Menorca
Menorca
MARCHER signifie voyager : aller d’un endroit à un autre. Avancer, explorer et innover. The Walking Society est une communauté virtuelle ouverte à tous, toutes origines sociales, culturelles, économiques et géographiques confondues. Tant individuellement que collectivement, TWS défend l’imagination et l’énergie, et propose des idées et des solutions utiles pour améliorer le monde. Simplement et en toute honnêteté.
CAMPER signifie « paysan » en majorquin. La simplicité du monde rural se mêle à l’histoire, à la culture et aux paysages de la Méditerranée, et influence notre esthétique et nos valeurs. Notre respect des arts, de la tradition et du savoirfaire ancre notre promesse d’apporter des produits originaux, fonctionnels et de haute qualité, empreints d’une esthétique séduisante et d’un esprit innovant. Nous aspirons à adopter une approche plus humaine de notre activité, avec l’ambition de promouvoir la diversité culturelle, en plus de préserver l’héritage local.
MINORQUE semble à la dérive dans la mer Méditerranée. Une atmosphère de quiétude se dégage de cette réserve de biosphère de l’UNESCO, qui reste aussi intacte que l’identité minorquine, fièrement tenace.
THE WALKING SOCIETY Le seizième numéro du Magazine The Walking Society nous fait voyager dans une région qui a fait l’objet de conquêtes, d’échanges et de transitions de pouvoir, et dont la culture en est néanmoins ressortie enrichie. Une île sauvage et résiliente, qui continue d’inspirer les voyageurs.
OMAR SOSA
Le cofondateur du célèbre magazine de design intérieur Apartamento nous ouvre les portes de sa maison de campagne à Minorque.
P. 19
LÍTHICA
Une carrière de grès à l’abandon, transformée en un musée mystique en plein air, à mi-chemin entre l’installation et le labyrinthe..
P. 27
ILLA DEL REI
À quelques minutes en bateau de Maó se trouve l’Illa del Rei, une île minuscule qui accueille désormais Hauser & Wirth Menorca, et un jardin de vivaces conçu par Piet Oudolf.
P. 37
CUINA MENORQUINA
Des recettes de la mer et de la terre rappellent les différents peuples qui ont un jour fait escale dans ce port : un aperçu de la cuisine minorquine. P. 45
QUARANTINE EVENTS
Une résidence artistique qui fonctionne comme une mise en quarantaine et isole les esprits créatifs depuis le printemps 2023 dans un vieux llatzeret sur une île paradisiaque.
P. 55
S’ÀVIA COREMA
Hommage à l’un des personnages les plus célèbres du folklore minorquin, une vieille femme avec sept jambes. P. 62
CAMÍ DE CAVALLS
Un voyage illustré le long de la route panoramique qui forme le périmètre de l’île, avec Junction. P. 76
GEGANTS
Minorque est connue comme l’île des géants. Nous avons visité une structure mégalithique vieille de 2 000 ans, « Sa Naveta Des Tudons ».
P. 90
BETTINA CALDERAZZO ET MATT WESTON
Venus d’Australie et d’Angleterre, et après un passage par Paris, ils ont finalement atterri à Minorque, où leur galerie d’art innovante a vu le jour.
P. 105
La race indigène de l’île qui attire tous les regards aux Festes chaque été.
P. 112
MAIONESA
L’un des condiments les plus célèbres au monde est né ici dans les années 1700 : une histoire de conquête, d’amour et, bien entendu, d’inspiration culinaire.
P. 121
Ce refuge pour les ânes abandonnés dans la campagne de l’île est une oasis de beauté et de tranquillité. Et en été, il est ouvert aux visiteurs.
P. 128
Le soleil se lève plus tôt sur Minorque que sur le reste de l’Espagne. Il s’agit en effet du point le plus à l’est du pays, encore plus à l’est que Cap de Creus en Catalogne ou Capdepera sur la plus grande île voisine de Majorque. Par comparaison, le soleil se lève une heure plus tard à La Coruña, en Galice. C’est Maó, la capitale de Minorque, que le soleil éclaire en premier. Maó abrite également le deuxième plus grand port naturel au monde, d’une profondeur de plus de 6 kilomètres et qui ressemble à un long couloir taillé dans la roche de l’île par les eaux de la Méditerranée. Cette île possède bien d’autres qualités qu’il est difficile de présenter avec autant de précision, et qui représentent les nuances et les choses intangibles qui font de Minorque une destination unique. Mais surtout : la nature.D’une superficie de 700 kilomètres carrés, Minorque a été classée réserve de biosphère par l’UNESCO en 1993.
Dans les vergers qui bordent la route, l’ullastre, la vedette de la flore minorquine également connue sous le nom d’olivier, s’étend à perte de vue. Il recouvre un tiers du territoire de l’île et peut s’élever sur plusieurs mètres, contrairement aux autres oliviers de la Méditerranée. Il n’est pas tant apprécié pour son fruit (dont la production est rare, bien que précieuse), mais pour son bois robuste. Autrefois, les ullastres étaient utilisées pour fabriquer des outils agricoles, et ils servent encore aujourd’hui à la construction des portails traditionnels, connus sous le nom d’arcaders, qui flanquent les allées menant aux maisons.
Et puis il y a son histoire, si différente de celle de ses voisines baléares. Elle se ressent dès que vous débarquez à Maó. Dans le port règne cette sensation d’avoir atterri dans une baie des Caraïbes, avec ces arbres qui restent verts et luxuriants en été comme en hiver, ce long fjord qui rappelle les rivières de l’Équateur, et cette architecture plus éclectique et cosmopolite que celle du reste de la Méditerranée. Lorsque vous entrez dans la ville, vous ne pouvez pas manquer les baies vitrées d’origine anglaise et les fenêtres à guillotine, uniques sous ces latitudes et plus typiques du nord de
Sandra, âgée de 26 ans, aime deux choses par-dessus tout : l’art et les chevaux.
Elle étudie l’art et monte à cheval dès qu’elle peut. Sa famille en a deux, tous deux de la race indigène de l’île.
l’Europe. Minorque a appartenu à la Grande Bretagne de 1708 à 1802, et ce siècle a laissé son empreinte sur l’architecture minorquine, et ailleurs. Par exemple, il est de tradition sur l’île de produire et de boire du gin local, et de manger une version retravaillée du pudding anglais à la vapeur, que les Minorquins appellent greixera dolça, accompagné de grevi, une sauce gravy classique.
Si vous empruntez les rues étroites de Maó ou faites le tour de son périmètre, vous risquez d’être surpris par la vastitude du ciel au-dessus de Minorque. La région a été préservée du tourisme et de la spéculation bien avant de devenir une réserve de biosphère de l’UNESCO, grâce à une problématique politique survenue pendant la première moitié du XXe siècle. Pendant la Guerre civile, Minorque est la seule île de l’archipel à être restée fermement républicaine, et la dictature qui a suivi a décidé de se venger en allouant tous les fonds aux autres îles. Rétrospectivement, il s’agissait d’une bénédiction.
Minorque est exposée à huit vents différents, dont le plus fort est la tramontane du nord. On raconte que les autres insulaires des Baléares considèrent les Minorquins plus imprévisibles à cause de ce vent constant. Au-delà de la superstition, cet élément est la fierté de Minorque : un ciel qui s’ouvre et se ferme comme un bal, un horizon dépourvu d’énormes immeubles, occupé par les oliviers et la mer, et qui annonce le lever du soleil au reste de l’Espagne.
Charlie est né à Liverpool et il est venu à Minorque avec ses parents quand il avait huit ans. Il s’est adapté avec facilité et, en moins d’un an, il parlait parfaitement espagnol. Il travaille comme agent de mouillage et il adore la mer, mais il aimerait voyager en Europe du Nord, sous des climats plus froids.
OMAR SOSA
Le bougainvillier qui surplombe la maison d’Omar est toujours en fleurs, oranges et violettes. Nous nous trouvons dans les rues tranquilles au bout de Sant Lluís, à quelques kilomètres et minutes de la mer. Ici, les murs bas des villas cachent des jardins luxuriants, palmiers et pins maritimes embaument l’air. Omar Sosa est né à Barcelone, mais il entretient avec Minorque une relation de longue date, compliquée comme la plupart des liens forts. Il a passé son enfance et son adolescence ici, mais ce n’est qu’à l’âge adulte qu’il s’est découvert une nouvelle affinité avec l’île. Omar fait plein de choses, depuis toujours. Il est graphiste, co-fondateur du magazine d’intérieur désormais culte Apartamento et du club œnophile The Natural Wine Company. Et, plus récemment, il a été nommé directeur artistique de BD Barcelona, un studio de design basé à Barcelone fondé en 1972. L’entrée de sa maison est flanquée d’une longue série de chaises minorquines, typiques de l’île. Simple et fonctionnelle, la maison présente un aspect très rural, néanmoins empreint de modernité. Omar est assis sur l’un des deux canapés, recouvert d’une couverture en coton brut aussi blanche que les murs.
The Natural Wine Company est un club de vin international. Tous les trois mois, les membres reçoivent une sélection surprise de vins, livrés chez eux et choisis par Natural Wine Distribution, fondé par Alfredo López.
De toutes vos activités, le magazine Apartamento est sans doute la plus connue. Et puisque nous vous rendons visite chez vous, commençons par là. Comment avez-vous trouvé cet endroit ?
C’était en 2006. J’avais du mal à trouver un appartement à Barcelone. Je ne me projetais nulle part. À l’époque, il existait plusieurs magazines d’intérieur, mais ils me semblaient tous trop ambitieux et s’adressaient plutôt à des architectes ou des professionnels. Ils ne montraient pas le monde que j’avais envie de voir. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré mon associé, Nacho Alegre. Il faisait des photos pour des magazines, et je faisais du graphisme. Nous nous sommes bien trouvés.
Aviez-vous la même vision ?
Lui aussi s’intéressait au design d’intérieur, sans trouver de magazine à son goût. Après quelques discussions, nous avons décidé de lancer une publication, mais sans avoir une idée claire de là où nous allions. Nous avons élaboré une maquette avec quatre idées, au format qui deviendrait celui d’Apartamento, avec la tête de mât et tout le reste. Puis un jour, Nacho s’est rendu à Milan pour le travail et il a fait la connaissance de Marco Velardi, qui est devenu le troisième mousquetaire. Marco a joué un rôle très important, car Nacho et moi étions tous les deux originaires de Barcelone, alors que lui était italien. Avec son arrivée, Apartamento est instantanément devenu un magazine international. Nous avons tout de suite commencé à réfléchir à la façon d’établir un dialogue avec le salon international du meuble de Milan. Nous nous sommes fixé une échéance et, en 2008, nous présentions Apartamento à Spotti à Milan.
Au-delà de l’architecture et du design, le magazine montre comment les gens vivent chez eux.
Nous plaçons toujours la personne au centre. L’intérieur est un prétexte, car les gens sont toujours curieux de voir comment les autres vivent. L’histoire ne porte pas tant sur l’intérieur que sur la personne qui y vit.
Le fait de voir tant de maisons a-t-il influencé la façon dont vous voyez la vôtre ?
Oui, ça change tout. Cela m’a permis de prendre davantage conscience. J’ai remarqué que je faisais les choses avec plus de désinvolture il y a dix ans, et que je suis devenu plus organisé et précis avec le temps. Au final, je ne suis pas certain de savoir grand-chose, mais les gens font souvent appel à moi en pensant que je suis une sorte de gourou du design. Ils m’appellent et me disent : « J’ai besoin d’un canapé, lequel devrais-je acheter ? » Et je leur réponds : « Je n’en ai aucune idée, je peux vous partager ce que j’aime, mais je ne suis pas designer d’intérieur. »
Apartamento a une forte identité presse. Comment envisagez-vous l’avenir du magazine ?
On dirait presque une question vintage. Quand nous nous sommes lancés il y a quinze ans, nous n’étions pas vraiment certains de ce qui devait relever du format numérique et du format presse, mais aujourd’hui, je pense que le format presse a trouvé sa place. Il s’est créé comme une séparation naturelle, qui devrait se maintenir longtemps. Et il y a beaucoup de magazines exceptionnels. Le livre-objet, c’est une autre histoire. Les acheter et les collectionner revient à dire : je m’identifie à ça, je suis ça. Ça marche comme ça pour moi. J’ai toujours abordé les livres du point de vue de l’objet.
Mais les journaux sont différents, non ?
Figurez-vous que mon péché mignon à Minorque, c’est de lire le journal local. Je le lis au format imprimé, assis sur le canapé ou au bar. Je ne m’en lasse pas.
Comment faites-vous pour rester contemporain après toutes ces années ?
Je m’étonne parfois de voir que le magazine a toujours autant de succès et que les gens sont au rendez-vous tous les six mois. Mais quand j’y pense, les magazines de design d’intérieur traditionnels avaient pour but de montrer un certain style, qui finissait par passer de mode au bout d’un moment. Bien que ça n’ait jamais été acté officiellement, Apartamento n’a pas vraiment de ligne éditoriale. Notre approche consiste à donner la parole à tout le monde et à les faire parler de leur univers. Mon travail ressemble à celui d’un conservateur : nous réunissons différentes personnes pour créer une tribune collective. Ce n’est pas qu’Apartamento ne se démode pas, mais plutôt qu’il n’a jamais été à la mode. C’est différent. En termes de style, c’est vrai qu’il y a 15 ou 20 ans, les intérieurs étaient photographiés différemment, plus « proprement », et de nombreux magazines de design d’intérieur proposent des clichés plus naturels aujourd’hui. Apartamento est le même que toujours. Chaque numéro est le fruit de la curiosité, et heureusement, nous sommes toujours aussi curieux. Il est important de préciser que nous avons une équipe très jeune, qui nous aide à voir les choses différemment et à ne pas vieillir. C’est peut-être ça, la formule magique.
Quand votre relation avec Minorque a-t-elle commencé ?
Très tôt. Mon père est arrivé ici dans les années 1960. Il vendait des encyclopédies partout en Espagne, là où les livres n’arrivaient pas. Quand il a débarqué à Minorque, il est tombé sous le charme de l’île et a vendu beaucoup de livres ici. Quand j’étais enfant, nous venions ici tout le temps, et en 2000, mon père a acheté une maison. J’étais adolescent, et c’était très facile de voyager depuis Barcelone, alors je venais souvent, jusqu’à ce que j’atteigne la trentaine. J’ai alors commencé à voyager dans différentes villes et quelque chose s’est brisé : Minorque me semblait ennuyeuse, prévisible. Je ne suis pas revenu pendant 10 ans ; je préférais partir en vacances en Grèce. J’ai passé cinq ans à New York jusqu’en 2020, puis il y a eu le confinement. Cet été-là, je suis rentré en Espagne et mon associé Nacho m’a dit : « Viens à Minorque, tu as besoin de voir la mer. » Quand je suis arrivé ici, j’ai vu l’île avec un tout nouveau regard.
Vous avez repris les choses là où vous les aviez laissées. Deux amis ont proposé de louer une maison et j’ai trouvé que c’était une super idée, car nous ne savions pas s’il allait y avoir un autre confinement, et je ne voulais pas le passer en ville. Nous sommes restés à Maó et j’ai transféré mon domicile à Minorque. Puis je suis revenu deux autres étés avec ma femme Patricia, sans aucune intention d’acheter une maison. Nous regardions les annonces pour le plaisir, car nous n’avions pas les moyens. Il n’y en avait que deux qui nous plaisaient : la première était moche, et la deuxième… c’était celle-ci. Nous appréciions les personnes qui vivaient là : deux Anglais d’un certain âge, qui avaient rempli la maison de fleurs et ont soudain eu envie de vendre. Nous avons acheté sans réfléchir. C’est fou, mais c’est comme ça que ça s’est passé. Et maintenant que nous vivons à Barcelone, nous pouvons venir ici facilement.
« J’entends souvent mes amis dire que ma maison est vide. Mais pas à mes yeux ! C’est juste qu’elle n’a pas besoin de plus. J’ai gardé le canapé des anciens propriétaires, par exemple. Plus par souci de simplicité, car j’en avais marre de ces maisons précieuses, où l’on a toujours peur de casser quelque chose. C’est une maison qui peut accueillir tout le monde. »
Qu’est-ce qui vous a convaincu ?
Nous avons tout de suite commencé à rencontrer des gens. À la fois des gens qui vivent ici en permanence, et d’autres qui viennent de temps en temps. Tous étaient gentils et intéressants. De plus en plus de personnes se sont installées ici et l’île est devenue plus internationale.
Combien de temps avez-vous travaillé sur cette maison ?
Pas longtemps. Je n’avais ni le temps ni l’argent. Par chance, nous l’avons achetée à des gens qui vivaient ici, elle n’était donc pas abandonnée ou en mauvais état, comme c’est souvent le cas. Elle était simple et fonctionnelle, et j’ai limité les travaux au strict minimum. Nous avons surtout été obligés d’enlever des choses.
Vous préférez une maison vide à une maison trop pleine ?
J’entends souvent mes amis dire que ma maison est vide. Mais pas à mes yeux ! C’est juste qu’elle n’a pas besoin de plus. J’ai gardé le canapé des anciens propriétaires, par exemple. Plus par souci de simplicité, car j’en avais marre de ces maisons précieuses, où l’on a toujours peur de casser quelque chose. C’est une maison qui peut accueillir tout le monde.
Qu’est-ce que vous préférez à Minorque, par rapport aux îles voisines ?
Chaque île est différente, mais Minorque est encore très rurale, peu construite et naturelle. Et l’architecture est intéressante, avec une forte influence anglaise.
Pensez-vous que l’envie de vivre dans un lieu plus calme et plus intime est liée à l’âge ?
C’est aussi l’appel de la nature. Après cinq ans à New York, la nature me manquait. J’ai eu la chance énorme de passer le premier confinement au Mexique, dans l’un des plus beaux endroits du monde, avec une plage pour moi tout seul ou presque pendant
trois mois. Après cette expérience, je ne pouvais pas retourner à New York. C’est aussi pour cela que j’ai commencé à voir Minorque différemment. La mer me manquait, conduire me manquait, avoir de l’espace me manquait.
Le fait d’avoir une maison revient-il à s’enraciner ?
C’est intéressant de s’interroger sur ce que le fait d’avoir une maison signifie à notre époque. On dépense beaucoup d’argent pour un endroit qui nous apporte encore plus de problèmes. Il est impossible de venir ici et de ne pas travailler tout le temps. Je dois commencer par installer le chauffage dans la salle de bain, avant de passer au jardin. Chaque semaine, il y a de nouvelles choses à faire. Mais c’est aussi ce qui fait la beauté d’une maison comme celle-ci.
Vous avez également co-fondé la boutique et le club de vin naturel, The Natural Wine Company, et élaboré les étiquettes pour le vin naturel Vivanterre, qui a connu un énorme succès, surtout aux États-Unis. Il y a un lien entre le plaisir d’être chez soi, l’amour de la nature et la passion pour le vin et la nourriture.
Oui. Au bout du compte, c’est un moyen de faire des rencontres, d’entretenir un dialogue constant avec les autres.
Quels sont vos objets préférés dans une maison ?
J’ai une passion pour les lampes, mais pas celles de plafond. Et dans cette maison en particulier ?
Peut-être les chaises qui sont fabriquées sur l’île, les chaises minorquines. Elles sont entièrement confectionnées à la main avec du bois de pin de l’île. Avoir des chaises locales est une aubaine, car quand vous avez une maison, vous avez besoin de tout un tas de chaises. Et les chaises coûtent cher, et sont souvent moches. Celles-ci sont fantastiques.
LITHICA
Lorsque vous arrivez à Lithica, il est difficile de compter les lignes noires gravées dans la pierre pâle. Des marques horizontales de même longueur s’étendent sur des dizaines et des dizaines de mètres de hauteur et de profondeur le long de ces épais murs en ruine, qui ressemblent à des structures monumentales. Vous êtes à Lithica. Avant de devenir ce qu’elle est aujourd’hui - un parc naturel, une installation en plein air, un complexe architectural et éducatif -, il s’agissait d’une carrière de grès. Cette pierre de marès était le matériau de construction de prédilection à Minorque entre le XVIIe siècle et les années 1970, et les lignes visibles signalent l’endroit où la pierre a été coupée. Les carrières ont commencé à fermer dans les années 1980, quand la concurrence est devenue trop forte. À la même époque, une jeune étudiante en architecture française, Laetitia Sauleau Lara, visite Minorque le temps d’un week-end. Elle va voir les carrières qui sont encore en activité, et tombe instantanément sous le charme. Elle contacte le responsable du site et apprend tout du jargon, des techniques et de la culture des carrières. En 1994, Laetitia fonde une association qui lutte contre le remplissage des carrières. La fondation Lithica est née. Aujourd’hui, les anciennes carrières, qui ont été débarrassées de leurs machines, forment un musée en plein air, qui raconte l’histoire de l’île de Minorque au travers de sa géologie et de ses traditions vivantes.
Sur le plan géologique, Minorque est une île divisée en deux parties précises. La ligne de démarcation s’étend d’est en ouest et suit la direction de l’anse profonde qui forme le port de Maó.
Le nord de l’île est très hétérogène et composé des matériaux les plus vieux : grès, argile, calcaire et dolomite. Au sud, la géologie est beaucoup plus uniforme et quasi exclusivement faite de calcaire.
Facile à travailler, le grès est historiquement l’une des pierres les plus utilisées en construction. Celui que l’on trouve dans les Baléares, appelé « marès », a toujours été le principal matériau de construction et est présent dans de nombreuses villes de l’île.
ILLA DEL REI
CEUX QUI ARRIVENT À MAÓ PAR BATEAU, COMME LE FAISAIENT AUTREFOIS LES ARMÉES, LES FLOTTES COMMERCIALES ET LES CORPS DIPLOMATIQUES, PÉNÈTRENT DANS LE PLUS LONG PORT NATUREL DE LA MÉDITERRANÉE. UN LONG COULOIR DE MER QUI S’ÉTEND SUR DES KILOMÈTRES, DU FLANC SUD-EST DE L’ÎLE ET À DES KILOMÈTRES DE PROFONDEUR JUSQU’AUX QUAIS DE MAÓ, APPARAÎT. LE LONG DE CETTE ROUTE, VOUS RENCONTREZ DES VILLAGES, D’AUTRES PORTS ET DES ÎLES. LA PLUS GRANDE D’ABORD, ILLA DEL LLATZERET, SUIVIE DE L’ILLA DE LA QUARANTENA. PLUS LOIN, DE FORME RONDE ET EN PLEIN MILIEU DE LA ROUTE MARITIME, SE TROUVE L’ILLA DEL REI. UN HÔPITAL MILITAIRE Y A ÉTÉ BÂTI SOUS LA DOMINATION BRITANNIQUE AU XVIIIE SIÈCLE. OCCUPANT UNE GRANDE PARTIE DE L’ÎLE, IL ÉTAIT
FRÉQUENTÉ JUSQUE DANS LES ANNÉES 1960, AVANT D’ÊTRE ABANDONNÉ. AUJOURD’HUI, LA STRUCTURE A ÉTÉ ENTIÈREMENT RÉNOVÉE ET ACCUEILLE QUELQUE CHOSE DE COMPLÈTEMENT DIFFÉRENT : LA GALERIE D’ART HAUSER & WIRTH, PRÉSENTE UN PEU PARTOUT DANS LE MONDE.
HAUSER & WIRTH A ÉTÉ FONDÉE À ZURICH EN 1992 PAR IWAN WIRTH, MANUELA WIRTH ET URSULA HAUSER, LA MÈRE DE MANUELA. S’IL S’AGISSAIT AU DÉPART D’UNE AFFAIRE FAMILIALE, CELA N’A JAMAIS LIMITÉ SA VISION. LE PRÉSIDENT MARC PAYOT A REJOINT L’ÉQUIPE EN 2000, ET LE PDG EWAN VENTERS EN 2021. AUJOURD’HUI,
HAUSER & WIRTH REPRÉSENTE PLUS DE 90 ARTISTES ET ORGANISE DES EXPOSITIONS, DES RÉSIDENCES ET DES PROJETS DE RECHERCHE. DÈS LE DÉBUT, LES GRANDS NOMS DU MONDE ARTISTIQUE, CONTEMPORAIN ET AUTRE, SE SONT MIS À GRAVITER AUTOUR DE HAUSER & WIRTH. LA PREMIÈRE EXPOSITION, QUI S’EST
TENUE À ZURICH EN 1992, COMBINAIT DES SCULPTURES (BAPTISÉES « MOBILES » PAR MARCEL DUCHAMP) ET DES GOUACHES SIGNÉES ALEXANDER CALDER AVEC D’AUTRES SCULPTURES ET TABLEAUX DE JOAN MIRÓ. AUJOURD’HUI, LA GALERIE EST PRÉSENTE UN PEU PAR -
TOUT DANS LE MONDE : DE NEW YORK ET LOS ANGELES À HONG KONG, EN PASSANT PAR L’ANGLETERRE, LA FRANCE, LA SUISSE ET L’ESPAGNE.
LE VAISSEAU DE L’ART A ATTERRI SUR L’ILLA DEL REI EN JUILLET 2021 ET N’A JAMAIS CACHÉ SON AMBITION DE FAIRE DE MINORQUE UN CENTRE DE GRAVITÉ DE L’ART CONTEMPORAIN. ALORS QUE LE PROJET ATTENDAIT DE RECEVOIR LE FEU VERT DES AUTORITÉS ESPAGNOLES, LA GALERIE A INVITÉ UNE DÉLÉGATION DE MINORQUE À VISITER SES INSTALLATIONS À SOMERSET, EN ANGLETERRE. LE VILLAGE DE BRUTON, OÙ SE TROUVE LA DIVISION HAUSER & WIRTH EN QUESTION, EST UNE DESTINATION PRISÉE DES AMATEURS D’ART : INAUGURÉE EN 2014, ELLE ATTIRE CHAQUE ANNÉE PLUS D’UN MILLIER DE VISITEURS. DE RETOUR À MINORQUE, HAUSER & WIRTH DÉCIDE DE RÉNOVER UN BÂTIMENT EXISTANT. LE COMPLEXE ARTISTIQUE 40
Le jardin de Piet Oudolf à Hauser & Wirth Menorca
Fournie par Hauser & Wirth
Photo : Daniel Schäfer
‘Untitled’ (1981) de Hans Josephsohn dans le jardin de Piet Oudolf
Fournie par Hauser & Wirth
© Josephsohn Estate. Fournie par la succession de l’artiste et Kesselhause Josephson
Photo : Daniel Schäfer
‘Le Père Ubu’ (1974) de Joan Miró
dans le jardin de Piet Oudolf
Fournie par Hauser & Wirth
© Successió Miró, VEGAP 2023
Photo : Daniel Schäfer
Le jardin de Piet Oudolf à Hauser & Wirth Menorca
Fournie par Hauser & Wirth
Photo : Carlos Torrico
S’ÉTEND SUR 1 500 MÈTRES CARRÉS. IL EST ENTOURÉ D’UN JARDIN QUI A ÉTÉ CONÇU PAR LE PAYSAGISTE NÉERLANDAIS PIET OUDOLF ET ACCUEILLE DES SCULPTURES RÉALISÉES PAR DE GRANDS NOMS DE L’HISTOIRE DE L’ART : LOUISE BOURGEOIS, JOAN MIRÓ ET EDUARDO CHILLIDA.
VÉRITABLE ŒUVRE D’ART NATURELLE PARMI LES
AUTRES EXPOSITIONS, LE JARDIN DE PIET OUDOLF EST L’UNE DES NOMBREUSES BONNES RAISONS DE VISITER LE SIÈGE DE HAUSER & WIRTH À MINORQUE. LE PRINCIPE DU JARDIN EST UNE CONSTANTE DANS LA CARRIÈRE DE PAYSAGISTE D’OUDOLF DEPUIS DES DIZAINES D’ANNÉES : L’UTILISATION DE VIVACES, CETTE FOIS-CI D’ORIGINE MÉDITERRANÉENNE. « QUAND JE ME SUIS RENDU À MINORQUE POUR LA PREMIÈRE FOIS, J’AI ÉTÉ
INSPIRÉ PAR LA FAÇON DONT LES PÉRIODES DE FLORAISON S’ÉTALENT SUR TOUTE L’ANNÉE, CE QUI REND LES JARDINS INTÉRESSANTS EN TOUTE SAISON », EXPLIQUE PIET OUDOLF. « JE M’INTÉRESSE SURTOUT À LA STRUCTURE DES PLANTES, ET J’UTILISE DES VIVACES ADAPTÉES AUX CLIMATS POUR CRÉER UN JARDIN RICHE EN FORMES ET EN TEXTURES », POURSUIT-IL À PROPOS DU JARDIN.
OUDOLF EXPLIQUE QU’IL VIENT UNE FOIS PAR AN À MINORQUE POUR RENCONTRER DES JARDINIERS LOCAUX ET DISCUTER DES MODIFICATIONS ET AMÉLIORATIONS À APPORTER.
OUDOLF EST LE MEMBRE LE PLUS CÉLÈBRE DU MOUVE -
MENT CONNU SOUS LE NOM DE « NEW PERENNIAL ». NÉ EN 1944 À HAARLEM, AUX PAYS-BAS, OUDOLF A THÉORISÉ LA CRÉATION DE JARDINS QUI RESTENT VIVANTS TOUTE L’ANNÉE, ET SE TRANSFORMENT MOIS APRÈS MOIS AU LIEU DE NE FLEURIR QU’À UNE SEULE SAISON.
IL PLACE AINSI LA VIE AVANT LA DÉCORATION. SES CRÉATIONS, TOUTES RÉALISÉES À LA MAIN DANS DIFFÉRENTES COULEURS, SONT COMPARÉES À DE L’ARCHITECTURE. AVANT DE S’OCCUPER DU JARDIN DE HAUSER & WIRTH À MINORQUE, OUDOLF A FAIT LES GROS TITRES POUR UN JARDIN QU’IL A CRÉÉ À BATTERY PARK, À NEW YORK, ET SURTOUT POUR SA CONTRIBUTION À LA HIGH LINE : UN CHEMIN DE FER EN HAUTEUR À L’ABANDON DANS LE QUARTIER WEST SIDE DE MANHATTAN, TRANSFORMÉ EN UNE PROMENADE NATURELLE UNIQUE
ENTRE LES GRATTE-CIEL ET L’HUDSON.
AU MILIEU DES OLIVERAIES SAUVAGES, LE JARDIN D’OUDOLF SUR L’ILLA DEL REI ABRITE DES SUCCULENTES, DES AGAPANTHES À LONGUE TIGE, DE LA LAVANDE ET DU THYM PARFUMÉS, DES CHARDONS ÉPINEUX ET DES HERBES DOUCES, COMME LA STIPA TENUIFOLIA.
Minorque peut être une île froide et venteuse, de sorte que les plats chauds d’hiver représentent une part importante de la tradition culinaire. Le bouillon, par exemple, à base de légumes ou de viande, se mange généralement le mercredi.
Depuis 2014, l’initiative « Els dimecres és dia de Brou » a permis de standardiser le prix du bouillon dans de nombreux restaurants de l’île. Mais seulement pendant les mois de décembre et de janvier, qui sont les plus froids, et comme le veut la tradition : uniquement le mercredi.
Des oignons, de l’ail, des tomates, des poivrons, de l’huile et du persil : quelques ingrédients simples, le strict nécessaire pour une soupe. Et du homard, bien sûr. Parmi ceux que l’on trouve à Minorque, le homard de roche est préférable : de couleur rouge vif, il est plus petit et plus goûtu que celui qui vit dans les fonds marins.
Caldereta de llagosta (bisque de homard)Le poulpe est un autre plat de fruits de mer populaire à Minorque. En voici une version extrêmement simple : assaisonné à l’oignon. La préparation est longue, car le poulpe doit être congelé la veille, afin d’en assouplir les fibres, mais la cuisson ne prend pas plus d’une heure et demie. À servir avec un peu de jus.
Pop amb ceba (poulpe à l’oignon)
Simple mais longue à réaliser, cette recette s’adresse aux connaisseurs. Les escargots sont préparés la veille et mis de côté afin de refroidir. Les pinces et les pattes de crabe sont ensuite cuites dans un mélange d’ail, d’oignon, de piment et de tomate. Les escargots cuits sont ajoutés à la fin, avec beaucoup de bouillon.
Une île où la nature est abondante et où les arbustes sont nombreux est généralement une île riche en lapins.
C’est pourquoi ce lapin en sauce, hérité de la domination britannique, est un plat typique de Minorque. Le lapin est cuit avec de l’ail, de l’oignon et du laurier, rehaussé de graisse de bacon, et réduit dans un peu de sherry. Conill
Ce plat traditionnel de fruits de mer de la Méditerranée a fait le tour de tous les grands ports d’Europe, de Gênes à Naples et à Minorque. Dans ce ragoût de seiche parfumé avec de l’ail, de l’oignon, du persil et de la tomate, les petits pois sont ajoutés à la fin, afin de rester frais et croquants.
Sípia amb pèsols (seiche et petits pois)
En dépit de son nom, ce plat n’est pas à base de riz, mais de blé, très similaire au boulgour, concassé dans un mortier.
Après avoir laissé tremper le blé, la recette veut que l’on ajoute des patates douces, des tomates et des morceaux de porc, deux saucisses minorquines : la botifarró et la sobrassada.
Arròs de la terra (riz de la terre)
Ce dessert typique des Baléares n’est pas si sucré, en tout cas pas toujours. Façonné en spirale ou en forme d’escargot, l’ ensaïmada est fait avec de l’eau, du lard, du sucre, de la farine et de la levure. La version classique n’est pas fourrée, mais elle peut l’être : avec de la sobrassada , une saucisse des Baléares, du fromage ou de la crème, par exemple. La garniture la plus célèbre est le cabell d’àngel, une confiture de citrouille spéciale.
Pendant des siècles, les ports de Minorque ont été parmi les plus importants de la Méditerranée, ce qui a inévitablement influencé la langue, l’architecture et la cuisine de l’île. Les influences arabe, anglaise et française sont aisément identifiables dans les plats les plus typiques, où elles se mêlent aux traditions paysannes, espagnoles et européennes. Aujourd’hui, par exemple, du blé concassé similaire au boulgour, originaire d’Afrique du Nord, se mange avec des saucisses de porc de style champêtre. Le menu Menorquin laisse également la place à la richesse de la mer (homard, seiche, crabe) et de la terre (courge, tomates et… escargots). Et pour les relier, l’huile d’olive sert de fil doré, présent depuis des siècles.
Les plats illustrés dans ces pages sont présentés sur des pièces en céramique de Blanca Madruga, céramiste basée à Minorque. Blanca est née à Madrid et a grandi à Barcelone. Elle a travaillé en tant qu’avocate avant de tout quitter pour parcourir le monde, travaillant sur des projets sociaux en Éthiopie et à Madagascar, pour finalement atterrir ici. C’est le rythme lent et le mode de vie bienveillant de l’île qui l’ont poussée à s’arrêter, ainsi que l’hiver minorquin, qu’elle préfère au chaos de l’été.
QUARANTINE EVENTS
L’île où se trouve le Llatzeret de Maó était autrefois une péninsule appelée Sant Felip, reliée au continent par une bande étroite d’un peu plus de 100 mètres de long. Une fois le Llatzeret achevé en 1700, cette bande a été détruite afin de garantir un isolement total, ne laissant aucune échappatoire ni possibilité de contact. Aujourd’hui, il ne faut que quelques minutes pour s’y rendre depuis le port d’Es Castell à bord de l’un des deux bateaux qui font la route chaque jour. Le bâtiment historique, qui a été superbement préservé, ressemble davantage à un chef-d’œuvre de l’architecture qu’à un hôpital d’isolement. Entourées de palmiers et de pins maritimes, les 140 cellules peuvent être visitées, ainsi que les entrepôts, les salles de purification, la chapelle, le cimetière et les tours d’observation. Depuis le printemps 2023, le Llatzeret accueille également une résidence d’artistes inhabituelle, opportunément baptisée Quarantine, l’association indépendante fondée par Carles Gomila, Joan Taltavull, Itziar Lecea et Darren Green. Quarantine cherche à offrir une expérience artistique unique, qui ne ressemble à aucun autre atelier ou résidence : en utilisant l’isolement comme moteur de l’inspiration et de la pratique, au travers d’une approche non conventionnelle.
Le design de la chapelle du Llatzeret comprenait trente sièges isolés, de sorte que les patients en quarantaine pouvaient entendre la messe.
Comment décririez-vous le projet en quelques mots ?
CG Un purgatoire pour les artistes
Et comment ce purgatoire fonctionne-t-il ?
CG Nous plaçons les artistes en quarantaine. Pour de vrai. Nous essayons de bousculer le concept de formation artistique, et pour cela nous devons faire bouger les mentalités. Ça demande du travail, la contribution de grands artistes et un programme secret, dont les participants n’ont pas connaissance en amont. De cette façon, ils arrivent sans préparation. Les smartphones sont interdits, ce qui provoque un syndrome de privation utile.
Comment l’équipe est-elle organisée ?
JT Carles est le créateur et le directeur. C’est lui qui a eu l’idée.
CG Joan est danseur, il s’occupe de la direction artistique et de certains ateliers et modules de formation. Darren s’occupe de la gestion et il est également traducteur. Itziar est chargée de la communication.
CG Avant Quarantine, je dirigeais une retraite artistique appelée Menorca Pulsar, en référence à l’étoile. Il s’agissait d’ateliers de peinture internationaux, en compagnie d’excellents professeurs venus du monde entier pour enseigner des techniques de peinture. Ça a duré de 2016 à 2021. Ça marchait très bien et suscitait beaucoup d’intérêt dans le monde, mais je me suis rendu compte que les artistes qui s’inscrivaient se contentaient d’imiter les techniques de leurs modèles, de leurs idoles. C’était problématique pour les créatifs. J’étais face à un dilemme éthique, et j’ai commencé à organiser des ateliers plus radicaux. Je voulais m’éloigner du public dont le seul objectif est d’accomplir quelque chose. Menorca Pulsar est ainsi devenu un camp d’entraînement, plutôt qu’une retraite artistique. Puis l’occasion s’est présentée de sauter le pas, de changer le format du projet et de le radicaliser encore plus. C’est ainsi que Quarantine est né.
Quand cela s’est-il passé ?
IL La première édition a eu lieu en avril 2023, la deuxième en octobre.
Minorque a-t-elle accueilli l’initiative ?
CG Complètement. Nous avons reçu 180 candidatures pour cette dernière édition, que nous avons dû réduire à 70. Nous avons choisi les personnes qui, selon nous, seraient les plus impliquées dans le programme. Ce processus de sélection initiale est nécessaire, car les gens prennent parfois Quarantine à la légère, alors que c’est très difficile en réalité.
IL Ces chiffres ne tiennent compte que des étudiants. Il y a aussi le personnel et les mentors.
Quel genre d’artistes sont acceptés à Quarantine ?
CG Des peintres essentiellement, mais le spectre est large. Ce ne sont pas tous nécessairement des peintres figuratifs.
Certaines personnes travaillent dans l’illustration, l’art du tatouage ou l’industrie du film, mais elles ont toutes un lien avec l’art plastique.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
IL Carles et moi nous sommes rencontrés à une inauguration en 2009. J’étais journaliste et je réalisais son interview. Nous sommes ensemble depuis, et nous sommes même mariés. Nous connaissons Joan depuis des années.
CG Et Darren, le quatrième membre de Quarantine, avait un bar à Ciutadella, que je fréquentais. Je cherchais quelqu’un de très pragmatique, capable de superviser tous les aspects concrets du projet, et j’ai pensé à lui.
Comment le public a-t-il réagi à l’annonce de Quarantine ?
IL La marque Menorca Pulsar était bien connue à l’international et nous nous sommes servis de cette plateforme. Nous avons surtout travaillé sur Instagram et au travers d’une newsletter, qui disposait déjà d’une bonne base de données. Il est impératif d’expliquer clairement ce qu’est Quarantine et ce que nous faisons ; c’est un premier filtre, qui nous permet de nous assurer que les personnes qui ne correspondent pas au projet ne postulent pas. Nous ne voulons pas que Quarantine soit vu comme des vacances ou une semaine de détente à Minorque. Il s’agit d’une expérience intense, difficile à certains égards.
Comment êtes-vous arrivé sur l’île ?
CG En 2016, j’ai eu l’occasion de la visiter. Depuis, j’ai toujours su que je voulais faire quelque chose ici, car l’île m’avait laissé une forte impression. J’ai commencé à rêver de l’île, de façon récurrente. J’avais déjà imaginé tout ce que nous avons mis en place, y compris le logo. Je l’ai conçu en 2016, puis je suis tombé sur le même symbole, gravé dans la pierre dans l’une des cellules. Disons qu’une série de coïncidences m’a convaincu que c’était une bonne idée de venir ici.
Vous avez dû demander l’autorisation de la municipalité.
IL Oui, nous collaborons avec la municipalité d’Es Castell, la ville d’en face, qui envoie tous les jours des bateaux. Ce n’est pas facile, car c’est un vaste espace qui n’est presque jamais utilisé. La logistique aussi est compliquée : si vous oubliez quelque chose pour le déjeuner, vous devez prendre un bateau pour retourner en ville !
Le format et le lieu ont-ils convergé au même moment ?
CG Il s’agissait d’une prison sanitaire, conçue spécifiquement pour isoler les gens. Ici, nous isolons les artistes du monde extérieur, afin de les mettre en quarantaine avec leurs idées. Le cadre influe sur le format, qui ne peut exister qu’ici. Il est né de la sensation d’être entouré de murs et de traverser la mer en bateau chaque jour, comme un rite de passage.
Le format restera-t-il le même dans le futur ?
Envisagez-vous de le développer ?
« Il s’agissait d’une prison sanitaire, conçue spécifiquement pour isoler les gens. Ici, nous isolons les artistes du monde extérieur, afin de les mettre en quarantaine avec leurs idées. Le cadre influe sur le format, qui ne peut exister qu’ici, car il est né de la sensation d’être entouré de murs. »
CG Nous organiserons une édition annuelle en 2024, avant de repasser à deux éditions en 2025. Nous n’envisageons pas de nous développer, car Quarantine fonctionne bien avec de petits groupes. Il serait intéressant d’utiliser ce format pour d’autres spécialités, notamment des écrivains.
L’idée de se déconnecter et de s’isoler des réseaux sociaux et des smartphones est intéressante. Après 10 ans d’utilisation non contrôlée, on parle maintenant de leur impact négatif.
CG Nous avons remarqué que l’abstinence du smartphone commence à faire effet le deuxième jour. Nous avons tous assimilé cet élan instinctif d’enregistrer les choses, de les prendre en photo. Le deuxième jour, cet élan disparaît pour être remplacé par une sorte de réticence à y revenir, comme si les gens se sentaient libérés. Le niveau d’attention est très différent. Les artistes utilisent leur mémoire différemment. Ils se concentrent différemment. Leur tête fonctionne différemment, ils adoptent un autre état d’esprit. Ajoutez à cela le fait que le programme est maintenu secret : personne ne sait ce qui l’attend, et les défis que nous présentons ont plus d’une solution, de sorte que les participants doivent s’impliquer créativement.
IL L’une des participantes de la dernière édition, Lyda, m’a dit qu’il était aussi très important que les gens se parlent vraiment. Parler exige d’écouter.
Cela peut être intimidant, en un sens.
CG Le programme s’articule autour de deux piliers. Le premier est que la peur est une boussole. On ne doit pas éviter la peur, mais comprendre qu’elle existe et ce vers quoi elle pointe. Le deuxième est que la vulnérabilité dans l’art est une force. À partir de ça, il n’y a pas qu’une seule façon de donner de la valeur à ce qu’un artiste fait. Il n’est pas nécessaire d’être applaudi ou de recevoir des compliments pour qualifier une œuvre d’art. Cette absence de pression permet aux erreurs de devenir constructives.
À quoi ressemble une journée type à Quarantine ?
CG Le matin, des master class sont données dans la salle de conférence. Les artistes sont invités à dévoiler leurs faiblesses, et à montrer aux autres participants qu’ils sont comme eux. Puis des ateliers artistiques sont organisés, au cours desquels nous remettons en question quelques-unes des règles imposées par les systèmes de formation artistique traditionnels. Les ateliers sont suivis d’un déjeuner où tout le monde peut tisser des liens. Puis nous proposons différentes activités pour décompresser, dont des concerts et des séances d’expression corporelle. Il y a aussi un segment consacré à la santé mentale, organisé avec la collaboration de psychologues. Puis on passe au mentorat avec les artistes invités. Ces tête-à-tête sont très importants.
Une fois que vous avez terminé, il n’y a pas de note, pas de compte-rendu ?
CG C’est tout le contraire : nous brûlons tout à la fin.
S’Àvia Corema, ou « Grand-mère Carême », est l’un des personnages les plus célèbres du folklore minorquin, et elle prend vie chaque année pendant les sept semaines du Carême. Contrairement à une grand-mère moyenne, ou même à une personne moyenne, S’Àvia est énorme : sa statue en carton, qui déambule dans les rues de Maó tous les samedis jusqu’à Pâques, fait trois mètres et demi de haut, et pèse près de 65 kilos. Ce qui rend Grand-mère Carême encore plus spéciale, c’est qu’elle possède sept jambes. Une pour chaque semaine du Carême. Pendant la parade, les habitants de l’île chantent et dansent au rythme de mélodies locales traditionnelles. À la fin, la procession arrive à une plaça, où un enfant est choisi pour retirer l’un des pieds de S’Avia. Tous les samedis, un pied est retiré jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucun. Grand-mère Carême, comme l’hiver, peut alors céder la place à Pâques et au printemps.
S’ÀVIA COREMA
CAMÍ DE CAVALLS
UN CHEMIN QUI AU XIVE SIÈCLE TOUT LE TOUR IL PASSE AU
DE PLAGES, DE ET DE PASSERELLES, SANS JAMAIS DE VUE LA
QUI REMONTE SIÈCLE ET FAIT TOUR DE L’ÎLE.
AU TRAVERS DE PRAIRIES PASSERELLES, JAMAIS PERDRE LA MER.
PARMI LES NOMBREUSES MERVEILLES NATURELLES DE MINORQUE FIGURE UNE CRÉATION DE L’HOMME, DONT ON ESTIME QU’ELLE A AU MOINS 500 ANS. ELLE NE SE DÉTACHE PAS SUR LA LIGNE D’HORIZON, CE N’EST PAS UNE MERVEILLE ARCHITECTURALE OU UN ANCIEN CHÂTEAU, MAIS UNE ROUTE, OU PLUTÔT UN CHEMIN. LE CAMÍ DE CAVALLS EST UNE ROUTE NON PAVÉE QUI FAIT TOUT LE TOUR DE L’ÎLE, BÂTIE AU XIVE SIÈCLE POUR RELIER L’ENSEMBLE DES PHARES, DES CANONS ET DES FORTERESSES DE MINORQUE. ELLE PEUT ÊTRE PARCOURUE À PIED, À VÉLO OU À CHEVAL, BIEN ENTENDU. ELLE PASSE AU TRAVERS DE PLAGES, DE PRAIRIES ET DE PASSERELLES, SANS JAMAIS PERDRE DE VUE LA MER. AU FIL DES SIÈCLES, DE GRANDES PORTIONS DU CHEMIN ONT TERMINÉ AUX MAINS DU SECTEUR PRIVÉ ET ONT ÉTÉ ABANDONNÉES, MAIS DANS LES ANNÉES 1990, LES HABITANTS DE MINORQUE ONT COMMENCÉ À FAIRE PRESSION SUR LES AUTORITÉS POUR LA RENDRE À NOUVEAU PUBLIQUE. ILS Y SONT PARVENUS EN 2000 AVEC LA LLEI DEL CAMÍ DE CAVALLS (LOI DU CAMÍ DE CAVALLS). LE PROCESSUS DE RÉNOVATION A DURÉ JUSQU’EN 2011 ET, DEPUIS, LE CHEMIN EST DE NOUVEAU UN BIEN PUBLIC.
Minorque est connue de certains comme l’île des géants. Et les géants font en effet partie des traditions et des célébrations du folklore de l’île, notamment à Maó, où ils sont également connus sous le nom de capgrossos, en référence aux énormes têtes en papier mâché qui déambulent dans les rues, juchées sur des échasses d’un mètre de haut. Mais les géants appartiennent aussi à des légendes plus anciennes, auxquelles l’île doit vraiment son surnom. L’une d’elles évoque une ancienne construction mégalithique baptisée « Sa Naveta des Tudons », qui remonte à un millénaire avant l’an zéro. Selon la tradition populaire, deux géants qui vivaient là ou Ciutadella se trouve actuellement étaient amoureux de la même femme. Cette dernière était indécise, et les deux jeunes hommes décidèrent de régler la question lors d’un concours de
force et d’habileté. L’un des géants se mit à construire une « naveta », tandis que l’autre creusa un puits pour trouver de l’eau fraîche. Le premier à finir épouserait sa bien-aimée. Alors qu’il ne manquait plus qu’une pierre à la naveta, l’autre géant trouva de l’eau. Enragé devant la futilité de la situation, le premier géant lança la dernière pierre dans le puits, tuant son ami. Rongé par la culpabilité, il mit fin à ses jours peu après. Découverte dans les années 1950, la naveta avait la forme d’une chambre funéraire mégalithique et aurait entre 2 200 et 1 750 ans. C’est l’un des mégalithes les plus anciens et les mieux préservés d’Europe.
BETTINA CALDERAZZO ET MATT WESTON
En grec, ils portent le nom d’étésiens, mais d’autres langages préfèrent parler de « meltemi ». Les deux termes font référence à un groupe de vents secs, qui soufflent de la mer Égée pendant l’été. Des vents qui peuvent être forts et dangereux. Une force méditerranéenne historique, qui a inspiré le nom de la galerie d’art de Bettina Calderazzo et Matt Weston à Ciutadella, qui sert notamment d’espace d’exposition.
Avant de fonder Etesian, Matt et Bettina ont parcouru en long et en large la côte méditerranéenne avant de finalement poser leurs valises à Minorque. Etesian est l’évolution naturelle de leurs expériences, leurs pensées et leurs tentatives. Aujourd’hui, la galerie expose des artistes du monde entier, tels qu’Alexandria Coe, Lemos-Lehmann, Lauren Doughty et Toni Salom, mais elle fait également office d’atelier pour les artistes et de résidence. Elle évolue sans cesse et est aussi ouverte auchangement que Bettina et Matt l’étaient pendant leurs voyages.
Les artistes qui ont collaboré avec Etesian, de sa fondation à l’actualité, viennent aussi bien d’Espagne, comme Toni Salom et Carmen Mosquera, que du reste du monde, comme Catherine Ko Chen, Lisa Dengler, Alexandria Coe, Morgan Pilcher et Lemos + Lehman.
Ciutadella, où se trouve Etesian, est une ville ancienne et fascinante. Fondée par les Carthaginois, elle a d’abord été un diocèse, puis a été gouvernée par les Maures avant d’être restituée à l’Espagne.
Après être passés d’un port à un autre, vous avez fini à Minorque.
MW Oui. Au final, nous nous sommes installés à Minorque. C’est ici que notre idée a pris forme et que nous avons trouvé l’endroit idéal à Ciutadella. Comme il était très délabré, nous l’avons rénové : nous l’avons beaucoup nettoyé, peint et réparé. Nous ne savions pas exactement ce qu’il deviendrait et, avec le temps, l’endroit s’est transformé en une galerie, principalement, accompagnée d’une boutique.
Que faisiez-vous tous les deux avant de vous lancer dans cette aventure ?
BC Je travaillais à Londres en tant que directrice artistique dans la publicité. C’était un environnement de travail dément, très intense et au rythme soutenu, avec des échéances tous les 3 jours.
MW J’étais créateur de bijoux. C’est quelque chose que j’ai commencé à faire au Mexique, où j’étais artisan itinérant, et qui a évolué en une vraie boutique, sur la plage de Bondi à Sydney en Australie. Par la suite, j’ai déménagé à Londres, où j’étais designer pour une marque, puis je me suis installé à mon compte, avec ma propre marque.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
BC Je suis à moitié australienne et à moitié italienne. J’ai vécu en Australie, puis j’ai déménagé à Paris pendant cinq ans, et c’est là que j’ai commencé à travailler en tant que directrice artistique. Puis j’ai rencontré Matt et je suis allée vivre à Londres avec lui, et au final, nous avons déménagé à Minorque. Matt a vécu en Australie pendant dix ans. Quand nous étions à Londres, nous envisagions un changement assez radical. C’est là que j’ai commencé à penser à l’environnement dans lequel j’ai grandi, et à mon enfance. Je voulais revenir à quelque chose de semblable, mais sans aller trop loin.
À quoi ressemblait votre enfance ?
BC Très australienne : la plage avant l’école et après l’école. Mais mon père étant italien - il est originaire de Naples, mais a déménagé en Australie quand il avait une trentaine d’années -, mes parents avaient beaucoup d’amis européens. J’ai donc eu ce contexte australien du côté de ma mère, et cette énorme influence européenne du côté de mon père. Toutes les semaines, nous allions déjeuner et dîner chez quelqu’un. À la maison, nous parlions énormément d’art, de culture et de philosophie. J’ai grandi entourée de tout cela, et ça m’a forcément influencée. Tous les étés, nous allions passer deux mois en Italie, ce qui m’a permis de créer un lien fort avec l’Europe.
Pourquoi avez-vous décidé de changer aussi radicalement de vie ?
BC C’était une évidence pour moi. Je faisais quelque chose qui ne me satisfaisait pas complètement ; je m’étais retrouvée à ce poste sans vraiment l’avoir choisi. J’étais douée et j’appréciais un grand nombre de mes collègues, mais au bout du compte, mon travail ne m’apportait pas de satisfaction
profonde. Dans ce genre d’emploi, notre créativité est souvent exploitée et mise au service d’une idée qui n’est pas la nôtre, pour vendre un produit que nous n’achèterions même pas. Alors nous avons pris la décision de voyager. Au début, ça a fonctionné, puisque nous travaillions tous les deux en freelance. C’était avant le Covid et tout allait bien. Mais dès que nous sommes arrivés à Minorque, nous nous sommes rendu compte que notre façon de vivre n’était pas adaptée. Je passais 12 heures par jour devant l’ordinateur et, à un moment donné, je me suis dit : ce n’est pas la vie que j’ai envie de mener. Puis Coco, notre fille, est née. Elle a été le principal moteur de ce changement.
Comment avez-vous trouvé l’endroit où Etesian se trouve actuellement ?
BC Nous avons passé six mois à voyager sur l’île, à glisser des cartes postales sous les portes de tous les endroits qui nous plaisaient. Un jour, j’ai rencontré un vieil homme, qui tenait cet espace. C’était un personnage assez particulier : il avait vécu au Japon pendant huit ans, car le bateau sur lequel il naviguait avait eu un accident alors qu’il était là-bas. Nous l’avons courtisé pendant six mois, car dès que nous avons vu cet espace et l’ensemble du bâtiment, nous en sommes tombés amoureux.
Comment vous êtes-vous connectés à la scène artistique à Minorque ?
BC Au début, nous avons bénéficié de l’aide de Majorque. Nous avions des amis là-bas et, grâce à eux, nous avons commencé à amener des artistes de Majorque, puis un artiste de Londres. Nous voulions introduire notre approche personnelle, de sorte qu’au début, nous voulions amener des artistes venant d’ailleurs. Personnellement, j’avais l’impression de pouvoir offrir cette perspective différente, plutôt que d’essayer de faire quelque chose pour lequel je n’étais pas préparée. Mais les années ont passé et, aujourd’hui, nous invitons de plus en plus d’artistes minorquins.
Quelles sont les différences entre une galerie comme Etesian et une galerie plus traditionnelle ?
BC Je pense qu’Etesian est unique à plusieurs égards. D’une part, en raison de mon approche australienne, qui me permet de m’intéresser à l’art contemporain et à l’art graphique et indigène en même temps, et de créer quelque chose d’hybride avec les aspects plus poétique et romantique de la culture européenne. Un jour que j’organisais une exposition qui réunissait toutes ces facettes, j’ai discuté avec quelqu’un qui m’a dit que ça ne fonctionnerait jamais. Mais au final, les deux chemins se sont rejoints. Sur le plan physique, la galerie est composée de trois espaces différents. Cela nous permet de créer des expériences uniques : l’un des artistes que nous avons accueillis récemment, par exemple, a utilisé la cave au soussol pour créer une expérience sonore dans un espace plongé dans le noir. Lorsque vous visitez Etesian, vous n’avez pas l’impression de rentrer dans une boîte blanche vide, comme dans la plupart des autres galeries.
MW Les murs font un mètre d’épaisseur et il y a des tunnels au sous-sol. Il y a aussi une tourelle sur le côté, un ancien mi-
rador qui permettait de repérer l’arrivée de potentiels envahisseurs dans le port. L’espace regorge d’histoire, et ça a été une véritable aventure pour nous. Aborder le projet avec un esprit fermé et élitiste n’aurait pas eu de sens. Au lieu de cela, nous apprenons sans cesse de nouvelles choses, nous grandissons et nous nous amusons.
BC Quand nous organisons une exposition, nous essayons aussi de proposer une expérience immersive : nous organisons des dîners, au cours desquels les visiteurs peuvent rencontrer les artistes ou participer à leurs travaux. Une fois, nous avons recréé l’atelier de l’artiste exposant au sein de la galerie, de sorte que les visiteurs pouvaient le regarder travailler. On ne voit pas souvent ce genre d’histoire et d’expérience en immersion dans les galeries. Bien sûr, je ne dis pas que nous sommes les seuls à proposer ce concept, mais nous recevons beaucoup de compliments à propos de cette philosophie ouverte et inclusive de l’art.
Qu’est-ce qui vous a séduit à Minorque ?
MW C’est difficile de n’évoquer qu’une seule chose. C’est peut-être naïf, mais m’installer à Minorque à ce moment-là semblait la bonne chose à faire. Dès que nous avons quitté l’aéroport, la première fois que nous sommes venus à Minorque, nous nous sommes instantanément sentis plus détendus, comme si nous étions arrivés à destination. À partir de ce moment, nous avons tout de suite commencé à chercher un endroit où vivre. De tous les lieux que nous avons visités, c’est la première fois que nous nous sommes sentis chez nous. Et ce sentiment ne nous a jamais quittés. Je pourrais dresser une liste de toutes les choses extraordinaires à Minorque, des plages à la nourriture en passant par les habitants, mais ce qui a fait la différence, c’est ce sentiment.
BC Bien sûr, nous avions des critères. La mer. Le fait de ne pas avoir à conduire deux heures pour aller d’un endroit à un autre. De la culture, mais aussi des choses à faire. Une ville pas trop petite, avec un peu plus qu’un bureau de poste et un café, mais où la nature et le ciel ont aussi leur place.
MW Assez rapidement, nous nous sommes rendu compte que Minorque ne dépend pas du tourisme. Si les touristes disparaissaient du jour au lendemain, la vie serait la même. L’identité culturelle est très forte ici, contrairement à d’autres endroits que nous avons visités en Méditerranée. Le concept de communauté est très important pour nous. La petite ville où nous vivons est suffisamment grande pour qu’on ne se connaisse pas tous, donc il y a toujours de nouvelles rencontres à faire, mais en même temps, elle est suffisamment petite pour connaître beaucoup de monde.
D’où vous vient cet amour pour la Méditerranée ?
MW J’ai quitté l’Angleterre en 1990 pour aller vivre à Eivissa. Ça a été ma première expérience de la Méditerranée, et je la porte en moi depuis.
BC Chez moi, c’est presque un devoir d’aimer la Méditerranée. Je suis très connectée à mes racines italiennes. Quand j’étais jeune, je passais tous mes étés sur la côte amalfitaine. Dans les îles Baléares, il y a la Méditerranée et autre chose : quelque chose en lien avec la lumière et l’énergie que l’on y ressent. C’est aussi une île très jeune, pleine de personnes qui veulent découvrir des choses intéressantes. La mentalité est ouverte à l’international, et la proximité de Barcelone est un plus. Les idées circulent facilement ici, c’est important.
Minorque attire beaucoup l’attention dans le monde. Avez-vous peur que ce soit trop ?
MW C’est vrai que l’île est sous les feux des projecteurs en ce moment, et ça se voit quand on se balade, mais honnêtement, ça ne m’inquiète pas. Le monde a tendance à s’intéresser à quelque chose, puis la minute d’après il passe à autre chose.
BC Je pense que les Minorquins sont très résilients, l’île résiste très bien à la pression de l’extérieur.
« Assez rapidement, nous nous sommes rendu compte que Minorque ne dépend pas du tourisme. Si les touristes disparaissaient du jour au lendemain, la vie serait la même. L’identité culturelle est très forte ici, contrairement à d’autres endroits que nous avons visités en Méditerranée. »
La robe noire des chevaux brille sous le soleil de l’été. Leurs brides sont décorées au niveau de la mâchoire, du museau et de la queue, mais ce qui brille le plus ce sont les petits cœurs en argent au centre de leur poitrail. Ils paradent en ville, comme dans une procession. Les cavaliers, ou caixers, portent du noir et du blanc. Les célébrations commencent lorsqu’ils atteignent la plaça principale. Ce sont les Festes de Menorca, qui se tiennent tout l’été : il y en a 13 en tout, car chaque village célèbre son saint patron pendant deux jours. Le premier jour, les festivités commencent dans la soirée et se poursuivent jusqu’à minuit. Le deuxième jour, elles ont lieu le matin, et il s’agit du moment le plus attendu. Les chevaux (cavalls menorquins, une race originaire de l’île) et leurs caixers se fraient un chemin entre les rues avant d’émerger sur la plaça principale, couverte de sable pour l’occasion, où des centaines, voire des milliers, de personnes attendent de les accueillir. Un groupe de musiciens emplit l’air. Le premier à entrer sur la plaça est le fabioler à dos d’âne, qui joue de la flûte et tape sur un petit tambour. Viennent alors les cavaliers, qui portent le drapeau de la ville ou du village, suivis de tous les autres. C’est l’heure du jaleo : le cheval se tient sur ses pattes arrières, comme s’il exultait. C’est le point culminant des Festes. À la fin de la parade, les chevaliers reçoivent la canya verda, une tige de jeune bambou, symbole de longévité et de bonne fortune, attachée à une petite cuillère en argent, la cullera.
Les Cavalls menorquins sont une race indigène associée au cavall mallorquí et au cavall català.
Très appréciée pour son travail dans les champs et pour l’équitation, la race a été reconnue officiellement en 1988.
Grâce à son rôle essentiel dans les festivités de l’île, le nombre de cavalls menorquins ne cesse d’augmenter. On en compte actuellement près de 3 000, avec 250 naissances en moyenne par an.
L’UNE DES THÉORIES PLUS « FRANCOPHILES » ÉVOQUE LA MAYENNE, ANCIENNEMENT MAÏENNE, UN DÉPARTEMENT DANS LE NORD-OUEST DU PAYS, À QUELQUES KILOMÈTRES DE LA MANCHE. LE PROBLÈME AVEC CETTE THÉORIE EST QU’IL N’Y A JAMAIS
EU D’OLIVIERS DANS CETTE RÉGION.
Le jaune des œufs les plus frais, du jus de citron et de l’huile, puis du sel, du vinaigre et une pincée de poivre, en quantités limitées mais essentielles. Certains ajoutent parfois de la moutarde. Les ingrédients de la recette de la mayonnaise sont peu nombreux, et faciles à retenir. Pour autant, l’origine de cette sauce est-elle simple ? C’est tout l’inverse. Cette recette en apparence simple recèle des guerres de conquête, des amours clandestins et une intrigue culinaire. L’histoire commence à Maó, la capitale de Minorque. Vous avez entendu ça ? Ditesle encore une fois. Maó. Mayonnaise. Exactement.
C’est en 1756 que Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu et commandant des troupes françaises lors de la bataille de Minorque, jette l’ancre à Ciutadella, aux côtés de plus de dix mille hommes à bord de 200 navires. Les Britanniques sont vaincus pour l’heure, mais la victoire française n’est pas définitive : les troupes se retirent à Gibraltar, mais il s’agit de l’une des premières offensives de la Guerre de Sept Ans, qui se terminera par le triomphe des Britanniques en 1763. Les faits sont posés, mais les histoires diffèrent. Il a longtemps été difficile de distinguer la légende de la vérité, car les deux sont souvent mélangées, comme l’huile, le citron et le jaune d’œuf.
L’un des récits dont nous avons hérités à propos du séjour de Richelieu à Minorque raconte qu’une nuit, alors que le duc inquiet flânait dans Maó, il était tellement absorbé dans ses pensées qu’il en oublia de dîner. Il se faisait tard quand il
remarqua les grondements de son ventre et se décida à entrer dans une petite taverne. À court de victuailles, mais redoutant d’avoir l’air inhospitalier, l’aubergiste lui présenta des restes de viande peu appétissants. « Monsieur, voici tout ce que j’ai, mais ce plat ne convient pas à votre excellence », lui dit-il. Ce à quoi Richelieu répondit : « Faites de votre mieux pour l’assaisonner, car en temps de famine, le pain n’est jamais trop dur. » L’aubergiste lui servit alors la viande avec une sauce que le duc apprécia tellement qu’il en demanda la recette. « Mais monsieur, c’est une simple sauce aux œufs », lui répondit-on. Le duc insista et nota toutes les étapes. À son retour en France, il rapporta la sauce avec lui et lui donna le nom de maionesa.
Néanmoins, ce n’est pas la version officielle des origines de la mayonnaise. Une autre histoire, racontée par Pep Pelfort, spécialiste de l’histoire de la gastronomie et directeur du Centre d’Estudis Gastronòmics Menorca, semble plus plausible. Richelieu aurait découvert cette sauce le 21 avril 1756, quelques jours après être arrivé sur l’île, à un banquet organisé en l’honneur des troupes françaises sur un vaste domaine. Les recherches de Pelfort révèlent que peu de grandes familles collaborèrent avec les Français ou se montrèrent ouvertement francophiles. Parmi ces familles, il semblerait que deux d’entre elles seulement produisaient de l’huile d’olive, un ingrédient clé de la mayonnaise : l’une à Sant Lluís, l’autre à Alaior. Cette enquête rondement menée révèle que la femme qui aurait servi la célèbre sauce était sans doute Mme Joana ou Mme Rita.
Bien entendu, les Français contestent ces versions de l’événement. Selon les théories plus « francophiles », la sauce serait née dans le pays natal de Richelieu, dont on retrouve des indices dans le nom. On parle de la Mayenne, anciennement Maïenne, un département dans le nord-ouest du pays, à quelques kilomètres de la Manche. Le problème avec cette théorie est qu’il n’y a jamais eu d’oliviers dans cette région, bien trop au nord pour la production de cet ingrédient fondamental. Une autre théorie géographique nous emmène à Bayonne, où une simple modification de l’orthographe au fil des siècles aurait transformé le « b » en « m ». Une autre hypothèse nous vient de Marie-Antoine Carême, chef, écrivain et « inventeur » de la haute cuisine. Il écrit que le nom original de la sauce était « magnonnaise », du verbe français manier, qui rappelle la nécessité de remuer sans cesse la sauce pour sa préparation.
Le différend aurait pu être réglé en 2022, quand le livre de recettes de la famille de Caules, originaire de Maó, a été retrouvé à Minorque. On doit cette découverte à Pep Pelfort, qui remonta la trace laissée par l’une des maîtresses minorquines de Richelieu. Le duc est célèbre pour avoir dit qu’il appréciait les femmes de l’île autant, si ce n’est plus, que sa cuisine. Elle possédait la maison où s’est tenu le célèbre banquet d’avril 1756 pour les Français. Après des mois passés à fouiller dans les archives de la famille et à suivre la piste de lettres, l’historien Pelfort finit par tomber sur le livre de recettes. Ce dernier fut ensuite analysé par des spécialistes de
la calligraphie, des bibliophiles et des historiens jusqu’à obtention d’une preuve définitive : le menu du banquet de Richelieu, inscrit sur une page à la fin du manuscrit. Mais la mayonnaise annotée dans le livre ne ressemblait pas du tout à celle que nous connaissons aujourd’hui : elle portait le nom de « salsa per a peixos crus » et était servie avec des bouts d’oignon, des herbes et du persil. Voici un extrait de l’une des lettres du duc de Richelieu : « Et si je vous oubliais, Madame, cette sauce aimante, dont vous avez régalé mon palais en de si nombreuses occasions, vous ramènera à mon souvenir et, puisque je ne peux pas lui donner votre nom, je l’appellerai Maionesa. »
«
ET SI JE VOUS OUBLIAIS,
MADAME, CETTE SAUCE
AIMANTE, DONT VOUS AVEZ RÉGALÉ MON PALAIS EN DE SI NOMBREUSES OCCASIONS, VOUS RAMÈNERA À MON SOUVENIR ET, PUISQUE JE NE PEUX PAS LUI
DONNER VOTRE NOM, JE L’APPELLERAI MAIONESA . »
LES Â NES DE SUNNY
Ils broutent à l’ombre des oliviers et des murs en pierre sèche, comme s’ils attendaient que le temps passe, au milieu du gazouillis des cigales, la bande-son d’un été à Minorque. Ils sont curieux : si vous vous approchez d’eux, ils se rapprochent aussi à la recherche d’une friandise ou d’une caresse derrière l’oreille. Les ânes de Menorca Donkey Rescue sont pris en charge par Gundi, qui est née en Allemagne mais vit à Minorque depuis près de trente ans. Elle consacre tous ses weekends et une grande partie de son temps libre à ce sanctuaire, qui a sauvé 20 ânes de l’abandon. Elle n’est pas seule : Sunny, un Anglais, a ouvert la colonie il y a huit ans avec quatre ânes seulement, sur ce bout de terre qui appartenait à un ami. Au départ, Gundi passait de temps en temps, puis elle y a pris goût. « J’aime l’idée de pouvoir aider sur le terrain, et pas seulement de faire un don à distance », explique-t-elle. Pendant l’été, le sanctuaire des ânes ouvre ses portes aux visiteurs, surtout des familles. C’est un excellent moyen de financer le projet pour qu’il puisse continuer à accueillir des ânes, ici à l’ombre des oliviers.
Dans la vie de tous les jours, il s’appelle Sam. Mais un jour par an, il est s’homo des bé. En langue minorquine, cela signifie « l’homme mouton », une importante figure religieuse et folklorique, tout particulièrement à Ciutadella. La semaine qui précède la fête de Sant Joan, s’homo des bé, une pèlerine en peau de mouton sur les épaules, déambule entre les maisons de la campagne et frappe aux portes. Il ne porte pas de chaussures, une croix rouge est peinte sur chacun de ses pieds, et une autre en travers de son front. Selon la tradition, il représente la figure de Sant Joan Baptista, et sa tâche est d’annoncer l’arrivée de la festivité la plus importante de l’année aux habitants de Minorque. À l’instar des crieurs publics d’autrefois, il arpente les rues pour transmettre les annonces des autorités publiques. Mais il n’est pas seul : il est accompagné de la junta de caixers, les cavaliers, et du fabioler, qui joue de la flûte à dos d’âne pour sonner le coup d’envoi des festivités. La tâche de Sam n’est pas simple : en tant que s’homo des bé, il doit parcourir 35 kilomètres par an avec un agneau sur le dos.
Oriol, 21 ans et originaire de Barcelone, aime particulièrement la liberté qu’il ressent ici. Il y a deux ans, il est parti faire des études de droit à l’université. Il dit qu’il est heureux et qu’il passe du bon temps, mais il adore le calme et la tranquillité de Minorque.
Édition et création
Alla Carta Studio
Directeur de la création
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Directrice de la marque
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Photo Valentin B Giacobetti
Stylisme
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Rédaction
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Production
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Un grand merci à
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Lessico Familiare
Miguel Ángel Martorell Mancebo
Álvar Ortega Alonso
Asja Piombino
Olivier Simille
Spaccio Maglieria
Via Piave 33
Crédits photos
© Valentin B Giacobetti
© Angela Kirkwood : pp.77-88
© Fele La Franca, plans vidéo : pp.142-147
© Daniel Schäfer, Carlos Torrico
Fournies par Hauser & Wirth pp.37-44
© Josephsohn Estate. Fournies par la succession de l’artiste et Kesselhaus Josephsohn.
© Successió Miró, 2024 pp. 37-44
Imprimerie
Artes Gráficas Palermo, Madrid
ISSN : 2660-8758
Dépôt légal : PM 0911-2021
Imprimé en Espagne
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