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Emploi et formation
Hautes études LE FIEF HÔTELIER DE GLION SAVOURE SON 60E ANNIVERSAIRE
Une célébration pas comme les autres a marqué les 60 ans de l’institution renommée qui forme l’élite mondiale de l’hôtellerie et du tourisme.
Pour son jubilé de six décennies, l’Institut de hautes études de Glion n’a pas mis les petits plats dans les grands le 9 mars. Pas non plus d’interminables discours soporifiques lus par des notables centenaires. A la place, pour commencer, une initiation à l’œnologie. Au programme, la dégustation
«à l’aveugle» de deux cépages, en compagnie de Paolo Basso, enseignant à Glion.
Pour cet Italo-Suisse, vainqueur, en 2013, du concours du Meilleur sommelier du monde, la véritable exploration ne devait se faire qu’à l’odorat et au goût. Pourquoi?
Mais parce qu’autrement notre appréciation du vin allait être influencée par son pédigrée visuel. Qui oserait critiquer une étiquette ou un producteur prestigieux sans passer pour un rabat-joie ou, pire, un palais à piquette? Commencée avec du vin blanc suivie du rouge, la dégustation animera la petite assemblée des vrais et faux connaisseurs autour de termes savants: fruité, épicé, boisé, nerveux, rond en bouche, etc. Avant de passer à la deuxième partie de la soirée, les «masques vont tomber». Le blanc, «Une touche de fantaisie», était du Lavaux et le rouge, «Il rosso di Chiara», du Tessin.
Cap ensuite vers le cocktail aux bouchés chaudes et froides, salées et sucrées, concocté par le chef Stéphane Décotterd. Dans une ambiance détendue de bar chic, les étudiants de Glion, pour la plupart étrangers, glissaient entre la cinquantaine d’invités avec leurs plateaux de petites bouchées à servir. Au même moment et à la recherche post-Covid du temps perdu, les hôtes savouraient la compagnie physique, enfin retrouvée, de leur cercle de connaissances. Car il faut dire que Glion, bien que multiculturel, semble être un petit microcosme avec ses codes et réseaux bien à lui, destiné à une frange assez fortunée de la population mondiale. Et pour cause, le coût d’une année d’études s’élève à plus de 30’000 francs suisses auxquels s’ajoutent les 10’000 pour ceux qui logent sur place.
Le passage à l’anglais Inaugurée en 1962, cette école hôtelière privée aura dès le départ comme cible le monde du luxe. Pas étonnant donc que ses fondateurs – Walter Hunziker et Frédéric Tissot – aient choisi de l’installer dans les murs de l’ancien Grand Hôtel Bellevue à Glion-sur-Montreux. Investissement auquel prendront part des actionnaires de taille – banques et Swissair – avec, comme objectif, le développement de la filière naissante du tourisme de masse. Eriger la Suisse en un centre international de compétence se fera pas à pas dès lors. Il faudra trente ans pour bâtir et consolider la réputation
La directrice générale Georgette Davey lors de la soirée anniversaire le 9 mars. GIHE
Il a fallu trente ans pour bâtir et consolider la réputation de cette école
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De Glion, une vue exceptionnelle sur le lac Léman et les Alpes. Glion
Institute of Higher Education
de cette école, avant d’opérer un virage décisif en 1992. Francophone jusque-là, l’institution va progressivement adopter l’anglais comme langue d’enseignement. Ce choix va accélérer l’afflux d’étudiants des quatre coins de la planète. Ainsi, les promotions passent d’une petite dizaine d’étudiants originaires de cinq pays en 1962, à plus de 1500 provenant d’une centaine d’Etats en 2022. Cette communauté va être réunie dans l’Association des anciens élèves (Alumni), qui à elle seule va former un puissant réseau international dont les 15’000 membres à ce jour occupent, pour la plupart, des positions à responsabilités. Par ailleurs, depuis l’évolution du statut de ce centre de formation passé d’école hôtelière à un Institut des hautes études en 2002, l’horizon des débouchées s'est élargi significativement. Aujourd’hui, les bachelors et les masters proposent des cursus dans d’autres secteurs du luxe que celui du seul tourisme. Idem quant à la gestion et à la finance, moins focalisées sur l’hôtellerie uniquement. Parmi d’autres recettes gagnantes du célèbre Glion, le choix des invités et des professeurs, toujours prestigieux, dont le rayonnement rejaillit sur la réputation des lieux. Ainsi, en 1995, Glion organisait une Glion, bien que multiculturel, semble être un petit microcosme avec ses codes et réseaux bien à lui. GIHE rencontre avec le lauréat du prix Nobel et dernier président de l’Union soviétique Mikhail Gorbatchev, et en 2020, l’institution s’associait avec l’illustre cuisinier et chef d’entreprise français Alain Ducasse pour former ses élèves.
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Trois campus Actuellement, trois campus – à Glion, Bulle et Londres – forment des étudiants à l’année. Ce dernier, inauguré en 2013 à l’Université de Roehampton (RoyaumeUni), a ouvert encore une autre page dans l’histoire du mastodonte suisse qui a été racheté par la multinationale Eurazeo, entreprise d’investissement française. Dirigé depuis par la Britannique Georgette Davey, Glion est devenu une sorte d’université privée, et a été classé en 2021 au deuxième rang pour sa bonne réputation auprès des employeurs par QS World University Ranking. A part ces avantages professionnels, un autre, plus personnel, motive certains étudiants à intégrer la vénérable institution. «Ma cousine a rencontré son mari ici. Aujourd’hui, ils dirigent ensemble le groupe hôtelier de ses parents», confiait une élève du centre il y a quelques années. Peut-être a-t-elle trouvé aussi le bonheur dans ces murs du prestige. Anna Aznaour
Management PEUT-ON ÊTRE FÉMINISTE ET ENGAGER UNE FEMME DE MÉNAGE?
Malgré une année encore marquée par la pandémie, les volumes investis dans le segment commercial dépassent toutes les attentes avec notamment des montants de transactions de plus en plus élevés.
Peut-on être féministe et déléguer nos tâches domestiques? C’est la question que s’est posée la journaliste Rose-Aimée
Morin. Tout commence avec la lecture d’un livre, Là où je me terre (Ed. du remue-ménage). L’autrice, Caroline Dawson, y raconte l’immigration canadienne d’une famille qui fuit le Chili de Pinochet. Si le quotidien est dur pour tous, c’est surtout celui de la mère de famille, réduite à faire des ménages, qui bouleverse. Et pour cause. Derrière ce récit se cache une histoire vraie. Celle de la mère de l’autrice qui, toute sa vie, a travaillé pour des femmes célèbres. «Des écrivaines et des politiciennes, confie
Caroline Dawson. Dans l’ombre, elle leur permettait de se libérer de leurs tâches domestiques pour effectuer leur travail.
Mais pendant ce temps-là, si ma mère tombait malade, elle perdait son salaire.
Si elle devait rester à la maison pour ses enfants, elle n’avait pas de congé payé.
Si sa cliente partait en vacances pour un mois, elle n’avait plus de revenus.» Ses employeuses étaient pourtant des féministes engagées.
«Il y a quelque chose qui ne va pas si, du haut de nos diplômes et de nos privilèges, on juge que notre temps est assez important pour embaucher une femme moins privilégiée que nous, question qu’elle exécute ce qu’on n’a pas envie de
«Chez nous, il n’y a que deux catégories de salariés: les «seigneurs», soit ceux qui nettoient, et les autres, qui sont à leur service»
faire», s’indigne Camille Robert, autrice de Toutes les femmes sont d’abord ménagères (Ed. Somme toute).
Dysfonctionnements Pour résoudre ce dilemme, Caroline Dawson a eu recours à une entreprise qui s’occupe de verser des salaires stables aux employées, de leur offrir des vacances et des congés maladie. «Ne pas être l’employeuse directe était la seule façon de me réconcilier avec l’entretien domestique», explique-t-elle. Cette solution est, bien entendu, imparfaite. On le sait, il arrive qu’une entreprise se comporte aussi mal qu’un particulier. Ainsi, une enquête du Blick a récemment dénoncé les dysfonctionnements d’une plateforme spécialisée dans les ménages privés. Horaires de travail expansifs, heures supplémentaires non payées, demandes répétées de venir au bureau lors d’arrêts maladie figuraient parmi les griefs soulevés. Comment s’assurer de l’éthique des entreprises qui emploient nos agents de propreté? «Le poisson pourrit toujours par la tête», dit un proverbe chinois. Autrement dit, à l’origine d’un dysfonctionnement au sein d’une organisation, on trouve toujours ses dirigeants et managers. Ceux-ci donnent le ton. Posés, équilibrés, justes: ils fédèrent et génèrent un climat positif. Instables,
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Nettoyer peut aussi permettre de contribuer au bonheur. LDD
irascibles, inéquitables: ils créent une atmosphère délétère. Il y a ainsi un véritable trickle-down effect (effet de ruissellement) des valeurs. Lorsque le sommet de la pyramide est bienveillant, l’attitude du dirigeant se répand chez les cadres intermédiaires qui se montrent à leurs tours bienveillants envers leurs équipes, lesquelles mettent ensuite du cœur à l’ouvrage. Ces renseignements peuvent être facilement obtenus en consultant les avis déposés sur des sites web tels que Glassdoor, où les anciens employés évaluent sans langue de bois leur environnement de travail. C’est en consultant ces avis – et non les communiqués des directeurs Marketing qui martèlent les «valeurs» de l’entreprise – que l’on découvre le vrai ADN d’un employeur.
Le plus beau métier du monde Certains argueront que l’on ne devient pas agent de propreté par plaisir et que ce travail reste ingrat, même lorsque l’employeur est bienveillant. Thierry Pick balaye ces idées reçues. «Lorsque les conditions sont bonnes, les agents de nettoyage tirent une grande satisfaction et fierté de leur travail.» Avant de fonder en France son entreprise de nettoyage Clinitex en 1980, Thierry Pick a commencé par laver des sols et nettoyer des toilettes. «C’est le plus beau métier du monde», clame-t-il. «Etonnant, non?», dirait Pierre Desproges. Pourtant, à y regarder de plus près, cela fait sens. Véritable tornade blanche, Thierry Pick a très vite été reconnu par ses clients qui lui ont témoigné considération. Le bouche-àoreille, la meilleure des mesures de marketing, a fait le reste. Unique salarié de son entreprise, il s’est rapidement trouvé débordé. La suite est connue des professionnels du management. La croissance de Clinitex, véritable référence du «management libéré», a été fulgurante. Aujourd’hui à la tête d’une équipe de plusieurs milliers de collaborateurs, Thierry Pick assure que son succès – 98% des salariés se déclarent heureux ou très heureux – tient à deux conseils prodigués par son père, lui-même entrepreneur: «On ne peut pas travailler comme on avale une purge (médecine infecte à ingérer)» et «Tu fais semblant de me payer, je fais semblant de travailler». «Dans sa première image, papa voulait me dire que la notion de plaisir au travail est un prérequis pour la qualité du travail fourni. Dans la seconde, il m’invitait à me pencher sur le sujet de la reconnaissance», étant précisé que celle-ci n’est pas que pécuniaire. «J’ai compris très tôt que la clé du succès de l’entreprise serait le bien-être de mes agents de propreté, raison pour laquelle il n’y a que deux catégories de salariés chez Clinitex: les «seigneurs», soit ceux qui nettoient, et les autres, qui sont à leur service.» A noter que Thierry Pick, ex-cancre diplômé de l’école de la vie, comprend la nature du travail de ses équipes. Difficile d’exiger des journées à rallonge et de refuser le paiement des heures supplémentaires lorsque l’on a soi-même parcouru «une lieue dans les mocassins» de l’autre, comme l’indique la prière sioux... De quoi rassurer les féministes qui font appel à ses services. Amanda Castillo