Rouge de Chine - Art Paris 2014

ROUGE DE CHINE

GÉRARD FROMANGER DRAPEAUX SANGLANTS Le drapeau vient de la nuit des temps : il sert à rallier des hommes qui souvent ne savaient ni lire ni écrire. Des peuples couraient derrière une couleur et son appareillage symbolique et parvenaient ainsi à se reconnaître au sein des plus furieuses batailles.

L’histoire de l’Humanité et celle de la peinture sont pleines de drapeaux. Les inventeurs de drapeaux ne sont pas des peintres mais des chefs de bande, des rois, des empereurs, des partis triomphants ou toutes sortes de vainqueurs qui ont joué avec les couleurs. A l’exception de Jacques-Louis David, qui missionné par la Convention en 1794 inversa l’ordre des trois couleurs et mit le bleu au mât, le blanc au centre et « le rouge flottant » au vent.Les drapeaux sont des langages qui combinent les couleurs, le rouge, le bleu le jaune, le vert ou le blanc, mais aussi des formes au sein d’un rectangle universel.

Les faiseurs de drapeaux sont des fondateurs : pour eux rien n’est gratuit, tout signifie, tout parle et tout donne un sens.

Un drapeau c’est à la fois une carte d’identité, une maison, un manifeste et un pacte.L’actuel drapeau chinois fut inventé en 1949 : un drapeau rouge avec 5 étoiles dans son canton, - en haut à gauche près de la hampe -. Certes le rouge est devenu la couleur de la révolution prolétarienne, mais cette couleur est vieille comme la Chine. Le drapeau de Sun Yat Sen, le créateur de la République en 1912 était également un drapeau rouge, avec un canton bleu.

Le rouge chinois n’est pas seulement issu de l’encrier des révoltes ouvrières, c’est la couleur des Han, dynastie impériale qui a inventé la Chine, avant et après notre ère, elle est la couleur représentative de l’ethnie principale de la Chine, qui

compte environ 90% de la population. Sur le fond rouge, cinq étoiles, une grande incarnant le parti communiste et quatre petites qui représentent les classes sociales, les paysans, les prolétaires, la petite bourgeoisie et les capitalistes patriotes.

Mais le symbolisme ne s’arrête pas là : la grande étoile du PCC est à gauche, les étoiles du peuple plutôt à droite en regardant le drapeau; cette disposition figure abstraitement le continent Chinois.

Dans le drapeau de Sun Yat Sen, toujours actuel puisque c’est celui de Taiwan, deux couleurs accompagnent le rouge, elles ont disparu dans le drapeau communiste : lew bleu censé être la couleur de la liberté et le blanc incarnant la démocratie.

Mao Tsé-Toung souhaitait qu’une bande jaune figurant le fleuve jaune traverse de manière horizontale le drapeau : il n’a pas convaincu les autres dirigeants. Trop artiste sans doute.Gérard Fromanger, à la différence des fondateurs, fait vivre en mettant une couleur en mouvement. Le rouge chez lui est la mère de toutes les couleurs, celle qui justement irrigue la plupart des drapeaux.

Avant le tableau, une hémorragie a eu lieu. Au rythme des accidents, des colères, des spasmes de l’histoire, des crises, des révolutions et des guerres, le rouge se répand sur le tableau, il coule de manière invasive, sur plusieurs fronts à la fois, traversant toutes les autres couleurs, de manière irrésistible comme la marée montante, en bousculant la géographie originelle des drapeaux. Comme dans l’histoire vraie des hommes.

Serge July

Gérard FROMANGER, Chine USA URSS, Russie, 1968-2014, acrylique sur toile, 200 x 300 cm.

JEAN PIERRE RAYNAUD LA DOUBLE SYMBOLIQUE DE L’OBJET-DRAPEAU Après le sens interdit de 1962, les pots et la céramique, Jean Pierre Raynaud, en 1998, a changé d’archétype et s’est consacré au drapeau. Le drapeau tendu sur un châssis devient un objet d’art, l’objet-drapeau Raynaud. Cet objet qui est par définition l’emblème d’une nation, et donc l’emblème du pouvoir politique, revêt avec Raynaud une seconde valeur symbolique, celle d’être l’emblème de l’art dans l’absolue liberté de son affirmation.

Quand l’artiste offre à Fidel Castro le drapeau cubain, il affirme par ce geste la valence artistique de l’objet et place de ce fait le politique à la hauteur de l’art. Lorsque Raynaud présente le drapeau américain devant un microphone, son geste d’art rejoint l’image-même de la communication.

Posséder un objet-drapeau Raynaud c’est partager la prise de responsabilité de l’artiste et sa suprême ambition : démontrer qu’un signe globalisant politique puisse se charger d’une symbolique esthétique et assumer les valeurs représentatives de l’art au même titre que celles de la nation. Le geste d’entrée en l’art de l’objet-drapeau peut paraître simple puisqu’il suffit de tendre le drapeau sur un châssis, mais ce geste englobe en lui toute la charge de liberté conceptuelle qui s’attache au principe-même de l’art. Le drapeau n’est pas un objet comme les autres.

Sa nature et sa dimension symboliques pouvaient paraître monopolisantes. Devant l’absolu de la représentation politique, Jean Pierre Raynaud assume la responsabilité de donner à ce symbole sa pleine valeur artistique.

Le drapeau-objet de représentation politique par excellence devient le support d’un symbole universel qui est la liberté de

l’art. Se servir de l’objet symbole du pouvoir politique pour incarner la même vocation emblématique en la mettant au service du pouvoir global de l’art, c’est évidemment altérer la vocation représentative habituelle du symbole et pour lui assigner une valeur spirituelle universelle qui est celle de l’art. L’art au contact du politique atteint physiquement à la pleine extension universelle de sa valeur conceptuelle fondamentale. Lorsque Jean Pierre Raynaud expose ses drapeaux, quand il parle devant eux en les présentant au micro, il ne fait qu’affirmer l’exceptionnelle faculté d’insertion de l’objet-drapeau dans la vie quotidienne.

Le drapeau revêt ainsi sa pleine valeur de communication humaine et humaniste.

Jean Pierre Raynaud a su discerner dans la vocation représentative de l’objet-drapeau un potentiel supérieur de communication, celle de l’art dans sa perspective globale de liberté de l’esprit. La force de l’idée charge l’objet-drapeau d’une vertu symbolique universelle : tel est le mystère de l’art lorsqu’il s’insère au coeur de la vie.

Raynaud nous donne à voir et à vivre la fantastique sublimation de l’art dans la double symbolique de l’objetdrapeau.

Pierre Restany

Jean Pierre RAYNAUD, Drapeau sur ch창ssis, triptyque, 2001, 166 x 629 cm.

KIMIKO YOSHIDA LE DEVENIR-MAO DE KIMIKO Kimiko Yoshida semble se jeter dans le flot de la peinture et se laisser emporter par elle avec une jouissance presque palpable, au point de jouer son être dans un devenirPeinture. KY va jusqu’à s’habiller simplement d’ombre ou d’un reflet.

L’ordre des images, la hiérarchie des formes sont abolis.

Tour à tour femme, homme, animal, monstre, objet, lumière, couleur, dans ce ballet des identités l’artiste KY sort de son corps, des limites de sa forme. C’est l’image de l’humanité qui est explosée. Mais KY accomplit cela, il importe de le dire avec force en ces temps d’attentats délibérés contre la figure humaine, sans faire mal au corps, ni au sien ni aux autres, avec extrême délicatesse et respect, je dirais avec amour. La figure humaine perd ici son prestige, elle tend à se défaire de ce qui lui confère à nos yeux un privilège absolu sur les choses. C’est que les choses et les êtres sont saisis par ce qui les rend ici semblables : l’image. Image des êtres et images des choses, toutes s’égalent dans l’image.

Afin de rendre raison de cette série de traits, de restituer la logique intime de ce travail, je dirais que KY ne s’habille ici ni de vêtements ni d’accessoires mais de peinture. KY ne ressemble pas et ne se ressemble pas, elle se peint.

Comme dans la légende de Wu Tao-Tzu, le peintre chinois de la treizième dynastie, du temps des Tang (alentours du viiie siècle), dont on raconte qu’il était entré dans un de ses paysages et avait disparu au fond de sa peinture, KY, elle, est entrée dans la Peinture, dans l’histoire de la Peinture.

Doit-on dire pour autant qu’elle y a disparu ? Art de la diffraction, de la dispersion, l’art de KY n’est pas un art de

l’effacement, mais plutôt de la résonnance, de l’écho. Ce qu’il y a de très beau, de très fort en même temps que très fou dans ce travail, ce n’est pas que KY embrasse ainsi toute la Peinture, c’est que l’artiste réalise - et nous fait en même temps réaliser - quelque chose qui vaut pour chacun de nous : dans ces mondes où il nous attire et nous projette, tout l’art parle de nous, de chacun de nous. Penser que l’art parle de moi, qu’à l’instant où je regarde un tableau il me regarde, ce pourrait être délirant ou hallucinatoire c’est simplement lacanien. Au moment où je le regarde et que je m’y abîme, tout tableau me regarde. La peinture me peint. Bien sûr, on pourrait voir cette plongée de KY dans l’histoire de la peinture comme un voyage à la recherche du père, ou d’une mère, disons d’une identité. Mais il ne s’agit pas de ça. C’est moins un père qu’une perte que KY recherche ici.

Gérard Wajcman

Kimiko YOSHIDA : La Mariée Mao (Garde rouge rouge). Autoportrait, 2009 La Mariée Mao. Autoportrait, 2006 La Mariée Mao (Garde rouge bleu brandissant le Petit Livre rouge). Autoportrait, 2010 La Mariée Mao (Garde rouge vert étudiant la «pensée Mao-Zedong»). Autoportrait, 2010 C-print contrecollé sur aluminium et Plexiglas, polyptyque, 120 x 120 cm chaque, Édition 3/4

ROUGE DE CHINE GÉRARD FROMANGER /JEAN PIERRE RAYNAUD / KIMIKO YOSHIDA Imprimé par : Corlet à 1000 exemplaires, Graphisme : alberti.fanny@gmail.com

L’art pose des questions et ne donne pas de réponses. Jan Hoet

Un manifeste imaginé pour faire écho à l’invitation de la Chine à l’occasion d’Art Paris 2014.

Un face-à-face inédit entre deux artistes français de la même génération : Gérard Fromanger et Jean Pierre Raynaud.

Deux oeuvres monumentales : Drapeau sur châssis, tryptique datant de 2001 de Jean Pierre Raynaud et Chine, USA, URSS, grand tableau de Gérard Fromanger réalisé pour l’occasion et inspiré d’une sérigraphie datant de 1968 présentée ici également. Tandis que Raynaud prend le symbole politique par excellence d’un pays pour l’élever au rang d’oeuvre d’art, Fromanger s’empare du drapeau pour faire vivre les couleurs au rythme des tragédies de l’Histoire.

En contre-point, le travail obsessionnel de Kimiko Yoshida sur l’autoportrait revisite l’image de Mao dans la grande tradition de l’achromatisme occidental.

A Brune, militante, pour ses seize ans.

Présenté par Caroline Smulders Ilovemyjob, Paris www.ilovemyjob.eu

Publié à l’occasion d’Art Paris au Grand Palais du 26 au 30 mars 2014

Couverture en haut : Kimiko YOSHIDA, La Mariée Mao (Garde rouge rouge). Autoportrait, 2009, Exhibition view: tirage de 100 mètres carrés (10 x 10 mètres) installé sur la façade du musée de la Mode, Hasselt, Belgique.

A gauche : Gérard FROMANGER, Chine, USA, URSS, 1968, sérigraphie, 21 x 30 cm.

A droite : Jean Pierre RAYNAUD, Drapeau sur châssis, 2000, 115 x 90 cm.

Ci-dessus : Gérard FROMANGER, En Chine, à Hu-Xian, 1974-2013, digigraphie sur papier, 107 x 152 cm / sur toile, 97 x 142 cm.