Camper - The Walking Society - Numéro 11 - Kypros (FR)

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MARCHER signifie voyager : aller d’un endroit à un autre. Marcher signifie également avancer, s’améliorer, se développer, innover. The Walking Society est une communauté virtuelle ouverte à tous, toutes origines sociales, culturelles, économiques et géographiques confondues. Tant individuellement que collectivement, elle défend l’imagination et l’énergie, et propose des idées et des solutions utiles et positives pour améliorer le monde. De façon simple et honnête. CAMPER signifie paysan. L’austérité, la simplicité et la discrétion du monde rural se mêlent à l’histoire, à la culture et aux paysages de la Méditerranée, et influencent l’esthétique et les valeurs de la marque. Ancrée dans le respect des traditions, de l’art et du savoirfaire artisanal, notre promesse est la suivante : proposer des produits utiles, originaux et de qualité, et promouvoir la diversité avec la ferme intention de nous développer et de nous améliorer au travers de l’innovation, de la technique et de l’esthétisme. Nous aspirons à une approche plus humaine et culturelle des affaires. CHYPRE, de son nom grec KYPROS, est la troisième plus grande île de la Méditerranée. Située aux portes du Moyen-Orient, elle jouit d’une position stratégique entre l’Orient et l’Occident, qui fait d’elle la cible d’invasions depuis que le monde est monde. Son histoire est marquée par une agitation sociale et une stratification culturelle, qui contribuent à l’identité confuse et à l’essence mystique de l’île. THE WALKING SOCIETY est un magazine composé de mots et d’images de personnes et de paysages appartenant à une communauté virtuelle qui fait avancer et évoluer le monde. La première édition de TWS a vu le jour en 2001 ; elle portait sur l’île de Majorque, terre natale de Camper. La série originale, qui couvrait également différentes régions de la Méditerranée, a duré quatre ans et huit numéros, se terminant en 2005. Ce 11e numéro part à la découverte d’une île à la chronologie fascinante et à l’archéologie complexe. Un voyage qui interroge et brise les mystères de Chypre, s’intéressant à la façon dont l’île a réussi à s’imprégner de l’influence de ses envahisseurs étrangers sans compromettre son essence méditerranéenne. WALK, DON’T RUN.

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À Chypre, la scène créative et la jeunesse locale sont étroitement liées. La plupart des talents créatifs de l’île ont étudié dans quelques-unes des universités d’art les plus réputées du RoyaumeUni, puis ils sont revenus à Chypre une fois leur diplôme obtenu pour bâtir leur réseau et contribuer à la société chypriote.


Située face à la Turquie, au Liban, à la Syrie et à l’Égypte, l’île de Chypre se trouve au centre du bras de mer le plus éloigné de la mer Méditerranée, là où l’Orient rencontre l’Occident. La topographie de l’île ressemble à celle d’autres régions de la Méditerranée avec une végétation abondante, de vastes oliveraies recouvrant les champs brûlés par le soleil, et des habitants aux visages hâlés. À Chypre, l’eau n’est jamais très loin. Du haut de la colline qui abrite le site archéologique de Kourion, on peut contempler les eaux étincelantes de la mer alors que la lumière du jour diminue, intensifiant la palette de couleurs des environs. À une demi-heure de là se trouve une plage rocheuse et silencieuse, où apprécier la caresse piquante du vent dans un cadre paisible. C’est ici qu’Aphrodite serait née. Les couleurs qui prédominent dans le paysage sont des verts profonds, des bleus vifs, des blancs discrets et diverses nuances de jaune. Une touche de fuchsia apparaît par endroits, là où des lauriers-roses ont pris racine. Des ruines antiques évoquant un passé complexe fleurissent sur Chypre, faisant de l’île un véritable musée en plein air. Ces vestiges font écho à l’héritage grec 7


Karst F/W 2021

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Du fait de la dangerosité de la situation politique, de nombreux Chypriotes grecs ont reçu le statut de réfugiés et fui au Royaume-Uni. Une bonne partie des nouvelles générations possède ainsi un passeport britannique ou vient de familles mixtes. Ce mélange de nationalités et de cultures a favorisé l’essor d’une scène artistique florissante sur l’île.


Poligono F/W 2021

Orestis est un mannequin et designer connu pour son apparence unique et sa présence notable dans le milieu de la mode local. Son travail va de la bijouterie au tricot expérimental, mêlant vêtements et performances.

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moderne présent au sud de l’île, où des drapeaux bleu et blanc flottent fièrement dans le ciel. Les mythes et la culture locale continuent de s’épanouir aux côtés de constructions modernes, des gratte-ciel métalliques s’érigeant toujours plus haut au-dessus de l’architecture dissemblable de Nicosie et Limassol. L’alternance constante entre des zones rurales et urbaines, et la pression qui existe entre le nord et le sud font de Chypre une destination invraisemblable. Sa fascinante identité, la diversité de sa population et son ambiguïté créent une atmosphère fantasque, difficile à reproduire. À Chypre, le temps semble suspendu, comme si la stratification culturelle et la chaleur de l’été créaient un caisson hyperbare. Géographiquement parlant, Chypre appartient à ce que l’on considère généralement comme le Moyen-Orient et a fait l’objet de nombreuses dominations au fil des siècles, par les Vénitiens, les Perses, les Hellènes et les Turcs, avant de tomber sous le joug de l’Empire ottoman pendant 300 ans, puis sous celui de l’Empire britannique.

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Twins F/W 2021 Camper for Kids Originaire d’Ukraine, Daria est arrivée à Chypre à un jeune âge pour échapper à la dure réalité de son pays natal. Elle fait partie de la vaste communauté d’Europe de l’Est qui a vu en Chypre une terre d’opportunités.

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Brutus F/W 2021

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Eleni est une créatrice de mode mi-britannique mi-chypriote, qui met l’accent sur la durabilité et la réduction des déchets. Avec son travail, elle remet en question la production de masse et soutient le progrès local en créant uniquement le nécessaire à partir de restes de matières produites à la main à Chypre.


Depuis les années 1980, Chypre est divisée en deux par une zone tampon contrôlée par les Nations Unies, une division qui a fait suite à des tensions sociales grandissantes entre les communautés ethniques prédominantes dans le pays, les Chypriotes grecs et les Chypriotes turcs, et à l’annexion ultérieure du nord de l’île par la République turque autoproclamée de Chypre du Nord. Une promenade le long de la ligne verte au sud de Nicosie a quelque chose de surréaliste, rappelant un plateau de cinéma. Des sacs de sable camouflés empilés les uns sur les autres et des tonneaux colorés protègent l’infranchissable frontière, tandis que de jeunes soldats patrouillent le secteur. De l’autre côté, régi par la Turquie, des chants s’échappent d’un minaret voisin au moment de la prière. Ici, les communautés libanaise, syrienne, arménienne, grecque, turque, russe et bulgare coexistent et s’approprient cette île minuscule. RESTAURATION ARCHÉOLOGIQUE p.18 La tradition archéologique et son impact sur la société locale, mis à jour sur des sites de fouilles et au musée de Chypre.

JOANNA LOUCA p.70 La modernité rencontre la tradition dans le studio de cette maîtresse tisserande. Découvrez comment elle repousse les frontières et expérimente autour de l’art.

NICOLAS NETIEN p.120 La nature est au centre de la vie chypriote. Ce bioingénieur français s’efforce de la faire renaître pour fournir à l’île un environnement sain.

ELINA IOANNOU p.40 Une journée en compagnie de la sculptrice chypriote Elina Ioannou, à la découverte de son univers au croisement de la réalité et de la représentation au travers de ses sculptures à plat.

URBAN GORILLAS p.82 L’engagement social est essentiel à Chypre. Dans le quartier de Kaimakli, cette association cherche à promouvoir le décor urbain avec l’aide des résidents.

MYTHE p.16,30,58,88,116,136 L’illustratrice coréenne Lulu Lin interprète les mythes les plus célèbres de l’île.

LEFKARITIKA p.52 À Chypre, l’artisanat traditionnel unit l’île. Ces pages abordent l’importance de la dentelle et de la broderie.

CHRISTINA SKARPARI p.98 Une chercheuse et créatrice qui cherche à maintenir les traditions vivantes en créant un lien entre les sociétés rurale et urbaine au travers d’un festival nomade. Découvrez ce qu’elle a accompli.

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La naissance d’Aphrodite D’après Hésiode, Aphrodite serait née près de Paphos, sur la côte sud-ouest de l’île. L’histoire raconte qu’elle serait née de l’écume après que Cronos aurait émasculé son fils Ouranos, dieu du Ciel étoilé, et jeté ses testicules dans l’eau.


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Restauration archéologique




Du fait de sa stratification culturelle, causée par les nombreuses incursions historiques qu’elle a subies, Chypre est synonyme d’archéologie. Il n’existe probablement aucun autre endroit au monde aussi petit avec un passé aussi riche, une culture aussi variée et une telle richesse archéologique. L’archéologie y est omniprésente, de l’artisanat traditionnel aux ruines grecques ensoleillées en passant par les précieuses miniatures en terre cuite qui rappellent la chronologie de l’île. Au fil du temps, Chypre s’est imprégnée de l’influence des pays voisins au travers de ses envahisseurs. En parallèle, elle a développé sa propre histoire. Ses vastes réserves de cuivre lui ont permis de résister au déclin, façonnant et alimentant son solide héritage culturel. C’est pour cela que les Chypriotes chérissent l’archéologie, un trésor dont ils font étalage avec passion. Sous le soleil cuisant, coiffés d’un chapeau de paille et équipés de quelques outils seulement, des ouvriers dévoués passent des heures à prendre soin de ce qu’il reste de Kourion, une cité-royaume dont les racines remontent au Péloponnèse. 21


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L’ancienne cité-royaume de Kourion aurait été fondée par les Argiens, habitants d’Argos dans le Péloponnèse.


Plus tard, des écrivains associèrent le nom de la ville à son fondateur, Koureas, fils du roi de la mythologie Kinryas. La région s’était développée bien avant la construction du village, à l’ère néolithique.

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Ces travailleurs grattent, collent et réparent les briques blanches dans une tentative de préserver la valeur immense de cette architecture antique. Une colonne en parfait état, soutenant ce qu’il reste du tympan d’un temple, se tient au milieu d’un champ en friche asséché par la chaleur de l’été. L’archéologie locale raconte l’histoire d’une civilisation qui serait née à l’époque du Néolithique et se serait développée au fil des siècles, survivant aux invasions étrangères. La richesse artistique stratifiée de Chypre est à l’image de sa résilience historique.

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Images vidéo de Fele La Franca

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Fortement influencée par la culture hellénique, l’île a perfectionné ses talents de conteur en créant ses propres poteries et sculptures, privilégiant le marbre, l’argile et l’or massif. La découverte de figurines presque intactes permet une reconstruction fidèle de l’histoire, là où les textes sacrés échouent. Les figures humaines prédominent. Fabriquées à la main, puis produites en série à l’aide de moules créés par des artisans de talent cherchant à répondre à une demande toujours croissante, ces miniatures témoignent de la société avancée présente sur l’île à chaque étape de son histoire. Appréciée et admirée par la communauté locale, l’archéologie constitue un aspect clé du mode de subsistance local.

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Le lac salé Cette légende ottomane raconte l’histoire d’un derviche assoiffé, qui demanda à boire dans le vignoble d’une vieille femme après son arrivée à Larnaka, dans le sud-est de Chypre. Après s’être vu refuser à boire, le derviche maudit le vignoble, le transformant en un lac salé et la femme en un rocher. Épuisé et assoiffé, le derviche mourut et sa main se transforma en une caroube.


La tradition culinaire et les produits locaux occupent une place importante dans la vie chypriote. Les produits frais et laitiers sont au centre de la cuisine locale. Les noix et les amandes sont toujours présentes, aux côtés de friandises enrobées de miel et de l’halloumi, un fromage gras et l’aliment le plus précieux de Chypre. Les salades grecques, à base de feta crémeuse et de coriandre acidulée, figurent sur tous les menus. Odorat, goût et histoire se mêlent, suscitant un fascinant sentiment de satisfaction. À votre arrivée au lac salé de Larnaca, vous êtes accueilli par ce même sentiment de satisfaction. Au crépuscule, sa surface cristalline asséchée par le soleil, difficile à regarder mais agréable à toucher, reflète la faible lumière. Le lac étreint les ombres de la végétation environnante, tandis que le minaret de la mosquée Hala Sultan Tekke ricoche à la surface. Les arbres épais qui rafraîchissent la région filtrent les rayons du soleil ensommeillé. L’atmosphère devient magique. 32

La tradition culinaire de Chypre prend ses racines dans la culture grecque. Les produits locaux sont étroitement liés à la cuisine hellénique. Les bonbons au miel, les salades chargées de feta et les produits frais méditerranéens sont au cœur de l’alimentation quotidienne.



Karole F/W 2021

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Korallia est une artiste pluridisciplinaire qui rend hommage à sa terre natale sur un éventail de supports. Elle fait partie de cette génération de Chypriotes qui sont allés se former à l’étranger avant de revenir fonder un studio local où s’adonner librement à la création.


Karst F/W 2021

Stelios, connu sous le nom de Krimson, est un musicien expérimental qui se consacre surtout à la techno et l’électro. On le voit souvent jouer dans des festivals et des fêtes de la région.

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Le lac véhicule la même beauté éphémère qu’une oasis au milieu d’un désert de sable. Un vent fort fait bruisser les palmiers et les pins, atténuant un instant la chaleur et l’humidité ambiantes. D’épaisses couches de sel exposées par le manque de pluie en été reposent sur de la boue noire, transformant presque le lac en sables mouvants. Le contraste entre l’éclat nacré du lac et le bleu du firmament est brutal. Ici, la distinction entre l’air et la terre est évidente. L’atmosphère pittoresque imprègne tous les recoins de l’île. Nature et architecture ne sont jamais loin l’une de l’autre : entremêlées, coexistant au quotidien, brouillant la frontière entre le temps, l’espace et les humains. En arrivant au studio d’Elina Ioannou, dans la périphérie de Limassol, la proximité de ces éléments au sein de la vie chypriote devient évidente. Le somptueux trajet qui mène jusqu’à sa maison d’enfance et son studio témoigne de la façon dont structure et nature cohabitent sur l’île. 39


Peu Stadium F/W 2021


La formation universitaire en architecture d’Elina Iannou transparaît de façon évidente dans son travail. De son choix du calcaire, un matériau autochtone généralement utilisé dans la construction, à ses portraits sculpturaux en deux dimensions, l’artiste interprète son environnement et met à l’honneur le paysage local en manipulant l’ordinaire.

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Travaillant aux côtés de son père, l’un des derniers sculpteurs sur pierre de l’île, Elina est très attachée à son héritage chypriote et considère que le fait d’avoir étudié à l’étranger lui a permis d’envisager le mode de vie local d’un point de vue objectif. Le trajet qui mène à son studio promet une expérience intense. Un carrousel de sculptures spontanées vous accompagne le long du chemin, se détachant sur le ciel bleu. Au milieu de ce petit bout de terre aride, des essais artistiques inachevés traînent sous la chaleur du soleil. Au fil des années, votre travail a changé de forme, mais il continue d’aborder des thèmes similaires. Les scènes et les objets du quotidien règnent en maîtres sur vos dessins et vos installations. Dans quelle mesure votre travail est-il influencé par votre environnement ? Je suis fascinée par les objets domestiques et du quotidien. Ils jouent un rôle important dans mes recherches. Ces scènes en disent long sur nous, sur la façon dont, en tant qu’êtres humains, nous fonctionnons et coexistons avec l’espace. Ces éléments sont les serviteurs dévoués et les témoins silencieux de nos obsessions. Le mobilier, les objets et les ustensiles de cuisine recèlent le témoignage de notre présence. Ils peuvent être témoins de nos faiblesses et de nos obsessions. Nos secrets les plus enfouis et nos in-

quiétudes existentielles restées sans réponse existent au sein des objets les plus courants que nous abandonnons, des rencontres quotidiennes les plus ordinaires et des instants les plus fugaces. Dans mon art, ce langage architectural me permet de prendre du recul par rapport au quotidien et de l’observer d’un œil plus objectif. Les éléments architecturaux présents dans mon travail me permettent également d’éliminer la perspective et la profondeur. Votre travail dégage une précision chaotique, au sens où les éléments artistiques tendent à s’accumuler et à se juxtaposer. Ce chaos est-il le résultat de votre éducation à Chypre, une île marquée par l’agitation sociale et que de très nombreux pays se sont disputés ?

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« LA PRÉCISION CHAOTIQUE, LA PLANÉITÉ DE L’ESPACE PHYSIQUE ET L’IMMOBILITÉ DU TEMPS SONT QUELQUESUNS DES ÉLÉMENTS QUI M’AIDENT À FAIRE FACE À TOUT CELA. EN REVENANT À LA FORME TRADITIONNELLE DE LA SCULPTURE POUR COMMÉMORER L’HISTOIRE ANCIENNE ET RÉCENTE, LA SUREXPOSITION À LA LUMIÈRE, LES LONGS ÉTÉS ET LA FLORE RÉSISTANTE, J’ESSAIE D’ÉLEVER CETTE AGITATION SOCIALE EN SYMBOLE. »

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Des fragments de sculptures, des objets trouvés, des vestiges et de vieux ornements architecturaux s’accumulent. Mais mes récits chargés sont souvent dépourvus de tout désir, de toute perspective ou gravité. Ils sont comme des instants fossilisés, piégés à la surface du papier ou pétrifiés dans des blocs de pierre. Il s’agit là d’une tentative d’associer passé et avenir dans des volumes massifs, qui alternent entre relief et figure en trois dimensions. Je suis, j’observe et j’existe quelque part dans l’attente de ce moment.

Pourquoi cherchez-vous à éliminer la tridimensionnalité de votre travail ? La frontière est très mince entre réalité et représentation, entre la réalité et l’essentiel. Aplanir l’image me permet de mieux distinguer la distinction entre les deux. Après avoir étudié en France, vous êtes revenue à Chypre. Dans quelle mesure cette expérience a-t-elle façonné votre vision de la vie et quels enseignements vous a-t-elle laissés ? Au départ, je voulais rester en France, mais mes parents m’ont convaincue de rentrer avant de prendre une décision. Chypre et la France sont deux pays très différents. Lorsque vous vivez quelque part, vous ne voyez pas la particularité de cet endroit, car vous êtes en immersion. Vivre en France si longtemps, parler la langue et fréquenter des locaux m’a permis de voir Chypre sous un jour différent, et inversement. Sortir de votre zone

« JE SUIS ÉGALEMENT LA FILLE DE MON PÈRE, L’UN DES DERNIERS SCULPTEURS SUR L’ ÎLE, ET L’HEUREUSE HÉRITIÈRE D’UN STUDIO ENTIÈREMENT ÉQUIPÉ POUR TRAVAILLER LA PIERRE. » 48

Elina et son père partagent le même studio et les mêmes outils. Elle réutilise souvent les chutes de son père.

La précision chaotique, la planéité de l’espace physique et l’immobilité du temps sont quelques-uns des éléments qui m’aident à faire face à tout cela. En revenant à la forme traditionnelle de la sculpture pour commémorer l’histoire ancienne et récente, la surexposition à la lumière, les longs étés et la flore résistante, j’essaie d’élever cette agitation sociale en symbole.


Peu Stadium F/W 2021 Ground F/W 2021


Peu Stadium F/W 2021


de confort vous permet de mieux comprendre et de voir les choses avec plus de clarté. De vous observer de façon plus objective. Le fait de vivre à l’étranger a-t-il influencé votre travail ? Si oui, dans quelle mesure ? Bien sûr ! Avant de quitter Chypre, je ne savais pas ce qu’était l’art contemporain. Je ne savais pas ce que je pensais de l’art. Je pensais que l’art correspondait à des compétences techniques. Mais en France, j’ai compris ce qu’est l’art. Et le fait d’entrer dans l’âge adulte ailleurs qu’à Chypre, où je vivais dans un environnement familial semblable à un cocon, comme dans d’autres pays méditerranéens, j’ai appris qu’il était possible d’exister d’une tout autre façon. Les vases anciens sont un autre élément que l’on retrouve souvent dans votre travail. Vous intéressezvous à l’archéologie ? Quel rôle l’histoire de Chypre joue-t-elle dans le choix des formes que vous incluez dans votre travail ? L’archéologie fait partie d’une esthétique. Mes œuvres ont l’air archaïque, mais elles sont aussi très modernes. Je me sers de l’archéologie pour comprendre nos ancêtres et la façon dont ils vivaient. L’utilisation de calcaire chypriote donne une dimension locale à mon travail et fait référence à l’héritage de l’île. Tout peut influencer mon travail. Les motifs gravés s’inspirent de la flore locale et ils étaient également utilisés dans l’art et la poterie d’autrefois, de sorte qu’ils deviennent une espèce de langage propre à un lieu. L’archéologie

joue un rôle important dans mon travail. Que pouvez-vous me dire de votre identité, et donc de votre travail en tant qu’artiste, par rapport à votre pays de naissance ? Je fais partie du paysage méditerranéen, de ses couleurs ocre et doré, de son mélange foisonnant d’architecture et de coutumes chypriotes, mais je reste une citoyenne du monde. Je suis également la fille de mon père, l’un des derniers sculpteurs sur l’île, et l’heureuse héritière d’un studio entièrement équipé pour travailler la pierre. La pierre autochtone est au centre de mes dernières créations. J’y développe et honore cet « habitant » primitif de l’île, ce matériau humble par opposition à la finition noble du marbre. Je suis une grande admiratrice de mon pays et je suis reconnaissante de toute l’inspiration que l’île m’offre. Comment l’art peut-il être un vecteur d’agrégation de la communauté sur une île aussi diverse ? L’art est un langage universel. Il peut être lu et compris par tout le monde. En règle générale, il sert à communiquer nos peurs et nos obsessions. L’une des principales qualités de l’art est qu’il apaise les peurs humaines. Il est fait par les humains pour les humains. Il s’attaque à nos inquiétudes, il est donc indispensable à l’existence humaine. Quelle que soit l’origine d’une personne, ses besoins, ses peurs et ses inquiétudes profondes concernant la vie restent les mêmes.

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Laborieuse, luxueuse et en déclin à l’époque moderne, la dentelle de Lefkara est l’un des artisanats traditionnels autochtones de Chypre les plus importants.

LEFKARITIKA


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La dentelle de Lefkara a sa propre histoire et vit dans le souvenir des vieilles femmes du village qui ont perfectionné cette minutieuse broderie pendant


des décennies. Cette pratique communautaire unit les mères, les filles et les voisins des villages semi-montagneux de Pano et Kato, marqués par


l’influence des marchands vénitiens ayant fait escale sur l’île au XIe siècle. Au centre artisanal de Nicosie, cette technique de broderie particulière est maintenue en vie par Vera, une femme qui a choisi de consacrer sa vie à enseigner ses connaissances aux curieux et aux étudiants modernes. Vera est installée dans l’atelier de dentelle, ses instruments à la main, occupée à choisir de la soie


et du lin. Certains de ses travaux lui ont pris six mois ; d’autres, plus complexes, jusqu’à trois ans. Son mari, quant à lui, navigue sur Internet à la recherche de morceaux de dentelle et contacte les collectionneurs pour les ramener à Nicosie. Ses vastes archives sont mises à la disposition des étudiants et des visiteurs, afin de leur permettre de se renseigner sur ce sublime artisanat ancien.



La naissance d’Adonis Adonis est le fruit de la relation incestueuse entre Myrrha et son père Cinyras, roi de Chypre maudit par Aphrodite. Après avoir réalisé l’identité de son amante, Cinyras fou de rage essaya de tuer sa fille, qui réussit à s’échapper et supplia les dieux de l’aider en la transformant en un arbre à myrrhe. Myrrha sous la forme d’un arbre donna naissance à Adonis, qui fut ensuite recueilli et élevé par Perséphone, reine des Enfers.




Nicosie est unique et ne ressemble à aucune autre ville au monde. Son paysage urbain laisse à penser que des urbanistes se sont réunis et ont décidé d’assembler des quartiers en béton d’un éventail de pays du Moyen-Orient. Des tours étincelantes s’élèvent aux côtés de petits bâtiments poussiéreux arborant de grands panneaux « À vendre ». Des maisons coloniales de couleur jaune apparaissent çà et là, leurs colonnes blanches rappelant celles des anciens temples grecs. L’architecture dissemblable de la ville reflète son réseau complexe de réalités entremêlées, les populations variées qui coexistent dans ses quartiers épars, et la pression qui entoure la ligne verte qui la divise. Ses murs sont recouverts de graffitis et d’affiches aux messages audacieux. Une résistance modérée semble se dégager des allées. Des commerçants âgés fixent les passants d’un regard vide, gênés par leur présence dans la rue. 62


Walden F/W 2021


Kaah F/W 2021





Drift F/W 2021


Se promener en ville est une expérience singulière, les affiches rétrogrades et les vitrines encombrées donnant l’impression que les affaires sont restées figées dans le temps. En parallèle, des constructions modernes témoignent d’une économie prospère et d’un marché de l’immobilier en hausse. Les routes sont brusquement interrompues par d’épais murs de briques, empêchant tout passage de l’autre côté de l’île. Ici, des groupes de jeunes soldats patrouillent le secteur, gloussant et lançant des plaisanteries pour faire passer le temps et l’ennui. Leur sourire naïf cède rapidement la place à une expression grave dès lors que quelqu’un s’approche de leur poste. Les nombreuses communautés multiethniques qui résident en ville se mêlent dans la rue, chacune parlant sa propre langue. Le contraste persistant entre vieux et nouveau, étranger et tradition, renforce l’ambivalence de Chypre et son identité si particulière. Cette incertitude est présente dans les travaux de la plupart des artistes locaux. 69


Dans son studio, l’artiste chypriote Joanna Louca revisite et réinvente des techniques de tissage anciennes. En entrant dans son lumineux atelier au sud de Nicosie, vous êtes accueilli par des rangées de bobines et d’échantillons de tissu divers et variés, soigneusement classés sur des étagères en métal.

JOANNA LOUCA À l’intérieur, des bureaux encombrés d’essais de tissage laissent entrevoir en toile de fond des fuseaux enroulés de lin, de coton et de laine. Des métiers à tisser en bois chargés attendent en silence, prêts à s’activer et à transformer les motifs de Joanna en réalité. Des témoignages de son savoir-faire sont suspendus au mur, qu’ils recouvrent jusqu’au sol. 70


Peu Stadium F/W 2021




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Diplômée du Goldsmiths College de Londres, Joanna considère l’art comme un pont entre tradition et avenir. Jouant avec des fils en nylon fluo, l’artiste cherche à ressusciter cette vieille tradition chypriote au travers d’expositions artistiques et de collaborations commerciales.

Un lien éternel semble exister entre Chypre et le Royaume-Uni, sans doute dû à l’histoire qui unit les deux îles. Vous avez longtemps vécu à Londres avant de revenir habiter à Nicosie. Dans quelle mesure cette dualité vous a-t-elle influencé ? Le tissage est une technique particulière, qui établit un lien entre le mouvement de l’histoire et l’un des plus vieux métiers sur l’île. L’étude rigoureuse et respectueuse des techniques traditionnelles de Chypre constitue souvent la source d’inspiration et le point de référence initial de mon travail. De plus, à l’ère numérique dans laquelle nous vivons, il existe une nécessité de préserver les techniques et les arts tangibles qui étaient autrefois menacés de disparaître. Lorsque je vivais à Londres et que je faisais partie de la scène artistique,

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j’ai eu de nombreuses occasions de mettre en pratique et d’appliquer mes connaissances en tant que tisserande pendant plus de dix ans. Mon travail en tant que freelance m’a permis d’explorer diverses dimensions du tissage et j’ai progressivement ressenti le besoin de créer mon propre atelier, mon langage à moi en tant qu’artiste. Mon atelier fonctionne comme un laboratoire expérimental, où je travaille les techniques de construction, tentant d’articuler l’espace, la pensée et la communication au travers du tissage. Mon retour à Chypre m’a permis de fonder mon studio beaucoup plus facilement, à la fois en termes d’espace et de capacité à trouver des personnes capables de m’assister. Je l’ai ouvert en 2001 et, depuis, il ne cesse de grandir. Ici, j’ai pu garder le rythme que j’avais en tête lorsque j’ai quitté Londres.




Votre travail est étroitement lié à la tradition textile chypriote. Comment vous rapprochez-vous de ces pratiques anciennes ? Le tissage reflétera toujours nos valeurs culturelles. Les couleurs, les motifs et les largeurs propres à la tradition locale influencent considérablement mon travail. Des fils innovants et high-tech plutôt que traditionnels, tissés selon des techniques traditionnels, laissent la place à une expérimentation constante. Le tissage consiste à entrelacer des fils. Le simple tissage est fait de plusieurs épaisseurs et marqué par un mouvement ; il circule dans un sens et dans l’autre d’une façon difficile à réaliser avec une autre matière. Ce processus qui consiste à imaginer un motif et à le matérialiser dans du tissu dans le respect de ces codes est ce qui m’a intriguée et donné envie d’explorer cet art et d’étudier rigoureusement ses aspects techniques et les possibilités qu’il offre.

Avez-vous l’impression que votre studio est un temple de la conservation des techniques de tissage nées dans votre pays ? Qu’il est de votre devoir civique de les transmettre aux générations suivantes ? Tout d’abord, mon studio est mon temple. C’est un endroit où je vais pour trouver la quiétude. Ici, je suis en mesure d’associer toutes les informations que je réunis dehors et de les transformer en un textile. Un jour ou l’autre, j’aimerais offrir aux personnes qui aiment tisser la possibilité de mieux se familiariser avec le métier. Je le ressens déjà alors que je continue à explorer cette technique dans mon travail : il y a encore beaucoup à découvrir. Comment arrivez-vous à séparer votre travail commercial de votre travail artistique ? Ou les deux sont-ils inévitablement liés l’un à l’autre ? Mes créations commerciales sont mon gagne-pain. Elles me permettent d’aller dans mon studio

« LE TISSAGE EST UNE TECHNIQUE PARTICULIÈRE, QUI ÉTABLIT UN LIEN ENTRE LE MOUVEMENT DE L’HISTOIRE ET L’UN DES PLUS VIEUX MÉTIERS SUR L’ ÎLE. » 76



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et d’expérimenter avec mes œuvres murales, ou encore avec des travaux qui ne sont pas prévus pour un espace en particulier, mais qui me mèneront à une nouvelle opportunité ou une nouvelle idée. Le processus de tissage est long et laborieux. Le fait d’installer votre studio à Nicosie vous a-t-il aidé à mieux appréhender le concept de la « slow life » ? Chypre étant une île, le rythme de vie est totalement différent de celui d’une ville très animée comme Londres. J’ai davantage le temps de me concentrer dans mon studio, sans aucune distraction extérieure comme une super exposition à aller voir ou des endroits que j’aimerais explorer. Cela étant, voyager fréquemment est très important pour moi, bien sûr. Cela me permet de rester au fait de ce qui se passe dans le monde du textile et du design. Chypre est mon point de chute pour me concentrer et méditer dans mon studio. À votre avis, quelle est la relation entre la configuration naturelle et la position géographique de l’île d’une part, et les traditions artisanales de Chypre d’autre part ? Si vous vous penchez sur l’histoire de Chypre, vous verrez que la production de soie et de coton a toujours été très prolifique sur l’île. À l’échelle locale, chaque village avait son tisseur avec un métier donnant vie aux étoffes domestiques. De par sa situation au Moyen-Orient et l’importance de sa position

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géographique, Chypre a été exposée à diverses dominations. Ce phénomène n’a pas cessé d’introduire de nouvelles influences. Être au centre de la Méditerranée joue assurément un rôle dans les traditions de Chypre. Prenez la céramique et le textile : ces deux artisanats ont été influencés par les étrangers. Mais nous les avons interprétés à notre façon, dans le respect de nos valeurs culturelles. Alors oui, pour répondre à la question, je pense qu’elles sont très liées. De quelle façon votre art rend-il hommage à la terre ? Je suis toujours inspirée par ce que mes yeux voient dans les paysages de l’île. Les saisons sont très marquées, tout particulièrement l’été avec des teintes marron et sépia, et un environnement très méditerranéen. Ma palette de couleurs provient toujours de là. Je suis très proche de la nature, de sorte qu’elle a toujours été une source d’inspiration pour moi. Inconsciemment, mon travail va dans le même sens. Quel rôle la tradition du tissage joue-t-elle dans la communauté et comment cela se traduit-il dans ce que vous faites ? Je pense que le tissage est un art communal, car pour réaliser un tissu, plusieurs personnes sont nécessaires. Vous avez besoin d’une personne pour l’élevage du ver à soie, d’une autre pour filer le fil, d’une autre encore pour tisser le tissu et enfin d’une brodeuse, qui se chargera de produire quelque chose de complètement différent.


« MON STUDIO EST MON TEMPLE. C’EST UN ENDROIT OÙ JE VAIS POUR TROUVER LA QUIÉTUDE. ICI, JE SUIS EN MESURE D’ASSOCIER TOUTES LES INFORMATIONS QUE JE RÉUNIS DEHORS ET DE LES TRANSFORMER EN UN TEXTILE. » À mon sens, le tissage n’est pas une activité solitaire. Je ne gère pas mon atelier seule, assise derrière mon métier à tisser. Ne serait-ce que pour préparer le métier, vous avez besoin de deux ou trois personnes dessus en même temps. L’effet est circulaire. Chaque fil, chaque trame, chaque motif racontent une histoire. En tant qu’artisan et artiste derrière l’œuvre, que souhaitez-vous susciter chez le spectateur ? Chaque élément est lié à un état d’esprit profond, un sentiment, une vision,

une interaction humaine. Tous ces aspects sont traduits sur une surface concrète, qui peut être lue et interprétée en fonction des expériences personnelles du spectateur. Je cherche toujours à susciter un sentiment ou un souvenir chez celui qui observe. Le métier lui-même est un outil, mais les textiles produits à la main représentent l’interaction entre des concepts sophistiqués et les compétences manuelles de l’artiste. Les textiles sont l’expression concrète d’un sens culturel commun, qui communique et représente des valeurs et une esthétique culturelles.

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Urban Si la tradition populaire trouve un nouveau souffle dans le studio de Joanna Louca, ce sont l’espace, les personnes et la communauté qui se rencontrent à Kaimakli, un quartier tranquille dans le nord-est de Nicosie, qui accueille Urban Gorillas, une association qui s’attaque à la notion d’espace public.

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Présente auprès des locaux à différents niveaux et sur différents sujets, elle s’est donnée pour mission de provoquer des interventions artistiques et de faciliter la participation des divers groupes ethniques vivant dans les limites du quartier. Le mouvement et les interactions avec le paysage urbain façonnent sa pratique et son essence. Les migrants et les voix inaudibles des locaux marginalisés sont au centre des festivals et des événements pluridisciplinaires qu’elle organise.

Maria et Elisabet font partie du même groupe de danse. Elles pratiquent aussi bien le jazz que la danse contemporaine, ou encore la capoeira. Elles se servent de leur corps pour interagir avec l’espace et offrir une superbe interprétation.

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L’association s’efforce de transformer visuellement des espaces sousutilisés tout en familiarisant la population avec les espaces publics et en relançant la coutume des rassemblements sur la place publique. Des spectacles de danse sont souvent les moments forts du festival qu’elle organise, et permettent de matérialiser la notion d’interaction entre le corps et l’espace. Le brassage de plusieurs disciplines crée une sorte de poésie dans l’espace. Difficile à filmer, le travail mené par Urban Gorillas met l’accent sur la notion d’engagement social, tout en produisant une nouvelle esthétique pour améliorer le quartier.

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Kaimakli est un quartier tranquille dans le nord de Nicosie, réputé pour ses allures de village. Interrompu par la zone tampon, il accueille un éventail de communautés et de réfugiés de toute la région.



Pygmalion et Galatée Racontée par Ovide, l’histoire de Pygmalion et de Galatée commence lorsque le légendaire roi de Chypre sculpte une superbe statue d’ivoire représentant une femme. Éperdument amoureux du fruit de son travail, Pygmalion dort chaque nuit à côté de la statue, espérant qu’elle prenne vie. Lors du festival rituel organisé pour honorer Aphrodite, il supplie la déesse de donner forme humaine à la statue afin de pouvoir l’épouser. Aphrodite accepte et Pygmalion peut épouser Galatée, désormais humaine. De leur union naît Paphos, qui a donné son nom à la ville célèbre pour son temple dédié à Aphrodite.



L’art à Chypre fait partie intégrante du progrès et de l’intégration ; le succès de son orchestre symphonique n’est donc pas surprenant. Le Cyprus Youth Symphony Orchestra a été créé en 1987 dans le but de donner aux enfants la possibilité de se former et de développer leurs compétences afin de devenir des musiciens professionnels. Des jeunes dévoués au talent exceptionnel, âgés de 9 à 26 ans, se réunissent pour composer des mélodies énergiques en vue de faire avancer l’héritage musical local et de renforcer l’impact culturel de l’île sur le monde. Au travers de leurs réseaux sociaux, ils offrent ainsi au monde entier des spectacles à l’esprit léger. Des enfants de tous âges, communautés et parcours sont formés pour devenir d’excellents compositeurs.

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Apollonas n’est encore qu’une adolescente, mais elle a déjà composé une symphonie qui a été interprétée par l’orchestre principal et est régulièrement jouée lors des concerts.

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Panayotis joue de la trompette et vit dans un quartier résidentiel paisible à quarante minutes de Nicosie.


Les sœurs jumelles Anastasia et Katerina jouent du même instrument : le cor d’harmonie. En dehors des concerts officiels organisés par l’orchestre symphonique, elles participent souvent à des événements culturels locaux et des spectacles de bienfaisance.

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Fotis se consacre à son violon, un instrument qu’il maîtrise depuis l’enfance. Son talent lui vaut de faire désormais partie intégrante du Kypros Youth Orchestra.


Puisant dans l’héritage musical traditionnel du pays, le violon joue un rôle clé dans l’orchestre, suivi par des ensembles d’instruments à vent, de cuivres et de percussions. Chaque groupe est formé à la musique classique et contemporaine, afin de satisfaire le public le plus exigeant. Les trois ensembles (cordes, cuivres et percussions) sont accompagnés de 25 interprètes choisis en vue de créer de puissantes symphonies qui ravissent et fascinent le public au théâtre Pallas de Nicosie et lors de divers événements culturels. Le petit théâtre se trouve au cœur de la vieille ville de Nicosie, son centre culturel, contribuant à la revitalisation urbaine de la région. La notion de revitalisation est cruciale pour les villages ruraux en périphérie de centres urbains tels que Nicosie ou Limassol. L’activité nomade de Christina Skarpari, chercheuse et directrice artistique, fait le lien entre les citadins actifs, les agriculteurs et les ruraux au travers de Xarkis, un festival changeant qui célèbre l’art, l’artisanat et les personnes.

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CHRISTINA Christina Skarpari, qui entretient des liens étroits avec Fyti, un petit village réputé pour ses broderies, utilise ses travaux pratiques et de recherche pour redécouvrir son héritage et tisser des liens avec les communautés des villages répartis dans les montagnes de l’île.

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Directrice artistique et enseignante à plein temps au Central Saint Martins à Londres, Christina souhaite remanier les récits sociaux autour de l’interaction entre les systèmes hypercapitalistes et les traditions autonomes. Mue par le besoin de démonter ce sentiment indifférent d’altérité, qui imprègne la culture chypriote, Christina a lancé le Festival Xarkis en 2013 afin de mobiliser et d’unir les diverses communautés qui habitent l’île. Quel est votre lien avec l’île et dans quelle mesure votre rapport à votre nationalité influence-t-il votre identité ? Dans quelle mesure cela vous a-t-il incité à travailler de façon nomade ? Je suis née et j’ai grandi à Chypre en tant que Chypriote grecque. Dans une certaine mesure, une partie de mon cerveau a normalisé l’état de division nationale dans lequel nous vivons. L’autre partie essaie de rester consciente du fait que nous sommes une multitude de choses. J’essaie d’être davantage consciente de notre hellénocentrisme et de le bousculer. J’ai grandi en entendant mes parents parler de la vie rurale dans leur village, proche de la nature, de l’agriculture et des animaux. Je n’ai jamais eu la chance de vivre comme eux. Jusqu’à mes 20 ans, j’étais assez indifférente à cette idée et ma seule expérience de la vie rurale me venait de villages plus

touristiques. Tout est arrivé par hasard lorsque, poussée par la curiosité, je me suis lancée dans la vannerie il y a huit ans. Une sorte d’intuition m’a amenée à vouloir découvrir les villages, à observer la façon dont les gens vivent et ce qui distingue leur mode de vie et leurs valeurs des miens. Votre activité est profondément ancrée dans la tradition, les rituels et les interactions humaines au travers de l’échange de connaissances et de techniques d’artisanat. En quoi ces disciplines contribuent-elles à favoriser l’esprit de communauté et à quel point est-il important de créer un tel dialogue dans un pays comme Chypre ? Quand je pense à la notion de communauté, j’imagine un rassemblement de gens originaires de cadres ruraux « traditionnels » et de cadres urbains

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Le village en déclin de Fyti vit toujours de la tradition de la broderie. Ici, deux familles continuent de faire vivre cet artisanat en fournissant des étoffes traditionnelles et expérimentales au musée de la dentelle.



Christina travaille étroitement avec ces villages pour continuer à faire prospérer cet artisanat centenaire en faisant le lien entre les sociétés rurales et des artistes établis de Nicosie.


Il ne reste que 80 personnes à Fyti. En raison de la récente baisse du tourisme et de la nécessité de diversifier l’emploi, le village risque de bientôt disparaître.


« non traditionnels », ou des humains formant périodiquement des communautés et en changeant, en vue de cocréer non seulement des choses tangibles, mais aussi de produire des valeurs et des idées. Je pense que ces pratiques, lorsqu’elles sont proposées dans le cadre de communautés fluides, peuvent renforcer le sentiment d’appartenance et d’identité culturelle. Ces interactions sont riches de sens et permettent de créer un paradigme alternatif pour des pays comme Chypre. Je cherche à rassembler des gens qui ont emprunté différents chemins de vie afin d’élabo-

Je pense que la durabilité peut être recherchée si nous créons plus de relations réciproques et nous efforçons d’être inclusifs. Le défi consiste à toujours se souvenir des raisons pour lesquelles nous le faisons, et que nous ne sommes pas le centre de tout. Lorsque nous parlons de communauté, nous ne devrions pas faire de différence entre eux et nous, mais parler davantage de « nous ». Quels enseignements les nouvelles générations peuvent-elles tirer des anciens sur l’île ? Qu’avez-vous personnellement appris au cours de ce cheminement ?

« JE CHERCHE À RASSEMBLER DES GENS QUI ONT EMPRUNTÉ DIFFÉRENTS CHEMINS DE VIE. » rer une stratégie et de travailler avec eux pour atteindre la résilience. De cette façon, les communautés sont explorées au travers de la collectivité : travailler de façon inclusive avec les autres et se rassembler dans la différence. Vous exercez votre activité au plus près des citoyens afin d’aider la tradition (les artisans) et l’innovation (les designers) à se rassembler et à bâtir des relations. Dans quelle mesure ces initiatives contribuent-elles à créer des moyens de subsistance durables pour les locaux ?

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Au sein des communautés patrimoniales, les locaux entretiennent des liens plus étroits avec les matériaux bruts et la nature en général. En perfectionnant nos relations avec ceux qui représentent les différentes facettes du patrimoine, je pense que nous pouvons apprendre à avancer vers un futur plus progressiste, inclusif et écologiquement responsable, aussi bien dans le milieu urbain que rural. Par exemple, nous pouvons explorer la façon dont l’héritage rural et les pratiques associées sont liés au mode de vie écologique, et la façon dont nous pouvons représenter certains éléments


des valeurs, pratiques et modes de vie associés dans notre quotidien et dans un contexte changeant. Au-delà de la sensibilité écologique et des valeurs matérielles tirées des pratiques traditionnelles, il existe d’autres valeurs intangibles associées, que nous devons aussi préserver. Parmi ces valeurs, on retrouve la pleine conscience au service du bien-être, l’empathie, la collaboration et la communauté. Ces valeurs sont importantes, tout particulièrement car nous vivons à une époque où nous nous éloignons de plus en plus les uns des autres. Mais le problème avec l’héritage traditionnel, c’est qu’il est souvent reconnu et défini par des personnes qui occupent une position de pouvoir, de sorte qu’une approche verticale est souvent attachée à ce concept. Je cherche à bousculer ces modèles et à trouver le moyen de célébrer et de mettre en évidence la valeur du « folklore » de tous les jours. Je cherche à créer un dialogue équitable fondé sur des collaborations mutuellement bénéfiques, avec des personnes comme Mme Theano et Diamando de Fyti, Domna à Kiláni, Eleni et Pambos du Cyprus Handicraft Service à Nicosie, Nikos et Xenis de Polistipos, etc. Le principal enseignement que j’en ai tiré, c’est que le temps est essentiel. Il est impératif de préserver et de redynamiser les activités en voie de disparition, car les personnes qui contribuent à la transmission de l’héritage sont de plus en plus âgées et peu nombreuses, et les mécanismes de soutien existants rencontrent des limites.

À propos du Festival Xarkis, qu’est-ce qui vous a poussé à lancer cet événement ? Comment avez-vous réussi à l’organiser et comment est-il perçu par la communauté ? J’ai commencé par me plonger dans l’héritage de l’artisanat et les modes de vie ruraux en 2013. À cette époque, la crise économique internationale battait son plein. Tout a commencé sous la forme d’une expérience sociale pour réfléchir à la façon dont nous pouvons aborder des sujets comme la durabilité et l’autosuffisance tout en vivant dans un environnement hypercapitaliste et en étant heureux avec ce que nous avons. Il s’agissait d’une célébration auto-organisée avec le soutien de nombreux bénévoles, et sans aucun financement ou presque. Je me suis d’abord rendue dans différents villages pour tenter d’identifier un bon point de départ. Puis j’ai commencé à rencontrer des locaux et à dialoguer avec eux pour essayer de trouver des points communs. Par la suite, j’ai invité des personnes du monde de l’art que je connaissais à me rejoindre dans cette entreprise. Au début, beaucoup de gens doutaient que cela marcherait. Mais ça s’est fait et c’était super ! Ça manquait d’organisation, bien entendu, c’était beaucoup de bricolage. Nous n’avions aucune idée de comment organiser un festival, mais nos intentions étaient bonnes et nous avions des valeurs. Dans quelle mesure votre carrière universitaire se reflète-t-elle dans votre travail au sein de la communauté, et inversement ?

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Chryso est l’une des dernières productrices de halloumi sur l’île. Elle garde le secret de sa recette. En plus du miel et de l’huile d’olive, l’halloumi est l’une des principales exportations de Chypre.


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« LORSQUE NOUS PARLONS DE COMMUNAUTÉ, NOUS NE DEVRIONS PAS FAIRE DE DIFFÉRENCE ENTRE EUX ET NOUS, MAIS PARLER DAVANTAGE DE NOUS. » Je suis très chanceuse de pouvoir à la fois enseigner et travailler auprès des communautés, car ces deux activités s’alimentent l’une l’autre. Dans le cadre de la licence où j’enseigne au Central Saint Martins, à Londres, j’invite mes étudiants à réfléchir à des problématiques mondiales. Cette année, nous mettons l’accent sur la crise environnementale, mais sous un angle social en admettant que la classe, le statut économique et le lieu ont tous un rôle à jouer et ne sont pas des éléments neutres. J’enseigne également dans le cadre d’une maîtrise sur le design au service de l’innovation et d’un

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avenir durable. L’un des avantages de cette formation est que les étudiants travaillent sur leur thèse dans différents endroits du monde. Cette approche offre une vue plus complète des questions mondiales. Mon expérience de travail sur une petite île européenne en droit (mais pas tant que ça sur le plan géographique) est donc très utile, non seulement car elle me permet de guider les étudiants, mais aussi d’apprendre de leurs expériences dans d’autres contextes, souvent encore plus difficiles. Pensez-vous que l’art a le pouvoir d’améliorer les choses à Chypre et dans d’autres pays au passé et à l’histoire complexes ? Les êtres humains ont la remarquable capacité de tisser des liens entre eux si on leur donne le temps, l’espace et les ressources pour le faire. Je pense que l’art, le design et l’artisanat ont non seulement le pouvoir d’améliorer les choses, mais lorsqu’on les aborde selon une démarche socialement engagée et réactive, ils sont également capables de transformer des relations et des situations, notamment dans des endroits au passé agité comme Chypre. En apprenant à nous connaître et à connaître « l’autre », en partageant des histoires, des expériences et des pratiques, nous pouvons réduire les fossés qui se sont créés avec le temps, créer de nouveaux liens et mieux coexister.


Lorsque l’on quitte Fyti pour s’aventurer dans le paysage rural et vallonné de l’île, parmi les oliveraies, les champs d’orge rasés et les palmiers abondants, une église solitaire apparaît au milieu de nulle part. N’ayant plus de toit et seuls quelques murs latéraux, Agios Sozomenos se dresse au milieu d’une vallée silencieuse, où le contraste entre le ciel et le sol est saisissant. Le village aujourd’hui déserté abritait autrefois une maison abîmée et abandonnée, un simple parapet et une cathédrale inachevée. Cette région paisible favorise actuellement la reproduction d’un serpent venimeux local du nom de fina.

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Le monstre marin d’Ayia Napa Un mystérieux monstre marin, considéré comme sympathique par les pêcheurs locaux, habiterait sur la côte d’Ayia Napa, une ville dans le sud-est de Chypre. Souvent associé à la mythique Scylla, le monstre est décrit dans les vestiges des mosaïques de la Maison de Dionysos, une villa romaine datant du IIe siècle après J.-C. et située à Paphos.



Les finas sont présents dans l’abondante végétation de l’île et les villages perchés en haut des collines. Ils vivent dans le sol aride de l’île, menaçant les agriculteurs locaux tout en faisant partie intégrante de l’écosystème de Chypre. Mise en danger par la hausse alarmante des températures et le manque de précipitations, l’agriculture joue un rôle clé dans l’économie de Chypre depuis des siècles, soutenant une société rurale en marge de l’industrialisation. Le miel cru de grande qualité, l’huile d’olive et d’autres spécialités régionales sont les piliers de la subsistance de l’île. Leur production est indissociable des tendances de la société rurale qui peuple les villages de montagne isolés, où des techniques de production archaïques sont employées pour contribuer à la communauté.

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NICOLAS NETIEN

Après avoir quitté la France et écumé les pays, le bioingénieur Nicolas Netien a été appelé à travailler à Chypre, zone tampon des Nations Unies, où il a élu domicile il y a près de huit ans. Là-bas, suivant les principes de la permaculture, il a mis au point une formule spéciale pour faire pousser les oliviers les plus sains au monde. 120


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Dans le cadre du projet qu’il mène actuellement, célébrant le lien inébranlable qui unit les humains et la nature dans un endroit comme Chypre, Nicolas cherche à donner en retour aux terres ayant été surexploitées et endommagées par de mauvaises politiques environnementales et par le changement climatique. Donnant la priorité au bien-être des abeilles, la ferme durable qu’il construit actuellement produit du miel de grande qualité avec l’aide d’un maître apiculteur dans le cadre d’une flore diversifiée.

Je suis arrivé à Chypre en 2013 dans le cadre d’un projet au sein de la zone tampon des Nations Unies. J’ai été recruté pour concevoir une oliveraie agroécologique à partir de zéro. Nous avons planté 40 hectares de terre en suivant les principes de la permaculture.

La clé pour créer une exploitation saine réside dans la nutrition des plantes, comme pour les humains. Avec une alimentation complète, vous aurez un meilleur système immunitaire. Pour obtenir une bonne nutrition, il doit exister une synergie avec les microorganismes qui vivent dans le sol. Si vous créez un écosystème de qualité dans le sol, alors l’arbre aura accès aux éléments dont il a besoin pour créer un produit de qualité supérieure.

L’oliveraie Atsas où vous avez travaillé et que vous évoquez plus haut a été récompensée pour son huile la plus saine au monde. Comment êtes-vous arrivé à ce résultat ?

La permaculture est plus qu’une technique agricole, c’est une philosophie. Elle vous permet de vivre en symbiose avec l’environnement plutôt que de l’exploiter pour ses cultures et ses produits.

Qu’est-ce qui vous a amené à Chypre et depuis combien de temps vivezvous ici ?

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Aujourd’hui, huit ans plus tard, vous travaillez sur un projet similaire, mais beaucoup plus ambitieux : la ferme durable Bio-Solea. Comment le projet a-til commencé et quel est son objectif ? C’est le propriétaire de la terre, Cristosantos Agiyanis, qui a eu l’idée de ce projet en 2012. Il a acheté 4,5 hectares de terre dans le but de régénérer la région et d’apporter un moyen de subsistance à Galata, là où se trouve la ferme. Pendant la pandémie, il s’est en quelque sorte retrouvé coincé là-bas et a décidé de se lancer dans sa construction. Nous ne sommes qu’au début. L’objectif ultime est de produire de la biodiversité et ainsi créer une résilience environnementale. Nous sommes très engagés dans cette entreprise. Certaines des plantes sur le terrain ne sont pas autochtones, comme les pins, et constituent un frein car elles présentent un risque d’incendie. Elles ont été achetées par des étrangers à des fins de construction et nous devons maintenant nous en accommoder. Nous essayons d’accélérer le processus de croissance des plantes en produisant notre propre compost, spécialement adapté à chacune d’elles. Chaque plante est différente et requiert une nutrition différente. Dans quelle mesure cette exploitation enrichira-t-elle la communauté locale et ouvrira la voie aux nouvelles générations de Chypriotes ? Nous travaillons avec la nature pour créer des agroécosystèmes capables de générer des produits de grande qualité, bons pour la santé des per-

sonnes et bénéfiques pour l’environnement, tout en créant des espaces où les générations futures pourront venir puiser l’inspiration et apprendre à connaître, respecter, aimer, protéger et vivre en harmonie avec le monde naturel. Nous avons un impact environnemental : nous augmentons la biodiversité dans la région, nous réduisons le risque d’incendie avec un plan de gestion des incendies, et nous augmentons la capacité du sol à retenir l’eau, de sorte que nous créons une résilience de l’eau et du climat. Notre équipe est mue par son amour de la nature, son désir de protéger et de restaurer notre environnement et sa biodiversité. Nous proposons un exemple d’économie durable et une nouvelle dynamique pour la région. Quel rôle la nature joue-t-elle dans la vie des résidents de Chypre ? La nature n’est jamais loin, tant physiquement que mentalement. Les Chypriotes sont très attachés aux villages et aux champs de leur famille, et une ou deux générations seulement les séparent de la vie agricole traditionnelle. Il est également facile de profiter de différents paysages ici ; le même jour, vous pouvez jouer dans la neige dans les montagnes et nager au bord d’une superbe plage. Chypre compte également l’écosystème des sols le plus varié au monde. Qu’est-ce que cette île vous a apporté par rapport à votre pays d’origine ?

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« L’OBJECTIF ULTIME EST DE PRODUIRE DE LA BIODIVERSITÉ ET CRÉER UNE RÉSILIENCE ENVIRONNEMENTALE. » En France, nous avons une expression : « nul n’est prophète en son pays ». Ce sont les locaux qui m’ont donné l’occasion de travailler sur les importants projets auxquels j’ai pris part jusqu’à maintenant. À quel point êtes-vous lié à la communauté locale ? Votre travail dépend-il de l’expertise des agriculteurs locaux ou relève-t-il davantage d’un échange ? Nous sommes très implantés dans la communauté locale, la plupart des membres de notre équipe viennent des villes environnantes. Tout le monde nous connaît, c’est un petit endroit. Les villages des montagnes de Chypre ont été abandonnés, alors nous aidons la communauté à se développer durablement. Une fois que l’exploitation agricole sera terminée, nous ouvrirons d’autres postes et nous emploierons plus de personnes au sein de la communauté. Nous fournirons de la nourriture et des moyens de subsistance à 150 personnes vivant au sein de l’exploitation simplement grâce aux produits que nous cultivons et que

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nous sommes capables de fabriquer. Ces personnes nous aident et nous les aidons. C’est un échange. Vous préparez l’ouverture de centres éducatifs, où les jeunes pourront étudier l’environnement, la biologie et les écosystèmes, et découvrir un jardin botanique. Ces centres de recherche proposeront-ils des programmes pour favoriser l’intégration des différentes communautés qui vivent sur l’île ? Pour mener à bien la construction d’un centre éducatif comme nous l’imaginons, vous avez besoin de socialiser et de faire connaissance avec les autres personnes qui vivent ici, et de trouver un moyen de tisser des liens avec les communautés pour les faire interagir. C’est une île qui compte de nombreuses communautés différentes. Tout le monde est le bienvenu. Ici, la véritable frontière c’est la mer. Par ailleurs, tout programme visant à comprendre la nature doit enseigner la compassion, comment aimer et respecter l’environnement dans son ensemble. Vous devez également apprendre à vivre en paix avec les autres.


« LA NATURE N’EST JAMAIS LOIN, TANT PHYSIQUEMENT QUE MENTALEMENT. LES CHYPRIOTES SONT TRÈS ATTACHÉS AUX VILLAGES ET AUX CHAMPS DE LEUR FAMILLE, ET UNE OU DEUX GÉNÉRATIONS SEULEMENT LES SÉPARENT DE LA VIE AGRICOLE TRADITIONNELLE. »

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Le miel n’est pas filtré à Bio-Solea. Le processus de production est entièrement biologique et durable, grâce aux pratiques apicoles éthiques de l’exploitation.


Un voyage à Chypre laisse une sensation de satisfaction incomplète. Son riche héritage vous reste en mémoire sans pour autant vous accabler. Il vous laisse avec l’envie d’en voir plus. Ses teintes sépia éclatantes, la douceur de son miel, THE WALKING SOCIETY


sa civilisation complexe et stratifiée semblent accompagner le voyageur au travers des siècles. L’atmosphère décontractée et au ralenti le ramène au présent, lui rappelant où il se trouve : sur une île de la Méditerranée.

KYPROS

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Le massif du Pentadactylos et les Géants La légende raconte que le massif du Pentadactylos serait apparu il y a plusieurs millions d’années, quand le monde était peuplé par les géants. Lors d’une querelle, l’un des géants jeta une poignée de pierres à son opposant, qui atterrirent sur le flanc d’une colline, formant les crêtes calcaires aujourd’hui connues comme « la montagne à cinq doigts » en raison de sa forme qui rappelle celle d’un poing fermé.



Édition et création Alla Carta Studio Direction de l’image de marque Gloria Rodríguez Magazine Photo : Olgaç Bozalp Illustrations : Lulu Lin Rédaction : Naomi Accardi Production : Hotel Production P.26-27 Images vidéo de Fele La Franca Vidéos Réalisation : Fele la Franca Édition : Claudio Di Trapani Cinématographie : Andrea Nocifora Musique : Dirt O'Malley Un grand merci à Maria Anaxagora Constantinos Economides Cyprus Youth Symphony Orchestra Polys Peslikas camper.com © Camper, 2021

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