CONSTRUCTION ET RECONNAISSANCE DES BARRIOS URBAINS DU VENEZUELA Teolinda Bolívar
1995 – Les Annales de la Recherche Urbaine Nª 66. París Marzo (pp. 80 – 87)
CONSTRUCTION ET RECONNAISSANCE DES BARRIOS URBAINS DU VENEZUELA Teolinda Bolívar Au Venezuela, environ la moitié du nombre total de logements construits en 1990 ont été édifiés sur des terres occupées illégalement, appartenant en général soit à la nation et aux municipalités soit à des personnes physiques ou morales1. Une faible proportion des occupants est propriétaire du terrain où le logement est construit. Ce cadre bâti auto-produit constitue les barrios urbains. L'occupation de terrains, l'auto-production de logements et leur aménagement, par le biais d'une collaboration entre l'Etat et les usagers, ont permis aux sans-logis à faibles revenus d'avoir un logement, notamment au cours de la deuxième moitié de ce siècle (Bolívar, 1989 et Bolívar et Rosas, 1994). Les processus d'occupation des terres urbaines ont acquis une importance croissante, quantitative et qualitative, au cours du processus d'urbanisation du pays. Les premiers barrios ont été construits au cours des années quarante et cinquante, et leur nombre a varié selon l'importance de la ville et des possibilités d'emploi. A Caracas, la capitale, les barrios remontent aux années trente (Bolívar et Rosas, 1994). A cette époque, les barrios étaient peu nombreux, mais ils n'ont cessé de croître et aujourd'hui, selon les chiffres officiels du "inventario" national de barrios, 41 % de la population y habite (Fundacomun, Ocei, 1993). Bien que la moitié environ des familles urbaines vive dans des barrios et que ces barrios aient été construits sur des terrains n'appartenant pas à ceux qui les occupent, aucune reconnaissance légale n'est encore intervenue à ce jour. Dans certains cas, plutôt rares, les propriétaires des constructions ont acheté le terrain. Néanmoins, la plupart des barrios de Caracas se trouvent en dehors des lois et des réglementations qui régissent les constructions urbaines (Bolívar, 1987 : 207-208). Même si la récente "Ley organica de ordenacion urbanistica" (1987) permet d'intégrer les barrios à la structure urbaine des villes et métropoles, les plans d'urbanisme les ignorent encore. C'est pourtant une partie incontournable de la ville. Ces personnes qui transgressent les lois et réglementations urbaines ont, dans la pratique, créé, voire imposé, des modes et des mécanismes de construction des métropoles contemporaines, produisant une situation de pluralisme juridique (Azuela, 1994). La coexistence du formalisme étatique et des us et coutumes de la construction des villes pèse sur les habitants des barrios urbains. En effet, la pleine jouissance du statut de citoyen n'exige pas seulement la propriété légale du terrain sur lequel s'élève le logement, mais encore d'autres conditions liées au respect des formalités et exigences de la construction urbaine. Par exemple, les terrains doivent se trouver dans le périmètre autorisé, être conformes au zonage, être dotés de services publics et d'équipements urbains. Etapes dans la construction des barrios Au Venezuela, l'inexistence de terrains à bâtir susceptibles d'être acquis par les familles non solvables et sans abri, mais devant construire leur propre logement, amène celles-ci à faire l'aménagement du terrain en même temps qu'elles réalisent la construction du foyer-maison. Les deux chantiers sont menés de front comme un binôme, dans un délai impossible à déterminer à l'avance2. Le processus d'évolution de ce binôme peut être divisé en trois étapes principales : 1. Occupation du terrain et construction de la baraque de "possession" ou l'amorce du chantier d'un barrio de ranchos. 2. L'aménagement du terrain et la viabilisation des terrains par les habitants du barrio, en même temps qu'ils entreprennent la construction de leur maison. 3. La construction des voies de communication avec l'aide des organismes d'État et la poursuite des chantiers de construction des logements.
Le cas des barrios de Caracas Le type de barrio le plus courant à Caracas est celui situé sur des terrains en pente parfois supérieure à 40 %. Le sous-sol est constitué de roches qui se météorisent sous l'action des agents atmosphériques aussi bien que sous l'effet des constructions de baraques, transformées, avec le temps, en maisons "liées à la colline comme le calice à sa tige". De loin, l'ensemble forme un paysage pittoresque... Ces maisons représentent un défi pour les techniciens qui décrètent l'impossibilité de construire sur des terrains de colline (Bolívar et al., 1994), dont la pente est supérieure à 40 %3, et qui ne paraissent habitables que par les chèvres4. Le processus de peuplement toujours plus dense des barrios de Caracas (Bolívar et al., 1994) peut paraître surprenant au lecteur5. Les agents de la construction des barrios Les trois agents ou groupes d'agents6 principaux pour la construction des barrios sont les suivants : les chefs d'occupation des terrains dont nous décrirons le rôle en prenant comme exemple le cas d'un personnage qui a participé à la création de sept barrios à Caracas7; Le groupe d'agents constitué par l'organisation des habitants viabilisateurs et les hommes et les femmes constructeurs de leur maison; L'agent puissant ou les organismes publics qui représentent l'État. Sont assimilés à l'État les propriétaires de terrains qui, devant le sol occupé, peuvent demander le délogement des "squatters" ou laissent l'occupation se développer afin d'en tirer quelques avantages. Les chefs de l'occupation ou caciques8 La personne qui prend en charge la direction de l'occupation des terrains, la distribution des parcelles et la création de la Junta de barrio, etc. peut être appelée urbanizador, expression utilisée au Venezuela pour désigner le promoteur-aménageur qui s'occupe du marché du sol urbain9. Son origine n'est pas identique dans toutes les occupations; dans certains cas, le promoteur-aménageur peut être un organisme de l'État. Cependant, parmi les configurations que nous avons connues, un personnage nous semble particulièrement représentatif des mécanismes complexes de la production de barrios dans ses rapports avec l'Etat vénézuélien. L'homme que nous prenons en exemple n'est pas un être exceptionnel. Il a les traits d'autres chefs d'occupation de terrains, qui ont agi à différents moments de la vie du pays et qui peuvent être militants de parti - comme notre acteur - mais pas nécessairement. (Plus de détails dans Bolívar, 1987 : 314-324). L'étude menée par Montano (1980 : 202), présente le cas d'un autre chef d'occupation qui a fondé quelques barrios à Caracas, parmi lesquels le barrio Julian Blanco. En 1970, à Valencia (troisième ville du Venezuela), nous avons rencontré un chef d'occupation de terrains qui était en train de fonder le barrio "La Castrera", au sud de la ville. Selon les informations recueillies à ce moment, le chef agissait aussi à Maracaibo (deuxième ville du pays). Souvent les familles sans-abri qui cherchent un lopin de terre pour construire leur habitation n'ont pas le courage, l'astuce ou les connaissances du métier de la construction nécessaires pour entreprendre de faire un barrio. Ces familles ont besoin d'une personne qui puisse les aider à surmonter les difficultés de l'occupation initiale, leur donne le courage d'habiter les baraques bâties sur des terrains d'occupation. Au Venezuela, l'État ne permet pas l'occupation des terrains, mais il la tolère en agissant d'une façon subtile à l'aide d'intermédiaires, semblables au chef d'occupation que nous venons de décrire, et de quelques familles qui réalisent l'occupation des terres, l'aménagement et la viabilisation. Les "urbanisations" qui en résultent sont remarquablement réalisées par les agents précités, qui ont créé des mécanismes à la mesure de leurs possibilités et de leurs nécessités, selon le cas. Les habitants producteurs du cadre bâti Un barrio c'est la mouvance, c'est la création culturelle, c'est la lutte; il se situe au coeur du processus de transformation. Chaque pierre, pour parler en termes de construction, a demandé une forme spécifique d'intervention. Les associations dénommées "juntas comunales"10 ne sont qu'une des multiples formes d'organisation mises en place par les habitants, pour assurer la promotion et la réalisation d'un minimum d'aménagement et de viabilisation du terrain occupé.
Parmi les diverses associations créées pour la construction des barrios, certaines ne fonctionnent que sous la direction d'un leader. Celui-ci peut appartenir à la population du barrio concemé, mais il peut aussi lui être extérieur, par exemple, le leader d'un parti ou membre d'un organisme d'aide aux habitants des barrios. Le caractère de l'association dépend d'une part, du problème à résoudre et de l'autre, de la marque que le dirigeant lui imprime. Les problèmes à résoudre sont toujours nombreux, si bien qu'on commence normalement par résoudre ceux qui sont classés comme "absolument prioritaires". Parfois, l'initiative de chercher la solution à un problème émane des habitants eux-mêmes. Parfois, ce sont les organismes publics qui se chargent de mettre sur pied des programmes d'amélioration des barrios. L'organisation des habitants du barrio peut changer selon les étapes de construction. Après l'occupation, cette organisation peut agir en tant qu'entrepreneur-aménageur. Son existence est une condition exigée par les organismes publics pour aménager le barrio, elle fait participer les habitants aux chantiers collectifs; elle peut varier selon les conjonctures et d'un barrio à l'autre. Parfois, la "junta" est constituée à l'initiative d'une personne. Croire que les organisations auxquelles participent les habitants ont une direction élue, révèle une méconnaissance de la réalité du barrio. L'organisation créée pour remplir une tâche précise, peut disparaître une fois que celle-ci est terminée. En général, les dirigeants des habitants des barrios connaissent le fonctionnement des organisations des barrios et des groupes; ils savent comment résoudre leurs contradictions internes. Ils créent des mécanismes propres de financement, aussi bien pour les opérations communes que pour les travaux particuliers. Ils savent également profiter des relations et des conjonctures politiques. Pendant les campagnes électorales, par exemple, le nombre de revendications des habitants des barrios augmente, ainsi que les réponses leur donnant satisfaction. Les fonctions réalisées par les organisations des habitants sont notamment : maître d'ouvrage, maître d'oeuvre, chef d'équipe VRD, manoeuvre. Au fur et à mesure que les divers services sont construits, l'organisation peut s'occuper d'autres activités comme la culture, les sports et la défense du cadre bâti créé. Lorsque le barrio est consolidé, le but principal des organisations est de le défendre lorsque le terrain occupé est revendiqué pour l'expansion de la ville. L'existence d'un barrio n'est pas, en effet, considérée comme un obstacle pour la réutilisation d'une zone de la ville. Le motif principal de l'existence des organisations des barrios est la production et la sauvegarde de l'espace construit des barrios11. L'État viabilise, remodèle et démolit. L'État agit par le biais d'organismes publics qui interviennent aussi bien dans la viabilisation des terrains occupés par les barrios et dans leur démolition, que dans la construction de logements sociaux (appelés relogements temporaires ou "baraques"). Les caractéristiques des organismes créés changent selon la conjoncture politique et économique. Un organisme peut être éliminé d'une période gouvernementale à l'autre, même si le parti au pouvoir est resté le même, à cause de divergences au sein du parti. La création à chaque changement de gouvernement de nouveaux organismes semble assurer l'homogénéité politique des fonctionnaires qui interviennent dans la construction d'ouvrages ou dans le remodelage des barrios. L'amélioration des conditions de vie des pauvres permet la reproduction du système politique et social, et peut assurer l'hégémonie d'un parti politique. Les similitudes entre les interventions sont évidentes par contre, les différences sont plutôt des nuances dans la façon de réaliser les interventions. L'existence d'organismes d'intervention dans les barrios depuis la chute de la dictature, confirme l'hypothèse que les barrios sont nécessaires et par conséquent tolérés, malgré leur existence en dehors des réglementations urbaines en vigueur. La participation des habitants des barrios dans les opérations d'aménagement et de viabilisation des terrains occupés vise surtout à la paix sociale. Les "caciques" ou chefs d'occupation qui osent occuper les terres rendent un service à la société parce qu'ils surmontent l'obstacle le plus difficile à la création des barrios. L'État n'est pas impliqué, de sorte qu'il ne se mêle pas ouvertement à une affaire contraire à une de ses obligations : la sauvegarde de la propriété privée. Le nombre de procédés mis en oeuvre pour assurer la création et la reproduction des barrios est inimaginable. Nous considérons qu'entre les sans-abri et les organismes publics (surtout ceux qui s'occupent d'intervenir dans les barrios), se tisse une sorte de toile d'araignée, parfois complète et très nette, parfois abîmée par l'intervention des agents des groupes dominants (police ou propriétaires qui défendent leurs terres).
Les sans-abri peuvent travailler individuellement ou collectivement à la construction des quartiers. Ils sont des agents clef dans la production du barrio. Les conditions dans lesquelles se développent les chantiers les obligent pratiquement à accepter les conditions des organismes publics qui ont le capital nécessaire à la réalisation des ouvrages collectifs, comme par exemple, les réseaux. Bien que les travaux collectifs soient parfois refusés, dans la pratique, ils travaillent les week-end comme l'exigent les chantiers collectifs. Sans l'acceptation des habitants, les barrios n'existeraient pas; ils n'existeraient pas plus si l'État n'avait pas créé les mécanismes pour les doter de certains services. La propriété et la citoyenneté dans les barrios Notre appréhension de la réalité complexe des barrios urbains vénézuéliens ne nous permet pas encore de tirer des conclusions définitives quant aux répercussions de la non-propriété du terrain, sur lequel les habitants des barrios construisent leur logement, notamment sur leur condition de citoyens (Bolívar et Baldó, 1995). Les habitants des barrios se considèrent dans la pratique comme des "citoyens de seconde classe", voire de "troisième classe". Indépendamment du fait qu'il existe certains barrios dans lesquels la propriété du terrain revient à l'usager, les habitants des barrios sont considérés comme des "marginaux" transgressant les lois et réglementations urbaines, puisqu'ils ont occupé des terres ne leur appartenant pas; ils violent la "Ley de ventade parcelas" (1960) et leur terrain ne fait l'objet d'aucun permis de bâtir, qu'il s'agisse d'édifications urbaines ou de logements destinés aux secteurs de la population à faibles revenus. Dominants et dominés tolèrent cette situation, voire la perpétuent selon leurs intérêts. Pour les uns, il s'agit de garantir la "paix sociale" ou de faire du prosélytisme politique; pour les autres, c'est encore la meilleure manière de satisfaire leur besoin de logement, améliorant celui-ci progressivement et allant jusqu'à le négocier12. Comme l'affirme Briceño León (1995) : "La propriété de la terre n'est pas une valeur dominante. La propriété du logement est très importante. La propriété de la terre n'est dominante ou déterminante que si elle conditionne la possibilité de construire et surtout la possibilité de négocier". A cet égard, la non-propriété est néfaste pour les occupants lorsqu'elle les empêche de transformer le rancho en logement décent, de le négocier, ou lorsqu'elle entraîne l'expulsion. Dans de nombreux cas, les occupants emploient divers artifices pour qu'ils soient autorisés à transformer le rancho en une construction en dur (blocs de ciment, tôles pour le toit, etc.). Ils négocient, par exemple, avec les policiers qui les empêchent de construire; ils arrivent à un arrangement avec les autorités ou avec les propriétaires fonciers. Dans tous les cas connus, lorsqu'une menace de déguerpissement pèse sur un barrio, les occupants réagissent en organisant leur contestation et leur lutte quotidienne, et cherchent le soutien de politiciens, d'universitaires, etc. C'est peut-être là un indice à suivre si l'on souhaite connaître à fond - dans ses divers aspects - la signification réelle de la propriété de la terre dans les barrios et la diversité d'attitudes qui tendent à varier tout au long de la vie des individus. Comme l'a affirmé Tosca Hernandez (1995), lors du séminaire de recherche sur "La propriété de la terre et les barrios de ranchos", tenue à la FAUUCV en 1986 : "Le contexte territorial de notre réflexion est l'Amérique latine, qui a hérité de la civilisation occidentale et avec elle de l'État et du droit modernes, mais où les villes, les barrios et la propriété de la terre revêtent des caractéristiques très particulières, du fait d'un processus de peuplement propre aux pays où se conjuguent de manière diachronique différents ordres historiques. C'est là que se pose le problème et que se centre toute notre attention : des barrios qui, au sein de l'État de Droit, naissent, se développent et se consolident. Des barrios dans lesquels les logements n'ont pas nécessairement pour support de légitimité et d'échange la propriété de la terre ou du sol sur lesquels ils s'élèvent, mais qui comptent avec le consentement de l'État lui-même. Tel est le paradoxe qui fait que des non-propriétaires finissent par accéder à un espace, à une maison dans la ville, en auto-construisant (à l'instar de l'individu, une maison naît, croît et se développe), en créant des droits et en résolvant des conflits par la seule force du besoin de subsistance; et tout cela au sein d'un système juridique particulier, dans une société où le système politique s'est érigé en facteur primordial d'intégration sociale". La propriété de la terre ne revêt une importance pour l'occupant que lorsqu'est mise en cause la propriété de la construction, lorsque l'occupant voit menacé le territoire urbain qu'il s'est approprié et où non seulement il s'est fait une place pour vivre avec sa famille, mais encore il a investi les épargnes de toute une vie. Cet argent, l'occupant l'a transformé petit à petit en "propriété immobilière" qui, bien que non permise et non dotée des conditions minimales d'habitabilité, peut être négociée pour un prix qui augmente au gré des règles du marché des logements de barrios. Cela n'est évidemment possible que dans une société comme la nôtre, tolérante, permissive et caractérisée par le pluralisme "juridique". Pour certains habitants de barrios, être propriétaire de la terre revêt une importance extrême; pour d'autres la possession de facto est suffisante pourvu que le risque d'expulsion soit nul. Quand peut intervenir une expulsion? Les habitants des barrios n'en savent rien, habitués qu'ils sont - après tant d'années de lutte pour fonder le barrio et en prendre possession à vivre en terre étrangère, qu'elle appartienne à la nation, à la municipalité ou à un particulier. Néanmoins, la possibilité d'être délogé existe toujours pour tous les habitants de barrios, qu'ils soient propriétaires ou non. C'est donc bien une insécurité latente que vivent ces habitants. Il ne faut pas perdre de vue que les barrios sont invisibles sur les plans d'urbanisme élaborés dans les bureaux publics par des planificateurs qui rêvent d'un système urbain fonctionnant selon des rationalités inexistantes dans notre société.
S'il est vrai que les barrios ont conquis leur légitimité à force de luttes collectives de la part des usagers et à force d'années de travail afin d'améliorer tant l'environnement que les constructions elles-mêmes, leur place dans la ville, leurs conditions de centralité (Lefebvre, 1970 : 122) ne les rendent pas moins vulnérables. De telles conditions les construisent, mais les détruisent aussi. Ce risque pourrait constituer la raison d'être de la lutte en faveur de la propriété du lopin de terre conquis. Un titre de propriété du terrain et de la maison donne des droits que n'offre pas l'occupation de facto. Le traitement dont doit faire l'objet un propriétaire ressemble davantage à celui du citoyen normal qui habite une zone de la ville visible. Par ailleurs, devenir propriétaire peut également grever sérieusement le revenu familial de tous ceux qui, auparavant, n'avaient à payer aucun impôt et autres redevances. Ne pas prendre ce fait en compte, dans le processus de régularisation, peut conduire à une forme indirecte de pression pour que surviennent des changements de localisation dans la ville ou la métropole. Il faut savoir qu'aujourd'hui, même sans titre de propriété, les déménagements d'un barrio à un autre sont monnaie courante, d'autant plus que c'est là le modus vivendi de nombreux individus qui prennent le risque d'occuper une terre et la revendent à d'autres, moins téméraires, qui en ont besoin. Il est par conséquent permis d'affirmer que, pour les habitants des barrios, l'obtention d'un titre de propriété n'est pas en soi synonyme d'équité. L'inégalité sociale qui se traduit, dans les villes et la capitale vénézuéliennes, par les conditions d'habitabilité appelle des transformations profondes qui vont bien au-delà de l'octroi de la propriété de la terre. Cependant, il faut être conscient du fait qu'entamer un processus de régularisation ou de reconnaissance des barrios urbains entraîne nécessairement la solution du problème de propriété territoriale, solution qui doit aller dans le sens des intérêts des "hacedores" de barrios. Comme l'indique judicieusement la Déclaration de Salvador de Bahia (1992), L'accès des pauvres au sol urbain : nouvelles approches en matières de politique de régularisation dans les pays en développement, il existe différentes façons d'assurer l'appropriation légale des terres occupées. Selon certains auteurs comme Chombart de Lauwe (1979 : 141), il convient d'encourager l'appropriation psychologique et l'éloignement de l'insécurité que vivent les habitants des barrios urbains vénézuéliens. Le slogan revendicatif "Tous propriétaires" est issu des groupes dirigeants. Lorsque les dominants décident pour les dominés ce qui leur "convient", ces derniers ne sont pas encouragés à construire le projet qui leur convient le mieux. La reconnaissance des barrios urbains est certes importante, mais nous ne sommes pas d'avis que soient imposées des solutions qui vont permettre au capital financier de se frayer un nouveau chemin, celui de l'octroi de prêts aux habitants des barrios. Même s'il s'agit du processus le plus long et le moins conforme aux intérêts des politiciens de parti, nous prônons un processus d'information et de prise de conscience au sein des barrios afin de mobiliser tous les habitants concernés : propriétaires, locataires et cohabitants. De cette manière, il sera possible de mettre au point le projet à réaliser en inventant avec les personnes concernées. Cela contribuerait au réveil de l'espoir parmi tous ceux qui, tous les jours, sont condamnés au silence, puisqu'ils sont privés de la possibilité de s'exprimer. Dans le projet de reconnaissance des barrios, le général ne doit pas effacer le particulier mais conserver les vertus de la création de l'environnement auto-produit par les habitants qui ont conquis la ville.
-------------------------------------------------------------------------------1. Au Venezuela, on les appelle couramment des propriétaires fonciers urbains (Terratenientes urbanos). 2. Voir à ce sujet Bolívar 1987 : 187-309. 3. Une équipe de techniciens du Bureau métropolitain de planification urbaine de la ville de Caracas a mis sur pied une proposition qui envisageait de permettre l'urbanisation des terrains de collines pouvant être occupés par des familles qui cherchent un lopin de terre. Cf. Oficina Métropolitana de Planeamiento Urbano. División de Investigación básica, Départemento de investigación. Nora Pachano de Rivero, Aracelys de Guardia, 1985. 4. Au Venezuela on dit "terrain bon pour les chèvres" pour exprimer les conditions d'impropriété au développement urbain de certains terrains en forte pente avec des plis ou cassures qui reçoivent les eaux de pluies des pluies souvent longues et intenses. (Des eaux qui peuvent devenir rapides et qui sont parfois agents de mort et de destruction). 5. Equipe responsable : Ana Díaz de Tenreiro (architecte), Eyra Matos, Iraida Montaño (sociologues), Betty Cabrera (assistantsociologue), Teolinda Bolívar (conseillère). Institut national du logement (1975).
6. Dans une première version de ce texte (Bolívar, 1987) nous avions utilisé la notion d'acteur; nous l'avons remplacée par le terme d'agent qui nous paraît mieux adaptée à ce que nous voulons exprimer. Pour cela, nous avons utilisé l'analyse de Christian Topalov, 1994. 7. Ce résultat que nous présentons nous a encouragé à poursuivre la recherche sur les agents dans la production des barrios de ranchos. Grâce au financement du Conseil national de la recherche scientifique du Venezuela (CONICIT) et de l'Université Centrale du Venezuela, Faculté d'Architecture et Urbanisme, nous avons publié un travail qui porte sur "L'analyse des divers agents qui participent aux processus d'urbanisation des barrios de ranchos à Caracas" : "Los agentes sociales articulados a la produccion de los barrios de ranchos" (Contribucion a la discusion), Bolívar, 1989. 8. Pour son rôle important dans l'occupation des terres et non dans le sens péjoratif du terme. 9. Nous avons analysé le cas d'"urbanizadores" au Venezuela et pris en compte trois configurations : - Les promoteurs d'urbanisations qui s'occupent de trouver le terrain, d'obtenir le financement et de vendre les lotissements urbanisés. Pour l'aménagement la viabilisation etc., ils passent un contrat avec des entreprises de construction. - Les promoteurs propriétaires des terrains qui s'occupent de fournir les terrains les projets le financement. Néanmoins ils laissent la construction et la vente à d'autres agents. - Les promoteurs et propriétaires des terrains qui reçoivent d'institutions hypothécaires une aide pour le financement de l'opération; pour le reste, ils peuvent agir comme dans le cas ci-dessus. Pour plus de détails voir Teolinda Bolívar, Alberto Lovera, 1982. 10. Ces associations ont plusieurs dénominations. Nous avons des informations sur l'existence d'organisations d'habitants dans les barrios de Caracas depuis la dictature de Pérez Jiménez dans les années 50. A ce moment-là et malgré la "Guerre aux ranchos", elles disposaient d'agents pour revendiquer la viabilisation des barrios. De plus nous gardons le souvenir de "Juntas pro defensa" avant et après la chute du régime militaire de Pérez Jiménez. Néanmoins le développement des organisations d'habitants dans les barrios coïncide avec les premières années de démocratie jusqu'à présent. 11. Nous aboutissons à cette conclusion après des années d'observations et d'interventions dans les barrios de Caracas et en nous appuyant sur diverses études publiées, notamment les suivantes : Bolívar 1987; Mazzei, 1984; INAVI, 1975; Montaño, 1980; Posas, 1984; Machin, s.d. 12. Au fil des ans il n'est pas surprenant que le logement amélioré et agrandi serve à assurer des revenus supplémentaires. -------------------------------------------------------------------------------RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES Azuela A., "Pluralismo juridico en las ciudades del mundo subdesarrollado", Convocatoria del Taller sobre Espacio Urbano y Derecho, Oñati, Euskadi, 28-29 de abril 1994. Bolívar T., "Les quartiers de "ranchos" de Caracas", in Paul-Henry Chombart de Lauwe, Transformations de l'environnement des aspirations et de valeurs, Paris, Editions du Centre National de Recherche Scientifique, 1976, pp. 26-42. La production du cadre bâti dans les barrios à Caracas... Un chantier permanent! Thèse de doctorat, Paris, Université de Paris XII, 1987. "Los agentes sociales articulados a la producción de los barrios de ranchos (contribución a la discusión)", Coloquio Vivienda, ndeg. 1, revista CDCH, 1989, pp. 143-163. Bolívar T. y Baldo J. (comps.), La question de los barrios. Homenaje a Paul-Henry Chombart de Lauwe, Caracas, Monte Avila Editores Latinoamericana, 1995. Bolívar T., Cilentosarli A. y Hernandez T. (coordinadores), Barrios y Propiedad de la Tierra. Una discusión, Caracas, 1995. Bolívar T. y Lovera A., "La industria de la construcción en Venezuela", in E. Pradilla (comp.), Ensayos sobre el problema de la vivienda en América Latina, 1982.
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