architecture 94


Articles en ligne

BORNAREL Alain, GAUZIN MULLER Dominique et MADEC Philippe, janvier 2018, Manifeste pour une frugalité heureuse & créative. URL : https://www.frugalite.org/fr/le-manifeste.html DE OLIVEIRA MAGALHAES Alexsandra et PEULVAST Jean-Pierre, octobre 2013, Aléas et risques naturels dans l’intérieur semi-aride du Nordeste brésilien : la crue-éclair du Rio Grangeiro (Crato, Ceará) du 28 janvier 2011. URL : https://journals.openedition.org/echogeo/13596 GODFRAIN Marie, janvier 2014, « L’architecture vernaculaire, quand l’habitat se fond dans son environnement », Article de l’interview de HERZOG Jacques. URL : https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2014/01/24/retour-auxsources_4353074_4497186.html IMBERT Christophe, CHAPON Julie et MIALOCQ Madeleine, avril 2018, « L’habitat informel dans l’ouest de l’Ariège : marginalité ou alternative à la norme ? », Etude des espaces ruraux et périurbains en France. URL : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/france-espaces-ruraux-periurbains/ articles-scientifiques/habitat-informel-ariege-marge-innovante#:~:text=L’habitat%20informel%20urbain%20 est,%C2%BB%20(Clerc%2C%202005). LAROCHE Didier, 2012, « Construire sur la pente », Représentation analytique de l’architecture, 236p. URL : https:// issuu.com/didier.laroche/docs/construire_pente_ensas L’EXPRESS, février 2020, Le Brésil, c’est le mythe de Sisyphe permanent. URL : https://www.lexpress.fr/actualite/ monde/amerique/le-bresil-c-est-le-mythe-de-sisyphe-permanent_493870.html LEMOS Rafael, janvier 2011, Brésil : Des favelas soumises au déluge. URL : https://www.courrierinternational.com/ article/2011/01/14/des-favelas-soumises-au-deluge MEDDI Adlène, 2018, L’Afrique à vivre : Alger, ville secrète et farouche. URL : https://www.lepoint.fr/culture/l-afriquea-vivre-alger-ville-secrete-et-farouche-15-07-2018-2236351_3.php#:~:text=De%20l%C3%A0%2Dhaut%2C%20 on%20domine,Jdid%20et%20Jamaa%20el%2DKebir. PINSON Daniel, juillet 2017, « Dans l’architecture, des gens…», Séminaire Logiques sociales et architecture, 8p. URL : https://core.ac.uk/download/pdf/87883014.pdf RYBCZYNSKI W., BHATT V., ALGHAMDI M., BAHAMMAM A., décembre 1984, « How the other side builds », Recherches menées à Montréal, Volume 1, 46p. URL : https://www.mcgill.ca/mchg/files/mchg/how_the_other_half_ builds_space1_0.pdf VALLADARES Licia, 2006, « La Favela d’un siècle à l’autre. Mythe d’origine, discours scientifiques et représentations virtuelles », Editions MSH. URL : https://riofavela.wordpress.com/2011/09/27/origines-du-motfavela/#:~:text=Le%20terme%20favela%20vient%20de,l’Etat%20de%20S%C3%A3o%20Paulo.

Conférences en ligne

DESCOMBES George, octobre 2014, « Dessiner une rivière, Georges Descombes, architecte paysagiste, Genève ». Conférence Archizoom publiée sur Youtube. URL : https://www.youtube.com/watch?v=XjNgTk8VfzM JAGUARIBE Claudia, janvier 2016, «Fotografias at Stiftung Brasilea, Basel». Vernissage de ses photographies du Brésil, Suisse. URL : https://www.youtube.com/watch?v=y-PcYi-hZ5M&t=5s

Films

SEIXAS Vladimr, 2010, Atras da porta. Documentaire, 92min. URL : https://riofavela.wordpress.com/ BOYLE Danny, 2008, Slumdog Millionaire. Film dramatique britanique, 120min.

95


« L’architecture nouvelle crée avant tout des structures utiles, utiles non d’un point de vue isolé, mais utiles pour tous. De cette utilité, c’est l’utilisateur qui doit décider. L’initiative personnelle de l’utilisateur (habitant) est ce facteur qui nous mènera vers un nouveau langage de formes. » Citation de RAGON, Michel. l’Architecte, le Prince et la Démocratie. Editions Albin Michel, 1977, p21.

96


Merci de votre attention.

97


Montage personnel réalisé sur Photoshop en avril 2021.

98


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.