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Dossier
Aménagement du territoire
PLACE AU VERT
Voies vertes, canopées, écoquartiers ou encore renaturation des rivières... Sur le front pour combattre le réchauffement climatique, les communes helvétiques s’activent et multiplient les mesures concrètes.
Autrefois jugé barbare, le concept d’aménagement du territoire captive aujourd’hui les foules. Notamment pour sa dimension durable. Et pour cause, les chiffres annoncés par les autorités (+7°C en Suisse d’ici 2100), les crises successives, mais aussi les récentes intempéries (crues, sécheresses, manque de neige), nous rappellent sans cesse l’urgence d’agir. Afin de répondre à ces enjeux climatiques et aux angoisses grandissantes de la population, les approches urbanistiques se veulent toutes plus variées qu’innovantes. Certaines allant jusqu’à rémunérer les habitants pour les inciter à planter des arbres chez eux... C’est ainsi que nos quartiers mutent peu à peu et changent de visage. Les chantiers s’emparent de chaque coin de rue, les communications se verdissent et le mot durable surgit à chaque nouveau projet. Malgré tout, sur le terrain, certaines communes traînent encore des pieds. Alain Beuret, architecte, urbaniste et expert chez EspaceSuisse, l’association suisse pour l’aménagement du territoire, y voit là un clivage ville-campagne: «Il est évident que les villes sont davantage soumises aux effets du réchauffement climatique que les communes rurales. Même si le besoin d’intervention se fait ressentir partout, il y a des différences de priorités.» Une question d’échelle, ajoute le spécialiste qui y voit également «un manque de moyens limitant pour les plus petites localités». Sans service technique ou encore sans Alain Beuret, architecte, urbaniste et expert chez EspaceSuisse. DR
argent pour mandater des études, ces dernières priorisent ainsi leurs efforts ailleurs. D’autres communes font quant à elles figure de pionnières dans le domaine urbanistique et ouvrent la voie. «Plus avancées, les grandes agglomérations ont montré par divers projets novateurs ce qu’il était possible de faire, voire se sont imposées des objectifs ambitieux via des plans climat rigoureux. Des impératifs qui les obligent désormais à faire vite», poursuit Alain Beuret. Dans les grandes lignes, les cantons de Genève (depuis 2019) et de Vaud (depuis 2020) se sont fixé comme but identique de réduire de 60% leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et visent la neutralité carbone au plus tard en 2050. Genève va y consacrer un budget de 600 millions de francs ces dix prochaines années tandis que le canton de Vaud a affirmé cet été avoir mis en œuvre 10% des mesures opérationnelles présentées dans son plan climat il y a deux ans. Les municipalités adoptent elles aussi, à leur niveau, un plan climat. A l’image de Vevey qui vient d’achever son plan d’action et souhaite réduire ses émissions de 94% d’ici 2040. La Ville d’Yverdon-lesBains planche sur ce même projet depuis fin 2021 alors que Morges vient tout juste de solliciter, fin octobre, un crédit de 285’000 francs pour élaborer sa feuille de route, censée aboutir courant 2025. Mais alors qu’en est-il réellement? Quelles sont les principales actions tangibles, les passages de la parole à l’acte, les preuves de non greenwashing que ces communes appliquent à présent pour verdir leur territoire? Voici un état des lieux (non exhaustif) des pratiques en terres vaudoises et genevoises.
VERT
LA TENDANCE des cours d’eaux remis à la surface Au fil du temps, enfouies sous terre, au milieu des canalisations, les rivières retrouvent peu à peu la lumière avec nombre de projets de renaturation mis sur la table. «Les crues et sécheresses ont permis d’un certain côté que ces mesures, autrefois moins urgentes, repassent sur le devant des priorités», décrit Alain Beuret, architecte et urbaniste, expert chez EspaceSuisse. Si bien que d’autres enjeux climatiques se sont greffés au passage autour de ces cours d’eaux remis à ciel ouvert: intégration de voies vertes, d’espaces de socialisation ou encore de lieux dédiés à la biodiversité. Parmi eux, citons l’Aire et la Drize qui devraient revoir le jour dans le secteur Praille-Acacias-Vernets et servir de voie verte dédiée à la mobilité douce du futur quartier. Un premier tronçon de 450 mètres devrait aboutir d’ici 2025, sur l’ensemble du parcours d’environ 2,5 km devisé à 250 millions de francs. Après les inondations du village de Lully en 2002,
Le réchauffement climatique implique une métamorphose de nos espaces publics, comme ici, à Genève. DR
l’Aire (à l’époque considérée comme la rivière la plus sale de Suisse), avait déjà bénéficié d’une revitalisation et de l’aménagement d’une nouvelle promenade inaugurée en 2016 entre Bernex et Perly. Côté canton de Vaud, un crédit de 27 millions de francs a été prévu pour des travaux de protection et de renaturation de ses rivières fin 2021. Entre autres, la sécurisation de la Grande-Eau sur les territoires d’Aigle et d’Yvorne, des interventions sur l’Ognonnaz et plusieurs de ses affluents suite aux inondations qui avaient touché en 2015 les communes de Blonay, Saint-Légier et la Tour-de-Peilz. Des projets qui feront écho à celui initié en 2005, dans le bassin versant du Boiron, à l’ouest de Morges, qui visait à dépolluer les eaux et qui s’est avéré un succès d’un point de vue biologique. De même, entre Lussery-Villars et Penthalaz, la Venoge renaturée a repris ses aises et attire depuis 2019 truites, batraciens et oiseaux. A un autre échelon, les ruisseaux profitent aussi d’une attention particulière, tels que le ruisseau des Vouattes, à Orbe, dont le lit a été recreusé pour 200’000 francs, le cours du Corjon à Nyon pour un crédit de 350’000 francs ou encore la Bousse à Saint-Légier réaménagée en 2020.
LA TENDANCE à lutter contre les îlots de chaleur Débétonner l’espace public est un processus délicat qui prend du temps. Or, au vu de l’objectif du plan climat de Genève de 10’000 m2 dégrappés par an, des solutions vont devoir être trouvées. En 2021, seuls 1820 m2 l’ont été et à peine plus (1950 m2) devraient l’être cette année. Le but? Rendre leur perméabilité aux sols afin que l’eau puisse s’y infiltrer à nouveau, réduire les risques d’inondation et abaisser la température dans ces zones fortement minéralisées où le mercure grimpe parfois jusqu’à 7,7°C au-dessus de celui des espaces verts environnants. Pour cela, des projets tels que Cool City ont été mis en place. A l’aide de tests grandeur nature, le but est de créer des îlots de fraîcheur en ville. Les écoles ont d’ailleurs été ciblées pour développer ces approches urbanistiques innovantes. La première phase du projet de végétalisation du cycle d’orientation de Sécheron, à Genève, a débuté en 2020 et devrait s’achever en 2025. Tout comme le réaménagement du préau de l’école de Vésenaz qui a fait peau neuve en deux étapes, terminées en 2020, où la cour a bénéficié de plantations d’arbres fruitiers, de fleurs, de mobiliers récréatifs en bois, et où le gazon a remplacé le goudron. Toujours dans l'esprit de Cool City, le parking de Boissonnas a été requalifié dans le quartier des Acacias en étant transformé en pépinière urbaine. D’autres mesures, plus épisodiques, reviennent chaque année comme le projet genevois «de parc en parc», qui offre des sortes de micro-oasis de rafraîchissement pour les personnes âgées, afin de constituer des étapes lors de leurs promenades en ville.
A Frontenex (Genève), une mini-forêt a été créée lors de la construction d’un nouvel ensemble d’immeubles. DR
LA TENDANCE des plantations, parcs et canopées Qui dit verdir les territoires, dit arborisation mais la concurrence avec le foncier, les réseaux et l’espace aérien encombré (câbles électriques, éclairage...) fait rage. Genève, à titre d’exemple, prévoit de planter 150’000 spécimens arborés ces dix prochaines années, sachant que «seuls» 900 l’ont été l’hiver dernier durant la saison des plantations. Un plan d’action pour lequel le canton va investir 500 millions de francs pour renaturer la ville, car si certains quartiers comme Florissant ou Champel sont bien lotis en termes de couverture arborée (30%), d’autres comme les Pâquis, se contentent pour le moment de 5,1%. La Ville de Lausanne a quant à elle un Objectif canopée qui augmentera de 50% celle de son territoire communal. Ainsi, cet hiver (d’octobre à mars), 1373 arbres seront plantés sur la zone. Un dessein que partage la commune genevoise de Chêne-Bougeries, dont plus des deux tiers du territoire sont affectés en zone villas. Avec son programme «+1000 arbres en 10 ans», la commune espère inciter les particuliers à planter des arbres sur le domaine privé, et ce, en les subventionnant jusqu’à concurrence de 3000 francs par plantation. Une autre manière d’agir pour les communes consiste à accompagner des projets privés de quartiers. A Thônex, le quartier Belle-Terre montre la réussite d’une telle collaboration. Cet ensemble immobilier est composé d’un parc forestier urbain, d’un verger, de prairies fleuries, de 500 arbres majeurs aux essences variées qui viennent enrichir naturellement ce programme immobilier. Autre cas de figure avec la promenade publique inaugurée à Frontenex (Cologny) en septembre dernier, où une sorte de mini-forêt composée de 140 bouleaux jouxte deux barres d’immeubles locatifs flambant neufs.
LA TENDANCE à construire des écoquartiers Allier habitat et écologie reste un défi pour les communes. Devant l’étiquette d’écoquartier que l’on retrouve désormais accolée à toute nouvelle construction, Alain Beuret, expert chez EspaceSuisse, se montre nuancé: «Avant tout marketing, ce concept veut tout et rien dire. On parle souvent de panneaux solaires et de géothermie mais un écoquartier ne comporte pas seulement une dimension énergétique, c’est un tout.» Parmi les exemples de ce qui se rapproche le plus d’un écoquartier, la commune de Gland peut se targuer d’en avoir développé le tout premier de Suisse romande. Du doux nom de Eikenott, cet ensemble de 485 logements sur 80’000 m2 a réussi à réunir de nombreux critères durables dès 2014. A Meyrin, l’écoquartier des Vergers a été construit entre 2016 et 2019. Il a su rassembler 30 immeubles, des écoles, cafés, poulaillers, esplanades, potagers urbains, arbres et pistes cyclables en un même endroit. A Lausanne, deux méga chantiers s’affairent à construire l’écoquartier des Plaines-du-Loup et prochainement les Près-de-Vidy. A lui seul, le quartier des Plaines-du-Loup permettra, selon la Municipalité, de réduire de 10% les émissions de CO2 par habitant à Lausanne. A Orbe, le «quartier WWF», de son vrai nom «Gruvatiez», vient d’entrer dans sa phase finale qui prévoit la construction de 18 bâtiments entre 2023 et 2027. Répondant aux critères écologiques très stricts du WWF, cette cité zéro carbone est dès lors très attendue. Autre projet niché au cœur de la campagne d’Echallens, Osiris sera livré au printemps prochain et fera honneur au cadre verdoyant qui l’entoure. Une preuve que les communes rurales font elles aussi des efforts.
L’écoquartier Osiris, à Echallens, regroupera quinze bâtiments au sein d’une
campagne fertile. Fehlmann Architectes LA TENDANCE des voies vertes et balades en ville En quête de «ville du quart d’heure», les communes sont de plus en plus nombreuses à promouvoir la multicentralité (plusieurs centres-villes), la mobilité douce et les espaces de vie urbains. Dans la mise en œuvre, cela se concrétise par la création de voies vertes notamment, de longs corridors aménagés pour recréer les milieux naturels et faciliter la circulation à pied ou à deux roues. Dans le canton de Vaud, cela fait dix ans que l’on parle de ce projet de 20 kilomètres censé traverser le territoire de St-Prex à Pully. La Municipalité de Morges est d’ailleurs allée de l’avant sur ce dossier en octobre dernier, sollicitant un crédit de 600’000 francs auprès du Conseil communal afin de financer sa portion. A Genève, une voie verte a été inaugurée en 2018 mais n’est pas encore terminée. Sur la rive droite, Vernier réalise actuellement un parcours dans le quartier de l’Etang. La voie verte genevoise devrait arriver à bout touchant pour 2027. Les espaces routiers transformés en places publiques et lieux propices à la promenade sont aussi légion de nos jours. La commune de Cheseaux-sur-Lausanne en aura été le précurseur en 2001, lorsqu’elle a fait de l’axe de transit du village une place publique, faisant passer le trafic journalier moyen de 28’000 à 5’000 véhicules. Une revalorisation à 2,8 millions de francs qui aura donné des idées à La Tourde-Peilz qui a réaménagé elle aussi son centre, supprimant les voies de circulation en 2015 pour devenir une place exclusivement piétonne et un espace de respiration au sein du milieu bâti. A Genève, la place du Vélodrome située dans le quartier de la Jonction démontre le succès d’une revalorisation d’un ancien parking en place à utilisation multiple (pétanque, promenade...) menée en 2012. Julie Müller