Carole DAUSSIN RÉFÉRENCES & FICHES DE LECTURE
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Alain Rempfer Le miroir
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Alex Maclean Over
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Bernd & HIlla Becher Finanzgruppe
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Sommaire
Denis Roche La photographie est interminable
Dominique BaquĂŠ La photographie plasticienne
REFERENCES
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Label architecture La beauté de l’ordinaire
Gabriele Basilico La ciudad interrumpida
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Georges Didi-Huberman Atlas ou le gai savoir inquiet
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JR Street Art
Marc Petitjean Metro Rambuteau
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Sommaire
Raymond Depardon Le tour du monde en 14 jours
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Raymond Depardon Villes/Cities/Städte
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Roland Barthes La chambre claire
Regis Durand La part de l’ombre
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Sophie Calle A suivre (IV)
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Sophie Calle Des histoires Vraies
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Cerise Doucède Liens intimes
04-76
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FICHE DE LECTURE
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ALAIN REMPFER Le Miroir http://alain.rempfer.free.fr/sitear/photos/miroirs/MiroirsTexte.html
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FICHE DE LECTURE
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Le miroir, reflet de la réalité ou protection?
Mythologies et symbolisme
En France, pendant la première guerre mondiale, dès 1914, paraît un hebdomadaire consacré à l’actualité du front Le Miroir. Il se veut le «reflet» de la guerre. Entièrement illustré de photographies, un concours est organisé incitant les soldats à prendre des photos et à les transmettre au journal. L’armée interdit de prendre des photos du front mais les combattants réussissent malgré tout à en faire, à la sauvette, avec leur petit Vestpocket Kodak. La censure ne s’exercera pas sur les images mais sur les légendes que l’armée a voulu triomphalistes ...
Persée affronte Méduse grâce au bouclier d’Athéna qui lui sert de miroir et lui épargne d’être pétrifié. Pandore reçoit un miroir pour répandre sur l’humanité tous les maux que les dieux avaient enfermés dans sa boîte. Le miroir de Dionysios brise le cadre de règles trop contraignantes. Mais Narcisse est certainement le plus représentatif des mythes ayant fait appel au reflet. Narcisse finira par sombrer dans la folie et en voulant s’endormir aux côtés de l’être aimé (passer de l’autre côté du miroir), tombera dans l’eau et s’y noiera. C’est pourquoi Alberti dans De pictura, 1436, dira que Narcisse, qui se laisse tromper par un effet d’illusion, doit être considéré comme l’inventeur de la peinture : «Qu’est-ce en effet que peindre sinon embrasser avec art la surface de la source ?» «les miroirs sont les portes par lesquelles la mort vient et va. Du reste, regardez-vous toute votre vie dans une glace et vous verrez la mort travailler comme les abeilles dans une ruche de verre».
Pour le Feng-Shui, disposer un miroir devant sa maison et à certains endroits appropriés renvoie les flèches empoisonnées ou shar chi, le souffle qui tue, vers leur point de départ. Dans cette philosophie, la puissance des miroirs est à utiliser avec précaution
Dans sa peinture Marie-Madeleine (1628), Georges de la Tour représente le miroir comme le symbole du «passage» de la réalité illusoire de la vie à celui de son aboutissement inéluctable. National Gallery, Londres. Pour de nombreuses traditions, le miroir reflète la vérité,
la sincérité. La Sagesse du grand Miroir du Bouddhisme Tibétain enseigne le secret suprême. Yama, le souverain indobouddhique du royaume des morts emploie le miroir du karma pour prononcer son jugement. Paul dans sa 2ème épitre aux Corinthiens (3,18) écrit : «Nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur». Dans l’antiquité, et pour une raison qu’on s’explique mal, les astronomes observaient le ciel dans un miroir. De même, selon Paul, pour contempler Dieu devons-nous faire preuve de la même humilité.
Le miroir, une profondeur insondable Le miroir est-il un passage vers l’ailleurs, vers un monde imaginaire, comme chez Carroll ? Une remise en question du réel comme ont tenté de nous le dire les peintres de la mise en abyme ? Une porte vers l’au-delà dans une analogie eau-miroir comme chez Cocteau (analogie que l’on avait noté chez Mallarmé : «O miroir ! Eau froide par l’ennui dans ton cadre gelée»)? Dit-il toujours la vérité ? N’est-il pas aussi le reflet de la réalité, son double, son imitation inversée, sa mimesis, sa parodie ? Sans doute est-il tout cela à la fois, à l’image de notre propre complexité.
“ Qu’est-ce en effet que peindre sinon embrasser avec art la surface de la source ? ”
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FICHE DE LECTURE
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ALEX MACLEAN OVER La Découverte - 2008
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FICHE DE LECTURE
A
tmosphère : L’atmosphère est une fine couche de gaz qui encoure la Terre. La photographie aérienne révèle combien elle est mince et montre ses multiples interactions avec la surface terrestre. Les gaz à effet de serre tels que le dioxyde de carbone et le méthane ne constituant qu’à peine 0.4% de l’atmosphère, la moindre augmentation résultant de l’activité humaine peut avoir un impact décisif.
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Electricité : La production d’électricité est responsable de 40% des émissions de CO2 des Etats-Unis. Le rejet d’énormes quantités de chaleur dans l’environnement nous permet de voir que l’électricité thermoélectrique centralisée a une faible efficacité. L’extraction et le transport des carburants fossiles jusqu’aux centrales sont une autre source de pertes importantes tandis que 8 à 9% supplémentaires sont perdus au cours du transport de l’électricité.
Mode de vie : Les images aériennes peuvent beaucoup nous apprendre sur nos habitudes culturelles : le développement incessant, l’exhibition éhontée de nos possessions, le gaspillage inutile de l’énergie et des ressources. Ce comportement est fait de petits « bonds » successifs qui peuvent parâtre insignifiants, mais dont le cumul a des conséquences dramatiques.
Déserts Usage de l’eau Montée des eaux Déchets et recyclage
Dépendance automobile : Au cours du siècle écoulé, les Etats-Unis se sont dotés de plus de 6 millions de kilomètres de routes qui, de même que l’automobile et le carburant bon marché, ont permis de nous établir dans tous les recoins du pays. Ce réseau routier dépend entièrement du moteur à combustion interne, dans lequel environ 80% de l’énergie sont perdus. Comme un nombre croissant de gens parcourt des distances de plus en plus longues, les routes américaines sont fréquemment embouteillées, suite à une capacité toujours insuffisante, à des accidents graves et aux incessants travaux de réfection.
Urbanisme : La croissance de la population et les mesures pour réduire les effets du réchauffement climatique exigeront des changements drastiques dans notre monde de construction comme dans l’implantation des nouvelles maisons. Dans les trente-cinq années à venir, la population des Etats-Unis passera de 300 à 400 millions. L’on estime que 70 millions de nouvelles habitations – plus de la moitié de celle qui existent aujourd’hui – seront construites au cours de cette période. Des stratégies novatrices seront indispensables pour rendre les maisons plus performantes et moins destructrices pour l’environnement. A cette fin, nous devrons diminuer notre dépendance à l’automobile et vivre dans des environnements plus denses et aux usages multiples.
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“Visions aériennes de l’American Way of Life : une absurdité écologique”
FICHE DE LECTURE
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BERND & HILLA BECHER FINANZGRUPPE Centre Georges Pompidou 2004
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FICHE DE LECTURE
L
es objets qui nous intéressent ont en commun d’avoir été conçus sans considération de proportions et de structures ornementales. Leur esthétique se caractérise en ceci qu’ils ont été créés sans intention esthétique. L’intérêt que le sujet a à nos yeux réside dans le fait que des immeubles à fonction généralement identique se présentent avec une grande diversité de formes. Nous essayons de classer et de rendre comparables ces formes au moyen de la photographie. B et H Becker, 1969. Depuis 1959, bernd et Hilla Becher mènent un projet descriptif et systématique de recensement par la photographie d’une architecture fonctionnelle étroitement liée à la révolution industrielle : châteaux d’eau, tous de refroidissement, mines, gazomètres, silos, hauts fourneaux constituent les objets les plus représentatifs de leur répertoire. Regroupées en fonction d’analogies structurelles, organisées en séries typologiques, ces « sculptures anonymes », pour reprendre le titre de l’un de leurs premiers ouvrages, peuvent aujourd’hui se lire tant comme des témoignages précieux sur une archéologie industrielle que comme de véritables œuvres, reflets de préoccupations formelles et esthétiques.
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Cette tension entre contenu documentaire et préoccupations esthétiques est au cœur même de l’œuvre des Becher. Cette dernière, depuis plus de quarante ans, a d’ailleurs connu nombre d’interprétations : rapprochée de l’art conceptuel dans les années 1970, elle s’est vue couronnée par le Grand Prix de sculpture de la Biennale de Venise en 1990. Aujourd’hui les Becher apparaissent d’avantage comme les chefs de file d’un important courant photographique documentaire allemand. Bernd et Hilla Becher : « Proposition pour une façon de voir ». 10 perspectives 1. Objets et points de vue « Si une forme photographique devait survivre, c’était la photographie objective. Après deux guerres mondiales, il était de bon ton, chez les artistes allemands, de ne pas regarder la réalité en face, d’ignorer l’histoire. Le style documentaire était devenu impossible. Nous avons pourtant voulu retourner aux sources mêmes de la photographie parce que c’est un moyen très riche de représenter la réalité. C’est même un cadeau du ciel. » Les photos Becher sont d’emblée reconnaissables, ce qui ne manque pas de surprendre au regard de l’objectivité délibérée qui les caractérise. Il s’agit essentiellement de dispositifs ayant trait à l’industrie
minière, et utilisés pour l’extraction des matières premières, leur exploitation et leur stockage. Le charbon, le fer, l’eau, le gaz et la chaux captent toute l’attention des photographes, au détriment des produits finis industriels fabriqués à partir de l’acier et de l’énergie. Bernd et Hilla Becher tenaient à éviter le terme « motif » pour désigner ces installations techniques ; celles-ci sont à leurs yeux « des objets, non des motifs. La photo n’est que l’ersatz de l’objet, elle ne peut pas servir d’image au sens où on l’entend communément ». La fascination pour le monde des choses ; reproduire et fixer par le medium de la photographie, selon un processus où les éléments esthétiques n’ont soi-disant aucune part. La photographie rend la réalité avec plus de précision et de rapidité que le dessin ou la peinture. Le meilleur objectif ne saurait rivaliser avec l’œil humain. Appareil photographique : rend un fragment très restrictif de la réalité sous une forme condensée à l’extrême. Quelques soit l’objectivité avec laquelle sont rendus les gazomètres etc... l’exposition, la profondeur de champ etc... résultent essentiellement de décisions personnelles. Les Becher ont sur rapidement adopter une vision photographique réduisant nombre de ces facteurs subjectifs au strict minimum, de manière à favoriser l’impression d’une objectivité et d’une neutralité aussi pures que possible. Monde gris, sans vie, artificiel. Mais toute fois, un monde clos détaillé, déchiffrable. Les Becher cherchent la plus grande « désubjectivisation ». Les mises en arêtes ou les déformations n’intéressent pas les Becher. Absence d’ombre et de lumière faisant contraste. Usage d’appareil photo à plaque de grand format : long temps d’exposition : d’où l’absence d’êtres humains sur les photos. Aspects plastiques des bâtiments : oui. Mais pas de dimensions spatiales. Tout ce qui est superficiel (narratif, émotionnel, végétatif, éphémère), tout cela reste exclu. Ce que l’on nous montre : industrie lourde, sans mouvement, sans énergie, sans feu, sans fumée, sans produite, sans ouvriers. Becher, 1989 : « nous ne voulons rien changer aux objets que nous photographions. Le seul procédé que nous nous autorisons consiste à dégager les objets en les prenant de façon à remplir le cadre : ce qui ne correspond pas à la réalité. Mais ce procédé est tout simplement nécessaire pour avoir une vue d’ensemble de leur forme, et les reconnaître ». Hilla Becher, 1989 : « La technique n’a pas besoin d’être interprétée, elle s’interprète elle-même. Il s’agit seulement de choisir des bons objets, de les mettre en image avec précision, et ces objets raconteront leur histoire tout seuls ». Les prises de vue des Becher sont des photographies sans
auteur. Existe-il une perception des installations industrielles qui soit neutre au point de rendre la question de la paternité des images non pertinente ? (il semblerait que non, on reconnait le travail des Becher en voyant leurs images). Les images ne rendent pas simplement la réalité, ni ne l’interprètent. C’est plutôt, le contraire : la réalité « en est venue à ressembler de plus en plus à ce que montre l’appareil photographique ». L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible. Zola, principal théoricien de réalisme en littérature, 1901 : « vous ne pouvez pas prétendre avoir réellement vu une chose tant que vous ne l’avez pas photographié ». Loin d’être un simple enregistrement de la réalité, la photo est devenue la norme de la façon dont les choses nous apparaissent. Becher, 1969 : « Nous n’avons pas l’intention de transformer ces anciens bâtiments industriels en reliques, nous souhaiterons fabriquer une chaîne, sans maillon manquant, de leurs différents formes ». « Ce qui nous fascinait, c’était la forme de l’architecture technique, beaucoup plus que son histoire ». Le grand silence émanant de ces « montres industriels » nous saisit et déconcerte (de Duve). La priorité des Becher est celle de la conservation des objets dans l’image photographique. La photo permettait de manière fiable d’enregistrer l’apparence visible des installations industrielles : voué à la destruction. Prendre en photo ces édifices (en activité ou abandonnés) leur confère le statut de monumentalité. Ni de la pure réalité, ni symbolique : mais au réel. « genre monumentaire». entre monumental et documentaire. Une transcendance de la réalité à l’état latent. 2. Présupposés L’inéluctable récession de l’industrie lourde fournit aux deux photographes le point de départ de leur travail. Bernd Becher : né dans le Siegerland. Presque toute sa famille travaille dans l’industrie minière ou métallurgique. « plus tard, dit-il rétrospectivement, en recherchant des endroits qui ressemblaient à ceux où j’avais grandi, j’eus l’impression de prolonger mon enfance ». Apprentissage de peintre. La reproduction graphique d’installations techniques, juste avant qu’elles soient démolies, exigeait trop de temps. A peine parvenait-il à compléter un dessin que les démontages commençaient. Donc photo. Collage. Hilla Wobeser, quant à elle, avait eu une approche tout à fait différente du médium de la photographie. Hilla dut
interrompre ses études secondaires en RDA, pour avoir affiché ses convictions. Et fut amenée à entreprendre une formation de photographie au lieu de poursuivre sa scolarité jusqu’ au baccalauréat. Les Becher : un concept photographique fondé sur la rigueur de l’observation. La production d’une œuvre par deux artistes est un phénomène relativement neuf au début des années 1960, et c’est surtout dans le domaine des médias que l’on peut l’observer. Leur collaboration est un succès « parce que la signature personnelle de chacun disparaît derrière les lois clairement établies du médium » (Michael Schwarz). 3. Champs d’action A partir de sa collaboration avec Hila Wobeser, 1959, photographies : la liste des travaux va s’allonger. Le point fort est constitué par des maisons à colombages de la région industrielle de Siegen. 1961 : concentration de l’activité sur diverses mines, hauts fourneaux, usines sidérurgiques. 1966 : une bourse du British Council leur permet de faire un long voyage d’études dans les régions industrielles de l’Angleterre. Au début même, ils savaient quelle direction prendrait leur travail : la documentation globale d’une industrie lourde, moteur de la modernisation durant des décennies, garante du plein emploi et d’une prospérité croissante, que s’est vue frappée de plein fouet par une crise entraînant la fermeture de mines et d’industries sidérurgiques, le chômage et le déclin sociale. 4. orientations Il n’existait pas de lieu où apprendre à photographier des objets industriels. C’est donc en autodidactes que les Becher ont poursuivi leur formation. Ils affirment au cours des années 1960 une position qui va résolument à l’encontre de la « photographie subjective » dominante à l’époque. Les Becher se sont familiarisés avec des conceptions qui faisaient autorité pendant les années 1920 dans le milieu de la Nouvelle Objectivité et de l’esthétique des machines. (proximité avec Albert Renger-Patzsch). Renger-Patzasch « souligne les conditions nécessaires et suffisantes pour rendre à ce médium sa capacité à représenter l’essence des objets : la soumission au motif, et la limitation des moyens de la technique purement photographique ». La photographie « doit reconnaître, mettre en évidence. Dès qu’elle veut interpréter, elle dépasse le plus souvent ses limites. Qu’elle laisse donc ce soin à l’art, et dans
“l’information que nous voulons donner, ne surgit que grâce à la série, à la confrontation d’objets semblables ayant une même fonction”
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FICHE DE LECTURE
certains cas à la science».
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Loin d’être innocent, le regard que portent les Becher sur les constructions industrielles est filtré par l’histoire, et codé selon des normes culturelles. Ce qui les importe n’est pas seulement chaque photo en soi, mais, surtout, ce que leur façon de voir, ainsi circonscrite et limitative, rend réellement possible, notamment la comparaison entre certaines constructions-outils à l’intérieur d’une type donné (gazomètre, silos etc). Il s’agit de classifications, d’établissement de parentés, d’élaborations de séries de types. On rencontre dans le travail de Lindner les premières ébauches de ce qui sera la perception spécifique des Becher dans le fait l’aligner, les uns à côté des autres, châteaux d’eau etc... Lindner : « ce qu’il importe de montrer avant tout, écrit Lindner pour justifier ses montages d’images, c’est la détermination de l’immuabilité avec lesquelles se manifestent, à travers toutes les époques, les lois primordiales de l’harmonie dans toutes les tâches qui consistent à formes des corps et des espaces pour les mettre à l’unisson de leur environnement. » Gropius est lui aussi persuadé qu’il ne peut y avoir de bâtiment industriel sans une part d’activité artistique, car « l’artiste seul possède la capacité d’insuffler de l’âme au produit mort de la machine. » Rudolf Schwarz définit la série comme un tout clos constitué de pièces de même essence et coupé de l’extérieur. Ce qui caractérise la série n’est pas l’entrelacs ou le désordre, mais la juxtaposition ou la succession : « les éléments d’une série se combinent pas reproduction ». Homer Page (lors de la secondaire guerre mondiale) : la mise en série de photos isolées permettrait de « donner consistance à leur signification » en renforçant leurs relations : « cette consistance devrait faire en sorte qu’une série de photographies produise plus de sens que la somme des photos séparées prises ensemble, de même qu’une histoire est plus que la somme de ses mots ».
typologie pourra réunir des châteaux d’eau d’Allemagne, Belgique, France etc... Cette approche spécifique permet de souligner les ressemblances structurelles de façon marquante. Nous sommes confrontés à une recherche morphologique qui rend secondaires toutes les questions que l’on peut se poser sur le lieu et la date d’édification de tel ou tel bâtiment. Esthétisation qui extirpe les choses de leur emplacement. Mais aussi donne à voir les différences plus ou moins marquantes, opérant ainsi chez le spectateur une prise de conscience. Les typologies sont orientées par une perspective morphologique et une perspective encyclopédique. C’est au fil du temps que les typologies trouvent leur ordonnance définitive. Le double registre de leur travail ; comprenant d’une part le bâtiment/objet, de l’autre l’établissement de séries/typologies ; est l’une des particularités des plus significatives de l’art des Becher. En rapport avec ce travail : August Sander, son livre Antlitz der Zeit (le visage de l’époque). A VOIR Met en valeur le fait que la photo isolée n’acquiert toute sa force d’expression qu’une fois mise en série avec les autres. Sander plaidait pour une façon comparative de voir les choses, et prônait la photographie documentaire qui était, selon lui, tout le contraire d’un mode de représentation « impressionniste » « gâchée par l’intervention artistique ». Un « atlas d’exercice », selon l’expression de Walter Benjamin, ne parviendra pas à une maturation suffisante pour livrer une interprétation adéquate de l’histoire sociale allemande. Walter Evans : un modèle de style documentaire qui paraissait exclure l’empreinte et la position avantageuse de l’auteur grâce à une stricte frontalité, à l’isolement, et à la netteté uniforme de la chose représentée. C’est ainsi que Evans photographiait les objets les plus ordinaires dans un style qui se voulait aussi transparent et neutre que celui des prises de vue d’un photographe de compagnie d’assurances. 5. Contrastes
Becher, 1971 : « l’information que nous voulons donner, ne surgit que grâce à la série, à la confrontation d’objets semblables ou différents, ayant une même fonction ». Comparer deux objets, c’est établir des ressemblances ou des différences. Bernd et Hilla Becher, quant à eux, ne placent pas deux photos l’une à côté de l’autre. Ils constituent des arrangements de 6, 9, 12 ou 15 photos, de dimensions et de cadres identiques, par blocs de trois rangées. C’est ainsi qu’une
Otto Steinert : principal représentant de l’école de la « photographie subjective » Steinert, le pas décisif qui mène « de la copie qui représente vers la mise en forme photographique qui représente, dès lors que l’objet, le motif, au lieu d’être photographié pour lui-même, est rabaissé au rang d’objet servant à cette mise en forme ». La photographie de la Nouvelle Objectivité qui prend tout en
compte avec une égale précision n’était aux yeux de Steinert qu’un « enregistrement neutre », contraire à l’idée fondamentale de création artistique. Dans sa classification des « niveaux de perfection de la composition photographique », Steinert marque la différence entre reproduction photographique et création d’une représentation photographique absolue. Karl Pawek : tente d’explorer de « nouvelles dimensions de la photographie » La saisie du contact existentiel, le « ici et maintenant ». « abstraction substantielle ». « Discerner, choisir, extraire, mettre certains accents, déplacer des perspectives, laisser sombrer tout le reste pour ne saisir qu’un seul point. Tout cela est un procédé qui contredit la vieille neutralité technique du principe photographique ». 6. Les débuts de la notoriété 1976 : Bernd Becher fut nommé professeur de photographie dans une académie allemande des beaux-arts.
En extrayant les objets de leur milieu, les Becher nous permettent de comparer les formes entre elles. Reproches quant à l’ouvrage anonyme Skylpturen : Ulrich Greiner « Symptômes de rapports difficiles, presque maladifs que l’art moderne entretient avec le monde industriel du travail ». « stratégie bourgeoise de présentation visuelle » « faire abstraction des contextes sociaux » 9. Préservation des monuments industriels. En parlant de la protection des monuments historiques et de leur conservation : ce sont les publications de Bernd et Hilla Becher qui montrent le plus clairement ce que fut à ce sujet le rôle joué par les artistes dans l’évolution des mentalités. Les constructions insolites ne présentent pas d’intérêt pour les Bécher. Les côté exotique reste tabou. Le deux artistes firent le constat que leur façon de voir avait à peine changé (au fil des années). « Néanmoins nous n’avons pas l’impression d’être restés immobiles. Au contraire, à chaque objet que
7. Le milieu artistique Edward Ruscha : Twenty-Six Gasoline Stations résulte, de l’aveu même de son auteur, de sa fascination pour certains mots. « Le titre était là avant même que je pense aux images. J’aime bien le mot ‘’gazoline’’, et la qualité particulière de « « twenty-six’’ me plaît _ je n’avais à l’esprit qu’un truc compact. » John Coplans : « Ce qui m’importait, c’était un matériau complètement neutre. Mes images sont complètement insignifiantes, tout comme leurs motifs. Elles ne représentent rien d’autre qu’une collection de ‘’faits’’, mon livre ressemble plus à une collection de readymades. » Au contraire, le regard des Becher est guidé dès le début par des motivations précises. Ce qui vaut pour eux, ce ne sont pas des « faits » quelconques, ou des trouvailles, mais l’ « objet particulier, de forme spécifique, qui néanmoins présente en raison de ses fonctions maints points communs avec d’autres objets de la même catégorie, et qui, pour cette seule raison, prête à comparaison et à formation de séries ». Ce serait une appréciation sommaire que de classer la création des Becher dans l’art conceptuel « au prétexte qu’il n’existait pas d’autre tendance artistique où la ranger ». 8. Sculptures anonymes et critique
nous photographions, notre regard s’aiguise quant à ses particularités, de sorte que nous avons une vision beaucoup plus précise aujourd’hui. « En somme, on exigeait de nous que nous soyons des spécialistes de l’histoire de la technique ». 10. Perspectives 1990, à la biennale de Venise, les Becher remportent le Grand Prix de la sculpture. Cette distinction saluait l’esprit de rigueur et le travail cohérent des Becher, qui ont toujours œuvré pour capter avant tous les qualités sculpturales des machines industrielles, et transposer les objets tridimensionnels en deux dimensions. Reste à notre l’influence extraordinaire qu’a pu exercer l’œuvre des Becher, facilitée sans aucun doute par l’enseignement de Bernd Becher à l’Académie des beaux-arts de Dusseldorf de 1976 à 1996. On citera les noms d’anciens étudiants qui ont acquis une certaine notoriété : Anderas Gursky, Candida Hofer, Axel Hutte, Thomas Ruff, Thomas Struth, Petra Wunderlich, tous issu de la première génération. Les Becher ont transcendé le propos documentaire pour élaborer à travers leur regard intransigeant une esthétique qui met en présence technique et rigueur, objectivité et personnalité, et qui est en même temps épurée et encyclopédique. La thématique nous livre une vue synthétique.
“Tout ce qui est superficiel, tout cela reste exclu”
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FICHE DE LECTURE
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DENIS ROCHE LA PHOTOGRAPHIE EST INTERMINABLE Entretien avec Gilles Mora, Seuil, Fiction & Cie - 2007
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L
es écrivains l’ignorent délibérément et c’est encore pire, si l’on peut dire, des sciences humaines, qui viennent pourtant d’investir quasiment tous les domaines de la pensée. Barthes ne publiera sa Chambre Claire qu’en 1980. Après, évidemment... Pour ce qui me concerne, l’antéfixe se résumait à une accumulation de lignes sans rapport les unes avec les autres, qui devaient, sur une longueur d’au moins une dizaine de pages (quarante en ce qui concernait Notre antéfixe), figurer le mode de vie et l’existence même d’un individu ou d’un couple _ en l’occurrence, ici, le couple que je formais avec Françoise. Le texte était fait de tous les résidus écrits qu’on peut trouver chez une personne, dans sa maison, dans ses tiroirs, dans ses écrits, dans les correspondances, dans les factures, etc. Au total, on l’a bien compris, une configuration de vie s’élevait peu à peu, comme une sculpture, toute droite de page en page, selon le principe d’un dépôt progressif de savoir et de technique _ ainsi passait-on de ce qui n’était à l’origine qu’un élément décoratif, abstrait le plus souvent, à un personnage. D’une technique donc à une figuration. D’un manque à une représentation.
Le temps à venir, comprenez-vous, il faudrait désormais le passer par pertes et profits, même si c’est une façon vulgaire, parce que comptable, de le dire. D’où les autoportraits, d’où leur répétition (encore aujourd’hui) et le marquage spatiotemporel précisé dans les légendes des photos exposées ou publiées. Nous étions. Je prenais une photo, j’étais. L’image pouvait être vue comme un piège temporel. Les « allers et retours dans la chambre blanche ». La photo devait apporter la preuve (j’insiste sur ce mot) de cet aller et retour. Quelle folie il y avait, quelle folie il y a toujours, n’est-ce-pas, dans ce besoin inépuisable... Le mot « mort ». Présence d’un appareil photo autre que celui dont je me servais pour prendre la scène, c’était pour souligner cette présence mortelle qu’évoque Sternberg.
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L’idée de parachever le principe de l’antéfixe et de l’organiser, de la compléter et de le terminer par des photos prises au déclencher à retardement me paraissait particulièrement logique. Et, a fortiori, en séparant les deux massifs, les textes d’abord, les images ensuite. _ Pour les « décrocher » d’un système illustratif trop simpliste ? _ Bien sûr. Pour mettre deux morceaux, deux arts différents face à face, un peu comme les deux éléments d’un serre-livres. Je suis passé à la publication de mes photos à cause d’une obligation de livre qui exigeait que je comble un texte expérimental strictement littéraire. Quel est donc ce manque que la photographie va s’échiner à remplir ? ce face-à-face avec une béance qu’elle me force à ausculter dans une course qui ne peut, encore aujourd’hui se terminer ? Manque et béance (je crois ces deux mots très justes) qui, par ailleurs, ne concernent en rien ma pratique d’écrivain. Tout porte à croire que cela a correspondu à une sorte de révélation panique : que du temps était perdu, que beaucoup de temps avait été perdu, que c’était trop tard et que je devais désormais courir après lui.
Du coup, c’est comme si la photo tout entière était un leurre en même temps qu’un ex-voto : un leurre pour déranger la mort, un ex-voto en guise de salut au temps qui passe. Jean-Luc Moonterosso, qui deviendra plus tard la Maison européenne de la photographie. Dépôt de savoir & de technique Au-delà du principe d’écriture Les Cahiers de la photographie (par rapport à la littérature) Une sorte de complément d’enquête, la photographie ? Oui, il y a de ça. Et c’est un manque qui s’ouvre devant moi, un manque lié à la mort. La vie, une succession de déplacements. La photographie permet de montrer, de cadrer, de visualiser tous ces endroits : je suis ici, j’ai été là. Quand vous évoquez le piétinement du Dogon, quand vous parlez d’ »allers et retours dans la chambre blanche », que vous placez Françoise dans un endroit donné, que vous vous photographiez en train d’y aller, puis en train d’en revenir, quand vous citez Sternberg qui dit filmer l’espace mort entre sa caméra et le sujet filmé, est-ce que vous n’avez jamais pensé
que la photo prise aura des effets dérangeants pour celui de vous deux qui survivra ? _ Non, jamais. C’est curieux que vous me posiez cette question. Les autoportraits au déclencheur. Les photographes professionnels les considèrent comme faisant partie du bric-àbrac des amateurs. Essentiellement parce que la part du hasard y est abusive, et que l’artiste, lui, doit assumer pleinement la maîtrise du médium. Ce protocole temporel qui vous fait revenir photographier aux mêmes endroits, à des époques différentes. _ Je ne chercherai pas à théoriser. S’en tenir à l’anecdote et à son récit, au fait même. Une photo souvenir. Une image sentimentale. C’est le cimetière qui a changé et non Françoise. « Ces photos apportent bien la preuve que ce n’est pas la vie qui a changé, mais la mort. » Un doublon graphique (deux fois la même photo à différentes époques) : ça vaut comme pratique et ça vaut comme beauté. Coup double, de toute façon. L’idée qu’un dispositif est à l’œuvre. Et que ce dispositif tient lieu, assez souvent, de rituel. L’appareil photo joue le rôle d’un comparse. Il n’est pas seulement cet outil dont je me sers, c’est lui qui prend la photo. Il lui arrive, de temps en temps, de figurer dans l’image. Voir l’appareil photo dans la photo : qui paraît surprendre ce moment d’intimité. Bref, ou l’appareil est là, ou il est sous-entendu. J’insiste sur ce dernier mot, encore une fois. Toute photographie dit et désigne, en la sous-entendant, la présence implicite de l’appareil photo. (l’écriture n’était pas une transparence, mais l’objet d’une médiation par le langage.) L’avant-garde russe de la période révolutionnaire, qui prenait en compte l’appareil photographique. Le traiter comme un partenaire à part égale de la prise de vue, un intermédiaire actif entre l’œil et le réel ? _ Certainement.
Rodchenko. L’importance de l’appareil. Ces rituels s’adressaient-ils à quelqu’un en particulier ? _ Oui, à Françoise et à moi. Ces photos sont prises parce que nous sommes à un endroit donné, à un moment donné. C’est un marquage. Ce mot d’ « endroit » est très important. Mon « endroit », c’est celui où je suis, où je me trouve, où je me tiens. Ce n’est pas un « lieu ». On ne peut pas prendre une photo à distance. A un endroit où on ne se trouve pas. La première caractéristique de la photo, c’est qu’elle se produit exactement à l’endroit où se tient celui qui la prend. Toute photo est autobiographique. A propose d’ombre portée. Sur des contacts successifs qui symbolisaient si bien à la fois l’autoportrait et l’acte photographique. Ce temps qu’on s’efforce chaque fois de retenir, qu’on croit chaque fois emprisonner dans une pellicule. Rien ne séparait l’enfant heureux que j’avais été de l’homme de cinquante ans immobile sur ce balcon, face à l’abîme du temps congelé. J’ai saisi mon appareil photo, j’ai cadré l’inchangé et j’ai déclenché. Voila, j’ai photographié le paradis de mon enfance. Et voici mon paradis aujourd’hui. (Trinidad, Farrell House Hotel, chambre 3202, deux contacts successifs). C’est le rapport entre ce que j’avais appelé un jour le temps du photographié (du domaine de l’imprévisible de la prise de vue) et le temps du photographique (celui de l’examen des planches- contacts) où l’on réexamine, effectivement, le passé, et où l’on cherche à détecter de possibles réévaluations formelles. On retrouve la conjonction du délibéré et du hasard. Ce n’est pas que j’y tienne tant que ça, mais c’est tout de même vrai que je n’ai jamais entendu un photographe se prévaloir du hasard devant une image qu’il avait réussie. Surtout dans ces cas-là. (voir Breton).
“Nous étions. Je prenais une photo. J’étais”
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FICHE DE LECTURE
Le rôle absolument essentiel de l’inconscient dans la prise photographique. Plus le temps de pose est court, plus la photo est livrée aux gesticulations du hasard. Et plus l’intervention de l’inconscient peut se montrer massive, dérangeante, produisant comme une sorte de synapse de mort.
Pour Pialat, le seul fait d’appuyer sur le bouton de la caméra déclenche le rêve, bien sûr.
Devant certaines de mes photos, je reste saisi par cette certitude que l’inconscient s’y est déployé, disons comme une bannière subliminale.
A mes allers et retours : le réel dans lequel je me donnais ainsi le droit d’entrer devenait, du même coup, le pays du rêve. C’était, d’une certaine manière aussi, le droit que je me donnais de faire une entorse au principe de l’image fixe puisque j’y sousentendais le mouvement et aussi l’incertitude.
Cette phrase de Tournier qui propose un joli dérivatif aux esprits cadenassés par trop de certitude : « Il paraît que votre surmoi complote avec votre ça à l’insu de votre moi ». 22
Au fond il est peut-être bon que les photos soient muettes et qu’elles le restent. L’importance du « moment » et de l’acte qui l’englobe.
Sous-titre programmatique. Colonel Lawrence : « Les livres ne sont pas faits pour être lus, ils sont faits pour être écrits. » Maurice Pialat : « L’onirisme de pacotille, je ne connais pas. Le seul fait d’appuyer sur un bouton de caméra est onirique. » Je voulais signifier qu’en matière d’acte photographique toutes les approches se valaient. Qu’on pouvait attaquer de front se fantastique sujet, comme en une philosophie interminable. Il n’y a aucune fin véritable à une fraction de seconde. Mais du jour où vous prenez conscience du silence des photos, vous ne pouvez plus vous débarrasser de l’idée qu’elles en sont marquées d’une façon indélébile. Mais comment raconter le silence ?
Aucun genre littéraire ne permet à l’écrivain d’entrer dans ce qu’il écrit. Le reflet : superposer au réel un contre-réel qui assurait au premier un débouché. Un monde flottant. Le recours au reflet. Une sorte de pudeur devant ce que j’appelle le moment. D’échapper aux nus directs. La métaphore : « Procédé de langage qui consiste à employer un terme concret dans un contexte abstrait par substitution analogique, sans qu’il y ait d’élément introduisant formellement une comparaison ». J’introduis de l’abstrait dans un contexte concret. Florence Henri. Raoul Hausmann J’appelle photolalie cet écho muet, ce murmure de conversation tue qui surgit entre deux photographies, très audelà du simple vis-à-vis thématique ou graphique.
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“La photographie, c’est un horizon qui se mord la queue, et quatre angles droits”
FICHE DE LECTURE
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Le jeu va consister à montrer comment s’opère une photolalie et ce qu’elle nous dit. Mais surtout la succession des pages ira selon le goût d’une variation musicale, dégageant des massifs plus évidents que d’autres, du face-à-face à la litanie, du clin d’œil à la simple insinuation.
Et donc, en étant exactement au même endroit, avec le même cadrage, je transformais la réalité devant moi en abstraction, ou l’abstraction en spectacle de rue.
Je m’étais étonné qu’il n’existe pas un mot pour désigner ce qui se passe entre deux photos quand on met en pages un catalogue ou un album de photographies.
« Il faut que je photographie la photographie. » « La photographie, c’est un horizon qui se mord la queue, et quatre angles droits. »
Cet ennui, je l’avais déjà rencontré, dans d’autres circonstances, dans des voyages où le temps se trouve plus suspendu que jamais.
(en parlant de la photo, 21 juillet 1989. Waterville, Irlande, Butler Arms Hotel, chambre 208)
J’ai cherché mon ombre et j’ai regardé comment elle cheminait en ma compagnie. Quand je fais des images tête-bêche, ou je les retiens parce qu’il s’agit de deux images qui entrent en conflit dès lors qu’elles sont agrandies et exposées côté à côté, ou ce conflit ne se produit pas et alors ce ne sont que deux images têtebêche, rien d’autre. S’il se produit, par contre, un léger trouble entre les deux, suffisant pour que je me demande, ayant entre les mains les deux tirages agrandis, laquelle était dans le bon sens et laquelle est l’envers de l’autre, alors ça peut devenir intéressant, et notamment dans une exposition quand se pose le problème de les disposer sur un mur : laquelle faut-il mettre à gauche, c’est-à-dire d’abord, et laquelle doit être placée à droit, c’est-à-dire ensuite. Genet : « Tout roman, poème, tableau qui ne se détruit pas, je veux dire qui ne se construit pas comme un jeu de massacre dont il serait l’une des têtes, est une imposture. »
Pour moi le « ça a été » se confond toujours avec le « j’y étais ».
«Il n’y a pas de photo à faire ici, de ça » Alors, avec mon deuxième appareil, j’ai cadré le dos du premier tout juste inscrit dans l’encadrement de la fenêtre. Quand j’ai eu entre les mains le tirage agrandi de cette photo, j’ai pensé aussitôt que, si j’avais dû arrêter de faire des photos, celle-ci aurait parfaitement fait l’affaire. Ce que je n’avais pas vu en la prenant, c’est que, dans l’œilleton de l’appareil dont j’avais photographié le dos, se trouvait un poteau, mais qui, ne se trouvait pas au même endroit, dans le même alignement, que celui qui était au-delà, sur la terrasse de l’hôtel en dessous. Cette ligne brisée du poteau dans le viseur, ainsi décalé par rapport au réel, avait donné, à mon insu, une sorte d’échappée à cette photo. Pour une fois, le punctum de Barthes trouvait sa justification. J’aurais pu m’arrêter là et refermer une fois pour toutes le livre de la photographie, parce que là j’avais tout dit : le jour et l’endroit, la symétrie, le cadrage, l’appareil photo _ et ce poteau coupé en deux : le vrai, celui qui était dans le réel, et le faux, celui qui était dans l’image...
L’abstraction. Ou le nu dans son détail le plus abstrait.
“Le reflet : Superposer au réel un contre-réel qui assurait au premier un débouché. Un monde flottant”
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FICHE DE LECTURE
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DOMINIQUE BAQUE LA PHOTOGRAPHIE PLASTICIENNE Un art paradoxal Edition Regard - 1998
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FICHE DE LECTURE
P
hoto plasticienne : non pas la photo de reportage, ni la photo dite ‘créative’, ni la photo de reportage, ni la photo appliquée, mais celle qu’utilisent les artistes, celle qui ne s’inscrit pas dans une histoire supposée pure et autonome du medium mais celle qui vient croiser les arts plastiques. Le medium photographique qui, plus que tout autre sans doute, aura voulu s’inscrire dans le champ de l’art, ne l’a fait que pour en saper obstinément les fondations. Pour le miner de l’intérieur. La photographie, donc, au risque de l’art.
photographie comme ce qui reste, comme le ‘restant’. La photo suspend, arrête le ‘flux’ de l’action, et ne restitue qu’une infime parcelle de la dramatisation qui s’y est jouée. La photo fonctionne ici comme une relique. Précieuse et fragile. Le regarde va chercher à décrypter la vivante trace de ce qui a été. La photographie n’est plus ce qui documente la performance, mais bien plutôt ce qui la régit et la modélise.
UNE ENTREE EN ART PARADOXALE ARTS D’ATTITUDE PHOTOGRAPHIQUE
ET
AMBIGUITES
DU
MEDIUM
Fin des années 70 : envie de rompre avec l’œuvre figée sur la planéité de la toile ou dans le volume clos de la sculpture qu’il était question de rompre. Action. Event. Happening.
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Un event peut durer une seconde, deux minutes ou plus encore ; l’essentiel est qu’il comporte une très forte dimension expressive mais également conceptuelle. Happening (Allan Kaprow) : activities, composées rigoureusement, le public était vivement convié à participer, tant au niveau de l’élaboration conceptuelle qu’à celui de l’action à proprement parler. La génération des années 60 – 70 inventait une nouvelle posture artistique où le corps allais désormais être mobilisé comme medium pur brut natif. Rapport artiste-regardeur, acteur-participant : médiateur est le corps. Actions de Gina Pane, happening new-yorkais, actionnisme viennois, performances californiennes ou Land Art = “art d’attitude”. Si on a tenté rapprochements et articulations entre ces pratiques c’est parce que la photographie y joue à chaque fois un rôle. De la simple documentation à ce qui serait l’œuvre elle-même. Car de ces actions, happening, il ne reste rien sauf les souvenirs oraux. Il ne reste rien sinon le document photographique. La
Entrée en art de la photo : sera souvent l’accompagnatrice, souvent le ‘restant’, toujours le témoignage, jusqu’à devenir l’œuvre elle-même. Entrée de le photo dans l’art dans les années 70, à ce moment prédomine massivement dans la photo la photojournalisme à l’américaine (rober frank) et photo humanisme à la française (Doisneau, Izis). Il y a donc rupture quant à la nature, au statut et à la fonction du medium photographique. Deux postures photographiques : a) artistes qui utilisent la photographie (encrent leur pratique photographique dans le champ des arts plastiques, photo comme support, photo jamais comme fin en soi). b) les photographes purs (pratique radicalement exclusive du medium photographique). Paradoxe : la photographie n’est plus autonome. Hybridation, mélange, métissage, contamination des medias. Becher (Biennale de Venise, 1990), Suzanne Lafont (Galerie Jeu de Paume, 1991) : deux œuvres purement photographiques sont officiellement annexées à la sculpture et à la peinture : paradoxe. Jean-François Chevrier a nommé la ‘forme-tableau’, viendra ensuite ‘tableau photographique’, ‘photo tableau’. Forme photographique conçue en référence au modèle pictural (Jeff Wall). A l’opposé d’une photographie qualifiée de ‘vulgaire’ et ‘bavarde’, la photographie créative entend remettre le regardeur ‘en présence du silence de la terre et des visages’.
La photo créative entend doublement réhabiliter l’œuvre d’art dans ses déterminations les plus traditionnelles et préserver la logique d’un medium dont l’histoire autonome est pensée non seulement comme possible, mais encore comme nécessaire. L’une des spécificités du champ photographique contemporain est son éclatement. Le statut de la photographie n’est pas stable et ne cesse de bouger. Medium précaire et fragile, cerné par l’utilitaire et le consommable, la photographie est cette image ontologiquement incertaine et pauvre qui n’en finit pas de douter.
LEGITIMATIONS THEORIQUES Née avant le cinéma, la photographie est pourtant entrée en art beaucoup plus tardivement. Cinéma : tout de suite très bien accueilli Photo : grande controverse. Voir le texte de Baudelaire Salon de 1859. Condamné à n’être que la très humble servante des arts et des sciences, la photographie est longtemps restée un medium secondaire. 1931 La Petite Histoire de la photographie, Walter Benjamin : photo promue au rang d’objet théorique. Gisèle Freund et Susan Sontag : approche historique et sociologisante de la photo. Réflexion sur le statut, fonctions, pouvoirs (moraux, sociaux, idéologiques) du medium. Roland Barthes : La Chambre claire (1980). Pour Barthes, l’image photographique serait à comprendre comme un message sans code. Contradiction image-texte : l’image ne sera jamais langage. La photo jamais un texte. Barthes élabore trois niveaux de sens de la photo : 1) la communication. 2) symbolique. 3) ce qui ’point’ le sujet, l’émeut, le trouble, le bouleverse.
comme une simple chose, mais comme un acte. Un acte de la conscience imageante. Barthes : il faut déployer la thèse de l’Imaginaire et établir que c’est la conscience même du sujet qui est interpellée dans une véritable ‘aventure’ qui se joue entre une image et un sujet, aussi imprévisible que bouleversante, et qui vient ‘pointer’ l’affect, le corps. C’est-à-dire aussi l’envers de l’intellect, ce qui, dans le sujet, est le moins maîtrisable. Barthes : « ça a été » : une photographie vécue et reçue sur le mode l’apparition, qui réunit enfin, au plus profond, au plus intime du sujet. Et l’effet de reconnaissance (c’est elle, enfin, c’est bien elle). Motifs de deuil, mélancolie, amour. Barthes a trouvé la bonne photographie, la photo juste, celle qui le transit d’amour et de mort. Or cette photo, nul n’y aura accès : invisible dans La Chambre claire, elle gardera à jamais son statut de mystère. C’est-à-dire que les autres photos (comme les photographes y ont eu accès) ne valent pas la peine d’être regardé ? Elles sont accessoires ? Périphéries ? 29
La photographie a une conscience du temps. La photo a à faire avec le référent et avec le temps. Charles Sanders Peirce, dans Ecrits sur le signe : la photographie ne serait ni icone ni symbole, mais index. La spécialité de l’index tient au fait que, comme la trace de pas ou la fumée du feu, il entretient avec son référent un rapport de connexion réelle, d’association physique. Il ne s’agit pas d’écrire ‘sur’ la photographie, mais sur la nature et les enjeux de l’indice, ou encore, comme le souligne Rosalind Krauss « sur la fonction de la trace dans son rapport avec la signification, sur la condition des signes déictiques ». Philippe Dubois, double présupposé : d’une part, la photographie comme miroir du réel, le « discours de la mimesis ». D’autre part, la photographie comme transformation du réel, le « discours du code et de la déconstruction ».
Sartre supposait en 1936, que l’image ne peut se comprendre
“Le statut de la photographie n’est pas stable et ne cesse de bouger”
FICHE DE LECTURE
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LABEL ARCHITECTURE LA BEAUTE DE L’ORDINAIRE La Découverte - 2008
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La beauté de l’ordinaire Un projet de Label Architecture BIENNALE DI VENEZIA Xe Exposition Internationale d’Architecture – Pavillon belge Venezia, Giardini di Castello 10.09.2006-19.11.2006
DOSSIER DE PR PRESSE
FICHE DE LECTURE
B
ruxelles, août 2006 - Pour la Xe Biennale Internationale d’Architecture de Venise, qui a pour thème «Ville. Architecture et société», la Commu- nauté française de Belgique présentera «La beauté de l’ordinaire». Un projet aux multiples facettes offrant aux visiteurs l’opportunité de (re-) découvrir les beautés de la banalité territoriale belge. Cette participation belge, intitulée plus précisément «La beauté de l’ordinaire. Ou comment je me suis disputé avec mon voisin», est un projet du jeune bureau bruxellois Label Architecture.
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Certains définissent nos territoires comme banals, extraordinaires, populistes, froids, tristes, vides, anecdotiques, intéressants, inintéressants, éphémères, transitoires, sans âme, de merde, ugly, typiques, petits, stylés, (belges), modestes, résistants, plastiques, exotiques, familiers, plus grands, plats, pluvieux, venteux, à imaginer, à cons- truire... Envisagé comme l’expression spatiale, politique et culturelle de la collectivité belge, le territoire en question est caractérisé par toute une série de particularités auxquelles il est possible de faire appel pour révéler la singularité d’un cadre de vie, ce qui en fait son charme et ses atouts. Ceux-ci peuvent tour à tour relever de banalités spa- tiales, d’appropriations ordinaires, de confrontations improbables... Cette condition, et plus particulièrement le regard de l’observateur sur celle-ci, permet
d’interroger l’extraordinaire que contiennent de nombreuses situations ordinaires et vice versa. «La beauté de l’ordinaire» entend questionner ce contexte; comment, dans une société générique, engagée dans un phénomène globalisé d’esthétisation de la vie quotidienne, est-il possible de mettre en avant des particularités qui relèveraient de l’involontaire, de l’improbable, de l’anecdotique, de l’indéfini ou de l’absurde et par là, sans exhaustivité ni discours incantatoire, d’une possible identification, toute relative soit-elle? Pour nombre d’entre nous, ces paysages symbolisent un impossible désordre. Pourtant, force est d’admettre que nous en sommes à l’origine et que, pour des raisons qui nous échappent souvent, nous nous y plaisons. En acceptant d’envisager positivement et prospectivement cette situation, comment y déceler la beauté de l’ordinaire? Quel regard adopter? Quelle position prendre? «La beauté de l’ordinaire» est un projet en trois parties : une installation dans le pavillon belge, une publication aux attributs d’un livre de poche et un magazine d’images. Le projet sera visible à Venise du dimanche 10 septembre au dimanche 19 novembre 2006. Les journées presse se tiendront du 7 au 9 septembre 2006. 
Installation
Livre de poche
Un patio dans le pavillon. Situé au centre du bâtiment, un espace emmuré aux formes irrégulières que certains reconnaîtront comme étant celles de la Belgique. Au sol, au milieu de cet espace central, une grande photo aérienne présente l’ensemble du territoire belge, sous la lumière blanchâtre d’un ciel ouateux. De grands ballons transparents offrent la possibilité de s’asseoir, de faire une pause, et d’observer, joyeusement, le territoire. Sept portes permettent de passer de cet espace vers l’extérieur. Atmosphère différente. Un couloir infini, aux formes irrégulières, sombre. Seuls quelques néons indiquent une possible direction aux visiteurs.
La publication, petit livre de poche en lieu et place d’un catalogue, rassemble 13 propos, 13 points de vue de personnalités belges sur le thème de «la beauté de l’ordinaire» et la manière dont chacun d’entre eux, avec leurs regards respectifs, l’interprète.
Le long de ce couloir, trois alcôves. Dans celles-ci, trois vidéos sont diffusées. Réalisées par Stefan Liberski pour l’occasion, celles-ci proposent de longs plans fixes sur les territoires belges, urbains, périphériques, ruraux. Les sons qui les accompagnent offrent de nouvelles opportunités de compréhension d’un territoire considéré comme connu et banal. Une manière radicalement nouvelle de voir notre environnement. Un espace intérieur, un vestibule tout autour et des projections en périphérie; trois opportunités complémentai- res qui permettent ensemble et/ou séparément de percevoir de manière différenciée la beauté de l’ordinaire.
Parmi ceux-ci, on retrouve Dieter Lesage, Bouli Lanners, Geert Bekaert, Thomas Gunzig, Jean-Michel Thibault, Claude Javeau, Alain Malherbe, pleaseletmedesign, Joachim Declerck, Christophe Van Gerrewey et Label Ar- chitecture. Si la majorité de ces contributions ont été écrites et photographiées pour l’occasion, d’autres ont été reprises pour leur pertinence, d’autres encore rééditées pour leur actualité. Magazine d’images Le magazine présente une sélection de 10 images extraites d’un reportage photographique réalisé à travers l’en- semble du pays et comprenant plus de 3000 clichés. Distribué largement par la presse belge et disponible dans le pavillon belge des Giardini di Venezia, ce magazine offre un regard particulier sur notre environnement et ouvre la discussion sur ce qui peut être entendu comme «la beauté de l’ordinaire». Il permet également de découvrir, sous un autre angle de vue la quotidienneté de nos territoires vécus.
“La beauté de l’ordinaire ou comment je me suis disputé avec mon voisin”
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FICHE DE LECTURE
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GABRIELE BASILICO LA CIUDAD INTERRUMPIDA Actar - 1999
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L
ettre à la Ville.
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Je suis né dans cette ville. J’aime cette ville comme on aime un vieil ami. C’est dans cette ville que j’ai grandi. Elle m’a enduis sur mes passions, mes espérances, mes angoisses. J’admire les parties belles et les parties les plus misérables de son corps, du quartier à la maison, en passant par les murs et les pavés. La ville possède ses propres beautés et laideurs, externes et visibles, qui sont la incarnation de son histoire, et qui s’expriment dans ses caractères physiques et qui acquièrent un sens toujours plus important lorsqu’elles sont comparées à d’autres villes. Cette ville ressemble à un être humain. C’est un organisme qui respire et qui se dilate au-dessus de nous comme un manteau protecteur qui à la fois nous enveloppe et nous déstabilise. A mon avis, avec les années, la ville s’est transformée en un port,
en un lieu privé à partir duquel il est possible de marcher vers d’autres mers, d’autres villes pour ensuite revenir. Un port, c’est un lieu stabilisé, où s’accumulent des échantillons d’extraits, des copies, des découvertes ou images de lieux lointains. Des images encrées dans la mémoire comme une substance que la ville sait faire sienne et retenir, mais aussi qu’elle sait restituer, et métaboliser en d’autres images qui recréent le présent et le passé, proche ou loin, selon les pulsations de notre cœur. Petites découvertes arquéologiques contemporaines. Cette ville m’appartient et je lui appartiens, presque comme si j’étais un fragment fluctuant de son immense corps. Je suis obsédé par le besoin constant de connaitre son corps. Une nécessité d’interpréter ses traits et ses parties plus cachées. Mais aussi ses lieux connus et ses aspects célèbres. Entre nous deux, il y a un paysage ouvert qui nous permet un échange continu de perceptions, un point de vu spécial.
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“Entre nous deux, il y a un paysage ouvert qui nous permet un échange continu de perceptions, un point de vu spécial”
FICHE DE LECTURE
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GEORGES DIDI-HUBERMAN ATLAS OU LE GAI SAVOIR INQUIET L’oeil de l’histoire 2011
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FICHE DE LECTURE
V
ersion numérique. Entretient réalisé par la librairie Mollat :
C’est très difficile d’être historien de l’art sans avoir une pratique de la photographie. A Auschwitz, partout où vous mettez votre appareil, des milliers de touristes qui ont posé leur appareil au même endroit.
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J’ai fait des photos pour avoir une contenance peut être, dans mon corps. J’ai fait des photos en plus à l’aveugle. C’est au retour, en les voyant ces photos, tout à coup je me suis dit que il y avait un texte là, en suspens, à travers ces photos. Faire des photos c’étaient de la plus grande banalité. C’est photos de grande banalité. Je n’ai pas essayé d’être photographe, du tout. Les mots me viennent à travers les images. La surface c’est ce qui tombe des choses. La mue par exemple. C’est une image encore, et en fait c’est une image des images. Polémique autour de la nécessité ou pas de s’en remettre fusse partiellement aux images de la Shoah. C’est tout un débat fondamental sur la question des images qui est posée dans la très longue durée. Déjà chez les Grecs vous avez Platon qui va dire que l’image c’est l’illusion même d’une réalité qui est elle même seconde. C’est la réalité sensible. La réalité sensible, ce que l’on voit, c’est déjà pour Platon quelque chose de bien inférieur à l’idée. Alors en plus faire une image de la réalité sensible… C’est l’illusion, c’est la méconnaissance, c’est le
mensonge. Aristote disait le contraire. Il disait que même pour penser conceptuellement, on ne peut pas se passer d’image. Donc ce débat, c’est toujours le même. En fait c’est le même aujourd’hui. Il y a beaucoup de gens qui pensent, et on peut les comprendre aussi vu l’usage que l’on fait aujourd’hui des images qui est insupportable. Mais on pourrait dire la même chose du langage. L’usage du langage, l’usage des mots aujourd’hui est immonde. Mais ça ne veut pas dire que l’on va arrêter de parler, au contraire. Donc ce que je veux dire, une image c’est peu de chose. C’est une écorce éventuellement. Mais une écorce c’est un morceau de peau. Et que donc, on contraire de dire que l’image c’est le voile qui cache, pourquoi ne pas dire que l’image c’est une surface pelliculaire qui fait partie du corps. Qui donc ne cache pas mais éventuellement se détache. Un bout d’écorce c’est partiel, temporaire. Si vous arrachez un bout d’écorce à un arbre, il va la refaire. Donc ce bout d’écorce que j’ai ce n’est pas la révélation de l’arbre. C’est quelque chose à partir de quoi je peux penser à l’arbre, réfléchir à l’arbre, tout en sachant bien que je n’aurais pas la révélation en totalité de l’arbre. Donc autant, oui, j’ai une passion pour les images, autant je sais très bien que ce n’est pas « la » vérité. De toute façon la vérité je ne la vois pas non plus ailleurs. Le langage aussi une production d’écorce. Les mots ne sont que des
petites choses aussi. On peut se poser la question de savoir pourquoi c’est deux lires paraissent au même moment puisqu’ils sont énormément dissemblable. L’un est très solide, très sérieux sur la question d’atlas d’images. Et l’autre c’est une toute petite forme. Et moi j’en fais toute la journée des Atlas. Mais le petit livre écorce est une sorte d’une photo récit mais en même temps un texte (une forme de connaissance) qui vient directement d’une certaine organisation des images que j’avais produites. J’ai fait quelque images, j’en ai choisi quelque unes, je les ai mises dans un certain ordre. J’ai fait une configuration, on pourrait déjà appeler ça un atlas. Donc des atlas j’en fais, et des atlas d’image. Si les images sont autre chose qu’un mensonge sur la réalité mais un bout qui s’en détache. Alors que si vous mettez ces bouts les uns à côté des autres, vous formez quelque chose qui a une certaine solidité de connaissance. Même si c’est pas une connaissance standard. C’est ça un atlas d’image. Alors bon, bien sûr le gros livre sur l’atlas il vient d’un travail plus fondamental sur la personnalité Aby Warburg qui est ce très grand historien de l’art. Il est à l’histoire de l’art ce que Freud et à la psychologie. Il a tout changé… Ce texte est aussi lié à un autre niveau d’atlas que j’ai dû faire c’est-à-dire une exposition au musée Reina Sofia à Madrid et où en fait j’ai fait une sorte d’atlas d’atlas. C’est-à-dire j’ai recueilli une forme d’atlas, soit constitué par des écrivains, soit pas des artistes, soit par des
savants… et moi j’ai fait cette exposition. Et cette exposition je l’ai pensé forcément comme une sorte d’atlas et j’espère qu’en voyant cette exposition il y a certaines questions qui surgissent. Les images sont des dispositifs destinées à mettre en relation des ordres de réalité complètement hétérogènes. Une image n’est jamais plus intéressante que quand elle est dialectique, quand elle dialectise quelque chose, par exemple comme le plus intime de mes viscères et le plus lointain du ciel. Voila, et bien, l’atlas de Warburg commence avec ça. Il commence avec la représentation de viscères (foie de mouton que l’on utilisait pour lire le destin astrologique). Donc c’est dans les viscères qu’on cherchait ce qu’il se passe dans le ciel. Et entre les deux, le destin humain, l’homme s’agite. C’est une position propre à Warburg, c’est son vocabulaire. Mais on pourrait dire que ça ressemble beaucoup à ce que Freud dit, par exemple dans le malaise dans la culture, dans la façon dont Freud parle du rapport, qu’est-ce qu’est qu’une culture humaine ? En quoi elle est à la fois ce qui nous permet d’aller au dela des pulsions ? C’est au sommet des astrales de la raison humaine que les pires choses peuvent arriver aussi. Rien de tout ça n’est complètement encourageant. Il faut, avec cette espèce de pessimisme sur la question de la culture, faire avec et faire contre.
“Les mots me reviennent à travers les images”
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JR STREET ART Design & Designer Pyramid - 2011
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eune artiste globe-trotter, JR expose ses photographies depuis près de six ans sur les murs des villes, de la cité des Bosquets à Montfermeil jusqu’à Jérusalem. Sa démarche, qu’il qualifie d’ « artiste », tend à amener l’art là où une confrontation brute, sans références, est encore possible. Alors qu’hier elles lui interdisaient leur murs, les villes lui offrent aujourd’hui des espaces vierges, au Musée de la photographie d’Amsterdam, aux Rencontres d’Arles…
Montfermeil s’embrasent, entraînant nombre de banlieues françaises dans leur sillage, les médias du monde entier amplifient cette révolte. JR se rend à Clichy-sous-Bois et Montfermeil et réalise au grand angle le portrait de jeunes banlieusards en leur demandant de faire d’énormes grimaces. Ses photos sont d’ironiques représentations de ces êtres enragés et asociaux que les médias diffusent.
Ancien graffeur, JR se tourne très vite vers la photographie et tire les portraits de street-artistes, qu’il colle ensuite dans les couloirs du métro parisien. Les émeutes de 2005 marquent le début de son colossal projet « 28 millimètres » : des portraits en noir et blanc réalisés aux quatre coins du globe et exposés en format géant dans les rues des pays en conflit. Ainsi, pour le volet « Face2Face » de ce projet, des photos d’imans, de prêtres et de rabbins grimaçants sont affichées de chaque côté de la barrière qui sépare Israël de la Palestine. Par son engagement politique indéniable, JR nous force ainsi à être les témoins de phénomènes planétaires trop rapidement occultés. En janvier 2011, son film Women are Hereos est sorti en salles.
Sans doute parce qu’il trouve futile d’exposer de beaux tirages dans de beaux cadres pour quelques visiteurs, JR se souvient que les murs publics sont son espace naturel. Il imprime ses photos sur des affiches de très grandes dimensions, accentuant ainsi la proximité des personnages. Leur présence devient intense et le rire presque sonore.
Lorsqu’en 2005 les villes parisiennes de Clichy-sous-Bois et
Travail dans la lignée de Claude Bricage avec son travail
Son travail est réjouissant car il ne cherche pas à faire œuvre à tout prix, il cherche à créer un lieu social, à rapprocher les communautés, à alerter. L’affiche est son mode opératoire, le centre de son travail.
«Photographier la ville ». Martin Parr fera scandale à Londres avec sa série « Signs of the Times ». Guy Le Querrec fera la publicité du festival de Jazz « Banlieues bleues », à nouveau en Seine-Saint-Denis sur une affiche de 4 mètres sur 3 dans le métro : blanche pour commencer, elle se couvrait quotidiennement d’une nouvelle petit photo du concert du jour. JR est à la photographie des années 2000 ce que Nan Goldin était aux années 1980. Il ne cherche pas la virtuosité. Dans chacun de ses projets, il se pose comme le témoin d’une communauté. Avec l’affiche, installée dans le paysage même de la crise mise en valeur, il invente un nouvel outil de diffusion, comme Nan Goldin et ses projections audiovisuelles dans les cafés. Il prend parti, nous force à regarder son point de vue, il s’engage. Par François Hébel.
“Son travail est réjouissant car il ne cherche pas à faire oeuvre à tout prix”
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MARC PETITJEAN METRO RAMBUTEAU Hazan - Centre Georges Pompidou 1980
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errière mon balcon en fer forgé du troisième étage, à peu près comme depuis une loge de théâtre, j’assistais à la transformation de ce quartier de Paris, la destruction d’un ensemble de vieux immeubles, l’Îlot Saint-Martin, et la construction du Centre Georges-Pompidou. Depuis l’immeuble haussmannien situé à l’angle des rues Rambuteau et Beaubourg, Marc Petitjean a photographié la transformation radicale, entre 1969 et 1996, de cet îlot aujourd’hui constitué du quartier de l’Horloge et du Centre Georges-Pompidou.
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En 1974, devant le métro Rambuteau, existait encore le caférestaurant Au rendez-vous des routiers, tenu par monsieur et madame Pagès, où les vieilles dames du quartier côtoyaient, autour d’un bouef en daube, « des ouvriers, des bourgeois et puis des nobles aussi » (dixit monsieur Pagès). Ouvert au public depuis vingt ans, le Centre Georges-Pompidou est à présent le point d’ancrage du lieu. Un self-service a remplacé le Rendez-vous des routiers et la rue Brantôme n’est plus qu’un souvenir dans le quartier de l’Horloge. C’est l’histoire de cette mutation que racontent ces photos, sans nostalgie et avec lucidité. « Avec la photo, je n’avais ni désir ni prétention artistiques. La
technique ne m’intéressait pas, je photographiais ce que je voyais pratiquement comme je le voyais. » « La photographie n’était pas à la mode, mais je continuai à l’utiliser lors de mes dérives dans Paris, exercice qui consistait à marcher sans but à travers la ville en me laissant guider par ma propre subjectivité : rencontres de personnes, de lieux cachés, de vestiges insoupçonnés, de motifs architecturaux, étonnants, de détails de la banalité… » « Peut-être avait-il été nécessaire que je regarde d’abord le monde au loin pour pouvoir développer une nouvelle conscience de ce qui se passait en face de chez moi, à Paris. Peut-être y avait-il aussi l’influence de mon père, qui m’avait toujours parlé de l’importance de sauvegarder les traces des modes de vie du passé. » « A Beyrouth, je photographiai les lieux que j’avais connus dix ans plus tôt, les rues, les gens, les plages : tout m’était familier, mais tout avait changé. La guerre du Liban commença deux semaines après mon départ. Je pris alors conscience du côté historique de mes photos et de la nature de la photographie en général : Beyrouth ne serait plus jamais comme je l’avais photographiée en ce paisible mois d’août 1974. » « ‘’La mort d’un bistrot’’. Pour moi, l’objectif n’était certainement pas de susciter une quelconque nostalgie du vieux Paris en train
de disparaître. J’étais même contrarié par certaines réactions du genre : « C’est du Doisneau. » Il s’agissait de raconter une histoire, de suivre des gens, d’observer un bâtiment, des objets dans le déroulement du temps. Il n’y avait pas de nostalgie, mais plutôt une interrogation sur la violence d’un événement en apparence tellement banal, qu’on aurait très bien pu passer à côté sans s’en apercevoir. » « d’un côté le Centre Georges-Pompidou qui naissait (…) de l’autre, des châteaux de pierres et de poutre de bois conçus et fabriqués aux 17 et 18e siècles qui disparaissaient ; deux civilisationsse croisaient sous mes yeux. » « Octobre 1975, Gordon Matta Clark réalise une œuvre dans le bâtiment du restaurant et l’intitule « Intersection conique » (…) donner une autre utilisation, une autre destination à ce lieu avant qu’il ne disparaisse totalement. »
Gordon Matta Clark : « Ça a commencé avec l’idée de faire un son et lumière et comme, à part le son de la rue, je ne pouvais pas penser à un son convenable et comme la lumière, ça vient d’une source assez limité, qui prend plutôt la forme d’un cône… Alors ici, c’est un son et lumière sans son ni lumière. C’est pour ça qu’on a fait ce trou, c’est pour avoir une sorte de compensation de tout ce qui manque. Finalement, après avoir joué un peu avec le titre de tout ça,
ça s’appelle « Intersection conique…avec un angle de trentedeux degré ». C’est exactement la chose que je voulais faire, il y a neuf mois, quand je pensais à Paris, même si je ne savais pas où ça se ferait, ni comment ça se présenterait. Ce qui m’intéresse, c’est sortir de tout ce qui est le travail, de tout ce qui est la merde, une forme qui soit assez correcte et qui corresponde à une idée que j’avais dans la tête. Mais il n’y a pas que le travail qui m’intéresse, ça m’amuse aussi d’avoir un résultat, autrement je le ferais avec la grue, ou la dynamite, ou je ne sais pas quoi… » « Dis ans ont passé. Beaubourg et le quartier de l’horloge ont vieilli. Plus rien de ce que j’ai connu n’a survécu, sauf l’entrée du métro Rambuteau, désormais point de référence du quartier d’avant. » « Et puis un jour j’ai traversé la rue et photographié mon immeuble depuis le Centre Georges-Pompidou. Un contre champ, un renversement de point de vue qu’il m’aura fallu plus de vingt ans pour accomplir. »
“C’est l’histoire de cette mutation que racontent ces photos, sans nostalgie et avec lucidité”
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RAYMOND DEPARDON LE TOUR DU MONDE EN 14 JOURS, 7 ESCALES, 1 VISA Fondation Cartier, pour l’art contemporain INEDIT 2008
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aymond Depardon nous donne à voir le monde d’aujourd’hui, ce monde devenu minuscule. De Los Angeles à Honolulu, de Hô Chi Minh-Ville à l’Afrique, il est allé « se perdre et regarder les gens vivre » le temps d’un tour rapide, presque improvisé, de la planète. Cent vingt photographies sublimes disent l’étrange banalité de cet ailleurs, le souvenir et l’avenir qui se mêlent, et l’incroyable talent de ce « passeur » pas comme les autres. « Raymond Depardon n’est pas qu’un photographe, non plus qu’un cinéaste ni un écrivain. C’est un regard. »
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A la fin de mon voyage, j’ai appelé Paul pour lui dire que j’avais fini mon tour du monde, et que j’étais très heureux d’être en Afrique et que j’espérais ne pas avoir perdu mon âme. Jean-Luc Godard prétendait que la beauté sur terre venait de la ville et que la ville était « fiction », en opposition au vert, au ciel bleu, à la forêt qui était roman. Alors les choses se sont déplacées vers la nuit, vers le roman. L’intrique est sans frontières, sans culture, j’allais dire qu’elle est sans identité précise, dans ces villes immenses où vit maintenant plus de la moitié de l’humanité. Si le soleil n’est plus le privilège nécessaire pour faire du cinéma, alors Los Angeles doit se reconvertir. A force de vivre hors climat naturel, elle est sans souvenir, donc sans avenir.
Au fond, je crois que c’est la première fois que je vois des Japonaises en maillot de bain. Elles sont si pudiques qu’elles se rhabillent vite dans la rue. Je n’ai pas visité grande chose comme toujours, dans des séjours si courts. J’ai préféré filmer juste devant mon hôtel, le passage piétons, la plage, les rues adjacentes, cela m’a suffi. Je n’aime pas me disperser, courir et rater toujours quelque chose. Je suis resté au même endroit, sans bouger, comme un habitué, un voisin, les gens ne faisaient pas attention à moi. Ils n’avaient pas de raison, tout le monde photographie et filme. J’étais un touriste de plus et j’en étais ravi. On peut mourir sans terre natale. Je redeviens le petit reporter tout juste sorti de l’adolescence, bien seul mais bien libre. Il n’y avait rien à comprendre, il fallait juste se laisser vivre. C’est la ville la plus facile à photographier (Tokyo). Nous sommes voyeurs. « Que la nostalgie est triste. » Je n’arrête pas de répéter ces mots. Pour la première fois, j’ai un peu l’angoisse du voyageur moderne, je ne sais plus où je suis. Je ne sais pas quelle heure il est à Paris. Il n’y a pas d’heure exacte puisqu’elle change en permanence.
« Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. » En regardant par hasard le guide Lonely Planet sur l’Afrique du Sud, je tombe sur Port Nolloth. « Vous avez l’impression d’arriver au bout du monde. » C’est parfait pour moi ! J’ai aimé filmer ce voyage. J’aime profondément fabriquer des images en voyageant. Est-ce une fuite ? Une façon d’arrêter le temps qui passe trop vite ? D’alléger ma conscience ? J’ai encore deux jours pour rejoindre mon avion. Je suis enfin un voyageur sans pression. Me laisser aller à ne plus rien penser, à me vider la tête. Comme si c’était possible ! Pourquoi pas ? Je n’ai plus de films. Je suis en vacances.
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Quatorze jours de voyage, de nomadisme moderne avec des billets d’avion électroniques, des cartes de crédit, des bons d’échange et un téléphone portable qui a marché dans toutes les villes.Je reviens à Paris fatigué mais heureux d’avoir vérifié que la Terre était ronde. J’ai onze nuits passées à l’hôtel, et une nuit dans l’avion entre Singapour et Le Cap mais il manque deux nuits ! Evaporées par les décalages horaires.
“Que la nostalgie est triste. Je n’arrête pas de répéter ces mots”
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RAYMOND DEPARDON VILLES/CITIES/STÄDTE Le voleur d’images Actes SUD - 2007
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’ai aimé me perdre dans ces villes étrangères, je me suis efforcé de me dissimuler dans le flot des passants des rues animées de ces grandes cités. Pour quelques jours, j’étais un habitant, un peu particulier. Je restais étranger, mais j’étais adopté et protégé par la foule. J’ai toujours pris plaisir à ne pas me faire remarquer, à disparaître aussitôt repéré, à me fondre d’une rue à l’autre, sans chercher à me cacher, en restant un touriste un peu décalé, plutôt curieux mais toujours amateur.
et que cette femme soit mon bonheur. Mais en attendant, je vivais un autre bonheur, celui de rester un inconnu ; j‘étais trop intimidé pour parler, même si j’étais protégé par mon statut de visiteur. Ma chance était de n’être jamais satisfait, il me fallait toujours aller plus loin et comme les villes sont grandes, il était facile de se perdre. Il m’arrivait de m’arrêter dans un café ou de rentrer à l’hôtel pour me dégriser des bruits de la rue qui m’envahissaient depuis le petit matin.
Mon secret, aller vite comme les piétons de ces villes, pour respecter l’itinéraire de leur vie quotidienne. Comme j’étais acteur et marcheur, il me fallait sans cesse ne pas regarder, photographier, sourire et disparaître.
Trois jours dans chaque ville, à essayer de garder ce premier regard, avant de quitter la ville comme un voleur d’images.
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Le hasard a toujours bien fait les choses. C’est vrai que chaque ville a son propre mouvement, travailleurs, chômeurs, étudiants, passagers ; tout est travelling et plan séquence dans une ville. D’un côté, j’arrêtais un moment banal et original avec ma caméra et mon film de cinq minute, et de l’autre, je fixais un moment flou avec mon appareil photo, un instant éphémère qui allait disparaître à tous jamais. Marcher dans la ville, c’est croiser des visages. Il m’est arrivé de croiser furtivement un beau visage de femme, puis un autre, et je me mettais à rêver de vivre dans cette ville, que ce soir ma ville
Mais souvent le dernier jour, je pouvais rester des heures sans photographier, ni filmer. Ce n’était pas seulement la fatigue de la marche, j’étais gagné par la ville, je prenais des habitudes et les souvenirs me revenaient, de vieux souvenirs... J’étais un gosse, soi-disant reporter, qui voulait changer le monde sous prétexte de témoigner. Toujours en transit, pour aller photographier des rebelles dans les montagnes, des paysans, comme mes parents, qui s’étaient transformés en combattants. La ville avait changé et moi aussi. Mes compagnons étaient une petite caméra A-Minima et un Bronica 645 et des films couleur. Labyrinthes modernes, les villes se photographiaient en couleur, c’était nouveau et hors du commun pour moi. Fini
le blanc et le gris stylistiques, nous sommes dans un présent existentiel - peut-être plus dur au fond – où trottoirs et piétons, rivières et ponts, bords de mers et ports, pluie et soleil se ressemblent de plus en plus à travers les continents. Aujourd’hui devant ces photographies, vous pouvez deviner mon itinérance, mes échecs, mes ratages, mes attirances, mes craintes, mes surprises, mes chances et mes bonheurs. Deuil et jouissance, tout se mélange maintenant avec le temps. L’initiative de ce projet revient à Hervé Chandès, le directeur de la Fondation Cartier pour l’art contemporain à Paris. Nous avons choisi les 12 villes ensemble, en commençant par Tokyo, la plus grande ville du monde avec ses 32 millions d’habitants, jusqu’à la plus petite, Addis- Abeda, capitale symbolique de l’Afrique. J’ai commencé par aller à Rio de Janeiro en 2004, la seule ville que je ne connaissais pas, et j’ai terminé par Paris, la ville où je vis. En octobre 2004, 7 villes avaient fait l’objet d’une installation à Paris à la Fondation Cartier. Puis 8 villes ont été montrées au MOT – Musée d’art contemporain de Tokyo – au printemps 2006. C’est à Berlin, au Museum Für Fotografie, en février 2007, que les 12 villes seront vues pour la première fois.
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“Pour quelques jours, j’étais une habitant, un peu particulier”
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REGIS DURAND LA PART DE L’OMBRE Essais sur l’expériece photographique La Différence - 2006
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FICHE DE LECTURE
LA PHOTOGRAPHIE, LE MONUMENTAL ET LE DOCUMENTAIRE Peut-on sérieusement parler du caractère « monumental » de la photographie ? Photographie si fragile, difficile à voir et faire admettre dans le circuit de l’art.
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La question n’est pas plutôt de trouver, construire, un mode d’être et de signifier pour la photo ? La photographie, appartient au discours, ou au non-discours et donc est figure ? 1.
2.
Documents et monuments
Caractéristique de la photo la distinction impossible entre document et monument ? Photo : caractère analogique = document. Mais aussi charge émotionnelle. Paradoxe de l’image : _ Caractère identitaire. Représentation de quelque chose. Caractère documentaire. Ce qui tend à en faire un monument. _ L’opérateur tend à en fissurer ce monument identitaire en lui opposant les exigences d’une autre identité. Caractère critique de la photographie.
La photographie, ou l’oubli du monument
Barthes : « la photographie participe à l’effacement ou à l’éloignement généralisés du monument dans nos société. » L’immortel, c’était le monument. Maintenant avec la photo, la société a renoncé au monument. Mais, la photo témoignage d’un objet perdu, présence qui fut, donc garde quand même quelque chose du monument. « cela a été ». La photographie est une chose de peu de sens, une « image précaire ». Jean-Marie Schaeffer : la photographie est un évènement fragile sur lequel il n’y a pratiquement rien à dire.
Jeff Wall joue sur la fascination monumentale de la photographie en y introduisant « une dialectique de l’identité et de la non-identité ». « Faire parler » le monument photographique, le transformer en document par le commentaire, le contextualiser. Hésitation féconde qui fait la richesse de la photographie. Ambiguïté sémiotiques et ontologiques. Sans cette ambiguïté, la photo devient le document idéal pour l’illustration d’un propos, jusqu’il ne signifie plus rien et n’est plus porteur d’aucune opacité, d’aucune ombre.
3.
Pour une distance critique
« déconstruction » : usage épigonique, où une pensée originale se trouve simplement démarquée, transportée. La notion de déconstruction, en parlant de la photo est un usage vulgaire. Elle fait effectivement passer les monuments à l’état de documents. Mais documents de quoi ? Incertitude, indétermination. Il est aisé de voir de quels fantasmes se soutient une telle posture critique. Là où ne demeurent plus que des déplacements, des enchainements, des fragments, le discours du critique règne en maitre. Il est le seul porteur de cohérence et de continuité, au milieu de l’épars des « documents ». Ce qui importe, beaucoup plus que la morne mise en relation de documents avec le discours dont ils sont le reflet, c’est la recherche de ce qui, dans toute œuvre, travaille en deçà de la signification et de la rationalité. Qui dé-construit leur ordre, précisément, mais pas au nom du discours « déconstructif ». = Violence. Cette violence n’est pas son contraire, mais une épaisseur. Et le travail de dé-construction consiste alors à mettre en évidence les articulations et les espacements de cette trace, qui n’opère pas dans le champ de la signification (communication) mais de la signifiance (expression).
nécessité pour le critique de travailler à la mise en évidence du travail du figural et des forces qui le travaillent, tout cela constitue un programme de travail toujours actuel. Une œuvre n’en sera jamais tout à fait vraiment une si elle ne porte pas la marque d’une pensée autre, d’un processus autre que celui qui guide la réflexion logique-discursive. Les œuvres susceptibles de nous retenir ne relèvent pas uniquement d’une volonté mais d’un désir. Elles ne sont pas non plus de l’ordre de la « consolation sentimentale » ni de la simple mise hors de soi de ce qui est au plus profond de notre expérience. Ces œuvres ont sans doute un abrupt, une force d’ébranlement, et une part d’ombre, de négativité. Ces œuvres, existent un peu partout : ni monument, ni document vulgaire, une photographie qui dirait quelque chose de réel tout en portant la trace d’une « parole » et d’un désir individuels (et pas seulement de l’emprise d’un discours). Photographe : Il y aurait ceux pour qui la photographie intervient comme élément d’un dispositif complexe = Jeff Wall, Dennis Adams, Alfredo Jaar. Et d’autres qui ont su redonner à la photographie une valeur critique et politique très forte, tout en prenant en compte la nécessaire « monumentalisation » du document dans l’œuvre d’art.
L’existence d’une distance critique intérieure à l’œuvre, la
“La photographie est une chose de peu de sens, une image précaire”
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ROLAND BARTHES LA CHAMBRE CLAIRE Note sur la photographie Cahiers du cinéma Gallimard Seuil - 1980
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arpa fut très remué lorsque son fils fut tué, et l’un de ses disciples dit : « Vous nous disiez toujours que tout est illusion. Qu’en est-il de la mort de votre fils, n’est-ce pas une illusion ? » Et Marpa répondit : « Certes, mais la mort de mon fils est une super-illusion. » 1) ‘’Je vois les yeux qui ont vu l’empereur.’’ J’aimais la photo contre le cinéma, dont je n’arrivais pas cependant à la séparer.
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2) Classement de la photo : empiriques (professionnels/ amateurs), rhétoriques (paysages/objets/portraits/nus), esthétiques (réalisme/pictorialisme). On dirait que la photo est inclassable. La photographie est inclassable parce qu’il n’y a aucune raison de marquer telle ou telle de ses occurrences; elle voudrait bien, peut-être, se faire aussi grosse, aussi sûre, aussi noble qu’un signe, ce qui lui permettrait d’accéder à la dignité d’une langue; mais pour qu’il y ait signe, il faut qu’il y ait marque; privée d’un principe de marquage, les photos sont des signes qui ne prennent pas bien, qui tournent, comme du lait. Quoi qu’elle donne à voir et quelle que soit sa manière, une photo est toujours invisible: ce n’est pas elle qu’on voit. Ce que la photo reproduit à l’infini n’a lieu qu’une fois. La photo dit : ‘’ça, c’est ça, c’est tel !’’ La photographie emporte toujours son référent avec elle. La
photo est toujours invisible, ce n’est pas elle qu’on voit. Le référent adhère. Cette adhérence rend la lecture de la photographie très dure. Les livres sur la photo sont soit très techniques, soir historiques/ sociologiques. 3) Photographie : un sujet balloté entre deux langages : l’un expressif, l’autre critique. Mais aussi : la résistance éperdue à tout système directeur. 4) Mesure du savoir photographique. La photo peut être l’objet de trois pratiques : Faire, Subir, Regarder. L’opérateur : le photographe. Le Spectator : c’est nous tous. La cible/Spectrum(=le spectacle) : le référent, celui qui est photographié. Photographie, techniquement : _ d’ordre chimique : action de la lumière sur certaines substances. _ d’ordre physique : formation l’image à travers un dispositif optique. 5) Etre regardé sans le savoir. Si on est photographié en le sachant : transformation= « pose » Jeu social, poser = l’essence précieuse de l’individu : ce que je suis en dehors de toute effigie.
Se voir soit même, autrement que dans un miroir. A l’échelle de l’histoire, c’est un acte récent. C’est avant la photographie que les hommes ont le plus parlé de la vision du double. Je ‘’me’’ regarde sur un papier. A qui appartient la photographie ? au sujet (photographié), au photographe ? Un portrait peint : n’est pas une photographie. La photographie, c’est l’avènement de moi-même comme autre. Photographie : transforme le sujet en objet. On dirait que, terrifié, la Photographie doit lutter énormément pour que la photographie ne soit pas la ‘’mort’’.
l’anime. Donc finalement cet attrait est une ‘’animation’’. L’attrait fait exister la photo. La photo m’anime, c’est ce qui fait tout l’aventure. 8) N’est-ce pas l’infirmité même de la photographie, que cette difficulté à exister, qu’on appelle la banalité ? Ma phénoménologie acceptait de se compromettre avec l’affect. Phénoménologie : une visée de l’objet qui fût immédiatement pénétrée de désir, de répulsion, de nostalgie, d’euphorie ? Dans la photo, tout un réseau d’essences : essences matérielles (étude physique, chimique, optique de la photo), essences régionales (relèvent de l’esthétique, de l’histoire, de la sociologie).
6) Je n’aimais jamais toutes les photos d’un même photographe. J’aime/je n’aime pas : facile. J’ai toujours eu envie d’argumenter mes humeurs, pour offrir cette individualité à une science du projet. Qu’elle parvienne à une généralité qui ne me réduise ni ne m’écrase.
Je ne m’intéressais à la photographie que par ‘’sentiment’’ ; je voulais l’approfondir non comme une question, mais comme une blessure : je vois, je sens, donc je remarque, je regarde, et je pense.
7) Je décidai alors de prendre pour guide de ma nouvelle analyse l’attrait que j’éprouvais pour certaines photos. Car, de cet attrait, au moins, j’étais sûr.
9) (en parlant de photos de guerre) : leur homogénéité restait culturelle : c’était des ‘scènes’, un peu à la Greuze, s’il n’y avait eu l’âpreté du sujet.
Je voudrais bien savoir ce que, dans cette photo, fait ‘tilt’ en moi : ‘’aventure’’. Telle photo m’ ‘advient’, telle autre non. Telle photo tout d’un coup, m’arrive ; elle m’anime et je
10) Eprouver une sorte d’intérêt général, où l’émotion passe par le relais raisonnable d’une culture morale et politique.
“La photographie, c’est l’avènement de moi-même comme un autre”
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SOPHIE CALLE A SUIVRE ... (livre IV) Actes SUD - 1998
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mon père, Robert Calle, qui m’a encouragé à suivre et à ma mère, Rachel Sindler, qui m’a fait suivre.
La règle du jeu. Dans le livre Léviathan, paru aux éditions Actes Sud, l’auteur, Paul Auster, me remercie de l’avoir autorisé à mêler la réalité à la fiction. Il s’est en effet servi de certains épisodes de ma vie pour créer, entre les pages 84 et 93 de son récit, un personnage de fiction prénommé Maria, qui ensuite me quitte pour vivre sa propre histoire. Séduite par ce double, j’ai décidé de jouer avec le roman de Paul Auster et de mêler, à mon tour et à ma façon, réalité et fiction. La vie de Maria et comment elle a influencé celle de Sophie (libre I) :
Une des nombreuses façons de mêler la fiction à la réalité, ou comment tenter de devenir un personnage de roman (livre VII) : Puisque, dans Léviathan, Paul Auster m’a prise comme sujet, j’ai imaginé d’inverser les rôles, en le prenant comme auteur de mes actes. Je lui ai demandé d’inventer un personnage de fiction auquel je m’efforcerais de ressembler: j’ai en quelque sorte offert à Paul Auster de faire de moi ce qu’il voulait et ce, pendant une période d’un an minimum. Il objecta qu’il ne souhaitait pas assumer la responsabilité de ce qui pourrait advenir alors que j’obéirais au scénario qu’il avait crée pour moi. Il a préféré m’envoyer des Instructions personnelles pour Sophie Calle afin d’améliorer la vie à New York (parce qu’elle me l’a demandé...). J’ai respecté ces directives. Le projet s’institule Gotham Handbook (New York, mode d’emploi). Préambule
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Dans Léviathan, Maria se soumet aux mêmes rituels que moi. Mais Paul Auster a glissé dans le portrait de son personnage des règles du jeu de son intervention. Afin de nous rapprocher, Maria et moin, j’ai décidé d’obéir au livre : L’auteur impose à sa créature un régime chromatique composé d’aliments d’une seule couleur par jour : j’ai suivi le même régime. Il lui faite vivre des journées entières basées sur certaines lettres de l’alphabet : j’ai fait comme elle. La vie de Sophie et comment elle a influencé celle de Maria (livre II, III, IV, V, VI) : Ces rituels que Paul Auster m’a «empruntés» pour façonner Maria sont : la suite vénitienne, la garde-robe, le stripe-tease, la filature, l’hôtel, le carnet d’adresses, le rituel d’anniversaire. Léviathan m’offre l’occasion de présenter les projets artistiques dont s’est inspiré l’écrivain et que désormais nous partageons, Maria et moi. 
Depuis des mois, je suivais des inconnus dans la rue. Pour le plaisir de les suivre et non parce qu’ils m’intéressaient. Je les photographiais à leur insu, notais leurs déplacements, puis finalement les perdais de vue et les oubliais... Pendant les premiers mois, elle s’était sentie solitaire et désorientée. Elle n’avais pas d’amis, pas de vie digne de ce nom, et la ville lui paraissait menaçante et étrangère, comme si elle n’y avait encore jamais vécu. Sans motivation consciente, elle s’était mise à suivre des inconnus dans les rues, choisissant quelqu’un au hasard quand elle sortait de chez elle le matin et laissant ce choix déterminer où elle irait pendant le reste de la journée. C’était devenu une méthode pour trouver de nouvelle idées, pour remplir le vide qui paraissait l’avoir engloutie. Au bout de quelque temps, elle s’était mise à emporter son appareil et à prendre des photos des gens qu’elle suivait. Le soir, rentrée chez elle, elle s’asseyait à sa table et écrivait à propos des endroits où elle avait été et de ce qu’elle avait fait, se servant des itinéraires de ces inconnus pour tenter de se représenter leur existence et, dans certains cas, leur composer de brèves biographies imaginaires.
«Ces derniers jours je n’ai suivi personne, il fait si froid.» «Suivre. Je manque de persévérance. J’ébauche des filatures et mes suivis me fatiguent ou m’échappent.» «Un instant j’ai peur qu’il m’ait remarqué.»
«Je perds patience. Je refuse de réfléchir à ma présence dans ces lieux. Je ne dois pas y penser. Je dois cesser d’imaginer les issues possibles et de me demander où me mène cette histoire. Je la suivrai jusqu’à sa fin.» «Il désigne l’église, prend une photo de la place. Je fais de même...»
«ma présence» «Louer des suiveurs qui engageraient eux même des suivis» Quelques temps plus tard, un homme avait fait des avances à Maria dans la rue. Le trouvant très antipathique, elle l’avais repoussé. Le soir même, par pure coïncidence, elle le rencontrait à un vernissage dans une galerie de Soho. Ils s’étaient parlé à nouveau et il lui avait appris cette fois qu’il parait le lendemain en voyage à la Nouelle-Orléans avec sa petite amie. Maria avait alors décidé d’y aller aussi et de le suivre partout avec son appareil photographique pendant la durée entière de son séjour. Il ne lui inspirait aucun intérêt, et la dernière chose qu’elle cherchait était une aventure amoureuse. Elle avait l’intention de rester cachée, d’éviter tout contact avec lui, d’explorer son comportement visible sans prétendre interpréter ce qu’elle verrait. Le lendemain, elle avait pris l’avion à La Guardia pour La Nouvelle-Orléans, s’était installée dans un hôtel et avait fait l’acquisition d’une perruque noire. Pendant trois jours, elle s’était adressée à des douzaines d’hôtels afin de découvrir où il logeait. Elle avait fini par le dénicher et, pendant le reste de la semaine, elle avait marché derrière lui comme une ombre en prenant des centaines de photographies, en détaillant chaque lieu où il se rendait. Elle rédigeait également un journal, et une fois arrivé le moment où l’homme devait rentrer à New York, elle était revenue par le vol précédent _ de manière à l’attendre à l’aéroport et à réaliser une dernière série de photos lorsqu’il descendrait de l’avion. C’avait été pour elle une expérience complexe et troublante, dont elle était sortie avec l’impression d’avoir abandonné sa vie pour une sorte de néant, comme si elle avait photographié quelque chose qui n’existait pas. Léviathan, extrait,p89.
«Il s’accroupit pour photographier le canal, ou bien ce bateau qui passe? Avec quelques secondes de retard, je l’imite...» «Qu’avais-je imaginé? Qu’il allait m’emmener, me provoquer, m’utiliser? Henri B. n’a rien fait, je n’ai rien découvert. Il fallait une fin banale à cette histoire banale.» «Mon aventure avec lui aurait-elle pris fin parce qu’il m’a découverte, parce qu’il sait?» La filature Selon mes instructions, dans le courant du mois d’avril 1981, ma mère s’est rendue à l’agence Dulud détectives privés. Elle a demandé qu’on me prenne en filature et a réclamé un compte rendu écrit de mon emploi du temps ainsi qu’une série de photographies à titre de preuves. «A 12h05, je quitte le salon de coiffure. Mes cheveux sont électriques; la jeune femme qui me tend mon imperméable me rassure : «Dehors, ils vont se calmer.» Je me dirige alors vers le jardin du Luxembourg. Je désire «lui» montrer les rues, les lieux que j’aime. Je veux qu’il traverse avec moi le Luxembourg où j’ai joué toute mon enfant et échangé mon premier baiser avec un élève du lycée Lavoisier en 1968. Je garde les yeux baissés. J’ai peur de «le» voir.» «Je voulais garder le souvenir de celui qui allait me suivre. Je ne savais pas quel jour de la semaine aurait lieu la filature. J’ai donc demandé à Françis M. de se poster chaque jour à 17 heures devant le Palais de la Découverte et de photographier quiconque semblerait me surveiller. Je lui ai recommandé la discrétion.»
“Suivre. Je manque de persévérance. J’ébauche des filatures et mes suivis me fatiguent ou m’échappent”
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FICHE DE LECTURE
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SOPHIE CALLE DES HISTOIRES VRAIES Actes SUD - 2002
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FICHE DE LECTURE
J
de mariée _ Le porc _ La mauvaise haleine _ Rien vu-personne _ La cravate_ Le cou _ Télé Star _ Le dé _ Le dé (suite) _ Le cadeau _ Le drap _ Torero _ Les seins miraculeux _ La tasse.
A cet étranger providentiel : Au fil des rééditions, cette dédicace, qui n’avait plus de réalité, est restée en place. Je décide, neuf années plus tard, ce livre à Bob Calle, définitivement l’homme providentiel de ma vie.
Le Mari (10 récits) : 1. La rencontre, 2. L’otage, 3. La dispute, 4. L’amnésie, 5. L’érection, 6. La rivale, 7. Le faux mariage, 8. La rupture, 9. Le divorce, 10. L’autre.  « Ce qui arrive possède une telle avance que nous ne pouvons jamais le rejoindre et connaître sa véritable apparence.» Noces de rêve _ La visite médicale (« Etes-vous triste? ») _ Voyage en Californie _ Chambre avec vue _ Renée de face _ (contre)-productif _ A Victor Hasselblad _ Attendez-moi _ La vue de ma vie.
e vivais avec un homme depuis 7 ans. Il est parti définitivement. Peu après, mon ami Cathy a rencontré un inconnu dans un bar. Elle a pensé qu’il me plairait. Elle lui a demandé son adresse et m’en a fait cadeau, m’offrant ainsi l’un des épisodes les plus romanesques de ma vie.
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43 Récits : Le portrait _ La chaussure rouge _ Le nez _ Rêve de jeune fille _ Le peignoir _ Le striptease _ Le talon aiguille _ La lame de rasoir _ La lettre d’amour _ Les chats _ Le lit _ La robe
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“Ce qui arrive possède une telle avance que nous ne pouvons jamais le rejoindre et connaître sa véritable apparence”
FICHE DE LECTURE
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Cerise Doucède LIENS INTIMES Actes Sud Prix HSBC pour la photographie 2013
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FICHE DE LECTURE
C
erise Doucède :
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Née à Toulon en 1987. Elle découvre, après des études supérieures de graphismes, la photographie qui était au départ un simple outil pour fixer ses réalisations. Peu à peu celle-ci est devenue le but même de ses créations. La photographie est pour elle un moyen de mettre en forme ses rêves éveillés, de créer un univers qui lui est propre. Elle s’est passionnée pour la mise en scène, la création d’installations dans lesquelles les objets prennent vie. Montrer l’invisible, révéler les pensées, les émotions est devenu son leitmotiv.
Cerise Doucède et la morphologie cosmique des rêves. Par Zoé Valdés. Comment structurer et réordonner le symbolisme
apparemment chaotique des rêves ? L’art seul permet de rendre les impressions fabuleuses ou légendaires que nous offre ici où là le rêve, en suscitant souvent en nous, comme autant d’impressionnantes allégories pascaliennes, des hallucinations où la nuit nous renvoie, métamorphosée, l’activité diurne de la pensée en boomerang de l’inconscient modelé par les ombres, ou en suite de séquences lumineuses – ou, inversement, ténébreuses – de l’imaginaire en demi-veille accouplé à l’insaisissable substance onirique. L’œuvre de Cerise Doucède est très vraie, parce qu’en elle il y a vie, objets manipulés avec la grâce de la spiritualité qui émane des personnages et de la transcendance de leurs rêves, dépourvue de frauduleuse mises en scène, mais avec la simplicité et l’effluve exultant qui émanent de l’actualité la plus banale. C’est une œuvre sans ces artifices adultérés qui pousseraient à un discours provocateur tellement à la mode.
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“Son travail est réjouissant car il ne cherche pas à faire oeuvre à tout prix”
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Adam Magyar
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Alain Delorme
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Aleksandra Domanovic
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Alejandra Cartagena
104 112 116 Amit Madheshiya
Bruno Ribeiro
CĂŠcilia Paredes
108 120 126 Aneta Ivanova
Clarissa Bonet
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ClĂŠment Celma
Christophe Jacrot
134 Dow Wasiksiri
138 Eric Tabuchi
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Sommaire
Evgenia Arbugaeva
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Gabriele Galimberti
REFERENCES
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hans Peter Feldmann
Garbriele Galimberti
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Huang Qingjun
Kevin Bauman
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Julien Mauve
Kurt Schwitters
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Nicolas Moulin
Seokmin Ko
188 196
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Reynald Drouhin
Romain Jacquet - Lagreze
Rongguo Gao
212
204 208 Shinichi Higashi
216
Tim MacPherson
Taryn Simon
Tarek Al Ghoussein
220
Tim MacPherson
224 Toni Wilkinson
234 William Klein
242 Zebrating - Art
228 Txema Salvans
238 Yayoi Kusama
246 Zhang Kechun
84-246
Sommaire
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Olaf Breuning
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REFERENCES
Adam Magyar Squares Photography
Adam Magyar (né en 1972) est un photographe hongrois basé à Berlin. Ses oeuvres ont été exposées dabs divers expositions personnes et collectives, y compris à l’échelle internationale (Biennale de la photographie à Helsinki). Adam Magyar est captivé par les villes de haute technologie et de l’homme choisissant de vivre une vie urbaine. Magyar illustre les synergies entre l’homme et la ville. Dans ses oeuvres, il scrute la fugacité de la vie, l’envie de l’homme de laisser une trace après lui. 84
Avec sa série « Squares », l’artiste Adam Magyar nous invite à découvrir de jolis photomontages, créant des photos aériennes factices de places remplis de passants. Des créations faisant passer les êtres humains comme des éléments perdus circulant dans de grands espaces vides.
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REFERENCES
Alain Delorme Totem
Né en 1979. Alain Delorme vit et travaille à Paris. Diplômé des Gobelins, section photographie, l’école de l’image, Paris. Découverte de la série « Totem » par le photographe Alain Delorme durant ces différents séjours à Shanghai. Un intérêt particulier par les attelages et les montagnes d’objets récupérés ou recyclés. Il est actuellement exposé à la galerie Magda Danysz.
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Alejandro Cartagena The car poolers
Né en 1977 en République dominicaine, Alejandro Cartagena vit et travaille à Monterrey, au Mexique. Il aborde les questions sociales et environnementales par le paysage et le portrait.
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Alejandro Cartagena dit s’intéresser à la périphérie des villes pour mieux appréhender le centre, point névralgique de la société. Ses précédentes séries – Suburbia Mexicana, Ciudad, Espacios Habitables – traduisaient déjà son intérêt pour ces ouvriers qui, cantonnés aux marges de la ville, et donc de la richesse, rêvent d’un avenir aux Etats-Unis. Cette contradiction est plus criante encore dans les Etats frontaliers – dont celui du Nuevo León, où vit Alejandro Cartagena : alors que les villes croissent de façon exponentielle, l’insécurité augmente, ainsi que les problèmes liés à la contrebande, au trafic de drogue et à la prostitution. Les Car Poolers (« covoitureurs ») sont ces milliers d’ouvriers qui, tous les jours, grimpent à l’arrière des pick-up pour se rendre de leur domicile – dans la banlieue nord de Monterrey – à leur lieu de travail – à San Pedro, au sud. Alejandro Cartagena décrit sa série comme « une réflexion sur les conditions de travail de nombreux Mexicains et sur leur invisibilité dans une société en crise ». En les photographiant depuis un pont autoroutier, il rend soudain bien visibles ces étonnants voyageurs.
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REFERENCES
Aleksandra Domanovic Paper Sculptures
Née en 1981 à Novi Sad (ex-Yougoslavie) Aleksandra Domanovic vit et travaille (Allemagne)
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à
Berlin
Aleksandra Domanović raconte les blessures de l’Histoire, celles qu’on guérit par le déni collectif ou les festivités fédératrices. Ses œuvres sont autant de taxinomies, véritables chaînes d’associations qui prennent le plus souvent ancrage dans le territoire de l’ex-Yougoslavie, du droit d’auteur aux implications géopolitiques d’Internet, de l’environnement d’après guerre des Balkans jusqu’à la création d’autobiographies réelles ou fictives. Elle présente ces œuvres « 19:30 Stacks », des piles de feuilles format A3 et A4 proposant une impression sur l’épaisseur du papier, composant ainsi divers visuels d’une grande qualité.
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Amit Madheshiya At a tent near you
Amit Madheshiya est né en 1982 à Mau dans l’État d’Uttar Pradesh. Il a fait ses études à New Delhi, où il a obtenu un diplôme d’anglais de l’Hindu College et un master de médias et communication de l’université Jamia Millia Islamia. Il vit désormais à Mumbai (Maharashtra).
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Dans At a Tent near You, le photographe ne décrit pas seulement l’industrie cinématographique, usine à rêves pour des milliers d’Indiens à l’existence précaire. Il révèle la culture, la fraternité, les craintes et les espoirs partagés par cette communauté mixte et complexe. Devant l’écran, les expressions défilent : le regard perdu dans le lointain d’un jeune garçon, l’hilarité générale déclenchée par une scène comique, l’effet de la pose macho d’un acteur sur l’attitude d’un spectateur... Amit Madeshiya nous emmène à l’intérieur de la salle, au gré des chansons, danses et scènes cruciales, qui semblent rebondir sur ces visages captivés et tout auréolés de la lumière de la cabine de projection. On dit qu’un bon portrait capte l’âme d’une personne. Amit Madeshiya réussit, lui, à prendre le pouls d’une histoire d’amour entre des millions de gens et le monde dont ils rêvent.
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Aneta Ivanova Double exposure portraits
Aneta Ivanova, photographe de 21 ans, est née Varna en Bulgarie. Aneta commença la photographie à l’âge de 13 ans, et n’a depuis jamais cessé d’exercer. Elle débuta par des travaux d’autoportrait fait chez elle. Il découvrit par la suite les beaux-arts et la photographie de mode. La photographe bulgare Aneta Ivanova laisse entrevoir une douceur délicate dans ses clichés à l’aide de la technique de la double exposition. Corps de femme et milieux extérieurs se confondent et se complètent pour donner une série de photos splendides. 108
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Bruno Ribeiro Real Life Instagram
Voici une belle initiative du street artiste britannique Bruno Ribeiro. Lorsque l’on parle de photos, filtres et partages, on pense immédiatement à Instagram, avec ses millions d’utilisateurs, l’application est en train d’envahir notre vie.
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Alors pourquoi pas envahir directement les rues de nos villes, passer du virtuel au réel et proposer à tous les passants de voir leur environnement urbain sous le prisme d’Instagram. Pour cela, l’artiste Bruno Ribeiro basé à Londres nous propose cette série de photographies appelée Real Life Instagram, dans lequel il détourne les codes du réseau social, notamment le système de filtres. Bruno Ribeiro a découpé une série d’encadrements photo, il y a ajouté les diverses inscriptions que l’on retrouve sur chaque cliché (Like, Comment…) et l’a complété par un film transparent coloré, jouant le rôle de filtre. Une idée simple mais efficace.
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Cécilia Paredes Landscape Series
Cécilia Paredes, née à Lima au Pérou, vit actuellement entre Philadelphie et Lima. Elle a étudié à l’école d’art de l’Université catholique de Lima, à l’Ecole de Cambridge Arts and Crafts en Angleterre et à la Scuola del Nudo à Rome, Italie. Cécilia construit des objets en utilisant principalement des éléments naturels rejetés et cherche ainsi à créer un nouveau langage. Elle réalise également des performances à l’aide de maquillage, du boby painting, pour créer des images où le corps se transforme en animaux, plantes, paysages etc. Cécilia Paredes excelle dans l’art du camouflage. 116
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Clarissa Bonet City Space Photography
Clarissa Bonet, née en Floride, vit et travail à Chicago. Elle a étudié la photographie au Columbia College de Chicage ainsi qu’à l’Université de Floride. Son travail a été exposé à Chicago, en Californie, à New York, entre autres, ainsi qu’à une échelle internationale, à Paris et au Festival international de la photographie de Pingyao en Chine. 120
Cherchant à explorer l’environnement urbain et le rapport de l’homme face à ces cités de béton, la photographe basée à Chicago Clarissa Bonet nous offre des clichés d’une grande beauté, jouant avec talent sur les jeux d’ombres. Une série toujours en cours à découvrir en images.
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Christophe Jacrot Rain Photography
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À mes yeux il y a deux grandes façons de photographier le monde, saisir son horreur ( il y a de quoi faire ) ou le sublimer, j’ai choisi la seconde. Plus précisément, j’aime le romanesque que m’offre la pluie, la neige le « mauvais temps » et ce principalement dans les grandes villes, là ou on cherche à oublier justement le climat ( les excès du climat sont un autre sujet ). Ces éléments sont pour moi un merveilleux terrain photographique, un univers visuel peu exploité au fort pouvoir évocateur, et riche en lumières subtiles. Cet univers échappe à la plupart d’entre nous, trop occupés à se mettre à l’abri. L’homme devient une silhouette fantomatique déambulant et obéissant aux aléas de la pluie ou de la neige, dans l’éternité du climat. Mon approche est délibérément picturale et émotionnelle. Après sa série New York in the Black, le photographe français Christophe Jacrot revient cette fois-ci avec Paris in the Rain, réunissant de superbes clichés de la Ville Lumière. Jouant sur les reflets de l’eau et de la pluie, pour un rendu d’images d’une grande qualité.
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Clément Celma Mes petites planètes
Clément Celma est un photographe français habitant à Barcelone. Il a consacré ces dix dernières années aux photographies panoramiques et les a mené au rang d’une nouvelle dimension. “Je me suis intéressé à la photographie panoramique interactive et visites virtuelles en 2002, quand il a été créé le Quicktime VR. Cette technologie est assez commune, grâce à des services traditionnels comme Google Street View.”
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Les panoramas interactifs ne sont par définition, pas destiné à être présenté d’une manière statique. Clément a toujours été dans une sorte de zone grise, entre photographie et web technologies. Le photographe français a imaginé cette série “Mes petites planètes” de divers lieux totalement déformés, créant ainsi de petites planètes visuellement très réussies. Un rendu surréaliste du plus bel effet, original, surréaliste, impliquant une explosion des repères habituels, une ouverture des possibilités créatives infinies. De ces expériences est née “Mes Petites Planètes”, un projet de carrefour entre l’art et la science, la photographie et l’optique. Une nouvelle dimension où Daguerre répondre Pythagore avec Escher.
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Dow Wasiksiri Local fasion in kad luang market
Né en 1956, Dow Wasiksiri a fait des études d’architecture à l’Institut polytechnique de Wellington (NouvelleZélande) avant d’aborder le cinéma et la photographie au Los Angeles City College. Il est également diplômé en production radio et télévision de l’université de Californie. Cette formation pluridisciplinaire a nourri son travail de photographe professionnel, et celui de son studio, Persona, basé à Bangkok, tout en lui assurant une renommée internationale.
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À Chiangmai, le marché de Kad Luang est l’un des plus animés de Thaïlande. Dow Wasiksiri y a installé un studio éphémère dans lequel il joue avec les toiles de fond pour refléter l’individualité de ses modèles. Clin d’œil à la cabine-photo des portraitistes itinérants du XIXe, qui utilisaient ce dispositif pour isoler leurs modèles lors de prises de vues in situ, ces tissus colorés, que Wasiksiri trouve sur place, réunissent vendeurs, clients et badauds. Il s’agit d’un projet éminemment participatif : certains sont invités à prendre la pose, d’autres à tenir le tissu-décor ou à bloquer la circulation le temps de la séance. Tout le monde reste dans l’image, volontairement non recadrée sur les portraits. Comme le faisait le portraitiste malien Seydou Keïta, les photographies de Dow Wasiksiri illustrent de manière brute la vie quotidienne locale, qui n’avait encore jamais été observée de cette manière en Thaïlande.
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Eric Tabuchi Alphabet Truck
Avec cette première édition de l’Alphabet Truck, Eric Tabuchi achève un travail qui représente plusieurs milliers de kilomètres parcourus ces quatre années passées. Chaînon manquant entre The back of all trucks passed while driving from Los Angeles to Santa Barbara de John Baldessari et Auchan, l’alphabet des marques de Claude Closky, Eric Tabuchi pousse les logiques brulesques ou compulsives de ses pièces en une quête presque dérisoire de ce qui pourrait constituer ses origines danoises et japonaises.
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A travers le langage (Alphabet) et le déplacement (Trucks), Alphabet Truck interroge donc, au-delà de son aspect formel et référentiel, les notions d’appartenance, d’identité et de mixité.
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Evgenia Arbugaeva Tiksi
Née en 1985 à Tiksi, en Sibérie, Evgenia Arbugaeva a suivi des études d’ingénierie culturelle à l’université internationale de Moscou. Elle est diplômée en photojournalisme de l’International Center of Photography, à New York. Elle partage aujourd’hui sa vie entre New York et la Russie.
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La Yakoutie – ou République de Sakha – couvre une immense partie de la Russie septentrionale. Plus grand que l’Argentine et à peine plus petit que l’Inde, ce territoire de 3 millions de kilomètres carrés compte un peu moins d’un million d’habitants. Région polaire, terre de l’extrême aux jours et aux nuits sans fin, aux tempêtes de neige qui masquent parfois complètement l’horizon et empêchent de distinguer le ciel de la terre, la Yakoutie se révèle d’une beauté miraculeuse lorsque la toundra fleurit, les aurores boréales colorisent le ciel et les montagnes se teintent de rose et de vert. Le Grand Nord tel que le présentent les documentaires sur les tribus nomades, les villes soviétiques abandonnées et la vie sauvage des régions arctiques n’est pas celui d’Evgenia Arbugaeva. Elle le voit, elle, comme un coffret recelant tous les mystères de l’enfance. Revenant à Tiksi à l’occasion de cette série, elle craignait d’avoir perdu « son » Grand Nord. Elle l’a trouvé intact, tel que sa mémoire l’avait photographié. Inscrivant ses pas dans ceux d’une adolescente, Tania, elle s’est réapproprié sa jeunesse, et a fait confiance à son imagination pour retrouver ce qu’elle croyait avoir définitivement oublié.
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Gabriele Galimberti Toy Stories Photography
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Gabriele Galimberti est né à Arezzo en Italie, en 1977.Il a étudié la photographie à “Fondazione studio Marangoni” à Florence. Il a ensuite dirigé un laboratoire photo professionnel et une galerie de photos à Florence. En 2002 Gabriele était l’un des participants gagnants d’un concours de photographie intitulé “Giovane Italia dans Fotografia” qui a retenu dix photographes à venir dans toute l’Italie Il a fait simultanément ses débuts comme photographe commercial avec ses premières missions pour les magazines. Tout le monde se souvient de ses jouets d’enfance. C’est en partant de cette idée commune que le photographe Gabriele Galimberti a réalisé une excellente série appelée « Toy Stories », qui capture des enfants du monde entourés de leurs jouets préférés.
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Gabriele Galimberti Delicatessen with love
Le photographe Gabriele Galimberti (auteur de l’excellent Toy Stories Photography) s’est amusé à voyager dans plus de 58 pays afin de photographier des grand-mères dans la cuisine, accolées à la spécialité préparée par chacune. Une série appelée “Delicatessen With Love”.
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Hans Peter Feldmann
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Artiste conceptuel allemand, Hans-Peter Feldmann est perçu comme un précurseur du courant de l’art d’appropriation popularisé dans les années 1980. Il produit depuis ses débuts des œuvres utilisant des objets trouvés ou de photographies récupérées, issues de journaux ou achetées dans des marchés aux puces. Auteur de nombreux livres d’artiste, il réfléchit par sa pratique aux enjeux de l’originalité et de la copie, de l’unicité et du multiple. 272 pages, une importante exposition organisée par la Fondation Antoni Tapies, lui a été dédiée en 2002, suivie en 2003 d’une grande rétrospective que lui a consacrée le musée Ludwig à Cologne. Hans-Peter Feldmann est né en 1941 à Dusseldorf, son lieu de travail et de résidence actuel. Il est représenté par la 303 Gallery à New York.
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Huang Qingjun Family stuff
Qingjun Huang est né en 1971 à Daqing, dans la province chinoise du Heilongjiang. Il est membre de l’Association des photographes chinois depuis 1999.
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La série Family Stuff a commencé en 2003 avec une commande du magazine Chinese National Geography. Il s’agissait pour Qingjun Huang d’aller photographier quatre familles dans trois provinces chinoises de l’est, et en Mongolie. Désireux de s’investir davantage dans son sujet, il a réussi à convaincre des gens qui n’avaient jamais été photographiés de sortir de leur maison tout ce qu’ils possédaient et de poser pour lui au milieu de leurs biens. Il a ainsi rencontré 35 familles issues de régions et de milieux très divers. Passer du film 120 mm à la chambre photographique 8 x 10 lui a permis de s’approcher de ses modèles, mais aussi de leurs objets personnels et de leur relation à l’habitat. Sa démarche a été généralement bien acceptée, et on peut saluer la persévérance de celui qui envisage de retourner chez les gens qu’il a photographiés pour voir comment, en dix ans, leur situation a évolué. « Les objets domestiques en disent long sur le niveau de vie réel des Chinois », ditil, et la place que tient la télévision ne lui a pas échappé. En montrant ainsi à l’objectif ce qu’elles possèdent, ces familles apportent la preuve que la société chinoise est en pleine mutation. Leurs objets personnels sont les témoins remarquables de l’histoire de la modernisation du pays.
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Julien Mauve Lonely Windows Photography
Julien Mauve est un photographe parisien de 29 ans basé à Paris. Les interfaces numériques ont bouleversé notre perception et notre rapport au monde. Nos contacts sont devenus des icônes, des avatars sur un réseau social ou des personnages virtuels dans les jeuxvidéos... Nous passons des heures la tête plongée dans ces fenêtres numériques, ouvertes sur le monde mais qui, paradoxalement, mettent en lumière une nouvelle forme de solitude.
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Parlant d’ordinateur et de solitude, ce mini-projet photographique de Julien Mauve mélange portrait et nature morte. Cette série « Lonely Windows Photography » jouant sur le simple éclairage d’écrans et sur les portraits nocturnes, est à découvrir en images sur son portfolio.
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Kevin Bauman 100 abandoned houses
Kevin Bauman est un photographe basé à Denver, spécalisé dans la photographe d’architecture, d’intérieur, et industriel. Il est mieux connu, cependant pour son style documentaire personnel, via des projets tels que 100 maisons abandonnées.
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Le projet de maisons abandonnées a commencé assez innocemment il y a une dizaine d’années . En fait, j’ai commencé à photographier l’abandon à Detroit dans le milieu des années 90 comme un exutoire créatif , et comme un moyen de satisfaire ma curiosité sur l’état de ma ville natale . J’avais toujours trouvé que c’était incroyable , déprimant , et perplexe à la fois qu’une grande ville pourrait se retrouver en si grande détresse , tout en entouré par une telle affluence . Avec le temps, le nombre d’images a grandi , et un style documentaire en est sorti. J’ai décidé de nommer la série 100 maisons abandonnées. 100 semble beaucoup, bien que le nombre de maisons abandonnées à Detroit ressemble plus à 12 000. Detroit a assez de place pour contenir la masse de terre de San Francisco , Boston, et l’île de Manhattan, mais la population a chuté de près de 2 millions de citoyens. Avec cette baisse spectaculaire, le problème de la maison abandonnée n’est pas susceptible de disparaître de sitôt.
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Kurt Schwitters Kurt Schwitters, né le 20 juin 1887 à Hanovre en Allemagne, et mort le 8 janvier 1948 à Ambleside en Angleterre. Kurt Schwitters est un peintre, sculpteur et poète allemand. Il a incarné l’esprit individualiste et anarchiste du mouvement Dada, dont il fut l’un des principaux animateurs de Hanovre. En parallèle à Dada, il a créé un mouvement qu’il a appelé « Merz ». Il a exercé une influence importante sur les néo-dada américains, Robert Rauschenberg en particulier, qui lui a emprunté l’idée de ses « combine-paintings » et ses collages.
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Nicolas Moulin Vider Paris
Né en 1970, Nicolas Moulin vit et travaille actuellement à Berlin en Allemagne. Vider Paris est une installation vidéo accompagnée d’une bande sonore (2011).
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“Pour VIDERPARIS, j’ai travaillé sur photoshop de manière très rationnelle, comme si j’étais une entreprise de travaux publics. J’ai ôté toute trace de vie, j’ai démonté le mobilier urbain et gardé l’architecture. J’ai aussi conservé au sol les passages piétons, les lignes continues et les bandes blanches : pour les effacer, il aurait fallu poser une couche de bitume. Ça n’entrait pas dans la logique de l’opération. Quand on veut vider une ville, on ne perd pas de temps à ça… C’est une fiction sans narration. Je ne raconte pas une histoire, je présente juste les faits. Ces images permettent d’ouvrir la fiction, de créer un puissant espace de projection”. VIDERPARIS est une installation comprenant une vidéoprojection d’images fixes en mode aléatoire. Elle se compose d’une série d’images retouchées sur ordinateur d’après des photographies de rues de Paris. Toute trace de vie y a été retirée : végétaux, mobilier urbain, piétons, voitures… Tous les immeubles ont été bouchés par des plaques de béton jusqu’au deuxième étage. La série d‘images défile sans ordre précis directement de l’ordinateur via un logiciel de projection. En général, cette pièce est installée dans un espace totalement obscur et repeint en gris du sol au plafond.
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Olaf Breuning The art of smoke bombs and fireworks
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Le photographe suisse Olaf Breuning, basé à New York et à Zurich ne se fixe aucune limite et exprime sa vision artistique à travers des performances de sculpture, dessin, photographie, installation, film. L’artiste visuel s’est récemment intéressé à l’utilisation de bombes de fumées colorées pour composer des visuels d’une incroyable beauté. Son travail préféré est précisément la mise en scène des photographies de différentes bombes à fumigènes, feux d’artifice et autres objets colorés disposés sur un cadre souple. Les pièces ont parfois été allumés dans le cadres d’un «happening», comme son installation de fumée à la gare de New York.
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Reynald Drouhin Landscape Monolith
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Né en 1969, l’artiste contemporain Reynald Drouhin, vite et travaille à Paris et enseigne le multimedia à l’école des beaux-arts de Rennes. Sa pratique intègre les outils numériques, la photographie, la vidéo, l’installation et la sculpture. Il ne se contente pas d’un espace dédié (celui de l’Internet, d’une surface de projection ou de la spatialité d’une galerie) mais appréhende tour à tour différents possibles, cherchant ainsi à révéler autre chose que le visible, tel un espace parallèle, fantomatique, étrange, ou résultant de données codifiées. Déjà connu pour son magnifique projet Monolith Skate, l’artiste Reynald Drouhin revient avec une série de photographies de paysages retravaillés. Utilisant cette même forme monolithique pour déformer et travailler les clichés originaux, ces créations très réussies sont à découvrir dans la suite en images.
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Romain Jacquet-Lagreze Vertical Horizon
Romain Jacquet-Lagrèze est un photographe français et artiste visuel. Né en 1987, il a grandi en banlieue parisienne jusqu’à ce qu’il déménage à l’étranger en 2008. Initialement dédié au dessin et à l’art numérique, son intérêt pour la photographie a commencé à prévaloir après son arrivée à Hong Kong.
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Il a décidé d’enregistrer soigneusement sa nouvelle maison et s’est transformé en un photographe. Estimant que l’harmonie ne peut résulter que de la confrontation du chaos et de l’ordre, les rues de Hong Kong sont son terrain de jeu favori pour développer son art. Vertical Horizon est un voyage photographique entre les bâtiments d’une ville sans cesse croissante. Il s’agit d’une immersion profonde dans des atmosphères épaisses de la ville et un enregistrement visuel de son environnement bâti sauvagement diversifiée. Ce livre est comme une plongée contemplative dans la nature première de Hong Kong et l’expression de son élan vertical.
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Rongguo Gao Twins
Né en 1984 à Binzhou, dans la province chinoise du Shandong, Rongguo Gao a obtenu son diplôme de l’Académie centrale des beaux-arts de Beijing en 2012. Fortement influencé par Diane Arbus, Loretta Lux et Rineke Dijkstra, il a fait du portrait sa technique de prédilection.
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Au cours de sa scolarité, Rongguo Gao a fréquenté deux écoles primaires, deux collèges et trois lycées. Malgré ces nombreux changements, il garde le souvenir, parmi ses camarades de classe, de trois paires de jumeaux. Deux d’entre eux ont eu des parcours en tous points dissemblables, qui ont excité sa curiosité : l’un a poursuivi des études supérieures, l’autre n’a pas dépassé le collège. Le fait de naître identiques induitil un destin commun ? Pour réaliser la série Twins, Rongguo Gao est parti du paradoxe énoncé par le philosophe grec Carnéade (219 av J.-C., 128 av J.-C) dans une sentence qui remet en cause l’idée même de l’horoscope : « Ceux qui sont nés au même moment peuvent connaître différentes destinées ; ceux qui vivent les mêmes événements ne sont pas forcément nés au même moment. » De retrouvailles avec d’anciens camarades en nouvelles rencontres, son enquête l’a conduit dans 511 villages. Il a choisi de photographier 23 paires de jumeaux parfaitement identiques et tous âgés de plus de 50 ans. En présentant ses portraits en vis-à-vis, Rongguo Gao joue de l’effet miroir. Ces jumeaux partagent les mêmes traits, sont de la même famille, mais n’ont pas vécu la même vie, commente-t-il. Chacun est le miroir de l’autre. Et à travers l’autre, on se comprend mieux soimême.
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Seokmin Ko The Suare
“The Square” est le nom de cette série photographiée par l’artiste coréen Seokmin ko qui vit et travaille à Séoul. Le photographe utilise dans tous ses clichés un miroir pour évoquer une approche existentielle de notre environnement et aborder l’idée même de la normalité et de l’identité.
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Shinichi Higashi Graffiti of Speed / Mirror Symmetry
Le photographe japonais Shinichi Higashi prend de superbes clichés à longue exposition de la ville de Tokyo, et de son architecture urbaine. En résulte une superbe série « Graffiti of Speed / Mirror Symmetry » qui utilise avec talent la duplication et la symétrie. 204
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Tarek Al Ghoussein Selected works
D’origine palestinienne, Tarek Al-Ghoussein est né en 1962 au Koweït et a étudié aux Etats-Unis. Il s’est installé aux Emirats arabes unis en 1998 et enseigne la photographie à l’université américaine de Sharjah, ainsi qu’à l’université de New York à Abou Dhabi.
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Les explorations visuelles de Tarek Al-Ghoussein sont alimentées par son désir de pénétrer en territoire palestinien, dont il est interdit du fait de son statut d’exilé. Les bouleversements sociétaux qu’il a pu observer aux Emirats arabes unis – où la majorité de la population est immigrée – ont mis à l’épreuve l’idée qu’il se faisait du terme “identité”. “En travaillant sur cette série, j’ai réalisé combien les notions de barrières, de pays, d’aspiration et d’identité se modèlent et se définissent les unes par rapport aux autres.” L’œuvre de Tarek Al-Ghoussein, audelà de sa propre identité complexe, pose la question fondamentale de l’appartenance à un paysage. Le désert – ici abandonné à son anonymat – forme une scène idéale pour accueillir ses interventions solitaires.
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Taryn Simon A living man declared dead and other chapters
Taryn Simon est née en 197 aux étas Unis. Elle est diplômée de l’Université de Brown. Le travail de Taryn se compose de trois élements d’égale valeur : la photographie, le texte et la conception graphique. Son travail explore l’impossibilité de compréhension absolue et les ambiguïtés entre le texte et l’image. “A living man declared dead and other chapters” a été réalisé avec un appareil photo de 4x5 Sinar sur une période de quatre ans, au cours de laquelle Simon à voyagé partout dans le monde à la rechecher de généalogies familiale, lignées, de connections. 212
Dans chacun des dix-huit chapitres, on voit que des circonstancex extérieures, la reliogion etc entrent en collision avec les forces internes de l’héritage psychologique et physique. “Il n’y a pas de résultat final. Il n’y a qu’une désorientation ou de l’inconnu. C’est une équation qui se replie sur elle-même.”
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Tim MacPherson On ferait comme si
Dans la continuité de son travail pour Treehouse Autism, voici une belle mise en scène réalisée par le photographe anglais Tim Macpherson. Des concepts plein d’imagination et une excellente série avec les enfants. Plus d’images dans la suite de l’article. 216
Retour sur cette excellente série de clichés par le photographe de publicité anglais Tim Macpherson. Illustrant l’imaginaire des enfants par des situation drôles et très bien exécutées, ces images créatives « Kids at Home and Play » sont à découvrir sur Fubiz dans la suite de l’article.
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Tim MacPherson Two Becomes One
Une série d’image qui explorent l’idée que les gens ont de multiples personnalités. Présentées dans différentes situations de «ligne» ou «hors ligne». Réalisé par le photographe Tim MacPherson, directeur artistique Lee Coventry. 220
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Toni Wilkinson Uncertain surrender
Toni Wilkinson, née en 1966, vit et travaille à Perth. Elle enseigne la photographie à l’Ecole d’art et de design de l’université Curtin. Elle a commencé sa carrière comme photojournaliste, publiant notamment des portraits pour les magazines musicaux X-Press, New Musical Express, Melody Maker et Rolling Stone.
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Toni Wilkinson place ses proches au cœur d’une étude sur la complexité des relations maternelles et familiales. Elle a réalisé ces portraits pendant les vacances, à la maison, dans un environnement urbain typique de la côte Ouest de l’Australie. À l’instar de l’Américaine Sally Mann – auteur, en 1992, d’une série remarquée intitulée Immediate Family –, elle a vu son travail gagner en densité au fil du temps. Adepte du Pentax 6X7 et du film Ektachrome privilégiant une approche lente et patiente, Toni Wilkinson parvient à capter d’intenses échanges avec ses modèles. Le spectateur devient le témoin des poses maladroites de la jeunesse, du passage difficile de l’enfance à l’adolescence, des conflits et contradictions vécus à la fois par la mère et par l’enfant durant cette période délicate. À travers ces images, elle tisse un cadre narratif complexe, mettant en scène un amour maternel indissociable d’une certaine anxiété. Si Uncertain Surrenders est un album de famille, il n’en décline pas pour autant les codes traditionnels.
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Txema Salvans The waiting game
Une des définitions profondément violentes des images qui composent «The Waiting Game» de Txema Salvans est la façon dont ces filles et ces femmes, rangées comme des bouées flottantes le long de routes quelconques sur la côte méditerranéenne espagnole. Les photos de Txema, qui dépeignent des personnes désespérées avec une impersonnalité quasi impitoyable, illustrent parfaitement la manière dont ces femmes sont des éléments périssables dans un monde machine toujours plus grand, plus sauvage. 228
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William Klein ROME + KLEIN Photographies 1956-1960
« Rome est un film, et Klein l’a réalisé » Federico Fellini.
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Un talentueux jeune américain, ayant grandi dans les rues de New York, se retrouve un appareil photo à la main à flâner dans une ville comme Rome. Pourrait-on souhaiter mieux ? C’est ce que William Klein a dû se dire, en 1958, quand il atterrit à Rome. Le prétexte était une rencontre avec Federico Fellini, à qui Klein se présente avec l’audace de la jeunesse, prêt à demander une audience. Klein lui-même raconte: Rome est ma ville porte bonheur. En 1956, je publie mon livre de photos sur New York sous l’influence de toute une génération de photographes. A cette période, j’étais surtout un peintre abstrait, mais la peinture telle que je la pratiquais, conceptuelle et géométrique, ne me permettait pas de trouver une forme d’expression originale. C’est ainsi que j’ai commencé à expérimenter la photographie. Après le livre sur New York, j’ai eu le sentiment d’avoir fait le tour de la photo et mon objectif devint le cinéma. J’étais un passionné de Fellini. « Bon j’ai fait un livre sur New York, pourquoi ne pas en faire un autre sur Rome ? » Ses « promenades romaines » ont pour guides des personnalités exceptionnelles : Pier Paolo Pasolini, Ennio Flaiano, Alberto Moravia, Giangiacomo Feltrinelli. Ce sont eux qui lui fournissent les clés d’une ville apparemment facile à vivre, pétillante et gaie, mais en réalité très complexe. Klein décide de se mesurer à l’un des thèmes qui lui deviendra cher : raconter grâce aux images une ville inconnue, saisir son âme propre, sa force, en observant ses habitants et l’esprit qui les unit. Pour entrer dans le Rome de Klein, il faut être prêt à découvrir, sans aucune sorte de hiérarchie, les graffitis sur les murs et les portraits de réalisateurs célèbres, les enseignes des magasins, les panneaux publicitaires et les panoramas grandioses du Forum romain. Inspiré par la diversité, Klein photographie les notables et les simples figurants de Cinecittà, ou, pour la première fois, plonge la mode dans la rue, en faisant poser des mannequins élégamment vêtus dans des mises en scène quotidiennes. Le souffle de toute une ville. Tout est Rome, rien n’est exclu.
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Yayoi Kusama Infinity Mirrored Room
Yayoi Kusama, née eb 1929 à Matsumoto, est une artiste contemporaine japonaise, avant-gardiste, peintre, sculptrice et écrivain.
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Pour Yayoi, la peinture est avant tout la seule alternative à sa folie : «quelque chose d’instinctif et de primitif, bien loin de l’art». Ses immenses peintures lui valent une place de choix sur la scène avant-gardiste, mais sont avant tout pour elle «des rideaux» qui la séparent des gens et de la réalité. Ici, le travail des fameuses «Infinity mirrored Rooms», pièces qui ont fait sa renommée. Ces oeuvres plongeant le spectateur dans un univers où tous repères s’effondrent.
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Zebrating-Art Hidden Railing Street
Un mélange de la technique anamorphose et du streetart, c’est l’excellente idée du duo d’artistes allemands « Zebrating ». Des créations étonnantes et visuellement très réussies qui permettent de colorer la ville.
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Zhang Kechun Creative pet portrait
Kechun Zhang est né en 1980 à Chengdu. Il s’intéresse à l’art depuis l’enfance et s’est découvert une passion pour la photographie au collège. Il a été designer avant de devenir photographe, et poursuit désormais une démarche artistique. Traversant la Chine d’ouest en est, le fleuve Jaune (Huang He) est après le Yangzi Jiang, le deuxième plus long cours d’eau du pays. Les Chinois le surnomment « le fleuve mère » ou « le berceau de la civilisation chinoise ». 246
Au cours de ces dernières années, Kechun Zhang a arpenté à plusieurs reprises les rives du fleuve Jaune. Il lui a même dédié un poème. S’attachant à regarder le paysage tel qu’il est, il l’a laissé respirer à travers l’objectif de son appareil photo Linhof grand format. S’il réussit à capter l’indolence voire l’immobilité du fleuve à ses heures calmes, il se sent également en empathie avec ses crues dévastatrices, qui contribuent à accélérer le changement radical du pays. A travers ses photos, le fleuve Jaune révèle son côté sombre, dans une Chine en plein développement. L’étrangeté de ses mises en scène contraste avec le paysage ambiant et sous la poésie des images affleure une accablante réalité. Au milieu d’une nature à ce point surdimensionnée, les hommes paraissent minuscules. Kechun Zhang espère cependant que la nature et les hommes s’efforceront ensemble de préserver le fleuve. Cette série illustre également la dérive de notre société matérialiste qui pousse à consommer, encore et encore. Mais posséder toujours plus nous conduit-il vers le bonheur ?
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