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The place To Be

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LE GARDE-FOU D’UNE MÉMOIRE COLLECTIVE

FRANSWA TIBÈRE

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À plus de 1.000 mètres d’altitude, sur les hauteurs de Saint-Paul, Franswa Tibère ouvre les portes de son propre paradis terrestre. Une case en bois sous tôle, un jardin sauvage et luxuriant, un alambic et quelques chats. Il se confie aussi sur ses craintes de la perte d’un savoir ancestral : le pouvoir des zerbaz péi.

TEXTE > JOSÉPHINE TERREISSA PHOTOS > GUILLAUME HAURICE

Liste (non exhaustive) des plantes à avoir dans

son jardin : n Ayapana n Anis n Romarin n Verveine n Cannelle n Citronnelle n Guérit-Vite autrement appelé Colle-colle, qui n’est pas une mauvaise herbe. Tout le monde connaît Franswa Tibère – ou tout du moins. Sa peau tannée par le soleil et ses mains calleuses témoignent d’une vie d’efforts, de travail manuel, d’une vie au-dehors. Pourtant, le sexagénaire est un homme tonique, ses muscles noueux laissent soupçonner une hygiène d’ascète. Chaque semaine, il arpente les forêts de La Réunion à la recherche de plantes, de feuilles, d’écorces. Le reste du temps, on peut le retrouver chez lui, une sorte de paradis terrestre, entre une case en bois sous tôle, un jardin sauvage et luxuriant, un alambic et quelques chats.

Une forme de résistance

Il descend dans les bas aussi de temps à autre, pour vendre ses tisanes et distiller ses conseils. En ces temps de crise sanitaire, son savoir ancestral se veut réconfortant, salvateur même pour quelqu’un.e.s. “Dans chaque pays, dans chaque région du monde, chaque peuple possède des connaissances millénaires sur les bienfaits des plantes” explique le tisaneur péi. L’utilisation du végétal et du minéral pour soigner les maux humains n’est pas intrinsèque à

l’île, bien au contraire. “Mais partout où l’Occident est passé, cet acquis s’est perdu, au profit d’une médecine officielle et chimique” regrette-t-il. Pour Franswa Tibère, le pouvoir des zerbaz péi fait partie de la culture créole, au même titre que le maloya. S’intéresser à ces plantes médicinales, c’est donc une forme de respect vis-à-vis de l’Histoire, une façon de faire perdurer l’héritage des “anciens”, “et aussi une façon de résister” assure-t-il. Résister et militer pour que la connaissance des plantes fasse partie des programmes de l’Éducation nationale, pour que les enfants (et les adultes), sachent reconnaître la flore qui les entoure.

Des trésors végétaux

D’autres, comme lui, travaillent en ce sens. L’Aplamedom a ainsi réussi, il y a quelque temps maintenant, à faire entrer une vingtaine de plantes médicinales de La Réunion – et de la zone océan Indien, dans la pharmacopée française. Franswa Tibère lui, voit plus loin, plus grand. “Pourquoi ne pas reconvertir certaines parcelles de cannes à sucre et cultiver ces plantes

Il n’y a pas de mauvaise herbe. C’est l’homme qui est mauvais. Nous sommes une espèce envahissante

au fort potentiel, comme le Jamblon, le Fleur Jaune ou l’Ayapana ?” interroge le sexagénaire. “D’autant qu’il existe une tendance grandissante à se soigner naturellement, les gens recherchent des solutions alternatives” poursuit-il. Et il n’y a qu’à voir le livre d’Or de Franswa Tibère pour s’en rendre compte. Des dizaines et des dizaines de pages de remerciements pour celui qui aura réussi à soigner, à calmer, à apaiser divers maux : eczéma, arthrose, douleurs, tension, cystite, asthme et même le Covid. “Le Covid fait apparaître différents symptômes : fièvre, courbatures, éruption cutanée, migraines, etc. Et il existe des tisanes, des remèdes pour chacun de ces symptômes. Le tout c’est de faire le rapport, de créer une synergie” assure Franswa Tibère.

La circulation du savoir

Lorsqu’on écoute ce personnage, aussi mystérieux que charismatique, on plonge dans une histoire de l’île de La Réunion que certain.e.s ont oubliée. Celle de “l’époque des guérisseurs, des remèdes lontan” supplantée aujourd’hui par celle de l’accès gratuit aux soins, arrivé avec la Départementalisation, et des potions de synthèse. Heureusement, pour le territoire et sa mémoire collective, Franswa Tibère transmet sa précieuse érudition à d’autres, notamment “une personne qui suit en parallèle un D.U de phytothérapie”. Cette transmission est indispensable et même nécessaire. “Cela peut-être l’occasion de faire autrement ; de se soigner, de s’alimenter autrement, d’avoir un rôle différent, en quête de plus d’autonomie” espère Franswa Tibère. Pour lui, l’apprentissage et la circulation du savoir sont les clés de cet autre possible, et l’assurance d’une tradition qui saura vivre en parallèle de la société moderne.

Le saviez-vous ?

En 2021, l’Aplamedon a lancé la marque “Zerbaz Péi”. Face au développement rapide de la filière des plantes médicinales à La Réunion, l’association a souhaité rassurer le consommateur sur la provenance des plantes et leur qualité. L’estampillage “Zerbaz Péi” garantit l’origine Réunion, le caractère authentique des plantes, la valorisation de la biodiversité unique de l’île, la sécurité de l’usage des plantes et le bien-être apporté par celles-ci.

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