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Le réemploi du béton n’est pas du recyclage

anticiper la loi sur le bilan carbone

–oser le réemploi du béton

à meyrin À l’heure où la pénurie de matières premières s’ajoute à l’urgence climatique, repenser les déchets de construction s’inscrit dans un cercle vertueux. «Le réemploi ouvre de nouvelles voies constructives résilientes, et il est particulièrement inspirant», explique Véronique Favre, associée du bureau FAZ Architectes à Genève.

La démarche est simple, mais elle nécessite un abandon des automatismes, une prise de conscience. Pour y parvenir, la transformation ou la démolition doit devenir de la déconstruction. Lorsqu’une démolition se fait avec une machine qui croque le béton, il est réduit en petits granulats. Le processus est certes rapide et économique, mais il est polluant et très coûteux pour l’environnement. Ce matériau peut bien sûr être recyclé, mais si le béton est scié en morceaux réutilisables, ceux-ci peuvent être réassemblés ensuite, de sorte que les structures mises en place sont comparables à des structures neuves. «Ce serait un grand atout d’avoir une traçabilité des matériaux entrant dans la construction d’un immeuble. Cela nous permettrait d’intervenir en amont de manière

© Paola Corsini, photographe, pour FAZ Architectes, Genève

Les éléments en béton qui composent le dallage du nouveau hangar du Jardin botanique alpin à Meyrin proviennent de divers chantiers de démolition genevois.

proactive. Les dossiers de demandes d’autorisation de construire portant sur des transformations ou des démolitions pourraient aussi relayer les éléments prévus à la démolition afin que ces «déchets» puissent entrer dans un circuit de réemploi, précise-t-elle. «Le recours au béton reste à ce jour incontournable. Le ciment entrant dans sa composition impacte son bilan carbone à hauteur de 70%. Diverses démarches permettent d’améliorer ce bilan, on peut p. ex. remplacer 30% du ciment nécessaire par de la chaux. D’autres approches testent le développement de béton-terre. Des efforts pour produire un ciment moins énergivore sont en cours. Le béton est à un tournant, et ce moment de transition est particulièrement intéressant à vivre.» Nous avons réalisé un premier dallage en béton de réemploi au Jardin botanique à Meyrin (voir photo), un autre est en cours au stade des Arbères, toujours à Meyrin. Célia Küpfer, chercheuse au Laboratoire d’exploration structurale de l’EPFL, est en train d’analyser méticuleusement le bilan carbone de notre démarche. Temps de sciage, distance de transport, machines de pelle, gaz émis par les camions, tous ces facteurs sont pris en compte dans cette modélisation qui compare la solution avec ou sans réemploi. Les résultats préliminaires laissent espérer une économie de plus de 70% de CO 2 par rapport à un dallage nouvellement coulé. «À Meyrin, nous avons l’avantage d’avoir un rayon d’approvisionnement d’environ 5 km, mais le modèle développé par Célia Küpfer montre que le réemploi de béton reste écologiquement pertinent sur plusieurs centaines de kilomètres. Cette donnée ouvre considérablement le bassin de recherche. Le réemploi évite de gaspiller l’eau nécessaire au lavage des agrégats du béton recyclé et préserve ainsi cette précieuse ressource. Réemployer le béton provenant d’un territoire en pleine mutation permet de conserver une trace de son histoire et préserve les milieux naturels dans lesquels les matières premières devraient être prélevées». «Mais pour que ce réemploi devienne plus attractif, des taxes plus élevées de mise en décharge du béton seraient bienvenues; le politique et la législation (voir encadré cidessous) jouent un vrai rôle pour encourager cette façon de construire particulièrement durable, les réflexions sont en marche», souligne-t-elle. «La construction a toujours fait usage du réemploi. Ce n’est qu’autour de la moitié du 19e siècle que démolir plutôt que transformer a commencé à coûter moins cher». Aujourd’hui, la question des déchets devient lancinante. «Le meilleur déchet est celui qu’on ne produit pas. Une fois valorisé, le déchet d’autrui devient un nouvel élément de construction économique et très inspirant. Mais davantage qu’à travers des solutions technologiques, c’est avant tout dans les têtes qu’il faut changer de paradigme».

vers des constructions neutres en carbone

un projet de loi qui est actuellement discuté au Grand Conseil. Déposé le 8 février 2021, ce projet de loi cantonal genevois poursuit les objectifs suivants :

Économie d’énergie et empreinte carbone des constructions (nouvelle teneur) Art. 113, al. 1 (nouvelle teneur)

1–Les constructions doivent être conçues et maintenues: a) de manière à ce que l’énergie nécessaire à leur fonction soit utilisée économiquement et rationnellement; b) de manière à minimiser leur empreinte carbone sur l’ensemble de leur cycle de vie (construction, exploitation, transformation et rénovation, démolition).

Art. 113A Empreinte carbone (nouveau)

1–L’empreinte carbone d’une construction correspond au bilan des émissions de gaz à effet de serre durant son cycle de vie. 2–Les matériaux de construction à faibles émissions de carbone ou capables de stocker du carbone doivent être privilégiés. 3–Pour vérifier le respect de l’article 113, alinéa 1, le Conseil d’État peut exiger que toute construction fasse l’objet d’un bilan carbone. 4–Le Conseil d’État définit par voie réglementaire des seuils d’empreinte carbone maximale à respecter selon l’état de la technique.

le réemploi du béton n’est pas du recyclage

–francesco della casa

«La plupart des gens confondent deux notions totalement différentes: le réemploi et le recyclage», explique l’architecte cantonal de l’État de Genève. «Le réemploi est une méthode de déconstruction et de reconstruction. Ce n’est pas le cas du recyclage», précise-t-il.

«Employer une nouvelle fois signifie que l’on garde la matière et la forme pour un nouvel usage. Le réemploi se soucie des conditions d’approvisionnement et du devenir des déchets. Il se préoccupe de l’épuisement des ressources, il inclut les coûts externes et tout le cycle de vie des matériaux. Il fait en sorte, p. ex., que des éléments de béton récupérés soient découpés à la scie et réassemblés pour devenir les éléments préfabriqués du futur.» «C’est la préfabrication en réemploi qui le caractérise. Il a pour objectif la mise en place de filières de récupération et la diminution des déchets. En revanche, le recyclage intervient uniquement lorsque le réemploi ne s’avère plus possible. Et il ne se soucie pas de ce réassemblage.»

COMMENCER PAR LA FIN

«Avec le changement climatique, l’ours blanc voit fondre sa banquise. Les professionnels du bâtiment doivent eux aussi anticiper la fin d’une rente de situation liée à l’idée que les matériaux seraient une ressource illimitée. Mais le réemploi exige de commencer par la fin, soit un renversement de

Tout être humain a besoin d’objets enracinés dans une histoire. Mais aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont interchangeables.

l’optique habituelle: auparavant, on calculait d’abord le coût d’un projet d’immeuble sans le bilan carbone, puis on pouvait calculer le bilan carbone en aval. Avec la future loi genevoise sur le CO2 (voir encadré), on commence par la fin: on prend pour point de départ le bilan carbone visé, puis on fait les calculs en amont pour y arriver», résume-t-il. Rappelons qu’afin de réduire sa forte dépendance aux ressources importées due à l’exiguïté de son territoire, Genève est le premier canton suisse à avoir introduit l’écologie industrielle de manière explicite dans sa Constitution et dans sa loi cantonale sur l’énergie. «Saviez-vous qu’en raison de cette exiguïté, la taxe de mise en décharge du canton de Genève est la plus chère de Suisse, le canton de Bâle-Ville venant au deuxième rang? Sur cinq tonnes de déchets produits par an, quatre tonnes et demie sont dues au secteur du bâtiment, excavations comprises. Que faire contre le renchérissement continuel des coûts d’élimination des déchets? En produire beaucoup moins!». Cela passe notamment par le fait de privilégier le réemploi et d’accélérer les travaux de rénovation du parc immobilier du canton. «Car nous ne pouvons plus nous contenter d’exporter nos problèmes de logement et de déchets en France voisine et dans le canton de Vaud.»

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