Burn out numérique

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gare au burn-out numĂŠrique &RXUULHU pOHFWURQLTXH Ă€X[ RSS, tweets, SMS‌ L’homo connexus est guettĂŠ par le burn-out numĂŠrique. La surcharge informationnelle provoque chez chacun d’entre nous de nouvelles pathologies de l’intelligence. Portrait d’une sociĂŠtĂŠ passĂŠe Ă l’ère du travail intellectuel Ă la chaĂŽne.

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eut-on mourir Ă cause d’un H[FqV GÂśLQIRUPDWLRQ " 3RXU OH psychologue britannique David Lewis, la question mĂŠrite d’être posĂŠe. Après avoir analysĂŠ les tĂŠmoignages de 1 300 salariĂŠs (en *UDQGH %UHWDJQH DX[ eWDWV 8QLV j 6LQgapour, Ă Hong-Kong et en Australie), il HVW DUULYp j OD FRQFOXVLRQ TXH GHX[ WLHUV des personnes interrogĂŠes souffraient d’un stress liĂŠ Ă la prolifĂŠration de l’information dans le cadre professionnel. ÂŤ Le stress informationnel apparaĂŽt lorsque les salariĂŠs doivent gĂŠrer d’Ênormes volumes de donnĂŠes alors qu’ils sont pris SDU OH WHPSV )DFH j XQ WHO GpÂż OH FRUSV rĂŠagit en faisant appel Ă des rĂŠponses primitives de survie Âť. Ces rĂŠactions prennent diffĂŠrentes IRUPHV VWUHVV PDX[ GH WrWH PDX[ GH ventre, angoisse, mouvements d’humeur, ĂŠpuisement‌ Dans un entretien qu’il nous avait accordĂŠ en 2010, le consultant Christophe Deschamps ĂŠvoquait le cas particulier des professionnels de l’information-documentation : ÂŤ Quand un

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YHLOOHXU GRLW WUDLWHU XQH FHQWDLQH GH ÀX[ RSS et des dizaines d’articles qu’il n’a pas HX OH WHPSV GH OLUH LO HVW DORUV FRQIURQWp j un fardeau lourd à porter. La veille peut nuire au sommeil‌  (1).

sentiment d’impuissance, d’incapacitĂŠ et de frustration 8Q FRQVWDW FRQÂżUPp SDU GH QRPEUHX[ sondages. Selon une ĂŠtude rĂŠalisĂŠe par de groupe de recherche Crepa-Paris Dauphine, 74 % des managers dĂŠclarent souffrir de surinformation et 94 % estiment que la situation ne peut qu’empirer. RĂŠsultat : les managers consacrent plus de 30 % de leur temps de travail Ă gĂŠrer l’infobĂŠsitÊ‌ 8QH DXWUH pWXGH GH OÂś2EVHUYDWRLUH GH OD responsabilitĂŠ sociĂŠtale des entreprises 2UVH PRQWUH TXH GHV XVDJHUV FRQVDFUHQW SOXV GH GHX[ KHXUHV SDU MRXU Ă la gestion de leur courrier ĂŠlectronique. Plus d’un tiers (38 %) dĂŠclarent recevoir plus de 100 courriels par jour‌ DX[TXHOV LO IDXW VRXYHQW DMRXWHU OH IOX[ LQWDULVVDEOH GH 7ZLWWHU ,OV VRQW Ă vĂŠrifier leur messagerie toutes les KHXUHV PDLV OÂś2UVH HVWLPH TXÂśLOV OH IRQW en rĂŠalitĂŠ beaucoup plus souvent, parfois toutes les cinq minutes. Aujourd’hui, le sujet du stress informationnel n’est plus pris Ă la lĂŠgère. De QRPEUHX[ VSpFLDOLVWHV VH SHQFKHQW VXU la question : mĂŠdecins, ĂŠditeurs de logiciels, consultants‌ Pour Caroline Sauvajol-Rialland, maĂŽtre de confĂŠrence Ă Sciences-Po et fondatrice de So Comment, un cabinet spĂŠcialisĂŠ en gestion de l’information en entreprise (2), ÂŤ la surcharge

informationnelle gĂŠnère trois types de UpDFWLRQ VHQWLPHQWV GÂśLPSXLVVDQFH d’incapacitĂŠ et de frustration. Au bout GX FRPSWH FHUWDLQV FDGUHV ÂżQLVVHQW SDU ĂŠprouver un sentiment d’incompĂŠtence‌ Cela peut dĂŠboucher sur une pathologie d’Êpuisement professionnel plus connu sous le nom de burn-out Âť. /ÂśDFWXDOLWp YLHQW PDOKHXUHXVHPHQW FRQÂżUmer cette situation. En 2013, le suicide de Nicolas Choffel a fait les titres de la presse. Alors qu’il ĂŠtait en arrĂŞt maladie pour ĂŠpuisement professionnel, ce cadre supĂŠrieur du groupe La Poste continuait de traiter des courriers ĂŠlectroniques que lui envoyait son employeur. ÂŤ Il faut que je travaille sinon on va me mettre au placard ! Âť, aurait-il dĂŠclarĂŠ, selon son ĂŠpouse qui se bat aujourd’hui pour la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Elle dĂŠnonce ĂŠgalement le poids de la surcharge informationnelle dans le JHVWH GUDPDWLTXH GH VRQ pSRX[

toujours plus d’information, mais un seul canal d’attention Heureusement, tous les cas d’infobĂŠsitĂŠ QH VH ÂżQLVVHQW SDV GH IDoRQ DXVVL WUDJLTXH ÂŤ Mais avec l’explosion de l’information QXPpULTXH RQ DVVLVWH j GH QRXYHOOHV IRUPHV GH SDWKRORJLH GH OÂśLQWHOOLJHQFH constate Caroline Sauvajol-Rialland ; cyEHUGpSHQGDQFH GpÂżFLW GÂśDWWHQWLRQ HW OD IDPHXVH ÂłIHDU RI PLVVLQJ RXW´ OD SHXU GH rater quelque chose‌ Il faut bien garder Ă l’esprit qu’il existe aujourd’hui de plus HQ SOXV GÂśLQIRUPDWLRQV PDLV TXÂśLO UHVWH toujours un seul canal d’attention Âť. Cette capacitĂŠ d’attention est mise Ă mal


par la dĂŠferlante multiforme de l’information numĂŠrique : courrier ĂŠlectronique, UpVHDX[ VRFLDX[ SHUVRQQHOV UpVHDX[ VRFLDX[ GÂśHQWUHSULVH Ă€X[ 566ÂŤ 6L OH FRXUrier ĂŠlectronique est asynchrone (diffĂŠrĂŠ), LO QÂśHQ YD SDV GH PrPH DYHF OHV UpVHDX[ VRFLDX[ TXL IRQFWLRQQHQW VXU XQ SULQFLSH d’attention continue. RĂŠsultat : l’hyperactivitĂŠ se rĂŠpand et touche de plus en plus de salariĂŠs - mais aussi les ĂŠtudiants - qui peinent Ă se concentrer. La solution Ă ce problème a un nom : la Ritaline. Ce traitement destinĂŠ Ă soigner l’hyperactivitĂŠ des enfants est dĂŠsormais consommĂŠ par les adultes pour amĂŠliorer leurs capacitĂŠs d’attention. En France, la Ritaline n’est pourtant dispensĂŠe que sur ordonnance hospitalière. Mais il est très facile de s’en procurer sur le web. Pour Caroline Sauvajol-Rialland, nous avons changĂŠ d’Êpoque : ÂŤ Nous sommes passĂŠs de l’ère du travail manuel Ă la chaĂŽne Ă l’ère du travail intellectuel Ă la chaĂŽne ! Âť Certains entrepreneurs en ont bien conscience et cherchent Ă rĂŠduire le stress de leurs collaborateurs face

j OœLQIREpVLWp &œHVW SDU H[HPSOH OH FDV du Syntec, une fÊdÊration regroupant 80 000 entreprises du monde de l’ingÊnierie et du conseil, qui a signÊ au mois d’avril 2014 un accord portant sur  une obligation de dÊconnexion . Selon ce document paraphÊ par les syndicats, le respect des durÊes minimales de repos  implique pour ce dernier - le salariÊ - une obligation de dÊconnexion des outils de communication à distance . &HWWH REOLJDWLRQ GH GpFRQQH[LRQ D pWp portÊe à 11 heures par jour. Reste à voir ce que cela donnera sur le terrain. Chaque entreprise nÊgociera les modalitÊs d’application de cet accord.

cure de dĂŠsintoxication

XQH FXUH GH GpVLQWR[LFDWLRQ 8QH  digital detox  HVW SURSRVpH DX[ FDPpV GX QXmÊrique. À l’entrÊe du ranch qui accueille les patients, un panneau :  Vous entrez dans une zone interdite aux technologies et aux appareils connectÊs . Au programme, des sÊances de yoga, de la mÊditation, de la marche, des ateliers d’Êcriture, sans clavier ni Êcran bien entendu. Toujours en Californie, un autre camp a UpFHPPHQW RXYHUW VHV SRUWHV DX[ F\EHUGppendants. Le Camp Grounded accueillera FHW pWp SHUVRQQHV TXL SDLHURQW GROlars (environ 420 euros) pour passer 4 jours HW QXLWV GDQV XQH \RXUWH j IDLUH GH OD FRQ¿ture en pot. Mais il y a encore plus cruel : les hommes et les femmes seront sÊparÊs. Q Bruno Texier

'ÂśDXWUHV RQW IDLW OH FKRL[ GH VROXWLRQV SOXV UDGLFDOHV 8QH MRXUQpH VDQV H PDLO D ĂŠtĂŠ instituĂŠe il y a plusieurs annĂŠes. Sans grand succès, semble-t-il. En Californie foyer historique de l’innovation numĂŠrique - on est allĂŠ encore plus loin. La GpFRQQH[LRQ UHVVHPEOH j VÂś\ PpSUHQGUH j

/ÂśHQWUHSULVH GHYLHQW DSSUHQDQWH JUkFH DX[ Ă€X[ d’information. Entretien avec Christophe Deschamps, Archimag n° 230, dĂŠcembre 2009-janvier 2010. (2) Caroline Sauvajol-Rialland est l’auteure de ÂŤ InfobĂŠsitĂŠ. Comprendre et maĂŽtriser la dĂŠferlante d’informations Âť, Vuibert, 2013.

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