L'achèvement de la cathédrale de limoges

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L'achèvement de la cathédrale de Limoges

au XIXème siècle Ministère de la Culture, de la Communication des Grands Travaux et du Bicentenaire Direction Régionale des Affaires Culturelles du Limousin LIMOGES 1988


Remerciements Nous tenons à exprimer notre très vive gratitude à ceux qui ont permis la réalisation de cette exposition : Monsieur Philippe LOISEAU, Préfet de la région Limousin et du département de la Haute-Vienne Monsieur Jean-Pierre BADY, Directeur du Patrimoine Monsieur Louis LONGEQUEUE, Sénateur—Maire de Limoges Monsieur Robert SAVY, Président du Conseil Régional Monsieur Jean-Claude PEYRONNET, Président du Conseil Général Monseigneur Léon SOULIER, Evêque de Limoges Monseigneur Henri GUFFLET, Ancien Evêque de Limoges Monsieur le Chanoine BESSE, Curé de la cathédrale Monsieur Ivan CLOULAS, Président de l'association Culture et Patrimoine en Limousin

ainsi qu'à tous ceux qui nous ont apporté leur concours financier : Ministère de la Culture, de la Communication, des Grands Travaux et du Bicentenaire; Direction du Patrimoine; Direction de l'Administration Générale et de l'Environnement Culturel Caisse Nationale des Monuments Historiques et des Sites L'Association pour les Célébrations Nationales L'Association Culture et Patrimoine en Limousin La Ville de Limoges Le Conseil Général de la Haute-Vienne Le Conseil Régional du Limousin

et les sociétés suivantes : E.D.F.-G.D.F., LEGRAND, FRANCE TELECOM, S.O.C.A.E., la Caisse des dépôts et Consignations, la Banque TARNEAUD, la Caisse d'Epargne de Limoges, RENAULT Véhicules Industriels, Hôtel ARCADE. Nos remerciements vont aussi à tous ceux qui nous ont apporté une aide indispensable notamment : Madame Françoise BERCE, Conservateur de la Bibliothèque et des Archives du Patrimoine Madame Bénédicte CHANTELARD, Documentaliste à la Conservation Régionale des Monuments Historiques Monsieur Ivan CLOULAS. Conservateur en Chef aux Archives Nationales Monsieur Georges COSTA, Inspecteur Général des Monuments Historiques Monsieur Jacques DE CANTER, Directeur des Services d'Archives du département de la Haute—Vienne Madame Françoise DUMAS, Conservateur en chef de la Bibliothèque de l'Institut Mademoiselle Marie-Madeleine ERLEVINT, Conservateur en Chef de la Bibliothèque Municipale de Limoges Monsieur Jean FAVIER, Directeur Général des Archives de France Monsieur Gilbert FONT, Adjoint au Maire de Limoges Monsieur Jean GOURBEIX, Chef du laboratoire des Archives Photographiques de la Direction du Patrimoine Madame Annie JACQUES, Conservateur de la Bibliothèque et des Collections de l'E.N. Sup. des Beaux-Arts Madame LAFFITE-LARNAUDIE, Conservateur des Archives de l'Institut Monsieur François MACE de LEPINAY, Conservateur au Musée Carnavalet Mademoiselle Marie-Madeleine MASSE, Documentaliste au Musée d'Orsay Monsieur Philippe PONCET, Architecte des Bâtiments de France Mademoiselle Marie-Thérèse REAU. Conservateur de l'Inventaire de la région Centre Monsieur Paul-Edouard ROBINNE, Conservateur Régional de l'Inventaire du Limousin Monsieur Gérard SEGURET, Adjoint-technique principal à la Conservation Régionale des Monuments Historiques du Limousin.

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Organisation de l'exposition Direction Régionale des Affaires Culturelles du Limousin Conservation Régionale des Monuments Historiques Jean-Claude GROUSSARD, Directeur Régional des Affaires Culturelles Jean-François MARGUERIN, Conservateur Régional des Monuments Historiques Avec le concours de l'association Culture et Patrimoine en Limousin. Commissariat de l'exposition Commissaire Général : Caroline PIEL, Inspecteur des Monuments Historiques Commissaire Scientifique : Thierry SOULARD, Historien et Archéologue, Enseignant à l'Ecole du Louvre. Conception de l'exposition Conseil d'Architecture d'Urbanisme et d'Environnement de la Haute-Vienne (C.A.U.E.). Maquette du catalogue : Hervé MARAVAL. Coordination Générale Jean-François MARGUERIN, Conservateur Régional des Monuments Historiques. Rédacteurs du catalogue Catherine BRISAC, Documentaliste à la Sous-Direction des Monuments Historiques, Responsable du vitrail au G.R.I.M.C.O Alain ERLANDE-BRANDENBURG, Conservateur en Chef des Musées Nationaux, Adjoint au Directeur des Musées de France Jean-Michel LENIAUD, Chargé de Conférences à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (IVe section) Bruno NOUAILHER, Historien Louis PEROUAS, Directeur de Recherche au C.N.R.S. Caroline PIEL, Inspecteur des Monuments Historiques Thierry SOULARD, Historien et Archéologue, Enseignant à l'Ecole du Louvre. Crédits photographiques Archives Départementales de Ici Haute-Vienne Archives Nationales Archives Photographiques des Monuments Historiques Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts Bibliothèque Nationale Bibliothèque de l'Institut Monsieur Claude THIBAUDIN Service Régional de l'Inventaire du Limousin Monsieur Gabriel DUPUY, Réviseur à la Conservation Régionale des Monuments Historiques du Limousin Monsieur Gérard SEGURET, Adjoint technique principal à la Conservation Régionale des Monuments Historiques du Limousin Thierry SOULARD, Historien et Archéologue.

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Avant-propos Composée de nombreux documents originaux, cette exposition retrace les grands moments et les péripéties du plus vaste chantier qu'ait connu Limoges au siècle dernier, l'achèvement de la cathédrale, dont le projet avait été caressé dès le XVIème siècle par l'évêque Jean du Bellay. Que d'efforts il fallut déployer pour plaider cette cause, persuader les décideurs, réunir les financements ! Mais ensuite ce chantier représentera douze années de travail et de pain assuré pour les maçons limousins. Un tiers de siècle se sera écoulé entre la lettre de l'évêque soumettant le projet au gouvernement de l'Empire et la réalisation achevée de l'équilibre architectural du grand vaisseau de pierre. Les esquisses et les plans témoignent de la complexité de l'entreprise et, d'une certaine façon, de son audace. En restituant l'achèvement de la cathédrale Saint-Etienne dans son contexte religieux, social et politique, en le rapprochant d'opérations comparables conduites ou projetées à la même époque, cette exposition permet au visiteur de comprendre certains aspects méconnus du XIXème siècle : la transformation profonde des rapports entre l'Eglise et l'Etat, le goût pour le pastiche médiéval en architecture et en décoration, les débuts de la prise en compte de la protection des monuments historiques par les pouvoirs publics... Voici quelques éléments essentiels qui se trouvent ici utilement éclairés. Les nombreuses contributions d'historiens et en particulier d'historiens de l'art réunies par ce catalogue viennent encore compléter les riches informations portées à la connaissance du visiteur. Je veux saisir l'occasion qui m'est offerte pour remercier les maître-d’œuvre de cette exposition, et tous ceux qui lui ont apporté leur concours et ont su souligner que l'achèvement de la cathédrale était un exemple caractéristique de l'histoire de l'art dans la France du XIXème siècle. Mes remerciements vont aussi aux organisateurs et réalisateurs des diverses manifestations qui ont marqué la commémoration de cet anniversaire : la mise en lumière estivale que tant de Limousins et de touristes sont venus admirer; l'université d'été — la première du genre — sur le patrimoine architectural; le colloque scientifique de novembre 1988 relatif aux achèvements des cathédrales au XIXème siècle qui, avec la présente exposition, auront constitué un ensemble tout à fait cohérent. Alors que la commémoration s'achève, des travaux de grande ampleur sur le monument, autorisés par la loi-programme promulguée en janvier dernier, débutent. Éternel recommencement de l'effort pour transmettre aux générations futures ce legs précieux du temps ! Mais nous pouvons d'ores et déjà apprécier les fruits de la brillante commémoration du centenaire de la cathédrale dont cette exposition fut un des éléments marquants : Limoges a retrouvé le chemin de sa cathédrale. Ph. LOISEAU Préfet de la région Limousin et du département de la Haute-Vienne.

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Les raisons d'un achèvement Jean-Michel LENIAUD Ce fut un préfet de la Haute-Vienne, Albert Germeau, qui lança sans doute le premier, c'était en 1838, l'idée de l'achèvement de la Cathédrale de Limoges (1) ; les arguments qu'il développait devant le ministre des cultes étaient d'ordre commercial, touristique et esthétique; d'ordre politique aussi, en signalant l'intérêt que prenaient au projet le clergé et la population. Ce fut également un préfet, Maurice Duval, qui, en Loire-Inférieure sous la monarchie de juillet, fut l'un des plus chauds partisans de l'achèvement de la cathédrale de Nantes, alors que l'évêque Mgr. de Guérines se montrait circonspect, peu soucieux d'effaroucher une opinion guère cléricale par un projet ambitieux. Cette curieuse situation, où l'on voit la puissance civile intervenir ainsi, s'inverse à la fin du siècle : c'est à l'action effective de l'épiscopat, à partir de 1876, que l'on doit la mise en œuvre de l'idée lancée par Germeau à Limoges. Cette évolution qui n'est ni le fruit du hasard, ni l'expression d'un paradoxe artificiel, résume à elle seule l'histoire si particulière des achèvements de cathédrales au cours de ce XIème siècle qui fut le dernier à oser porter la main de façon volontaire sur ce qui est devenu par la suite les fétiches de notre patrimoine : étonnante aventure intellectuelle et artistique, touchant la religion, la politique, l'architecture et l'archéologie. 1 - La cathédrale : l'église de l'Etat. Le Concordat a définitivement confirmé le statut des cathédrales : c'est à l'Etat qu'elles appartiennent et non aux établissements ecclésiastiques, au nombre d'une cinquantaine d'abord, plus de quatre-vingt à la fin du siècle en raison de la création de nouveaux diocèses. Elles sont à ce titre des bâtiments publics comme le sont les cours d'appel, les lycées, les palais nationaux, mais surtout elles expriment le lien particulier qui unit la religion catholique, religion majoritaire et non pas unique, à l'Etat dont le chef en tant que "descendant" du Premier consul, doit appartenir, selon les termes du Concordat, à cette religion catholique : les cathédrales sont les "temples du pouvoir" où se célèbrent et se commémorent sacres, funérailles, baptêmes, mariages, Te Deum qui scandent la vie dynastique et la vie politique du pays. Un lien particulier unit donc aussi l'Etat aux cathédrales et confère à celui-ci une responsabilité éminente sur celleslà. A quoi s'ajoutent des considérations politiques plus directes. Les travaux sur les monuments, en développant le goût pour l'histoire, constituent un facteur puissant d'union nationale: comme l'exprime Désiré Nisard en rapportant devant la chambre des députés le projet de loi relatif à l'achèvement de l'église Saint-Ouen de Rouen, "le respect pour les travaux du passé rend le présent plus honorable; il accoutume les nations à ne pas trop dater de la veille et il tempère l'ardeur du changement qui, si elle n'est pas réglée, n'est plus la vie mais la fièvre" (2). Et ce qui est vrai alors pour la monarchie de juillet l'est pour chacun des régimes qui se sont succédés au XIXème siècle : l'empire, la monarchie et la république se disputent également le passé national comme valeur fondatrice de leur légitimité. Au nouveau de la politique locale aussi, la décision d'achever une cathédrale est loin d'être indifférente : c'est pour tenter de rallier les populations légitimistes de l'Ouest (3) que le régime de juillet décide d'achever la cathédrale de Nantes. Des considérations d'administration des cultes aussi : l'exercice du culte relève du service public et l'Etat doit lui assurer de bonnes conditions matérielles; si la cathédrale est trop -5-


petite, si elle ne présente pas la dignité suffisante, elle doit être agrandie, voire reconstruite, comme à Gap, Digne, Marseille, Clermont-Ferrand. Les rapports avec l'épiscopat doivent être harmonieux et répondre au néo-gallicanisme qu'affirme l'Etat face au Saint-Siège : c'est, entre autre, pour tenter d'amadouer l'ultramontain et légitimiste évêque de Moulins, Mgr de DreuxBrézé, qu'est entrepris l'achèvement de l'ancienne collégiale devenue cathédrale. Des considérations d'ordre économique enfin. Au XIXème siècle, le principal secteur dans lequel l'Etat peut intervenir est celui des travaux publics et du bâtiment : l'achèvement d'une cathédrale constitue un gros chantier au niveau local, permet l'embauche, occasionne des retombées financières indirectes, améliore la situation économique de la ville, voire du département. A Bayonne, sous le second Empire comme à Limoges sous la République, les évêques ne manquent pas de faire valoir ce type de conséquences pour provoquer de favorables décisions financières de la part du ministre. 2 - La cathédrale : image de l'Eglise universelle.

Ph. 2. Cathédrale de Clermont-Ferrand (Cl. J. Raffin)

Les cathédrales que le Concordat met à la disposition des évêques ne sont plus tout à fait les mêmes que celles qu'a connues l'Ancien régime. Non pas seulement parce qu'elles ont souffert pendant la Révolution de manque d'entretien et de dégradation, mais parce que leur valeur symbolique n'est plus la même : la carte des diocèses et des provinces ecclésiastiques a été profondément modifiée; le nombre des sièges diminué. Parce qu'aussi leur fonction liturgique a changé, moins au point de vue canonique que dans la pratique : le culte paroissial s'y développe, concurremment avec l'office canonial; le chapitre n'a plus les moyens matériels d'assurer sa prééminence; l'évêque s'astreint à la résidence et fait véritablement de la cathédrale son église à Limoges, Mgr Duquesnay (1871-1881), célèbre une messe hebdomadaire. Ainsi l'image de la cathédrale change-t-elle : au modèle méridional de la petite cathédrale familière aux habitants d'un petit diocèse dont les limites sont l'héritage des civitate gallo-romaines, fait -6-


place à Gap, Digne, Marseille même, le modèle septentrional : celui d'une grande cathédrale dont l'allure générale, les tours, les flèches et la façade traduisent le pouvoir épiscopal sur une nouvelle circonscription ecclésiastique qui correspond aux découpages administratifs. Ce n'est pas un hasard si les évêques de Quimper, Bayonne et Moulins s'emploient à faire construire deux flèches en façade : c'est pour eux l'expression de la dignité épiscopale qui est en jeu. L'église cathédrale doit être une église achevée. Une réflexion liturgique et théologique se développe dans le même temps : nourrie de la pensée médiévale et notamment des œuvres de Vincent de Beauvais et de Guillaume Durand, elle porte sur la valeur symbolique de la cathédrale. Par l'organisation générale de sa composition, par le concours de tous les beaux-arts, par le symbolisme de ses formes et l'expression de son iconographie, la cathédrale représente la victoire sur le Chaos, l'incarnation du Beau et du Vrai, la culture universelle sous-tendue par un dessein divin et parce qu'elle est parfaite, la cathédrale se doit d'être achevée. Autrefois représentation des particularismes gallicans d'une France épiscopalienne attachée à ses traditions héritées de la Gallia christiana, la cathédrale exprime l'unité et l'universalité de la romanité catholique qui tend de plus en plus dans cette Europe des nations à devenir une force supra-nationale, quand bien même ce destin ne lui serait pas imposé par la politique de la maison de Savoie. Symbole de plénitude, comment la cathédrale ne pourrait-elle pas être achevée ? Elle représente enfin l'unité politique, qu'on y cherche l'expression théocratique d'un mythique âge médiéval, celui du règne de Saint-Louis ou le signe de la concorde entre la société civile et la société religieuse lorsqu'est tenté le ralliement des catholiques à la République. Lors du discours qu'il prononce à l'occasion de l'inauguration de l'agrandissement de la cathédrale de Nice, le 4 février 1904, c'est bien ainsi que s'exprime Mgr Chapon : l'aide du gouvernement de la République en faveur de la cathédrale traduit "l'entente et l'harmonie de deux pouvoirs"; et cette pensée traduit bien autre chose que de l'opportunisme à la veille de la Séparation si on se rappelle les efforts désespérés de l'évêque de Nice pour maintenir les contacts avec le gouvernement malgré l'intransigeance de Rome à propos des associations cultuelles. Signe d'unité, la cathédrale se doit d'être achevée (4). 3 - La cathédrale : modèle architectural. Du côté des architectes, l'enseignement académique porte également à l'achèvement. Pour le prix de Rome, l'organisation générale des fonctions se conçoit dons le cadre d'un plan qui répond aux principes de symétrie et d'axialité et se nourrit de la répétition systématique des motifs : le projet conduit à son terme, achevé, a épuisé les variations possibles dans la répétition. Chez les fonctionnalistes, le comportement créateur n'est guère différent, à ceci près qu'il transpose dans un univers dynamique le statisme de la composition néo-classique l'édifice achevé est celui dont les différents éléments sont placés selon une logique de construction rigoureuse et exhaustive. La "cathédrale idéale" de Viollet-Le-Duc, les réalisations de Lassus aussi bien, constituent la synthèse de ces deux attitudes architecturales : le souci de symétrie et d'axialité s'exprime dans l'organisation générale du plan et de la façade principale; il se nourrit du principe de la répétition modulaire de la travée en plan et en élévation; le souci de fonctionnalisme se traduit par l'emploi rigoureux du système qui combine la croisée d'ogives, les arcs-boutants, les contreforts et les pinacles et, de manière plus formelle, par l'érection de flèches au-dessus des tours. -7-


Sous cet angle, achever est ni plus ni moins qu'" idéaliser" la cathédrale. Réaliser à Nantes le chœur projeté au XVème siècle, ériger les flèches occidentales à Quimper, construire une nef selon l'inspiration d'origine à Clermont et à Limoges participe de cette attitude. En achevant, le maitre d'œuvre du XIXème siècle a le sentiment de réorganiser le chaos morphologique en fonction de la conception d'origine et du principe d'unité de style. 4 - La cathédrale entre respect du passé et création.

Ph. 3. Cathédrale de Moulins (Cl. J. Raffin)

Quant aux archéologues, ils ne s'opposent pas, pour leur part, aux travaux d'achèvement: bien au contraire, ils vont jusqu'à inciter à de tels travaux, comme à Saint-Ouen de Rouen. C'est qu'en effet, y pousse tout l'enseignement de l'archéologie, fondé sur l'anastylose et tendant à la restitution graphique et ce qui se fait par le truchement de dessins aquarelles, pourquoi ne pas le réaliser concrètement dans la pierre ? Quant à l'archéologie médiévale, elle tend à se répartir en deux courants qui, en l'espèce, vont dans le même sens. Le premier, issu du comité des arts et monuments et s'exprimant par le truchement de Victor Hugo et de Didron, est sensible à la stratification des apports successifs et dans ce mouvement continu de création ne désavoue pas l'apport de l'époque du moment, qui vient s'ajouter de façon quasi biologique. Quant au second courant, innervé essentiellement par les théories de Viollet-Le-Duc et s'illustrant par des architectes, il préconise l'unité de style et pousse à la mise en œuvre de la conception d'origine: ainsi un édifice inachevé se doit-il d'être conduit dons sa forme idéale. Il n'est, en fait, guère d'archéologues qui considèrent le monument comme un document intangible. Les partisans du noli tangere, que ce soit les ruskiniens "nihilistes" ou les représentants de l'école historique positiviste, ne s'expriment pas. Il faut attendre les scandales des travaux des cathédrales d'Evreux et de Périgueux pour que le débat soit enfin lancé par le -8-


truchement notamment d'Anatole Leroy-Beaulieu dans la Revue des deux mondes, et posé le principe déontologique du respect de l'authenticité. De ce fait, et tant que ne l'a pas définitivement emporté le nouveau principe, nulle contradiction ne s'est cristallisée entre la conservation archéologique et ce qu'on peut appeler la création architecturale : la cathédrale n'est pas considérée comme tabou; elle peut être augmentée. Nulle contradiction, de plus, car la création se nourrit d'historicisme : l'architecte qui achève répète les formes anciennes, s'inspire dans ses sculptures et vitraux des compositions médiévales. Ainsi n'est-il pas de heurts dans la vie du monument. Après Saint-Etienne de Limoges, il n'y eut plus de cathédrale française à faire l'objet d'une décision d'achèvement : le puissant mouvement nationaliste, historiciste, romantique et religieux, qui avait pris naissance à Cologne et s'illustrait à Milan, s'essoufflait et en France se muait chez les uns comme une tentative désespérée de réconciliation entre monarchistes et républicains, et chez les autres en une lutte entre ultramontains et laïcs pour la domination de la société. L'Etat se désengagea de l'aventure néo-médiévale; l'Eglise s'y accrocha encore quelque temps jusqu'à ce que la guerre et les conséquences de la Séparation rendissent enfin le rêve totalement archaïque. Et pour finir, côté architecture, restaurateurs et créateurs s'établirent sur des voies différentes. J.-M. L. (1) - Cf, J.-M, LENIAUD, "Albert Germeau, un préfet collectionneur sous Io Monarchie de Juillet", dons les Actes du 103' congrès national des sociétés suivantes Nancy-Metz 1978, Paris, 1979, t. Il. p. 363-372. (2) - Cf. J.-M. LENIAUD, -Historicité ou perfectionnisme ? Le débat sur la façade de Saint-Ouen de Rouen, dans le Bulletin archéologique, Paris, 1976-1977, n° 12-13, p. 141-162. (3) - "L'achèvement de la cathédrale de Nantes", à paraitre dans le Bulletin de la société archéologique de Nantes. (4) - "Les flèches néo-gothiques", dans le Mont-Saint-Michel, l'archange, la flèche, Paris, 1978, p. 17-29.

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Achèvement de la cathédrale et conjoncture ecclésiale (1872-1880) Louis PEROUAS

La reprise des travaux de la cathédrale de Limoges en 1875, après plus de trois siècles d'interruption, coïncidait trop bien avec l'Ordre moral pour qu'on ne fasse pas le rapprochement; mais l'interprétation qu'on peut faire à Paris ne coïncide pas toujours avec la réalité provinciale. D'après l'historien américain John Merriman, qui envisage toute la période 1830-1871, "seules Marseille, Lyon et Narbonne auraient pu disputer ô Limoges le titre de ville rouge". La dernière avait connu en 1871 une Commune brève mais virulente. Aux législatives de 1873 comme aux municipales de 1874, la ville vota majoritairement pour les républicains. Dès avant 1870, elle manifestait un anticléricalisme profond qui culmine dans le choix, par une petite fraction des familles, de la sépulture civile. Autant d'éléments qui portaient les Limougeauds à manifester peu d'intérêt pour l'achèvement de la cathédrale. En 1872, arrive à limoges un nouvel évêque particulièrement entreprenant qui en l'espace de trente mois visita l'ensemble de son vaste diocèse (Haute-Vienne et Creuse). Mgr Duquesnay, sans doute, comme ses contemporains, nostalgique de la chrétienté médiévale, ce qui jouera dans son intérêt pour l'achèvement de la cathédrale, découvre des populations rurales largement détachées de la pratique pascale et dominicale. Il est porté à accuser "la révolution de septembre" 1870, (avec la connotation très sombre du premier terme) et "les sociétés secrètes" (la maçonnerie ne comptait guère que 130 adhérents sur 614.500 habitants), mais loin d'en rester à des lamentions, il se lance dans une vaste entreprise de reconquête. De cette dernière nous ne retenons ici que deux initiatives majeures. En 1878, l'évêque créa un Bureau diocésain des œuvres composé - le fait est à remarquer - à moitié de laïcs. Cet organisme, qui regroupe tous les mouvements et institutions, aura une antenne dans chaque arrondissement avec des délégués cantonaux. Au risque de commettre un anachronisme, on oserait parler d'une volonté de pastorale d'ensemble. Le prélat se montre particulièrement actif à Limoges même. En 1802, on avait divisé l'agglomération en quatre paroisses, ce qui pouvait suffire pour un peu plus de 20.000 habitants. Mais en 1872, cette situation était devenue notoirement insuffisante pour les 55.000 Limougeauds, d'autant que l'accroissement s'était fait essentiellement par une population ouvrière, surtout dans la porcelaine, dont les leaders constituaient des militants notoires de la gauche. Coup sur coup, en moins de cinq années (18731877) se fondent trois paroisses nouvelles : le Sacré-Cœur et Saint-Joseph en 1873, SainteValérie en 1877; un plan de la ville dressé en 1874 porte, dons le lotissement de la Société immobilière, le plan d'une autre église qui ne sera jamais construite. A propos de la paroisse Saint-Joseph, un mémoire d'époque dit explicitement que l'évêque dut attendre un an (18721873) à cause de l'opposition du Conseil municipal. Cette accumulation de projets et réalisations est d'autant plus remarquable qu'il faudra attendre trente années (1877-1907) pour que soit officiellement érigée une huitième paroisse, alors que pendant ces trois décennies la ville avait augmenté de 30.000 habitants. A partir de là, on soupçonne que A. Duquesnay ne dut pas rester étranger à l'achèvement de la cathédrale. -10-


C'est dès son arrivée à Limoges, le 5 mars 1872 - sinon même un peu avant - que le nouvel évêque s'engagea dans ce sens, comme il le rappelle, un an plus tard, dans sa lettre pastorale de Carême : "Dès Notre arrivée parmi vous, avant même d'avoir pris possession du siège de SaintMartial, cette pensée s’est emparée de Notre âme et s'est imposée à Nous avec une force irrésistible. Au jour de Notre consécration, alors que Nous étions prosterné sur les dalles du Temple et qu'on invoquait sur Nous le patronage de l'auguste Mère du Sauveur et des Saints, Nous avons promis à Dieu de nous employer tout entier à cette sainte œuvre, de ne rien ménager pour y réussir, de la poursuivre nonobstant toutes les difficultés, dussions-nous succomber à la peine. Cette solennelle promesse, Nous la renouvelons devant tout Notre cher diocèse...." L'objet de cette première lettre pastorale est de lancer un appel, plus précisément une souscription. L'évêque institue, à côté et sous l'autorité centrale chargée de collecter le million nécessaire, des comités par arrondissements et par cantons qui recueilleront soit des dons immédiats, soit des souscriptions acquittables en plusieurs annuités. Très vite l'organisation se démultiplia jusqu'à créer un comité par paroisse. Grâce à l'un des registres conservés, on peut se faire une idée assez précise des résultats obtenus par cet appel. On constate que les pages de 82 paroisses (sur 475) restent entièrement blanches. Pour certaines de celles-ci, par exemple Le Buis ou Blaudeix, le vide s'explique par la très faible population (moins de 500 habitants), encore qu'à cette date tous les postes de desservants aient été pourvus tous d'un prêtre résidant. Mais la page reste non moins blanche pour trois chefs-lieux de canton, Châteauneuf-la-Forêt, Nantiat et Saint-Mathieu. Pour ces derniers on doit, au moins autant que de tiédeur des paroissiens, parler du manque d'intérêt des pasteurs. Le clergé en effet joua un des rôles-clé dans cette opération. Dans une petite centaine de paroisses, les seuls dons sont le fait du curé, éventuellement des quêtes faites par lui. Si Le Dorat et Saint-Julien donnent passablement (entre 2.000 et 3.000 francs), d'autres petites villes à peu près aussi importantes sont nettement moins généreuses. Guéret se contente de 630 francs dont plus de la moitié offerte par des prêtres; à Felletin le total des versements se monte à 600 francs dont seulement 90 ne proviennent pas du presbytère, du petit séminaire, de la maisonmère des Sœurs de Saint-Roch; encore s'agit-il souvent de dons anonymes et, pour la plupart, collectifs. Il en va différemment dans la ville de Limoges où le seul comité de la cathédrale inscrit 127.123 francs en l'espace de huit à neuf années. Pour une large part les souscriptions sont le fait du clergé ; 8.000 par des communautés de religieuses, 15.000 par des chanoines dont 5.000 de la part du seul archiprêtre, 25.000 par l'évêque lui-même. Cette participation massive du clergé ainsi que l'inscription au comité de la cathédrale de catholiques étrangers à la ville ou même au diocèse rend délicate une analyse des donateurs. Nous avons choisi d'examiner plutôt la liste du comité de Saint-Michel-des-Lions, paroisse plus centrale et davantage habitée par des gens aisés. Le total des souscriptions se monte à 27.717 francs répartis entre 115 donateurs différents; cela pour une population qui tombe de 24.000 à 12.000 avec la création de deux des nouvelles paroisses soit, de toute façon, une fraction minime des familles de la paroisse. Si on examine de plus près les listes, on trouve deux souscriptions de 2.000 francs, huit (dont deux -11-


de communautés de religieuses) pour 1.000 francs, onze de 500 francs (dont un architecte, un pharmacien, un magistrat), 94 de moins de 500 francs qui assez souvent se situent entre 1 et 5 francs. Point n'est question de mésestimer ces dons modiques, habituellement versés immédiatement, à la différence de la plupart des souscriptions dont certaines n'auraient pas été acquittées entièrement; ils représentent peut-être "l'obole de la veuve". Il faut tout de même reconnaître qu'à Limoges même, à fortiori dans l'ensemble du diocèse, la souscription n'a pas vraiment "mordu" sur les populations. Une partie des sommes recueillies le fut par un comité de Paris qui regroupait des gens de la capitale, mais aussi d'autres villes ou régions, Bordeaux, Lyon, Marseille et même NewYork (un prêtre qui était chanoine honoraire de Limoges). Plusieurs de ces dons viennent du diocèse d'Amiens (l'archiprêtre de Montdidier, les religieuses de Lauvencourt, etc...); c'était là qu'était incardiné Alfred Duquesnay avant son épiscopat. Pour les trois villes citées plus haut, nous savons qu'il y avait prêché lorsqu'au début de son ministère, il faisait partie des Missionnaires de France ou qu'il y revint spécialement quêter pour achever sa cathédrale. Mais le rôle d'A. Duquesnay semble particulièrement important à Paris même. Plus encore qu'à ses prédications dans des paroisses ou collèges destinées à faire monter la souscription, il faut prêter attention à ses nombreuses relations dans des milieux de la capitale, et non des moindres. De 1845 à 1871, il y avait été successivement aumônier du lycée Henri IV, puis de Normale Supérieure, professeur à la Sorbonne puis, dix-sept ans durant, curé de l'importante paroisse de SaintLaurent. Un examen rapide des donateurs inscrits au comité de Paris montre qu'ils relèvent plus de ce réseau de relations personnelles que d'un large mouvement comme celui, presque simultané, qui alimentait la souscription pour la basilique du Vœu national de Montmartre. Ajoutons un autre aspect de ce rôle primordial de l'évêque. Nous avons signalé plus haut que le prélat avait lui-même souscrit au comité de la cathédrale pour 25.000 francs. Or il fut le seul, avec deux des chanoines, à payer comptant, dès la première année. On peut supposer que ce geste lui était facilité par des ressources personnelles. Tout montre qu'une telle générosité tenait d'abord à l'intérêt qu'il portait à sa cathédrale. Signalons, à titre de comparaison, que, lors d'une nouvelle souscription ouverte en 1883, son successeur s'inscrira seulement pour 1.500 francs. Tout montre que si la cathédrale de limoges a pu être achevée, on le doit avant tout à Mgr. Duquesnoy. Il reste à expliquer pourquoi cet évêque, à la parole chaleureuse, au zèle conquérant, a déterminé peu de ses diocésains à faire un versement, si menu soit-il, pour la cathédrale. Il est certain que depuis longtemps, les Limousins savaient compter leurs sous, surtout lorsqu'il s'agissait de les donner au clergé. Nous en avons des preuves multiples, par exemple vers 1805 lorsque bien des municipalités renâclèrent à honorer les arrangements financiers contractés entre les préfets et l'évêque pour assurer tout ou partie des dépenses prévues pour le logement et le paiement des desservants. Mois tout récemment l'année 1871 avait été marquée par la Commune de Limoges, bien davantage par celle de Paris dont la répression constitua un drame pour les régions migrantes de la Creuse et de la Haute-Vienne. Un autre facteur joua non moins, le détachement des limousins par rapport aux prescriptions du clergé. La perte totale des questionnaires en vue des visites pastorales empêche de savoir s'il s'est alors produit un seuil dans la baisse de la pratique pascale et dominicale. Nous pouvons toutefois utiliser un autre indice, l'allongement du délai entre naissance et baptême, au-delà des trois jours prescrits par l'évêché (tout comme par l'Etat Civil), un indice dont plusieurs travaux ont marqué la valeur pour les derniers tiers du XIXème siècle. -12-


A Limoges même, l'allongement des délais médians dépassait déjà un peu les trois jours juste avant 1870. Dans les dix années suivantes il passe de 4-8 jours à 8-15 jours. Dans les communes suburbaines comme dans les cantons les plus migrants de la Creuse, c'est précisément autour de 1875 que ce délai médian dépasse les trois jours. D'autres régions du diocèse attendront 1880 ou 1885, voire un peu plus tard, pour enfreindre sur ce point la prescription de l'évêché. Plus que des statistiques précises, pourtant si importantes et déjà établies pour tout le diocèse, nous intéresse ici le détachement presque parfaitement progressif, quoiqu'a des rythmes différents, de la population diocésaine. Nous sommes là devant une véritable conjoncture ecclésiale, même si elle se lit en négatif. En face de ce mouvement de fond, rappelons le zèle de Mgr. Duquesnay pour l'achèvement de sa cathédrale, mais aussi pour mieux assurer la vitalité chrétienne de son diocèse. Il apparait comme l'évêque de Limoges le plus entreprenant au XIXème siècle, ce qui constitue une autre forme de conjoncture ecclésiale. Autant il réussit presque à parachever son église cathédrale, autant il échoua à consolider sinon à reconstruire son Eglise diocésaine. Du moins eût-il le mérite, pas si fréquent alors dans l'épiscopat, d'être lucide sur l'érosion des pratiques du catholicisme. Ce qui apparait au regard froid de l'historien comme une distorsion, fut vécu par lui comme un véritable drame. L.S.

Documentation A.D. Haute-Vienne, 2J, 6 L 6 et aussi 7 : registres des souscriptions pour l'achèvement de la cathédrale, 1873 et années suivantes.

Lettres pastorales de Mgr Duquesnoy, La semaine religieuse de Limoges. Archives catholiques. 1873 p. 135-144, et 1875, p. 145-149 et 162-166. Léobon PATAUX, Vie de Monseigneur Duquesnay, archevêque de Cambrai, Limoges 1889. Louis PEROUAS, Refus d'une religion, religion d'un refus en Limousin rural 1880-1940, Paris 1985.

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De l'originalité de l'architecture des cathédrales du Midi : Clermont, Limoges, Narbonne, Rodez, Toulouse. Alain ERLANDE-BRANDENBURG

L'architecture gothique dans le Midi de la France a fait l'objet depuis quelques années d'études qui en ont renouvelé de façon approfondie la connaissance, en même temps qu'elles mettaient en lumière sa profonde originalité. Cette recherche s'est néanmoins davantage portée sur l'une des composantes de cette architecture à laquelle on a donné l'appellation de "gothique méridional", au détriment de la seconde, qui relève du courant rayonnant. Il s'ajoute à cette défaveur l'incidence du phénomène de périodisation en histoire de l'art la décennie 1260 est admise comme une rupture au-delà de laquelle l'architecture ne mérite guère qu'on s'y attarde. Les cathédrales gothiques du Midi de la France en ont profondément pâti si bien qu'elles n'ont guère été prises en compte dans l'histoire des formes, n'étant pas antérieures à cette date fatidique. Une réévaluation paraît aujourd'hui indispensable. Depuis Viollet-Le-Duc, on admet généralement que les cathédrales de Clermont, Toulouse, Narbonne, Limoges, Rodez, entretiennent entre elles des rapports stylistiques évidents. Les dates du début de leur construction, acceptées traditionnellement, ne font que renforcer un lien souvent mis en évidence : 1262 pour Clermont, 1272 pour Toulouse et Narbonne, 1273 pour Limoges, 1277 pour Rodez. Il s'y ajoute enfin le nom d'un architecte mentionné à Clermont et Narbonne : Jean Deschamps, qui invitait à lui reconnaître la conception non seulement de ces deux monuments mais à étendre cette paternité aux trois autres. La consonance nordique de son nom permettait enfin de saisir l'origine de son style, suggérant une trajectoire du nord vers le Midi. Formé à Paris ou dans la région parisienne, il aurait conçu en "descendant" vers le sud des projets révolutionnaires dans le contexte régional. L'affaire paraissait entendue et ne pas exiger une nouvelle enquête. Le débat mérite, en fait d'être relancé, à la lumière tiré de l'inventaire des actes du chapitre des connaissances actuelles. Certes, il n'est pas question dans ces quelques lignes de reprendre le problème au fond, mais d'avancer quelques remarques qui pourraient servir de réflexion pour une recherche plus ample. La première remarque touche à la personnalité de Jean Deschamps dont le nom est devenu si familier qu'on finit par oublier que nous ne savons pratiquement rien sur lui si ce n'est par quelques mentions tardives à Clermont et à Narbonne. A Clermont, une inscription commémorative relevée par Dufraisse au XVIIème siècle, et depuis disparue, affirmait que Maitre Jean Deschamps avait commencé la cathédrale en 1248. Ce texte, rédigé au XVème siècle, était inspiré d'une épitaphe gravée sur une plaque de plomb découverte à l'intérieur de la tombe de l'architecte dans laquelle il se trouvait enterré avec femme et enfants. Un Magister Johannes de Campis est mentionné en 1287 parmi les témoins du serment prêté aux chanoines de Clermont par les sergents de Jean de Pérusse, bailli de la ville. S'il s'agit bien du même personnage, il faudrait admettre que Deschamps était fort jeune en 1248 et très âgé en 1287. A Narbonne, un érudit, L. Narbonne, a signalé en 1901 un document daté de 1286 évoquant un architecte du nom de Jean Deschamps. Le procureur de la fabrique l'institue "premier maître dans le travail de l'église, et lui promet tous les jours qu'il sera présent, feste -15-


ou non, trois solz pour ses gages, plus cent solz pour l'entretien de la maison où il demeurera à Narbonne et dix livres annuellement pour ses habits". Le texte, tiré de l’inventaire des actes du chapitre dressé par Jean-Claude Ducarouge, le 1er juillet 1680, permet d'affirmer que ce Jean Deschamps n'était pas originaire de Narbonne et que ses séjours y étaient même peu fréquents. Le problème de date déjà évoqué devient donc particulièrement délicat, et l'on doit s'en interroger, comme l'a fait Robert Branner, sur la date de 1248 qui pourrait ne pas avoir été correctement relevée. Le style de la cathédrale de Clermont invite d'ailleurs à penser, comme on le verra, qu'il doit appartenir à la période tournant autour des années 70 du XIIIème siècle. Si le document transcrit par Dufraisse reconnait la paternité de l'édifice à Jean Deschamps, en revanche celui de Narbonne ne lui attribue que la primauté. Il semble en effet qu'il y ait eu plusieurs architectes à cette époque, dont vraisemblablement un architecte de chantier chargé du suivi. Sa présence devait être indispensable, en raison des absences de Jean Deschamps. Ce document, postérieur de quinze ans au début des travaux, tente donc de régler un différent hiérarchique et ne permet pas d'affirmer en toute certitude que Jean Deschamps a conçu le projet. Il faut néanmoins atténuer cette constatation en rappelant les rapports déjà évoqués entre les deux monuments. Quant aux trois autres cathédrales, notre ignorance sur l'architecte concepteur est totale. Cet aveu incite donc à une grande prudence quant à la personnalité de Jean Deschamps. La deuxième remarque touche à la chronologie des cinq monuments. Les dates traditionnellement adoptées apparaissent à l'analyse mal assurées. Comme on vient de le dire pour Clermont : 1248 ne peut pas être retenue pour des raisons stylistiques, ce qui ne veut pas dire que l'évêque Hugues n'y ait pas songé avant de s'embarquer le 25 août 1248 pour la Terre Sainte. Les documents soulignent ensuite les difficultés du chantier jusqu'à une date tardive. En 1273 on apprend que l'évêque faisait don d'un terrain nécessaire à la construction de l'édifice selon le plan commencé et maintenant visible (secundum formam inceptam et nunc apparentera) : c'est avouer que l'on a seulement commencé les fondations. A Limoges, l'analyse se révèle tout aussi complexe. Il paraît assuré que l'évêque Aimeric de La Serre (1246-1272) avait songé à renouveler la cathédrale romane et recueilli dans ce but les fonds nécessaires. La première pierre ne fut posée qu'immédiatement après sa mort, par le doyen du chapitre Hélie de Malemort, le 1er juin 1273. Il faut noter cependant que le successeur d'Aimeric de La Serre, Gilbert de Malemort (1273-1294), peu satisfait du projet, l'aurait remis en cause. On ignore cependant s'il alla jusqu'à en proposer un nouveau, ou s'il se contenta d'y faire apporter quelques modifications. A Toulouse, des recherches récentes conduisent à penser que le projet et même les travaux sont bien antérieurs à 1272, date à laquelle l'évêque Bertrand de l'Isle-Jourdain effectuait un voyage à Narbonne au cours duquel il aurait imaginé entreprendre la reconstruction de la cathédrale, renonçant au parti défini au cours de la première moitié du XIIIème siècle, dont seule la nef avait été construite. Il avait en fait mûri ce projet dès qu'il devint prévôt du chapitre (1255), bien avant de monter sur le trône épiscopal (1270). Pour ce qui est de Narbonne et de Rodez, les dates paraissent plus assurées. A Narbonne, elle est fournie par l'Histoire de Languedoc. A Rodez, le début des travaux est conséquent de l'effondrement du chœur et du clocher au cours de la nuit du 16 février 1276. Le 25 mai suivant, l'évêque Raymond de Calmont d'Olt posait la première pierre. Il faut cependant souligner que dans l'un comme dans l'autre cas, on y songeait depuis un certain temps.

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De tout ceci, on peut conclure que la volonté de reconstruire ces différentes cathédrales se fait jour au cours de la décennie 60, plutôt pour Toulouse, plus tard pour Rodez, c'est-à-dire à l'époque même où l'évêque Pierre de Ronceveau (1262-1270) définissait le plan de la cathédrale de Bordeaux. Il paraît en revanche très incertain d'établir une chronologie exacte entre ces monuments, en raison de la trop grande imprécision des documents. La troisième remarque touche au commanditaire. A l'analyse des textes, le mérite en revient sans aucun doute au prélat. Dans chacun des cas, on se trouve en présence d'une forte personnalité qui met tout en œuvre pour la réussite d'un projet qui lui tient à cœur. Il se voit contraint de réaliser un montage financier original dans lequel il intervient personnellement et de façon conséquente. Aussi remarque-t-on sans étonnement que dès leur disparition, le chantier s'interrompt brutalement (Toulouse). Ce n'est que dans un second temps que le chapitre prend le relais sans manifester une volonté aussi nette. L'exemple de Narbonne est à cet égard éloquent. Les chanoines finirent par céder aux pressions des consuls qui refusaient l'extension occidentale de la cathédrale afin de ne pas entamer le mur protecteur remontant à la période antique. La transaction de 1361 mit un point final au chantier, le chœur seul achevé ne sera donc jamais pourvu d'une nef. Nous ignorons en revanche les raisons qui provoquèrent de semblables abandons à Limoges, Clermont, Toulouse, Rodez, mais elles ne furent pas seulement d'ordre financier. La dernière remarque qui relève à proprement parler de l'histoire de l'art, touche à la légitimité de ce groupement d'édifices. Sans vouloir ici insister sur les raisons qui militent en sa faveur, il faut rappeler qu'il n'existe pas au Moyen-Age d'autres exemples d'édifices aussi importants qui offrent de telles similitudes. Ces liens ne sont pas d'ordre secondaire, mais offrent une conception très proche qui s'exprime aussi bien dans le plan que dans l'élévation. Cette remarque n'a rien de bien nouveau, elle est néanmoins essentielle pour bien saisir l'ampleur du débat. En plan, on est frappé par les dimensions données à la partie orientale avec trois travées droites à Clermont, Limoges et Narbonne, quatre à Rodez et cinq à Toulouse. Aux cinq chapelles rayonnantes qui ouvrent sur le déambulatoire, il fout adjoindre un nombre impressionnant de chapelles ménagées à l'intérieur des contreforts des travées droites : quatre généralement mais qui atteignent le chiffre de cinq à Rodez et de six à Toulouse Elles prennent à Narbonne, Rodez et Toulouse un plan polygonal qui induit un couvrement à six ou huit branches d'ogives (Toulouse - Narbonne). L'élévation, à l'intérieur, se singularise par le refus affirmé du triforium éclairé, adopté dans la France du Nord depuis 1231 (Saint-Denis). Les architectes de ces cinq cathédrales ont préféré une autre formule diamétralement opposée qu'il ne faut pas considérer comme un archaïsme, mais une volonté d'affirmer la muralité. A la différence de l'architecture rayonnante du Nord, la baie n'occupe pas la largeur du mur, mais se trouve percée dans celui-ci. L'éclairement du triforium ne soulevait pourtant guère de difficultés puisque les architectes avaient renoncé à établir, au-dessus des voûtes des collatéraux et du déambulatoire, des combles au profit de terrasses. Aussi, pour assurer la continuité du passage, ont-ils été contraints de le reporter à l'extérieur, arrondissant le mur autour du support (Narbonne, Limoges). C'est du même esprit d'affirmation murale que relèvent bien d'autres traits souvent mis en lumière, dont la définition du volume extérieur. Alors que l'architecte rayonnant du nord individualise chacun des sous-ensembles, quitte à les lier entre eux par tout un jeu savant d'arcs-boutants, celui du -17-


midi ceinture très fermement les masses par une enveloppe continue, soulignant ainsi vigoureusement les horizontales et mettant en valeur les ruptures. L'analyse des coupes de Narbonne et de Clermont met en valeur cette juxtaposition des volumes donnant à la maquette de l'édifice un aspect inconnu dans le nord. Sur ce point, l'architecte "rayonnant" du Midi se rapproche de son confrère qui a opté pour le gothique méridional. Ce traitement extérieur en forme d'enveloppe est saisi comme tel à l'intérieur de l'abside grâce à un jeu très subtil de pleins et de vides et à la réduction de l'encombrement des supports. Ainsi s'explique la section arrondie de ceux-ci et la dimension réduite donnée aux éléments engagés. Certes Limoges offre sur ce point une certaine hésitation qui ne se retrouve pas dans les autres cathédrales. Il s'y ajoute enfin la corde très tendue des grandes arcades : elles ouvrent ainsi largement sur les chapelles rayonnantes dont les voûtes culminent à la même hauteur que celles du déambulatoire. Cette luminosité très forte du premier niveau souligne l'obscurité du deuxième. On comprend mieux ainsi la profonde originalité de cette architecture gothique du Midi: elle s'oppose à tous égards à la conception septentrionale qui arrive au cours de cette période à une sorte de dislocation en réduisant l'architecture à un squelette de pierre. La comparaison de ces cinq chevets avec celui de la cathédrale d'Evreux, conçue à la même époque, souligne à l'évidence la différence de choix, avec des résultats tout aussi spectaculaires. A. E.-B.

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Histoire de la cathédrale : Un chantier continuel depuis le moyen-âge Thierry SOULARD Lorsque, le 1er Juin 1273, le doyen du chapitre cathédral, Hélie de Malemort, pose solennellement la première pierre d'un nouvel édifice gothique succédant à la cathédrale romane, il ouvre un chantier qui allait durer plus de six siècles, et dont l'achèvement, mené le 1876 à 1888, serait l'aboutissement.

Les origines L’édifice primitif remontant aux origines du christianisme limousin nous est tout à fait inconnu. La tradition en attribue la fondation à saint Martial (1). Selon Grégoire de Tours, auteur du VIème siècle, le saint évangélisateur de Limoges aurait fait partie de la mission des sept évêques envoyés de Rome en Gaule au IIIème siècle, du temps de l'empereur Dèce (2); toutefois la première mention du siège épiscopal limousin est faite seulement vers 475 par Sidoine Apollinaire (3). Une construction, dédiée à saint Etienne, est citée par Grégoire de Tours; il y ici tout lieu de penser qu'elle se situait à l'emplacement de la cathédrale actuelle, elle-même installée sur le Puy Saint Etienne, qui constituait peut-être la cité du Bas Empire (4). L'église Saint-Jean qui existait jusqu'au XIème siècle, face à la cathédrale, et dont le curé possédait des droits particuliers sur les baptêmes de la cité, avait succédé sans doute à un baptistère. L'église Sainte-Marie de l'ancienne abbaye de la Règle, à quelques dizaines de mètres au sud-est du chevet de Saint-Etienne, pourrait correspondre au troisième élément d'un hypothétique groupe épiscopal (5). De la première construction, on ne sait rien, et l'identification des quelques murs retrouvés lors de travaux au XIXème siècle est tout à fait douteuse, tout autant d'ailleurs que les éléments romains qui proviendraient d'un temple à Jupiter auquel la cathédrale aurait succédé (6). Cependant, la chapelle du croisillon nord du transept, dédiée à saint Martial (puis sainte Valérie au XIXème siècle), avait une solide tradition qui lui était attachée; c'est là que le saint aurait fondé son premier oratoire, et que sainte Valérie, après son martyre, aurait porté sa tête; la table d'autel qui y était conservée était d'un marbre blanc veiné de rouge, où l'on voyait le sang de la martyre... Ce qui peut confirmer l'ancienneté et la vénérabilité du lieu, c'est la permanence de cet emplacement, la chapelle gothique s'étant installée sur les substructions de la construction romane (7), créant une dissymétrie manifeste entre les deux bras du transept.

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L'édifice roman Si un voile de ténèbres recouvre les constructions antérieures au XIème siècle - voile que l'on peut espérer voir levé un jour grâce à des investigations archéologiques -, l'édifice roman est beaucoup mieux connu; il en reste d'ailleurs deux témoins importants, le clocher et la crypte. Ce serait l'évêque Hilduin qui aurait entrepris une reconstruction à partir de 1014, sans avoir eu le temps de la mener à bien (8). La consécration de l'église par le pape Urbain II, lors de son passage en 1095, ne donne strictement aucune indication sur une date d'achèvement, car le pape a été sollicité pour consacrer nombre d'édifices bâtis depuis longtemps ou au contraire inachevés (9). Un incendie ravagea l'édifice en 1105, lors d'une guerre survenue entre les habitants de la Cité et ceux du Château, agglomération voisine, indépendante, constituée autour de l'abbaye de Saint-Martial (10). La tour et la crypte subsistèrent, mais sans doute une part importante de l'église fut-elle reconstruite, en particulier la nef en berceau brisé, dont les arrachements, appuyés contre la tour, furent détruits lors de l'achèvement. La crypte du XIème siècle, décorée de peintures aux XIIème et XIIIème siècles (11), peut donner des indications sur la disposition de l'ancien chœur qui la surmontait. Elle est constituée d'un couloir annulaire ou déambulatoire, percé d'ouvertures ouvrant sur une salle centrale voûtée d'arêtes, retombant sur 6 colonnes en délit au centre, et sur des colonnes adossées aux murs. Rien ne permet d'affirmer qu'il s'agissait d'une crypte à reliques. Peut-être est-elle là pour rattraper des dénivellations du terrain. La tour du XIème siècle était une tour-porche, qui marquait donc l'entrée ouest de l'église. Elle est conservée sur trois niveaux, et possède en particulier une chapelle haute qui ouvrait sur l'ancienne nef. Ces trois niveaux ne sont malheureusement plus visibles, car ils ont été englobés dans une chemise de maçonnerie réalisée ou reprise au XIVème siècle (12). En outre, ils avaient été consolidés et surmontés de 4 niveaux gothiques, à partir de 1242 semble-t-il (13). Le chœur gothique Au milieu du XIIIème siècle, entre 1246 et 1272, le siège épiscopal de Limoges était occupé par l'évêque Aimeric de la Serre, ancien prévôt de la collégiale de Saint-Junien. Le prélat avait sûrement projeté de son vivant de reconstruire la cathédrale en style gothique, sans doute à cause de l'exiguïté des lieux, accrue par l'accroissement du chapitre cathédral celui-ci, comptant une vingtaine de membres au XIIème siècle (14), en comprenait une trentaine au siècle suivant, avec tout un personnel de vicaires, de serviteurs...(15). En outre, les bâtiments étaient sans doute vétustes, et la nouvelle conception de l'espace et de la lumière apportée par le style gothique, alors dans sa maturité, a dû exercer un attrait important. Cependant, alors qu'en Ilede-France, le gothique rayonnant développait de nouvelles formules de plastique murale, ajourant le triforium, ouvrant largement les espaces, évidant les surfaces des murs, un certain nombre d'édifices du sud de la France, dont Limoges, adoptèrent un parti sensiblement différent, plus articulé, jouant de contrastes de la lumière (16). Faut-il voir, dans le choix du parti architectural, l'œuvre de l'évêque Aimeric ? La première pierre de l'édifice ne fut posée qu'après sa mort, par le doyen du chapitre, grâce au legs d'une grande partie de sa fortune. Cependant il y a tout lieu de penser qu'il avait prévu cette réalisation d'une telle ampleur de son vivant. On éleva donc le chœur pendant les décennies qui suivirent, malgré des difficultés financières. L'évêque Raynaud de La Porte entre 1294 et 1316, puis ses successeurs, Gérard Roger et Hélie -21-


de Talleyrand, surent trouver des revenus, et en 1327 ce chœur était achevé, jusqu'au transept roman. Un désaxement existait entre les deux ensembles, apparemment sans importance puisque toute la cathédrale devait être reconstruite... Des campagnes de construction sporadiques Les travaux recommencèrent ensuite en 1344 au transept sud, puis ils furent stoppés peu après à cause des malheurs de la Guerre de Cent Ans. Le nouveau transept reprit d'ailleurs assez maladroitement le tracé de l'ancien transept roman, en conservant donc son étroitesse. Durant la seconde moitié du XVème siècle deux travées de la nef purent être montées, sous l'épiscopat des deux Barton de Montbas, oncle et neveu. Au début du XVIème siècle, il fallait reprendre le croisillon nord du transept et achever la nef. Une confrérie fut fondée en 1501; les travaux ne débutèrent qu'en 1515: la façade nord du transept fut alors lancée vers le ciel dans un style gothique flamboyant. Cette œuvre de sculpture virtuose, élevée sous l'épiscopat de Philippe de Montmorency et de son successeur Villiers de l'Isle-Adam, ne fut d'ailleurs pas terminée. Leur successeur Jean de Langeac fit sculpter le jubé (1533-34), et commanda son tombeau, chefsd’œuvre des débuts de la Renaissance française; la carrière cosmopolite du prélat explique la pénétration de ce nouveau style à Limoges. Enfin, quelques temps après, les fondations des murs et des piliers de la portion de nef restant à construire furent jetées par le cardinal Jean du Bellai entre 1542 et 1546 (17). T.S. (1) - Vita profixior sancti Martialis, éd. W. de GRAY BIRCH, Vita sanctissimi Martialis apostat', Londres, 1877. (2) - GREGOIRE DE TOURS, Historia Francorum, in Monumenta Germ. Hist., Scriptores rerum meroy., t. 1969. (3) - SIDOINE APOLLINAIRE, Lettres, éd. LOYEN, Paris, 1960-1970. (4) - Th. SOULARD, A propos de l'enceinte de la cité de Limages au Haut Moyen-Age, in Bull,. Monumental, Actualité, 1988, t. 146, p. 126127. (5) - M. AUBRUN, L'ancien diocèse de Limoges des origines au milieu du XIe siècle, Clermond-Ferrand, 1981, p. 80-84. (6) - Abbé J. ARBELLOT, La cathédrale de Limoges, Paris, 1883, p. 3-14. (7) - ibid., p. 142-143. (8) - ADEMAR DE CHABANNES, Chronico, éd. Ph. LABBE, Nova bibliotheca manuscriptorum librorum, Paris, 1657, t. II, p. 175. (9) - Le voyage d'Urbain II est cité dans nombre de chroniques; pour la consécration de Saint-Etienne : Abbé J. ARBELLOT, Chronique de Maleu, Paris. 1847, p. 13. Le voyage a été étudié par R.CROZET, Le voyage d'Urbain II et son importance (...) archéologique, in Annales du Midi, t. 49, 1937, p. 42-69. 10) - Chronique de Geoffroy de Vigeois, éd. Ph. LABBE, op. cité, t. II, p. 296. (11) - M. M. GAUTHIER, Rapport sur les peintures murales de la crypte de la cathédrale Saint-Etienne, in Bull. de la Soc. Archéologique et Historique du Limousin, t. XCVI, 1969, p. 89-105, Ces peintures ont été restaurées en 1987. (12) - Abbé J. ARBELLOT, op. cité, p. 65. (13) - Ibid., p. 63. (14) - Th. SOULARD, Le chapitre cathédral de Limoges des origines ou XIIème siècle, mémoire de maîtrise, Université de Paris-IV-Sorbonne, Juin 1984, p. 120-121. (15) - Th. SOULARD, Le chapitre cathédral de Limoges du XIIème au XVIème siècle, mémoire de D.E.A., Université de Paris-IV-Sorbonne, Juin 1985, p. 60-65. (16) - Cf. chapitre De l'originalité de l'architecture des cathédrales du Midi. (17) - Abbé J. ARBELLOT, Op. cité, p. 31-47.

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PHASES DE CONSTRUCTION - Avant le XIème siècle, les constructions sont très mal connues (quelques mentions lors d'excavations pratiquées au XIXème siècle). - XIème siècle, crypte et tour-porche (trois niveaux inférieurs conservés). - XIIème siècle, édifice roman voûté en berceau brisé. - 1242-44, niveaux supérieurs du clocher, bâtis en style gothique. - 1273-1327, chœur gothique (sans doute projeté avant 1273) et murs orientaux du transept. - 1344-1370, croisillon sud du transept. - 1378, rénovation de la chapelle SainteValérie, ouvrant sur le bras nord du transept. - Vers 1380, les niveaux inférieurs (romans) de la tour-porche sont inclus dons un massif de maçonnerie. - Deuxième moitié du XVème siècle, érection de deux travées de la nef contre le transept. - 1515-1530, réalisation du portail SaintJean sur le croisillon nord du transept, en style flamboyant. - 1533-1534, jubé style Renaissance, orné des travaux d'Hercule. - 1542-1544, les fondations des trois dernières travées de la nef sont pratiquées, puis le chantier est abandonné. - 1842-1852, séries de compagnes de restaurations - 1876-1888, achèvement des trois dernières travées de la nef ; un "narthex" opère la jonction avec la tour-porche.

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L'état de l'édifice avant restauration Thierry SOULARD Plus que les déprédations des Guerres de Religion dans la seconde moitié du XVIème siècle (1) ou que celles causées par la Révolution, c'est le manque d'entretien et l'état d'inachèvement de la cathédrale qui rendait nécessaire une série de restaurations. L'époque moderne Après que les fondations des dernières travées de la nef eurent été jetées, les travaux avaient été définitivement suspendus : un évêque d'origine italienne, César des Bourguignons, avait été nommé en 1554; il ne résidait pas, et un procureur, Christophe Marsupin, le représentait, ce qui explique son total manque d'intérêt pour l'église cathédrale... Les chanoines, eux, semblaient peu soucieux de diminuer les revenus de leurs prébendes pour se lancer dans de tels travaux. Aussi aux XVIIème et XVIIIème siècles, seuls des réparations et l'entretien courant furent assurés (2). En outre, c'est aussi à cette époque que d'importants remaniements furent réalisés dans le mobilier liturgique; jusqu'au XVIème siècle on avait multiplié le cloisonnement des espaces dans les édifices religieux, où se côtoyaient un grand nombre d'autels, une multiplicité de tombeaux élevés au cours des siècles... Un chœur des chanoines, où se trouvaient les stalles, était nettement démarqué du chœur de l'évêque et du sanctuaire où se trouvait le maître-autel. Les jubés, tel celui réalisé en 1533-1534 pour la cathédrale, sous l'épiscopat de Mgr Jean de Langeac, servaient à la fois de clôture pour le chœur et de tribune. La volonté d'unification de l'espace aux XVIIème-XVIIIème siècles a conduit à bouleverser ces anciens aménagements. Ainsi les chanoines de Limoges ont-ils fait démonter un certain nombre de gisants et de tombeaux, tels ceux de l'évêque de Limoges Bernard de Bonneval (mort en 1403), de Foucaud de Bonneval, évêque de Périgueux (mort en 1540), de l'archidiacre Bernard de Ventadour, seulement dans l'actuelle chapelle Sainte-Valérie; le gisant en marbre blanc du cardinal Nicolas de Besse (mort en 1369) ou celui du bienheureux Lamy, patriarche de Jérusalem (mort en 1360) et nombre d'autres subirent le même sort (3). Seuls sont encore visibles les gisants du cardinal Raynaud de la Porte et de l'ancien évêque d'Auxerre Bernard Brun (4), ainsi que quelques plaques-tombes. Le jubé lui-même avait été déplacé en 1789, et remonté au fond des deux travées de nef existantes. Enfin, les désastres causés par la Révolution avaient achevé de détériorer l'aménagement de l'édifice, en particulier en 1793... Le début du XIXème siècle Au début du XIXème siècle, les travaux les plus urgents à entreprendre portaient sur les maçonneries qui manquaient totalement d'entretien, depuis que le chapitre avait été dépossédé des lieux. Elles étaient envahies par la végétation. Les joints devaient être repris, et surtout il fallait remplacer la toiture et la charpente car « dans le principe, elle ne fut placée que provisoirement afin de garantir les voûtes, comme le prouvent d'une manière évidente les quelques pierres posées çà et là sur les murs pour la soutenir. Cette charpente construite en bois trop faible est étayée dans plusieurs de ses parties, exposée, par le mauvais état de la -24-


toiture, aux intempéries des saisons; ses assemblages sont pourris; d'un instant à l'autre elle peut s'affaisser et causer, par sa chute, les plus graves accidents. En remplaçant cette charpente, il deviendra indispensable de couronner les murs qui ne l'ont jamais été, au pourtour de la nef et du sanctuaire » (5).

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Les balustrades étaient supprimées ou mutilées; des fentes lézardaient l'édifice. Les terrasses recouvrant les bas-côtés et le déambulatoire, qui constituent un élément caractéristique de l'art gothique méridional, étaient à reprendre totalement : « Recouvertes de dalles en pierre, ces terrasses ont été surmontées d'une ignoble toiture qui en détruit complètement le merveilleux effet. En faisant disparaître cette toiture, nous ne ferons que réaliser un projet conçu en 1775, et que différentes circonstances ont forcé d'ajourner » (6). En effet, ces terrasses, comme on peut le voir sur les dessins réalisés avant restauration (7), étaient recouvertes d'une toiture continue, soutenue par des poteaux. Ce couvrement avait été placé là sans doute pour des raisons d'étanchéité, et il masquait 1 mètre 50 du niveau inférieur des baies ouvrant sur la nef et autour du sanctuaire, « sans respect aucun pour les riches vitraux dont elles étaient formées » (8). Et le conseil de fabrique de s'enflammer : « Vous ne voudrez pas souffrir plus longtemps, Messieurs, les résultats de cet acte de vandalisme; et en proposant la destruction de la toiture des bas-côtés, nous demanderons la restauration de ces vitraux, et avec d'autant plus d'insistance qu'ils ont été remplacés par une construction en brique qui, mal jointe avec le toit par des solives en mortier de choux, laisse pénétrer abondamment dans l'intérieur les eaux pluviales qui ont dégradé notablement et verdi les murs dans plusieurs travées. Ces infiltrations incessantes des eaux sont telles que quelquefois l'église en devient inabordable : il est donc de la dernière importance d'y apporter un prompt remède; cette restauration devra s'opérer non seulement sur les vitraux du sanctuaire, mais encore sur la verrière entière de la cathédrale ».

Sur les terrasses, recouvertes par ces toitures, s'étaient établies plusieurs constructions dont un relevé avait été réalisé en 1848, juste avant leur démolition (9) ces bâtiments en torchis se composaient d'un four et d'une boulangerie, d'une prison et de la chambre du vitrier chargé de l'entretien des nombreuses baies de la cathédrale (10). Ces installations appartenaient aux chanoines qui les avaient sans doute utilisées lorsqu'ils s'étaient retranchés dans la cathédrale à -26-


la fin du XVIème siècle, lors des Guerres de Religion (11). L'état d'inachèvement de la cathédrale était rappelé dans tous les rapports, et le buron Guilhermy mentionne les quatre travées de nef restant à faire (12) dont les fondations, jetées entre les deux travées existantes —, fermées par un grand mur de torchis —, et la tour-porche circonscrivaient un espace à ciel ouvert, dans lequel s'étaient installées quelques petites constructions dont une sacristie et une petite pièce destinée aux baptêmes, réalisée en 1813 (13). De surcroît, le Conseil de Fabrique se plaignait que "les deux principales entrées de la cathédrale, celles du nord et du midi, n'ont jamais été achevées; le complément de ces deux entrées avec leurs clochetons, leurs colonnes et surtout leurs rosaces dentelées offriraient le plus merveilleux coup d'œil" (14). Les fabriciens réclamaient aussi une nouvelle sacristie plus vaste, nécessaire surtout depuis la réunion de la paroisse au chapitre en 1811 : il fallait un vestiaire, une salle des ornements, une salle capitulaire, une sacristie pour le clergé de la paroisse, une chambre pour le prédicateur et une pour les officiers du bas-chœur. Le mobilier aussi était sujet de récrimination : il était démodé et sans doute aussi reconstitué avec des moyens de fortune, une fois passée la tourmente révolutionnaire: « Nous réclamons aussi pour le sanctuaire et le chœur un nouvel arrangement qui replacera chaque partie dans son ordre naturel, et qui fera disparaitre les boiseries sans goût et les lambeaux de tapisserie qui obstruent et dégradent la colonnade élancée de notre cathédrale (...). En pénétrant dans la cathédrale, on est péniblement affecté du mauvais état des chapelles qui rayonnent autour de cette église; les autels, les balustrades qu'on y remarque, tout y est de mauvais goût, tout y est à refaire par conséquent; il semble qu'on se soit appliqué lors des restaurations successives de ces chapelles, à détruire la belle harmonie qui distingue la construction de l'édifice. Quatre de ces chapelles manquent totalement d'autel. La chaire en menuiserie peinte à l'huile, et, dans ses proportions, mesquine et mal entretenue, ne peut être considérée que comme une chaire provisoire qui doit être remplacée par une autre moins indigne du monument dans lequel elle est placée. Nous ferons la même observation au sujet du banc d'œuvre. Tous ces travaux devront se terminer par la peinture de la cathédrale. Cette décoration sera rendue facile par l'existence des peintures du temps, si rares en France, et que l’on admire dans différentes parties de notre église et notamment à la voûte du sanctuaire et dans quelques chapelles ». T. S.

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(1) - Arch. Dép. de la Haute-Vienne, 3G469 : garde et fortification de l'église et de ses dépendances, 15671596. (2) - lbid., 3G467. (3) - BONAVENTURE DE SAINT-AMABLE, Histoire de saint Martial, 2 vol., Limoges, 1676-1683; t. II, p. 234236; Ph. LABRE, Nova bibliotheca manuscriptorum librorum, 2 vol., Paris, 1657; t. Il, p. 760; et surtout J. ARBELLOT, La cathédrale de Limoges, Limoges, 1883, p. 142-213. (4) - La présence de toutes ces sépultures s'explique par les carrières que certains prélats limousins ont faites au XIVème siècle, pendant que le siège apostolique se trouvait à Avignon. Les trois papes limousins, Clément VI, Innocent VI et Grégoire XI ont eu évidemment une politique bénéficiale favorable à leurs compatriotes. Sur ces gisants, cf Th. SOULARD, les gisants des prélats limousins ou XIVème siècle, Colloque de Fontevraud sur la figuration des morts dons la chrétienté médiévale, 26-28 Mai 1988, Actes à paraitre. 5) - Arch. Nat. F19 7721, Rapport de la Commission chargée par le Conseil de Fabrique de la cathédrale de Limoges de faire un examen attentif des réparations à faire à cette église, 1843. (6) - Idem. (7) - Cf. photos n°' 6 et 7. (8) - Cf. supra, note 5. (9) - Arch. du Patrimoine, tiroir des plans, cathédrale de Limoges. (10) - Ces constructions sont visibles sur les photos n' et 7. (11) - Effectivement, Les ligueurs utilisaient « une petite chambre aux voûtes de l'église », citée dans les dépositions devant le Présidial des serviteurs du roi attaqués par des ligueurs, en novembre-décembre 1589. Cette mention, tirée des Arch. Nat. KK 1212, nous a été communiquée par M. CASSAN, à qui va toute notre gratitude. (12) - Bibl. Nat., N.A.F. 6102. p. 100-141, (Papiers archéologiques du baron de Guilhermy t, IX). (13) — Arch. Nat. F" 7721, Devis et détail estimatif des ouvrages à faire à l'église St-Etienne cathédrale de la ville de Limoges, 1813. (14) — Cf. supra, note 5.

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Les campagnes de restauration 1842-1852 Thierry SOULARD

Jusqu'à la nomination d'un architecte diocésain, c'était l'architecte départemental qui était responsable des travaux sur la cathédrale devant la Commission des Bâtiments Civils. Ainsi, l'architecte Vignaud avait-il fait exécuter, dès 1828, un certain nombre de restaurations minimes : reprise en sous-œuvre de quelques piles et de soubassements, rejointoiements, réparations de carrelages des chapelles, réparations de couvertures et de quelques parties de charpentes… (1). Son successeur comme architecte départemental, Boulle, ne semble pas avoir fait de restauration importante. C'est avec l'arrivée de Pierre-Prosper Chabrol, architecte parisien originaire du Limousin, qu'une très grande campagne de restauration va être entreprise. La charpente Le 15 novembre 1842, le ministre de la Justice et des Cultes informe l'évêque de Limoges Mgr de Tournefort qu'il vient d'engager P.-P. Chabrol pour les projets de réparation de la cathédrale : il prendra seulement ses instructions du prélat et du préfet (2). Chabrol restera en place après les différentes modifications administratives de 1848, avec le titre d'architecte diocésain (3). Les études débutèrent tout de suite, et sous Mgr Buissas (à partir de 1844) les projets furent soumis au Conseil des Bâtiments Civils, avec un atlas de quinze dessins, en 1845 (4) : on y voyait deux ensembles de projets de charpente, l'une en bois, l'autre en fer appartenant à une première tranche de travaux, où entraient « la restauration et les réparations des murs, des contreforts, de la corniche et de l'appui à jours régnant au pourtour du comble de la nef, l'achèvement des deux portails du transept ». Un débat sur l'aménagement du nouveau comble s'engagea; effectivement, la toiture de tuiles existante, reposant directement sur l'extrados des voûtes, devait être entièrement refaite, et un comble créé. Le prix d'une charpente en bois, ordinaire, s'élevait à 42 450 francs, alors que si elle était réalisée en fer recouvert de plaques de cuivre, le prix serait alors de 189 677 francs, avec donc une différence de 147 227 francs. L'architecte Chabrol était favorable à cette solution, et le rapporteur du projet défendit ce point de vue auprès de la Commission des Bâtiments Civils (5); « Bien que cette augmentation [de prix] soit élevée, considérant la durée de ce système, la solidité, l'absence totale des chances d'incendie, sa moins grande pesanteur comparativement à celle de la charpente ordinaire, ainsi que ta fait connaître M. l'architecte Chabrol, je pense qu'il serait très avantageux qu'un semblable système fût adopté plutôt qu'un comble en bois. Ce comble en fer est expliqué dans quatre feuilles de dessins (6) et montre les fermes dans les différentes situations, soit au-dessus de la nef, du sanctuaire, du transept, des arêtiers et des noues. Sa disposition a de l'analogie avec celle du comble de l'église de St-Denis qui s'exécute actuellement ; une ferme principale porte aplomb de chaque pilier; l'autre portant au milieu sur l'arc de l'ogive est soulagée par un arc à panneaux en fonte, ayant pour effet de reporter la pesanteur de cette ferme intermédiaire sur les piliers. A ce sujet, je préférerai qu'un arc en fer, disposé en ferme, fût substitué à la fonte dans cet endroit qui a toujours une plus grande -30-


pesanteur. Cette disposition peut se relier plus facilement avec tout le système, et serait surtout d'un plus facile emploi dans la partie de l'abside. Les fermes sont un peu éloignées; elles sont à 3 mètres de distance. Dans l'exécution, il faudra faire en sorte de leur donner toute la rigidité possible et surtout aux entretoises qui portent dessus, afin d'empêcher tout fléchissement. Dans une lettre adressée au ministre (7), Chabrol donnait d'autres détails sur son projet, en insistant sur les inconvénients des combles en bois : « Les nombreux inconvénients des combles en bois pour les monuments, surtout de la nature de celui en question, et dont beaucoup sont bien connus à votre excellence, sont encore augmentés à Limoges par la nature même des bois qu'on emploie dans cette localité en outre de la difficulté de s'en procurer en assez grande quantité, de dimensions convenables, pour faire un bon travail, il y a l'inconvénient de leur état de dessication, car tous les bois de construction du département de la Haute-Vienne sont privés des avantages du flottage et ils sont employés un an après avoir été abattus ». Des précisions étaient aussi fournies sur le poids de ces réalisations, le comble en fer ayant une charge totale de 160 678 kilogrammes contre 231 429 pour un comble en bois, soit environ 43% en plus. Cet intérêt pour la charpente métallique correspond tout à fait à une préoccupation de l'époque : vers les années 1830-1840, on vit les premiers combles en fer apparaître dans les édifices religieux (8). Dès 1828, les combles de la chapelle du Palais Royal avaient été reconstruits ainsi; surtout, après l'incendie de 1836, la charpente de la cathédrale de Chartres avait été refaite avec cette technique. La Madeleine, achevée en 1845 par Pierre Vigneron, avait aussi adopté ce parti, de même que les combles de la basilique de Saint-Denis citée dans le rapport de la Commission entre 1842 et 1845 l'architecte François Debret avait reconstruit une charpente selon un plan assez classique, proche de celui qui aurait pu être réalisée à Limoges. Cependant l'on préféra pour des raisons d'économie, adopter le comble en bois pour cette cathédrale; ce parti pris s'explique par la volonté constante de l'administration centrale de privilégier les édifices gothiques prestigieux du Nord de la France par rapport à ceux du Sud; et la toiture fut réalisée entre 1847 et 1849, en bois de chêne, couverte en ardoises de Brive, bien voligée en fortes planches de châtaignier (9). Viollet-Le-Duc, dans son rapport de 1849, émit cependant des critiques sur la technique d'assemblage de la charpente, et sur les lucarnes, d'une forme qui ne lui a pas paru heureuse, d'une exécution « qui rappelle les fâcheuses imitations de gothique que l'on faisait il y a trente ans » (10).

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Les terrasses Les terrasses qui étaient recouvertes d'une toiture abritant des constructions (11), furent alors totalement reprises (1847-1848); Viollet-Le-Duc en fut aussi le témoin : « Ces terrasses sont formées, comme à Clermont, comme à Narbonne, par des dalles posées sur un béton qui remplit les reins des voûtes. M. Chabrol refait à neuf la couche supérieure du béton, lui donne un peu plus de pente, la couvre d'un enduit épais de bitume, et pose des dalles bien choisies sur cette chape imperméable, en ayant le soin de faire tous les joints perpendiculaires à la pente, à recouvrement. Ce système bien appliqué peut prévenir toutes les infiltrations qui avaient fait depuis longtemps renoncer à l'entretien du dallage primitif. En admettant que quelques joints laissent pénétrer les eaux pluviales, M. Chabrol a disposé cette chape de façon à ce que les eaux qui l'atteindraient soient conduites dans les trous des œillards des voûtes des chapelles, et tombent ainsi sur le pavé de l'église sans pénétrer dans les constructions. De cette manière, les infiltrations sont immédiatement reconnues et il est facile de les arrêter avant qu'elles n'aient causé aucun dommage. Il est à observer en outre que ces dallages sont en granit non poreux, et qu'il n'y a pas à craindre le filtrage des eaux à travers la pierre, ainsi que cela arrive presque toujours avec des dalles en pierre calcaire portées sur massif» (12). Préoccupations archéologiques La qualité des pierres au cours de ces restaurations fit l'objet de soins attentifs de -32-


l'architecte. Cette recherche trahit un souci réel d'exactitude archéologique. Les carrières de granit de Neuf-Planchas près de Saint-Jouvent (Haute-Vienne), utilisées pour l'édifice médiéval, furent réouvertes et exploitées (13). Cependant les matériaux fournis étant insuffisants en taille et quantité, il fallut chercher dans le département de la Creuse, à 65 kilomètres environ de Limoges, dans la commune de Rayère : là, les carrières du Puy-du-Pic offraient des pierres d'une composition et d'un aspect très proche de celles de Neuf-Planchas, Les dallages des terrasses furent exécutés avec ce matériau. Enfin les plus grandes difficultés vinrent des restaurations et achèvements des croisillons nord et sud du transept, avec des projets de restitutions de sculptures. Aussi Chabrol écrivit-il en 1849 au ministre de l'Instruction Publique et des Cultes (14) : « Pour traiter toutes les questions que soulève l'exécution de ces travaux, le savoir de l'architecte ne suffirait pas, s'il n'était secouru et aidé par des recherches et des études archéologiques. Ainsi je viens vous proposer de vouloir bien m'adjoindre pour ce travail M. l'abbé Texier, chanoine honoraire de Limoges, dont le savoir en archéologie a pu être apprécié par les travaux qu'il a publiés. Cet archéologue qui s'est occupé déjà de l'iconographie de notre cathédrale serait chargé des recherches et des instructions à faire pour la restauration des vitraux et l'exécution des figures; il serait attaché à nos travaux au même titre que M. de Guilhermy à ceux de la Sainte Chapelle, dirigés par M. Duban, architecte. Comme cet archéologue, il prêterait son concours à l'administration, gratuitement, pour travailler à l'accomplissement d'une œuvre qui présente pour les hommes comme M. l'abbé Texier, dévoués à la conservation de nos monuments chrétiens, un si grand mérite » (15). Bien entendu, l'autorisation fut accordée, et l'abbé Texier rédigea une note archéologique d'un grand intérêt (16). La façade nord du transept La façade du croisillon nord du transept, en style flamboyant semblait fort difficile à achever la galerie supérieure et le couronnement restaient à réaliser (16). Pour cette raison, Chabrol demandait « à être autorisé à faire exécuter en pan de bois hourdé et ravalé en plâtre avec les moulures et les sculptures un modèle grandeur d'exécution du couronnement de ce portail. La dépense de 26 648,42 francs serait justifiée par l'avantage de s'assurer d'avance de l'effet de cette partie du projet; d'un autre côté, on serait sûr ainsi d'une exécution satisfaisante, en mettant sous les yeux des ouvriers les épures de leur construction, et la place de chaque morceau de pierre » (17). Ce travail considérable, autorisé, fut achevé en 1851, très rapidement; tous les travaux furent presque menés de front entre 1848 et 1851, en l'espace de trois ans; en outre la façade sud du transept subit elle aussi des travaux considérables entre 1849 et 1852. Le pignon sud Le pignon sud présentait en effet de très sérieux problèmes de stabilité : le contrefort côté ouest menaçait ruine. Consolidé provisoirement en 1848, il fut intégré à un projet de reprise complète de la face sud, question largement abordée par Viollet-Le-Duc dans son rapport de 1849 (18) : « le danger n'est pas grave, mais cependant il y a rupture. M. Chabrol avait pensé qu'il serait nécessaire de démonter tout l'angle sud-ouest de ce transept afin de reprendre en construction dès la naissance de la lézarde; j'ai cherché à le dissuader d'entreprendre un travail qui me parait trop radical pour le peu d'importance du mal (…). Il se bornera donc à reprendre, en sous-œuvre, l'angle du mur ouest, il épaulera le contrefort ouest du pignon il redressera la rose aplatie par l'écartement des deux contreforts du mur pignon. Il chaînera toute la partie -33-


supérieure de ce mur, remplira en partie les vides trop hauts des passages du triforium... ». En outre, Viollet-Le-Duc proposait un couronnement du pignon par une statue et des sculptures qui n'ont jamais été réalisés (assez comparable à ce qui a été fait à Notre-Dame de Paris) (19). Les travaux s'achevèrent par la pose d'entablements, de balustrades, et par des ravalements. Ces balustrades furent d'ailleurs dessinées à partir de quelques fragments qui subsistaient sur les bords de toitures. La conjoncture Ces travaux sont contemporains de grands chantiers de restauration à travers toute la France, Notre-Dame de Paris par Lassus et Viollet-Le-Duc dès 1844, la cathédrale de Chartres (dont les travaux s'échelonnent jusqu'en 1855, avec Lassus), celle d'Amiens (Viollet-Le-Duc, 1849-1874), les fortifications de Carcassonne (Viollet-Le-Duc, 18461879)... Une des premières restaurations avait été celle de l'abbatiale de Saint-Denis, entre 1813 et 1846, par l'architecte François Debret, qui a été, à juste titre, très contestée. Mais dès 1844, une sorte de charte des principes de restauration avait été énoncée, lors du rapport pour les travaux à faire à Notre- Dame; l'accent était mis sur la nécessité de conforter les structures, de substituer des éléments sains aux éléments malades, sans chercher à maquiller ceux-ci, et de retrouver l'état primitif du monument, en dégageant une unité de style.

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L'un des principes d'unité affirmé en 1844 concernait l'emploi des matériaux au cours des restaurations, qui devaient correspondre à ceux qui existaient; Viollet-Le-Duc affirmait ainsi « chaque édifice ou chaque partie d'un édifice doivent être restaurés dans le style qui leur appartient, non seulement comme apparence mais comme structure ». Ainsi, une véritable doctrine de l'exactitude archéologique se met en place, et la cathédrale de Limoges a bénéficié de ces théories. T. S. (1) - Arch. Nat. F1' 7721, Rapport du Conseil des Bâtiments Civils par M.Gourlier, séance du 20 décembre 1838. Dans la même liasse : Adjudication des travaux le 8 février 1830 par le préfet Ch.-J. Coster. (2) - Arch, Dép. de la Haute-Vienne, 2J 614, (3) - Sur l'organisation administrative des cultes, en attendant la parution du livre de J,-M. LENIAUD sur l'administration des cultes au me siècle, on se reportera utilement à l'article du même auteur : L'organisation de l'administration des Cultes (1801-1911), in Administration et Eglise du Concordat à Io séparation de l’Église et de l'Etat, publ. de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, IV' section, n° 58, Genève, 1987. (4) - Arch. net. F- 7721. Rapport fiait au Conseil par A. Leclerc, inspecteur général, séance du 27 novembre 1845. (5) - Idem. (6) - Cf. photo n" 10. (7) — Ibid., Rapport sur les travaux à exécuter à la cathédrale de Limoges d'après les projets de M. Cho brai, 30 Août 1845. (8) — B. LEMOINE, L'architecture du fer, France : Px. siècle, Seyssel, 1986, p. 173-182. (9) - Arch. Nat., F1' 7721, Cathédrale de Limoges, Rapport (...), Mission de novembre 1849, M. Viollet-LeDuc, rapporteur. (10) - Sur ces problèmes de doctrine, d'exactitude archéologique ou d'unité de style dans les réalisations faites à Limoges, cf. Th. SOULARD, L'achèvement de la cathédrale de Limoges au XIXème siècle, in Revue des Monuments Historiques, n° 153, octobre 1987, p. 37-41. (11) - Cf. chapitre précédent. (12) - Cf, note 10. (13) - Arch. Nat. F19 7721, Rapport de Chabrol ou ministre de l'Instruction Publique et des Cultes, 14 juillet 1849. (14) — Ibid., Lettre de juillet 1849. (15) — L'idée d'exactitude archéologique côtoie celle de goût pour l'art chrétien cher à Lassus par exemple J.—M. LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus, 807-1857, ou le temps retrouvé des cathédrales, Genève, 1980. (16) — Cf. photo n° 9. (17) - Arch. Nat. F19 7721, Lettre du ministre de la Justice et des Cultes au préfet de la Haute-Vienne, 7 février 1848. (18) – Cf. note n°9. (19) – Un plan était annexé au rapport : cf. photo n°11. Pour le pignon sud de Notre-Dame, voir Catalogue de l’exposition Viollet-Le-Duc, Paris, 1980.

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Les campagnes d'achèvement Thierry SOULARD

Premiers projets d'achèvement Les premiers projets d'achèvement furent proposés en 1838 par Boulle, architecte du département, qui rédigea un rapport où il précisait (1) « les quatre premières travées de la nef, dont les murs latéraux sont élevés jusqu'à une certaine hauteur au-dessus sol (...) n'ont jamais été terminées, et sont séparées du reste de l'église par un mur provisoire ». Le problème fondamental de la différence d'axe entre les constructions gothiques et la tour-porche du XIème siècle était déjà posé, même si les fondations jetées entre 1542 et 1544 semblaient indiquer le plan à suivre : « Les travaux nécessaires pour l'achèvement d'un aussi beau monument se réduisent donc à la construction des quatre premières travées, déjà commencées. Les travaux sont tracés partout, et il n'y aurait, dans leur direction, qu’à suivre les dimensions et les formes de la partie supérieure de l'église. Le mur qui termine la nef se trouverait ainsi caché par le clocher qui formerait la façade principale, et la saillie de son massif, qui est de plus de 12 mètres, empêcherait d'être désagréablement frappé de la différence qui, par la disposition des lieux pourrait à peine être appréciée. A l'intérieur, pour obvier autant que possible à l'inconvénient de ne pas voir la partie principale au milieu de la nef, il semblerait convenable d'établir dans cette partie trois arcades plus basses que celles de la nef, mais dans le même style, qui relieraient les deux bas-côtés et formeraient au-dessus une tribune destinée à recevoir le buffet d'orgue ». Le jubé ne devait alors pas être placé au fond de la nef. Les matériaux à utiliser étaient aussi étudiés : « La pierre employée à la construction de l'église est un granit d'un ton un peu rude, et d'un grain plus fin que la pierre ordinaire du pays. Le quartz ne s'y trouve qu'en très petite quantité, et par suite elle peut recevoir toute espèce de moulure, et en mieux conserver les arêtes; quoique les carrières qui l'ont fournie soient depuis longtemps abandonnées, il serait possible de les exploiter de nouveau, et de terminer ainsi l'église avec les matériaux qui l'ont commencée ». Enfin, même si la tour posait quelques problèmes par sa différence d'axe avec la nef, son intérêt n'avait pas échappé à l'architecte : « elle doit être religieusement conservée ». Le rapport Viollet-Le-Duc Viollet-Le-Duc, dans son rapport de 1849 auprès du Directeur des Cultes, abordait largement les problèmes d'achèvement, toujours en suspens, en écrivant (2) : « Cette entreprise n'aurait pas l'importance que l'on serait tenté au premier abord de lui supposer, ou du moins présenterait-elle des avantages très supérieurs à la dépense qu'elle occasionnerait. Les trois travées de la nef du XVIème siècle sont élevées à 5 mètres au-dessus du sol. Grâce à la bonté des matériaux employés, ces constructions en attente se sont très bien conservées. En tenant compte des fondations et du cube des matériaux employés, suivant l'ancien usage, on peut admettre que les constructions déjà faites équivalent au cinquième de la dépense totale à faire pour terminer l'édifice. J'ai dit que la portion de la nef du XIIème siècle existant encore le long -37-


du parement intérieur de la tour était du plus grand intérêt pour le rapport de l'art. Il serait facile, entre cette tour et la première travée commencée de la nef du XVI ème siècle, de rebâtir une travée de l'église du XIIème siècle (voir la figure). Outre l'économie que l'adoption de ce parti permettrait d'apporter dans l'achèvement total de l'édifice (car la construction de cette travée du XIIème siècle existant en partie serait fort peu coûteuse, à cause de son excessive simplicité), on conserverait ainsi une disposition monumentale très curieuse, et en élevant le pignon de la nef au droit de la première travée du XVIème siècle seulement, on laisserait la tour isolée ainsi qu'elle l'a toujours été; on donnerait de la lumière dans la nef par une rose ou des baies pratiquées au-dessus des combles de la travée du XIIème siècle, et on éviterait les difficultés presque insurmontables qu'il y aurait à raccorder la tour avec cette nef du XVIème siècle » (3). Chabrol, dans ses propositions d'achèvement, s'était conformé à ce qu'avait proposé Viollet-Le-Duc, dont la notoriété était alors tout à fait établie. En outre, le parti-pris d'économie ainsi que le respect des éléments archéologiques existants étaient séduisants. Sur la travée romane recréée à partir des arrachements de l'ancienne nef du XIIème siècle, l'abbé Texier écrivait dans son rapport... « elle servira utilement de chapelle de baptême, l'église cathédrale étant aujourd'hui paroissiale. Le baptême qui n'a pas de place convenable y trouvera celle qu'exige la liturgie » (4)

Les abords de la cathédrale C'est aussi à ce moment que Chabrol projetait de dégager les abords de la cathédrale, mentionnés aussi par Viollet-Le-Duc dans son rapport : « la cathédrale de Limoges a l'abside entourée de maisons particulières qui viennent se souder à ses soubassements. Il résulte de cet état de choses, pour le moment, un inconvénient fort grave. Sur ce point, les eaux s'écoulent mal, viennent même continuellement balayer et pénétrer ces larges soubassements, et entretiennent ainsi à l'intérieur une humidité permanente. On ne saurait trop tôt aviser au moyen d'isoler ce monument. Je n'ai pas besoin de dire que l'aspect de la cathédrale y gagnerait. Les chapelles absidiales sont certainement la partie la plus curieuse et la plus belle de toute l'église; ce sont précisément ces chapelles qui sont masquées par des propriétés particulières » (5). -38-


Le Conseil des Bâtiments Civils évoquera plusieurs fois la question (6); le problème avait déjà été abordé dès 1775, lors de plans d'alignement de l'ingénieur Tresaguet (7). Les bâtiments existants, face au portail nord, devaient être dégagés, ouvrant une véritable place. Ces projets ne seront que partiellement menés à terme; effectivement la ville de Limoges avait prévu d'isoler complètement l'édifice et « par un nivellement général des lieux avoisinant la cathédrale, d'améliorer en même temps tout ce qui avoisine le monument en baissant le sol au pourtour des bas-côtés jusqu'à une certaine profondeur comme les premiers constructeurs en avaient eu le projet »; cette dernière affirmation n'était étayée sur rien de solide, mais correspondait à une nouvelle conception du XIXème siècle, répondant à une triple préoccupation: assainir les abords, mettre en valeur la construction médiévale et la replacer clans un contexte approprié (9). A Limoges, si le portail Saint-Jean fut aménagé, des marches créées, si deux maisons furent démolies au chevet de la cathédrale, nombre des habitations canoniales médiévales qui se pressaient autour de l'édifice ont subsisté, sauvées par d'interminables conflits entre la Ville et l'Etat (10). L'achèvement, quarante ans d’efforts Entre le premier projet de l'architecte départemental et le début de la réalisation en 1876, une quarantaine d'années s'étaient écoulées, au cours desquelles les différents évêques avaient réclamé ardemment l'achèvement, sans cesse différé; le gouvernement répondait qu'il devait faire face à des frais de toutes sortes, tels que la guerre de Crimée, 1854-56, qu'il finançait déjà plusieurs achèvements (Clermont-Ferrand, Moulins...). En 1852, l'évêque, Mgr Buissas, fit valoir, dans une note adressée au préfet, des arguments aussi divers que la consolidation de la tour, l'insuffisance de la nef actuelle, et la fin du chantier de restauration avec les conséquences sociales qui s'ensuivraient (11). Le prélat noircissait d'ailleurs la situation : « Le rétablissement de la nef romane qui fait partie des projets adoptés arrêtera une ruine imminente, ruine qui aurait pour résultat de priver la cathédrale et la ville de Limoges d’un monument original et remarquable et d'ensevelir sous ses débris, selon l'angle de chute, ou la cathédrale ou le palais épiscopal ». La dispersion des cent quarante ouvriers employés aux restaurations qui s'achevaient alors, plongerait cent quarante familles dans la misère : « Cette dernière considération a de l'importance dans la situation actuelle de Limoges, ville profondément atteinte par les passions politiques les plus détestables et qui doit la tranquillité relative dont elle jouit à l'énergique sagesse et à la résolution ferme de ses premiers magistrats ». C'est ce type d'argument qui sera utilisé en 1887 pour réclamer les derniers subsides du ministère, à la suite d'un financement difficile... (12) : « La crise industrielle a vivement atteint la ville de Limoges, les ouvriers des corps de bâtiment en ont subi les conséquences et à ce point de vue particulier, il serait nécessaire d'accorder la subvention » (13). Il est cependant difficile d'évaluer la condition matérielle des ouvriers qui étaient sur le chantier : les accidents ont été assez fréquents pendant les restaurations puis l'achèvement, étant donné la hauteur à laquelle travaillaient les maçons, parfois sans échafaudage, mais avec une simple corde. L'architecte diocésain est toujours intervenu pour demander, en cas d'accident mortel ou invalidant, des pensions au ministère, anticipant ainsi les assurances sociales...

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Sans évoquer des arguments aussi spécieux que l'emploi ouvrier, l'achèvement s'imposait comme une évidence; c'est ce que comprit aussi un nouvel architecte diocésain, Antoine-Nicolas Bailly, qui succéda à Chabrol en 1875. La présence sur le siège épiscopal de Mgr Alfred Duquesnay donna l'impulsion nécessaire au projet qui prit corps grâce à un financement diocésain (14).

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Le parti retenu par l'architecte Bailly En 1876, une seule travée est prévue par Bailly, en fonction des ressources financières, puis deux en 1877, avant d'envisager le raccordement avec la tour l'année suivante, en invoquant la régularité du travail et la stabilité des constructions ainsi accrues. L'architecte conserve les parties anciennes, les substructions du XVIème siècle. Il respecte l'architecture et le style existants, mais abandonne le projet de Viollet-Le-Duc. Pour joindre les trois travées de nef construites avec la tour-porche, il supprime les arrachements romans et crée un espace transition, le narthex : il comporte quatre travées de large, une lunette amenant un éclairage zénithal. Il s'arrête à la hauteur des terrasses qu'il prolonge, et dégage le mur pignon de la nef qu'il ajoure d'une grande rose : « Le soussigné [Bailly] propose de clore la cathédrale au droit de la troisième travée élevée à la fin du XVème siècle et d'établir à cet endroit le mur de face ou pignon montant de fond; de remplir l'intervalle entre ce mur pignon et la tour par un porche couvert d'une terrasse semblable à celle qui règne sur tous les bas-côtés pour-tournant la cathédrale; ce porche, inspiré de ceux édifiés au MoyenAge et notamment de celui précédant l'entrée de l'église de Saint-Germain l'Auxerrois à Paris, ne s'élevait pas au-delà des terrasses et en serait la continuation. De cette façon, la four conserverait son état présent dans sa partie inférieure, et le clocher qui surmonte cette tour, relié par des galeries au corps principal de l'édifice, garderait sa physionomie actuelle. Il y a d'ailleurs à remarquer que la forme polygonale de ce clocher ne permettait pas une juxtaposition avec le pignon, à moins de détruire ce clocher en partie. De cet état de choses nuit l'obligation absolue d'établir un isolement quelconque entre le clocher et le mur de face de l'édifice. Le soussigné ne rappellera pas les grandes et belles constructions religieuses du Moyen Age où cette disposition a été adoptée; il citera seulement pour mémoire, la position du clocher de l'église de Paray-le-Monial, relativement au pignon de la nef de cette église, cette disposition offrant la même analogie que celle qu'il propose pour la cathédrale de Limoges » (15). Projets de sculpture ornementale Plusieurs projets anonymes de décoration de la façade ouest n'ont jamais été réalisés, sans doute pour des raisons financières, mais aussi peut-être de doctrine. Une certaine prudence quant aux restitutions de sculptures apparait dans les décisions de la commission des édifices religieux. Ainsi, Chabrol, qui avait proposé de réaliser un grand programme de statuaire décorative, s'était vu répondre en 1848 par Viollet-Le-Duc : « Rien n'indique que M. l'architecte ait basé le choix des statues sur des traditions, des descriptions ou des dessins anciens. Ce choix est purement arbitraire, et en cela il est sujet d'abord à plus d'une critique. Il ne me semble pas que l'on puisse appliquer des statues nouvelles sur un monument ancien, sans des données certaines, ce système entrainerait dans les erreurs les plus grossières. Quoique l'archéologie ait bien des études à faire encore, cependant elle en fait juste assez pour ne pas traiter légèrement la statuaire de nos anciennes églises, statuaire qui se rattache aux légendes locales, et qui a toujours un sens religieux. Les trois figures principales de M. l'architecte peuvent être, suivant son programme, soit le Christ et deux anges, soit le Christ, saint Jean et la Vierge. M. l'architecte appelle ces trois figures un calvaire, or le Christ n'est pas en croix, mais debout et bénissant.

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Quant aux six figures inférieures, M. l'architecte en fait une chronologie des évêques de Limoges, en assignant à chaque évêque le costume du temps où il a vécu, cela peut être bien dans un musée, mais n'est guère conforme à l'esprit de la statuaire religieuse du Moyen-Age » (16). Deux projets de façade de la tour présentent l'un, une galerie de rois, l'autre une Trinité entourée de rois (17). Ils sont contemporains ou postérieurs à l'achèvement, comme l'état de la nef le montre. La galerie de rois est un thème qui apparait à Notre-Dame de Paris au début du XIIIème siècle (12241230). Cet ensemble jeté à bas par la Révolution (à cause de l'ambiguïté volontaire rois de Juda/rois de France) a été restitué par Viollet-Le-Duc, et a souvent servi de modèle; les deux statues équestres pourraient être Charlemagne et saint Louis, avec une connotation évidente correspondant à la période de l'Ordre moral (c'est Jeanne d'Arc et saint Louis qui furent représentés devant le Sacré-Cœur de Montmartre...) (18).

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Questions de doctrine Si les scrupules archéologiques avaient présidé aux restaurations de 1844 à 1852, sous l'égide de Chabrol et de l'abbé Texier, les préoccupations avaient changé pendant la seconde moitié du XIXème siècle. Dans des régions proches du Limousin, l'architecte Abadie, reconstruisant à neuf la cathédrale de Périgueux, affichait le mépris le plus profond pour l'archéologie (19). Mais la cathédrale de Limoges doit rendre grâce à son architecte diocésain qui a refusé de détruire les substructions du XVIème siècle des dernières travées de nef, mais les a réutilisées, malgré l'avis général, en particulier celui de son inspecteur Boullanger. Celui-ci, qui avait succédé à Vanginot, en 1857, surveillait les travaux sur place, alors que Bailly, comme d'ailleurs son prédécesseur Chabrol, résidait à Paris. Boullanger écrivait à Bailly : « Il n'y a aucun intérêt à conserver ces vieilles constructions dont il ne resterait des noyaux insignifiants» (20). -45-


Surtout, Bailly a conservé la tour-porche, dont il dit qu' « elle a une valeur archéologique réelle et est dans de très bonnes conditions de conservation » (21), contre l'avis du Comité qui, dans une délibération de 1878, regrette que « des raisons d'économie ne permettent pas de s'arrêter à la solution qui simplifierait la question, c'est-à-dire l'idée de reconstruire la tour dont l'irrégularité de position crée seule la difficulté du problème à résoudre » (22). Corroyer, jugeant l'œuvre accomplie à Limoges, illustre fort bien ce point de vue; tout obnubilé par l'homogénéité de l'édifice, au nom de l'unité de style, il écrit en 1886 : « l'œuvre, qui manque d'unité, n'est pas assez nettement conçue dans le style du temps de Louis XI ou de Charles VIII » (23). Le respect de Bailly pour les éléments existants est tout à fait remarquable, et, s'il fait réaliser la charpente des travées achevées en fer, rompant avec les réalisations de 1848 (24), il mena toute une réflexion sur les qualités de la pierre, illustrées par des projets (25) : la carrière de Neuf-Planchas, déjà insuffisante pour les restaurations, ne pouvait être utilisée, aussi avaiton pensé au granit de Faneix employé lors des travaux précédents. Cependant, pour des raisons d'économie, malgré les avis de l'évêque et du Comité de l'œuvre, le calcaire fut employé dans la proportion d'un tiers (avec un débat sur le type de calcaire à utiliser, de Laveaux, de Chauvigny, de Vilhonneur...). La silification, procédé proscrit totalement aujourd'hui, devait permettre, en cristallisant la pierre calcaire, de la teinter. A part ce traitement particulier, les méthodes utilisées étaient traditionnelles, comme en témoigne le cahier des charges (26) : « Les tailles seront exécutées à la laye et semblables à celles des parties anciennes de la cathédrale, la couverture sera exécutée en ardoises de la Corrèze sur voligeage en châtaignier. Les travaux de sculpture et de vitraux, ainsi que les peintures décoratives sont en dehors du marché, mais l'entrepreneur fera pour la sculpture les épannelages nécessaires. La construction projetée, sauf la variété dans les motifs de sculpture et dans le réseau des roses des baies ouvertes ou aveugles, sera exactement semblable, comme architecture et comme appareil, aux traces exécutées, et elle devra se raccorder avec la plus grande exactitude aux constructions en attente. En conséquence, l'entrepreneur prendra toutes les précautions commandées par les règles de tort, et pour éviter les lézardes provenant des tassements inégaux. Le mur pignon en grosse maçonnerie qui clôt actuellement l'église sera conservé aussi longtemps qu'il sera possible, et s'il se peut jusqu'à l'achèvement du gros œuvre ».

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Enfin, les sculptures étaient réalisées par le sculpteur parisien Corbel, attaché aux travaux de l'Administration des Cultes; il les envoyait aux deux sculpteurs entrepreneurs de Limoges Gardien et Cherprenet. Seule la sculpture ornementale était concernée par ce marché. Les modèles étaient "des moulages de rosaces à la Sainte—Chapelle de Paris", "de groupes de chapiteaux", des gargouilles, des culs de lampes, des rosaces, des clefs de voûtes (27)... L'achèvement fut globalement une réussite, puisqu'un observateur non averti, visitant la cathédrale de Limoges, s'étonne toujours de la date très tardive de cette réalisation, consacrée solennellement par l'évêque de Limoges, Mgr Renouard, il y a un siècle, le 12 août 1888. T. S. 1)- Arch. Nat. F19 7721, Rapport de l'architecte du département Roullé, 3 novembre 1838. 2) - ibid., Rapport de Viollet-Le-Duc, mission de novembre 1849. (3) - Un dessin était annexé au rapport; cf. photo n° 14. (4) - Arch. Nat. F" 7721. Rapport de l'abbé Texier1851. (5) - Cf. supra, note 2. (6) - ibid., Rapport sur les travaux à exécuter, 30 août 1845. Projet de restauration et achèvement, 30 avril 1846. (7) - Arch. Dép. de la Haute-Vienne, C70, plan d'alignement Trésaguet, 1775, plan parcellaire n° 11 de la Cité. (8) - ut supra, note 6. (9) - J.-M. LENIAUD, Jean-Baptiste Lassus (18071857J ou le temps retrouvé des cathédrales, Genève, 1980, p. 108-116. (10) - Arch. Dép. de la Haute-Vienne, 2J 6L4, Lettre du Ministre de l'Instruction Publique nu Ministre des Finances, 31 août 1852, etc... (11) - Arch. Dép. de la Haute-Vienne, V58, Note de Bernard, évêque de Limoges, ou préfet, du 26 janvier 1852. (12) - Cf. chapitre Aspects administratifs et financiers. (13) - Arch. Nat. F" 7723, Lettre au Directeur des Cultes, 4 août 1887. (14) - Cf. chapitres : Achèvement de la cathédrale et conjoncture ecclésiale, et Aspects administratifs... (15) - Arch. Nat. E" 7723, Rapport de l'architecte diocésain, projet d'achèvement de la cathédrale, 1878. Un certain nombre de plans étaient annexés, dont "un plan général du plan en projet", cf. photo n° 24, et 'une façade latérale' : cf. photo de couverture. (16) Arch. Nat. P' 7721, Rapport de Viollet-Le-Duc à la Commission des édifices religieux, 29 novembre 1848. (17) - Cf. photos n°s 20 et 21. (18) - J.-M. LENIAUD, op.cité, p. 181, étudie, à propos de l'œuvre de Lassus et de Viollet-Le-Duc à Notre-Dame de Paris, la part de propagande que pouvaient recouvrir les statues de la façade... (19) - Catalogue de l'exposition Paul Abadie architecte, 1812-1881, Angoulême, 1984, p. 19. (20) - Arch.Dép. de la Haute-Vienne, 30 F4, Lettre du 20 janvier 1877. (21) - Arch. Nat. F19 7723, projet d'achèvement, 1878. (22) - Ibid., Extrait du registre des délibérations du Comité des Inspecteurs Généraux, séance du 8 juillet 1878. (23) - ibid., Rapport du Comité des Inspecteurs généraux par Edouard Corroyer, 79 avril 1886. (24) - Cf, photo n° 10. (25) - Cf. photo n° 22. (26) - Arch. Nat. F19 7723, Cahier des charges, 6 janvier 1877. (27) — ibid., Lettre de Bailly au ministère, 1884.

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Peintures murales Caroline PIEL

Parallèlement aux travaux de restauration et d'achèvement de la cathédrale furent entrepris des travaux de décoration dits "d'appropriation" des chapelles du chœur dont les dédicaces furent alors modifiées. Certaines de ces chapelles furent placées sous des vocables se rapportant à l'histoire religieuse locale constituant ainsi une sorte de programme de type gallican: chapelles Saint-Martial, Sainte-Valérie, Saint-Léonard, des Saints-Evêques, des Saintes-Reliques; les autres vouées à des saints faisant l'objet à l'époque d'une grande dévotion et dont le culte était promu par le Saint-Siège : chapelles de la Vierge, de Saint-Joseph, du Sacré-Cœur, de Sainte-Germaine et de Sainte-Philomène. Les travaux s'échelonnèrent de 1858 à 1882 et furent dirigés par l'architecte diocésain Chabrol puis par son successeur Bailly. S'inscrivant dans le mouvement archéologique, ces architectes furent sans doute animés par le souci de restituer au public une cathédrale dans sa forme idéale, telle qu'elle "devait être" au Moyen-Age. Ainsi, ils conçurent la décoration de ces chapelles absidiales comme un ensemble, dans le style gothique en harmonie avec l'architecture, où peintures murales et vitraux se complétaient. Chaque chapelle fit l'objet d'un devis estimatif accompagné d'un descriptif succinct de tous les ouvrages à réaliser pour la livrer au culte : peintures, vitraux, mobilier, dallage, grille. Pour l'exécution de ces travaux, les maître-d’œuvre désignèrent des artistes renommés, pour la plupart parisiens, qui travaillaient habituellement pour les Monuments Historiques les peintres Denuelle et Steinheil; les verriers Thévenot, Oudinot, Saint-Blancat (Toulouse); les orfèvres Boche-let, Chertier, Trioullier, les sculpteurs Cotte-brune, Martin. Les dallages et les grilles furent aussi confiés à des maisons de la capitale. Ce "parisianisme" fréquent à l'époque se heurta toutefois aux conditions économiques locales. Ainsi, le 1er mars 1862, le Préfet demanda-t-il qu'aux travaux de peinture de la cathédrale menés par Denuelle, soient occupés un certain nombre d'artistes porcelainiers se trouvant alors au chômage en raison de la guerre d'Amérique. Denuelle, insistant dans sa réponse sur la spécificité de ce travail, l'aptitude, l'habileté qu'il requière, proposa, sans qu'il soit d'ailleurs possible de vérifier leur participation, d'employer ces ouvriers à des travaux d'ordre plus secondaire. Par la suite, les travaux d'ornementation, notamment ceux des chapelles de la nef, furent soumissionnés par des entreprises de Limoges. Principes Les peintures murales gothiques qui ornaient encore la cathédrale de Limoges, celles de deux des chapelles rayonnantes et de la voûte du chœur furent précieusement sauvegardées. A tel point que celles de la chapelle Saint-Léonard et celles récemment découvertes (1853) de la chapelle Sainte-Germaine (1) signalées en très mauvais état (2), tandis que celles de la voûte du sanctuaire ne nécessitaient aucune intervention (3), ne furent même pas restaurées de peur de les dénaturer. Cette scrupulosité envers les œuvres médiévales devient moins rigoureuse à l'égard des témoignages artistiques postérieurs. Certaines peintures plus récentes furent sans -52-


hésitation sacrifiées (4) au nom du principe, tant préconisé dans ces années du XIXème siècle, de l'unité de style à préserver à tout prix voire même à recréer.

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Tout à fait paradoxalement les peintures du XVIIème siècle de la chapelle du Sacré-Cœur (ou de la paroisse) furent conservées et restaurées. Dans son devis de 1861, Chabrol stipulait tout à la fois les travaux de décoration de la chapelle et ceux de restauration des anciennes peintures (5). Le descriptif mentionne sur les figures de David et des prophètes d'importantes réfections qui, effectuées à l'identique avec une rare habileté, se dissimulent au regard même averti. C'est le même concept, celui d'unité de style qui motive la conservation "archéologique" des peintures gothiques et commande la restitution de ce décor originel à l'ensemble de l'édifice. Imitant la décoration des chapelles Sainte-Germaine et Saint-Léonard, les maître-d’œuvre dotèrent les autres chapelles rayonnantes des peintures monumentales. Ils répétèrent systématiquement le principe décoratif mis en œuvre au Moyen-Age dans ces deux chapelles. Ils reprirent la même organisation du décor rehaussant d'une savante polychromie les lignes architecturales des absidioles et, au sein des espaces délimités par les remplages aveugles, la même répartition des scènes. Les peintures anciennes servirent délibérément de modèles. Ils s'inspirèrent de ces compositions médiévales et imitèrent leur style très influencé à Limoges par l'art de la miniature. L'abbé Texier résume de façon admirable les principes qui ont dirigé l'architecte : "Continuer le monument selon l'esprit qui la inspiré, puiser tous les motifs dans le monument lui-même, abdiquer toute prétention à l'originalité, ajouter pour conserver ou pour achever, respecter jusqu'aux choses défectueuses comme un témoignage de l'art ancien" (6). Les architectes confièrent la réalisation de ces travaux à deux artistes qui jouissaient à l'époque d'une gronde réputation : Denuelle et Steinheil.

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Deux personnalités Alexandre-Dominique Denuelle (1818- 1 879) "peintre décorateur" en qualité d'artiste attaché à la Commission des Monuments Historiques accompagna Viollet-Le-Duc dans ses principaux voyages et fut chargé pour les archives de cette Commission d'établir de très nombreux relevés de peintures murales. Il exécuta aussi, et cela dès son retour de son long voyage d'études en Italie, vers 1846, la décoration picturale des monuments civils et religieux. Sa formation dans l'atelier de l'architecte Duban où il étudia l'architecture dans ses rapports avec le décor, explique sans doute le talent avec lequel il adapta ses compositions ou cadre architectural, le mettant toujours en valeur. Ses réalisations archéologiquement savantes et toujours en harmonie avec le style du bâtiment furent à l'époque très appréciées. Les architectes lui passèrent de nombreuses et importantes commandes et il décora entièrement ou en partie certains monuments parmi les plus prestigieux de France le Louvre, les cathédrales de SaintDenis, Amiens, Reims, Beauvais, Orléans, Bourges, Strasbourg; les églises à Paris de SaintMerry, Saint-Germain-des-Prés, la Trinité... (7). Elève de Decaisne et de David d'Angers, ami de Meissonier, dont il deviendra le beaufrère, Louis-Charles-Auguste Steinheil (1814-1885), avec Daubigny et Trimolet et le sculpteur Geoffroy Dechaume, fonda pour 'réussir" une association dans laquelle ils partageaient travail et profits. Il se consacra à l'étude du Moyen-Age et exerça ses talents dans de nombreuses disciplines artistiques. Imagier pour les éditeurs de la rue Saint-Jacques, illustrateur de plusieurs ouvrages dont certains de botanique, Steinheil s'occupa aussi de sculpture, participa à la rénovation d'émaux limousins, travailla avec l'orfèvre Rudolphi et le céramiste Théodore Deck, fournit des cartons de tapisserie pour la manufacture des Gobelins et les dessins du dallage de la Sainte-Chapelle... Peintre de chevalet, il exécuta quelques tableaux représentant des scènes d'intérieur, des sujets religieux ou des natures mortes mais surtout il excella dans les travaux archéologiques qui absorbèrent bientôt toute son activité. Il fut un des collaborateurs de Viollet-Le-Duc aux cathédrales de Notre-Dame-deParis et d'Amiens, de Lassus à Saint-Germain l'Auxerrois, de Boeswillwald à la cathédrale de Bayonne et à la chapelle impériale de Biarritz... Ses ouvrages décoratifs en harmonie avec l'architecture lui valurent sa réputation. "Peintre de figures", "peintre d'histoire", il dessina de nombreux cartons pour les peintres verriers, fut chargé par la Commission des Monuments Historiques, qui le comptait parmi ses membres, de la restauration de vitraux anciens et orna plusieurs édifices de peintures monumentales et notamment certaines chapelles de cathédrales (8). Réalisation A Limoges, Denuelle exécuta les peintures des chapelles de la Vierge (1 858), du SacréCœur (1 861 ), et de Saint-Martial en col labo-ration avec Steinheil. Ce dernier réalisa les vitraux et les peintures monumentales des chapelles Saint-Martial (1863-1864), Sainte-Valérie (1867), Saint-Joseph (1872), Sainte-Philomène (1872-1873), des Saints-Evêques (1873-1877) et des Saintes-Reliques (1882). -56-


Ces peintures ornementales et figuratives, conçues selon le principe adopté au XIVème siècle, toutes dans un esprit identique, créent une forte unité décorative affirmant l'effet architectural. Les voûtes furent peintes en bleu parsemé d'étoiles d'or, les soubassements ornés de motifs empruntés au vocabulaire médiéval et !es piliers, colonnettes, chapiteaux, remplages vivement polychromes. Les peintures historiées, disposées en 7 registres, placées sous d'imposants et fantaisistes dais architecturaux, qui occupent à eux seuls tout un niveau, couvrent les parois lisses des fausses fenêtres.

Les programmes iconographiques, toujours en relation avec le vocable de la chapelle, furent définis par les ecclésiastiques ou en étroite collaboration avec eux. L’abbé Texier fournit les sujets à représenter pour la chapelle de la Vierge (9); De Bogenet, Vicaire Général, Directeur de l'Archiconfrérie, ceux pour la chapelle Saint-Martial (10) et probablement ceux pour la chapelle Saint-Joseph puisqu'il décida des inscriptions identifiant les scènes (11). A l'exception des chapelles des Saints-Evêques et des Saintes-Reliques où sont représentés des personnages en pied, les autres absidioles sont décorées de petites scènes se rapportant à l'hagiographie des saints comme celles illustrant des épisodes de la vie du Christ et de sainte Catherine des chapelles Sainte-Germaine et Saint-Léonard. Avec une aisance tout à fait remarquable qui suppose une parfaite connaissance archéologique, les artistes traitèrent ces thèmes légendaires dans le style du XIVème siècle. Denuelle par l'élégance de son graphisme et l'emploi d'une palette restreinte au fond bleu et au camaïeu rouge des figurations privilégie l'adaptation des sujets au cadre architectural. Au fur et à mesure du déroulement de ce gigantesque chantier, Steinheil s'affranchit de ce style linéaire. Sur fonds uniforme toujours : bleu, rouge ou doré ses compositions gagnent de l'ampleur, ses personnages du volume. Il interprète l'œuvre du Moyen-Age conférant même aux personnages de certains épisodes de la vie de Joseph et de quelques scènes de martyre une expression tout à fait contemporaine non dénuée d'accents prérophaélites. La réalisation de ces travaux de grande ampleur nécessita le concours d'exécutants. Tous les travaux de préparation des murs, des voûtes et même une partie de la décoration furent confiés par les maîtres-d ’œuvre à partir de 1872 à l'entreprise Gaston de Limoges (12). Steinheil qui menait parallèlement à ce chantier celui de la cathédrale de Bayonne et d'autres commandes s'adjoignit des aides. Courtin fournit les couleurs, les prépara et exécuta les compositions -57-


d'ornement de la chapelle Sainte-Valérie (13). Le rôle de Coulaud dans les chapelles SaintJoseph et Sainte-Philomène reste plus énigmatique. Fut-il responsable de ces chantiers, exécutant du projet de l'artiste ou simplement chargé de certaines parties du travail ? (14). Chapelle de la Vierge ou de l'Archiconfrérie du très saint et immaculé Cœur de Marie Peintures murales d'Alexandre- Dominique Denuelle. Signées et datées 1859 Les peintures sur les murs nord et est, dont les sujets furent fournis par l'abbé Texier (15), représentent plusieurs épisodes de la Vie de la Vierge, de sa naissance à son assomption. Le cycle iconographique qui comporte seize scènes est des plus classique. L'inscription qui figure sur le mur rappelle un évènement contemporain de ces peintures, important pour l'histoire religieuse du XIXème siècle, la proclamation par le Pape Pie IX en 1854 du dogme de l'Immaculée Conception.

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Suite à la définition dogmatique de l'Immaculée Conception, la dévotion à la Vierge fut telle que de nombreuses chapelles furent alors érigées en son honneur. Denuelle fut aussi chargé dans les années 1870-1873 de la décoration de celle de la cathédrale de Tours. Cette élévation intérieure qui correspond au mur nord de la chapelle est, dans la composition d'ensemble aussi bien que dans le traitement des épisodes, rigoureusement analogue aux peintures de Limoges. Seuls varient la coloration du fond (bleu à Limoges, rouge à Tours) et l'ordre des scènes en nombre plus limité à Tours. Cette proposition ne fut pas retenue. Denuelle présenta un autre projet conservé aux Archives Départementales d'Indre-et-Loire (16) qui lui fut approuvé et conformément exécuté vers 1875 non par son auteur mais par Charles Lameire qui signa ces peintures. Chapelle du Sacré-Cœur ou de la Paroisse Peintures décoratives et restauration des peintures du XVIIème siècle par Denuelle - 1861. Denuelle fut chargé de la réfection des figures de David et des prophètes Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et Daniel. Le descriptif des travaux mentionne d'importantes reprises : une figure du bas à refaire, deux autres moins les têtes et deux à restaurer. Les prévisions financières se révéleront d'ailleurs insuffisantes, en raison de l'altération de ces peintures (17). Sans examen approfondi, l'ampleur et la nature de la restauration de Denuelle restent difficiles à cerner tant il pénétra le caractère intime de cette œuvre. Chapelle Saint-Martial Peintures murales d'Alexandre-Dominique Denuelle et Louis Charles Auguste Steinheil - 18631864. Le 20-6-1863 Denuelle, "peintre-décorateur", soumissionne avec Steinheil, "peintre d'histoire", pour les travaux de décoration de la chapelle d'axe. Leurs deux noms sont pour la première fois associés sans que la participation effective de chacun soit précisée. La dernière scène représentant : "Les malades au tombeau de Saint-Martial" porte cependant la seule signature de Steinheil. Steinheil ne fut-il, ici, que l'exécutant du projet de Denuelle comme Lameire à la cathédrale de Tours ? Ces peintures, dont les sujets furent donnés par de Bogenet (18), illustrent sur trois registres les diverses légendes de l'apôtre des Gaules, premier évêque de Limoges. Dans certaines scènes, Saint Martial est témoin de la vie du Christ et dans d'autres, il est montré au cœur de sa mission apostolique. Chapelle Sainte-Valérie Peintures de Louis Charles Auguste Steinheil - 1867. Cartons approuvés en 1865 (aujourd'hui disparus ?). Steinheil, pour ces peintures, demanda une augmentation. Le mémoire de Courtin, entrepreneur de peintures, "que j'ai pris tant pour la fourniture des couleurs qui sont fort belles préparées par des procédés que par l'exécution des compositions d'ornement qui devaient décorer cette chapelle" dépasse d'après lui de beaucoup la somme allouée pour cette partie du travail. D'après Steinheil, le coût global de l'opération basé sur les travaux faits par Denuelle à la chapelle Saint-59-


Martial ne correspond ni à la différence de surface à traiter, ni au type de décoration adoptée, ici, plus longue et plus coûteuse, ni à l’effet obtenu (19). Les travaux ayant été exécutés avec le plus grand soin "Les apprêts comme les peintures décoratives ont été faits avec des matières choisies et d'une valeur bien supérieure à celles qui sont employées ordinairement pour ce type de travaux", Chabrol proposa de régler ce supplément (20).

Dix-huit panneaux relatent les épisodes de la vie de Sainte Valérie, vierge martyre qui selon la tradition après avoir été décapitée présenta sa tête à Saint Martial. Des anges de chaque côté de l'entrée de l'absidiole la glorifient. Chapelle Saint-Joseph Peintures murales de Louis Charles Auguste Steinheil 1872. Steinheil se fit aider pour ces peintures par Coulaud qu'il passa voir en se rendant à Bayonne sur le chantier de la cathédrale 21). La verrière centrale de la chapelle illustre la vie de Saint Joseph tandis que le mur sud est réservé aux docteurs et papes qui ont propagé son culte comme Saint Grégoire de Nysse qui le glorifia et Saint Bernard qui écrivit en son honneur. Le mur nord, en revanche, est consacré à Joseph, fils de Jacob, et à ses ancêtres les plus célèbres, Abraham, Jessé et David. De Bogenet (22) qui fournit les inscriptions identifiant les scènes fut probablement l'auteur de ce programme iconographique.

Chapelle Sainte-Philomène Peintures de Louis Charles Auguste Steinheil - 1872 1873. Sur ce chantier, aussi, Coulaud travailla pour Steinheil "en allant à Bayonne, je passerai ô Limoges pour indiquer (à Coulaud) les tons de la chapelle Sainte Philomène mais pour cela il faudrait que les murs fussent préparés et les échafaudages en place" (23). Les peintures murales représentent Je martyre des vierges tandis que la verrière centrale est consacrée à la vie de Sainte Philomène, martyre imaginaire dont le culte se répandit avec ferveur au XIXème siècle. -60-


Chapelle des Saints-Evêques Peinture de Louis Charles Auguste Steinheil - 18731877. Ces peintures représentent en pied les évêques de Limoges ou originaires du Limousin avec au-dessus d'un côté le nom de tous les évêques ayant occupé le siège épiscopal de Limoges jusqu'au XIème siècle et sur l'autre mur les armoiries de leurs successeurs. Chapelle des Saintes-Reliques Peintures murales de Louis Charles Auguste Steinheil -1882 Douze saints locaux dont la cathédrale conserve les reliques sont figurés en pied. Audessus de chaque personnage, sous le dais architectural, l'artiste a placé le dessin des châsses qui renferment ces pieux ossements. Ces figures rappellent par leur traitement celles exécutées par Steinheil à la cathédrale de Bayonne C. P.

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(1) - Arbellot - Cathédrale de Limoges - Histoire de description - Paris 1883 2ème éd. - p. 158. (2) - ibid. p. 161 - "Dans l'état de dégradation où elles se trouvent, il faut être un peu doué de l'esprit de divination pour en apercevoir le sujet..." (3) - Arch. Nat. F" 7721 • Lettre du Directeur Général ô Chabrol du 21-2-1850 lui faisant part des conclusions de la Commission et de VioiletLe-Duc sur le projet général primitif. (4) - Arbellot, op. cit. - Chapelle Sointe-Philomène "Elle avait été peinte en 1671 par L. Chassaigne et B. Raymond nous avons lu, en effet, cette date et ces noms dons un angle de la voûte au milieu des peintures" - p. 166. Chapelle Saint-Martial - La voûte de la chapelle avait été peinte à la fin du xv. siècle comme l'indiquaient les armoiries des évêques Borthon de Montbas que nous y avons vues en 1853 et qui ont disparu aujourd'hui - p. 169. - Chapelle Saint-Joseph - 1.1:1 voûte avait été peinte en 1671, comme l'indiquait cette date que nous avons lue près d'une nervure à gauche, avec les signatures des peintres L. Chassaigne et B. Raymond - p. 173. (5) - Arch. Nat, F' 7722 - Devis Chabrol du 9-10-1861. (6) - Arch. Nat. F" 7721 - Rapport de 'abbé Texier du 18 mai 1851. (7) - Notice sur Alexandre Denuelle lue dons Io séance de Io Commission des Monuments Historiques du 12 avril 1880. Paris . A. Choix et Cie. 1880. Notice sur Denuelle parue dans le catalogue "Pompéi travaux et envois des architectes français au XIXème siècle" - Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts - 1981 - p. 288. (8) - Alfred Darcel - 'Louis Steinheil" - Gazette des Beaux-Arts - 1885 - T. XXXII - p. 61-73. - René Ménard L'art en Alsace-Lorraine - Paris - 1876 -p. 196 à 201. (9) - Arbellot, op. cil. - p. 155. (10) - Ibid. - p, 169. (11) - Arch. Dep. de la Haute-Vienne - 30 F6 Lettre du 2 décembre 1872 Signée L. Steinheil à Boulanger, Inspecteur diocésain. (12) - Arch. Dép. de la Haute-Vienne - 30 F • Soumission de Charles Gaston, entrepreneur de peintures, demeurant o Limoges pour 'travaux de préparation, dorure et une partie de la décoration" - Les voûtes reçurent une couche d'imbibation (huile pure), trois couches de blanc de céruse. Les murs furent enduits au mastic à la céruse en deux couches et poncés. (13) - Arch. Nat. F7'7722 - Lettre de Steinheil vue par Chabrol le 14-1-1867. (14) - Cf. Supra. note (II). (15) - Cf. Supra. note (9). (16) — Arch. Dép. d'Indre-et-Loire - Fonds Guérin Rahard n° 25. (17) — Cf. Supra. note (5). (18) — Cf. Supra. note (10). (19) - Cf. Supra. note (13). (20) - Arch. Nat. F19 7722 Lettre du 18.1-1867 de Chabrol au Préfet. (21) - Cf. Supra. note (11). (22) - Cf. Supra. note (11). (23) - Cf. Supra. note (11).

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Les vitraux Catherine BRISAC C'est par de simples "réparations' sur quelques vitraux anciens que débutèrent en 1851, dans le cadre de la réfection entreprise par Mgr Buissas, des travaux sur la vitrerie de la cathédrale (1). Ces interventions devaient se poursuivre jusqu'au début du XXème siècle, en plusieurs campagnes, et aboutir au renouvellement presque total du décor vitré de l'édifice. Les fenêtres ou panneaux anciens furent, pour certains, "sacrifiés" (2); d'autres servirent souvent de modèles aux nouvelles compositions, notamment à l'étage supérieur du chevet et du chœur. La première verrière neuve fut posée en 1860, à un moment où le vitrail néogothique, style auquel se rattache cette dernière, atteint sa pleine maturité. Elle occupe l'unique baie gothique à quatre lancettes surmontées d'un tympan de la chapelle de la Vierge, devenue en 1855 le siège de "l'Archiconfrérie du très saint et immaculé Cœur de Marie pour la conversion des pêcheurs" (3). Le thème en est, selon le schéma classique de l'Arbre de Jessé, la généalogie royale de la vierge, sujet choisi pour commémorer le dogme de l'Immaculée Conception promulgué en 1854 et en l'honneur duquel cette chapelle fut entièrement réaménagée (4). Au-dessus de Jessé endormi, dix rois assis, cinq par lancette, David seul identifiable par une inscription (DAVID), occupent les lancettes médianes. Douze prophètes, six par lancette latérale, se tiennent debout sous des dais architecturaux. Dans la rose du tympan, une Vierge à l'Enfant debout, ce dernier écrasant le serpent avec la croix de la Résurrection qu'il tient. Les écussons armoriés de Mgr Fruchaud et de Mgr de Tournefort, anciens évêques, timbrent les autres rosaces. La célèbre formule d'Adolphe Didron, fondateur des "Annales archéologiques", "faire servir le passé au présent..." (5) s'applique pleinement à ce vitrail, dont la composition iconographique proche de modèles médiévaux, est modifiée par de nouveaux détails iconographiques relatifs au dogme de l'Immaculée Conception. Ces derniers en actualisent la lecture iconographique tout en permettant de conserver une ordonnance ancienne, préférée souvent par le clergé, au détriment de nouveaux schémas (6). -63-


Verrière néo-gothique par son ordonnance et son échelle d'exécution, cette œuvre s'affranchit, pourtant par sa coloration claire en harmonie avec les peintures murales consacrées à la Vie de la Vierge, des modèles du XIIIème siècle auxquels elle se réfère pour devenir une authentique création. Elle sort de la "manufacture" de Etienne Hormidas Thévenot, alors un des plus actifs maîtres-verriers français (7). Installé à Clermont-Ferrand dès 1831, au début de la renaissance du vitrail en France, Thévenot est au faîte de sa notoriété en 1859 tant comme restaurateur que créateur de verrières, non seulement dans le centre du pays (Auvergne, Limousin), mais encore à Paris où il travaille dès 1839. Néanmoins, dans le cas présent, la verrière est unique dans la production de Thévenot par son chromatisme et son graphisme : il est possible que L. Steinheil, auteur des cartons des peintures murales de la chapelle, ait probablement, comme cela lui arriva souvent, prodigué ses conseils à Thévenot au moment de l'élaboration de la maquette et du choix de la coloration de la verrière (8). A partir de 1861 commença, sous la direction de l'architecte diocésain Chabrol, le chantier de rénovation des chapelles du chœur qui reçurent un décor figuré et historié en rapport avec leurs nouveaux vocables (9). Les sujets avaient été rassemblés par plusieurs membres érudits du clergé diocésain (10), peut-être même par Mgr Duquesnay qui, comme beaucoup de prélats de sa génération, avait "la nostalgie de la chrétienté médiévale" (11). L. de Bogenet, vicaire général, par exemple, avait eu recours à la Vie prolixe de saint Martial, écrite au VIème siècle, et à d'autres récits postérieurs pour proposer le programme des verrières consacrées à l'apôtre du Limousin. Steinheil adapta ces récits aux cartons qu'il avait déjà réalisés en grand nombre pour d'autres édifices (12), tout en y intégrant des motifs iconographiques qui soulignaient l'originalité de l'Eglise de Limoges, telles des images de châsses-reliquaires placées entre les scènes des verrières de la chapelle des Saintes Reliques. Ces objets cultuels avaient été choisis pour rappeler le rôle essentiel qui leur était dévolu lors des ostensions septennales suivies dans les campagnes malgré une forte déchristianisation rurale (13). Vingt ans furent nécessaires pour mener à son terme cette entreprise qui, confiée au même maître d'œuvre, un médiévaliste convaincu, Louis Steinheil (1814-1885) (14), présente une cohérence formelle et chromatique rarement atteinte dans une église en France au XIXème siècle où les nouveaux vitraux étaient souvent attribués à plusieurs peintres. Membre de la commission supérieure des monuments historiques, L. Steinheil avait de nombreuses réalisations néo-gothiques à son actif lorsqu'il fut appelé à Limoges en 1863 pour réaliser avec Denuelle les peintures de la chapelle Saint-Martial. Il devait bientôt y revenir et obtenir un des plus importants chantiers de la fin de sa carrière, celui de ces chapelles où décor mural et iconographique mis à l'honneur par les tenants du mouvement archéologique à partir des années 1840-1850. Selon ses habitudes, Steinheil fournissait des cartons mis au point d'après des modèles anciens qu'il transcrivait dans un style adopté à la connaissance que le clergé et les fidèles avaient alors du Moyen-Age : …"il ne fut pas un copiste aveugle de la forme léguée par les siècles passés, mais animé de leur esprit, un interprète des choses réelles comme elles l'avaient été" (15). A Limoges, Steinheil produisit des modèles s'inspirant de la fin du xiv siècle et du début du XIVème siècle, dates de construction alors assignées à cette partie de l'édifice. En reproduisant presque toujours la même ordonnance pour les verrières historiées de l'abside trois par chapelle - Steinheil réussit à donner une grande cohérence à cet ensemble. -64-


Chaque verrière compte trois scènes rectangulaires d'un registre surmontée chacune d'un immense et élégant couronnement architectural qui couvre deux registres et même trois pour la scène supérieure, exagérant l'ordonnance formelle des verrières gothiques de la première moitié du XIVème siècle à laquelle ces productions se réfèrent. Une coloration vive fondée sur l'accord entre le bleu clair des fonds et le jaune puissant des nombreuses architectures anime le graphisme sévère de ces vitraux. Steinheil avait d'ailleurs voulu poursuivre le travail exécuté pour les peintures de la chapelle Saint-Martial comme il l'expliqua en soumissionnant pour les vitraux de la même chapelle "dans l'esprit des peintures que je viens de faire" (16). Les baies des autres chapelles gothiques furent ornées de vitraux en grisaille claire, timbrés le plus souvent, des fermaillets décorés des armes de leurs fondateurs, dont, dans la plupart des cas, il restait les modèles anciens dans les ajours des tympans. En choisissant un tel parti verrières historiées de pleine couleur pour les chapelles de l'abside et verrières armoriées en grisaille pour celles du chœur, le maître d'ouvrage, l'architecte Chabrol, reprenait un principe formel gothique, réactualisé par les tenants du mouvement néo-gothique en France à partir de 1840-1850.

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Quant aux trois verrières de la chapelle de Sainte-Valérie (17) ouvrant sur le bras nord du transept, leur formule suit celle des verrières "légendaires" du XIIIème siècle, composées de files de compartiments historiés se détachant sur un fond de mosaïque à petite échelle. Mais, comme à son habitude, Steinheil compliqua et surchargea les formes par rapport aux modèles médiévaux, qui furent probablement ici, les vitraux gothiques des chapelles rayonnantes de la cathédrale de Clermont-Ferrand. L'exécution fut confiée à deux maîtresverriers parisiens, l'un fort connu, EugèneStanislas Oudinot, très apprécié des architectes médiévalistes comme Viollet-LeDuc avec lequel il travailla souvent (18); le second, Louis Goglet, fut surtout employé par L. Steinheil (19). Les verrières neuves de l'étage supérieur du chevet et du chœur ont été réalisées exclusivement par E.-S. Oudinot qui conserva les figures, en partie anciennes de la Vierge et de l'Ange de l'Annonciation de la baie axiale, et de saint Martial et de sainte Valérie placées dans la baie voisine au Nord (20). Il réutilisa également un nombre assez important de panneaux anciens de grisailles, qui se trouvaient dans les fenêtres à quatre lancettes du chœur et les recopia pour ses nouvelles compositions. Le programme, à l'instar de ceux du XIIIème siècle, comprend des figures des apôtres réparties entre les baies nord et sud, les évangélistes et trois saints limousins Aurélien, successeur de saint Martial; Celse, son disciple, et saint Sylvain (21). On retrouve l'association L. Steinheil et E.-S. Oudinot pour les fenêtres hautes du transept et de la nef. Le programme est essentiellement limousin (22) : les saints sont groupés deux par deux dans les lancettes centrales, selon une ordonnance issue des modèles du début du XVème siècle. Les figures en pied se détachent sur des fonds damassés sombres, et sont placées sur des socles représentés selon les lois de la perspective. Des couronnements architecturaux, à pinacles allongés et clairs, répètent aussi des modèles du XVème siècle. -66-


Deux lancettes latérales, en grisaille claire, encadrent ces figures qui représentent moins d'originalité formelle et chromatique que les verrières basses de l'abside. Seulement trois verrières basses de la nef sont intéressantes à signaler. La plus ancienne, celle de la chapelle des Fonts baptismaux, est une vaste composition exécutée en 1865 par Steinheil et Oudinot (23). La partie centrale est occupée par un Baptême du Christ, dont le schéma iconographique ne présente guère d'originalité. Par contre, l'exécution séduit par son habileté où se mêlent heureusement une pose de grisaille sophistiquée et un travail complexe d'émaillage qui ne s'est pas détérioré, contrairement à beaucoup de productions de la même époque qui combinent les deux procédés. L'année même de la fin du chantier des chapelles rayonnantes, on commanda au maître-verrier toulousain, Louis Saint-Blancat (24) la verrière de la chapelle orientale de Ici nef, côté nord, selon un parti radicalement différent de celui qui avait jusqu'alors prévalu. La préférence allait maintenant au vitrailtableau qui s'étendait sur toute la largeur de la baie et ignorait sa division en meneaux. Le programme de la verrière s'inspirait du vocable de la chapelle dédiée depuis peu à Notre-Dame-desmalades-et-desagonisants. Il montrait une Vierge de miséricorde trônant, à ses pieds un vieillard infirme et une mère tenant une enfant malade. De chaque côté de la mère du Christ, deux anges portant des phylactères, sur lesquels étaient inscrits des litanies mariales : Salus infirmorum et Consolatrix afflictorum. Au tympan, un Christ-juge accompagné d'anges musiciens. Dans les cartouches timbrant l'arcade néo-Renaissance fermant la scène, les armes d'un évêque de Limoges qui avait fait décorer la chapelle au XVIème siècle, Villiers de l'Isle-Adam (1522-1530); celles de Mgr Duquesnay qui avait commandé la verrière et des donateurs, membres de la famille limousine des Lostende (25). Malgré un graphisme gauche cette vaste composition s'impose par un traitement iconographique original que renforce une forte coloration. Il en est de même de la verrière de la chapelle qui lui fait face. Œuvre du même maître-verrier, présentant une composition analogue, la verrière, exécutée l'année suivante, se rapporte, par son sujet, -67-


au vocable de la chapelle nouvellement dédiée à la sainte Croix (26). La cathédrale conservait une relique, provenant de l'abbaye de Grandmont, de la Vraie Croix depuis la fin du xviii. siècle (27) : la scène principale illustre donc l'Invention de la Vraie Croix par sainte Hélène suivant un schéma iconographique peu fréquent au XIXème siècle, et des compositions illustrant l'histoire de la célèbre relique limousine occupent quatre cartouches. Pendant un siècle, cet ensemble de verrières du XIXème siècle a été peu apprécié : il est temps aujourd'hui d'y remédier. En premier lieu, leur imagerie explique les orientations piétistes et "politiques" suivies pendant la seconde moitié du XIXème siècle par un clergé diocésain, confronté à une forte déchristianisation. Ses efforts pour réhabiliter un "panthéon" religieux limousin, qu'il fit transcrire en images monumentales destinées à l'enseignement des fidèles, furent tempérés par le besoin de suivre les nouvelles directives de Rome. En cela, ce programme correspond à la mentalité du "clergé" diocésain français, élitiste et nostalgique du Moyen-Age. Cet ensemble permet aussi de suivre l'évolution du vitrail français au XIXème siècle; mais les autorités religieuses de Limoges apparaissent en ce domaine plus timorées que bien d'autres institutions : la première verrière archéologique est posée seulement en 1860, soit un décalage de vingt ans par rapport aux premières œuvres de ce type posées en France. Ces dernières tendances demeurent fortes jusqu'en 1885 environ, ce qui est relativement tard dans le siècle. L'introduction des compositions plus "modernes" de Saint-Blancat suscita bien des débats et des oppositions au sein d'un clergé encore attiré par le passé (28). A cet égard le cas de Limoges apparaît exemplaire des options artistiques du clergé français qui n'arrive à s'affranchir des principes de Didron et de Montalembert (29) d'autant que les autorités diocésaines firent appel aux meilleurs représentants de ce mouvement. C. B. (1) - Les principaux documents d'archives concernant ces travaux sont : Arch. Nat., F19 7721-7724: travaux exécutés à la cathédrale de Limoges au XIXème siècle, Arch. Dép. de la Haute-Vienne, 2 J : Travaux exécutés sur les vitraux de la cathédrale de Limoges (XIXème s.). (2) - Bibl. Nat., nouv, acq. fr. 6102, fol. 103v. et 109-112, F. de Guilhermy, Notes sur différentes localités de France. L’archéologue se rendit deux fois à Limoges en 1867 et 1871, à une époque où seulement quelques nouvelles verrières étaient posées. Ses notes permettent de constater qu'il restait beaucoup plus d'éléments de vitraux anciens qu'aujourd'hui. (3) - Abbé Arbellot, Cathédrale de Limages Histoire et description, Paris, 1883, 2ème éd., p. 149. (4) - ibid. La verrière porte cette inscription B.V.MARIAM VIRGAM DE RADICE JESSE.SINE LABE CONCEPTAM DEFINIVIT : SS Plus IX.VIII DEC.MDCCCLIV. (5) - A. Didron, "Prospectus", Annales archéologiques, 1. I, 1844, p, 3. Cf. C. Brisac et J.-M. Leniaud, Adolphe-Napoléon Didron ou les media au service de l'art chrétien, Revue de Part, 1987, n° 77, p. 40. (6) - Le thème de l'Immaculée Conception a fait l'objet de développements iconographiques importants et notamment certaines compositions, de type historique, montrent le pape Pie IX le promulguant à Rame comme à une verrière de l'église de Mayet (Sarthe) par Fialeix (1860) ; Cf. C. Brisoc, "Repères pour l'étude de l'iconographie du vitrail au sr siècle", Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, 1986, n° 4 (consacré spécialement au vitrail du XIXème siècle), p. 373: Y.-M. Riou, "Iconographie et attitudes religieuses. Pour une iconologie du vitrail au XIXème siècle", Revue de 'art, 1986, n° 72, p. 43-44. (7) - Sur E.-H. Thévenot, il n'y a pas d'étude récente, mais on se reportera à diverses publications parues ces dernières années dont celle J. Vinsot, C. Bouchon et C. Brisac, Les vitraux de la basilique Sainte-Clotilde à Paris, Paris, 1987. (8) - A.Darcel, "Louis Steinheil", Gazette des Beaux-Arts, 1885/2, p. 70. (9) - Pour l'étude des vocables, on se reportera utile ment à l'ouvrage de l'abbé Arbellot, op. cit. (chapitre décrivant les chapelles). (10) Fort probablement l'abbé Texier, l'abbé Arbellot qui, dans" monographie sur la cathédrale, op. cit-, cite d'autres membres du clergé dont l'abbé Leclerc, archiprêtre de la cathédrale. (11) - Abbé Pérouas, conférence à l'Université d'été, juillet 1988, Limoges. Construction d’églises et pratique catholique au XIXème siècle à partir de l'exemple de Limoges. (12) - Steinheil avait l'habitude, comme beaucoup de cartonniers et maîtres-verriers du m. siècle, d'utiliser les mêmes cartons à plusieurs reprises. Pour en changer l’iconographie, il modifiait seulement quelques détails, cf. C. Brisac, « Louis Steinheil », The Dictionnary of Art, Londres (notice à paraitre). (13) - A. Corbin, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXème siècle (1846-1880), Paris, 1975, t. 1, p. 672. (14) - Voir supra notes 8 et 17. (15) - A. Dorcel, op. cit., p. 70. 16) - Arch. Nat. F ' 7721, Soumission de L. Steinheil en date du 28 septembre 1864. (17) - Arbellot, op. rit., p. 143-146 (les ajours des tympans des verrières de cette chapelle sont anciens).

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(18) - Cf. « notice archéologique », Chronique des Arts, 1889, p. 296-297. (19) - Cellule "vitrail" de l'Inventaire général, « Enquête sur les maitres-verriers ayant travaillé en Fronce au XIXème siècle », Revue de l'Art. op. cit., p. 77. (20) - Abbé Texier, "Histoire de la peinture sur verre en Limousin", Bulletin archéologique et historique du Limousin, 1846, t. 1, p. 94. (21) - Arbellot, op. cit., p. 196197. (22) - ibid., p. 200-206. Transept : saint Just et saint Prosper - saint Junien et saint Amand - saint Valéric et saint Léobon - saint Yrieix et saint Marien d'Evaux - saint Ferréol et saint Asclèpe - saint Psolmet (bras nord) - saint Rorice - saint Vaast - saint Léonard et saint Domnolet -saint Oradour et saint Loup (bras sud). Nef : saint Pardoux et saint Cessateur - saint Etienne de Muret et saint Gaucher (côté sud) - saint Israël et saint Theobold -saint Goussaud et saint Socerdos (côté nord). (23) - Ibid., p. 186, (24) – ibid., p. 191-196. Sur Saint-Blancat, dont le fonds de cartons vient d’être acquis par le musée du Vieux-Toulouse, cf. "Enquête sur les maîtres-verriers...," op, cit p. 79. (25) Arbellot, ibid (26) - Ibid., p. 184. (27) - Ibid., p. 241-246. (28) - Cette verrière fut entreprise à l'initiative de l'archiprêtre mais l'évêque et le Comité des travaux diocésains à Paris demandèrent des rectifications qui furent apportées par r architecte diocésain Bailly, Arbellot, op. cit., p. 196. (29) - C. Brisac et J.-M, Leniaud, op. cit., p. 33-40.

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Les autels Caroline FIEL En 1828, lorsqu'un projet d'autel pour la cathédrale de Limoges est déposé, la question de l'unité de style entre le mobilier et l’architecture ne semble pas encore au cœur des débats. L'autel, de style néo-classique de Vignaud, ne fut pas, en tous les cas, officiellement refusé pour cette raison. En revanche, trente ans plus tard, lors des travaux d'appropriation des chapelles du chœur, ce problème est déjà résolu : le programme décoratif se doit d'être cohérent et en parfaite harmonie avec l'édifice, donc néo-gothique. A la fin du siècle dernier, c'est toujours selon la même règle que sont élaborés les projets du maître-autel. Cependant, le comité des Travaux exige une plus grande exactitude archéologique. Ainsi reprocha-t-on à Hardy de ne pas tenir assez compte du caractère particulier de l'édifice et demanda-t-on sans doute à Lucien Roy de supprimer de son dessin les émaux peints à évidence postérieurs. Autel de la Vierge L'autel néo-classique de Vignaud était prévu en bois à l'exception des colonnes qui devaient être en bandes de porcelaine ou en marbre. Ce projet fut refusé car jugé insuffisant, manquant de précisions et lourd plutôt qu'en raison de la discordance entre son style et celui de l'édifice. Gourlier, secrétaire de la Commission des Bâtiments Civils, dans son rapport à la Commission du 20 décembre 1828 dit :

"On ne peut poser en principe rigoureux que les constructions additionnelles et en quelque sorte mobilières à faire dans un édifice doivent nécessairement être de même style; un trop grand nombre d'exemples pourrait être invoqué contre une pareille règle et je crois possible de satisfaire aux lois du goût soit en les suivant soit en les dérogeant. Peut-être même pourraiton invoquer en faveur de ce dernier parti ce qu'il y a de convenable à laisser à chaque objet le cachet de son époque" (1). L'idée de construire un autel à la Vierge fut ensuite complètement abandonnée. Elle devint à nouveau d'actualité lors des travaux de décoration des chapelles rayonnantes. -70-


Chabrol proposa un autel dans le style du XIVème siècle en harmonie avec l'architecture. Son devis, accompagné alors d'un dessin, fut accepté. Cottebrune, sculpteur parisien, collaborateur de Viollet-Le-Duc, dans les années 1845-1850, sur le chantier de NotreDame, réalisa cette œuvre. L'autel en pierre de liais comporte des motifs architecturaux de l'époque gothique. Dans les arcatures ogivales du devant d'autel, sept anges déroulent des phylactères portant des invocations choisies parmi les litanies de la Vierge, à qui est dédiée la chapelle. Des petites rosaces décorent le gradin tandis qu'un rampant à crochets couronne le tabernacle. Chabrol conçut dans un esprit identique, l'autel en pierre calcaire de la chapelle du SacréCœur et le fit sculpter par le même artiste. Plus sobre cependant que le précédent, les arcades trilobées de l'antependium sont dépourvues de figurines. Le tabernacle qui s'appuie sur un gradin semé de fleurons d'or est surmonté d'un pignon triangulaire à crochets. Ces deux autels furent peints et dorés, après leur mise en place dans l'édifice, par le peintre Denuelle. Les autels des chapelles Les garnitures de ces autels en pierre comme certains des autels des chapelles du chœur furent commandés à des orfèvres parisiens de grand renom. Bachelet, orfèvre ornemaniste, qui collabora avec Viollet-Le-Duc sur plusieurs chantiers et exécuta d'après les dessins c4 cet architecte de nombreux modèles de vases sacrés qu'il proposait à la vente par la publication de sorte de catalogue par correspondance intitulé "Recueil d'objets d'orfèvrerie à usage du culte" (2) soumissionna pour l'orfèvrerie de la chapelle de la Vierge (1858). Créateur et restaurateur, il livra le tabernacle, six chandeliers de taille différente, une croix en métal doré et compléta la lampe de chœur. Choisis parmi ses productions, ces articles sont dûment référencés. Chertier, qui avant de fonder sa propre entreprise en 1857, à titre de "contre-maître très habile de la maison Bachelet" avait obtenu une médaille de bronze de coopérateur à l'Exposition de 1855 (3), fournit, lui, les objets liturgiques pour l'autel du Sacré-Cœur. Spécialisé comme Bachelet dans l'orfèvrerie et le bronze d'église dans "le style Moyenâge", Chertier réalisa avec Viollet-Le-Duc certaines pièces du trésor de la cathédrale NotreDame de Paris et travailla sur plusieurs projets d'architectes diocésains. Chabrol, à Limoges, lui confia la construction et la pose de cinq autels avec tous leurs accessoires (croix, chandeliers et lampes) pour les chapelles du chœur (Saint-Martial, Sainte-Valérie 1869, Saint-Joseph 1873, Sainte-Philomène 1874, des Saints-Evêques 1876). De conception assez identique dans un style néo-gothique approximatif et fantaisiste, ces autels de marbre et métal décorés de pierres de couleur et émaux rappellent les œuvres médiévales d'orfèvrerie émaillée dont la production à Limoges fut sans égale. Les autels des dernières absidiales comme ceux des chapelles des collatéraux de la nef, infiniment plus succincts, furent exécutés en pierre de Lavoux (Poitou) peinte et dorée par des entreprises locales. Les sieurs Gardien et Cherprenet, sculpteurs, soumissionnèrent pour les autels des chapelles Sainte-Germaine et Saint-Léonard; Mabille, mosaïste à Limoges pour les autres. -71-


Tabernacle de l'autel de la Vierge Maison L. Bachelet - Magasin d'orfèvrerie - 54, Quai des Orfèvres - Atelier rue de Verneuil, 16, Paris.

C'est le 24 mai 1858 que Bachelet s'engagea pour les travaux d'orfèvrerie à réaliser pour l'autel de la Vierge (4). Le tabernacle garni de soie blanche fit l'objet d'une plus-value pour la richesse du modèle. La porte de celui-ci, en cuivre doré à l'or moulu à la pile, cernée de pierres de couleur, est décorée d'un Christ bénissant entouré des évangélistes. La croix (n° 1 planche 3), les chandeliers et leurs souches (n° 1 planche 3) furent dorés par le même procédé. Bachelet restaura la lampe, la décora de cabochons de couleur, remit en état sa dorure et fournit le bouquet pour la couronne du haut ainsi que les appareils pour suspendre et supporter les lampes en cristal.

Autel de la chapelle Saint-Joseph Alexandre Chertier, Fabrique d'orfèvrerie et bronze -7, Rue Ferou - Paris (Saint—Sulpice

Dans une lettre datée du 18 janvier 1873 (5), Chertier annonce le départ, pour Limoges, de l'un de ses ouvriers pour livrer la lampe du chœur ainsi que six chandeliers et mettre en place l'autel de cette chapelle. Celui-ci se compose d'un devant d'autel orné de trois arcatures, de façon de fonderie coulée et dorée, qui reposent sur des colonnes en marbre dont les chapiteaux sont en bronze doré et ciselé, et abritent des motifs figurés en métal; d'un retable émaillé, et, au-dessus, d'un tabernacle à fronton triangulaire avec rampants à crochets. Chertier puise son inspiration dons l'Œuvre de Limoges et prend pour modèle les châsses du Moyen-Age. Il imite leur composition : son devant-d’autel correspond à la face d'un de ces reliquaires, son tabernacle au pignon, et utilise les mêmes techniques décoratives : pierres de couleur, émaux, figures d'applique.

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Projet anonyme d'autel pour une des chapelles des collatéraux de la nef Crayon, plume, aquarelle — L. 0,670 m x H. 0,500 m. Non signé, non daté. Archives Départementales de La Haute-Vienne 30 F

Les autels des chapelles des bas-côtés de la nef furent réalisés tout à fait en fin de chantier, postérieurement aux gigantesques et coûteux travaux d'achèvement de la cathédrale. Ainsi, sans doute pour des raisons financières, les architectes Bailly puis Hardy proposèrent-ils des projets d'une extrême simplicité dont ils confièrent l'exécution, en pierre, au mosaïste de Limoges : Mabille. Le présent projet répond à ces critères. L'autel d'une grande austérité est dénué de retable. Les chandeliers reposent sur un unique gradin sans aucune décoration. Au-dessus du tabernacle, l'exposition, petit édicule carré à arcature tréflée, se termine brutalement par une sorte de corniche. Sur le devant d'autel figure dans une mandorle, flanquée de deux bustes à peine épannelés inscrits dans des médaillons, une croix toute banale. Hardy fut probablement l'auteur de ce dessin. Un autre projet du même type conservé aux Archives Départementales est signé de sa main et daté de juillet 1892. Le maître-autel Projet de l'architecte diocésain Hardy. Elévation, Crayon, plume, aquarelle - L. 0,70 m x H. 0,66 m. Daté et signé : juin 1872 A. Hardy. Archives Départementales de Ici Haute-Vienne 30 F' (2). Coupe et plan Daté et signé : A. Hardy juin 1892. Archives Départementales de la Haute-Vienne 30 (2).

En 1891, l'évêque de Limoges appelle l'attention du ministre sur la nécessité d'ériger un nouveau maître-autel en remplacement de celui actuellement en place qui, en marbre, bois, pierre, plâtre et bronze, tombe en ruine et qui, de plus, dans le style romano-byzantin, jure dans l'église ogivale. Le 9 juillet 1892, Hardy, architecte diocésain établit un devis accompagné d'un projet pour cette construction_ L'ensemble en pierre se composait d'un devant d'autel, orné d'arcatures abritant des statuettes, et d'un gradin formé par une série de petites arcatures. Au-dessus du tabernacle prévu en bronze et cuivre ciselé, l'exposition en métal verni était surmontée d'une simple flèche dont les angles étaient garnis de pinacles. Hardy envisageait aussi de réaliser, autour de l'autel, une clôture de pierre : "de même hauteur que le tombeau de Jean de Langeac afin de faire disparaître l'effet fâcheux produit par la disposition irrégulière des tombeaux placés au pourtour du chœur de la cathédrale". Cette clôture constituée par cinq arcades trilobées, couronnées d'une frise découpée, se terminait par deux piles décorées de statues. Le Comité des Travaux jugea ce dessin trop sommaire pour se prononcer. Il reprocha à Hardy de ne pas tenir assez compte du caractère particulier de l'édifice et lui conseilla de prendre modèle sur le maître-autel de la cathédrale de Clermont-Ferrand. En effet, celui-ci de ViolletLe-Duc (1855), conciliant données archéologiques et usages liturgiques, de forme absolument inédite pour l'époque avec son immense ciborium surmonté d'une flèche ajourée flanquée de tourelles, servit de référence par la suite à tous les maîtres-autels néo-gothiques (6). -73-


Projet anonyme Crayon, plume, aquarelle - L. 0,44 m x 0,58 m. Non signé, non doté. Archives Départementales de la Haute-Vienne 30 F7 (2).

Cet autel présente une table portée par des colonnes. Le devant formé de cinq arcatures trilobées contient des panneaux émaillés de couleur rouge et le tabernacle des émaux bleus. Audessus de l'exposition, la flèche ajourée et cantonnée d'anges rappelle étroitement celle du maitre-autel de Clermont. Ce projet anonyme ne fut non seulement jamais adopté mais à notre connaissance jamais examiné par les autorités compétentes. Sa ressemblance par certains détails avec celui de Clermont permettrait peut-être de l'attribuer à Hardy, qui suite aux remarques du Comité des Travaux aurait étudié une nouvelle version. Projet de Lucien Roy Crayon, plume, aquarelle - L. 0,293 m x H. 0,46 m. Mention : face principale. Tampon Lucien Roy, Architecte du Gouvernement, 46, Rue de Berlin. Inscription correspondant ou gradin émaux d'orfèvrerie (ou champlevés) F. les armatures bronze très saillantes au moins 35 % pour que le frottement des canons d'autel ne détruisent pas l'émail/donc enfoncer (?) l'émail/émaux peints nés en 1489 et exist véritablt à partir de 1652. Archives Départementales de la Haute-Vienne 30 (2).

L'architecte diocésain, Lucien Roy, soumet à son tour, dès 1895, un projet. Son devis en date du 1.10.1896 fut accepté et, à quelques détails près, conformément exécuté. L'autel en marbre et bronze, encore en place dans le chœur de la cathédrale mais amputé de son couronnement, est supporté par des colonnes en bronze. Trais bas-reliefs en marbre dont les sujets furent désignés par l'évêque, décorent l'antependium. Le retable rythmé par des arcatures en métal doré ne fut pas réalisé comme le devis initial le prévoyait en émail mais en brèche violette. L'inscription, portée sur le projet, soulignant la fragilité de l'émail peint et précisant la date d'utilisation de cette technique explique sans doute ce changement de parti. Un important dais couronné d'une flèche découpée, semblable à celui de Viollet-Le-Duc, surmonte cet ensemble monumental encore agrandi d'un arrière fond en pierre. La maison Trioullier (Hippolyte Charles) "Orfèvreriebronze-travaux d'art pour églises et édifices publics" fondée en 1680 soumissionna le 12 avril 1897 pour ces travaux qui furent réceptionnés le 7 mai 1898 (7).

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Projet de Lucien Roy — Variantes Calque - plume, encre noire — L. 0,525 m x H. 0,495 m. Mention : Projet de maitre-autel, face principale, face latérale. Dressé par l'architecte diocésain soussigné Lucien Roy - Paris le 16.2,1895. Daté et signé : 16.2.1895 - Lucien Roy. Archives Nationales – F19 7724.

L'architecte envisage deux variantes pour le ciborium du maitre-autel dont la partie basse reste identique. Sur la "face principale", la flèche de même profil que dans le projet précédent diffère uniquement par la richesse de sa décoration alors que sur la "face latérale", c'est un petit clocheton qui surmonte le tabernacle. C. P.

(1) - Arch. Nat, F19 7721. (2) - Cotai. Viollet—le—Duc. Paris, 1980. Recueil d'objets d'orfèvrerie à l'usage du culte fabriqués par L. Bochelet, Paris, Musée d'Orsay. (3) — Cotai. L'art en France sous le Second Empire. Paris 1979. Cotai. Vrollet—Le—Duc. Paris, 1980. (4) - Arch, Nat F19 7721. (5) — Arch. Dép. de la Haute-Vienne. 30 F6. (6) - Cotai. Viollet-Le-Duc en Auvergne. Clermont-Ferrand 1979. Le Maître-autel de la cathédrale de Clermont; J.-M. Lenioud, p. 31-35. (7) – Arch. Nat. F19 7724.

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Le mobilier : la statuaire Caroline PIEL

Cette image de la Vierge spécialement conçue pour cette chapelle du très saint et immaculé Cœur de Marie, véritable mémorial de la définition du dogme, répond à un programme stylistique et iconographique précis. Respectant là encore le principe de l'unité de style, la représentation choisie est celle, fréquente à l'époque gothique, d'une Vierge à l'Enfant. Celle-ci est figurée selon l'iconographie traditionnelle au me siècle d'après un type très répandu dans la première moitié de ce siècle caractérisé par l'attitude de la Vierge, l'agencement des vêtements et le traitement en "tablier" des plis du manteau. La Vierge, couronnée, empreinte d'une douce mélancolie porte l'enfant, tenant le globe du monde, sur son bras gauche. Le hanchement est, ici à peine prononcé et c'est l'effet de verticalité, renforcé par le canon allongé de la statue, qui prédomine.

Mais cette statue néo-gothique présente deux particularités iconographiques qui appartiennent au thème de l'Immaculée Conception en cours de définition depuis la Bulle Ineffabilis du 8 décembre 1854. La Vierge repose sur un socle orné de la tête d'Eve et foule le serpent tentateur. Son exemption du péché originel comme sa victoire sur le mal sont ainsi affirmées alors que sa maternité virginale est symbolisée par la fleur de lys qu'elle tient à la main. Cette figure traduit remarquablement comme la Vierge dite du retour de la cathédrale de Clermont-Ferrand réalisée selon un dessin de Viollet-Le-Duc (1), les préoccupations à la fois archéologiques et religieuses de l'époque qui présida à sa création. Pour l'érection, sur le rocher Corneille, de Notre-Dame de France au Puy fut lancé en 1853 un concours dont le règlement spécifiait l'iconographie de l'œuvre qui devait conjuguer plusieurs thèmes : celui de la Mère de Dieu, de l'Immaculée Conception et de la Reine du ciel. Le projet de Bonnassieux fut retenu juste un mois avant la promulgation du dogme (2). Cette sculpture en pierre calcaire fut exécutée par Martin, statuaire à Paris après l'approbation du modèle en plâtre grandeur réelle pour la somme de 4.400 F. Elle repose sur une console en pierre granitique alors que le dois en pierre de Confions est richement orné. Une -76-


fois sa mise en place dans l'édifice, la Vierge fut polychromée et dorée par Denuelle (3). Le Sacré-Cœur, saint Jean l'Evangéliste, suint Peul, saint Bonaventure, saint Thomas d'Aquin. Statues, pierre polychrome et dorée - Martin - 1861 Chapelle du Sacré-Cœur ou de la Paroisse. Les cinq statues qui dominent l'autel du Sacré-Cœur sont dues au ciseau du même artiste. Le modèle en plâtre d'une des figures, préalablement exécuté, permit de rectifier la hauteur des sculptures insuffisante d'environ 0,92 m. Cette modification et la restauration des parties anciennes des socles, non prévues au devis initial, augmenta le décompte de 600 francs (4). Le Sacré-Cœur est entouré de saint Jean l'Evangéliste portant son attribut traditionnel et de saint Paul tenant le glaive et le livre. Aux extrémités sont représentés deux docteurs de l'Eglise qui vouèrent une dévotion particulière ou Sacré-Cœur : le franciscain saint Bonaventure et le dominicain saint Thomas d'Aquin. Ces statues d'esprit gothique furent, elles aussi, décorées par Denuelle. C. P (1) - Cotai Viollet-le-Duc en Auvergne. Clermont-Ferrand. 1979. (2) - Cotai : Images de la Vierge dans le patrimoine départemental. Le Puy. 1988. (3) - Arch. Nat. F19 7721. (4) - Arch. Nat. F19 7721.

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Le mobilier : l'orfèvrerie Caroline PIEL

Crosse émaillée Argent doré et émaillé (éléments repoussés et rapportés) crosseron - H. 0,65 m x L 0,17 m. Hampe - deux bâtons - H. 1,40 m. Inscription sur le nœud : S : MICHAEL : ARCHANGE LE PARADISI : PREPOSITE : VENI : IN : ADJUTORIUM POPULO : DEI t Poinçons d'orfèvre sur la hampe et sur le nœud : Louis Bachelet. Limoges - trésor de la cathédrale.

Les crosses limousines, dont la production fut importante (1), servirent de modèle aux orfèvres du siècle passé. Ils imitèrent et adaptèrent avec talent les pièces les plus élégantes du mir siècle. Ils en reprirent les thèmes iconographiques copiant les scènes les plus fréquemment représentées : l'Annonciation et le combat de saint Michel contre le dragon.

Le crosseron de la cathédrale de Limoges représente, comme sur la crosse médiévale du Musée de Cluny, saint Michel armé d'un bouclier et terrassant de sa lance le dragon figuré par le serpent même qui constitue la volute. La douille est décorée d'émaux champlevés et le nœud sphérique d'animaux fabuleux. Cette crosse en argent doré exécuté par l'orfèvre Louis Bachelet, qui fournit la garniture de l'autel de la Vierge de la cathédrale de. Limoges, ressemble, à quelques détails près, à celle en cuivre doré dite de Monseigneur Marbeau conservée à l'évêché de Meaux (2). Au Centre de Recherche des Monuments Historiques, un dessin de Viollet-Le-Duc, provenant du fonds de l'orfèvre Poussielgue-Rusand, pour la crosse en bronze doré de Notre-Dame, donne une outre interprétation du même archétype (3). Le modèle est similaire mais l'attitude de [archange, la tête du serpent et le nœud de la crosse diffèrent. Crosse de Monseigneur Desprez Argent Fondu ciselé et dore (éléments repoussés et rapportés) Pierres précieuses. Crosseron - H. 0,475 m x L. 0,20 m. Hampe - Deux bâtons - H. 0,80 ni et 0,70 m, Inscription en spirale sur la douille "Hommage de Denis à son premier évêque Monseigneur Desprez." Poinçons d'orfèvre illisibles 1857-1859. Limoges, Trésor de la cathédrale.

Comme l'indique l'inscription portée sur la douille, -78-


cette crosse fut offerte à Monseigneur Desprez qui occupa le siège épiscopal de Limoges de 1857 à 1859. Au-dessus du nœud, la douille s'élargit pour former une section carrée. Chaque face est ornée d'une niche abritant une statuette d'évangéliste. La volute à double enroulement qui nuit d'un bouquet de feuilles est parsemée de pierres précieuses (améthystes, émeraudes, rubis) et bordée sur la tranche de crochets gothiques. Le reliquaire de la croix Bronze fondu ciselé et doré - Pierres de couleur. H. 0,76 m x L. 0,50 m x I. 0,28 m. Inscription sur le haut de la croix CRUX AVE 1869. Limoges - Trésor de la cathédrale.

A la suppression de l'ordre de Grandmont en 1772, Monseigneur Duplessis d'Argentré distribua les reliques de l'abbaye limousine à diverses églises du diocèse et donna à la cathédrale la plus précieuse de toutes, la relique de la Vraie Croix. Le magnifique reliquaire en vermeil qui abritait le prestigieux fragment disparut à la Révolution et Monseigneur Fruchaud, évêque de Limoges de 1859 à 1871, commanda à l'occasion des Ostensions de 1869 un nouveau reliquaire en bronze doré orné de pierreries (4). Deux figures ailées portent une croix dont la monstrance laisse apercevoir la relique aux fidèles.

Cet objet se rattache au type du reliquaire soutenu par deux statuettes d'anges, connu depuis le milieu du mir siècle et dont celui de Saint-Louis conservé à Bologne constitue sans doute l'exemple le plus célèbre, Cette forme fut bien souvent reprise au XIXème siècle. ViolletLe-Duc et Poussielgue-Rusand s'en inspirèrent pour le reliquaire du Saint-Clou de Notre-Dame de Paris comme en témoignent ta réalisation et le dessin conservé au Centre de Recherche des Monuments Historiques (5). Si la forme de ce crosseron rappelle le Moyen-Age et la douille à décor architectural les grandes crosses orfévrées ou en ivoire du milieu du XIVème siècle, la décoration des niches semble, elle, plutôt relevée du vocabulaire Renaissance.

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Truelle Argent ciselé, anciennement doré manche en ivoire L. 0,22m x. l. 0,07 m. Inscription gravée 23 avril 1876.

Le 12 mars 1876. Bailly se fait l'interprète auprès de l'Administration de Monseigneur Duquesnay qui, disposant déjà grâce aux souscriptions d'une somme importante pour l'achèvement, désire fixer la cérémonie de la pose de la première pierre de la reprise du chantier du 23 avril 1876, jour de l'ouverture des Ostensions. Bien que Bailly n'ait pas unitaire déposé son projet, les travaux étant à la charge de l’évêque et leur mise à exécution pouvant avoir un résultat favorable sur la réalisation de nouvelles souscriptions, cette requête rencontra un accueil favorable (6). C'est donc le 21avr il 1876, premier jour des Ostensions que se déroula avec une grande solennité et un éclat particulier en présence de hautes personnalités et autorités aussi bien religieuses, civiles que militaires cette cérémonie. Monseigneur Duquesnay du haut d'une vaste estrade ornée d'un faisceau d'armes épiscopales bénit la première pierre. Celle-ci excavée pour recevoir dans une boule en plomb des médailles à l’effigie de Pie IX, des médailles de l'Ostension, des pièces de monnaie de 1876 et, dans un tube de verre, le procès-verbal sur parchemin de la reprise des travaux, fut scellée et mise en place par le prélat en personne (7). La truelle commandée à cette occasion porte l’inscription suivante commémorant cette cérémonie : CATHEDRALE DE LIMOGES/L’AN MDCCCLXXVI LE 23 AVRIL/POSE DE LA PREMIERE/DE LA REPRISE DES TRAVAUX/INTERROMPUS DEPUIS LA FIN DU/ XVe SIECLE/PAR MONSEIGNEUR DUQUESNAY/ EVEQUE DE LIMOGES/ MONSIEUR LE DUC DE MAGENTA/ ETANT PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE/ MONSIEUR DUFAUR/ VICE PRESIDENT DU CONSEIL DES MINISTRES/ ET MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES CULTES/MONSIEUR A.H. BAILLY/ MEMBRE DE L'INSTITUT DE FRANCE/ ARCHITECTE DIOCESAIN. C- P. (1) - J.-J. Marquet de Vasselot - Les crosses limousines. Paris 1941. (2) - Catol : Trésors de Seine et Morne. Paris 1988. (3) - Catal : Vioilet-Le-Duc. Paris 1980. (4) - Abbé Arbellot - Cathédrale de Limoges. Histoire et description. Paris 1883, 2' éd. - p. 241-247. (5) - Cotai Viollet-le-Duc. Paris 1980. (6) - Arch. Nat. F197723 (7) - Arbellot, op, cit. p. 263-266.

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Le mobilier : dernières réalisations Caroline PIEL

Siège et prie-Dieu de Monseigneur l'Evêque. Plan - profil du siège - vue de face el profil d'exécution. Encre noire. Mention : dressé par l'architecte soussigné, inspecteur des édifices diocésains - Limoges le 17 novembre 1883, Archives départementales de la Haute-Vienne, 30 F7 (2).

A la demande réitérée de Monseigneur Blanger, Bailly proposa d'exécuter, sur les crédits d'entretien de l'année 1883, le prie-Dieu jamais construit à placer devant la stable de l'évêque. Il dut charger Geay, ingénieur architecte, inspecteur diocésain, d'en établir le projet. Dans son dessin, Geay s'attache à respecter le style du siège d'esprit XVIIIème siècle réalisé en 1839 en même temps que les stalles et à compléter le plus harmonieusement possible cet ensemble surmonté d'un dais provenant de l'abbaye de Saint-Denis, acheté en 1842. Ce prie-Dieu fut exécuté en chêne premier choix pour la somme de 258,67 francs (1).

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Projet de ciborium - Chapelle Sainte-Croix. Plan - façade latérale - façade principale. Encre bleue. L. 0,315 m x H. 0, 515 m. Mention : dressé par l'architecte diocésain soussigné. Paris le 1.7.1895, envoyé le 12.12.1895. Non signé. Archives départementales de la Haute-Vienne, 30 F7(2).

La décoration de la chapelle de l'Invention de la Croix, qui aurait été confiée personnellement par Bailly à Geay, inspecteur diocésain, souleva à posteriori les critiques d'autant plus sévères que les travaux ne donnèrent pas satisfaction de l'Administration. A cette occasion, celle-ci rappela le rôle respectif des divers intervenants : l'inspecteur devant se limiter à surveiller l'exécution des travaux dirigés par l'architecte diocésain (2). Les peintures monumentales réalisées à la demande et aux frais de l'archiprêtre de la cathédrale, l'abbé Leclerc, furent qualifiées de médiocre. Le projet commandé à Steinheil, qui ne peut être que le peintre Adolphe Charles Edouard, fils de Louis Charles Auguste décédé en 1885, fut jugé convenable et accepté sous réserve d'apporter plus de finesse dans les parties formant le principe de la décoration. L'artiste devait très précisément selon le programme iconographique établi par l'archiprêtre (3) peindre sur un mur : "Les principales figures de la Croix que les Docteurs ont signalées dans les livres de l'Ancien Testament : l'arbre de Vie, l'arche de Noé, l'arche d'alliance, la verge de Moïse..." et sur l'autre reproduire les instruments de la Passion de NotreSeigneur Jésus-Christ désignés par les évangiles. C'est sans doute d'après les cartons d'Adolphe Steinheil qu'un certain Latzarus de Limoges exécuta en 1894 ces peintures qu'il signa. Le 11 décembre 1894, Geay écrit à Lucien Roy, récemment nommé, à propos de l'édicule, financé par le clergé, destiné à renfermer la châsse dans laquelle sera conservé les morceaux de la Vraie Croix. Il projette une table portée par des lions ailés surmontés d'un important ciborium néo-gothique à - réaliser en métal ou éventuellement en marbre avec dorure par souci d'économie (4). Son projet, au nom de l'architecte diocésain mais pas signé de lui, daté du 1er juillet 1895, bien qu'il ne fut jamais approuvé, fut adressé pour exécution le 3 mars 1896 à Gleisse, sculpteur à Paris (5). Lucien Roy réagira trop tard. Le reliquaire étant déjà en cours de réalisation, il fut achevé et mis en place dans la chapelle où il se trouve encore aujourd'hui. C. P. (1) - Arch. Nat. F19 7723. (2) - Arch. Nat, F" 7724. (3) - Arch. Nat. F1° 7723. Lettre de l'archiprêtre de la cathédrale du 2 novembre 1890. (4) - Arch. Nat, F'' 7724. Lettre de C.L. Geay à Lucien Roy. (5) - Mention : « envoyé le 3 mars 1896 à Monsieur Gleisse sculpteur, 16, rue Mayer à Paris » porté sur le calque du projet aussi conservé aux archives départementales de la Haute-Vienne 30 F7 (2).

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Le déplacement du jubé Caroline PIEL

Le jubé Renaissance (1) construit vers 1533-1534 sous l'épiscopat de Mgr Jean de Langeac fermait initialement l'entrée du chœur et du transept où se tenaient l'évêque et les chanoines, et où se déroulait la liturgie. Il perdit sa destination primitive et servit alors de tribune à l'orgue lorsqu'il fut remonté au fond des deux travées de la nef, accolé à la paroi provisoire, par Mgr Duplessis d'Argentré en 1789. Il fut altéré à l'occasion de ce transport et mutilé à la Révolution (1793). Les projets d'achèvement de la nef obligeaient donc à le déplacer à nouveau. Ainsi le rapport Boulle de 1838 proposait : "Le jubé adossé au mur provisoire pourrait être replacé à l'entrée du chœur où il était primitivement, ou bien ajusté dans un bras de la croix" (du transept). C'est l'abbé Texier qui émit l'idée dans son rapport du 18 mai 1851 de le rétablir dans la même position, au fond de la nef reconstruite (2). Reprise par Bailly, cette proposition, qui reçut un accord de principe de la part de l'Inspecteur Général Corroyer, fut adoptée. Le transfert de ce jubé, joyau de la sculpture du XVIème siècle, semble avoir beaucoup inquiété l'administration et l'évêque. Corroyer dans son rapport (15-4-1886) (3) demande l'exécution préalable de relevés graphiques, de photographies, et de moulages des ornements fragiles ou mutilés (4). En effet, dès 1885, la prise d'empreinte et une série de moulages furent effectuées pour le musée de la sculpture comparée du Trocadéro par Pouzadoux, mouleur attaché au musée (actuel musée des Monuments Français). Le devis de l'architecte de dépose du jubé en date du 25-11-1887 (5) fut accepté mais restait en suspens le problème de la repose de l'orgue démonté en 1886. Bailly proposa deux solutions qu'il explicita à l'aide de dessins une reproduction du dessin autorisant l'exécution de l'ancien buffet d'orgue en 1840 montrant l'ancienne disposition pouvant éventuellement être reprise, et sa propre proposition établissant un nouvel instrument sur une tribune construite bien au-dessus du jubé et desservie par le triforium (6). Entre les deux solutions, le débat s'enlisa et aucun orgue ne fut jamais remonté. Le 13-4-1888, Giraudon-Delmont, entrepreneurs limousins et Gardien et Cherprenet, sculpteurs, soumissionnent pour le transfert du jubé (7). Toutes les pierres furent repérées et numérotées selon les assises et les emplacements. L'emploi de la pince fut interdit pour éviter les éclats, épaufrures et brisures et le jubé devait être remonté "sans entaille, ni incrustement, ni scellement dans le mur séparant la nef du narthex". Cette opération délicate se révéla d'une extrême complexité d'exécution. La dépose demanda un temps considérable car les pierres tendres très friables se détachèrent avec énormément de difficulté. Les travaux furent en définitive menés à bien mais se soldèrent par un surcoût important (8) et l'Administration des Cultes réclama à l'appui du mémoire détaillé les attachements figurés. -83-


Jubé avant son déplacement dans le fond de la nef Lithographie publiée dans Tripon "'Historique et monumental de l'ancienne province du Limousin". Limoges 1836. T. I p. 125. Arch. Dép. de la Haute-Vienne.

Cette lithographie montre le jubé postérieurement à son déplacement en 1789 par Mgr Duplessis d'Argentré mais avant son installation, en 1888, contre le mur séparant les travées de la nef récemment construites du narthex. La façade ornée du jubé est tournée vers l'est, comme aujourd'hui, et non plus vers l'ouest comme dans la disposition d'origine. Par la porte ouverte, on aperçoit dans le fond, le clocher de la cathédrale encore non relié à la nef.

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Reproduction du dessin annexé à la décision du 3 août 1840 autorisant l'exécution de l'ancien buffet d'orgue : Coupe transversale de la nef - jubé - buffet d'orgues projeté.

Calque, encre noire. Titre : DEPt de la HAUTE-VIENNE - CATHEDRALE DE LIMOGES. Coupe transversale jubé - buffet d'orgues projeté. Modification demandée par le C.d.B.C. Mentions : Vu par nous Ev. de Limoges, le 23 juin 1840. Signé Prosper Le v. de Limoges. Vu par le conseiller de préfecture pour le préfet en tournée. Signé. Vu pour être joint à notre décision en date de ce jour. Paris le 3 août 1840. Le Ministre de la Justice et des Cultes. Pour le Ministre et sur autorisation en l'absence de M. le Directeur de l'administration dir. Culte Catholique. Le chef de la 2e section du Culte Catholique. Signé de la Cour. Date de réception : 10 avril 1888. Arch. Nat. F19 7723.

Le calque représente à son ancien emplacement le jubé ainsi que le buffet depuis l'établissement de l'orgue en 1842. Bailly envisage la possibilité de reprendre, pour éviter les frais d'un nouvel instrument, ces dispositions anciennes au nouvel emplacement.

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Coupe parallèle au jubé - Proposition de Bailly - 1888 Calque, encre noire. Titre : cathédrale de LIMOGES. HALITE-VIENNE. Coupe parallèle au jubé. Dote de réception : 10 avril 1888. Arch. Nat. F19 7723.

Sur cette coupe transversale du mur séparant le narthex de la nef, le jubé est figuré comme étant rétabli. D'après Bailly : "Ce dessin indique non un projet de construction d'un buffet d'orgue mais seulement un tracé sans prétention aucune. C'est-à-dire une indication de la possibilité d'affranchir le jubé de toute construction devant en diminuer le mérite au cas où vous décideriez que l'instrument devrait être adossé au pignon. Car il a été proposé par le clergé de la placer dans une autre partie de la cathédrale en poursuivant l'hypothèse qu'il pourrait être accordé un instrument nouveau plus tard. Je pense qu'à hauteur du triforium, il pourrait être rétabli une tribune construite en bois et en fer sur laquelle reposerait le nouvel instrument". C. P. (1) - Sur le jubé, son histoire, son iconographe... Cf. Annie Cloulos-Brausseau - "Le jubé de la cathédrale de Limages" - Bulletin de la Société Archéologique et Historiques du Limousin – 1963 - p. 101a 189. (2) - Arch. Nat. F19 7721 - Rapport de l'abbé Texier du 18 mai 1851. (3) - Arch. Nat. F19 7723 - Rapport de l'Inspecteur Général Corroyer du 15-4-1886[4) - CF. Supra. note (3). (5) - Arch. Nat. F19 7723 • Devis de dépose et transfèrement de Bailly du 25-11-1887. (6) - Arch. Nat. F19 7723 - Lettre de Bailly du 18-3-1888 et du 10 avril 1888. (7) - Arch. Nat. F19 7723. (8) - Arch. Nat. F19 7723 - Lettre de Bailly du 8.9-1888.

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Les orgues Bruno NOUAILHER

Un demi-siècle avant l'achèvement de la cathédrale, l'évêque de Limoges, Prosper De Tournefort réclame auprès du préfet de la Haute-Vienne, l'établissement d'un orgue pour l'église cathédrale "nécessaire à la pompe et à la majesté du culte, et que cette église cathédrale ne soit plus presque la seule qui en France manque de cet instrument qu'on lui fait espérer depuis près de dix ans". (1) En 1838, le Ministre des Cultes accorde à l'évêque 35.000 F. pour le projet, qui s'élève à 50.000 F., à charge pour l'évêque de fournir les 15.000 F. restants. Le maire de Limoges et le conseil municipal approuvent la demande faite par Mgr Prosper De Tournefort, et joignent leurs sollicitations à celles du clergé, après lecture d'une lettre de l'évêque du 15 juillet 1838 : "j'ai donc l'honneur, Monsieur le Maire, de vous prier d'interposer vos bons offices pour que notre belle cathédrale, une des plus remarquables de France, et la seule dans le vrai genre gothique, ne soit pas plus longtemps dépourvue d'un instrument dont la privation laisse un vide pénible dans l'esprit et le cœur de ceux qui assistent aux cérémonies, surtout à celles qui sont embellies par la présence des autorités..." (2). Le premier projet pour ce nouvel orgue est rédigé par John Abbey, facteur à Paris, au prix de 50.000 F. Beaucoup trop élevé pour les subsides que comptait engager l'Etat (35.000 F.), et l'évêque ne pouvant fournir la différence, Callinet, facteur d'orgue à Paris est chargé d'exécuter un nouveau projet dont la dépense ne s'élèverait qu'à 41.050 F. Le Garde des Sceaux, Ministre des Cultes, désapprouve le dessin du buffet effectué pour ce projet : "il ne m'a point paru que le dessin du buffet fût en harmonie avec le jubé qui doit supporter l'orgue. Il devient donc nécessaire que le dessin de cette tribune me soit adressé afin de me mettre à même de juger de la concordance du style de la nouvelle construction avec les anciennes" (3).

Bien que ce projet fut moins coûteux que le précédent, l'évêque devait encore recueillir 6.000 F. pour atteindre la somme totale. Par délibération du 28 décembre 1839, le conseil municipal accorde pour le nouvel orgue une somme fixe de 6.000 F. payable par quart d'année de 1841 à 1844 : "Vous admettez sans doute, Messieurs, comme l'évêque, l'effet religieux de l'orgue sur les solennités de l'Eglise, celles de notre cathédrale, surtout devront en retirer un caractère de grandeur en harmonie avec celle du monument. Vous admettez aussi l'influence, au point de vue de l'art, de ce puissant instrument, nous sous ce double rapport, nous devons notre concours pour assurer à notre antique basilique cet important ornement" (4). -87-


L'orgue sera placé sur la tribune formée par l'ancien jubé et adossée au mur provisoire qui ferme la nef. Boulle, architecte du département, annonce qu'en raison du peu de place en profondeur pour le placement des tuyaux, l'orgue devra être adossé au mur de façade, et affleurer sur le devant de la balustrade. Dans une lettre à l'évêque de Limoges, il décrit le projet du buffet exécuté par Callinet : "Le buffet aura 9 m de hauteur sur 7 m 40 de largeur et 2 m 50 de profondeur, il sera construit en bois de chêne de première qualité, bien sec, sans nœuds, aubiers, ni gerçures, le buffet sera maintenu par des ferrements d'une force suffisante pour le fixer d'une manière inébranlable. Le buffet sera construit dans le style gothique, imitant le reste de l'édifice, les ornements seront rapportés et peints en couleurs, poli et verni..." (Figure 1).

Mais ce premier projet de buffet néogothique sera abandonné. Dessins et devis sont proposés au Conseil des Bâtiments Publics, qui, à l'exemple de la réticence du Ministre des Cultes pour ce buffet refuse net le projet, et demande l'établissement d'un nouveau buffet néorenaissance. Achille Leclerc, inspecteur général des bâtiments publics, insiste dans un rapport sur la nécessité d'établir un buffet de style renaissance pour le nouvel orgue "en prenant le plus possible les motifs de décoration dans le jubé existant déjà, afin de pouvoir ne présenter qu'un seul ensemble : de cette manière, on obtiendra une unité de caractère, qui produira un meilleur effet, ce qui n'aurait pas été possible d'obtenir avec ce buffet projeté en gothique, qui ne fait pas bon effet, ne se lie pas à la partie inférieure, qui est d'un autre caractère" (5). Le projet est renvoyé à l'architecte, Boulle, pour qu'il réalise un projet de buffet néorenaissant. Boillau, sculpteur sur bois à Paris l'exécute (Figure 2) avec quelques modifications demandées par Mgr l'évêque : le changement des colonnes tournées qui décorent les pieds droits des arcades, pour leur substituer des figurines avec des petites colonnettes ornées; et, le changement du fronton de la grande arcade du centre, pour le disposer, selon le projet avec une figure assise au milieu. Ces figurines de 2 m de hauteur, le roi David, l'évêque Saint-Martial, le pape Saint Grégoire et le roi Saint Louis, sont aujourd'hui exposées dans le narthex. Le 27 août 1842, après 14 ans de sollicitations, le grand orgue de 36 jeux de la cathédrale de Limoges est inauguré en grande pompe. En 1849, dans un rapport au Conseil des Bâtiments Civils, Viollet-Le-Duc qualifie ce buffet "du plus mauvais goût et de l'aspect le plus ridicule" (6). -88-


Un projet de restauration est approuvé en 1861, car l'orgue avait souffert au cours des dernières années, où de nombreuses réparations avaient été faites à l'édifice : poussière, graviers, et débris de matériaux encombraient les sommiers, bouchant les tuyaux et rendant l'orgue difficilement jouable. En 1886, l'orgue est démonté pour l'achèvement de la nef de la cathédrale et ne sera jamais remonté. Jusqu'à la deuxième guerre mondiale, la cathédrale de Limoges ne possédera plus aucun grand orgue; pourtant les Archives Départementales de la Haute-Vienne possèdent deux projets dessinés le 10 avril 1888, pour la réalisation de nouvelles grandes orgues au fond de la nef achevée (7).

Le premier projet (Figure 4) laisse deviner un buffet d'orgue à trois tourelles, deux petites aux extrémités, une de taille élevée au centre, posé comme son prédécesseur sur le jubé du XVIème siècle (8). Mais ce projet est abandonné, vraisemblablement car la tourelle centrale cachait la magnifique rosace, éclairant la nef centrale. Un deuxième projet est alors dessiné, épousant la forme courbe de la rosace, deux tourelles hautes aux extrémités, surélevé par rapport au jubé, et posé sur une balustrade (Figure 5). Il est à noter que l'esthétique du buffet se mariait parfaitement avec le jubé et la rosace de la cathédrale de Limoges. Pourtant ces deux projets ne seront jamais réalisés, très certainement faute de crédits, et le fond de la nef de la cathédrale de Limoges n'offrira à la vue des fidèles, que sa rosace aux couleurs chatoyantes. Signalons tout de même, qu'en 1850, un orgue de chœur sera construit au sein de la cathédrale, avec un buffet sculpté en 1891. Cet instrument est encore debout aujourd'hui. B. N. (1) - A.D.H.V. V59 Lettre du 27 novembre 1837. RIVET (J.) : "Documents, ancien orgue de Io cathédrale de Limoges 1842-1886" B.S.A.H.L T86 p. 491-499. (2) - Ibid. (3) - A.D.H.V. V59 Lettre du 8 novembre 1839 du Ministre des Cultes au Préfet de la Haute-Vienne. (4) — A.D.H.V. V59 Séance du conseil municipal du 2B décembre 1839. (5) - A.D.H.V. V59 Rapport du 31 mors 1840. (6) - A.N. FH1 7121 Rapport de Viollet-Le-Duc au Directeur des Cultes. (7) - M. François Dupoux, titulaire des grands orgues de la cathédrale de Limages, a publié une brochure sur les grandes orgues de la cathédrale pour l'inauguration du grand orgue au mois de juin 1988. (8) - A.D.H.V, 30 F7.

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Composition de l'orgue en 1843 Tierce Cymbale 2 rangs Fourniture 4 rangs Première Trompette 8 (de grosse taille) 2e Trompette 8 Clairon 4

3 claviers manuels-pédalier - 1er clavier, 54 touches, Positif, 8 jeux : Flûte 8 Bourdon 8 Prestant Doublette Plein Jeu à 3 rangs Trompette 8 Clairon 4 Chromorne

- 3e clavier, 37 touches, Récit, 7 jeux Flûte bouchée Flûte ouverte Prestant Trompette de récit Hautbois Voix Humaine Nazard

- 2e clavier, 54 touches, Grand-orgue, 15 jeux : Montre 16 Bourdon 16 Principal 8 Bourdon 8 Dessus de Flûte 37 touches Prestant Grand Cornet 5 rangs Nazard Doublette

- Clavier de pédales, 25 touches, 6 jeux : Bourdon 16 Flûte 16 Prestant 4 Bombarde 16 Trompette 8 Clairon 4

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L'Achèvement : Aspects administratif et financier Jean-Michel LENIAUD Ce qui singularise l'opération d'achèvement de la cathédrale de Limoges, c'est l'importance des financements privés, c'est-à-dire des fonds de provenance ecclésiastique. Certes, la cathédrale de Bayonne a-t-elle bénéficié au milieu du siècle d'un don important fait par l'armateur Lormand à la fabrique, la cathédrale de Quimper a-t-elle vu l'érection des flèches occidentales grâce aux initiatives de Mgr Graveran tout cela n'a pas l'ampleur des travaux de Limoges. C'est plus de 600.000 F que produits de souscriptions, ressources des établissements publics ecclésiastiques tels que mense épiscopale, chapitre, fabrique, ont apportés à la réalisation de l'opération, soit près de 80 % du total. Ce n'est qu'à partir de 1882 que l'Etat participe aux travaux - à l'exception d'un crédit de 100.000 F réparti sur trois annuités - : il le fait alors à 50 %, ce qui lui permet d'accaparer la maîtrise d'ouvrage jusqu'alors assurée par l'Œuvre et, en ces temps anticléricaux, de rappeler les droits régaliens sur les cathédrales (1). Que l'Etat n'ait versé guère plus de 330.000 F à l'opération, cela n'est guère étonnant : l'opération n'était pas considérée comme prioritaire; elle intervenait dans un contexte de récession budgétaire et surtout elle faisait suite à une importante tranche de travaux visant notamment la reconstruction de la partie ancienne de la toiture, qui avait coûté à l'Etat, de 1846 à 1853, 373.050 F. Il est en revanche remarquable qu'un diocèse aussi pauvre que celui de Limoges ait répondu aussi largement à la souscription, même si celle-ci n'a pas produit autant que ce qui était attendu - à cet égard, une analyse serrée de l'origine des fonds permet trait de savoir si ceux-ci provenaient de dons locaux (2) ou de générosités extérieures : l'ampleur permet néanmoins de supposer un élan d'enthousiasme dans la population et peut-être de ferveur religieuse. Au plan technique et administratif, les travaux obéissaient à la procédure des Edifices diocésains, telle qu'elle avait été mise au point depuis 1848. Le concordat avait confirmé le principe révolutionnaire de la nationalisation des cathédrales au profit de l'Etat, mais avait mis primitivement l'entretien de celles-ci à la charge de budgets départementaux. Sous la Restauration, une ligne financière fut introduite au budget des cultes, entraînant le lancement de travaux plus considérables, qui furent assujettis au régime général des travaux conduits par la puissance publique : c'était au conseil des bâtiments civils que l'administration des cultes faisait appel pour juger des projets; c'étaient des architectes locaux, généralement les architectes départementaux, choisis de concert par le préfet et l'évêque, qui dirigeaient les opérations. Fortement critiqué par les amateurs de l'archéologie médiévale, notamment Mérimée et la commission des monuments historiques, ce système administratif, largement décentralisé en fait, fut profondément modifié pendant la seconde République : le conseil des bâtiments civils perdit toute compétence; les architectes diocésains étaient désormais recrutés par le ministre; l'administration s'entoura des conseils de la commission des arts et édifices religieux, puis à partir de 1853, du comité des inspecteurs généraux; créa un service de contrôle destiné à vérifier, avant le lancement des travaux, l'exactitude des devis au point de vue estimatif et quantitatif.

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A partir des années 1880 et durant la période au cours de laquelle fut achevée la cathédrale de Limoges, le service des édifices diocésains fut sévèrement critiqué, moins pour des raisons relatives à la politique religieuse du moment que du fait de la crise que traversait alors la fonction publique, dont les agents étaient victimes d'une baisse de pouvoir d'achat et d'une certaine dévalorisation de leurs fonctions. Du coup, furent dénoncés le mode de recrutement des architectes, la cooptation, le népotisme; les cumuls abusifs entre les fonctions de vérificateur libéral et d'agent de l'Etat, la gérontocratie de l'inspection générale, l'impossibilité de dialoguer pour faire entendre son point de vue avec celle-ci, la pratique des inspections générales croisées, consécutive au cumul des fonctions d'inspecteur général et d'architecte diocésain. On instaura donc un concours de recrutement sur épreuves; on réforma dans la mesure du possible le contrôle. Les restrictions budgétaires qui intervinrent aussi firent le reste. Un à un, les grands chantiers s'arrêtèrent et furent remplacés par des opérations d'entretien à la fois plus discrètes et moins rémunératrices. Pour ce service en crise, le chantier de Limoges posait un problème : par l'importance du financement qu'il apportait, le clergé se donnait les moyens d'intervenir dans la maîtrise d'ouvrage, en étudiant les prix, en participant au choix des entreprises, en surveillant l'architecte. On observe le même phénomène à Nantes dont le clergé correspond avec celui de Limoges pour échanger des informations sur le mode d'intervention du diocésain. C'est un acteur nouveau, l'utilisateur, qui apparaît dans cette pièce où jouent à guichet fermé, devant un public d'archéologues et de sociétés savantes quasi inexistant, l'administration et son architecte. A Limoges, les choses rentrèrent rapidement dons l'ordre, à partir de 1882: avec une participation financière accrue, l'Etat reprenait ses prérogatives. La Séparation, en supprimant les moyens financiers du clergé, fit le reste. J.-M. L 1) - L'ensemble de la dépense s'est élevé à 1.141.362, 99 F dont 802.426,89 provenant de souscriptions et 338.926,11 F au cumul des fonctions d'inspecteur général représentant le concours de l'Etat. (2) - Un comité d'administration et des comités paroissiaux se forment en 1873; chaque paroisse est divisée en six sous-sections chargées de recueillir les fonds à domicile. Cf. chapitres : « Achèvement de la cathédrale et conjoncture ecclésiale » et « Le financement diocésain ».

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Le financement diocésain de l'achèvement. Bruno NOUAILHER Le financement des travaux d'achèvement de la cathédrale de limoges, dû, non seulement à un effort considérable du diocèse, mais aussi à des quêtes dans toute la France apparaît dans "le bulletin de l'œuvre de l'achèvement de la cathédrale" (supplément à la semaine religieuse 1873-1885). En soixante et onze numéros, du 25 février 1873 au 17 septembre 1885, ce bulletin retrace les dons importants et les encouragements des autorités ecclésiastiques pour supporter le poids financier des diverses campagnes d'achèvement de la cathédrale. "Tous vos diocésains vont se mettre l'œuvre, une vaste souscription sera ouverte, les offrandes afflueront; le riche, le pauvre, les prêtres, les adolescents et les enfants, tous apporteront leur tribut, tous engageront, dans cette œuvre, et leur âme et leur cœur." C'est par cette lettre, datée du 25 février 1873, du Cardinal Archevêque de Bordeaux à l'évêque de Limoges, Monseigneur Duquesnay, que débute le bulletin de l'œuvre (1). Un comité d'administration et des comités paroissiaux se forment. Chaque paroisse est divisée en six sous-sections chargées de recueillir les souscriptions à domicile. Une véritable toile d'araignée est tissée à travers la ville et le diocèse, et la première souscription pour l'achèvement de la cathédrale est lancée par Mgr Duquesnay. Partant de l'idée que des souscriptions de 50 à 100 francs, répétées pendant 10 ans, feraient tout de suite des sommes considérables, l'évêque envoie à chaque souscripteur une lettre pour lui demander son aide. Les prêtres, les fabriques, collèges, écoles, communautés de religieuses, hospices, confréries, ne sont pas oubliés, et, au produit de la souscription locale vient se joindre l'argent récolté par les paroisses parisiennes, les dons d'autres régions, et, les subventions versées par le gouvernement. "Prêtres du diocèse de Limoges ! votre évêque compte sur vous tous, sur chacun de vous. Ce sont vos aînés qui du XIIIème au XVIème siècle ont construit la cathédrale actuelle; vous leurs frères et les héritiers de leur sacerdoce, vous l'achèverez au XIXème siècle. Donnez l'élan, et, soyez en sûrs, on vous suivra" (2). Pendant dix années, l'évêque devra relancer le zèle de ses prêtres à obtenir des dons, stimuler la générosité des souscripteurs qui rechignent à verser les sommes qu'ils ont promises, tant qu'ils ne verront pas l'édifice en passe d'être achevé. Le départ est laborieux, études et plans de construction nécessitent de l'argent. L'évêque est obligé de distribuer des faveurs aux généreux souscripteurs : "tout chef d'un corps collectif, communauté, confrérie,... qui serait arrivé à réunir 100 francs de souscription aurait droit à l'abandon d'un dixième en faveur de son église ou de son œuvre, et cela autant de fois qu'il verserait une somme de mille francs" (3), et de rappeler à l'ordre certains curés qui n'ont toujours pas constitué de comités dans leur paroisse: "On est prié de ne pas oublier qu'il y a une ordonnance épiscopale à cet effet, et par conséquent l'obligation de tout faire pour l'exécuter" (4). Sur 469 paroisses du diocèse, 275 ont établi des comités paroissiaux mais il en reste 194 à créer. Au 5 juin 1873, les sommes souscrites par les donateurs atteignent 179.668 francs, mais les sommes réellement versées seulement 54.291 F., soit 30,21 % du montant global souscrit (5). D'autres moyens d'attirer des dons pour l'achèvement de la cathédrale sont envisagés. Un concert vocal et instrumental est donné dans -94-


les salons de la Persévérance, rue des Clairettes; une vente de charité est organisée pour recueillir de nouveaux fonds, et secouer les paroissiens qui s'impatientent, ne voyant pas les travaux commencer. Le 29 juin 1874, l'Assemblée Nationale refuse de voter un crédit spécial au budget pour commencer les travaux, les fonds réunis par l'évêque n'étant pas suffisants. Le pape, Pie ix, encourage pourtant de ses vœux, l'œuvre d'achèvement de la cathédrale "Nous accordons aux fidèles qui, par leurs pieuses largesses, s'appliqueront à concourir à l'œuvre susdite une indulgence de sept années et autant de quarantaines dans la forme accoutumée de I Eglise, avec la faculté de l'appliquer pur voie de suffrage aux fidèles défunts" (6). Le 14 octobre 1875, la 47e liste de souscriptions fait apparaître un total de 458.235 F. pour les sommes souscrites, et 222.854 F. de sommes versées, soit 48,63 % du montant souscrit. Georges Ardant, secrétaire du comité d'administration, achète un portefeuille de valeurs à la Société Générale pour essayer de rentabiliser les sommes versées, et annonce qu'au total 1007 personnes ou établissements religieux ont pris part à la souscription. Mais un nouveau problème frappe "l'œuvre" quarante bienfaiteurs de l'œuvre sont décédés depuis le début de la souscription. Les familles des défunts, vont-elles continuer les versements annuels effectués par leur parent ou arrêter les dons offerts pour l'achèvement ? Des lettres d'encouragements leur sont adressées pour les inciter à tenir l'engagement pris. Le 20 juillet 1876, les travaux réels n'ont toujours pas commencé. Les souscripteurs s'impatientent, et le doute fait place à la mauvaise humeur, malgré les appels de confiance lancés par l'évêque : "Un travail sérieux se fait, et pour être en fait dans le silence du cabinet (plans, dessins...), il n'en est pas moins certain" (7). Enfin le 26 octobre 1876, les travaux préliminaires sont prêts, et un nouvel appel est lancé aux souscripteurs récalcitrants : "Nous adressons un appel spécial aux souscripteurs qui s'étaient réservés de ne commencer à solder leur souscription que lors de l'exécution des travaux. Or, les travaux sont commencés, la démolition des vieux murs et des hangars s'opère, les déblais se font en même temps_ les chantiers s'organisent" (8). Bailly, architecte, indique un minimum de trois ans pour les travaux, et un montant de 600.000 francs pour construire deux travées. L'œuvre possède 300.000 F. en caisse, les souscriptions à terme ou subordonnées à l'ouverture des travaux atteignent 200.000 F., il reste donc 100.000 F. à trouver. A l'automne 1877, le Ministre des Cultes accorde une subvention de 102.000 F., et la construction de la troisième travée est entreprise, l'évêque comptant sur de nouvelles souscriptions vu le bon déroulement des travaux. Le 22 juin 1882 la première souscription pour l'œuvre de la cathédrale, commencée en mars 1873, voit arriver la dernière échéance de ses annuités. Sur 562.000 francs de sommes souscrites, 520.000 F. ont été versés effectivement, soit 92,5 %. Dix années d'efforts, de rappels, de sollicitations diverses ont permis, avec l'aide de l'Etat, de clore une première campagne de travaux grâce aux dons importants des diocésains, sans qui cet achèvement de leur cathédrale n'eût été possible. -95-


Mais une deuxième campagne est nécessaire pour terminer définitivement la cathédrale, raccorder la tour-clocher à la nef. Le comité des Cultes à Paris accorde un crédit de 400.000 francs, le diocèse doit trouver la même somme pour achever intégralement la cathédrale, y compris les sacristies. Une deuxième souscription est ouverte par Mgr Pierre Henri Lomazou (sacré évêque de Limoges le 29 juin 1881), continuée par Mgr Blanger (1883-1887). Les dons des diocésains s'épuisent, mois continuent à alimenter les caisses de l'Œuvre. Une grande vente de charité est organisée au printemps 1886, dans les salons et jardins de l'évêché, et rapporte environ 500.000 francs (Figure 2). Mais l'argent récolté n'est pas suffisant. Treize ans après le début de l'œuvre de l'achèvement de la cathédrale, l'évêque de Limoges demande encore aux souscripteurs, un dernier effort : 'les souscripteurs un peu incrédules qui ne devaient payer qu'à la fin des travaux, voudront bien comprendre que le moment de s'exécuter est arrivé, enfin, les personnes qui n'auraient pas encore donné leur concours à cette grande œuvre, peuvent encore s'inscrire au nombre des bienfaiteurs" (9). Après quinze ans d'efforts du diocèse sous les épiscopats de trois évêques, Mgrs Duquesnay, Lamazou, Blanger; Mgr Renouard sacré le 25 juillet 1888 évêque de Limoges, est intronisé le 8 août, au son d'un oratorio composé par messieurs Henri et Baju "Stéphane, diacre, premier martyr", dans la cathédrale de Limoges enfin achevée. B. N. (1) - « Bulletin de l'œuvre de l'achèvement de la cathédrale de limoges » déposé à la Bibliothèque Municipale de Limoges. Supplément à la Semaine Religieuse 18731885. (2) - « Bulletin... » op cit p. 11. (3) - Ibidem p. 18. (4) - Ibidem p. 29. (5) - Ibidem p. 74. (6) - Ibidem p. 300. (7) - Ibidem p. 366. (8) - Ibidem p. 405. (9 - "La Semaine Religieuse de Limoges", avril 1888 p. 315

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Organisation de l’Œuvre de l'achèvement de la cathédrale de Limoges

§ III. Avantages de la souscription.

§I. Organisation des Comités.

Art. 8. Tous les souscripteurs auront part aux indulgences, et grâces spirituelles accordées par Notre Saint-Père le Pape et par Mgr l'Evêque.

Article 1er. Un Comité central est institué dans notre ville épiscopale, sous notre présidence ou celle de nos vicaires généraux, pour s'occuper des moyens à prendre en vue d'arriver à l'achèvement de la Cathédrale de Limoges.

Art. 9. Le saint sacrifice de la messe sera célébré à perpétuité pour tous les souscripteurs vivants ou morts : deux fois par semaine ces deux messes seront dites par le Chapitre de la Cathédrale.

Art. 2. Dans chacune des paroisses du diocèse, par les soins et sous la présidence de M. le Curé, sera formé un comité paroissial dans le même but. Ce Comité, outre le Président, aura un Trésorier, et, si l'on veut, un Secrétaire; les autres membres seront collecteurs ou collectivités, et, en cette qualité, chargés de provoquer les souscriptions et de veiller à leur acquittement régulier.

Art. 10. Les souscriptions de 2.000 fr. et au-dessus confèrent le titre de Fondateur; les noms des Fondateurs seront gravés sur le marbre ou l'airain dans l'une des chapelles de la Cathédrale agrandie, et un diplôme constatant ce titre leur sera délivré. Les souscriptions de 1.000 fr. jusqu'à 2.000 fr. exclusivement confèrent le titre de Bienfaiteur insigne, et les noms seront ajoutés aux noms des Fondateurs. Les souscriptions de 50 fr. jusqu'à 1.000 fr. exclusivement confèrent le titre de Bienfaiteur; les noms des simples Bienfaiteurs seront inscrits sur un tableau qui demeurera suspendu dans l'une des chapelles.

Art. 3. A la fin de chaque mois, le Président du Comité paroissial recevra du Trésorier les fonds versés ou les souscriptions consenties, et les transmettra au Trésorier lu Comité central : ces envois devront être adressés à 'Evêché sous notre couvert (1).

Art. 11. Les familles peuvent foire inscrire comme fondateurs, bienfaiteurs insignes, ou simples bienfaiteurs, leurs défunts. Il suffira pour cela de verser la somme affectée à ces titres.

§ II. Organisation des souscriptions. Art. 4. Toutes les souscriptions, quel qu'en soit le chiffre, sont reçues avec reconnaissance.

Art, 12. Tout chef d'un corps collectif, paroisse, confrérie, communauté, collège, famille, etc..., ayant souscrit ou fait souscrire pour la somme de 1.000 fr., outre le titre conféré ou corps, pourra retenir le dixième de la souscription. soit 100 fr., qui seront employés aux besoins de son église ou de SC/ chapelle. Ce dixième lui sera acquis autant de fois qu'il aura versé de 1,000 fr.

Art. 5. Les souscriptions peuvent être payées au comptant, en cinq ou dix annuités. Art. 6. Les souscriptions sont personnelles; elles ne passent aux héritiers qu'autant qu'ils y consentent, et, dans ce cas, ils jouissent des avantages indiqués ci-après.

Art. 13. Toute personne travaillant à gagner des souscriptions à l'œuvre aura droit à toutes les grâces spirituelles cidessus indiquées, et de plus aux titres qui lui seront conférés dons la mesure des souscriptions gagnées.

Art. 7. Les souscriptions sont individuelles ou collectives. Un conseil de fabrique, une confrérie ou corporation, une communauté, un collège, une famille, peuvent souscrire out aussi bien qu'une personne particulière.

+ ALFRED, Evêque de Limoges. Par Mandement de Monseigneur.

L. MARÉVERY, Chanoine, Secrétaire général.

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Repères chronologiques Thierry SOULARD Chronologie des restaurations - 1842, P.-P. Chabrol, architecte. Série d'études préliminaires sous l'épiscopat de Mgr de Tournefort... - 1844-46, élaboration de projets; intervention de Mgr Buissas, évêque (18441856). - 1846, adjucation du chantier à Thircuir, entrepreneur parisien. Les échafaudages sont posés. - 1847-1848, notice archéologique de l'abbé Texier sur la cathédrale. Vanginot inspecteur des travaux pour l'architecte. Reprise des contreforts, des soubassements, les terrasses sont dégagées. Remplacement des gargouilles. Réfection complète des toitures. - 1849, pose des balustrades. Rapport favorable de Viollet-Le-Duc, inspecteur pour la commission des édifices religieux. - 1850, restauration et achèvement du pignon nord du transept. Réfection d'un contrefort de la face sud du transept. Dallage des terrasses. - 1851, réfection complète du pignon sud. - 1852, fin des travaux. (Travaux de moulure et d'ornementation). Début de la restauration intérieure : les tapisseries et les boiseries sont ôtées du chœur, et on démolit le mur qui s'élevait entre les colonnes du chœur. Chronologie de l'achèvement - 1838, projet de l'architecte départemental Boulle. - 1849, projet de Viollet-Le-Duc, adopté par Chabrol, non réalisé. - 1875, rapport de Bailly sur l'achèvement de la cathédrale, ordonné par Wallon, ministre de l'Instruction Publique et des Cultes, sur demande de l'évêque de Limoges. - 1876, autorisation d'entreprendre les travaux, avec le seul financement du diocèse; projet limité à une travée. Choix de l'entrepreneur : Giraudon de Guéret pour le gros-oeuvre, 60 ouvriers sur le chantier. - 1877, deux travées sont prévues. Subventions de l'Etat. - 1878, l'achèvement complet est lancé trois travées et un narthex réunissant la nef à la tourporche. Dégagement préalable des constructions occupant l'espace jusqu'à la tour. - 1879, sculpture des chapiteaux du triforium; étais posés autour de la tour (inquiétude de la population quant à la stabilité...); travaux stoppés l'hiver. - 1880, réalisation du porche ou "narthex", avec estampages, réseaux de baies aveugles... "les pierres du dais au-dessus des statues du porche ont dû être posées afin de ne pas interrompre la maçonnerie. Elles ont été épannelées comme celles des contreforts et la calotte évidée d'après ce même modèle"; exécution des voûtes du porche, de la lunette centrale, de l'escalier de la tour. Interruption des travaux pour l'hiver, mais ils ne reprennent pas, pour des raisons, financières avant septembre 1881; recherche de subsides. - 1881-1883, les travaux avancent au ralenti (contreforts, rose exécutée à moitié, début des nervures de la voûte centrale). - 1884, comble en fer choisi. Sculpture ornementale, moulages de rosaces de la Sainte—Chapelle de Paris, modèles envoyés par Corbel, sculpteur parisien à Gardien et Cherprenet, sculpteurs à Limoges. -99-


- 1885, les travaux touchent à leur fin, mais les ressources aussi ! - 1886-1887, couvertures et dallages des terrasses au-dessus de la nef et des chapelles; dallage intérieur du sol de la nef; par mesure d'économie, les chapelles sont cimentées. Achèvement des contreforts, pinacles, lucarnes, vitraux... - 1888, le jubé est déplacé, le mur fermant les deux anciennes travées de nef est démoli- 12 août 1888, consécration solennelle du nouvel édifice. T. S.

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Notes Bibliographiques Jean-Michel LENIAUD Thierry SOULARD

Pierre-Prosper CHABROL, ARCHITECTE DIOCESAIN. - né le 1er Février 1812 à Limoges. - élève de l'architecte Achille-François René LECLERC (1785-1853) (lui-même formé par Percier, Ecole des Beaux-Arts, Grand prix de Rome, qui, parallèlement à une carrière de membre du Conseil des Bâtiments Civils et de restaurateur, avait ouvert un atelier d'architecture dès 1815). - 1837-1860, réalise la construction de l'église, l'école et la salle d'asile de la Grand-Combe, diocèse de Nîmes. - 1839, chargé de la reconstruction de l'Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort. - 1842, architecte des diocèses de Tulle et de Limoges; restaure les deux cathédrales. - 1845-1858, aménagement de l'Ecole Vétérinaire de Lyon. - 1849, architecte du Palais-Royal qu'il restaure jusqu'en 1860; exécution de la façade du Théâtre Français et du grand foyer. - 1852, chargé de la Manufacture des Gobelins, du Monument de la rue d'Anjou. - 1852-1859, construction du Grand Séminaire de Tulle. - 1853, reçu la Légion d'Honneur. - 1873, architecte du Mobilier National. - 9 Mars 1875, décédé, alors qu'il venait de commencer le Grand Séminaire de Limoges.

Antoine-Nicolas BAI LLY, ARCH ITECTE DIOCESAIN. - Né à Paris en 1811. Son père, employé à l'administration des postes, le destina dès sa jeunesse à l'architecture. - étudie à l'Ecole des Beaux-Arts sous la direction de Debret puis de Duban. - voyage en Italie. - 1850, architecte des diocèses de Bourges, de Valence, de Digne; chargé de la cathédrale de Bourges, en 1853 de l'évêché et du séminaire (jusqu'en 1886); restaure l'hôtel Jacques Cœur. - 1854, inspecteur des travaux de Paris. (participé à l'achèvement de l'ancien Hôtel de Ville, à la construction de la fontaine Molière). - 1854, construit la tour de la cathedra IF. romane de Valence (jusqu'en 1875); reconstruit la cathédrale de Digne. - 1875 à 1886, architecte diocésain de Limoges. - 1883 à 1886, chargé de Notre-Dame de Paris. - Edifié à Paris, le tribunal de commerce (1860-1865), la façade du Lycée Saint-Louis (1861-1865), la mairie du IVème arrondissement, le Crédit Foncier, les tribunes de Lonchamps, les hôtels du prince de MontmorencyLuxembourg et du marquis de Ganay... - Reçu la Légion d'Honneur en 1853, officier en 1868, commandeur en 1881. - Membre de l'Institut en 1875 (Académie des Beaux-Arts, succède au fauteuil de Labrouste). - 1881, Fondateur et Président de la Société des Artistes français. - 1886-1888, Président de la Société Centrale des architectes. - 1891, Président de l'Académie des Beaux-Arts. - Décédé le 31 décembre 1891. -101-


VANGINOT, INSPECTEUR. - 1846, attaché aux travaux du diocèse de Limoges. - 1848, inspecteur des édifices diocésains; surveille les restaurations de la cathédrale. - 1856, architecte du département de l'Aveyron, et conservateur des édifices diocésains de Rodez. - 1857, démissionne de Limoges. - 1862, architecte diocésain de Rodez, soutenu par Viollet-le-Duc qui le désigne comme "une des victimes du Limousin". - 1877, mis à la retraite. BOULLANGER, INSPECTEUR. - né en 1840. - 1857, succède à Vanginot. - 1876-1881, surveille les débuts de l'achèvement. - décédé le 11 mai 1881. GEAY, INSPECTEUR. - né en 1843 à Saint-Georges-de-Didonne. — ingénieur des Arts et Manufactures. - 1868, architecte à Cognac - 1881, inspecteur des édifices diocésains de Limoges. - décédé en 1898. J.-M. L. et T.S.

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N° I.S.B.N. en cours Achevé d'imprimer sur les Presses de l'Imprimerie Montibus Meilleur Ouvrier de Fronce 87400 Saint-Léonard-de-Noblat 4e trimestre 1988.

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