Carole Daussin
SÉRIE SENSIBLE
2
SOMMAIRE
p6
p 17
Introduction
Piqûre de Rappel
p8
p 25
Photographies
Références & fiches de lecture
p 12 p 27 DÉFINITIONS Collection Inventaire Encyclopédie Atlas Index bestiaire Série
Bibliographie
3
4
Le hasard, et la sensibilité de chacun, nous laissent des photos traduisant l’étrange banalité de l’ailleurs, où le souvenir et l’avenir se mêlent.
5
INTRODUCTION
Après neuf mois de recherches, une collection de références commençait à se lire. Mais comment faire un lien entre ces photographies ? Traiter de la photographie sans être un spécialiste permet à la fois de ne pas avoir d’aprioris, mais restait tout de même inquiétant. Par où commencer, où aller, que produire, comment se positionner ? Autant de questions qui se sont peu à peu atténuer avec le temps et les lectures. De ces lectures sont ressorties des pistes, des idées.
6
Il semblait tout d’abord important de traiter de la notion de la transparence de la photographie. Comme le disait Pierrot le fou : « C’est pas du sang, c’est du rouge. » La photographie est-elle transparente aux choses, ou s’opacifie-t-elle pour ne signifier qu’elle même ? Et si la photographie n’était ni transparente ni opaque, mais les deux à la fois ? La photographie signifierait le monde, et serait un monde en soit. Ainsi on peut se demander si l’image photographique est une preuve. Est-ce qu’elle traduit, ou trahit ? Il semble que ce soit cette ambivalence, de traduire ou trahir, qui fasse la personnalité de l’image photographique, son essence. La capacité, pour la photographie, de capter le monde. On pourrait ainsi dire que la photographie est transparente aux choses. La photographie « ne reproduit pas le visible, mais rend visible », comme le disait Paul Klee en
parlant de l’art en général. Afin de mieux comprendre cette notion, citons ici quelques mots de Paul Klee, tirés de l’ouvrage Credo du créateur : « Partis des éléments plastiques en passant par les combinaisons qui en font des êtres concerts ou des choses abstraites tels les chiffres ou les lettres, nous aboutissons à un cosmos plastique offrant de telles ressemblances avec la Grande Création qu’il ne faut plus qu’un souffle pour que l’essence de la religion s’actualise ». En d’autres termes, l’art récréatif du monde se fonde sur l’emploi rigoureux d’un vocabulaire plastique fait de signes soigneusement élaborés. L’art n’est fait que de signes mais ils ne prennent sens (deviennent symboles) que lorsqu’ils sont combinés de façon dynamique. On peut également se poser la question de la série dans l’art photographique. Si l’image n’est pas un mensonge sur la réalité, mais un bout qui s’en dégage, alors le fait de mettre bout à bout des images permettrait de former quelque chose, une connaissance. La photo, elle-même, ne renvoie pas à une réalité, c’est un morceau abstrait. Mais la série, la collection d’images, elle, permet de créer une réelle connaissance. Dans un second temps, à la relecture de cette première photo, la série lui rend tout son sens et la sort de l’abstraction. Il semblerait que ce qui importe n’est pas chaque photo en soi, mais la façon dont la série rend réellement possible de transmettre une façon de voir. Et ce,
notamment par des comparaisons. Il peut s’agir d’une classification comme dans le travail des Becher. Ces derniers disaient à propos de la série : « cela permet de faire une classification, un établissement de parenté, d’élaborer des séries de types ». Un second point qui caractérise la série n’est pas l’entrelacs ou le désordre qui peut régner entre des photographies. La série se caractérise par la juxtaposition ou la succession des éléments se combinant par reproduction. Tel un arbre généalogique, avec ses filiations et connections. Rudolf Schawarz définit la série comme un tout clos constitué de pièce de même essence et coupé de l’extérieur. Pour finir, traitons de la photographie comme d’un lieu d’échange. Denis Roche disait : « La vie est une succession de déplacements. La photographie permet de montrer, de cadrer, de visualiser tout ces endroits : je suis ici, j’ai été là ». Prendre une photo, impliquer un endroit, mon endroit en tant que photographe. On ne peut pas prendre une photo à distance, à endroit où l’on ne se trouve pas. Ainsi, toute photographie est autobiographique. En ce sens, la photographie est un lien entre le photographe et le lieu, l’endroit, le monde photographié. « Il a pris cette photo, il était là, il a marqué sa présence en se figurant dans l’image ». Par la photographie on assouvi notre envie de retranscrire, de partager, de mettre en valeur, de fixer à jamais sur le papier pour
que ce ne soit pas oublié. Le lieu d’échange de la photographie, de la photographie autobiographique, se voit renforcé, lorsque le photographe cherche à marquer sa présence sur le papier, en apparaissant par le biais du miroir. Alain Rempfer nous dit que le miroir est un passage vers l’ailleurs, vers un monde imaginaire. Le miroir est le reflet de la réalité, son double, son imitation inversée, sa parodie. Finalement qu’est ce qu’un reflet ? Il s’agit peut être de l’acte de superposer le réel, et un contre réel. A ce point de la réflexion il est important de définir cette notion de réel. Ludwig Wittgenstein affirmait que : « le monde est la totalité des faits, non des choses. Les états des choses sont présupposés par les faits comme des possibilités d’actualisation. Le fait est un état de choses qui se réalise, un possible qui devient réel ». Il y a donc un écart entre la « réalité construites » (les idées reçues, l’ordre social établi) et le « monde » (le réel insaisissable) (Luc Boltanski). Une fois ces notions en mémoire, les références apparaissent sous un autre jour. Certaines misent de côté sont finalement réintégré à la collection. Et inversement, d’autres références n’ont définitivement plus leur place dans ce travail. Cette collection, cette série de références permet à sa simple
7
lecture de comprendre ce goût pour la photographie autobiographie, photographie comme un lieu d’échange et de connaissance. Cela permet également de prendre conscience de ce qui a déjà été fait, ce que cela a produit et ainsi réfléchir à une future production photographique.
8
Peu à peu s’est révélé l’envie de faire un guide sur la ville de Paris, arrondissement par arrondissement. Paris tel que le représentent les guides touristiques, n’est pas le même que mon Paris. « Mon Paris », je le vois comme un coffret recelant de mystères et d’une mixité surprenante. Je recherche donc à créer un guide sensible cherchant l’inattendu. L’inattendu se trouvant dans l’utilisation d’un miroir à doubles inclinaisons. Ce miroir circulaire constitué de deux facettes légèrement inclinées permet d’entrevoir des perspectives différentes en fonction de la position de la personne. Ce processus permet d’avoir simultanément trois visions de Paris, comme si nous avions des yeux d’arrière la tête, et qui ne rêverait pas d’avoir un regard à 360° ? Une réalité augmentée qui permet de voir Paris sous un autre angle, sans aucune sorte de hiérarchie. Un guide pour révéler la mixité de la ville de Paris et oublier les clichés. Il cherche à interroger, au delà de son aspect formel et référentiel, les notions d’appartenance, d’identité et de mixité. À travers ces photographies, on explore
la ville de Paris, et le rapport entre l’homme face à cet environnement urbain. Il ne s’agit pas d’une narration mais d’un espace de projection, explorant l’idée qu’un lieu à de multiples facettes, personnalités, histoires… Ces explorations visuelles - parfois picturales à la recherche de motifs, parfois émotionnelles – sont alimentées par le désir de pénétrer dans le territoire. Un voyage contemplatif en immersion profonde dans les épaisseurs de la ville. Par le biais de cette série, on réalise combien les notions de barrières, de frontières, de pays et d’identité se modèlent les uns par rapport aux autres. On se pose la question de l’appartenance à un paysage, du positionnement dans la ville, de la disposition des éléments qui nous entourent, du rapport à l’urbain, de mon rapport à l’urbanité parisienne. L’inattendu de ce guide de Paris, réside entre autre dans l’acte photographique. En parlant d’acte photographique, on peut se demander ce qui entre en jeux. Qui prend véritablement la photo ? Roland Barthes dit que l’appareil photographique est bien plus qu’un simple outil. De son expérience de sujet, de « photographié par », Roland Barthes dit que la photo ce n’est pas que l’œil, mais c’est aussi le doigt. Le déclic de l’objectif et le glissement métallique des plaques. Ce mouvement transforme un sujet en « objet ». Dans l’acte photographique, l’appareil photo tient
un rôle primordial. L’appareil photo, outil dans un premier temps, devient acteur à part entière de l’acte photographique. Il semble que ce soir finalement l’appareil photo qui prend seul la décision de la photo. En effet, lors de mes explorations de paris - appareil photo en main, face au miroir - entre le moment où j’identifié une vue intéressante dans le miroir, et le moment où la photo était prise, des situations inattendues apparaissaient. Je découvrais dans la photo, un reflet dont je n’avais pas soupçonné l’existence. On prend une image d’un miroir. Il s’agit finalement d’une image dans l’image, produite sur le miroir. On perçoit à la fois le réel et son reflet. Le geste photographique prend ici tout son sens. Inattendu et vertigineux, à l’instar du vertige de Narcisse. Ce guide de Paris cherche à suivre différentes pistes, il essaye de révéler différents aspects de la photographie qui m’ont interpellé lors de mes recherches. Mais s’il ne fallait choisir qu’une piste, définir une thématique, se poser une seule question, ça serait celle-ci : « Qu’est-ce que l’art et la photographie? Et que peuvent ils apporter à notre pratique de l’architecture ? ». Il s’agit peut-être de la contemplation de soi. La contemplation en soi. La contemplation (du grec theôria : je regarde, je contemple) est une application de l’esprit à voir et observer certaines réalités. Gilles Deleuze dit : « quand je me contemple moi-même, je me
remplis d’une image de moi-même par laquelle je produit ». Ici, dans cette production photographique, Paris est comme support, l’œil comme outil, la photographie comme représentation. Et le résultat est une contemplation en soi, un autoportrait à travers des paysages. « Cette ville m’appartient et je lui appartiens, presque comme si j’étais un fragment fluctuant de son immense corps. Je suis obsédé par le besoin de connaître son corps. Une nécessité d’interpréter ses traits et ses parties plus cachées. Mais aussi ses lieux connus et ses aspects célèbres. Entre nous deux, il y a un paysage ouvert qui nous permet un échange continu de perceptions, un point de vue spécial » Gabriele Basilico.
9
PHOTOGRAPHIES
10
11
DÉFINITIONS
12
COLLECTION
INVENTAIRE
D’une manière générale, une collection est un rassemblement d’objets.
L’inventaire (latin inventus) est une liste exhaustive d’entités considérées comme un patrimoine matériel ou une somme de bien afin d’en faciliter l’évaluation ou la gestion. Il est également effectué à des moments particuliers : fin d’année, début de bail, fin de vie, saisie immobilière… Il peut aussi considérer un patrimoine naturel vivant (flore, faune, écosystème…).
Le mot collection peut désigner : • Un regroupement d’objets correspondant à un thème et l’activité qui consiste à réunir, entretenir et gérer ce groupe. • Les collections publiques de biens culturels. • Une collection est un ensemble d’articles de mode crées pour une saison. • En mathématiques, une collection est une famille d’objets, elle peut comprendre un ou plusieurs exemplaires d’un même objet, par opposition à la notion d’ensemble, dans lequel il ne peut y avoir au plus qu’un exemplaire d’un même objet. • Dans le domaine de l’édition, une collection est un ensemble de médias présentant des caractéristiques communes sur le plan matériel et intellectuel. • En médecine, une collection est une poche de liquide collecté dans une cavité de l’organisme.
Pour une bibliothèque ou un centre de documentation l’inventaire consiste à établir la liste des documents possédés par l’établissement. Dans les archives, inventaire désigne un type d’instrument de recherche décrivant chacune des pièces qui constituent un article. L’autre type d’instrument de recherche en usage dans les archives, le répertoire, décrit l’ensemble du contenu d’un article.
ENCYCLOPEDIE Un encyclopédie est un ouvrage ou un ensemble d’ouvrages de référence visant à synthétiser toutes les connaissances ou une partie déterminée de celles- ci. Une encyclopédie moderne se reconnait à l’importance qu’elle accorde à l’établissement de connexions entre les divers domaines du savoir, ainsi qu’à un exposé critique et impartial des faits et des idées. Son organisation interne a longtemps été purement thématique. Le classement alphabétique, qui apparait dans un dictionnaire au 10e siècles, ne s’imposera définitivement qu’au 18e siècle. Organisation thématique et classement alphabétique peuvent être utilisés de façon croisée en intégrant un ou plusieurs volumes d’index à un ouvrage thématique. Les finalités ont varié au fil du temps : « au Moyen Âge comme dans l’Antiquité, en Chine comme dans l’Islam classique, l’encyclopédie moralise, instruit, éduque, intègre socialement ; après le XVIIe siècle, elle ne veut plus qu’informer2». Avec l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, une étape majeure est franchie, qui fait d’une encyclopédie un ouvrage
de référence, synthétisant le savoir existant et dont la consultation est aussi efficace que possible. L’état des connaissances étant sans cesse en train d’évoluer, une encyclopédie est plus que jamais un projet ouvert, en évolution permanente. En principe, une encyclopédie est différente d’un dictionnaire, car ce dernier a pour objet le sens et l’emploi des mots d’une langue, et est donc intraduisible en tant que tel, alors que l’encyclopédie traite des choses ou réalités du monde et de la culture. Cette distinction n’est toutefois pas rigide, car un dictionnaire doit nécessairement aussi « traiter des choses dans la mesure où cela est nécessaire pour déterminer la signification et l’usage des mots3», et bien des dictionnaires modernes accentuent leur caractère encyclopédique, tel le Petit Larousse illustré, afin d’offrir le maximum de renseignements en un seul volume. Dans leur acception la plus large, « dictionnaire » et « encyclopédie » peuvent l’un et l’autre désigner un livre de proportions modestes portant sur un domaine restreint, le dictionnaire désignant alors une collection de notices en ordre alphabétique.
13
ATLAS
INDEX
En géographie :
•
•
L’atlas géographique est un recueil de cartes géographiques. • Un atlas linguistique est un atlas regroupant des cartes linguistiques. Un atlas ornithologique est une étude sur la répartition géographique des oiseaux
•
En sciences et techniques : Un atlas est un logiciel de cartographie pour les sous traitant d’ERDF et GRDF. • 14
•
•
•
Un index est une liste ordonnée. L’index terminologique est utilisé pour lister les termes significatifs utilisés dans un ouvrage, avec renvoi aux pages auxquelles ils sont utilisés. L’Index est le nom d’une liste de livres interdits par l’Église catholique romaine et française notamment au XVIIIe siècle. En effet, les satires de la société sont courantes en ce Siècle des Lumières et de nombreux ouvrages sont mis à l’index, comme De l’esprit des lois de Montesquieu. L’index est un des cinq doigts de la main chez l’homme. En informatique, un index est une liste ordonnée qui permet un accès rapide à un enregistrement spécifique d’une base de données à partir de la valeur de l’un des éléments de cet enregistrement. l’index est le nom donné familièrement à l’indice des prix à la consommation dans plusieurs pays. En sélection animale, l’index est une estimation de la valeur génétique additive d’un animal pour un caractère donné, c’est-à-dire de la supériorité d’origine génétique transmissible de cet animal par rapport à une valeur moyenne de référence.
BESTIAIRE
SERIE
Nom masculin (latin médiéval bestiarium)
Nom féminim (latin series) Suite, succession de choses de même nature : Poser une série de questions. Ensemble d’objets de même nature, généralement rangés dans un certain ordre ou réunis par rapport à un certain critère : Une série de casseroles. Groupe de personnes, catégorie dans une classification quelconque : Il est classé dans la série des récidivistes.
En littérature, un bestiaire désigne un manuscrit du Moyen Âge regroupant des fables et des moralités sur les « bêtes », animaux réels ou imaginaires. Par extension, on appelle bestiaire une œuvre consacrée aux bêtes. Par métonymie, le bestiaire d’un auteur ou d’un ensemble d’œuvre désigne les animaux mentionnés par l’auteur ou dans ces œuvres. Les bestiaires médiévaux connurent leur plus grande popularité en Angleterre et en France aux xiie et xiiie siècles. Il s’agissait de compilations de multiples sources, en particulier le Physiologus ou Physiologos, que l’on date généralement du iie siècle, l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et les Étymologies d’Isidore de Séville, du début du viie siècle. Ces œuvres reflétaient la conviction que le monde est le livre dans lequel Dieu a écrit, et que tout pouvait trouver une explication et des correspondances. Les animaux étaient ainsi mis en relation avec Dieu et le Christ. La plupart de ces manuscrits étaient illustrés de miniatures.
D’une manière générale, le mot série exprime la notion d’enchaînement d’entités. Plus particulièrement on retrouve le mot dans plusieurs domaines: en mathématiques : une série est une suite de nombres sous forme d’une somme, une série est une catégorie de suite, la série de Fourier est un outil pour l’étude des fonctions périodiques. en chimie : une série est un groupe d’éléments chimiques dont les propriétés chimiques et physiques varient progressivement d’un bout à l’autre de la série. en musique : les séries fondent un système de composition ; en productique, la série désigne l’ensemble des produits issue d’une chaîne de fabrication. en géologie : une série représente l’ensemble des couches sédimentaires, considérées dans leur succession chronologiques.
15
16
PIQÛRE DE RAPPEL
17
Toute photo est autobiographique
18
La photographie est un art technique. Le photographe peut être un technicien. Il peut choisir son temps de pause,son cadrage, la luminosité… Il peut prendre tous ces facteurs en compte, à l’image du couple Becher dans leur projet descriptif et systématique de recensement par la photographie d’une architecture fonctionnelle. Il existe, dans leur travail, une tension entre documentaire et préoccupations esthétiques. Les Becher disaient : « Si une forme photographique devait survivre, c’était la photographie objective. Après deux guerres mondiales, il était de bon ton, chez les artistes allemands, de ne pas regarder la réalité en face, d’ignorer l’histoire. Le style documentaire était devenu impossible. Nous avons pourtant voulu retourner aux sources mêmes de la photographie parce que c’est un moyen très riche de représenter la réalité. C’est même un cadeau du ciel. »³ La photographie peut être aussi beaucoup plus spontanée, réfléchie d’une autre façon. Intuitive et émotionnelle. Il est important de noter le rôle absolument essentiel de l’inconscient dans la prise photographique. Denis Roche nous dit : « La vie est une succession de déplacements. La photographie permet de montrer, de cadrer, de visualiser tous ces endroits :
je suis ici, j’ai été là.» ¹² J’étais là, nous étions ici. Je prenais une photo. Il s’agit aussi d’un espace, d’un endroit. Mon endroit. C’est celui où je suis, où je me trouve, où je me tiens pour prendre cette photo. C’est n’est pas un lieu quelconque, c’est mon endroit. Je l’ai connu, je l’ai compris, ressenti. On ne peut pas prendre une photo à distance, à un endroit où l’on ne se trouve pas. Ainsi, toute photo est autobiographique. On peut également se demander, dans l’acte photographique : « qu’est ce qui est en jeu ?» Qui prend véritablement la photo ? Rolland Barthes dit que l’appareil photographique est bien plus qu’un simple outil. De son expérience de sujet, de « photographié par », Roland Barthes dit que la photo ce n’est pas que l’œil, mais c’est aussi le doigt. Le déclic de l’objectif et le glissement métallique des plaques. Ce mouvement transforme un sujet en « objet ». Et on peut ainsi dire je « me « regarde sur le papier. Le portrait est l’avènement de moi-même comme un autre. On peut aller plus loin en disant que l’appareil photo n’est pas seulement cet outil dont on se sert, mais que c’est lui qui prend la photo. Cette notion de l’importance de l’appareil dans l’acte photographique se retrouve dans les travaux de Rodchenko ou encore Denis Roche qui n’hésitent pas à faire figurer l’appareil photo dans l’image.
Par cette même envie de faire figurer l’auteur photographique, on peut travailler avec les reflets. Je fais notamment référence à la photographie de Denis Roche qui prend en photo Françoise. Elle se trouve de l’autre côté de la baie vitrée. Et par addition de sa propre ombre, sombre, le visage de Françoise apparait dans la lumière. Ainsi, sans véritablement le voir, on ressent la présence de Denis. Il a pris cette photo, il était là, et il a marqué sa présence en se figurant dans l’image. Finalement, qu’est-ce qu’un reflet ? Il s’agirait peut être de l’acte de superposer le réel, et un contre réel. Se figurer dans le reflet relève d’une pudeur, comme si l’on craint le moment photographique. Le reflet, un monde flottant protégé par le réel. Le reflet, c’est aussi le miroir, en référence à Narcisse. La photographie peut être autobiographique dans le sens où le photographe cherche à montrer sa présence. Mais il est également intéressant de voir, comment le photographe, dans sa pratique, cherche à retranscrire sa propre vérité. Et que cette vérité concerne souvent un élément de sa vie, de sa ville, son pays ou encore son histoire. On peut retrouver cette sensibilité dans la quête de retranscription de la vérité dans le texte Lettre à la Ville de Gabriele Basilico : « Cette ville m’appartient et je
lui appartiens, presque comme si j’étais un fragment fluctuant de son immense corps. Je suis obsédé par le besoin de connaître son corps. Une nécessité d’interpréter ses traits et ses parties plus cachées. Mais aussi ses lieux connus et ses aspects célèbres. Entre nous deux, il y a un paysage ouvert qui nous permet un échange continu de perceptions, un point de vu spécial. »⁴ Par la photographie on assouvi notre envie de retranscrire, de partager, de mettre en valeur, de fixer à jamais sur le papier pour que ce ne soit pas oublié. Ainsi, on introduit la photographie comme un lieu d’échange. 19
Un lieu d’échange et de connaissance Déjà chez les Grecs, Platon nous disait que l’image est l’illusion d’une réalité qui est elle-même seconde. C’est la réalité sensible. Ce que l’on voit. Alors, si l’on fait une image de cette réalité sensible, on tombe dans l’illusion, la méconnaissance, le mensonge. Or Aristote disait le contraire, pour toutes pensées conceptuelles, on ne peut se passer d’image. Après le paradoxe de l’œuf et la poule, nous voici devant celui de la pensée et de la photographie. L’image pose une idée, ou l’idée crée une image ? L’image, qu’est-ce qu’une image ? Selon Georges DidiHuberman c’est « la surface, ce qui tombe des choses. La mue par exemple. C’est une image encore, et en fait c’est
une image des images. »² Alors l’image ne serait que peu de chose. Il s’agirait éventuellement d’une écorce, d’un morceau de peau. Mais cette écorce fait partie d’un corps, d’un tout. Il s’agirait donc d’une surface pelliculaire, qui ne cache pas, mais peu se détacher. Par ailleurs, ce morceau d’écorce n’est qu’un échantillon, c’est partiel, temporaire. « Donc ce bout d’écorce que j’ai ce n’est pas la révélation de l’arbre. C’est quelque chose à partir de quoi je peux penser à l’arbre, réfléchir à l’arbre, tout en sachant bien que je n’aurais pas la révélation en totalité de l’arbre.» ² 20
Si l’image n’est pas un mensonge sur la réalité, mais un bout qui s’en détache, alors le fait de mettre bout à bout des images permettrait de former quelque chose, une connaissance, même si elle n’est pas absolument fidèle à la réalité. Cela nous amène à la question de l’accumulation, de la série. Ce qui importe n’est pas chaque photo en soi, mais la photo dont la série rend réellement possible de transmettre une façon de voir. Et ce, notamment par des comparaisons. Il peut s’agir d’une classification comme dans le travail de Bernd et Hilla Becher qui comparent des constructions-outils à l’intérieur d’un type donné (gazomètre, silos etc…). Cela permet de faire une classification, un établissement de parenté, d’élaborer des séries de types.
Becher, 1971 : « L’information que nous voulons donner, ne surgit que grâce à la série, à la confrontation d’objets semblables ou différents, ayant une même fonction. » John Coplans : « Ce qui m’importait, c’était un matériau complètement neutre. Mes images sont complètement insignifiantes, tout comme les motifs. Elles ne représentent rien d’autre qu’une collection de ‘’faits’’. » Ce qui caractérise la série n’est pas l’entrelacs ou le désordre qui peut régner entre des photographies. La série se caractérise par la juxtaposition ou la succession des éléments d’une série se combinant par reproduction. Rudolf Schawarz définit la série comme un tout clos constitué de pièces de même essence et coupé de l’extérieur. Denis Roche quant à lui invente le terme photolalie. « J’appelle photolalie cet écho muet, ce murmure de conversation tue qui surgit entre deux photographies, très au-delà du simple vis-à-vis thématique ou graphique. Je m’étais étonné qu’il n’existe pas un mot pour désigner ce qui se passe entre deux photos quand on met en pages un catalogue ou un album de photographies.» ¹² En parlant de son travail de l’antéfixe, Denis Roche nous explique qu’il s’agit de peu à peu créer une sculpture. Un collage de papier, selon le principe d’un dépôt progressif. Ainsi on passe de ce qui n’était à l’origine qu’un élément décoratif,
abstrait, à un personnage. D’une technique à une figuration. D’un manque à une représentation. Et il en serait de même pour la série photographique. La photo, elle-même ne renvoie pas à une réalité, c’est un morceau abstrait, mais la série, la collection d’images, elle, permet de créer une réelle connaissance. On peut également se poser la question de la transparence de la photo. Comme le disait Pierrot le fou : « C’est pas du sang, c’est du rouge.» La photographie est-elle transparent aux choses, ou s’opacifie-t-elle pour ne signifier qu’ellemême ? Et si la photographie n’était ni transparente ni opacifiante mais les deux à la fois ? La photographie signifierait le monde, et serait un monde en soit. Ainsi on peut se demander si l’image photographique est une preuve. Est-ce qu’elle traduit, ou trahit ? Il semble que ce soit cette ambivalence, de traduire ou trahir, qui fasse la personnalité de l’image, son essence. On pourrait ainsi dire, que la photographie ne reproduit pas le visible, mais rend visible. Le temps de la photographie La photographie est fragile, froissable, déchirable, et pourtant si éternelle. Barthes disait : « la photographie participe à l’effacement ou à l’éloignement généralisés du monument dans nos sociétés »⁵. L’immortel c’était le monument, maintenant c’est la photo. La photo témoigne d’un moment perdu,
d’une présence qui fut, « cela a été ». Alors, photographier, pour retenir le temps ? On se rend compte que l’on a perdu du temps, beaucoup trop de temps. Que c’est trop tard, alors il faut désormais courir avec ce temps perdu. Le temps à venir, il faudra désormais le passer à profits. On ressent nettement cette envie de canaliser le temps dans le travail de Denis Roche, notamment par ses autoportraits, leur répétition et le marquage spatio-temporel précisé dans les légendes des photos. Marc Petitjean photographie de 1969 à 1996 des rues Rambuteau et Beaubourg afin de rendre compte de la transformation de ce quartier et de la naissance du centre Gorges-Pompidou. C’est l’histoire d’une mutation sans nostalgie et avec lucidité. Raymond Depardon, grand voyageur, nous confie qu’il aime profondément fabriquer des images en voyageant. Est-ce une fuite ? Ou peut-être une façon d’arrêter le temps qui passe trop vite. La photographie serait le médium de l’incertain, de la fragilité, de l’éphémère, de la nostalgie ? Que la nostalgie est triste, disait Raymond Depardon à son retour de voyage autour du monde en 14 jours. Cette réflexion nous amène à se demander à quoi « sert» de photographier ? Bien que cette question semble grossière et trop générale, ici, dans ce contexte de temporalité, on pourrait penser que le fait de
21
photographier permette de créer un souvenir. Le médium du souvenir, pour permettre un avenir.
22
L’image pourrait être vue comme un piège temporel. Le photographe Denis Roche a par exemple illustré ce piège temporel par « ses allers et retours dans la chambre blanche ». On peut le voir de dos, marchant, allant se placer dans la photo. Du moins, c’est ce que l’on pourrait croire. Alors que sa femme, elle, pose en général au milieu de la pièce. Ces images qui montrent les allers et retours révèlent cette temporalité de la photo, lors de l’acte. Lors du déclic. Cet instant, très court, instantané même, et pourtant si éternelle grâce à l’impression sur le papier. Le travail sur le flou peut également, il me semble, révéler cette temporalité de la photo. Pour finir, parlons de cette temporalité de la photographie qui apparait au moment de l’examen des photos, des planches contacts. Cette sensation de revoir des photos que l’on avait oubliées. Etre surpris par une luminosité, un mouvement, que l’on n’avait pas perçu lors de la prise photographique. Zola, principal théoricien de réalisme en littérature en 1901 disait : « vous ne pouvez pas prétendre avoir réellement vu une chose tant que vous ne l’avez pas photographié ». Il est cependant possible de photographier quelque chose que l’on n’a pas vu, du moins, dont on n’a pas conscient lorsque l’on fait la photo.
(voir Blow up¹⁰). C’est le rapport entre le temps du photographié, du domaine de l’imprévisible de la prise de vue, et le temps du photographique où l’on réexamine le passé. On retrouve la conjonction du délibéré et du hasard. Le hasard sentimental, sensible L’agence Belge Label Architecture présente lors de la Biennale de Venise, le pavillon Belge intitulé La beauté de l’ordinaire, ou comment je me suis disputé avec mon voisin. Avec ce travail, Label Architecture propose au public l’opportunité de (re-)découvrir les beautés de la banalité territoriale belge. Le questionnement se pose sur des sujets tels que les banalités spatiales, d’appropriations ordinaires, de confrontations improbables. Interroger l’extraordinaire qui contient de nombreuses situations ordinaires et vice versa. Quelles sont les particularités qui révèlent de l’involontaire, de l’improbable, de l’anecdotique ? Comment déceler la beauté de l’ordinaire ? Quel regard adopter ? Quelle position prendre ? Ici on nous propose de nouvelles opportunités de compréhension d’un territoire considéré comme connu banal. Une manière radicalement nouvelle de voir notre environnement. Et si le medium de la photographie pouvait nous permettre de découvrir, sous un autre angle de la vie, la quotidienneté de nos territoires
vécus ?Marc Petitjean dit : « Avec la photo, je n’avais ni désir ni prétention artistique. La technique ne m’intéressait pas, je photographiais ce que je voyais pratiquement comme je le voyais ». Car lorsque l’on parle du médium de la photographie, faut-il vraiment aborder le sujet de la technique ? La technique rentre vraiment en compte dans l’action du photographe ? Faut-il métriser cette technique pour comprendre et interpréter le travail de l’artiste ? Hila Becher nous répond que: « la technique n’a pas besoin d’être interprétée, elle s’interprète elle-même. Il s’agit seulement de choisir des bons objets, de les mettre en image avec précision, et ces objets raconteront leur histoire tout seuls.» Citons ici Raymond Depardon pour son interprétation très personnelle de son travail. Ayant souvent photographié en voyage, Depardon sait exprimer par le biais de photos et de commentaires ses ressentis, souvenirs, de ces ailleurs. « J’ai aimé me perdre dans ces villes étrangères. Je me suis efforcé de me dissimuler dans le flot des passants des rues animées de ces grandes cités. Le hasard a toujours bien fait les choses. Tout est travelling et plan séquence dans une ville. D’un côté j’arrêtais un moment banal et original avec ma caméra, de l’autre, je fixais un moment flou avec mon appareil photo, un instant éphémère qui allait disparaître à tous jamais. Trois jours dans chaque ville, à
essayer de garder ce premier regard, avant de quitter la ville comme un voleur d’images. Je n’ai pas visité grande chose comme toujours, dans des séjours si courts. J’ai préféré filmer juste devant mon hôtel, le passage piéton, la plage, les rues adjacentes, cela m’a suffi. Je n’aime pas me disperser, courir et rater toujours quelque chose. Je suis resté au même endroit, sans bouger, comme un habitué, un voisin. J’étais un touriste de plus et j’en étais ravi.»¹¹ Le hasard, et la sensibilité de chacun, nous laissent des photos traduisant l’étrange banalité de l’ailleurs, où le souvenir et l’avenir se mêlent. 23
24
RÉFÉRENCES & FICHES DE LECTURES
Voir ci-joint le livre Références, 25
26
BIBLIOGRAPHIE
A
AL GHOUSSEIN Tarek, Selected works ANTONIONI Michelangelo, Blow up, Drame (film), 1967. ARBUGAEVA Eugenia, Tiksi
cahier Livres de Libé, www.liberation.fr/ livres/2008/12/04/boltanskifeu-sur-la-realite-293781 , 2008 BONET Clarissa, City Space Photography BREUNING Olaf, The art of smoke bombs and fireworks
BAQUÉ Dominique, La photographie plasticienne, Un art paradoxal Edition Regard, 1998 BARTHES Roland, La chambre claire, Note sur la photographie, Editions de l’Etoile, Gallimard, Le seuil, 1980. BASILICO Gabriele, La ciudad interumpida, Actar, 1999, Lettre à la Ville. BAUMAN Kevin, 100 abandoned houses BECHER Bern & Hilla, Finanzgruppe, centre Pompidou, 2004. BOLTANSKI Luc, Boltanski feu sur la réalité, le
DOMANOVIC Aleksandra, Paper Sculptures DOUCÈDE Cérise, Liens intimes, Actes SUD, Prix HSBC pour la photographie, 2013
BAQUÉ Dominique, Identifications d’une ville, Edition Regard.
B
Fondation Cartier, pour l’art contemporain, INEDIT, 2008. DIDI-HUBERMAN Georges, Atlas ou le gai savoir inquiet, L’œil de l’histoire, 2011, Entretient réalité par la librairie Mollat.
C
DROUHIN Reynold, Landscape Monolith
CALLE Sophie, A SUIVRE… (Livre IV), Actes SUD, 1998.
DURAND Régis, La part de l’ombre, essais sur l’expérience de la photographique, La Différence, 2006.
CALLE Sophie, Des histoires vraies, Actes SUD, 2002
27
CARTAGENA Alejandro, The car poolers CELMA Clément, Mes petites planètes
F FELDMANN Hans Peter
D
DELORME Alain, Totem DEPARDON Raymond, Villes/Cities/Städte, Actes Sud, 2007. DEPARDON Raymond, Le tour du monde en 14 jours, 7 escales, 1 visa,
G
GALIMBERTI Gabriele, Toy stories photography GALIMBERTI Gabriele, Delicatessen with love GAO Rongguo, Twins
GODARD Jean-Luc, La preuve par l’image et le dogme de l’objectivité, un moment d’égarement, Godard Rallie Bazin, p 241.
KLEE Paul, Credo du créateur, 1920.
MAUVE Julien, Lonely windows photography
KLEIN William, Rome + Klein
MOULIN Nicolas, Vider Paris
KO Seokmin, The square
H
KUSAMA Yayoi, Infinity mirrored room
PAREDES Cécilia, Landscape Series
HIGASHI Shinichi, Graffiti of Speed L
28
I IVANOVA Aneta, Double exposure portraits
P
LABEL ARCHITECTURE, La beauté de l’ordinaire ou comment je me suis disputé avec mon voisin, la Découverte, 2008
PETITJEAN Marc, Metro Rambuteau, Hazan, centre Pompidou, 1997.
Q QINGJUN Huang, Family Stuff
J JACQUET-LAGREZE Romain, Vertical Horizon JACROT Christophe, Rain photography JR, Street Art, Design & Designer, Pyramid, 2011
K KECHUN Zhang, Creative pet portrait
M MACLEAN Alex, Overs, Visions aériennes de l’American way of life : une absurdité écologique, la Découverte, 2008
R
MACPHERSON Tim, On ferait comme si
REMPFER Alain, Le miroir, http://alain.rempfer.free. fr/sitear/photos/miroirs/ MiroirsTexte.html
MACPHERSON Tim, Two becomes one
RIBEIRO BRUNO, Real life Instagram
MADHESHIYA Amit, At a tent near you
ROCHE Denis, La photographie est interminable, entretien avec Gilles Mora, Seuil, Fiction & Cie, 2007.
MAGYAR Adam, Square Photography
S SALUANS Txema, The waiting game SCWITTERS Kurt SIMON Taryn, A living man declared dead and other chapters
T TABUCHI Eric, Alphabet Truck
W WASIKSIRI DOW, Local fasion in kad luang market WILKINSON Toni, Uncertain surrender WITTGENSTEIN Ludwig, Tractatus Logicophilosophicus, New York : Harcourt, Brace, 1922.
Z ZEBRATING-ART, Hidden railing street
29
30
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier tout particulièrement Mr Pierre Antoine, pour l’expérience enrichissante et plein d’intérêt qu’il m’a fait vivre durant cette année de mémoire. Je remercie également Juliette Lauzeral, Déborah Bettan et Vojta Slaby pour l’aide, les conseils et le temps qu’ils m’ont consacré.
31