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Campagnes solidaires N° 295 mai 2014 – 5,50 € – ISSN 945863
Mensuel de la Confédération paysanne
Dossier
L’Europe : un chantier à reprendre 1000 vaches Le porte-parole de la Conf’ en garde à vue ! OGM Une interdiction fragile et à portée limitée
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Sommaire Dossier
L’Europe Un chantier à reprendre
Après Les fils de la terre, le documentaire d’Édouard Bergeon, actuellement encore dans les salles de cinéma et que la Confédération paysanne accompagne ou a accompagné lors des projections-débats organisées en régions, voici la sortie le 14 mai du film Il a plu sur le grand paysage, réalisé par Jean-Jacques Andrien (1). Le film aborde la situation des producteurs de lait dans le Pays de Herve, au Nord de la Belgique, aux frontières des Pays-Bas et de l’Allemagne. Recoupant, par bien des points, la réalité française, il pose l’avenir de l’agriculture paysanne en Europe comme un véritable enjeu de civilisation. Pour envisager une projection : hague.philippe@gmail.com
Mines de plombs
(1) 35 mm – 100 mn - 1,85 - Dolby SR – France – 2012 Distribution : www.shellac-altern.org
4 Vie syndicale Actualité 6 Agriculture paysanne Décrypter l’Année internationale de l’agriculture familiale 8 Envie de paysans Une campagne s’achève, une autre commence ! 9 Loi d’avenir « Pas contrebandiers, paysans ! » 10 Méthanisation Ne pas y aller plein gaz ! 11 OGM Une interdiction fragile et à portée limitée 12 Europe / Pac Quand le technique l’emporte sur le politique Point de vue 13 Frédéric Lemaire et Aurélie Trouvé Une nécessaire remise à plat des institutions européennes Internationales 14 Allemagne « Si tu n’es pas content, rentre chez toi ! » 16 Cambodge Sucre amer pour l’Europe 17 Pologne Des paysans polonais en résistance Agriculture paysanne 18 Bulgarie Les yaourts bulgares de la famille Danchev Courrier 19 Après l’hiver Terrain 20 Tarn-et-Garonne Nutribio : la Conf’ soutient, l’État casse 20 Charente Des fleurs contre la mutagénèse 20 Jura Encore dix hectares de perdus ! 21 Béarn Images d’Épinal dans les Pyrénées 22 Annonces Culture 23 Marc Dufumier 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation
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Les textes publiés dans Campagnes solidaires peuvent être reproduits avec indication d’origine à l’exception de ceux de la rubrique Point de vue qui sont de la responsabilité de leurs auteurs et pour lesquels un accord préalable est requis. Campagnes solidaires est imprimé sur du papier recyclé
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On l’ouvre Dénoncer une Europe des lobbyistes, construire une Europe des citoyens !
L Claude Cellier, paysan dans la Marne, secrétaire national Mensuel édité par: l’association Média Pays 104, rue Robespierre – 93170 Bagnolet Tél.: 0143628282 – fax: 0143628003 campsol@confederationpaysanne.fr www.confederationpaysanne.fr www.facebook.com/confederationpaysanne Twitter: @ConfPaysanne Abonnements: 0143628282 abocs@confederationpaysanne.fr Directeur de la publication: Laurent Pinatel Directeur de la rédaction: Christian Boisgontier Rédactrice en chef: Cécile Koehler Rédaction, secrétariat de rédaction: Benoît Ducasse Maquette: Fascicule Dessins: Samson Diffusion: Anne Burth et Jean-Pierre Edin Comité de publication: Jo Bourgeais, Michel Curade, Véronique Daniel, Jean-Claude Moreau, Josie Riffaud, Geneviève Savigny, Véronique Léon Impression: Chevillon 26, boulevard Kennedy BP 136 – 89101 Sens Cedex CPPAP n° 1116 G 88580 N° 295 mai 2014 Dépôt légal: à parution Bouclage: 29 avril 2014
Les mesures d’application de la nouvelle Politique agricole commune 2015-2020 sont à peine bouclées que déjà de nouveaux fronts s’ouvrent pour défendre les droits des paysans dans une économie mondialisée. Le 25 mai auront lieu les élections pour renouveler le Parlement européen. Les quelques parlementaires opposés aujourd’hui aux négociations de l’accord de libre-échange transatlantique entre l’Union européenne et les USA se disent trop peu nombreux pour y faire échec. Ils demandent à toutes les organisations de la société civile, comme nous, de nous y opposer, de faire de ce thème un enjeu important du choix de nos nouveaux représentants à Bruxelles et Strasbourg. Il y a quelques mois, les grands partis de droite et de gauche (UMP et PS notamment) y étaient favorables, plus attentifs « à la courbe des marchés spéculatifs qu’à l’aspiration des citoyens ». En mars, Barack Obama et François Hollande se sont même promis d’accélérer ces négociations. L’exemple de l’Alena, l’accord de libre-échange nord-américain, ne leur suffit pas apparemment : le bilan depuis 1992 est catastrophique, 5 millions d’emplois agricoles détruits aux Mexique et aux USA, avec une ruée des multinationales vers le moins disant social et environnemental, des conditions de travail dégradées des deux côtés de la frontière entre ces pays. Les promoteurs de ces accords visent la croissance pour plus d’emploi ? La pratique démontre des effets inverses, ils confondent création de richesses et concentration de richesses. Même le déficit commercial agricole des USA en a pâti, mais Obama ferme-t-il les yeux tant que les marchés financiers gardent leur fragile ligne de flottaison, et tant que les trusts américains peuvent engranger des profits dans les paradis fiscaux ? Dix mille lobbyistes économiques à Bruxelles, ce n’est pas rien. Cela explique des choix politiques en faveur d’intérêts particuliers, aux dépens de l’intérêt général de notre communauté de citoyens européens. Tous nos engagements en faveur de l’agriculture paysanne et en opposition à l’industrialisation de l’agriculture répondent à ces mêmes enjeux. Nous voyons bien tout ce que sous-tend le projet des milles vaches chez nous, et toutes les confiscations de terres et de marchés par des multinationales, sur tous les continents. C’est partout l’exclusion de personnes sur qui les productivistes de tout poil spéculent en déclarant : « neuf milliards de bouches à nourrir en 2050 justifient notre productivisme ». Ils oublient seulement que ces neuf milliards de personnes à venir sont des femmes et des hommes qui demandent surtout à être acteurs de leur avenir. Le 17 avril a eu lieu la journée internationale des luttes paysannes. Avec la lutte pour garder la terre, il y a aussi la lutte pour garder le droit à utiliser nos propres semences, celui d’être tout simplement paysan, de décider, de construire notre avenir. Nous partageons avec les 163 autres organisations membres de la Via campesina ces combats de tous les jours. Donc de demain.
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Vie syndicale La maison brûle… Le 13 avril, la Confédération paysanne participait à la manifestation contre l’exploitation de gaz de houille à Divion (Pas-de-Calais), aux côtés d’organisations telles Attac, les Amis de la Terre ou le Réseau Action Climat : « Nos organisations s’opposent à l’extraction de nouvelles sources d’énergies fossiles et en appellent au bon sens des collectivités territoriales et du gouvernement pour renoncer définitivement à ces projets inutiles et dangereux. Comme le montre un récent rapport de l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris), le niveau des nappes phréatiques, la qualité des eaux souterraines et de surface, la qualité de l’air et des sols pourraient être affectés par l’exploitation des gaz de couche. Le rapport pointe également des risques accidentels comme la migration non-maîtrisée de gaz vers la surface, inhérente à l’exploitation de gaz non conventionnels. Alors que la France accueillera en 2015 le sommet des Nations Unies sur le climat (COP 21), le gouvernement et les collectivités territoriales cautionneront-elles de nouveaux forages pétroliers et gaziers, au risque d’accroître encore davantage notre dépendance insoutenable aux énergies fossiles ? » (extraits de l’appel à la manifestation)
800 apiculteurs bloquent l’entrée de FranceAgriMer contre les néonicotinoïdes Près de 800 apiculteurs ont manifesté devant les locaux de FranceAgriMer, le 1er avril, demandant une extension du moratoire mis en place en 2013 pour deux ans, suspendant l’utilisation de trois néonicotinoïdes. Ce rassemblement était organisé par l’Unaf (union nationale de l’apiculture française), la FNOSAD (organisations sanitaires apicoles), le SNA (syndicat national d’apiculture) et la Confédération paysanne, alors que se déroulait un Conseil stratégique abeilles dans les locaux de FranceAgriMer. « Assez des discours et des faux plans écophyto 2018 », a tempêté Jean Sabench, responsable de la commission “pesticides” à la Confédération paysanne. Selon l’Unaf, le nombre de ruches en France est passé de 1,35 million en 1995 à 1,25 million en 2013. Plus globalement, c’est la politique de Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, qui est remise en question. « Les abeilles ne sont pas le fer de lance de l’agroécologie. C’est l’inverse : quand il y aura une vraie agroécologie, il y aura des abeilles », a déclaré Jean Sabench.
Crise ukrainienne : danger à l’export ! Les menaces économiques sont le levier de toute crise diplomatique. En ce moment, le marché agricole européen peut s’attendre à une sanction de la part de la Russie. Il s’agit du premier client de l’Union européenne en produits laitiers. Aujourd’hui la Russie, demain une autre partie du globe, à chaque fois les producteurs seront victimes d’une prétendue « vocation exportatrice » qui n’a pas pris en compte les risques. Les importations russes de lait s’élevaient en 2011 à plus d’un milliard d’euros (contre 330 millions pour la Chine), principalement en provenance d’Allemagne. Par effet domino, tous les pays européens, et en premier lieu la France, seraient touchés par une crise, avec une baisse des prix payés aux producteurs en perspective. La crise politique se transformera donc en crise de production, sachant qu’actuellement nous n’avons aucun outil communautaire pour y faire face. Le marché européen reste stable malgré les crises économiques qui touchent plusieurs pays. Mais il n’en est pas de même des marchés d’export. Ce sont eux qui provoquent la volatilité des prix et les crises associées. Celles-ci ayant pour conséquence la disparition des producteurs et la concentration de la production. Tout miser sur l’export n’aura comme conséquence que d’accélérer la disparition des paysans à coup de crises géopolitiques ou autres. Les tenants de la conquête du marché mondial seraient inspirés d’y réfléchir à deux fois avant de se lancer dans la croissance des exportations. Il faut d’urgence poser une organisation du marché qui soit cohérente avec les besoins dans le cadre d’une production relocalisée. (communiqué du 16/4)
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Vie syndicale
Le porte-parole de la Confédération paysanne en garde à vue ! Le porte-parole national de la Confédération paysanne, Laurent Pinatel, était convoqué le 19 avril à la gendarmerie de Saint-Etienne, à la suite de l’occupation du chantier de la ferme usine des mille vaches, dans la Somme, le 11 septembre 2013. Il a été placé directement en garde à vue.
J
e suis arrivé comme convenu en tracteur à 9 heures à la gendarmerie de Saint-Étienne. Deux de mes voisins, Bernard et Jean-Claude, avaient tenu à m’accompagner en tracteur également, et c’est donc en cortège de quatre véhicules, et rapidement rejoint par une vache, que nous sommes arrivés. 50 personnes nous attendaient, au gros de la mobilisation plus de 200 personnes seront présentes. Des paysans de la Loire bien sûr, des consommateurs, des citoyens, des militants associatifs ou politiques (EELV et PG) syndicalistes (CGT…), mais aussi des paysans venus du Rhône voisin, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Et pas mal de médias. Le major Magnier, chef de la brigade criminelle (oui !) d’Abbeville, assisté par un de ses inspecteurs m’a signifié immédiatement ma mise en garde à vue au motif que mon ADN a été retrouvé sur les lieux du chantier. Ce n’est qu’à 13 h 15 que les gendarmes ont reçu l’ordre de me relâcher et ont pu reprendre la route pour la Somme. Je n’ai « rien déclaré ». Pendant tout ce temps, l’association d’opposants à la ferme des mille vaches, Novissen, se mobilisait remarquablement à Abbeville et la gendarmerie de Saint-Etienne recevait les appels de soutiens des Confédérations paysannes de France.
Laurent Pinatel à sa sortie de garde à vue, le 19 avril à Saint-Etienne.
Mais j’ai la nausée ! Lætitia Peyrard, mon avocate, est révoltée du traitement qui nous est réservé. Elle trouve scandaleux de voir la façon dont on nous criminalise et la démence des moyens mis en œuvre pour protéger les petits copains du pouvoir. Parce qu’au fond, il est bien là le souci. En dénonçant la fermeusine et l’industrialisation de l’agriculture, nous avons mis les pieds dans le plat. Ce modèle d’agriculture est bien dans la droite ligne de ce que veut le gouvernement: les gains de productivité et de croissance vont se faire à l’export grâce à la cohabitation des deux agricultures, l’une « vitrine » et paysanne et l’autre industrielle ! Ce que nous avons vécu avec Laetitia Peyrard relève du surréalisme. On a mis la brigade d’enquête criminelle et la brigade d’enquête scientifique pour retrouver les
auteurs d’un tag (1) ! Il y a une vraie volonté de criminaliser l’action syndicale. Ramery, le promoteur de la ferme-usine, annonce sa première traite pour début juillet. Les manifestants à Saint-Etienne ont clairement revendiqué le fait que la Conf’ ne devait pas lâcher et au contraire continuer à se battre sur un dossier emblématique, un dossier ou tout, tout ce que nous refusons se retrouve : accaparement des terres, prix du lait, malbouffe, industrialisation, concentration, financiarisation… Sinon l’enquête est, d’après les gendarmes, close et le dossier dans les mains du procureur qui va devoir se déterminer à continuer devant un tribunal ou pas. Ramery, lui, continue… n Laurent Pinatel (1) Cf. la une du CS n° 288 (octobre 2013).
Vache folle : pas de coupable ? En août 1996, la Confédération paysanne déposait une plainte contre X pour importation de farines animales. C’est la première plainte qui a été déposée en France. D’autres ont suivi, jusqu’à leur jonction au pôle santé publique de Paris. Après 17 ans de procédure, nous apprenons ce 15 avril que, selon le procureur, il ne s’est rien passé ! On se dirige vers un non-lieu. Il n’y a donc pas eu d’importations illégales de farines qu’on savait déjà potentiellement contaminées. Il n’y a pas eu d’abattages massifs de troupeaux. Il n’y a pas eu de chute soudaine de la demande en viande. Il n’y a pas eu de faillites de paysans. À l’heure où les farines animales tentent de revenir discrètement, ceux qui ont provoqué cette crise devraient en sortir blanchis. Pourtant, les crises sanitaires ne se sont pas arrêtées là. Au contraire, on connaît aujourd’hui les dérives qui y conduisent. Un non-lieu dans cette affaire serait un signal très fort pour ceux qui ne s’inquiètent pas de jouer avec l’avenir des paysans, l’alimentation et donc la santé de tous : continuez, c’est permis ! (communiqué du 15/4) Campagnes solidaires • N° 295 mai 2014 / 5
Le ruraleur
Zhen ! Les apiculteurs et Confédérés ont réussi, devant le siège de FranceAgriMer, une manifestation de 800 personnes. Car toujours, pour leurs abeilles, la réduction drastique des pesticides et le retrait des insecticides néonicotinoïdes systémiques est une question d’être tuées ou pas tuées. Cette manifestation s’est déroulée le premier avril dernier. N’allons pas imaginer que les autorités publiques auraient interprété cette manifestation comme un canular téléguidé par les abeilles ! Au contraire, on pourrait penser que les apiculteurs faisaient de l’empoisonnement des abeilles le vraifaux canular d’un monde qui ne sait pas vivre. Un reportage récent (1) montre que l’imagination humaine ne s’avoue jamais vaincue, même si elle reste bien inférieure dans ses résultats à l’adaptabilité fécondante des abeilles. Ainsi, dans le Sud-Ouest de la Chine, Madame Zhen Xiuqiong grimpe dans les pommiers et joue le rôle de l’abeille malgré ses 56 ans. À l’aide d’une baguette qu’elle plonge dans une petite réserve de pollen récolté et séché, Madame Zhen pollinise chaque fleur des pommiers qu’elle prend en charge. Et si Madame Zhen le fait, c’est que tout simplement aucune abeille ne pourrait survivre dans le verger qu’elle « butine »: les insecticides répandus par elle-même ne permettent plus aux abeilles de survivre ! Dans ces conditions, pas question pour son mari, pourtant apiculteur, de lui prêter des ruches. En France, notre calcul d’un indice de fréquence des traitements (IFT) ne prend pas en compte l’ensemble des utilisations des néonocotonoïdes, par exemple celle du traitement des semences. De là à imaginer qu’il nous faudra imiter Madame Zhen, voilà une démarche acrobatique de MAE (mesure agroécologique) que le ministre Stéphane Le Foll n’a sûrement pas envisagée. (1) Arte et « Le Monde », 24 avril 2014 28 avril 2014
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Actualité
Agriculture paysanne Décrypter l’Année internationale de l’agriculture familiale Depuis 1959, chaque année, les années internationales des Nations Unies sont dédiées à un ou plusieurs thèmes. C’est l’agriculture familiale qui est à l’honneur en 2014 (1). Mais pourquoi l’agriculture familiale, pourquoi pas l’agriculture paysanne, par exemple ?
D
epuis le lancement officiel de l’Année internationale de l’agriculture familiale, à New York, au siège des Nations Unies, le 22 novembre 2013, des comités nationaux se sont constitués dans une quarantaine de pays. Concrètement, tout au long de l’année se déroulent des rencontres, des manifestations de tous ordres, des salons, des marches, etc. La FAO, plus particulièrement chargée de la coordination des activités, précise qu’il s’agit de « rehausser l’image de l’agriculture familiale et de la petite agriculture en focalisant l’attention du monde entier sur leur contribution significative à l’éradication de la faim et de la pauvreté, à l’amélioration de la sécurité alimentaire, de la nutrition et des moyens d’existence, à la gestion des ressources naturelles, à la protection de l’environnement et au développement durable, en particulier dans les zones rurales. ». Après une reconnaissance bienvenue de l’importance de l’agriculture familiale, on retombe rapidement dans le jargon habituel des Nations Unies. En effet, l’obLe 24 février, le directeur général de la FAO José Graziano da Silva et celui d’Unilever, Paul Polman (photo), se sont rencontrés à Rome. Dans un communiqué, la FAO a annoncé étudier avec la multinationale néerlando-britannique, géant de l'agro-alimentaire, un accord de partenariat global « visant à unir les forces dans la lutte contre la faim avec un accent particulier sur l'appui aux petits agriculteurs » et à l'agriculture familiale.
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jectif est de « remettre l’agriculture familiale au centre des politiques agricoles, environnementales et sociales dans les programmes d’action nationaux, en identifiant les lacunes à combler et les opportunités offertes afin de favoriser la transition vers un développement plus équitable et plus équilibré ». Les « facteurs clés qui peuvent contribuer au développement de l’agriculture familiale sont identifiés : les conditions agroécologiques et les caractéristiques territoriales, les politiques environnementales, l’accès au marché, l’accès à la terre et aux ressources naturelles, l’accès à la technologie, aux services de vulgarisation agricole et au crédit, les conditions démographiques, économiques et socioculturelles, la disponibilité d’un enseignement spécialisé. » Vaste programme !
Trois lignes d’actions En somme, cette agriculture familiale qui, nous explique-t-on, nourrit 70 % de la population mondiale, qui préserve la biodiversité et l’environnement, qui crée des emplois, a besoin de tout! On peut donc supposer que des moyens importants seront mobilisés, mais la surprise est totale quand on en examine les « lignes d’action » proposées. Elles sont au nombre de trois : promotion du dialogue dans les processus de décision sur les politiques ; identification, documentation et dif-
fusion pour mieux tirer parti des enseignements et des résultats positifs des politiques existantes, au niveau national ou à d’autres niveaux, en faveur de l’agriculture familiale ; communication, plaidoyer et sensibilisation. Tout cela est bien modeste au regard des enjeux et des objectifs précédemment avancés. On ne peut alors que s’interroger. Première question : d’où vient l’initiative de cette Année internationale de l’agriculture familiale ? Le Forum rural mondial en est le promoteur. Il se présente comme « une association sans but lucratif de caractère international et de rayonnement mondial ». Il est « composé de personnes et d’institutions, tant publiques que privées, engagées dans la recherche d’un développement durable et juste, principalement dans le domaine du développement rural ». Il finance aussi des projets de coopération. Cette association née en 1998, à Gasteiz (Vitoria), au Pays Basque, est liée au secteur patronal et à la démocratie chrétienne locale. L’organisation s’est lancée dans une campagne de trois ans pour promouvoir cette année de l’agriculture familiale. Elle est en charge de la coordination des actions de la société civile. Deuxième question : pourquoi l’agriculture familiale, pourquoi pas l’agriculture paysanne par exemple? Dans les textes il est précisé que « l’agriculture familiale permet d’organiser la production agricole, fores-
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Écobrèves
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Actualité Écobrèves Signal d’alarme tière, halieutique, pastorale ou aquacole qui, sous la gestion d’une famille, repose essentiellement sur de la main-d’œuvre familiale, aussi bien les hommes que les femmes ». C’est un terme relativement « neutre » qui ne dit rien sur la taille, sur la structure de la propriété, sur les pratiques culturales…
L’ambiguïté du terme Ainsi il existe des agricultures familiales sous contrat, dépendant totalement d’une entreprise agroalimentaire, voire d’une multinationale. C’est le cas pour l’élevage, ou pour des productions tropicales comme le café ou le cacao par exemple. Les producteurs n’ont aucune autonomie dans leur travail. C’est la firme qui les fournit en intrants, pose ses conditions de production et rachète, sous conditions, les produits. Il peut y avoir de très grandes exploitations industrialisées gérées par une famille, ou une agriculture familiale qui ne produit que pour l’exportation et peu de cultures vivrières. C’est une catégorie fourre-tout qui permet aux « développeurs » de suggérer une nécessaire « modernisation », ce que suggère la liste des « facteurs clés » précédemment cités. Deux exemples viennent confirmer l’ambiguïté du terme. La Commission européenne a organisé fin 2013 une conférence sur l’agriculture familiale. Dans la séance d’ouverture il n’y avait aucun représentant de l’agriculture familiale, mais des fonctionnaires européens et un cadre supérieur d’Unilever (2) qui a expliqué ce qu’il attendait de cette campagne. Autre exemple, donné par la revue « Nourrir le monde, soigner la planète » publiée par le Forum rural mondial et le Programme régional Fida Mercosur (3) à l’occasion de cette Année internationale : dans le premier numéro, Álvaro Ramos, coordinateur régional de ce programme, explique que l’agriculture familiale n’est pas synonyme de pauvreté rurale, « c’est une catégorie vaste et hétérogène qui comprend les fermiers pauvres, mais aussi des producteurs qui ont une très forte capacité de tra-
Le Groupe d’experts international sur l’évolution du climat (Giec) tire – une nouvelle fois – le signal d’alarme. Selon son nouveau rapport, publié début avril, la hausse des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) est de 2,2 % par an depuis 2000, alors qu’elle était de 1,3 % de 1973 à 2000… Les conséquences ont déjà souvent été décrites: hausse du niveau des océans, pénurie d’eau et de nourriture due à la sécheresse dans certaines régions (Afrique,Asie), pour ne citer que ces exemples. Ce sont les populations les plus fragiles qui subiront les plus fortes conséquences. Pour les scientifiques, il faut une vraie révolution économique: tripler, voire plus, les investissements dans les énergies renouvelables, associé à une capture et au stockage du CO2, notamment par la reforestation. La lutte contre le réchauffement « réclame une coopération internationale sans précédent », insiste le Giec. Cette injonction l’emportera-t-elle sur les intérêts immédiats, nationaux et privés?
Le Sénat adopte la loi d’avenir vail, d’innovation, d’investissement et de management de leur système de production et qui sont très liés au marché ». Selon lui, pour lutter contre la pauvreté rurale, il faut que les politiques publiques contribuent à « renforcer les capacités, encouragent les partenariats privés de production, stimulent les associations et l’émergence de technologie appropriées qui apportent de la valeur ajoutée au produit et facilitent leur commercialisation ». On est dans le registre habituel du développement et de la modernisation agricole, loin de l’agriculture paysanne. Celle-ci a repris des couleurs et de la consistance depuis que des mouvements paysans comme la Via campesina en ont fait leur fer de lance. C’est sans doute pour cela que les promoteurs de cette Année internationale ont préféré mettre en valeur l’agriculture familiale. L’agriculture paysanne est revendiquée par ceux qui se battent contre les traités de libre-échange qui détruisent le travail des paysans, contre les OGM, contre les accaparements de terre qui enlèvent leur outil de vie à des milliers de gens, contre des experts qui prétendent dicter des
manières de produire et contribuent à la destruction de la planète. Ce sont toutes ces luttes qui sont passées sous silence par cette Année internationale de l’agriculture familiale. On pourrait parler d’une forme de « stérilisation » des conflits politiques qui se nouent autour de l’agriculture paysanne. La Via campesina a décidé néanmoins de participer à cette Année internationale pour profiter d’un espace de débats. Espérons que sa voix sera entendue. n Silvia Pérez-Vitoria, économiste et sociologue, publication aux éditions Actes Sud, de deux ouvrages de référence : « Les paysans sont de retour » (2005) et « La Riposte des paysans » (2010). Article paru également dans L’Écologiste n° 42, printemps 2014 (1) 2014 est aussi l’Année internationale de la cristallographie, des petits États insulaires en développement et de la solidarité avec le peuple palestinien. (2) Unilever est une des plus grandes multinationales de l’agro-alimentaire. (3) Le Mercosur, est un marché commun qui réunit actuellement l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Venezuela (le Paraguay est suspendu). C’est la troisième zone économique de libre-échange après l’Union européenne et l’Alena (qui réunit les États-Unis, le Canada et le Mexique).
Le 15 avril, le Sénat a adopté en première lecture la loi d’avenir agricole, par 175 voix pour et 125 contre (UMP), les centristes s’abstenant. Près de 850 propositions d’amendements ont été débattues. Elles vont globalement dans le sens d’une libéralisation qui satisfait la Fnsea, ce qui n’est pas rassurant… Ainsi l’ouverture vers les OGM démange de plus en plus certains parlementaires à gauche. Le texte reviendra vers l’Assemblée nationale en seconde lecture, à une date non arrêtée. Pour y perdre encore quelques plumes ?
Bio, moins vite Alors que la demande est forte, les conversions annuelles en bio se réduisent fortement. Ainsi en Pays-de-Loire, en 2013, 3 500 hectares ont basculé en bio, alors qu’on en comptabilisait 15 000 hectares en 2010. Même constat à l’échelon national: en 2010, 4158 agriculteurs et 169000 hectares étaient passés au bio; ils n’étaient plus que 1 290 agriculteurs pour 57 800 hectares en 2012, selon l’Agence bio. La banalisation du bio, avec l’entrée en force des grandes surfaces sur le créneau, aurait-elle un effet dissuasif, de même que certaines publications décrédibilisant ce mode de production ?
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Écobrèves Beulin et les petits paysans À l’occasion du débat sur la loi d’avenir au Sénat, Xavier Beulin a été interviewé par Agra Presse. Sur la loi, il se réjouit des avancées sur la dimension économique. Sur sa double casquette de président de la Fnsea et de Sofiprotéol, il est « très à l’aise », Sofiprotéol étant un outil au service des agriculteurs, c’est bien connu… À la question: « La Fnsea affirme vouloir garder des paysans sur tout le territoire tout en favorisant une restructuration (…), on a du mal à comprendre », il répond (extrait): « Si vous regardez les chiffres de la filière consolidée, depuis les années soixantedix, la Ferme France (!) n’a pas perdu d’emplois ». Puis, plus loin: « On veut dans tous les secteurs avoir plus de PME solides, et dans l’agriculture on voudrait garder le petit paysan avec son béret sur la tête et sa baguette sous le bras? C’est affligeant! » On peut aussi dire : c’est méprisant !
Le Gaucho pas nocif! Les juges de la République ont une curieuse façon d’appréhender les questions agricoles.Après le non-lieu sur la vache folle (cf. p.5), non-lieu également sur les effets de l’insecticide Gaucho, prononcé le 1er avril. Treize ans après les premières plaintes, le juge n’a rien trouvé concernant la destruction du cheptel apicole: « La communauté scientifique n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité ». L’Union nationale des apiculteurs de France (Unaf) a annoncé qu’elle faisait appel. En France, le Gaucho est interdit sur Tournesol depuis 1999, et sur maïs depuis 2004. La Commission européenne en a également interdit l’usage depuis décembre 2013 sur 75 cultures, dont colza, maïs et tournesol. Ce non-lieu va relancer l’offensive des céréaliers hostiles à l’interdiction.
Baisse des aides Pac En 2014, les aides directes Pac (DPU) baissent en moyenne de 9 %. 3 % sont dus à la baisse de l’enveloppe globale européenne, puis 3 % sont liés au renforcement de certaines productions en difficultés ou handicaps, et enfin 3 % sont affectés au développement rural (second pilier). De sorte que pour certains bénéficiaires moins favorisés jusquelà, la dotation 2014 sera en amélioration. Tout en respectant un écart respectable avec les DPU privilégiés…
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Actualité
Envie de paysans Une campagne s’achève, une autre commence ! La campagne « Envie de paysans » achève une année d’initiatives tous azimuts. Une nouvelle campagne débute.
L
a campagne « Envie de paysans ! » touche à sa fin. Ce fut un an riche d’événements, de créativité et de dynamiques pour soutenir l’action (et les actions) syndicale(s) de la Confédération paysanne et diffuser auprès d’un large public le projet véhiculé par l’agriculture paysanne. Ferme à Paris en mai-juin 2013, projections de films, conférencesdébats, animations dans les lycées agricoles, fêtes paysannes, colloques, campagnes sur le web et les réseaux sociaux, expos photo, infographies, “pains perdus” paysans, vidéos, portraits paysans, fermes ouvertes, carte des magasins de producteurs : il y en a eu pour tous les goûts un peu partout en France. Une riche année de campagne pour communiquer sur la Politique agricole européenne (Pac), l’agriculture et l’alimentation. Un espace de rapprochement des paysans et des consommateurs, des ruraux et des urbains, des experts et des moins initiés, des élus politiques et des citoyens.
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En un an, ce sont plus de 15 000 personnes qui se sont inscrites aux « brèves de campagne » (1), et qui suivent ainsi régulièrement l’actualité de la Confédération paysanne, des dizaines de milliers de personnes qui ont participé aux différents événements, 400 000 qui sont passés sur le site Internet ou qui ont été touchées par les réseaux sociaux, environ 60 000 qui ont visionné les vidéos produites cette année, plusieurs millions touchées indirectement par les médias…
Et… ce n’est que le début ! Et… ce n’est que le début ! En effet, La Confédération paysanne vient de se voir accorder de nouveaux financements pour enclencher la suite de cette campagne ! À échelle européenne qui plus est ! C’est donc reparti pour un tour. Au programme : banquets et pique-niques paysans, participation à trois grands festivals de musique – Solidays (Paris, 2729 juin), Main Square (Arras, 3-6 juillet) et Rock en Seine (Paris, 22-24 août) – colloques,
événements, films-conférencesinterventions dans les écoles et fermes en ville dans cinq pays européens (Espagne, Portugal, Italie, France, Belgique), vidéos, infographies… L’idée générale sera de continuer à sensibiliser de nouveaux publics autour des enjeux sociétaux impactés par les politiques agricoles, avec en particulier la Pac réformée. Les axes principaux de cette campagne seront la mise en avant de l’agriculture paysanne et familiale dans un cadre plus général de relocalisation de l’agriculture. Elle sera présentée comme la seule alternative pertinente au libéralisme mondialisé, cause majeure de l’industrialisation de l’agriculture et de la destruction des campagnes. Phénomène qu’il sera aisé de mettre en lumière au travers des négociations du projet d’accord de libre-échange entre les ÉtatsUnis et l’Union européenne (Tafta) et de l’action syndicale qui s’y opposera ! C’est donc reparti pour un an de campagne ! n Pierre-Alain Prévost, chargé de campagne (1) fil d’information du site Internet enviedepaysans.fr
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Loi d’avenir agricole « Pas contrebandiers, paysans ! » Tel était le mot d’ordre d’une action symbolique, organisée à Lyon le 4 avril pour interpeller les sénateurs à la veille de leur débat sur le projet de loi d’avenir agricole et forestière (LAAF).
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lus de soixante paysans sont rassemblés ce 4 avril à Lyon, des chaînes aux pieds, pour rappeler aux législateurs que les paysans veulent pouvoir continuer à exercer leur métier sans qu’on les considère comme des contrebandiers ! Cinq bagnards remettent symboliquement à la Direction régionale des douanes des produits potentiellement considérés comme des contrefaçons: un pain au levain fermier, des fromages fermiers, un vin vinifié avec des levures indigènes, un purin d’ortie et des semences paysannes. « Tous ces produits sont susceptibles de contenir des informations brevetées, et donc d’être saisis et détruits par les douanes, selon la loi sur les contrefaçons publiée au Journal Officiel en février 2014 » explique Guy Kastler, responsable de la commission semences de la Confédération paysanne. Mais peut-on mettre au même niveau un
faux polo Lacoste et un vin produit à partir de levures que le vigneron a lui même reproduit dans son cuvage ? Pour Vincent Rouzé, secrétaire général de la Confédération paysanne du Rhône, le constat est clair : « Aujourd’hui, 50 % des semences en France sont des semences de ferme, et 80 % à l’échelle mondiale. Vous comprenez bien l’intention des multinationales qui se cachent derrière la loi. S’ils peuvent obtenir que l’utilisation d’une semence de ferme ou paysanne soit considérée comme une contrefaçon, c’est 100 % de la production qui est sous contrôle et qui est payable », analyse-t-il avant de conclure : « Si on veut nous faire payer la reproduction du vivant, nous sommes des contrebandiers et fiers de l’être. »
Qu’en dit le Sénat ? Dix jours plus tard, après quarante heures de débat, le Sénat adopte le projet de loi d’avenir (LAAF) sans améliorer le fragile déséquilibre construit précédemment par les députés: les semences de ferme ne pourront pas être saisies pour contrefaçon, mais la loi COV (1) qui interdit les mêmes
Le 4 avril à Lyon, la Confédération paysanne manifestait derrière ses militants habillés en bagnards : régulièrement, des projets législatifs ou réglementaires les menacent de devenir contrefacteurs s’ils utilisent leurs propres semences, levures, ferments ou autres préparations naturelles. Le but : les obliger à acheter ces produits certifiés et vendus par les filiales des grandes firmes pharmaceutiques ou agro-industrielles.
semences de ferme ou les soumet au paiement de royalties (pour 21 espèces dérogatoires : la plupart des céréales, oléagineux et espèces fourragères, les pommes de terre) est toujours là. La protection du brevet ne s’applique pas en cas de « présence fortuite » d’une information génétique brevetée (contamination génétique) dans des semences, mais elle s’applique toujours en cas de reproduction à la ferme de ces semences, ou en cas de « présence fortuite » dans un animal ou des préparations naturelles (levains, levures…). Par contre, la Confédération paysanne avait obtenu des députés en janvier le droit d’échanger librement dans le cadre de l’entraide paysanne des semences n’appartenant pas à une variété protégée par un COV : les sénateurs ont réservé cette possibilité aux seuls membres des GIEE, groupements d’intérêt économique et environnemental nouvellement créés par la loi. Guy Kastler explique: « Pour échanger des semences, il faudra donc créer un GIEE qui devra être agréé par le préfet de région à l’issue d’une sélection et sur proposition d’une commission régionale où la profession agricole sera majoritairement représentée par des vendeurs de semences commerciales et de pesticides (coopératives et syndicat majoritaire). Ce ne sont donc que quelques dizaines de paysans qui pourront bénéficier de cette nouveauté ! » Les sénateurs n’ont également rien modifié en ce qui concerne les préparations naturelles non préoccupantes (PNPP) qui restent de fait interdites par des procédures d’homologation disproportionnées (obligation d’autorisation de mise sur le marché), au profit des produits de « biocontrôle » brevetés. Le projet de loi peut et doit donc encore évoluer d’ici l’été. n Samuel Richard, animateur de la Conf’ 69 (1) Loi sur les certificats d’obtention végétale (COV), votée le 8 décembre 2011.
Écobrèves
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Écobrèves Les GDS reconnus Les groupements de défense sanitaire (GDS) et la Fédération nationale de lutte contre les organismes nuisibles (Fredon) sont reconnus, par arrêté du 31 mars, comme organismes à vocation sanitaire (OVS). Ils deviennent dans chaque région les interlocuteurs uniques de l’État en matière de veille sanitaire. Coop de France et les sections porcine et avicole de la Fnsea voulaient assurer sous leur coupe et par filière le suivi de leurs cheptels. Ils dénoncent l’arrêté et menacent de ne pas participer au financement des instances concernées. Une mainmise… et des ressources qui échappent à la Fnsea et complices.
Parole(s) Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a décidé (Journal officiel du 2 avril) de donner un temps de parole – égal – à la TV et à la radio à la Confédération paysanne et à la Coordination rurale. Le temps de parole de la Fnsea est deux fois plus élevé, ce qui ne l’empêche pas de dénoncer une décision « purement politique ». Selon elle, les émissions d’« expressions publiques » sont réservées aux organisations représentatives des salariés et des employeurs, « or Confédération paysanne et Coordination rurale ne sont pas représentatives des employeurs ». N’y aurait-il que des employeurs à la Fnsea ?
Amendes de la Commission européenne La France est particulièrement épinglée par la Commission européenne pour sa gestion des paiements directs de la Pac. Selon certaines informations, c’est un montant global de 1,2 à 1,3 milliard d’euros que Bruxelles veut récupérer auprès de la France. Le chiffre est vivement contesté par le ministère de l’Agriculture qui remet en cause, et le fondement juridique, et le chiffrage de la correction financière. Pour l’heure, la France doit déjà rembourser 238,9 millions, pour « attribution indue » d’aide à la surface. Erreur des satellites espions ou des agriculteurs ? Jo Bourgeais
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Méthanisation Ne pas y aller plein gaz ! La Confédération paysanne pose quatre grands principes pour encadrer la production de méthane à la ferme et demande un moratoire sur les projets en cours, le temps que la réflexion soit menée et ce cadrage acté.
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ù en est le débat politique à la Confédération paysanne sur la méthanisation ? Qui veut s’y immiscer a intérêt à connaître son manuel de biochimie sur le bout des doigts. Car arguments techniques divers et variés s’infirment et/ou se confirment, sans qu’on puisse réellement en voir le bout. La méthanisation est pourtant déjà bien lancée en France, et l’ambition politique de l’accélérer n’est plus un secret: le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, tient à son plan « Énergie Méthanisation Autonomie Azote » qui prévoit « 1 000 méthaniseurs à la ferme en 2020 ».
ficulté que son développement, sous une forme ou sous une autre, ira bien plus vite que le détricotage et l’aboutissement des confrontations techniques. Prenons ainsi l’exemple des agrocarburants. Présentés à leurs débuts comme une réponse de substitution aux énergies fossiles, vite ont été démontrés leurs méfaits et démontés les espoirs du début sur leurs bienfaits environnementaux. Aujourd’hui, il n’y a (presque) plus personne pour remettre en cause leur impact négatif sur la souveraineté alimentaire, les droits des paysans et des populations ou leur effet sur
Dérive allemande : unité de méthanisation de Penkun, près de la frontière avec la Pologne, 20 hectares, 1 000 tonnes de maïs par jour et 12 000 hectares cultivés nécessaires (source : Amis de la Terre)
Or selon les territoires, les productions, les acteurs, les réalités des projets sont extrêmement différentes. Ainsi émergent des divergences de points de vue sur la gestion de l’azote, la capacité à produire de l’énergie, ou encore le risque sur l’apport en carbone des sols. Tous ces aspects sont évidemment très importants pour comprendre les enjeux agronomiques et environnementaux d’une telle technologie, mais leur compréhension va de pair avec l’analyse du cadre politique, économique et social dans lequel elle s’inscrit (ou va très vite s’inscrire…). Et à observer de près ou de loin l’agitation qui règne autour de la méthanisation (industriels, pouvoirs publics, bureaux d’étude, agriculteurs…), on peut prédire sans dif-
le phénomène d’accaparement des terres. Si les débats techniques continuent encore dans la petite sphère des industriels et des décideurs, ils servent surtout aux acteurs de la filière pour remettre en cause et empêcher les avancées politiques minimes sur la question. À l’heure actuelle, comme pour bien d’autres domaines, les agrocarburants industriels ont pris le dessus et l’huile végétale pure (HVP), sur laquelle la Confédération paysanne a porté un regard positif comme outil d’autonomie sur les fermes, est ultra-minoritaire en France. Il en va de même pour la méthanisation : comme il n’est plus à nier que des projets de petite méthanisation à la ferme ou des projets collectifs conçus intelligemment ont leur intérêt, il est indéniable que le
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développement de la méthanisation en France fait porter un risque à l’agriculture paysanne : l’exemple du projet la ferme des 1 000 vaches, dans la Somme, en est le symbole (cf. CS n° 288). En parallèle des débats techniques, il y a urgence pour la Confédération paysanne à empêcher que le processus de développement de la méthanisation remette en cause son projet politique. C’est cette priorité qui a été actée par le comité national du syndicat en mars 2014, autour de quatre grands principes : 1 – que soit défini à l’échelle régionale, avec tous les acteurs, un plan global de méthanisation prenant en compte le complément en carbone à partir de la seule disponibilité en déchets ; 2 – que les fonds publics destinés à soutenir l’agriculture ne permettent pas de subventionner les projets de méthanisation ; 3 – que l’utilisation de cultures dédiées et intermédiaires soit interdite pour tout projet (1) ; 4 – que la gouvernance des projets de méthanisation soit clairement prédéfinie et durablement assurée par des agriculteurs et/ou des collectivités, de façon à garantir la sécurité des utilisateurs de digestat (2). La Confédération paysanne revendique la mise en place d’un moratoire sur la méthanisation tant que les quatre points précédents ne sont pas encadrés, et demande la suspension de tous les projets intégrant l’utilisation de cultures dédiées ou intermédiaires dans leurs procédés. En empêchant le développement d’une méthanisation industrielle destructrice, on peut alors imaginer que les ambassadeurs de l’agriculture paysanne auront toute place pour développer une méthanisation paysanne au service d’un projet agricole et d’une transition énergétique intelligents. n Suzie Guichard, animatrice nationale (1) Cultures destinées à alimenter directement le méthaniseur. Le cas du maïs est le plus emblématique : en Allemagne, on estime qu’en 2012, 820 000 hectares (sur 2,5 millions) étaient dédiés à la production d’agro-énergie, en grande partie du méthane (source : Paysan breton). (2) Le digestat (à ne pas confondre avec le compost) est un des deux résidus, au même titre que le gaz, issu du processus de méthanisation de la matière organique. Il s’agit d’un résidu solide ou liquide pâteux composé d’éléments organiques non dégradés et de minéraux.
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OGM Une interdiction fragile et à portée limitée Le 15 avril , les députés ont voté une loi visant à interdire « la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié sur le territoire national ». Victoire éphémère ou durable ? Seules nos mobilisations feront pencher la balance dans un sens ou dans l'autre.
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a loi votée le 15 avril à l’Assemblée nationale interdit de semer le seul OGM aujourd’hui autorisé à la culture, le maïs de Monsanto MON 810. Mais le Sénat doit encore la voter : elle ne sera donc applicable qu’après la fin des semis de maïs. Pour cette année, l’interdiction des cultures transgéniques repose sur un arrêté du 14 mars, contesté par l’AGPM (1) devant le Conseil d’État qui doit se prononcer en urgence : le fera-t-il avant ou après la fin des semis ? Et la Commission européenne a déjà annoncé sa volonté d’autoriser d’autres cultures d’OGM dès 2015 : faudrat-il une nouvelle loi pour chaque nouvelle espèce autorisée ? Ensuite, cette loi n’interdit pas les importations d’OGM que nous mangeons tous les jours transformés en œufs, viandes et autres produits laitiers. Elle n’interdit pas non plus les nouveaux OGM cachés et brevetés qui envahissent nos champs : tournesol, maïs et colza rendus tolérant aux herbicides (VrTH, cf. CS n° 294)… N’étant pas étiquetés, ces produits passent inaperçus auprès des consommateurs qui n’en veulent pas. Cette loi est aussi contraire au droit européen actuel. Pour comprendre sa portée, il faut revenir à la loi OGM du 25 juin 2008 qui transcrit ainsi un article de la directive européenne 2001/18 (2) : « Les organismes génétiquement modifiés ne peuvent être cultivés, commercialisés ou utilisés que dans le respect de l’environnement et de la santé publique, des structures agri-
coles, des écosystèmes locaux et des filières de production et commerciales qualifiées “sans organismes génétiquement modifiés” ». Cet article oblige de fait l’État à interdire toute culture de maïs OGM risquant de contaminer les maïs population et les ruches « sans OGM » qu’on peut trouver dans toutes les zones où le maïs est cultivé. Mais pour la seule défense des apiculteurs et de quelques agriculteurs bio, aucun gouvernement n’ose affronter le lobby du maïs industriel qui veut des OGM. Les ministres tentent de se réfugier derrière la réglementation européenne. Problème : les « mesures d’urgence » à ce niveau exigent la validation par une étude publiée dans une revue scientifique officielle de l’existence d’un risque grave pour la santé ou l’environnement.
Au bon vouloir des firmes Or une telle étude ne peut pas être réalisée ni publiée sans l’accord du titulaire du brevet de l’OGM, seul détenteur des semences de base indispensables à sa réalisation. Le sort de Gilles-Eric Séralini qui a contourné cette obligation (3) est instructif : Monsanto ne le lui a pas reproché de peur de dévoiler au grand jour ce verrou légal à toute contestation scientifique des OGM ; suite à une vaste campagne de calomnies, la firme s’est contentée d’introduire un de ses anciens salariés chez l’éditeur de l’étude qui l’a alors retirée… Les gouvernements ont pourtant un autre moyen d’interdire les OGM : faire appliquer leur demande du 5 décembre 2008 de renforcer leur évaluation en tenant compte des impacts sur les systèmes agraires. Mais
la Commission européenne ne fait rien pour appliquer cette recommandation du Conseil de l’environnement. Au contraire, elle veut simplifier et accélérer les procédures d’autorisation européennes. En échange, elle propose aux États de réviser la directive 2001/18 pour les autoriser à interdire la culture de certains OGM sur leur territoire, ce qui « légaliserait » la loi française visant les maïs transgéniques. Mais ils ne pourront le faire qu’avec l’accord de l’entreprise qui produit l’OGM ou sur la base d’arguments acceptés par l’Organisation mondiale du commerce. Si l’Europe a pu résister aux sanctions de l’OMC, c’est parce qu’elle n’a pas interdit que la production de viande aux hormones, mais aussi son importation. Mais aucun pays ne pourra résister à la pression de ses agriculteurs victimes à la fois de telles sanctions et de distorsion de concurrence face à la libre circulation des OGM venant des autres pays autorisant leur culture. Deux mesures très urgentes attendent la nouvelle ministre de l’Écologie, Ségolène Royal : refuser ce marché de dupe et interdire les colza VrTH avant les semis d’août. Il ne nous reste que quelques mois pour la convaincre. n Guy Kastler, commission OGM de la Confédération paysanne (1) Association générale des producteurs de maïs (Fnsea). (2) L’article 26 bis qui dit que « Les États membres peuvent prendre les mesures nécessaires pour éviter la présence accidentelle d’OGM dans d’autres produits ». (3) Les travaux conduits par l’équipe du biologiste GillesEric Séralini, publiés par la revue Food and chemical technology le 19/9/2012, montrent que la consommation régulière de maïs NK603 de Monsanto a une incidence grande pour la santé (cf. CS n° 277).
OGM « cachés » au grand jour Le 9 avril, trois faucheurs volontaires comparaissaient devant la cour d’appel d’Orléans pour avoir, aux côtés de 119 autres militants ayant revendiqué les faits, neutralisé une parcelle expérimentale de tournesols mutés, produits par les firmes Pioneer et Caussade, en juillet 2010 dans la région de Tours. Ces plantes sont exclues du champ d’application de la directive européenne sur les OGM, mais les faucheurs – et la Confédération paysanne – jugent ces deux techniques aussi dangereuses l’une que l’autre. La cour d’appel d’Orléans rendra son arrêt le 24 juin.
Les trois faucheurs volontaires poursuivis devant le palais de justice d’Orléans le 9 avril, Fabien Houyez, Bruno Stree et André Puygrenier, paysan retraité et confédéré en Charente.
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Europe / Pac Quand le technique l’emporte sur le politique Le Parlement et le Conseil européen délèguent la rédaction des aspects techniques des lois à la Commission, donnant à cette dernière plus de pouvoir, sans contrôle démocratique.
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e 11 novembre dernier, une semaine avant le vote définitif de la nouvelle Politique agricole commune (Pac) par le Parlement européen, 23 État membres (dont la France) troublaient l’ambiance feutrée des couloirs de Bruxelles. En cause : les « actes délégués » de la nouvelle Pac. De quoi s’agit-il ? Depuis 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, la procédure veut que le Conseil (réunissant les 28 chefs d’État ou de gouvernement) et le Parlement adoptent conjointement toute nouvelle loi européenne, retranscrite en « actes législatifs ». Les deux instances peuvent ensuite déléguer à l’organe exécutif de l’Union, la Commission européenne, la rédaction d’actes délégués qui complètent ou modifient « certains éléments non essentiels » d’un acte législatif. Le but ? Épargner aux 766 députés et aux membres du Conseil la rédaction des aspects les plus techniques des lois votées. Ne bénéficiant quasiment pas d’administration technique, le Parlement confie donc aux hauts fonctionnaires de la Commission la rédaction des textes de mise en œuvre de toute nouvelle législation.
Contradictions Dans la note adressée par les 23 États membres à la Commission, ceux-ci dénoncent le fait que certains actes délégués de la nouvelle Pac entraîneraient une application de la législation en totale contradiction avec les orientations politiques de la réforme. Pour exemple, et alors même que la Pac se veut plus « verte » et plus équitable, les aides actuelles à l’agriculture biologique pourraient être diminuées de près d’un tiers si l’on se conforme à l’acte délégué correspondant. De même, les aides à l’installation des jeunes en agriculture pourraient diminuer suite à la mise en place de critères très restrictifs pour ceux qui s’installent sous une forme sociétaire. Si le Parlement peut s’opposer par la suite à un acte délégué, selon Daniel Guéguen, professeur au Collège d’Europe, « les délais
Le traité de Lisbonne a donné à la Commission, via les actes délégués, le pouvoir de rédiger les textes de mise en œuvre de toute nouvelle législation. « Sans aucune transparence, ni contrôle démocratique », selon José Bové.
très courts pour exprimer un veto (deux mois), l’obligation de réunir une majorité absolue, la technicité des dossiers et le nombre très restreint de députés compétents pour cette procédure (…) rendent le “droit de veto” du Parlement virtuel sauf pour quelques cas sensibles ou mobilisateurs » (1).
Transfert de pouvoir Entre-temps, en janvier dernier, le Sénat a commandé un rapport d’information sur « la place des actes délégués dans la législation européenne ». Les auteurs y expriment « une préoccupation sur ce qui a de plus en plus tendance à apparaître comme un transfert de pouvoir, insidieux et mal contrôlé, à la Commission européenne » (2). Ils soulignent que de récentes résolutions renvoient trop souvent à des actes délégués, faisant de chaque acte législatif « une coquille vide », remplie par les services techniques de la Commission. Quant à la nouvelle Pac, « la Commission a manifestement outrepassé son pouvoir
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et sa compétence déléguée ». Pour le député européen José Bové, « les services techniques de la Commission, qui adhèrent à une idéologie libérale, sont entrés ici en conflit avec ce qui a été décidé démocratiquement ». Les hauts fonctionnaires de la Commission n’auraient ainsi pas adhéré à la timide volonté de mettre en œuvre une Pac plus redistributrice et plus verte, détricotant en sous-main des accords politiques fruits de trois ans de négociation. « C’est un problème de fond du fonctionnement démocratique européen, ajoute José Bové. On donne via ces actes délégués du pouvoir à l’administration de l’exécutif européen mais sans aucune transparence, ni contrôle démocratique. » n Mickaël Correia, article issu du n° 433 (février 2014) de Transrural initiatives
(1) www.alienoreu.com/docs/Les actes dlgus.pdf Europolitics, 8 février 2012. (2) www.senat.fr/rap/r13-322/r13-3221.pdf
Feu vert du Parlement européen aux actes délégués de la réforme de la Pac Le 7 avril, la Commission de l’agriculture du Parlement européen a donné son feu vert à l’adoption des actes délégués de la réforme de la Pac. Les résolutions d’objection qui avaient été déposées ont toutes été rejetées. Lors de la dernière session, du 14 au 17 avril, le Parlement n’a pas voté d’objection. Pour que les actes délégués soient rejetés, il aurait fallu qu’une majorité absolue des 766 députés européens vote en ce sens.
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L’Europe Un chantier à reprendre
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quelques jours du renouvellement du Parlement européen, votre mensuel veut apporter sa contribution au débat électoral. Les peurs, les désespérances ne peuvent être les balises guidant nos choix dans l’isoloir, car ceux qui nous ont précédés dans notre mouvance syndicale ont porté sur les fonds baptismaux les valeurs des premières coopératives et des gaec. Les pères fondateurs de la Communauté économique européenne, Jean Monet et Robert Schumann, ont relayé dans un espace macroéconomique, ce désir du vivre ensemble, tournant la page à plusieurs siècles de règlement des différents par les armes. La solidarité financière, la protection du marché européen, l’organisation des productions vont être terrassés trente ans plus tard. L’abandon du contrôle des changes, la libre circulation des capitaux, l’influence de Milton Friedman (prix Nobel d’économie) consacrant «la main invisible du marché» et les contraintes de l’organisation mondiale du commerce (dont l’UE a été actrice dans les règles du jeu) vont voir s’évanouir toutes ambitions politiques, au profit des nouveaux maîtres du monde. À la Confédération paysanne, nous avons toujours affirmé que le commerce est acceptable quand il s’opère entre pays à niveau de développement comparable, sans dumping fiscal et social, et sans paradis fiscaux. Un commerce inégal est devenu destructeur et un moyen de chantage des transnationales pour défaire les acquis sociaux et syndicaux. Les courants populistes, xénophobes, nationalistes reprennent du service, surfant sur la crise, la dénonciation du bouc émissaire. Nos propres élus politiques – du moins trop d’entre eux – se dédouanent à bon compte de leur médiocrité. Les exclusions multiples, les scandales alimentaires, les suspicions quant aux conséquences sur la santé, et la spéculation sur les prix agricoles contrai-
gnent une population plus nombreuse à sortir de la torpeur consumériste. Quatre grands acteurs et témoins apportent leur contribution à ces pages : Gérard Choplin qui a accompagné trente années de syndicalisme pour une autre agriculture, Geneviève Savigny, actuelle représentante à la Coordination européenne Via campesina, Aurélie Trouvé et Frédéric Lemaire, deux économistes militants d’Attac. Berlin vient de connaître (en février) une mobilisation de 30 000 personnes réclamant une autre agriculture et l’arrêt des négociations de libre-échange avec les ÉtatsUnis, montrant le chemin à suivre pour les peuples. Ainsi va le balancier de l’histoire. Nous sommes de moins en moins seuls. L’avenir de l’UE est forcément entre nos mains. n Christian Boisgontier
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Décryptage Se réapproprier une Europe confisquée Alors qu’une partie croissante de la législation s’écrit au niveau européen, que les ministres et députés européens la codécident, l’élection du 25 mai doit marquer plus que jamais l’intérêt des citoyens. Ils ont entre leurs mains un levier où des politiques solidaires sont encore possibles.
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i le navire Europe est aussi peu attractif, c’est peut-être que sa destination n’est pas claire, ou que la destination affichée ne correspond pas à la réalité. L’Union européenne est née sur les cendres de deux guerres mondiales qui ont ravagé le continent, coupé ensuite en deux par la « guerre froide » entre le bloc atlantique et le bloc soviétique. Le premier moteur de la construction européenne a donc été stratégique : faire la paix entre la France et l’Allemagne et faire face à l’empire soviétique, dont les chars et les fusées étaient à 500 kilomètres de Strasbourg. La première initiative a été celle de la Communauté européenne de défense, refusée en 1954 par le Parlement français. On s’est donc rabattu sur l’économique : le charbon, l’acier puis l’agriculture, que l’on a mis en commun, pour imbriquer de plus en plus les économies des six pays fondateurs (1). Le deuxième moteur, à partir de 1985, a été le lancement du marché unique en 1988, réalisé en 1993. Ce qui avait été fait pour l’agriculture, on le faisait maintenant pour toute l’économie. L’économique conduirait ensuite au politique, vers une vraie Union européenne. C’était sans compter sur l’histoire, qui n’avance jamais de façon linéaire.
Manifestation à Montpellier, en mars 2014, contre le projet d’accord de libre échange entre l’Union européenne et les États-Unis: le lancement de la négociation transatlantique illustre la mainmise du business sur la définition des politiques et des accords commerciaux. L’UE est devenue la sienne, et les citoyens s’en détournent.
La démolition du Mur de Berlin en 1989, puis la chute de l’empire soviétique, ont surpris les Européens et cassé le premier moteur, stratégique. L’ennemi d’en face avait disparu. Cette victoire sans guerre du bloc atlantique a accéléré la mise en œuvre des politiques néolibérales impulsées depuis peu par les États-Unis de Reagan et le RoyaumeUni de Thatcher. Ils n’avaient plus peur que leur politique jette les Européens dans les bras de Moscou. Le néolibéralisme a alors dominé la scène à partir des années quatrevingt-dix et deux mille, brisant le deuxième moteur: le marché unique européen s’est dissous dans la mondialisation, les frontières économiques ont quasi disparu. La cour de jeu de Unilever, GDF-Suez, Shell, Danone, etc… ce n’est pas l’Europe, c’est le monde. Et le navire va, sans que l’on ait remplacé les moteurs, au risque de s’échouer au premier récif. L’erreur majeure des dirigeants européens à partir des années quatre-vingtdix est de n’avoir pas initié un débat sur le nouveau sens à donner à l’Union européenne (UE) après la chute du Mur, qui puisse mobiliser les citoyens, et d’avoir laissé les grandes firmes, de plus en plus multinationales désormais, écrire les règles à la place des politiques et confisquer l’Europe.
Dès les années quatre-vingt, le club de la « Table Ronde Européenne » (2) des industriels a plus que « conseillé » la Commission et n’aura de cesse que les propositions de la Commission ressemblent étrangement aux leurs : plus de marché, moins d’État, et pas d’harmonisation fiscale ou sociale, ni de transparence du lobbying. Le lancement de la négociation transatlantique illustre parfaitement la mainmise du business sur la définition des politiques et des accords commerciaux. L’Union européenne est devenue la sienne, et les citoyens s’en détournent. D’autant plus que les gouvernements et parlementaires nationaux continuent trop souvent d’accuser « Bruxelles » quand ils ne veulent pas assumer les décisions prises avec leurs collègues européens. Pour que l’Union européenne devienne nôtre, il nous faut l’occuper, nous la réapproprier. Car elle reste encore un levier (3), où des politiques solidaires et durables sont possibles, loin de réactions anti-européennes simplistes. Le 25 mai et tous les jours suivants, occupons l’Europe. n
Dans ce livre, à travers des cas concrets vécus au quotidien, José Bové livre la réalité des couloirs de Bruxelles et braque le projecteur sur les connivences dont bénéficient, au plus haut niveau de l’organigramme administratif, les lobbyistes de l’industrie (voir CS n° 293).
(1) Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas. (2) Voir le film « The Brussels business »- version F : www.youtube.com/watch?v=NbXcPpM86Tk (3) Voir « Hold-up à Bruxelles » – José Bové & Gilles Luneau, p 235 – La Découverte, février 2014, 17 euros.
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Gérard Choplin, formateur, rédacteur, consultant sur les questions agricoles, ancien chargé de politique agricole à la Coordination européenne Via Campesina
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L’euro et la compétitivité Au lieu de réduire la valeur de l’euro pour redonner de la compétitivité aux entreprises européennes, l’Union européenne laisse ses États membres creuser les déficits budgétaires et faire appel à des emprunts colossaux.
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milliards d’euros pour le pacte de compétitivité viennent d’être attribués aux entreprises, mais le silence est le plus total sur les différentiels monétaires entre les grandes monnaies (euro, dollar, yuan) régissant les échanges internationaux. Notre monnaie, utilisée dans 18 États membres de l’Union européenne, est réévaluée à 1,37 dollar – contre 1 dollar à sa création en 1999 –, renchérissant de plus de 30 % tous nos produits quittant la zone euro. Petit avantage quand même, notre monnaie adoucit le prix de la facture énergétique (pétrole et gaz) et de nos importations contraintes de soja. La Banque centrale européenne, gardienne de l’orthodoxie budgétaire, refuse d’utiliser les leviers qui réduiraient la valeur de l’euro, comme savent le faire les USA et les Chinois. Historiquement pourtant, le levier majeur pour redonner un avantage compétitif et se protéger des pays à monnaies faibles était la dévaluation.
Un outil historique : la dévaluation Notre pays ne s’en est pas privé : sous le Front populaire (dévaluation de 60 % du franc Poincarré) ; sous de Gaulle (20 % de dévaluation en juin 1958, au lendemain de l’investiture, et 17,55 % en décembre, dès
l’annonce du plan de stabilisation « PinayRueff ») ; sous la IVe République (60 % en 1945, 45 % en 1948, 22 % en 1949). Mais l’outil n’est pas propre à la France : les dévaluations des autres pays (la lire italienne, la peseta espagnole et l’escudo portugais) vont impacter lourdement la viticulture, les fruits et légumes, l’industrie du textile et de la chaussure tricolore. Pour mettre un peu d’ordre dans la maison, la CEE (Communauté économique européenne) invente en 1972 le « serpent monétaire », contraignant les monnaies à ne pas s’écarter d’un « tunnel de parités ». Mais la trop forte réévaluation du mark fait naître une énième mesure, le franc vert et les « montants compensatoires monétaires » (MCM) contre lesquels notre organisation syndicale s’est mobilisée. À cause de ces MCM, nos produits à l’export devaient acquitter des pénalités pour ne pas désavantager les pays à monnaie forte (Allemagne et Pays-Bas). Inversement, leurs produits bénéficiaient de ces MCM pour se retrouver compétitifs sur nos marchés. La création de l’euro apparaît comme l’outil qui va mettre fin aux désordres monétaires, avec en contrepartie la contrainte des « critères de Maastricht », définis en 1992, pour faire converger les économies de la zone euro. Mais depuis, cette monnaie oppose les européistes et les souverainistes, car elle prive les décideurs politiques de chaque État membres du levier monétaire. Le déficit budgétaire et le recours colossal à l’emprunt vont devenir l’outil de la pseudocompétitivité pour tous les pays. La France emprunte chaque jour 200 millions d’euros (le prix d’un airbus), soit 70 mil-
liards par an pour équilibrer son budget. La dette cumulée va atteindre 2 000 milliards au cours de l’année 2014. Tous les pays de la zone euro sont lourdement endettés, et seules les balances commerciales (excédentaires ou déficitaires) révèlent les mieux ou moins bien portants. Parallèlement, la situation particulière de la France, championne du monde de l’épargne des particuliers avec un montant supérieur à la dette du pays, traduit l’inefficience dans la collecte de l’impôt. La dette et la charge de la dette – au cœur de la justification de la rigueur, de la lutte contre le coût du travail, et en contrepartie du ralentissement économique –, vontelles conduire nos pays dans une impasse ? Là encore, l’histoire nous rappelle qu’en 1929, l’Allemagne est en cessation de paiement, qu’en 1932 la dette française atteint 150 % du PIB (90 % aujourd’hui), et qu’en 1934, ces deux pays n’ont pas assumé leur dette à l’égard des États-Unis. Plus récemment, en août 1982, le Mexique et une trentaine de pays latino-américains et africains se sont déclarés en faillite. En 1998, la Russie a fait effacer 35 % de sa dette et l’Argentine, en défaut de paiement, a obtenu un effacement de 55 % de sa dette. Reste l’inflation puisque les économistes affirment qu’une inflation à 6 % pendant cinq ans réduirait la dette de 20 %, mais ce sont les classes sociales les moins favorisées qui seraient en première ligne. Reste encore le protectionnisme européen à l’image de ce que viennent de décider plusieurs pays d’Amérique du Sud pour lutter contre les monnaies « démesurément dépréciées » que sont le dollar et le yuan. À quand un débat citoyen sur toutes ces questions pour reconstruire une souveraineté européenne ? n Christian Boisgontier
Dix-huit pays de l’Union européenne, représentant près de 324 millions d’habitants, font partie de la zone euro depuis l’arrivée de la Lettonie le 1er janvier 2014. C’est aussi la monnaie de micro Etats européens : Andorre, Saint-Marin, Monaco et Vatican et, de fait, la monnaie en circulation au Kosovo et Monténégro, pourtant nonmembres de l’UE.
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L’Europe paysanne Semer des graines de politiques alternatives Grâce à un travail sans relâche de rencontres de parlementaires, de rédaction d’amendements pour construire une politique agricole légitime, durable et solidaire, la Coordination européenne Via campesina (ECVC) donne une voix aux petits et moyens paysans. Aperçu sur cinq années passées au sein d’ECVC par Geneviève Savigny, y représentant la Confédération paysanne
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ne des premières visions en débarquant à l’aéroport de Bruxelles est l’immense panneau lumineux vantant les bienfaits de Syngenta pour les petits producteurs du Sud, où les enfants, libérés des corvées du désherbage, peuvent aller à l ‘école. À la gare du Midi, si l’on arrive par le train, ce sont les nombreux mendiants, femmes, enfants, zonards, musiciens roms, tous humains marginalisés par un système néolibéral qui s’impose en Europe. Le quartier des institutions européennes est à part de cette ville, au demeurant très sympathique. Depuis le début de mon mandat au comité de la Coordination européenne Via campesina en 2009, j’ai pu mesurer la difficulté pour nos petites structures de se battre face à des institutions fabriquées pour les gros joueurs. Le dossier de la Pac post 2014 a sans doute été le plus prenant de ces dernières années. Les négociations pour la réforme ont commencé dès la mise en place de la Commission Barroso 2, le président restant le même. ECVC a répondu rapidement à la consultation publique des « parties prenantes », consultation informatique très large menée par la Commission au printemps 2010, qui aboutit en juillet à la première déclaration politique de Dacian Ciolos, commissaire à l’Agriculture, lors d’une grande conférence où l’on parle positivement des petites fermes et de valoriser toutes les agricultures en
Arrivée de la Good Food March à Bruxelles, le 19 septembre 2012. La marche, partie le 25 août, portait à Bruxelles les revendications de 80 organisations citoyennes – dont la Coordination européenne Via campesina – sur la réforme de la Pac.
Europe. C’est un signe réel d’ouverture, en rupture avec les positions très entrepreneuriales de l’ancienne commissaire, Marianne Fischer Boel. En novembre 2010, la Commission européenne publie un document présentant les objectifs et trois scénarios pour la Politique agricole commune de l’Union européenne pour la période 2014-2020. ECVC, avec ses
ECVC, une force d’action La Coordination européenne Via campesina a été créée le 26 juin 2009 à partir des organisations paysannes regroupées jusque-là dans la CPE (Coordination paysanne européenne). Elle est composée de 26 organisations provenant de 17 pays, rassemblant plus de 100 000 membres. L’objectif essentiel de la Coordination est de renforcer le mouvement paysan européen pour faire changer la politique agricole en défendant le droit de souveraineté alimentaire. Avec des valeurs comme : • la solidarité, à la place de la concurrence, • la justice sociale, • l’égalité des droits entre hommes et femmes, • l’utilisation durable des ressources naturelles, • la santé des producteurs et des consommateurs, • la diversité régionale des produits et des agricultures. Sa reconnaissance au niveau européen, son appartenance au mouvement international de la Via campesina, et ses alliés dans la société civile lui donnent de réelles possibilités d’action. www.eurovia.org
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partenaires du réseau « FoodSovCap (1) », tout en appréciant les objectifs, propose une option fondée sur la souveraineté alimentaire, avec des outils de régulation des marchés pour obtenir des prix justes, en lieu et place du présent cadre libéral. Notre option a peu de chance d’aboutir, mais c’est un positionnement fondamental pour nos organisations membres, que nous défendons devant les députés du Parlement européen qui, de leur côté, travaillent à la rédaction d’un document sur leur positionnement quant à la future Pac. En novembre 2011, le Commissaire à l’agriculture présente les propositions législatives : la structure de la Pac reste assez semblable, avec les prix de marché et les subventions à l’hectare. À l’objectif politique d’assurer la sécurité alimentaire répondent les mesures pour « assurer la compétitivité ». Mauvais départ! Le développement rural, auparavant structuré en trois axes aura six objectifs prioritaires. Étonnant : bien que participant depuis plusieurs mois aux groupes consultatifs sur le développement rural, je n’ai jamais eu l’occasion de discu-
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Assemblée générale de la Coordination européenne Via campesina (ECVC) à Evenstad (Norvège), les 3 et 4 mars 2014. Publication de « la Déclaration d’Evenstad » sur les sept mesures pour renforcer l’agriculture familiale paysanne : www.eurovia.org
ter de cette proposition dans ces lieux de rencontre entre la Commission et les parties prenantes. Il reste ce mystère de savoir « où ça se passe », où naissent les propositions structurantes dont je verrai plus tard qu’elles changent peu une fois écrites. S’ensuit un long parcours du texte législatif, qui passe de la Commission européenne au Parlement européen – qui depuis le traité de Lisbonne codécide sur les sujets agricoles – et le Conseil européen agricole, qui réunit une fois par mois les 28 ministres de l’agriculture. Le texte est divisé en quatre propositions de règlements portés au niveau parlementaire par plusieurs rapporteurs qu’il s’agira de rencontrer, de même que les différents groupes politiques. À plusieurs reprises, nous proposerons des amendements à la Comagri (commission agricole du Parlement dont José Bové est vice-président) afin de gagner des améliorations pour les structures les plus modestes et l’agriculture paysanne. Plafonnement des aides directes à 100 000 euros – la Confédération paysanne demande 45 000 et la Commission 300 000 –, meilleure prise en compte des petites fermes : nous tentons de nous concentrer sur des points clés du texte et mobilisons toute notre énergie pour rencontrer les différents protagonistes et rédiger des propositions. Le texte est finalement adopté fin 2013, laissant une grande marge de manœuvre aux États, mais aussi à la Commission européenne dans le cadre des « actes délégués » (voir p 12), « détails » pas toujours
techniques, que la Commission propose en bloc, après l’accord politique à prendre ou à laisser par le Parlement européen et le Conseil agricole.
Des mobilisations comme la Good Food March permettent d’avoir plus de visibilité et plus d’impact auprès des députés. Tous les détails comptent, toutes les mesures peuvent, sous l’effet d’amendements défavorables ou de rédactions subtiles, se tourner en outils d’exclusion ou au contraire apporter quelques bénéfices. Le suivi de tous les textes (il n’y a pas que la Pac qui concerne les paysans) demande un travail considérable, et nous avons peu de moyens matériels et humains face aux lobbies agroalimentaires et aux représentants majoritaires de l’agriculture d’entreprise (dont la Fnsea est affiliée), le Copa-Cogeca, qui a tout fait pour que rien ne change dans l’injustice historique de la politique agricole communautaire. Les alliances sont essentielles, tant pour renforcer les capacités d’analyse que pour accroître l’impact des mobilisations. Des liens bâtis depuis plusieurs décennies, des mobilisations comme la Good Food March à l’automne 2012, ont permis d’avoir plus
de visibilité et plus d’impact auprès des députés notamment. Les institutions bruxelloises ne sont pas les seules où défendre la cause paysanne. ECVC est également actif au sein de la Via campesina, à Rome auprès de la FAO, au sein du Comité de sécurité alimentaire, ou à Genève au Conseil international des droits de l’homme. Mais Bruxelles reste le centre où se prend l’essentiel des décisions qui conditionnent notre existence européenne. Cela mérite d’y consacrer plus d’effort et de constance. Car cette vertu est essentielle dans un milieu complexe, envahi de lobbyistes aux intérêts contraires et aux moyens incomparables. Il reste que nous sommes reconnus comme interlocuteurs pour représenter les paysans et que la Coordination européenne Via campesina donne une voix aux petits-moyens producteurs dont il est de plus en plus difficile d’ignorer l’existence en Europe. Nous semons des graines, des graines de doute sur les bienfaits des politiques suivies, des graines de politiques alternatives. Il faudra encore des mobilisations, dans les régions comme au cœur des institutions, et dans l’immédiat, voter avec vigueur pour porter au Parlement des député-e-s partageant nos valeurs, et parvenir à moissonner. n Geneviève Savigny, coordination européenne Via campesina (1)European movement for food sovereignty and another common agricultural policy.
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Celles et ceux qui construisent notre Europe au quotidien Témoignages de paysans rencontrés lors de l’assemblée générale des 3 et 4 mars de la Coordination européenne Via campesina (ECVC) à Evenstad (Norvège). Interviewés par Judith Carmona et Romain Balandier, membres de la Confédération paysanne (1).
Andoni Garcia : « additionner nos efforts »
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ndoni est éleveur laitier dans le Pays Basque. Membre du syndicat basque espagnol EHNE, il siège également au comité exécutif de la COAG, l’important syndicat espagnol des agriculteurs et des éleveurs, pour lequel il est en partie « libéré » (de la ferme). Si la COAG travaille également avec le Copa-Cogeca (syndicalisme agricole européen dont est membre la Fnsea), Andoni défend sans réserve l’appartenance de son syndicat à la Coordination européenne Via campesina. Pour lui, il faut « dénoncer sans limite le modèle libéral. L’alternative, c’est la souveraineté alimentaire ! » A ceux qui pourraient douter de cet engagement, il suffit de rappeler la position ferme de la COAG contre les cultures d’OGM alors que son pays reste de loin le plus grand producteur d’OGM d’Europe. Ce n’est pas la première assemblée générale d’ECVC à laquelle Andoni participe. C’est pour lui l’opportunité d’analyser les différentes situations que vivent les paysans et les paysannes. « Il s’agit d’additionner les efforts de millions d’Européens à ceux de la Via campesina, et de s’attaquer à toutes les institutions qui détruisent les agricultures paysannes. Avec nos alliés de lutte, nous devons être garants de l’emploi, de la qualité des aliments, de la biodiversité. » n RB
Marina Grigorova : inciter une dynamique jeune et d’éducation populaire
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arina est bulgare, présidente de Youth. movement for développement of rural area in Bulgarie. Cette organisation, créée en 2007, est une des plus actives de Bulgarie par son travail avec les jeunes sur la politique, l’environnement et l’éducation populaire. Elle est affiliée au Mijarc (Mouvement international de la jeunesse agricole et rurale catholique), représenté à cette assemblée générale d’ECVC par son président : Olivier Dugrain. « Je fais parti de l’équipe européenne du Mijarc depuis trois ans. Différentes thématiques y sont abordées : l’agriculture et la ruralité, la participation des jeunes à l’éducation, la religion et la spiritualité. Avec ces objectifs : • coordonner et se tenir informé des mouvements du réseau ; • faire du lobby politique : rencontrer et interpeller des gens, notamment sur les migrations ; • s’entendre sur une position commune entre tous les membres du mouvement, en particulier l’année dernière nous avons réfléchi sur « comment les jeunes sont moteurs des changements en politique ». Nous arrivons à nous faire entendre et à être reconnus en adhérant au Forum européen pour la jeunesse.
Olivier et Marina
Nous nous intéressons particulièrement aux problématiques vécues dans les pays de l’Est, migrations et accaparement de terres. Dans ces pays, l’image du paysan est mauvaise, il faut travailler là-dessus, en organisant des échanges, des partages entre paysans. Le Mijarc a été à la création d’ECVC. Ce lien continue à nourrir notre réflexion, notamment sur l’agroécologie, la souveraineté alimentaire, sans compter la richesse des partages au sein de ce réseau de paysans. On a envie d’y apporter une dynamique jeune et d’éducation populaire. » n JC
Federico Pachecho : les luttes des travailleurs rejoignent celles des petits paysans
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oilà 23 ans que Federico, argentin d’origine, a décidé de poser ses guêtres en Espagne. Très rapidement, il poursuit le chemin des luttes aux côtés du Soc (Syndicat des ouvriers de la campagne andalouse). Il participe à une communauté agricole de Grenade, accompagne les journaliers immigrés d’Alméria dans le rétablissement de leurs droits, porte le travail sur la souveraineté alimentaire du syndicat, soutien les nombreuses luttes foncières de son organisation. Le Soc, créé à la sortie de la dictature franquiste pour protéger les ouvriers des nom-
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breuses latifundia, s’intéresse également à la situation des travailleurs migrants. À Alméria, des immigrés sont devenus responsables syndicaux, et la lutte pour les droits du travail et sociaux (alimentation, logement…) s’est élargie aux problèmes des droits administratifs (droits des étrangers, carte de séjour…). Mais l’action du syndicat, c’est aussi le partage et le droit d’usage de la terre pour les journaliers. Après l’expérience de Marinaleda (1200 hectares autogérés par les travailleurs), les luttes foncières s’intensifient : Las Turquillas, la Rueda, Somonte, Alméria…
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Dossier Jyoti Fernandez : l’espoir de bâtir une autre politique
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yoti est paysanne dans le Dorset (SudOuest de l’Angleterre). Elle élève 2 vaches, 50 brebis, des cochons, des poules et produit des fruits et des légumes. Elle fabrique du fromage et vend de la viande. La transformation est assurée dans une coopérative de 52 producteurs et la vente par un magasin ambulant. Elle est présidente de Land worker’s alliance. « Notre organisation syndicale existe depuis deux ans, créée par des militants issus de mouvements écologistes, œuvrant pour la souveraineté alimentaire. Adhérer à la Coordination européenne Via campesina était un bon moyen pour avoir un impact sur la poli-
tique agricole et mettre en place une alternative à la voie dominante. Le syndicat majoritaire au Royaume-Uni promeut une agriculture industrielle qui nous écrase. Certains parlementaires font la promotion de l’intensification durable et des OGM, disent que les fermes moyennes sont bonnes pour le musée… Le chemin à suivre, prétend ce syndicat, est celui des systèmes laitiers intensifs, avec des fermes gigantesques où la traite est robotisée. Les grandes exploitations sont favorisées par la politique européenne, et ses aides liées au nombre d’hectares. La terre devient un objet de spéculation pour les plus riches : ils
Henrik Maaß: jeune, mais déjà militant indéboulonnable
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tudiant en master agriculture biologique et fils d’un couple de paysans du centre de l’Allemagne, Henrik milite depuis quatre ans au sein du « groupe jeune » d’ABL (syndicat allemand des petits agriculteurs, environ 2 000 membres). Son projet : s’installer… et militer ! À l’entendre, Henrik est pleinement en phase avec les actions de son syndicat. Il y a d’abord les luttes contre l’appropriation des semences par l’agro-industrie : des actions de sensibilisation jusqu’à la Cour européenne de justice, la détermination est de mise. ABL est également engagé sur la Pac, les OGM, le projet d’accord de libre échange UE-USA, le dossier lait, l’enseignement agricole, l’autonomie des fermes… Mais la force de l’organisation agricole, ce sont ses alliés: une large coalition d’acteurs sociaux, d’écologistes,
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Federico défend le projet de loi agraire portée par son organisation : « La terre est un bien public, qui doit rester en dehors du commerce et de la spéculation pour être confiée à des coopératives de travailleurs et pour des pratiques agricoles respectueuses de l’agroécologie, la biodiversité et la souveraineté alimentaire. » Quant à ECVC, ce doit être le lieu d’une alliance forte entre les travailleurs et les petits paysans en faveur de la transformation sociale ! n RB
d’élus et autres acteurs du territoire qui donne un élan aux mobilisations. Henrik explique qu’« ils ne peuvent pas faire confiance à un seul parti politique, il faut agir de même manière sur chacun ». Il partage la crainte grandissante de ses concitoyens d’une dérive droitière du Parlement européen. Le lien entre ABL et ECVC connaît un renouveau avec l’engagement des jeunes et leur intérêt porté autour des échanges européens sur l’agroécologie. Pour Henrik, ECVC est essentiel pour peser au niveau des institutions européennes sur les discussions sur la Pac ou la souveraineté alimentaire. À l’évidence, le « groupe jeune » d’ECVC, dont est membre Henrik, témoigne de la formidable résistance au développement de l’agriculture industrielle et de la transmission des valeurs de l’agriculture paysanne en Europe. n RB
Oliver et Jyoti Rodker (Land workers alliance)
l’achètent, la louent et accaparent la subvention. Une politique désastreuse, mais nous avons espoir de construire autre chose, notamment par notre lien avec la Coordination européenne Via campesina. » n JC
Merete Furuberg : « nos choix politiques en phase avec la Via campesina »
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epuis trois ans, Merete Furuberg est présidente de Norwegian Farmers and Smallholders Union, membre d’ECVC. Propriétaire forestière, elle élève des moutons pour la laine et la viande, des chèvres mohair et des lapins angora. Comme de nombreux paysans norvégiens, elle connaît de gros problèmes avec les prédateurs (loups, ours, lynx…) : la totalité de son cheptel a été décimée il y a deux ans. « Notre syndicat comporte environ 7 000 à 8 000 membres. Nous consacrons beaucoup d’efforts à l’augmentation des adhésions, nous faisons du bon travail et je crois en nos choix politiques en phase avec la Via campesina: produire de la nourriture saine, prendre soin des animaux et des plantes. La manne pétrolière en Norvège induit des salaires et des coûts de production très élevés. Alors que notre pays produit de tout, la politique actuelle est d’importer de la nourriture pour avoir une alimentation de moins en moins chère… » n JC (1) Judith Carmona, paysanne dans les Pyrénées-Orientales, secrétaire nationale, et Romain Balandier, paysan dans les Vosges, membre du Comité national de la Confédération paysanne.
Merete Furuberg
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Perspectives Politiques agricoles européennes : stop ou encore ? L’Europe : joli projet, formidable ambition. Certes, mais qu’attendons-nous réellement de l’Europe, nous, paysans ?
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es successives réformes de la Pac ont vidé de sa substance l’envie commune de faire une Europe unie au service de paysans nombreux. Réformes après réformes, nous assistons à la renationalisation des politiques communes. L’évolution géopolitique du nombre de pays membres de l’Union a changé la donne. Effectivement, on ne négocie pas de la même façon la Pac à 16 pays ou à 28. Entre les nouveaux entrants et les « historiques », les attentes ne sont visiblement pas les mêmes, les besoins non plus. N’a-t-on pas perdu le fil de la construction européenne au fur et à mesure des réformes ? Fait-on aujourd’hui des politiques au service de l’intérêt de chaque État et de ses lobbies, au service de l’industrie agroali-
publique, de préserver l’environnement. Et aussi d’assurer un revenu correct aux paysans afin qu’ils puissent être nombreux à animer et faire vivre les territoires. À la veille des élections européennes, à la veille de nouveaux mandats qui verront les eurodéputés préparer la future Pac de 2020 (et oui, déjà) et se prononcer sur les accords de libre-échange (ALE) en cours de négociation, alors il est temps de nous projeter à notre tour. Sans régulation et protection des marchés, rendues impossibles avec les accords de libre-échange, il ne peut y avoir de véritable politique agricole européenne. Par ailleurs, cette politique ne pourra être légitime et juste qu’avec une remise en cause des aides à la surface et un plafonnement des soutiens.
Nombreux sont les paysans qui militent pour un changement de cap, un changement de Pac. Ils veulent une agriculture qui emploie, préserve et produise… slogan ancien de la Confédération paysanne, plus que jamais d’actualité !
mentaire, de la finance ? Émergent-elles du rapport de force politique entre chaque État membre ? Nous, à la Confédération paysanne, nous revendiquons des politiques au service des paysans, des humains ! Tout simplement. Les budgets monumentaux alloués à la Pac se doivent de répondre aux attentes des citoyens, de prendre en compte la santé
Ces revendications historiques de la Confédération paysanne doivent être enfin mises en place. Les eurodéputés veulent-ils maintenir une agriculture paysanne, qui sera toujours incompatible avec les ALE ? L’argent de la Pac doit-il continuer à servir les appétits sans fin de quelques agrimanagers, ou alors être plus justement reparti à l’ensemble des paysans ?
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De même, nous attendons une forte volonté de l’Union européenne pour la mise en œuvre d’une véritable politique au service des territoires. Si rien ne change, le tableau de l’Europe agricole dans quelques années va être triste à pleurer. Comment peut-on imaginer faire une politique agricole en massacrant les emplois paysans, en détruisant des vies humaines des travailleurs de la terre ? Comment peut-on supporter les effroyables injustices de cette Europe au service du capitalisme acharné ? Comment peut-on encore envisager l’avenir en envoyant sur les routes européennes des paysans migrants ou émigrants vers d’autres contrées que les leurs ? Va-t-on enfin prendre la problématique sous un angle global ? Il est temps, il est plus que temps… mais pas trop tard ! Que veut-on au juste ? Oui, que veut-on ? On veut, forcément, des paysans heureux, des paysans nombreux, qui produisent des aliments de qualité, de bons produits aussi. On revendique que notre environnement soit préservé, soit respecté, tout comme la santé de nos concitoyens. Nous militons donc pour un changement de cap, un changement de Pac. Une Pac qui amorce enfin l’indispensable transition agricole vers des pratiques plus respectueuses des hommes, des sols, de la nature et du cadre de vie. Alors, il est temps. Il est temps que les élus écoutent et entendent la demande des concitoyens, respectent la volonté des peuples pour une agriculture qui emploie, préserve et produise… slogan ancien de la Confédération paysanne, mais plus que jamais d’actualité ! Nous croyons à la force démocratique. Nous avons confiance en nos institutions, à condition que les élus que nous mandatons pour nous représenter et exercer en notre nom l’exercice du pouvoir soient dignes de notre confiance… Alors, chiche, on va y arriver : une Europe au service des femmes et des hommes qui la composent. On prend date et on en recause ? n Laurent Pinatel, paysan dans la Loire et porte-parole de la Confédération paysanne
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Point de vue
Une nécessaire remise à plat des institutions européennes La crise que traverse l’Europe depuis 2009 a contribué à renforcer l’emprise des institutions européennes. Cette montée en puissance ne s’est pourtant pas accompagnée d’une démocratisation de ces institutions ; au contraire, elle participe d’une véritable mise sous tutelle de la démocratie. Point de vue de deux économistes militants d’Attac, Frédéric Lemaire et Aurélie Trouvé, co-auteure de l’ouvrage « Que faire de l’Europe ? Désobéir ou reconstruire ».
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n 2014, les élections européennes se dérouleront sur fond de crise sociale et économique sans précédent en Europe et dans un contexte de défiance généralisée à l’égard des institutions européennes. Cette défiance se traduit par d’intenses débats dans les mouvements sociaux : fautil « en finir avec l’Europe » ? Faut-il rompre avec l’euro ? Désobéir aux institutions européennes tout en essayant de préserver l’intégration européenne? Les débats sont âpres et les divergences s’expriment sur les solutions à apporter à la crise ; par contre la critique sans concession des institutions européennes fait, elle, consensus. Bien avant la crise consécutive à la crise financière de 2008, la Commission, le Parlement et le Conseil, qui forment le « triangle institutionnel » européen, étaient déjà décriés pour leur caractère non-démocratique et leur porosité aux intérêts privés. Dans l’Union européenne, c’est la Commission, instance non élue et sous influence des lobbies industriels, qui a le pouvoir d’initiative législative, c’est-à-dire de proposer des lois (directives ou règlements) dans ses domaines de compétences dont le périmètre s’est étendu au fil des traités. Ces propositions sont amendées et adoptées par le Conseil des ministres de l’Union européenne (qui rassemble les ministres concernés des États membres), seul ou en codécision avec le Parlement européen, selon les domaines. Pour la Politique agricole commune, le Conseil des ministres et le Parlement co-décident, de par la signature du traité de Lisbonne, en 2007. Le Parlement européen, élu au suffrage universel depuis 1979 (à l’origine c’est une assemblée consultative), peut donc intervenir dans le processus législatif même s’il dispose de pouvoirs circonscrits. S’il a permis des victoires importantes, comme le rejet du traité anti-contrefaçon (ACTA) en 2012, il fait lui aussi l’objet d’un lobbying forcené de la part de l’industrie européenne. Il arrive que le Parlement se fasse le vecteur des intérêts des industriels, comme ce fut le cas lors de l’adoption de la directive
Reach sur l’enregistrement des produits toxiques, dont la portée a été largement réduite notamment par le Parlement européen. À ces institutions s’ajoute la Cour de justice de l’UE, qui arbitre les conflits de pouvoir et juge de la conformité de la loi des États à la législation européenne. Ses décisions sont obligatoires et exécutoires. Son interprétation des traités peut être décisive et ses arrêts ont marqué l’évolution du droit européen, souvent en faveur de la libéralisation des économies et parfois au détriment des droits syndicaux. La Banque centrale européenne (BCE) est, depuis le traité de Maastricht, responsable de la politique monétaire européenne de manière indépendante des États membres et des gouvernements. Son seul mandat: lutter contre l’inflation. Elle est dirigée par un directoire d’experts (souvent d’anciens banquiers) sous la responsabilité du Conseil des gouverneurs des banques centrales des États membres. Enfin, c’est le Conseil européen, qui rassemble chefs d’État et de gouvernement, qui arrête les grandes décisions et orientations politiques pour l’Europe et détient, seul, le pouvoir d’engager le processus de modifier les traités.
Montée en puissance Si la critique de ces institutions ne date pas d’hier, la crise que traverse l’Europe depuis 2009 a contribué à lui donner un nouveau souffle. On a assisté en cinq ans seulement à leur montée en puissance, en particulier de la Commission et de la Banque centrale européenne. Elle ne s’est pas accompagnée d’une démocratisation, au contraire, mais d’une mise sous tutelle de la démocratie. Celle-ci s’exprime dans les mécanismes de contrôle des budgets nationaux qui s’accompagnent de sanctions pour les gouvernements qui ne mettraient pas en œuvre des politiques d’austérité et de compétitivité suffisamment drastiques. Cette « gouvernance économique européenne » confère
Le livre « Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire » est disponible pour les comités locaux et adhérent-e-s d’Attac. Prix unitaire public : 14 euros – 8 euros pour les commandes à partir de 5 exemplaires (+ frais de port). Commande à envoyer à :
materiel-militant@attac.org
par ailleurs à la Commission des pouvoirs de contrôle exorbitants. Les parlements deviennent-ils de simples chambres d’enregistrement ? C’est déjà clairement le cas dans les pays surendettés placés sous la tutelle de la Troïka (BCE, Commission et FMI). Ces trois instances non-élues imposent, au nom de la crise de la dette, des politiques désastreuses à des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Irlande. Au sein du Conseil européen, l’illusion de la collégialité disparaît : les pays les plus puissants imposent leurs vues aux plus faibles. La BCE, enfin, a acquis un pouvoir considérable en ces temps de crise de l’euro. Outre sa participation à la mise sous tutelle de plusieurs États de la zone euro, elle dispose à sa guise de la politique monétaire. D’un côté, elle châtie les États, jugés dépensiers De l’autre, elle déverse sur les banques des flots intarissables de liquidités dont celles-ci bénéficient sans conditions ni contreparties, quand bien même une partie de ces liquidités contribue à la spéculation sur les dettes souveraines… Mais la prévenance sans faille de la BCE à l’égard de la finance n’est pas tout à fait un hasard, puisque le président de la BCE, Mario Draghi, est un ancien de la banque controversée Goldman Sachs. Pour certains, on assiste à un changement de nature de la construction européenne avec la crise. Une sorte de mue autoritaire et technocratique qui n’a pour objectif que de maintenir un ordre économique sans avenir. Pour sortir de cette crise, faut-il sortir de l’Union européenne ou de l’euro, ou y désobéir pour les refonder ? Une chose est sûre : aucun changement ne sera possible sans une remise à plat radicale des institutions européennes actuelles. n Campagnes solidaires • N° 295 mai 2014 / 13
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Allemagne « Si tu n’es pas content, rentre chez toi ! » L’Allemagne, leader européen du secteur agroalimentaire, est de plus en plus critiquée pour le prix social de sa réussite économique que payent des milliers de travailleurs, venant souvent de l’Est européen.
A
ppelons-la Silvia. Cette ancienne employée moldave d’un abattoir de la région d’Oldenburg (Basse-Saxe) préfère rester anonyme, de peur qu’on la reconnaisse : « On commençait le travail à 4 heures du matin et on finissait normalement à 16 heures, mais il arrivait souvent qu’on reste jusqu’à 19 heures à cause d’un problème matériel. Nous devions alors attendre la fin des réparations pour rattraper le temps perdu. Je partais de chez moi de nuit et rentrais de nuit, je travaillais six jours par semaine, je faisais tout mécaniquement, c’était vraiment… de l’esclavage. » Effectuées à un rythme soutenu et de façon répétitive, les manutentions sollicitent à l’excès articulations et muscles. La santé de Silvia s’est peu à peu dégradée, jusqu’au jour où elle ne fut plus capable de travailler : « Le matériel était tellement défectueux que la quasi-totalité des produits nous revenait. Nous devions donc effectuer le double de travail par jour, nous portions des charges de viande très lourdes, parfois 20 kg, parfois plus. Je faisais les choses automatiquement. Rapidement, tu ne ressens pas la douleur sur
Agriculture et migrants Depuis fin février, Cindy Thommerel travaille en Allemagne dans le cadre d’un partenariat entre la Confédération paysanne et l’association Échanges et Partenariats sur la question des travailleurs agricoles saisonniers migrants. Une autre mission est menée actuellement dans ce cadre aux PaysBas, dont nous rendrons compte dans un prochain numéro.
Les travailleurs détachés Selon la Commission européenne, un travailleur est considéré comme « détaché » s’il travaille dans un État membre de l’UE parce que son employeur l’envoie provisoirement poursuivre ses fonctions dans cet État membre. Cette catégorie ne comprend pas les travailleurs migrants qui se rendent dans un autre État membre pour y chercher un emploi et qui y travaillent.
le coup, les douleurs arrivent plus tard (…) C’est ainsi que je suis tombée malade. » Une autre employée d’un grand abattoir confie qu’elle n’avait pas pu se rendre chez le médecin alors qu’elle souffrait à la cheville à la suite d’une mauvaise chute : « Je suis tombée des escaliers et me suis tordu la cheville, j’ai demandé à mon chef d’équipe si je pouvais aller voir un médecin. Comme unique réponse, on est venu m’apporter une chaise pour que je continue à travailler… Cela a duré des heures… » La peur de perdre le travail, d’être renvoyé dans son pays, rend cette main-d’œuvre très docile : « Dès que l’on posait des questions sur le temps de travail, c’était synonyme de problèmes. Par exemple, nous ne pouvions jamais connaître notre emploi du temps à l’avance. Je ne savais que la veille si je travaillais le lendemain ou pas. Tous les soirs, nous allions voir si notre nom était inscrit sur le tableau. Si quelqu’un avait le malheur de protester ou de faire un commentaire, tu pouvais être sûr que le lendemain ton nom n’était plus inscrit sur le tableau et que tu pouvais rester chez toi. » Les employés embauchés par les soustraitants travaillent beaucoup plus que leurs collègues directement recrutés par l’abattoir. Ils sont rarement payés pour toutes les heures travaillées et se voient prélever diverses sommes sur leurs salaires (commission, transport, logement…). Une autre ouvrière raconte : « En Lettonie, j’ai vu une annonce dans un journal pour aller travailler en Allemagne. J’ai dû payer mille euros à l’entreprise sous-traitante. À l’abattoir, je travaillais entre douze et quatorze heures par jour mais toutes les heures, surtout celles travaillées de nuit, ne m’étaient pas payées. Nous vivions à quinze dans un appartement prévu pour quatre, je devais payer 185 euros directement au sous-traitant pour ce logement. Dès que j’ai perdu mon travail, j’ai dû quitter immédiatement l’appartement… » Des contrôles ont lieu pour vérifier la conformité des logements, mais comme nous l’explique Audra Brinkhus du réseau Mida (1) : « Il y a des contrôles de la région, mais les entreprises sont prévenues une semaine en avance. Alors, bien sûr, qu’ils ne trouvent jamais rien! Quand ils viennent, ils sont quatre, et dès leur départ, on retrouve vingt personnes dans l’appartement. » Les quelques travailleurs saisonniers agricoles rencontrés, bien que directement
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embauchés par une entreprise de maraîchage, n’ont pas une meilleure situation. Vasile (prénom fictif) a obtenu un contrat de trois mois. Venu de Roumanie, il travaille dans une entreprise avec laquelle il a signé un contrat de travail pour quarante heures par semaine payées 7,20 euros brut de l’heure. Pourtant, il n’est payé en moyenne que 1,34 euro net de l’heure, car il est en fait rémunéré par caisse de légumes triés. « Il m’est impossible de travailler plus rapidement car je n’ai aucun contrôle sur la vitesse de passage des légumes. Les autres années, ça ne se passait pas comme ça, on était payé à l’heure pour tous les travaux. Je me suis déjà plaint auprès de la direction mais ils m’ont répondu : si tu n’es pas content, rentre chez toi ! »
Introduction d’un salaire minimum : le début de la fin du dumping social allemand ? Souvent montrée du doigt suite à de nombreux scandales, l’industrie de la viande allemande a conclu un accord sur la mise en place progressive d’un salaire minimal. Il sera de 7,75 euros de l’heure brut le 1 er juillet 2014, pour atteindre 8,75 euros en décembre 2016. L’initiative voit le jour alors que le gouvernement a prévu d’introduire un salaire minimum généralisé de 8,50 euros brut de l’heure à partir du 1er janvier 2015. L’établissement d’un salaire minimum est une avancée, mais cette mesure n’est malheureusement pas suffisante pour obtenir l’amélioration des conditions de vie et de travail des travailleurs saisonniers. Cela ne réglera pas le problème des heures supplémentaires non payées, des prélèvements exorbitants sur le salaire par les sous-traitants… Nombre d’observateurs attentifs doutent de l’efficacité pour réduire la pauvreté et les inégalités de revenu en Allemagne. Les moyens de contournement (mini-jobs, économie souterraine…) sont nombreux. Selon certaines estimations comme celles de l’institut socio-économique WSI (2), il sera possible de contourner cette mesure et de créer de nouveau un secteur à très bas salaire. Si le gouvernement cède aux pressions du patronat, des dérogations pourraient ainsi être mises en place pour cer-
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Un abattoir à Mannheim, en Allemagne : 60 à 80 % de la main-d’œuvre des grands abattoirs allemands vient d’Europe de l’Est.
tains employés comme les retraités, les étudiants, les chômeurs longue durée, les saisonniers, etc. Deux millions de travailleurs pourraient donc ne pas profiter du salaire minimum. Beaucoup parlent également d’un système mafieux, comme nous l’explique l’avocat Johannes Brinkhus qui propose ses services aux travailleurs le samedi après-midi à Cloppenburg : « D’après les témoignages, nous savons que certaines sociétés de prestations paient leurs employés en liquide. Les employés signent un reçu où n’apparaît pas le montant versé. Des sommes monstrueuses sont ainsi détournées. »
lent pour prendre rendez-vous, mais son travail consiste également à distribuer des tracts traduits en plusieurs langues sur les parkings des abattoirs, afin d’informer les employés de l’existence de cette cellule de conseil. D’ici quelques semaines, elle sera rejointe par un-e autre conseiller-e parlant le bulgare. « Ça nous permettra d’être plus efficaces sur le terrain et je me sentirai plus rassurée, car ce n’est pas toujours évident de
faire seule ce travail. On se ne sait jamais ce qui peut arriver, sur qui on va tomber… Il ne faut pas oublier que nous avons affaire à des réseaux mafieux… » n Cindy Thommerel, (cf. encadré) (1) « Réseau pour la dignité humaine au travail », regroupant 14 organisations régionales, allant du syndicat au groupe religieux. (2) Sous la tutelle de la fondation allemande HansBöckler : http://www.boeckler.de/pdf/p_wsi_disp_184.pdf
Mise en place d’une cellule de conseil mobile pour travailleurs « mobiles » En réaction aux scandales relayés dans la presse, les autorités régionales ont décidé de s’investir pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs étrangers. Un service de conseil mobile a été mis en place en octobre 2013, financé par le ministère de l’Économie, du Travail et des Transports de Basse-Saxe. Il est surtout destiné aux travailleurs étrangers embauchés dans le cadre de contrats de prestations (travailleurs détachés), mais s’adresse également aux travailleurs agricoles saisonniers. Des cellules de conseil existent déjà au niveau national, à travers le programme Faire Mobilität (six centres de conseil en Allemagne), mais la particularité de ce centre de conseil est d’être mobile. Daniella Reim, conseillère, se rend plusieurs fois par semaine, avec son minibus, auprès des travailleurs. Certains l’appel-
De gauche à droite : Matthias Brümmer, président du syndicat allemand de l’industrie alimentaire NGG pour la région d’Oldenburg, Cindy Thommerel (auteure de l’article), Christina Noll, étudiante à l’université d’Oldenburg et Daniella Reim, conseillère au sein de la cellule de conseil mobile d’Arbeits & Leben.
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Cambodge Sucre amer pour l’Europe L’initiative « Tout sauf les armes » veut encourager la croissance des pays les plus pauvres en leur accordant un accès privilégié au marché européen. Mais dans certains cas, les conséquences sur les populations locales sont dramatiques. Comme au Cambodge.
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e 26 février 2001, le Parlement européen approuve l’initiative « Tout sauf les armes », une proposition de la Commission accordant aux pays les plus pauvres un accès au marché de l’Union européenne libre de toutes taxes douanières ou de quotas. Des conditions particulières sont imposées pour le riz, la banane et le sucre, dont la libéralisation sera progressive. Les droits de douane et quotas sur le sucre, en particulier, ne sont ainsi totalement éliminés qu’en 2009. En plus d’être exemptées de droits, les entreprises sucrières peuvent vendre leur production à un prix minimum garanti trois fois supérieur au prix du marché. Il n’en faut pas plus pour que les requins du commerce mondialisé se jettent sur le Cambodge, au climat propice pour la culture de la canne à sucre. Ils peuvent ainsi profiter pleinement de l’initiative européenne. Simple et efficace. Bien sûr, ça ne se fait pas sans dégâts humains, ni sans la complicité de l’État. En 2001, un cadre législatif est établi en matière foncière par le gouvernement cambodgien. Mais les règles sont très mal respectées. Le point de la loi le plus détourné est la possibilité pour l’État de louer des terrains qui lui appartiennent via des concessions foncières économiques (CFE) pour une période maximale de 99 ans. Le but de cette disposition est de permettre aux populations d’acquérir les terres vacantes, mais l’État, corrompu, accorde ces concessions majoritairement à de potentats locaux et groupes agro-indus-
triels, le plus souvent chinois ou thaïlandais, mais aussi britanniques ou américains. Résultat: des paysans qui cultivaient le riz sur ces terres, dans un pays dont la population dépend encore largement de l’agriculture vivrière, sont expulsés pour faire place à de grandes exploitations, souvent sucrières. En 2006, les exploitations de sucre de canne au Cambodge sont quasi inexistantes. Mais en 2012, plus de 100 000 hectares de terres sont cédés par le gouvernement à des entreprises sucrières. La valeur des exportations de sucre bondit de 51 000 dollars en 2009 à près de 14 millions en 2011 (1). La quasi totalité de ces exportations est destinée à l’Union européenne.
Un rapport de force détestable Dans les provinces de Koh Kong, Kampong Speu et Oddar Meanchey, 75 000 hectares de terres ont été accordés aux industriels ces dernières années pour la production de sucre. 12 000 personnes ont perdu leurs moyens de subsistance. Deux villages ont été entièrement détruits : « Ils ont tout brûlé… y compris le riz… », raconte Yem Ry, témoin des exactions dans la province d’Oddar Meanchey. Les paysans tentent quand même de résister. Ainsi, plus de 200 d’entre eux poursuivent en 2012 la compagnie Tate & Lyle en Grande-Bretagne, après que celle-ci les a forcés à quitter leur terre et leur domicile.
Le 25 mars, dans les locaux de Sciences Po à Paris, la première année de la campagne Envie de paysans, portée par la Confédération paysanne, s’achevait par une conférence au cours de laquelle Katia Roux, chargée de mission à l’ONG Peuples solidaires, témoignait de la situation au Cambodge et de l’accaparement par des multinationales du sucre de plus de 100 000 hectares de terres agricoles.
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Mais le rapport de force est détestable. Arrestations arbitraires, menaces, violences des forces de l’ordre et hommes de main des entreprises : « Ils nous menacent avec leurs armes, nous empêchant d’aller là où les tracteurs démolissent nos terres. J’ai essayé d’y aller, ils ont tiré », témoigne Pet Nim. Ayant tout perdu, certaines familles se retrouvent – ironie du sort – obligées de travailler dans les plantations de sucre pour survivre. Pour Peuples solidaires, l’Union européenne a pourtant les moyens de lutter contre ce désastre en lançant une enquête sur les violations de droits humains liées à la production et l’exportation du sucre cambodgien vers l’Europe, et en suspendant les avantages consentis aux produits agricoles du Cambodge tant que dureront ces violations. Malgré les appels de nombreuses organisations de la société civile en ce sens, malgré deux résolutions d’urgence votées par le Parlement européen, malgré les preuves des violations, malgré les témoignages accablants… la Commission européenne ne réagit pas encore. C’est pourquoi l’ONG Peuples solidaires mène depuis l’automne 2013 une campagne afin d’interpeller Karel de Gucht, commissaire européen au commerce, et lui demander de faire cesser ce scandale (2). n Benoît Ducasse (1) Source : www.grotius.fr (2) www.peuples-solidaires.org/appel-urgent-cambodge
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Des paysans polonais en résistance En pleine bataille européenne autour des gaz de schiste est sorti en salle le 26 mars Holy Field Holy War (1), film de Lech Kowalski sur la résistance de paysans polonais contre les projets de forage de la multinationale Chevron.
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epuis juin 2013, des paysans de l’Est de la Pologne, près de la frontière avec l’Ukraine, bloquent un forage de Chevron. Sur les terres de la commune de Zurawlow, ils ont dressé un campement et ont baptisé leur mouvement de résistance du nom d’« Occupy Chevron », en référence aux activistes qui avaient occupé des places dans les cités américaines en 2011. Leur lutte est devenue emblématique des anti-gaz de schiste en Europe parce que la Pologne est aujourd’hui l’un des principaux territoires de prospection des compagnies minières et pétrolières. C’est dans ce contexte qu’est sorti en France, le 26 mars, Holy Field Holy War, film sur la résistance des paysans polonais de Zurawlow. Un an avant le début de la lutte d’Occupy Chevron, le documentariste Lech Kowalski avait longuement filmé les paysans de cette région très rurale. Ils racontent leur désarroi et leur impuissance face à l’arrivée d’une agriculture industrielle qui pollue leur environnement direct par son usage excessif d’engrais, ses épandages gargantuesques de lisier, ses rejets de produits toxiques. Tout autour d’eux, l’air empeste désormais, et les abeilles meurent à petit feu.
Le fait accompli La société paysanne, dans ce contexte déstabilisant, voit un jour apparaître un nouvel ennemi : la colonne de camions vibreurs, mise en branle par des sous-traitants locaux de Chevron. L’événement prend vite la forme d’une catastrophe : riverains mis devant le fait accompli, chantage à l’argent promis par le pétrolier, absence des autorités polonaises, et incivilités multiples des opérateurs du forage, comme dans cette scène quand ils tentent de pomper sans autorisation l’eau d’un champ. Le film s’achève par une scène d’anthologie : une réunion d’information entre résidents et un représentant de Chevron qui tourne au vinaigre. D’abord silencieux, presque passif, le public comprend peu à peu à quel point il se fait rouler dans la farine par le pétrolier. Une voix de protestation s’élève, puis une autre, encore une autre. En Pologne, une cinquantaine de forages ont déjà été réalisés. Une première extraction, à titre expérimental, a été conduite en
Jusqu’à 300 paysans sont venus sur le site occupé contre Chevron. Des soutiens de toute la Pologne et d’autres pays sont venus. De nombreux journalistes étrangers également. José Bové, vice-président de la commission agriculture et développement rural au Parlement européen, s’est rendu sur place en novembre dernier, pour le centième jour d’occupation.
juillet 2013. En mars 2014, le gouvernement polonais a décidé d’exonérer d’impôts jusqu’en 2020 les activités d’extraction de gaz de schiste. Les réserves du pays sont parfois estimées à entre 800 et 2 000 milliards de mètres cubes, mais ces chiffres sont contestés tant les évaluations pétrolières ont été contredites par les faits. Une compagnie basée à Dublin, San Leon – financée notamment par le milliardaire George Soros – a annoncé en début d’année être sur le point d’entamer la production du gaz de schiste en Pologne dans le but de le vendre, ce qui serait une première. Elle a installé un puits de forage dans le bassin baltique, au Nord du pays. Elle compte commencer à exploiter ce gisement dès juillet prochain. « Si vous pouvez prouver que l’exploitation du gaz de schiste en Pologne est possible, cela ouvrira les portes dans d’autres pays », a déclaré son président à Reuters. La perspective d’exploiter ce gaz non conventionnel, dont les forages s’avèrent néfastes pour l’environnement (émission de gaz à effet de serre, pollution de nappes phréatiques, destruction de paysages…) mais lucratives pour ses exploitants aux États-Unis, fait l’objet d’une âpre bataille en Europe. La Commission européenne multiplie les décisions favorables au recours au gaz de schiste : en janvier, elle a refusé d’établir un moratoire, et elle vient
d’exempter les forages de toute obligation d’étude d’impact. Gunther Oettinger, le commissaire européen à l’Énergie, ne rate pas une occasion de manifester son soutien au gaz de schiste. Chaque semaine ou presque, une tribune paraît dans les médias européens, sous la plume d’un patron, d’un scientifique ou d’un élu pour vanter les mérites des hydrocarbures à extraire de la roche mère. La bataille politique des gaz de schiste fait rage. n Jade Lindgaard, journaliste article complet sur : www.mediapart.fr (Gaz de schiste : le film de la bataille de Pologne) Mediapart est un journal d’information numérique, indépendant et participatif. (1) Que l’on pourrait traduire par « Terre sacrée, guerre sainte ». NDLR : Le gouvernement polonais a délivré au total une centaine de licences de prospection de gaz de schiste. Mais si plusieurs géants comme Chevron ou ConocoPhillips poursuivent les explorations, les recherches en Pologne ont été abandonnées ou suspendues par Total, Exxon, Talisman et Marathon Oil. L'Eldorado annoncé n'est pas encore trouvé, ni prouvé.
Holy Field Holy War, un film de Lech Kowalski, sortie en salle le 26 mars Production Revolt, 105 minutes – www.lechkowalski.com/fr – Une précédente version du film a été diffusée sur Arte en 2013 sous le titre La Malédiction du gaz de schiste. Campagnes solidaires • N° 295 mai 2014 / 17
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Bulgarie Les yaourts bulgares de la famille Danchev Le yaourt n’est pas qu’un cliché en Bulgarie. C’est aussi la réalité de paysans qui tentent de vivre de leur métier dans le plus pauvre pays de l’Union européenne.
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L’exploitation se démarque de l’élevage traditionnel bulgare car la famille Danchev est propriétaire de la totalité du cheptel et d’une grande partie des pâturages. Un éleveur possédant en moyenne entre deux et dix têtes, il est beaucoup plus fréquent de croiser un troupeau de plusieurs dizaines de moutons conduit par un berger choisi par les différents propriétaires. En été, les éleveurs profitent ainsi du rassemblement des bêtes pour les faire pâturer sur des zones d’herbages collectives. L’hiver, chaque propriétaire récupère ses moutons pour les nourrir dans sa bergerie. Autre particularité de la ferme, elle est certifiée bio depuis 2010, l’une des rares à l’être
des Bulgares. À l’origine de ce yaourt, la bactérie Lacto bacillius bulgaricus. Japonais et Chinois ont déjà visité les Danchev pour découvrir le secret de fabrication et importer ce produit miracle dans leurs pays. Mais c’est la grand-mère qui détient la recette artisanale, et le secret du goût si particulier et savoureux de ce yaourt « magique », encore meilleur accompagné d’une confiture de fraises sauvages, autre produit de la région. Enfin, la famille vend également localement de la viande pour les deux grandes fêtes orthodoxes de début d’année, la Pâques et la Saint-Georges, où il est de coutume de manger de l’agneau.
ans le centre des Rhodopes, là où les montagnes sont les plus hautes de Bulgarie et les grands pins les principaux résidents, est niché sur une petite colline un village nommé Momchilovtsi. Ici, dans les Balkans, l’élevage de brebis était au cœur de l’organisation sociale et culturelle. Cela remonte à la civilisation des Thraces dont le territoire s’étendait entre la mer Noire à l’est, la rivière Strouma à l’ouest, les Carpates septentrionales au nord et la mer Égée au sud, et se serait épanouie entre 2000 et 300 ans avant Jésus Christ. En 1930, Momchilovtsi comptait encore 20 000 moutons. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 800, dont 500 appartiennent aux Danchev. La famille est une des plus anciennes du village. On y est éleveur de père en fils. Pourtant, cette transmission a bien failli se rompre : Stoicho a fait un détour avant de revenir au pays. Diplôme de vétérinaire en poche, il a travaillé une dizaine d’années dans un laboratoire. Puis il est parti étudier l’agronomie pour se lancer dans la culture de pommes de terre, autre tradition de la Au Sud de la Bulgarie, près de la frontière grecque, la ferme de la famille Danchev, au cœur des beaux paysages des Rhodopes. région favorisée par le climat de moyenne altitude. en Bulgarie. C’est sous la pression du fils Leur prochain défi : rénover et améliorer 2008, c’est la crise, le prix des pommes aîné Dimitar, biologiste de 24 ans, que le le bâtiment de la ferme grâce à un finande terre s’effondre, Stoicho rachète un vieux cap a été passé. Ici, on trait à la main… les cement de la Pac dédié à la modernisation kolkhoze aux abords du village et démarre 400 brebis ! De toute façon, les Karaka- des exploitations. Au programme, réparaun élevage de brebis. 50 hectares de pâtu- chan, race semi-sauvage en voie de dispa- tion de la charpente, reconstruction d’une rages semi-sauvages constituent l’écrin rition, ne supporte pas les machines à traire. antenne qui s’était écroulée et installation d’une bâtisse étroite et longue, aux pierres Pour la transformation, les Danchev pro- d’une fromagerie moderne avec un espace apparentes et à la charpente en bois. Le pay- fitent des conseils du grand père, véritable dédié à la vente… n Paula Schmidt et Nicolas Dabard san choisit quatre races différentes pour bibliothèque vivante de savoirs, grâce à profiter de leur complémentarité : des Kara- qui ils ont pu démarrer rapidement la prokachan (race bulgare à la laine longue) duction de fromage. Paula Schmidt et Nicolas Dabard sont deux pour leur rusticité et leur lait, des Cigay (race Autre spécialité : le lait aigre, plus comjeunes Européens qui, en 2012, à 25 et 29 ans, bulgare aux pattes noires) pour leur viande, munément appelé yaourt bulgare. Il reste ont parcouru l’Est de l’Europe paysanne, en des Ile-de-France (race française à la tête collé à l’assiette quand on la retourne. Sa vélo, durant six mois. Ils ont tenu un blog blanche) pour leur viande et des Suffolk fabrication remonte à l’Antiquité, et il est dont est extrait cet article : http://esterre.org (race anglaise) pour leur lait et leur viande. réputé pour être à l’origine de la longévité 18 \ Campagnes solidaires • N° 295 mai 2014
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Courrier
Après l’hiver D
ans mon île, les oiseaux de mer, épuisés par la succession des tempêtes, viennent s’échouer par centaines, morts pour la plupart, sur les plages. Les poissons, dérangés par les fortes houles, restent cachés dans les grands fonds et mes voisins pêcheurs n’ont pour ainsi dire plus de revenu depuis le début de l’année. Les arbres, déboussolés par un hiver qui restera dans les statistiques comme un des plus chauds jamais enregistré, explosent leurs bourgeons depuis le début du mois de février. Les rivières, saturées du trop plein de pluie, charrient une eau chargée des pesticides et autres intrants distribués avec générosité sur les bassins versants. Il est à parier que nous aurons à subir des arrêtés de fermeture de la pêche de nos coquillages. Depuis la fin de la dernière guerre, nous sommes prisonniers d’une logique économique que nous n’avons pas choisie. Depuis longtemps, ce système ne respecte plus l’intégralité des individus. Nos aïeux ont accepté de quitter leurs terres natales, d’abandonner leur ruralité et d’apprendre la « modernité » au sein des cités. Ainsi s’est installée l’idée reçue du travail disponible, au service d’une voie industrielle, vite kidnappée par les profits de la bourse. Nos grands-parents ont dû faire des efforts surhumains pour apprendre à vivre dans leur nouveau cadre de vie, en déconnexion totale avec leurs racines terriennes. Nous, petits-enfants de ces expatriés du progrès, sommes retournés vers cette terre qui était leur berceau. Nous y avons trouvé des hameaux à l’abandon. Nous y avons initié des pratiques agricoles innovantes, embryons d’un renouveau rural, magma de luttes sociétales toujours d’actualité. Nous n’avons malheureusement pas réussi à enrayer totalement la grande vague de la désertification de nos campagnes. Dans de trop nombreux endroits, la nature est abandonnée. Dans beaucoup d’autres, elle est assassinée, soumise aux délires des « exploiteurs- exploitants ». Et pourtant, nous sommes restés toujours autant dépendants d’elle, ainsi qu’aux premiers jours de l’humanité. Comment s’étonner qu’un simple épisode de mauvais temps engloutisse
Février 2014, prés et champs sous l’eau près de Royan (Charente-Maritime).
des villages entiers, alors que plus personne n’entretient l’arrière-pays ? Comment même s’étonner des conséquences toujours plus fortes des phénomènes météo alors que nous avons supprimé les haies, coupé les forêts, comblé les fossés, drainé les zones humides, nivelé les talus ? Comment s’apitoyer sur le sort d’immeubles bâtis en front de mer qui menacent de se retrouver sur la plage ? Alors même que ces événements dramatiques nous soulignent la futilité de notre technologie face aux forces de la nature, nous répondons primes d’assurance, urbanisation débridée, digues artificielles… C’est notre terre, la terre de nos aïeux et celle que nous laisserons à nos petits-enfants, que nous sommes en train de détruire. Nous devons demander simplement qu’elle soit enfin respectée puisqu’elle est le support même de nos vies. La Confédération paysanne refuse de croire que le petit paysan est devenu inutile. La crise est telle, qu’aujourd’hui nous pourrions presque dire que même s’il ne produit que pour luimême et sa famille, il connaîtrait un destin plus digne que celui du chômeur, du RMIste, de l’intérimaire ou de l’habitant des grandes citées impersonnelles. Combien de temps faudra-t-il encore aux gouvernants de ce monde pour réaliser que leurs choix ont pour conséquence la disparition des jardiniers de la terre ? S’ils ne se réveillent pas vite, nous serons tous, demain, tributaires d’une nourriture imposée par quelques multinationales. Alors, nous ne maîtriserons plus rien de nos destins. À l’heure où nos débats internes ouvrent la voie à un « troisième souffle » nécessaire pour donner du poids à nos luttes, il me semble nécessaire de se réapproprier le lien spirituel qui nous relie à cette terre à laquelle nous sommes tous fiers d’appartenir. Sans quoi aucune lutte, même la plus honnête, n’a de chance de pouvoir changer en profondeur les rapports de l’homme avec son environnement. Voilà, pour moi, la seule véritable porte d’entrée de l’agroécologie. C’est, au final, la survie de toutes les formes de la vie qui en dépend ! n Jean-François Périgné, paysan de la mer sur l’île d’Oléron (Charente-Maritime)
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Tarn-et-Garonne Nutribio : la Conf’ soutient, l’État casse
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e 1er avril, la Confédération paysanne est venue, avec le Modef, porter son soutien aux 45 grévistes de Nutribio, près de Montauban. La société du groupe coopératif Sodiaal produit là des laits infantiles. La semaine précédente, les négociations annuelles obligatoires avaient capoté : les salariés réclamaient une augmentation de 30 euros bruts par mois, tandis que la direction, de son côté, ne leur lâchait pas plus de 23 euros. « On est venu apporter notre soutien à des salariés qui veulent vivre de leur travail. Les paysans luttent contre les dérives de l’industrie alimentaire, qu’elle soit coopérative ou non. La notion de coopérative s’est dévoyée au fil du temps pour devenir une coopération capitaliste. Nous, on est des petits paysans qui essaient de se structurer pour vendre localement et vivre du produit de leur travail. Nous
défendons le commerce de proximité avec le maintien de l’emploi local. On est en quête de sens pour notre survie et pour défendre une agriculture intelligente », commentaient d’une même voix Alain Moles et Christian Bonneville, tous deux porte-parole de la Confédération paysanne. « On travaille dans une coopérative, mais on voit bien que l’humain n’y est plus. L’entreprise a réalisé de bons résultats en 2013. On veut
notre petite part du gâteau », témoignait Fabien Lemaire, délégué CGT. Peine perdue : au bout de dix jours de grève, à 3 heures du matin le 5 avril, 50 CRS dispersait violemment le piquet de grève. « On a lâché prise, c’était notre seule option et on ne voulait pas d’affrontement, témoignait un syndicaliste CGT de Nutribio Montauban On ne peut pas résister à la force. On a le sentiment d’avoir été traités comme des casseurs alors que notre mouvement était pacifique. Pour nous, c’est un échec, mais on ressent un profond dégoût pour les pouvoirs publics qui défendent les plus forts et la dictature de l’argent. » n Source : La Dépêche du Midi
Charente Des fleurs contre la mutagénèse
Jura Encore dix hectares de perdus !
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vec des bouquets de colza plein les mains, non pas tant pour que ça passe mieux, mais pour entrer directement dans le vif du sujet : le 2 avril, une délégation de la Confédération paysanne et du collectif anti-OGM et pesticides de la Charente a envahi le hall de la Direction départementale des territoires (DDT), à Angoulême. Objectif: dénoncer les méfaits de la mutagénèse et faire remonter leurs inquiétudes au ministère de l’Agriculture. Leurs craintes portent sur les colzas tolérants aux herbicides. Leur utilisation à grande échelle rendra plus résistantes à terme les mauvaises herbes censées être éradiquées et il y a, selon eux, « un risque certain de catastrophe écologique ». L’an passé, 1 000 hectares de colza modifié ont été plantés dans l’Hexagone. Ils seront 17 000 hectares cette année. « Bien qu’on ne dispose d’aucune donnée officielle, il y en a très
probablement déjà en Charente, redoute Christophe Fragnaud, porte-parole de la Confédération paysanne. Et si c’est le cas, la dissémination des pollens, en ce moment, va favoriser la contamination. » Le collectif et le syndicat demandent l’interdiction de la mise en culture des colzas tolérants aux herbicides, mais aussi une modification de la loi réglementant les OGM, « pour que la mutagénèse intègre le cadre législatif et soit ainsi évaluée et expertisée, au même titre que la transgénèse qui seule actuellement est ciblée par le texte de loi ». n
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Source : La Charente Libre
a Confédération paysanne était le 5 avril sur le parking du nouveau centre commercial Leclerc de Champagnole. Ce centre vient d’ouvrir, construit sur un terrain à l’origine consacré aux activités agricoles. Les paysans se sont mobilisés pour dire leur opposition devant l’accumulation des centres commerciaux qui ne conduisent qu’à la destruction des terres agricoles. Comme le rappelait Dominique Bouillet dans Campagnes solidaires en décembre 2011 : « Dix hectares de bonnes terres agricoles sont sacrifiées, alors que la cité de 8 700 habitants détient le record du mètre carré de grandes surfaces par habitant (340 m² pour 1 000 habitants, au lieu de 140 en moyenne en France). » Ce 5 avril, Marie Maisonneuve, jeune paysanne à SaintMaur, expliquait aux personnes venues débattre avec les manifestants, que Champagnole avait de nombreuses friches industrielles à valoriser, l’implantation du centre Leclerc aurait pu se faire facilement sur l’un de ces sites à l’abandon. Le maire de Champagnole était présent pour rappeler que toutes les prescriptions du permis de construire avaient été respectées et que « la présence d’un hypermarché sur le secteur de Champagnole correspondait bel et bien à un besoin ». Le directeur du magasin a rappelé que ses achats de produits se feraient majoritairement sur la région et qu’il avait la volonté de référencer un maximum de petits producteurs locaux. Deux logiques difficiles à concilier. n Source : Le Progrès
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Béarn Images d’Épinal dans les Pyrénées
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e 16 avril, la Confédération paysanne du Béarn s’est invitée sur le tournage d’une publicité de la fromagerie des Chaumes (Saint-Albray, Saint-Agur…). « Cette pub, tournée dans le cadre idyllique d’une prairie avec vue imprenable sur les montagnes de la vallée d’Ossau vante les mérites du fromage le “Brebiou”, avec une caméra qui se promène au milieu d’un troupeau de brebis Lacaunes ! », indique la Conf’. Or, le syndicat souhaite « dénoncer la stratégie commerciale de cet industriel (Groupe Bongrain) et l’utilisation de l’image des montagnes et du pastoralisme béarnais pour faire la promo-
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tion d’une race de brebis exogène » et de son élevage intensif. La fromagerie des Chaumes encourage le développement des élevages de race
Lacaune, interdite dans le cahier des charges de l’AOP Ossau-Iraty. Ce dernier n’accepte que les races locales (basco-béarnaise, manechs à têtes noires ou rousses), adap-
tées et en lien avec le terroir. Pour le Béarn et le Pays Basque, la Lacaune est une race industrielle, élevée majoritairement en système hors-sol, sans pâturer à l’extérieur. Ce n’est donc pas cette race que l’on peut apercevoir dans nos montagnes l’été et qui entretient nos estives. Nous sommes loin de l’image d’Épinal présentée par la pub. Le syndicat soupçonne surtout l’industriel de favoriser l’installation de brebis de race Lacaune, « dont la concentration de la production dans quelques gros élevages intensifs est très dangereuse pour l’avenir de nos fermes ». n Source : Sud-Ouest
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Emploi - stages - formation Offres • Ile-de-France - La Confédération paysanne recrute en CDD de 12 mois, un-e chargé-e de gestion et de coordination d’un projet européen: réalisation des événements nationaux (fermes en ville, banquets paysans, interventions dans des écoles, participation festivals, etc.), communication (site, réseaux sociaux, etc.), animation du comité de pilotage, réalisation de comptes rendus réguliers pour la Commission européenne, rédaction rapports finaux - Connaissance indispensable du milieu agricole, des institutions et des politiques agricoles, maîtrise de l’anglais et espagnol - BAC + 5: agriculture, sciences po, communication, relations internationales CDD de 12 mois basé à Bagnolet à pourvoir immédiatement - Salaire de base: 3080 euros bruts par mois - Candidatures avant le 12 mai à l’attention de Marie-Noëlle Orain, à: zmahmoudi@confederationpaysanne.fr • Yonne - Paysan, 33 ans, recherche ouvrier motivé pour l’accompagner sur sa ferme en polyculture-élevage bio, secteur Puisaye - 170 hectares, avec 50 mères charolaises, engraissement, vente directe et diverses céréales - Permis E demandé - Possibilité apprentissage/parrainage, voire association par la suite - Logement sur place envisageable - 06 78 81 23 49 • Aveyron (Sud) - Exploitation de 2 associés en ovins lait, avec une référence de 500 hl pour Société des Caves de Roquefort en bio, 160 hectares (dont 60 hectares de parcours), 300 brebis laitières Recherche associé cause futur départ à la retraite de l’un des associés - 05 65 99 87 06 Demandes • Bourgogne, Centre - JH 26 a, en formation CS agriculture bio, vente et transformation de produits fermiers à Château-Chinon, recherche un emploi sur une ferme, de préf bio - Forte attirance pour ovin laitier av transf, mais ouvert à toute proposition - Exp 4 saisons en élevage
ovin - J’ai le désir de m’impliquer sur une exploitation à moyen, long terme - Projet installation ou reprise - Dispo courant mai - 0622299365 - mercklouis@gmail.com
Association - installation transmission Offres • Charente - Nous sommes deux futures exploitantes en cours de montage d’un projet de reprise d’exploitation familiale (anciennement polyculture-élevage aujourd’hui maraîchage, transformation et apiculture). Nous souhaitons poursuivre les activités de maraîchage et de transformation ainsi que l’apiculture, mais aussi retrouver l’élevage et la production céréalières/légumineuses sur la ferme, avec à terme un accueil tout public. Nous proposons donc à un-e éleveurveuse intéressé de s’associer avec nous sur cette exploitation de 72 hectares dans le Nord-Charente (proximité de Confolens). Nous réfléchissons actuellement au mode de rachat du foncier. Si ce projet vous intéresse: valentine.debiaisthibaud@gmail.com ou sophie.garcia76@gmail.com • Pyrénées-Orientales - Vends ferme caprine transfo from, 65 chèvres à 650 litres, 10 hectares, bâtiments, matériel, clientèle, 315 000 euros, SAU 64 hectares - 06 70 95 44 24 • Allier - Ferme en bio pratiquant la biodynamie, 3 associés, dans les bocages bourbonnais, élevage laitier vaches, chèvres et brebis sur 85 hectares, cherche associè-e ou couple pour nous permettre de respirer un peu et pour partager la vie paysanne - Possibilité de logement sur place, pas d’âge limite, expérience et diplôme ne sont pas indispensables, le plus important, c’est la motivation - 06 45 29 07 83 04 70 56 96 68 • Mayenne - Vends corps de ferme avec grande maison d’habitation (dont 2 studios), bâtiments d’exploitation (hangar et écurie), 5 hectares terres certifiées bio, groupées (dont ½ hectare de vergers pommes de table), puits - Possibilité projet d’accueil ou ferme pédagogique, dans cadre reposant et agréable jeanjacqueline.dubourg@gmail.com - 02 43 06 12 64
• Dordogne - Terres maraîchères à vendre : 2,3 hectares de SAU, irrigable avec le matériel pour 1,5 hectare (pompes, tuyaux, sprinklers) Plus de matériel mais réseau de commercialisation à reprendre : 2 marchés, 60 paniers par semaine livrés - Possibilité d’hébergement en attendant de trouver une habitation proche - Conversion AB possible 05 53 57 47 26 • Dordogne - Vignoble à transmettre. 5,4 hectares de vignes (rouges et blancs) à louer à partir de fin 2014 - Possibilité de louer le chai pour démarrer - Ensemble du matériel de viticulture et de vinification à vendre - Production vendue en majorité au négoce, une partie embouteillée et vendue sur les marchés - Possibilité d’adhérer à la cuma et au groupement d’employeurs - A terme, un terrain à bâtir attenant pourra être vendu au repreneur pour construire habitation et bâtiments d’exploitation - Stage parrainage souhaité 05 53 57 47 26 • Dordogne - 15 hectares de terres à louer, groupées mais pas d’un seul tenant - Une partie pourrait être utilisée pour du maraîchage - Des terrains constructibles pourraient être vendus à proximité - Les propriétaires souhaitent favoriser une installation en AB - 05 53 57 47 26 • Dordogne - Ferme maraîchère à vendre - 6 hectares environ, cultivés en AB depuis 6 ans, une maison d’habitation, un hangar, un séchoir à tabac, 2 200 m2 tunnels froids, une source et réseau d’irrigation ASA, ensemble du matériel de culture/stockage/commercialisation, commercialisation en circuit court (marchés, magasins de producteurs) - 230 000 euros 05 53 57 47 26 • Isère - Recherche associés pour ferme caprine de 80 têtes cornues, 30 hectares - certifiée AB, transformation du lait et vente directe Au 1/01/14, deux associés rejoignent Vincent: le gaec de la Combe du Lin est créé mais la recherche de nouveaux associés se poursuit - En attendant : construction de bâtiments plus ergonomiques, arrivée de poules pondeuses, évocation d’autres projets (pain…) - Ce qui est certain : aspiration à travailler ensemble ou en l’absence de l’autre, partager un outil de travail pérenne et viable économiquement, donnant la liberté de prendre du temps - aremorquerouge@gmail.com 06 84 18 99 58
La guerre des graines La guerre des graines est le nom d’un documentaire qui sera diffusé le mardi 27 mai prochain sur France 5, dans l’émission présentée par Carole Gaessler, « Le monde en face ». Réalisé par Stenka Quillet et Clément Montfort, il traite du problème des semences en France et dans le monde. « C’est un documentaire de très bonne qualité, très argumenté et de ce fait plutôt militant », pour Marie Durand, paysanne en Loire-Atlantique qui y a participé.
À ne pas rater ! Plus d’infos : http://latelelibre.fr/2014/04/05/blog-la-guerre-des-graines
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• Yonne - Recherche jeune ou collectif pour reprendre exploit. polyculture-élevage et maraîchage 25 hectares - étudie toute proposition - possible élevage de chèvres et vente directe - possibilité stage et formation - Possibilité logement gratuit - 06 32 07 69 73 03 86 45 43 81 • Béarn - Ferme à transmettre, 25 hectares de SAU dont 24,5 hectares en prairies - Deux bâtiments comprenant stabulation libre et lieu de stockage pour le fourrage et le matériel - Pas de maison d’habitation - 05 59 30 28 36 • Ain - Exploitation vendant la totalité de sa production en vente directe recherche un-e associé-e pour remplacement - Troupeau de 42 vaches limousines (15 génisses et 15 veaux vendus/an), 70 porcs produits et vendus/an, 5 000 volailles de Bresse produites et vendues/an - L’exploitation dispose de son abattoir de volailles et de sa salle de découpe de viande à la ferme - La production est commercialisée sur les marchés locaux et à la ferme - SAU : 99 hectares Autonomie en alimentation - Ouvert à définir un projet commun selon souhait du candidat - 0474309416 ou 06 07 10 05 34 • Ariège - Un collectif intergénérationnel rachète une ferme (46 hectares, 24 hectares de SAU) en polyculture-élevage - Les buts : sortir la terre de la propriété privée, expérimenter la vie collective, l’autonomie, la pluriactivité (maraîchage, petits élevages, apiculture, arboriculture, artisanat, pain…), l’autoconstruction, l’accueil (séjour et festif) - Cherche un-e paysan-ne (éleveur-se de vaches) en démarche bio/biodynamie, en vue d’une association dans une dynamique collective - 0 561 645 977 fermedebragat@gmail.com • Gers - En vue retraite, louons en priorité 8 hectares de vigne (Côtes de Gascogne), vente de la récolte en vendange fraîche, plus éventuellement 3 hectares de terre, dont 50 ares irrigables - Nous conservons la maison d’habitation - Une serre (46 x 9,60) peut être utilisée comme bâtiment d’exploitation - Accompagnement possible 05 62 06 34 61 (HR) • Vendée - Gaec 2 associés en production laitière bio recherche associé-e - Système herbager pâturage
et foin (séchage en grange) - Transformation fromagère diversifiée (atelier récent), - Polyvalence souhaitée: transformation, élevage (et ou) cultures vente directe (particuliers et restauration collective) tâches administratives gaec.du.deffend@gmail.com • Aveyron - Recherche associé, pour un remplacement dans un gaec à trois associés - 120 vaches allaitantes, une centaine d’hectares - Se présenter de la part de la Conf’ à François Lafon au 05 65 65 78 33 • Mayenne - Urgent : gaec cherche candidats à la reprise en lait bio + transformation fromagère Départ progressif des 2 associés actuels : dans un an et 6 ans environ - 20 km d’Alençon - 115 hectares sur 2 sites dont 60 hectares pâturables - 65 vaches laitières montbéliardes et normandes + 60 génisses de renouvellement 350 000 l quota lait, 220 000 l vendus à Lait Bio du Maine et 130000 l transformés - Mécanisation Cuma importante, bâtiments récents ou actualisés, maison d’habitation rénovée - Ouverts à tout projet chantalsylvainsouti@wanadoo.fr 06 81 53 67 07 - 02 43 03 19 21 • Creuse - Cherchons repreneur pour ferme laitière, cause départ retraite - 60 hectares, 210000 litres de quota, collecté par Biolait - Stabulation pour vaches et génisses Hangars de stockage, dépendances, maison d’habitation sur place - Possibles projets diversification - Paysage, nature et biodiversité préservés - 05 55 65 01 40 delabarre23@orange.fr • Lot - Jardin maraîcher à reprendre, sorti de terre il y a 2 ans sur un terrain certifié bio d’1,4 hectare, en location - 3000 m2 de planches permanentes et 275 m2 de serres - Le lieu se prête à la diversification : pépinière, poules, verger… - Outil de travail à vendre (uniquement dans le cadre de la reprise de l’activité) : 2 serres, 1 tunnel (hangar), système d’irrigation goutte à goutte et micro-aspersion couvrant 3 000 m2, tracteur, rotavator, vibroculteur, houe maraîchère… 06 08 04 85 82 - 05 65 37 68 23 cassandrecezeur@yahoo.fr Demandes • Morbihan - Recherche urgent site pour se réinstaller - Notre cheptel :
5 truies, 1 verrat + les petits à venir, les 2 chevaux, et les 3 enfants Notre objectif est de vendre 1 cochon/semaine au détail, transformés et vendus par nos soins, nos cochons sont élevés en plein air intégral, naissance et engraissement - Nous cherchons un endroit où s’installer avec un petit budget, donc location totale, location-vente, vente d’un bâtiment et 4 hectares et sans maison d’habitation 06 89 12 09 46
Animaux - Végétaux Matériel • Orne - Vend chiots Border collie, nés le 18 mars - Parents excellents (agiles et intelligents) au travail sur troupeaux de bovins (les parents de la mère travail sur ovins) - Il reste deux mâles et deux femelles (200 euros) - Photos sur demande 06 84 98 05 48 weber.florie@gmail.com
Vacances • Lozère - Comme chaque année, du 15 juin au 15 septembre, il est possible à prix modéré de camper ou de louer le gîte à la ferme du Cambonnet, adhérente à Nature et Progrès et à la Conf’, à SaintEtienne-Vallée-Française - En bordure du Gardon - 06 58 30 18 58 cambonnet@aliceadsl.fr http://cambonnet.blog4ever.com
Divers • Sarthe - Paysan, 46 ans, éleveur en bio (esprit agriculture familiale paysanne) cherche compagne associée (même esprit) pour construire ensemble une vie de couple tendre et complice et partager projets au quotidien - 02 43 95 66 00 06 52 13 79 90 • Toutes régions - Paysan très proche de la retraite dispo pour aider fermière, région et situation indifférente - 03 86 47 12 81 • Rhône-Alpes - Activité à reprendre + lieu de vie pour 157 000 euros Fournil bio de 30 m2 en activité depuis 2009 (avec four à bois et eau de source), clientèle fidélisée, maison de 80 m2, matériaux sains, sur 1 500 m2 de terrain, CU de 300 m2 donc possibilité d’agrandissement et de développement - A 100 mètres du bourg, 3 petites villes offrant services, culture, tous commerces à 8 et 12 km, 30 minutes de Roanne, 1 h 30 de Lyon - 06 52 62 36 46
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À RECOMMANDER LE CRÉDIT MUTUEL
LE CRÉDIT MUTUEL, PARTENAIRE DES AGRICULTEURS. Fidèle à ses valeurs de solidarité et de proximité, le Crédit Mutuel place ses clients au coeur de ses préoccupations et de ses actions. Partenaire des agriculteurs et viticulteurs, il est à votre écoute pour vous conseiller et vous proposer une large gamme de produits et services adaptés à vos besoins et à ceux de votre famille. Financements souples, avances de trésorerie, gestion d’épargne : le Crédit Mutuel s’engage à vos côtés.
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Le Crédit Mutuel, banque coopérative, appartient à ses 7,4 millions de clients-sociétaires. * Source : Baromètre de satisfaction des clients agriculteurs réalisé par ED Institut en janvier 2013. CNCM – 88/90 rue Cardinet – 75017 Paris
our son savoir et son indépendance d’esprit, nous connaissons la réputation de Marc Dufumier, agronome et professeur émérite à Agro ParisTech. Aiguillonné par un esprit de vulgarisation, esprit qui respecte le lecteur sans l’abreuver de galimatias, l’expert se fait humble et répond à « 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation ». 50 propositions sont étudiées sous l’aspect du « Vrai » ou du « Faux ». Elles concernent ce qu’il y a dans nos assiettes et ce qui, en amont, a pu amener cela. Par exemple : « La plupart de nos tomates n’ont plus de goût » ou « L’agriculture industrielle vend des produits bon marché », ou encore « Nos races animales sont en voie de disparition »… sont passées au test de la vérification. Les réponses sont claires et distinguent ce qui est scientifiquement démontré de ce que les statistiques, en l’état actuel, sont capables ou pas d’en faire une vérité avérée. Si nous en doutions encore, ce livre très attrayant ne renforcera que le fait de considérer Marc Dufumier comme un allié de nos convictions, ou tout au moins de nos explorations. Clairement engagé pour une agriculture saine et sans pesticide, voire bio, indépendante des grands groupes agroalimentaires ou semenciers, il avance sur le terrain des idées reçues, soit pour les déminer (en fait l’agriculture industrielle coûte très cher, en fait les OGM ne sont pas un gage de progrès…) soit pour les expliquer (par exemple, c’est bien l’eau qui viendrait à manquer pour nourrir correctement l’humanité…). Les confédérés avertis liront des explications simples à des faits relativement complexes, tandis que les néophytes auront la satisfaction de s’y retrouver dans des manipulations plus ou moins honnêtes. À lire, puis à offrir à votre cousine citadine ! n Jean-Claude Moreau, paysan dans l’Indre
« 50 idées reçues sur l’agriculture et l’alimentation », Marc Dufumier, Allary Éditions, 18,90 euros.
À 68 ans, Marc Dufumier est agronome. Enseignant-chercheur, il a dirigé de 2002 à sa retraite en 2011 la chaire d’agriculture comparée et de développement agricole d’AgroParisTech, succédant ainsi à cette responsabilité à René Dumont et Marcel Mazoyer.
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Terre(s) ! L
e 17 avril est la Journée internationale des luttes paysannes, animée tout autour de la planète par la Via campesina, réseau mondial de 164 organisations paysannes et rurales de 73 pays. En Provence, cette année, paysans et autres citoyens se sont retrouvés à l’appel de la Confédération paysanne et de l’Ardear (1) de Provence-Alpes-Côte-d’Azur (Paca), pour labourer et mettre en culture quatre hectares de terres agricoles incultes à Lauris, dans le Vaucluse. « Par cette action symbolique, nous réinvestissons les terres en friche et dénonçons l’accaparement et la rétention de terres agricoles à des fins de spéculation », explique le syndicat dans son communiqué de presse. « Le béton n’est pas le seul à manger de la terre agricole en France et particulièrement en Paca. Des milliers d’hectares sont confisqués à l’agriculture par des propriétaires privés et laissés en friche à des fins spéculatives. Ce sont par exemple 800 hectares à Tourves (Var) ou 1 000 hectares à Puy-Sainte-Réparade (Bouches-du-Rhône) qui ne sont pas exploités, alors que dans le même temps la région perd 9 000 hectares de terres agricoles par an. Dans le Lubéron, 30 % des exploitations ont disparu en dix ans et la surface agricole a régressé de 17 %. Par ailleurs, la moitié des 2 000 agriculteurs du Parc du Lubéron a plus de 55 ans. Certaines communes n’auront bientôt plus de paysans. Dans un contexte de foncier agricole qui se raréfie et se renchérit, quatre hectares de terres détournés de l’agriculture, ce sont 160 quintaux de blé ou 2 000 bottes de luzerne à l’année ou 1 000 bottes de sainfoin confisqués aux paysans qui habitent et nourrissent le village. La loi d’avenir agricole, adoptée par le Sénat le 15 avril, doit maintenant passer en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Pour mettre un frein au changement de destination des sols agricoles, la Confédération paysanne propose dans un amendement d’augmenter à 25 % la taxation des plus-values réalisées par la vente de terrains agricoles devenus constructibles. Face à la force financière de certains, cette loi d’avenir doit parallèlement doter les paysans du droit d’accéder au foncier et renforcer leur droit d’usage. C’est le 17 avril 1996 que 21 paysans du Mouvement des Sans Terres, au Brésil, furent assassinés parce qu’ils réclamaient l’accès au foncier et une réforme agraire. Ce 17 avril est l’occasion de réclamer l’accès à la terre agricole pour les paysans qui s’installent ici comme ailleurs dans le monde, contre toutes les formes de spoliation qui en confisquent l’usage agricole et alimentaire. » n (1) Association régionale pour le développement de l’emploi agricole et rural.