La fabrication de logements sous le prime de la promotion immobilière privée

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LA FABRICATION DE LOGEMENT

SOUS LE PRISME DE LA PROMOTION IMMOBILIÈRE PRIVÉE



Cécile FOUCREAU, formation HMONP 2017-2018 sous la direction de Maëlle TESSIER à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Nantes, MSP au sein de l’agence Archibuild


REMERCIEMENTS Je tiens à remercier particulièrement Maëlle Tessier, pour ses conseils avisés, son suivi immuable et sa bonne humeur constante. Je souhaite remercier également les enseignants de cette session HMONP, Fabienne Legros, Jacques Boucheton, et l’ensemble des intervenants pour le contenu très riche qu’ils nous ont apporté au fil des séminaires. Merci aux professionnels qui ont pris le temps de répondre à mes questions et avec qui j’ai pu échanger au cours des différents entretiens : Sabrina Ziane, autour d’un thé à la menthe aux Folies, Etienne Chevreuil devant un café rue du Banquier, Chloé Corbennois qui a eu la gentillesse pendant son congé maternité de me répondre et me recevoir, Eric-Emmanuel Rettgen, sous les combles d’un immeuble haussmanien du deuxième arrondissement de Paris, et Alexandre Bangou dans le quartier des Halles. Bien évidemment, l’aide de Rémy et d’Arthur m’a été très précieuse au long de cette année, eux qui ont toujours répondu présent les mercredi soir pour m’aider à comprendre ce monde de la promotion immobilière qui m’était relativement étranger et qu’ils tentent tout deux d’intégrer. Un remerciement aux deux associés François-Xavier Barade et Bertrand Grisez de l’agence Archibuild où j’ai pu effectué ma MSP. Un grand merci à Simon, pour sa patience infinie, son implication complice et sa présence rassurante tout au long de ce mémoire. Pour finir, je souhaite remercier une fois de plus mes parents pour m’avoir accompagnée une dernière fois dans mes études.

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PRÉAMBULE « Fonds d’investissements privés, promoteurs immobiliers, exploitants, investisseurs, et j’en passe. Depuis plus d’un an que je suis ce projet, il m’est toujours difficile de trouver ces termes parfaitement intelligibles. Ils pourraient être au moins séduisants phonétiquement! Mais c’est justement ce flou qui éveille ma curiosité. Pourquoi autant d’acteurs gravitent-ils autour d’un projet de 120 logements ? Qui sont les acteurs qui participent à cette grande mise en scène de la promotion immobilière ? Et nous, architectes, quel rôle avons-nous à jouer ? J’ai l’intuition que les logements que l’on nous demande de dessiner aujourd’hui sont des logements « sans habitant » ». Extrait de carnet personnel, octobre 2017 Ma première intuition, sur ce sujet de mémoire nait d’un sentiment d’incompréhension face aux logiques à l’œuvre dans la fabrication des logements aujourd’hui. Plusieurs facteurs entrent en jeu : le fonctionnement du type d’agence dans laquelle je travaille, la pluralité d’acteurs impliqués, et la complexité du montage financier et législatif de l’opération que je peux suivre quotidiennement. Ces éléments, qui fondent mon intuition, se rejoignent en un point commun : ils attestent tous une division maximale des tâches à effectuer pour mener à bien l’opération, afin de conférer à chacun un rôle bien spécifique. Mon ambition serait alors de comprendre le monde de la maîtrise d’ouvrage privée, et plus précisément la promotion immobilière dans le secteur privé, pour mieux lui répondre ou du moins tenter d’en saisir les logiques afin d’y faire face - en tant que future professionnelle.

« En marché privé c’est un peu la loi de la jungle. » 1 1

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Entretien avec Etienne Chevreuil, associé dans l’agence Tectone, Paris 13e.

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- MÉTHODOLOGIE Lectures : La littérature ayant trait à la promotion immobilière est assez riche. Il m’a fallu une certaine rigueur pour sélectionner les lectures intéressantes sur le sujet. La diversité des ouvrages consultés 2 m’a permis de croiser mes lectures afin d’éclaircir au mieux des notions qui m’étaient jusque là inconnues. De surcroît, mon expérience professionnelle a fait écho à mon travail de terrain, ce qui me permit souvent d’enrichir mes propos. De manière spontanée, le sujet sur lequel je m’intéresse pour ce mémoire fut l’occasion de me pencher plus sérieusement sur la scène architecturale contemporaine. Il me paraissait essentiel de rester « connectée », et curieuse quant aux diverses façons de fabriquer le logement en France aujourd’hui. Enquête: Depuis la genèse du projet de 120 logements à Asnières, ma responsable m’a tout de suite intégrée aux réunions avec la maîtrise d’ouvrage. L’opération pour le compte de Pitch Immobilier sur laquelle je travaille à l’agence a est au fondement de ce travail. Depuis maintenant deux ans, je suis ce projet de près. J’ai donc de bons contacts avec les différents acteurs du projet. Je compte mettre à profit ces relations pour comprendre et analyser les motivations et objectifs de chacun autour de cette opération et les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres. De plus, il a été convenu avec mon employeur que ma présence sur cette opération devrait se prolonger jusqu’au chantier. Actuellement en d’appel d’offre, cette étape est enrichissante pour analyser les rapports de force entre maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, et entreprises. L’aspect financier étant bien évidemment l’enjeu essentiel de cette phase, je peux alors appréhender l’ensemble des étapes du montage d’une opération de cette taille. Entretiens : Les différents entretiens réalisés me permettent de dresser un état des lieux non-exhaustif de la fabrication de logement, de comprendre quels en sont les processus, d’étudier les acteurs qui gravitent autour de ce marché, ainsi que les moyens de la promotion immobilière privée pour produire du logement. J’ai fait le choix de m’entretenir avec des professionnels faisant partie de la maitrise d’œuvre et de la maitrise d’ouvrage, pour avoir des avis divergents, me permettant alors de comprendre au mieux les relations entre promoteur et architecte. 2 Thèses, recueil d’entretiens, rapport scientifiques, ouvrages, etc. se référencer à la bibliographie

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Du coté de la maîtrise d’ouvrage : entretiens avec différents responsables de programme chez des groupes immobiliers (PITCH promotion comme promoteur, COGEDIM en tant qu’exploitant, IN SITU promotion), entretiens avec des étudiants de l’E.S.P.I Ecole Supérieure des Professions Immobilières (un alternant en responsable de programme chez IN SITU promotion, un alternant en master de l’ingénierie finance immobilière). Du coté de la maîtrise d’œuvre : entretiens avec des architectes (chef d’agence ou chef de projet) réalisant naturellement des logements commandités par la promotion immobilière privée. Les sujets abordés étaient : contrats, honoraires, relations avec leurs clients et à quel type de maîtrise d’ouvrage ont-ils affaire ? Quel état de la profession aujourd’hui ? Quel état de la production de logement aujourd’hui ? Pour une compréhension plus large il m’a semblé nécessaire de m’entretenir avec des professionnels de l’urbanisme, pour saisir comment le projet s’inscrit dans l’échelle urbaine et comment les pouvoirs publics peuvent avoir un rôle à jouer (ou pas) dans ces opérations de logements collectifs. J’ai eu la chance de rencontrer également un responsable d’établissement bancaire, qui m’a dressé un état des lieux sommaire des différents dispositifs de défiscalisation pour le logement en France et cet entretien m’a permis d’éclairer quelque peu ces notions. J’aurai également aimé pouvoir m’entretenir avec un représentant de l’Ordre des Architectes, qui aurait pu apporter un regard extérieur et dégager une vision d’ensemble sur ces sujets. Malheureusement, je n’ai pas eu la possibilité de le faire, faute de temps. Personnes interrogées pour la rédaction de ce mémoire : - Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim, dans le pôle Résidence Service, le 19/04/2018 - Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity, le 01/05/2018 - Eric-Emmanuel Rettgen, directeur de l’agence de promotion immobilière InSitu, Paris 2e, le 27/04/2018 - François-Xavier Barade, associé de l’agence Archibuild, le 20/08/2018 - Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, le 20/04/2018 - Sabrina Ziane, chef de projet chez Mimram, le 29/04/2018 - Rémy Jacq, ancien étudiant en alternance à l’ESPI et aujourd’hui responsable de programme junior chez InSitu (dates récurrentes) - Arthur Sar, ancien étudiant en alternance à l’ESPI et aujourd’hui responsable de programme junior chez Auchan immobilier (dates récurrentes) - Manon Cole et Marie Ghiringhelli, toutes deux étudiantes de l’Ecole d’Urbanisme de Paris, stagiaires l’une dans l’association Grand Roissy et l’autre chez Grand Paris Aménagement - etc.

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TABLE DES MATIERES REMERCIEMENTS• 4 PRÉAMBULE• 5 MÉTHODOLOGIE• 6 TABLE DES MATIÈRES• 9 INTRODUCTION• 10

I.

LA PROMOTION IMMOBILIÈRE, ACTEUR INCONTOURNABLE DE L’APPAREIL DE PRODUCTION DE LOGEMENT 14 15 • mise en perspective historique b • une maitrise d’ouvrage spécifique 19 c • les moyens pour financier la fabrication de logement en France 23 a

• loi de défiscalisation relatives à la promotion immobilière • différence entre investisseurs et accédants

23 25

d • la promotion immobilière privée et les objectifs de rentabilité : bénéfices et acteurs 27

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II.

LA FABRICATION DE LOGEMENTS : QUEL DIALOGUE ENTRE PROMOTEURS ET ARCHITECTES? 42 la question du contrat •• un rapport de force déséquilibré

a

vers un appauvrissement de la qualité des logements?

• les honoraires justement calculés? • des temporalités imposées • les grands oubliés du contrat

43

45 45 47 49

b • état des lieux de la production de logement 51 • un logement bien réalisé, mais à petit prix! 51 • l’impossible réduction des coûts du logement en France? 51 • la durabilité pour les bâtiments selon les logiques de la promotion immobilière 53 • tout pour la façade! 53 • réflexion sur la place de l’humain 57 c • penser les causes de l’appauvrissement de l’architecture : un partage de responsabilités 59 • la promotion immobilière et ses acteurs 61 • les pouvoirs publics 63 • les architectes 63

III.

DE POSSIBLES ALTERNATIVES? • 66 a • transmission des valeurs de l’architecture, un moyen facile d’agir efficacement 67 b • d’autres modèles au sein de la promotion immobilière c

alternatives •• les des passerelles possibles

• d’autres modèles • l’habitat participatif

69 73

73 75 83

POUR CONCLURE• 90 LEXIQUE• 92 BIBILIOGRAPHIE• 94 TABLE DES ILLUSTRATIONS• 97 CARNET DE BORD• 99

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INTRODUCTION

Fig 1 :Relations promoteur/architecte, le chat et la souris, illustration personnelle, en référence à l’ouvrage Tibert et Romuald

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Aujourd’hui, le constat qui s’impose concernant la fabrication de logements en France, c’est que la commande privée a pris le pas sur la commande publique, de l’Etat ou des collectivités. Les acteurs qui régissent le monde de la promotion immobilière s’érigent comme les principaux interlocuteurs des architectes. Mais connaissons-nous réellement la diversité et la complexité des facettes de cette profession qui incarne pourtant un acteur incontournable dans le marché du logement en France ? Répondre à cette question c’est aussi comprendre avec qui nous travaillons. Les logiques sous-jacentes portées par la promotion immobilière privées induisent souvent une perte qualitative importante pour l’offre de logements. Certains promoteurs limitent le rôle des architectes aux dessins de façades, les privant de la conception de l’espace intérieur et du suivi de chantier, au détriment de la qualité des espaces intérieurs et des espaces publics souvent. La profession déplore cet état de fait, puisqu’elle voudrait continuer à défendre l’intérêt général contre des raisonnements purement financiers. Or, très souvent, l’objectif de rentabilité prend le pas sur la qualité architecturale et cela se ressent sur les formes de l’habiter. Ce mémoire cherche à analyser un type de construction bien particulier : les logements collectifs. Ce choix d’étude n’est pas le fruit du hasard : premièrement, dans le milieu professionnel au sein duquel j’évolue, mon quotidien est de concevoir des logements en VEFA3, et deuxièmement, parce que les logements sont un reflet des modes d’habiter contemporains, et un objet d’étude pertinent pour penser la ou les manières de faire la ville aujourd’hui, etc. La réflexion autour du logement sous le prisme de la promotion immobilière questionne la façon de concevoir les logements et tout le système qui le fabrique. L’émergence de la promotion immobilière comme un acteur central dans la production de logements invite à étudier les interactions qui façonnent et régissent le marché du logement en France, et la place que les architectes sont désormais en mesure de tenir au sein de ce marché. Dans ce contexte, les tenants et les aboutissants des objectifs que se fixent les promoteurs, leurs outils pour créer des logements en masse, etc. sont des points sur lesquels chaque architecte devrait se pencher. Ouvrir le dialogue entre les architectes et les promoteurs, afin de mieux répondre aux attentes de ces derniers, ne serait-ce pas un élément essentiel afin de suivre un programme dicté, tout en préservant les intérêts de chacun ? Une bonne compréhension de nos clients, aussi complexes soient-ils, serait peut-être la clé pour répondre au mieux aux commandes souvent rigides des promoteurs tout en essayant de concevoir une architecture responsable, qualitative et durable4. Dans un premier temps, il s’agira donc de faire un état des lieux de la promotion immobilière. Il semble essentiel de savoir d’où et dans quel contexte elle prend naissance, tout en ré-interrogeant la place du promoteur dans l’histoire de la production de logement en France. Le contexte historique dans lequel la promotion immobilière s’est peu à peu érigée comme un acteur majeur est primordial pour notre étude, dans le but de comprendre l’évolution à la fois du rôle attribué aux pouvoirs publics et de la législation concernant ces groupes immobiliers, bien implantés dans le monde de la construction en France. Nous nous intéresserons également aux acteurs gravitant autour de la promotion immobilière qui permettent le bon fonctionnement de cet appareil de production de logement. La fabrication des logements en France est un processus de production ou des moyens 3

(Pour tous les sigles et vocabulaire spécifique, un lexique est à retrouver en fin de mémoire.)

VEFA : vente en l’état de futur d’achèvement, représente une manière de construire et de vendre des logements pour la promotion immobilière. Elle représente un marché privé, appelé aussi communément le marché gré à gré, du diffus, etc. Ces notions sont retrouvées plus tard dans ce mémoire. 4 La notion de durabilité d’un bâtiment est développée plus tard dans ce mémoire. Nous utiliserons ce terme selon l’acception qu’en donne Aurélien Taburet, in Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain, Thèse de doctorat pour l’obtention du diplôme de doctorat « Géographie sociale et régionale, sous la direction de Jacques CHEVALIER et Cyria EMELIANOFF (Université du Maine Espaces et Sociétés (ESO-Le Mans) – UMR 6590 CNRS), d’après Peuportier Bruno, Éco-conception des bâtiments et des quartiers. Paris : Presses des Mines ParisTech, 331p. (Sciences de la terre et de l’environnement), 2008.

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divers sont souvent mis en œuvre afin d’arriver à dégager d’importants bénéfices. Les moyens humains (constellation d’acteurs) ainsi que les moyens juridiques (loi Pinel, loi Cellier, loi ELAN, etc.) ou encore les moyens techniques (bilan financier par exemple) sont des tremplins idoines pour favoriser l’essor de la construction de logements en masse, et contribuent à transformer le logement en un produit financier, selon la vision portée par les acteurs de la promotion immobilière privée et ainsi décrite par Jean-François Dhuys : « Qu’importe la quantité, pourvu qu’on ait le bénéfice ! Mais alors c’est le mythe et le mystère. Le bénéfice des promoteurs fait d’autant plus rêver qu’on ne le connaît pas. »5 Dans un second temps, nous nous pencherons sur l’état des logements construits par la promotion immobilière en France. L’évolution des modes d’habiter nous interroge sur la façon de construire des logements lorsqu’on travaille pour la promotion immobilière dans le marché privé. La question de la qualité, de la pérennité d’une opération, de la notion d’habiter, étaient des sujets récurrents lors des entretiens menés, mais malheureusement, directement mis au second plan. En essayant de définir les contours de la promotion immobilière et de sa manière de fabriquer du logement collectif, c’est aussi la question de l’architecture qu’il nous est possible de promouvoir qu’il convient d’interroger. Dans la mesure où les promoteurs et les architectes n’ont pas les mêmes intérêts, ils peuvent rencontrer des difficultés pour se comprendre. Il paraissait alors essentiel de comprendre la vision que les promoteurs se font du logement pour mieux la confronter à la notre par la suite. De fil en aiguille, une question sous-jacente est née de ces interrogations : qui doit-on tenir responsable de la dégradation du logement en France ? Le promoteur ne travaillant pas seul, il me paraissait essentiel d’étudier le jeu d’acteurs gravitant autour du promoteur et du montage d’une opération de logements, tout en mettant en perspective le rôle et la place de l’architecte dans cette réflexion. La maîtrise d’ouvrage fait référence à des relations complexes entre acteurs, qui m’étaient inconnues et que je souhaitais appréhender pour comprendre pour qui, et dans quel but, nous concevons les bâtiment. Cette démultiplication des tâches due aux acteurs variés et multiples autour d’un dossier, re-questionne la place de l’architecte et de sa responsabilité à concevoir un bien d’intérêt général. Quelle réelle réflexivité avons-nous sur les montages complexes opérés par la maîtrise d’ouvrage privée ? Quelle marge nous est laissée face aux promoteurs immobiliers, chef d’orchestre à multiples casquettes d’une opération ? Le promoteur étant finalement loin d’être le seul acteur de la production de logements en France, la place que les architectes doivent défendre dans ce montage d’opération peut-elle est ré-interrogée ? Alors, quel serait notre avenir en tant qu’architecte ? Inévitablement, cet appareil de production de logement est prépondérant dans la façon de construire des logements en France. : devrions-nous fatalement nous y résigner ? Dans cette perspective, la plupart des avis d’architectes rencontrés lors de cette année ont été hétéroclites. Beaucoup se faisaient à l’idée, d’autres étaient plus combatifs. Ces questionnements sont au centre du quotidien des agences, de la façon dont on voit notre profession. 5

DHUYS Jean-François, Les promoteurs, Editions du Seuil, 1975, 190 p.

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Il me semblait essentiel de me poser de bonnes questions et de m’attarder sur ces sujets, au début de mon parcours professionnel. Après avoir étudier la façon de produire du logement collectif sous la logique de rentabilité de la promotion immobilière, il semblait important d’étudier de possibles alternatives. Porter un autre regard sur ce que la promotion immobilière peut construire permet de prendre du recul sur ce système. Certaines formes de promotion immobilière essayent de voir le logement non pas seulement comme un produit financier mais en lui conférant une valeur plus sensible et humaine. D’autres modèles de fabrication de logement existent également, hors du cadre de la promotion immobilière « classique ». La façon de faire du logement peut bien heureusement se traduire hors de la logique foncière libérale. L’habitat participatif est un exemple permettant de réaliser des logements sans passer par la promotion immobilière privée, mais n’est pas le seul modèle, et c’est ce que nous aborderons en dernier lieu.

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I

LA PROMOTION IMMOBILIÈRE, ACTEUR INCONTOURNABLE DE L’APPAREIL DE PRODUCTION DE LOGEMENT

La promotion immobilière privée se définit dans les faits comme « une activité qui consiste à concevoir, organiser et réaliser la construction d’immeubles de logements destinés à être vendus à des acquéreurs qui financent l’opération6 ». Elle cherche les terrains et les fonds nécessaires à la construction (fonds propres, capitaux prêts et capitaux des acquéreurs). Après la période de construction massive à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la promotion gagne en autonomie, s’imposant alors comme une alternative à la promotion publique au caractère social affirmé. La promotion immobilière privée correspond aujourd’hui à 50 à 70% des opérations de logement collectif menées en France (2013)7. La promotion immobilière s’impose peu à peu comme le nouvel acteur incontournable de l’appareil de production résidentiel, en sachant que son rôle ne s’arrête d’ailleurs pas à cette activité. Dans un premier temps nous brosserons à grands traits un état des lieux de cette branche de la construction immobilière. Née dans le contexte d’après-guerre, la promotion immobilière est intimement liée au développement du logement collectif portée par l’Etat, avant de gagner peu à peu en autonomie grâce aux mesures adoptées par les pouvoirs publics dans les années 1970, un moment à partir duquel elle se fait 6 Taburet, Aurélien, Promoteurs immobiliers… op. cit. 7 Jean-Jacques Grannelle, professeur d’économie, Université Paris XII, Val de Marne, Etudes foncières n°78

une place de choix dans la fabrication de logement en France. Dans cette perspective, nous identifierons dans un second temps en quoi la promotion immobilière constitue une maitrise d’ouvrage spécifique. Ses moyens d’accéder aux financements, de gérer les projets dans le temps et les acteurs dont elle s’entoure dessine une singularité par rapport à la maitrise d’ouvrage publique. Les tâches et les missions confiées aux promoteurs illustrent les logiques de rentabilité qui régissent la profession, au détriment parfois de l’architecture. Il conviendra donc d’interroger les liens qui se nouent entre les acteurs de la maitrise d’ouvrage et ceux de la maitrise d’œuvre, notamment les architectes. Il s’agira notamment de s’interroger sur l’état de l’architecture produite aujourd’hui en France. Afin de qualifier plus précisément la promotion immobilière, il semble essentiel de faire le point sur les métiers de cette profession. Chaque individu dans cet appareil de production de logement se voit confier une tâche, permettant ainsi la bonne réussite du projet. Il faut aussi souligner que si la promotion immobilière relève avant tout de la maitrise d’ouvrage, ses outils sont de plus en plus techniques, et son organisation très structurée. De telle manière qu’elle devient, parfois, l’acteur majeur de la construction. Ainsi, son rôle, ses prérogatives, voire ses responsabilités ont tendance à empiéter sur

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ceux des architectes. Cependant le statut juridique de « non-sachant » propre aux acteurs de la maitrise d’ouvrage semble protéger en grande partie les entreprises de promotion immobilière. Parallèlement à un essai de définition sur les fonctions et les missions qui caractérisent les métiers de promoteur immobilier, il semble essentiel de décortiquer les moyens dont dispose cette profession aux multiples facettes pour veiller au bon fonctionnement de cet appareil de production de logement. Le premier facteur qui entre en jeu pour construire un projet est évidemment d’ordre financier. Outre certaines mesures législatives, nous essayerons de comprendre quelles sont les outils quotidiens indispensables (bilan financier, analyse du foncier) utilisés par les promoteurs pour rentabiliser une opération. Enfin, nous essayerons de comprendre avec qui les promoteurs sont en mesure de collaborer et de travailler. Dans cette partie, nous nous pencherons particulièrement sur une opération de 120 logements que j’ai pu suivre de près au sein de l’agence ArchiBuild où je travaille. Cette opération, située à Asnières-sur-Seine, est pilotée par l’entreprise de promotion immobilière Pitch Immobilier. Cependant, au fur et à mesure que le projet prenait forme, la relation entre maîtrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre me paraissait peu lisible, et les rôles respectifs 15

joués par chaque intervenant difficilement compréhensibles. Les acteurs de la maitrise d’ouvrage sont multiples. Chacun demandait à aux architectes de produire telle ou telle pièce, de faire telle modification, etc. Il m’est alors paru essentiel de comprendre quels étaient les rapports entre chaque acteur, quel(s) rôle(s) ils avaient à jouer dans cette opération et surtout, ce que nous, architectes, devions réaliser et pour qui ?

a)

Mise en

perspective historique

La notion de promotion immobilière privée est née dans les années 1850, s’étendant par la suite dans le XIXe siècle, avec les premières opérations à caractère social, menées par des entreprises industrielles. Face au contexte d’agitation sociale qui marque durablement le Second Empire, l’Etat se garde bien de construire ce type de logement, pouvant alimenter la contestation en regroupant des individus aux intérêts convergents dans un espace de vie restreint. Les logements collectifs sont alors construits principalement par des sociétés privées, dans le cadre du paternalisme industriel en vogue. À l’époque, certaines entreprises pensaient que le rendement de leurs ouvriers serait d’autant plus efficace si ceuxci bénéficiaient de meilleures conditions de vie. Elles investissent donc dans la pierre. Mais c’est après la Seconde Guerre mondiale que la promotion immobilière voit le jour, avec comme principal objectif la production de logements à

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grande échelle. La Seconde Guerre mondiale et ses conséquences matérielles, économiques et sociales, révèlent les problèmes du logement en France de cette époque. D’une part, la destruction massive de logements pendant la guerre et d’autre part le ralentissement du secteur économique de l’immobilier et de l’activité de construction, cause un gros problème de mal-logement (insalubrité, inconfort, difficultés d’accès au logement, etc.). Les bidonvilles, signes de cette crise du logement restent nombreux en France à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Mais les mesures prises par les pouvoirs publics face à cette pénurie de logement ne suffisent pas8. A partir de 1950, l’Etat français intervient financièrement afin de contrer la pénurie. Dès 1954 on peut observer une forte croissance des logements construits en France. Or, à la forte demande de logements s’ajoute une forte croissance démographique (babyboom, immigration, exode rural), ce qui fragilise d’autant le secteur du logement. En effet, « les années 1950 marquent d’une pierre blanche le virage effectué par la politique du logement. Le logement devient une priorité à la fois économique et sociale. Une véritable politique du logement voit le jour caractérisée par une « intervention massive de l’État en matière d’habitat » qui représente « un des traits dominants de la seconde moitié du XXe siècle9 ». L’État agit alors conjointement sur la production et sur le secteur de la construction »10. Le rythme des constructions ne cesse dès lors de s’accélérer mais il ne suit pas toujours la demande. L’appel de l’Abbé Pierre lors de l’hiver 1954 rappelle cette discordance. Cependant les prémices de cette construction massive de logements neufs restent pour le moins à caractère social. Les Logecos sont l’exemple type de construction familiale ayant 8 Aurélien Taburet relève notamment que « (…) malgré les quelques 761 000 logements construits ou reconstruits entre 1945 et 1952, la pénurie reste un problème majeur d’autant que la recherche d’actions menant au réajustement entre demande et offre s’efface derrière les priorités accordées à d’autres secteurs économiques. », in Taburet Aurélien, op. cit. 9 LÉVY J.-P., 1991, La ville et la question du logement. In COLLECTIF URA-CNRS 915. Dynamiques urbaines, Actes du Colloque du Mans, 20 et 21 avril 1989, Caen : Presses Universitaires de Caen, p. 385-394. (Géographie Sociale), cité in Taburet Aurélien, op. cit. 10 Taburet Aurélien, op. cit.

bénéficié du Plan Courant (1953), aide financière de l’Etat pour l’érection de logements neufs. Cette aide introduit un soutien aux carnets de commande des producteurs et favorise l’industrialisation de la production. Parallèlement, les Habitations à loyer modéré (HLM) sont créées, offrant une possibilité aux organismes de bénéficier de prêts avantageux pour construire des logements sociaux. L’aide à la pierre destinée aux HLM mais également d’autres aides se développent : les programme sociaux de relogements et les programmes à loyer réduit sont destinés aux foyers aux revenus les plus faibles. Cette croissance de la production entraine alors innovation et diversification concernant l’offre du parc de logement. Des mesures d’urbanisme s’ajoutent aux aides financières impulsées par l’Etat, comme la création de la Zone d’urbanisation prioritaire (ZUP) ou de la Zone d’aménagement différé (ZAD), encadrant alors spatialement le développement urbain et la production de grands ensembles11. De nombreux acteurs répondent aux vastes opérations de logements. La multiplication des projets immobiliers les entrainent à se renouveler afin de construire vite et à grande échelle12. Préfabrication et industrialisation sont les mots d’ordre de ces nouvelles architectures et les acteurs traditionnels de la fabrication de logements sont vite suppléés. Face à cette demande, l’Etat et les pouvoirs publics répondent, quant à eux, d’une part financièrement et d’autre part en créant des outils d’aménagement. La promotion immobilière est née. Elle se partage en deux familles : celle d’ordre public qui se concentre sur les programmes sociaux (HLM, et Caisse des 11 Ainsi, « (…) dès 1954, les effets de l’intervention de l’État se font ressentir puisque 270 000 unités de logements sont construites en 1954, contre 190 000 l’année précédente », d’après SEGAUD M. (dir.), BRUN J. (dir.), DRIANT J.-C. (dir.), Dictionnaire de l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 2002, 449 p., cité in Taburet Aurélien, op. cit. Cet auteur relève par ailleurs « qu’entre 1950 et 1963, 80% des logements mis en chantier bénéficient d’une aide de l’Etat », in ibid.

Notons que parallèlement la rénovation urbaine dans les centres urbains est également mise en chantier de manière accrue et, mettant au jour la question de la réhabilitation, elle s’accompagne de nouvelles modalités législatives spécialement conçues pour sa mise en œuvre. C’est à cette époque que l’on observe les premiers déplacements de populations de quartiers populaires vers les grands ensembles périphériques. 12 On note alors une évolution des modes et des techniques de production, liée à la problématique économique. On pensera notamment, entre autres, à l’urbanisme fonctionnaliste porté par Le Corbusier et la Charte d’Athènes, puis relayé par la politique du logement, les acteurs de l’urbanisme, et notamment les architectes.

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dépôts et des consignations), et celle qui relève du secteur privé. Par ailleurs deux types d’acteurs voient le jour : ceux qui se consacrent aux opérations techniques et matérielles de la construction et ceux qui s’attachent à mobiliser un capital financer et technique13. La promotion immobilière privée se démarque déjà comme la forme de production dominante à partir des années 1950. Bien que sa production soit plus faible que celle de l’Etat, elle reste majoritaire du fait de son influence auprès des autres acteurs de la construction, et sa capacité à réunir des fonds importants en un temps record14. De façon pragmatique, les banques décident de s’engager dans le marché florissant de l’immobilier. Elles font leur entrée dans ce secteur en investissant leurs fonds propres ainsi qu’en créant des filiales de promotion, unissant ainsi structure financière et bancaires avec les acteurs de la construction. En 1960, la crise du logement s’estompe doucement, et semble toucher à sa fin, quantitativement, dans les années 1980. Entre 1960 et 1970, la problématique du logement change comme l’illustre le désengagement progressif de l’Etat face au nouveau contexte politique et socio-économique. L’accent est mis sur l’aspect qualitatif des logements construits. L’époque est aussi marquée par l’émergence de la production intensive de logements individuels en France, dépassant la production de logements collectifs dans les années 1975/1985. Ce nouvel urbanisme, tout comme les grands ensembles, a laissé un héritage lourd dans le paysage urbain. Politiquement, la tendance s’oriente vers la périurbanisation: les systèmes de financement étant favorables à ce développement urbain. L’accession à la propriété se concrétise législativement grâce à la réforme du financement du logement de 1977, permettant ainsi à l’Etat à désengager 13 Notons que « ces derniers prennent ainsi en charge la mobilisation des capitaux, assurent la propriété juridique des bâtiments pendant leur édification, revendent enfin les locaux à la clientèle ou les conservent éventuellement dans un patrimoine immobilier », d’après Taburet Aurélien, op. cit. 14 Ainsi, « de 1950 à 1967, 1,8 millions de logements sortent de terre via ce système, soit 40 % de l’ensemble de la production. Le secteur aidé devient « le premier secteur de financement de la production», devant les HLM (26,5 %), les primes sans prêts (15,5 %), les « autres » logements (14 %) et les logements reconstruits avec les dommages de guerre (8 %) », in ibid.

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partiellement de la politique du logement. Ce recul de l’Etat dans la production de logements favorise l’émergence du secteur privé au sommet de ce marché. Au cours des années 1970, la production de logements pavillonnaires entraine une redéfinition de la maîtrise d’ouvrage. Cette évolution semble marquer une crise de la promotion immobilière, ralentissant nettement l’activité des promoteurs. En effet, « cette crise s’explique par les effets conjugués de la contraction des taux de promotion » et de « l’augmentation des frais financiers ayant induit une hausse continue des prix des logements incompatible avec le niveau de solvabilité de nombreux ménages ».15 La promotion immobilière privée se réinvente au milieu des années 80, lorsque la réhabilitation du bâti existant bat son plein. Ce nouveau marché immobilier de l’ancien se conjugue à une augmentation des chantiers de logements collectifs, de 52 % entre 1984 et 1988)16 compensant ainsi la chute régulière du nombre de logements individuels entamée depuis 1980. Les deux types de construction retrouvent alors des niveaux de construction quasiment équivalents et stabilisés autour de 150 000 unités. C’est à l’aube des années 90 que l’on voit s’opérer un basculement dans la façon dont on conçoit le logement. La production de logement en grande quantité transforme la vison du logement en tant que produit financier avant de le voir comme un terrain de recherche sur l’habiter. A la fin des années 80, l’Etat décide de mettre en place des dispositifs financiers permettant de soutenir l’investissement locatif privé, faisant alors face aux différentes évolutions de l’économie du logement, et particulièrement à la dévalorisation des parcs et lotissements locatifs. Se mettent en place de nombreuses incitations fiscales en faveur de l’investissement locatif, et donc des promoteurs immobiliers 15 D’après MADORÉ F., 1992, L’évolution contemporaine de la question du logement : analyse appliquée aux départements de la Loire- Atlantique, du Maine-et-Loire et de la Vendée. Tome 1. Thèse de doctorat de Géographie, Université de Nantes, 308 p., cité in Taburet Aurélien, op. cit. 16 GRANELLE Jean-Jacques, op. cit.

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privés, en stimulant leurs activités17. Ces dispositifs fiscaux illustrent une réelle réorientation des positions de l’Etat face au marché du logement, et soulignent son implication nouvelle dans ce secteur dans la mesure où « la part des dispositifs fiscaux dans l’ensemble des aides publiques pour le logement passe de 17 % en 1984 à 31 % en 2006 »18. Nous pouvons noter dès lors que les pouvoirs publics deviennent un partenaire privilégié du promoteur privé, en ce qu’ils soutiennent l’activité de construction, et donc celle de la promotion immobilière privée en 1986 comme en 2012. Dans ce contexte le logement se mue d’autant plus en un produit financier. Le logement devient alors pour le promoteur un moyen rentable, un réel « gagne-pain », assumé en tant que tel, dont la fonction semble de plus en plus dissociée de son caractère social initial. La promotion immobilière s’accapare alors la quasi entièreté de la production de logements collectifs durant les années 1980-199019. Ainsi, les conditions et méthodes inhérentes à la production de logements demeurent fortement soumises à l’économie. La promotion immobilière, tout comme les bailleurs ou les constructeurs de maisons individuelles, sont directement touchés par les « décisions » des pouvoirs publics, eux-mêmes guidés par la situation socio-économique du pays.

17 Ainsi, « promoteurs, constructeurs et bailleurs privés deviennent les principaux acteurs de la relance de la construction neuve du milieu des années 1980, centrée sur le logement privé et destiné en grande partie à l’investissement locatif. Au total, entre 1995 et 2005, le nombre de logements vendus par les promoteurs par le biais d’un dispositif fiscal pour l’investissement locatif s’élève à 471 000 logements, soit un total de 48 % des ventes sur la période », d’après LE GOASCOZ M.-H., BERMACHE G.-S., « La relance récente de construction en France », in BERTRAND J.-R. (dir.), CHEVALIER J. (dir.). Logement et habitat dans les villes européennes, Paris, L’Harmattan, p. 45-58, 1998, cité in Taburet Aurélien, op. cit. 18 Taburet Aurélien, ibid. 19 Aurélien Taburet note ainsi que « Les promoteurs immobiliers privés construisent alors 21 % des logements commencés en 1980, 33 % en 1990 et 29 % en 1996. Notons que, selon les chiffres de 2010 de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), cette part n’évolue guère jusqu’à aujourd’hui puisque la part de la promotion immobilière privée est de 30 % en 2004 et 27 % en 2009 », in ibid.

b)

Une maîtrise d’ouvrage spécifique

« Quiconque prend la décision de construire un immeuble, en définit les caractéristiques générales et en gère le risque financier est maître d’ouvrage. » 20

Comme nous l’avons montré, la promotion privée et la promotion publique prennent racines dans le même contexte historique, mais sont bien différentes. C’est donc à ces différences qu’il convient de s’intéresser avant même de définir les tâches et de cerner les responsabilités des promoteurs immobiliers. La singularité de la promotion immobilière privée repose principalement sur la question du financement de l’opération. Dans la mesure où les promoteurs financent leurs projet sans l’aide de l’Etat, ils demeurent seuls garants de leur ouvrage par la suite. Lorsqu’un financement est trouvé, les acteurs de la promotion privée tire un profit rapide de l’opération immobilière, nous y reviendrons. Selon Aurélien Taburet, « les décennies 70 et 80 marquent une émancipation forcée des promoteurs immobiliers privés à l’égard des politiques publiques, amenant le promoteur privé à ne plus compter sur l’aide de l’Etat pour l’édification de logements sociaux notamment »21. Comme nous l’avons évoqué précédemment, c’est avant tout l’évolution des politiques publiques entreprises dans le secteur du logement qui a entériné la dualité entre le volet social et le volet économique de la question de la fabrication de logement en France. Les différents 20 21

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

Dhuys Jean-François, op. cit. p. 13 . Taburet Aurélien, op. cit.

18


- des négociations juridiques (contrats d’héberges communes, ou de servitudes de vue, ou de surplomb du domaine public, (etc.)

- l’établissement de dossiers administratifs (avis de principe, permis de construire, permis de démolir, autorisation de création de bureaux, etc.) à défendre auprès de la direction départementale de l’Equipement et des dizaines de services et commissions qui ont à en connaître éventuellement (Commissions des sites ou des abords, Sapeurs pompiers, Inspection du travail, Sociétés concessionnaires, Monuments de France,etc.)

- le dialogue permanent avec les maîtres d’œuvre (critique du plan masse, contrôle du respect du pro gramme, recherche commune d’améliorations des plans d’appartements, vérifications du rendement de plan, débats sur l’esthétique des façades, élaboration conjointe d‘un devis descriptif, pression pour obtenir des estimations préalables, etc.)

- la consultation des entreprises (définition d’une politique de gré à gré ou d’appel d’offre, etc.)

- l’établissement des instruments commerciaux (désignation d’une politique publicitaire et mise en place de celle-ci avec une agence, réalisation d’un appartement témoin, rédaction des contrats préliminaires et actes de vente avec le notaire, composition du devis contractuel et du règlement de copropriété, contrôle du rendement publicitaire, surveillance de l’argumentaire des vendeurs, modification de la pondération de la grille de prix en fonction des premiers résultats commerciaux, etc.)

LES

Pour résumer, la fonction du maître d’ouvrage repose sur l’acquisition d’un terrain, l’élaboration d’un programme et la constitution d’une équipe de professionnels, appelée maitrise d’œuvre, permettant de réaliser l’ouvrage commandé. Lorsque ces trois éléments sont réunis, le bilan financier24 de l’opération peut être établi. Différents supports juridiques permettent alors aux acteurs de la promotion immobilière de

24

pages

19

TÂCHES

DU

- le suivi permanent du chantier

- et tout ce qui est nécessaire à la bonne fin de l’opération mais n’entre dans aucune catégorie bien définie des tâches (dialogue avec le maitre d’école dont les enfants décorent la palissade de chantier, etc.)

PROMOTEUR

Fig 2 : Les tâches du promoteur, illustration personnelle réalisée d’après l’ouvrage Les promoteur de Dhuys Jean-François

dispositifs législatifs et bancaires dont s’emparent les promoteurs sont témoins de l’enjeu politique que revêt désormais cette question. Ainsi, selon Aurélien Taburet, les promoteurs immobiliers sont comme les « acteurs clés du versant économique de la politique du logement »22. Or, ces acteurs clés se voient confier différentes tâches qu’il convient de mentionner. Parmi celles-ci, on compte notamment.23

22 23

- la traduction financière et comptable de la vie de l’affaire (mise en place du budget prévisionnel objectif, établissement des dossiers de crédits, mobilisation des fonds des associés, appels des fonds auprès des acquéreurs, suivi de la trésorerie et des engagements, réalisation des écritures comptables, études fiduciaires en fonction des situations juridiques diverses, déclaration au fisc, vérifications et paiement des situations d’entreprises, décomptes définitifs des acquéreurs et de l’opération, etc.)

Ibid. D’après Dhuys Jean-François, op. cit. p. 54 On se reportera à l’analyse du bilan financier, double

mener à bien leur projet25. Afin de remplir pleinement ses missions, le promoteur immobilier doit faire preuve d’une certaine polyvalence. Les compétences demandées pour exercer ce métier sont autant d’ordre juridique, architectural, technique, que commercial. Il faut noter que l’art de mener une équipe requiert un sens du relationnel développé, dans la mesure où, en fonction des interlocuteurs, le discours est amené à évoluer. Or, le promoteur immobilier se doit avant tout de garder à l’esprit que l’opération répond à des objectifs financiers, quand bien même vend-il le « produit logement » comme un bien de qualité, unique et authentique. Cette polyvalence à tendance à tendre de plus en plus vers une prise de responsabilité toujours plus importante, ce qui invite à ré25 Et ce, par le biais, entre autres, d’une Société civile immobilière (SCI). Aurélien Taburet souligne ainsi que la Société civile immobilière de construction et de vente est un instrument juridique bien adapté à la promotion immobilière. Sa création remonte à la loi de finances de 1966 et a permis de ne plus utiliser la société civile de droit commun. Voir Taburet Aurélien, in ibid., p. 12

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interroger la place laissée aux autres acteurs, et parmi eux, celle des architectes. On voit naître depuis ces dernières années de nouveaux métiers au sein de la promotion immobilière. Ils traduisent la perte partielle des missions initialement confiées à l’architecte. Aujourd’hui, l’architecte n’est le chef d’orchestre d’une opération qu’en de rares occasions, puisque ce rôle est de plus en plus assumé par le promoteur. Dans cette perspective, les architectes sont souvent consultés26 par le maitre d’ouvrage, dans l’unique but de déposer un permis de construire. Le maître d’ouvrage reprend ensuite la main sur l’opération pour mener les études d’exécution et le suivi de chantier en l’attribuant soit à une maitrise d’œuvre d’exécution, soit en la confiant à un expert en interne (la promotion immobilière créant souvent, en interne, une section de maitrise d’œuvre d’exécution pour gérer le chantier), ce qui tend à accroître le sentiment de perte de responsabilités pour les architectes après la conception d’une œuvre.

« Je me demande comment ils s’en sortent juridiquement quand le

Maitre d’Ouvrage et le Maitre d’œuvre d’Exécution en même temps. Il y a conflit d’intérêt ! »27

responsabilités de ce dernier sont avant tout de faire de son bâtiment un « intérêt d’ordre public ». Or, si l’architecte est uniquement consulté pour dessiner un projet dont il ne peut certifier la conformité et la bonne mise en œuvre par la suite, dans la mesure où seul un droit de regard lui est demandé lorsque sa mission s’arrête à un PC ou DCE, son poids comme acteur dans le processus de construction s’en trouve considérablement amoindri. En effet, il est fréquent qu’un maitre d’ouvrage fasse évoluer ce dessin à sa guise. Les logiques économiques primant, les évolutions de l’opération se font souvent au détriment de la qualité architecturale. Il convient en outre de s’interroger sur le sens que l’on souhaite donner à l’architecture produite en France. Tendons-nous vers un appauvrissement global des projets architecturaux ? Ne devons-nous pas remettre en question les nouveaux équilibres qui se créent entre les acteurs de la construction de logement afin de redonner toute leur place aux préceptes de l’architecture ? Le fait d’amputer les architectes d’une grande partie de leurs missions est à mon sens une réalité qui devrait tous nous alarmer, tant la profession que le public.

promoteur est le

De là, certaines questions émergent, dont celle du sens accordé au métier d’architecte. Selon la loi de 1977 sur la qualification de l’Architecture, les 26 Selon Alexandre Bangou, « l’architecte il joue beaucoup de rôles, il reste indispensable pour une opération immobilière, il ne faut pas se leurrer : il faut bien déposer des permis de construire. » 27 Entretien François-Xavier Barade, de l’agence Archibuild, Paris 17e

« Soit disant, moi, je ne suis pas sachant. »28 Le promoteur immobilier est, dans sa définition, la personne physique ou morale prenant la décision de construire un bâtiment. Il est le maître d’ouvrage d’une opération. Dans ce cas, il est considéré juridiquement comme étant un nonsachant, ce qui veut dire qu’il n’est pas impliqué juridiquement en cas de litiges. L’architecte, lui, est responsable pour tout dommage. Cependant dans la plus par des cas, le promoteur immobilier 28 Extrait d’un entretien informel avec Pierre-Antoine Barillé, responsable de programme chez Pitch immobilier, juin 2018.

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

20


va prendre des décisions sans consulter la maitrise d’œuvre, ou en insistant, à des fins économiques, pour des actions contraires à l’avis des architectes, notamment parce que beaucoup de maîtres d’ouvrage ont une expérience tout aussi importante que certains architectes. Comme le souligne Fernand Pouillon, architecte français très décrié à son époque29, « le maître d’ouvrage doit tout comprendre, tout assimiler et apporter sa contribution à la composition de l’ensemble et aux détails de la construction. Dans le cas d’opérations d’urbanisme et d’architecture, le maître d’ouvrage est le responsable direct de la qualité de l’œuvre. » 30 On peut donc interroger ce statut juridique, qui protège dans une certaine 29 F. Pouillon entreprend d’investir la région parisienne après l’Algérie, en créant en 1955 sa propre structure de promotion, le Comptoir National du Logement (CNL), entouré par une constellation complexe de sociétés satellites. Au début de 1961 éclatait brusquement le plus grand scandale immobilier de l’après-guerre, celui du Comptoir national du logement. Arrêté, puis évadé, il se présente finalement devant le tribunal correctionnel de la Seine. Exclu de sa profession, Pouillon s’exila en Algérie et se convertit à l’islam. Architecte conseil du gouvernement algérien, il construira pour lui 40 hôtels, principalement au cours des années 1970. Réinscrit à l’Ordre des architectes à partir de 1977, Pouillon est élu à son conseil régional de l’Île-de-France en 1980. En 1982, la biennale de Venise le couronne. 30 D’après l’entretien entre Fernand Pouillon et Jacques Chancel, Radioscopie, 1968 ; l’entretien entre Fernand Pouillon et Jean-Francois Dhuys, Les nouvelles littéraires, 1978, et l’intervention de Fernand Pouillon lors du colloque « La ville nouvelle », 1973, in Pouillon Fernand, Mon ambition, Edtions du Linteau, 2011, p. 42.

21

mesure les promoteurs immobiliers31. Pourquoi ne pas envisager de transférer une partie des responsabilités qui incombent aux architectes aux promoteurs lorsque ceux-ci reprennent certaines missions à leur charge ? Dans la ville, peu de paysages naturels existent. Tout est architecture. Si les urbanistes et les architectes en portent la responsabilité, le maître d’ouvrage, celui qui commande l’opération et la finance l’est, semblet-il, tout autant. Pour pouvoir attribuer juridiquement des responsabilités à un promoteur, il faut en premier lieu que ses missions soient définies, ce qui est loin d’être le cas. Chaque entreprise possède une organisation interne singulière. Il est difficile de décrire les métiers de toute la profession de façon uniforme. Les fiches de poste des salariés varient d’une entreprise de promotion immobilière à une autre. Cela complique les possibilités d’établir des responsabilités ciblées en fonctions des missions attribuées. Et, pour envisager d’attribuer de nouvelles responsabilités aux promoteurs, il faudrait également penser, en amont, à réformer leur formation initiale. Si les promoteurs/responsables de programme avaient 31 L’article 2 de la loi MOP indique que le maître d’ouvrage est le responsable principal de l’ouvrage et qu’ il remplit dans ce rôle une fonction d’intérêt général. Cependant dans le droit privé, cette question de responsabilité n’est pas définie.

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la même formation, peut-être pourrait-on penser à cette éventualité. Bien que certains d’entre eux puissent être des architectes en reconversion, la plupart sortent de grandes écoles d’ingénierie, de formations de droit, mais aussi d’école de commerce ou de marketing. Rappelons-le, les promoteurs fabriquent néanmoins la ville d’aujourd’hui et de demain. Ils ne sont pourtant que trop peu sensibilisés à l’architecture ou l’urbanisme au sens large. Leurs objectifs ne prennent pas assez en compte l’esthétisme, la qualité, la sensibilité d’un projet (de grande ou de petite taille d’ailleurs), des facteurs trop souvent considérés comme trop onéreux, voire superflus. Dans la mesure où le recours à la promotion immobilière privée devient de plus en plus incontournable, pourquoi ne pas proposer aux rares écoles de promotion immobilière une section architecturale/urbanisme? Il paraît inouï de construire des parcelles entières des villes de demain, sans réellement connaitre les grandes tendances de l’histoire de l’architecture et sans être a minima informé sur ce qui a pu être construit par le passé. L’enjeu ici ne serait donc pas de leurs faire prendre le crayon, mais bien des les sensibiliser sur le sujet. Les propos de Fernand Pouillon, font écho avec notre réalité actuelle, l’auteur de rappeler que : « C’est par l’aspect des immeubles, c’est par leur hauteur, leur volume et les espaces qu’ils enferment, qu’un déclic joue dans le cerveau humain et fait que l’homme se sent bien ou mal. Cela tient à des impondérables, à des choses qui viennent du cœur, du génie, un talent, qui viennent, si vous voulez, de la volonté de l’homme de pouvoir produire une œuvre en harmonie avec des hommes, pour eux, et non pas en rapport d’un système, d’une formule, d’une recette. » 32

32 Ibid. p. 16 D’après les entretiens entre Fernand Pouillon et Sophie Lannes, L’Express ; et avec Atilio Pettruccioli, Architectura Architettura nei paesi islamici, 1982

A cet égard, le projet de Fernand Pouillon semble être un cas d’étude intéressant. Les cursus de formation envisagés au sein de l’Institut de Maitrise d’Ouvrage33, pensés en harmonie avec les parcours des maitres d’œuvres, pourraient ainsi permettre de rééquilibrer les rapports entre « sachants » et « non-sachants » du point de vue des responsabilités juridiques. Et, partant, « former des hommes de métier capables de savoir ce que l’architecte va leur donner en échange de l’argent qu’ils dépensent. » 34.

c)

Les

moyens

pour

financer

la

production de logement en France

Lois de défiscalisation relatives à la production de logement permettant au promoteur d’exister Le logement devient de plus en plus considéré, non pas comme un lieu où l’humain est au centre des préoccupations, mais comme une opération foncière seulement soumise à des objectifs de rentabilité, comme un produit financier. Cette façon de concevoir la construction de logement s’inscrit en grande partie dans les logiques néolibérales qui triomphent depuis quelques décennies. Le promoteur devient alors l’acteur principal de ce nouveau système.

33 Concernant les programmes des études et les matières enseignées, cf. ibid. p. 45. L’auteur envisage ainsi, entre autres : Urbanisme historique, Composition urbaine, Urbanisme contemporain, Etude de circulation, Etude sur l’habitat, Etude des voiries et des réseaux divers, Composition des façades, etc. 34 Ibid. p. 46

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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« Si je voulais gagner de l’argent, je ferais de l’immobilier. » 35 Le travail initial du promoteur privé est donc, avant toute chose, de trouver les fonds nécessaires. Pour ce faire, il peut mobiliser des financements bien spécifiques comme les capitaux propres, les crédits d’accompagnement à court terme, les apports personnels des utilisateurs et les crédits à long terme. Mais les pouvoirs publics contribuent aussi au financement de la production en masse de logements, en favorisant les lois de défiscalisation pour investisseurs36, et aidant ainsi la promotion immobilière à trouver de nouveaux clients. Ces aides de l’Etat s’échelonnent de 1986 à nos jours, et ces dispositifs se succèdent la plupart du temps37.

35 Michel Adiard, cinéaste (Télérama, 31 octobre 1971) citation extraite de l’ouvrage Les promoteurs de Jean-François DHUYS, édition du Seuil, 190 p., 1975 36 Il existe plusieurs types d’investisseurs. Dans ce mémoire, seulement deux types sont développés : l’investisseur représentant un particulier, ou un investisseurs institutionnel. L’investisseur institutionnel est un acteur professionnel des marchés financiers. Qu’il soit une banque, une compagnie d’assurances, une caisse de retraite, une mutuelle, une institution publique, etc., l’investisseur institutionnel collecte de l’épargne et investit, pour ses clients et pour son propre compte, dans différentes classes d’actifs – l’immobilier représentant désormais l’une d’entre elles, au même titre que les actions, les obligations, les matières premières... Les investisseurs institutionnels se portent majoritairement, mais pas exclusivement, sur l’immobilier d’entreprise. Sous cette appellation, sont regroupés des biens d’une grand diversité: bureaux, locaux commerciaux (centre commerciaux, pieds d’immeubles..), locaux d’activités et de logistiques (entrepôts, ateliers de production...) et immobilier de service (hôtels, établissements de loisir...). Les investisseurs institutionnels possèdent aussi, dans une moindre mesure, des actifs résidentiels, et quelques actifs non-résidentiels (parking, restaurants...). Les investissements peuvent être directs ou indirects, par l’intermédiaire de sociétés d’investissements immobilier cotées (SIIC), d’organismes professionnels de placement collectif immobilier (OPPCI), de sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), et autres fonds dédiés. 37 . On pourra ainsi nommer : Méhaignerie puis QuilèsMéhaignerie (1984-1997), Périssol (1996-1999), Besson (19992002), Robien puis Robien recentré et Borloo populaire (20032009), Scellier (2009-2012), prêt à taux 0% et enfin Pinel, fin 2016, d’après, Logement en promotion immobilière : Pour un retour à l’innovation spatiale, Mémoire HMONP de Moulin, Edouard (2017) sous la direction de Pascal Amphoux à l’ENSA de Nantes

23

Loi Pinel (d’après l’entretien avec Rémy Jacq) : La loi Pinel est une loi de défiscalisation pour les particuliers qui désirent investir ou acquérir des biens fonciers, afin de favoriser le développement du marché de la construction. Ce dispositif permet de réduire l’impôt sur le revenu, en fonction de la durée du prêt demandée (6/9/12 ans, le pourcentage de réduction d’impôt peut varié). Bien entendu, il existe un plafond de loyer en fonction de l’emplacement/zonage. Prenons un exemple concret : si Monsieur Dupont souhaite investir pour 200 000 euros à Paris, zone ABIS, pour un prêt sur neuf ans, il va pouvoir défiscaliser 18% de ces 200 000 euros, soit 36 000 euros sur 9ans. Chaque année, Monsieur Dupont va alors pouvoir avoir sur sa fiche d’imposition, une réduction de 4000 euros (36 000/9) sur son impôt sur le revenu. Cependant, le gouvernement Philippe souhaite supprimer ce dispositif de défiscalisation afin de réorienter les investissements des particuliers vers d’autres secteurs (start-ups, etc.) Nous pouvons alors nous demander quelles sont les conséquences de cette réforme sur le marché de la construction. Pendant trente ans, l’Etat a mis en place des dispositifs de défiscalisation se succédant les uns aux autres, qui ont favorisé les investissements immobiliers dans le marché du neuf. Le secteur de la construction qui s’était initialement développé pour répondre à la demande croissante de logements, s’est doucement essoufflé. L’adoption de telles lois s’est donc faite en réponse à la perte de dynamisme de ce secteur, en permettant alors aux acquéreurs privés d’investir, afin de relancer le marché de la construction.

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Fig 5 : La loi Pinel, comment investir. Source : http:// www.varmatin. com / immobilier / immobilier - pourquoi - il - faut - profiter - de - la - loi - pinel avant-2018-184394

Fig 4 : Mesures sur le logement et changement à venir, NFOGRAPHIECREDIXIA_Mesures-sur-le- Logement, disponible sur : https://www.credixia. com / blog / actualites - prets - immobiliers / infographie - mesures - logement - va changer-2018

Différence entre un logement construit pour accéder à la propriété ou devenir propriétaire d’un logement pour investir - Les premiers dispositifs Méhaignerie (1986) et Quilès-Méhaignerie accordent une réduction d’impôt plafonnée permettant aux investisseurs, personnes physiques ou sociétés non soumises

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à l’impôt sur les sociétés, de soustraire de leur impôt une fraction de leur investissement. - En 1996, le dispositif Périssol met en œuvre une logique d’amortissement qui consiste en une déduction des revenus fonciers d’un certain pourcentage du prix d’acquisition du bien en vue de générer un déficit. Ce déficit foncier peut, dans la limite d’un plafond, être imputé sur le revenu global et réduire ainsi le montant de l’impôt (Direction générale de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction [DGUHC], 2008). Plutôt destinés à leurs débuts à des investisseurs locaux ou régionaux afin de mobiliser l’épargne des particuliers, les dispositifs successifs s’apparentent de plus en plus, dans un second temps, à de véritables produits financiers.

Ces lois de défiscalisation induisent peu à peu une dualité entre investisseurs et accédants. Le propriétaire investisseur acquiert un logement pour pouvoir placer son argent tout en jouissant de réductions fiscales, tandis que le propriétaire accédant achètera un logement pour y vivre. Pour l’investisseur, le logement devient une opportunité rentable dans l’optique de réaliser une plus–value, dans le cadre d’une mise en location ou d’une future revente. L’investissement dans le marché du logement est aujourd’hui très accessible aux particuliers, notamment grâce à la loi PINEL (2016). La plupart du temps, on remarque toutefois, que ces derniers revendent leurs logements une fois que la période de réduction d’impôts arrive à son terme. Les accédants, quant à eux, sont moins nombreux et leurs attentes facilement identifiables, comme nous l’avons déjà dit : ils achètent un logement neuf pour habiter. Les attentes des deux cibles sont naturellement différentes : alors que l’un va apporter une attention toute particulière à la qualité de son logement et sa pérennité, l’autre se souciera davantage des stratégies à mettre

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œuvre pour louer au plus vite38. Le profil de ces investisseurs est multiple : beaucoup de foyers peuvent bénéficier de ces dispositifs de défiscalisation, illustrant bel et bien que ces moyens sont ouverts à tous et relativement faciles d’accès. (cf Fig 6).

Fig 6 : R39 evenus mensuels des investisseurs, article de Dominique de Figure N oronhap6: .30-34 , éditeur : BARNES 1346903400509 Etudes BI Immobilier L’investisseur, acteur clé du marché, disponible sur https://www.barnesinternational.com/pdf/150300-ProfessionCGP.pdf

La différence entre ces deux cibles n’est cependant pas sans conséquence sur la qualité des logements. Ces dispositifs de défiscalisation, additionnés à la mainmise progressive des promoteurs sur ces outils de financement, ont tendance à favoriser la construction de logements en masse par le biais de propriétaires investisseurs. Nous avons déjà montré en quoi, pour les investisseurs, le logement tend de plus en plus à devenir un produit financier pensé à l’aune des potentiels bénéfices que l’on peut en tirer. Or il faut aussi s’intéresser aux évolutions qualitatives que cette transformation du marché induit. En effet, la construction de logements en masse tend également à standardiser l’offre des biens immobiliers. Même les qualités spatiales d’un logement pour investisseur ou pour accédant 38 . D’après l’entretien non-directif de François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e.

Fig3 : Source Crédit foncier, article L’investisseur, acteur clé du marché, Date : 1ER TRIMESTRE 15 Pays : France Périodicité : Trimestriel Page de l’article : p.30-34 Journaliste : Dominique de Noronha disponible sur le site https://www.barnes-international. com/pdf/150300-ProfessionCGP.pdf 39 revenus mensuel des investisseurs, article de Dominique de Noronhap.30-34 , éditeur : BARNES 1346903400509 Etudes BI Immobilier L’investisseur, acteur clé du marché, disponible sur https://www.barnes-international.com/ pdf/150300-ProfessionCGP.pdf

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varient, illustrant une réelle différence entre ces deux produits. 40 Récemment dans un programme de concours était clairement identifié une programmation spécifique pour les logements destinés aux accédants et ceux destinés aux investisseurs. On pouvait y trouver les chiffres suivants : T2 investisseurs: 38-40m2 T2 accédants : 42-45m2 T3 investisseurs: 58-60m2 T3: accédants : 62-66m2 T4 investisseurs: 78-80m2 T4 accédants : 80-84m2

Aujourd’hui une surface est systématiquement synonyme de typologie. La plupart des programmes de logements ont exactement les mêmes objectifs de surfaces, ce qui ne favorise pas l’existence d’une grande diversité dans le marché du logement collectif. Le promoteur devient alors l’acteur majeur de cette production, appliquant les règles de cette standardisation à la lettre : chartes de plans de vente, pourcentage de typologies (donc surfaces) de logements à applicable à chaque opération, décoration intérieure type à ne pas déroger, etc.41 Par ailleurs, la production de logements pour acquéreurs/investisseurs favorise la multiplication de constructions sans études préalables sur les besoins des habitants du quartier considéré. Ainsi, parfois, les promoteurs ont du mal à remplir leurs logements : le programme n’est donc peut-être pas adapté aux lieux ou à la catégorie socio-professionnelle de la commune, etc. Etant donné que la production de logement est lancée pour des gens qui investissent, il arrive que les promoteurs construisent sans réfléchir aux réels besoins des habitants. Lorsque 40% 40 . Exemple illustré dans Logement en promotion immobilière : Pour un retour à l’innovation spatiale, Mémoire HMONP de Moulin, Edouard (2017) sous la direction de Pascal Amphoux à l’ENSA de Nantes 41 Se référer à l’illustration Fig15, plan de vente sur l’opération de 120 logements à Asnières sur Seine

des ventes sur plans sont assurées, le promoteur peut lancer son opération afin de minimiser le risque financier, même si le reste des logements demeure vacant42. Cette production croissante de logements essentiellement pour investisseurs permet aux établissements bancaires, grâce aux dispositifs de défiscalisation, de placer leurs intérêts financiers. Il semble donc que la qualité d’un logement dépende beaucoup de l’acquéreur ciblé. Le montage financier est alors un élément majeur : le promoteur fait appel à des crédits bancaires pour financier son opération. Quelques exceptions existent43 mais dans la majorité des cas, les banques sont des acteurs majeurs, puisqu’elles font l’intermédiaire entre les acquéreurs/investisseurs et les promoteurs. Certaines d’entre elles vont même jusqu’à devenir maitre d’ouvrage en créant des filiales immobilières. Les conditions pour qu’une banque se porte garante d’une opération sont variées et complexes. Deux cas peuvent se présenter : - la banque peut investir 85% de l’opération au démarrage et sera remboursée, avec intérêts, au fur et à mesure de la commercialisation des logements. Cependant dans ce cas de figure, la banque exige des garanties puisqu’il y a un risque important vis à vis de son engagement financier. Parmi ces garanties, on peut penser au montant minimal de marge par exemple. - si 40% des logements sont déjà vendus, la banque pourra accepter d’investir dans l’opération. Le promoteur doit alors pré-commercialiser ces logements. Le promoteur prospecte pour trouver en amont des accédants ou des investisseurs potentiels. Parmi ces acquéreurs/investisseurs, on pourra retrouver des particuliers par le biais de moyens de commercialisation classique, mais parfois également de grosses structures, comme des établissements bancaires44, des assurances, etc. Dans ce cas de figure, les acquéreurs/ 42 D’après entretiens promoteurs (Nexity, In situ promotion, ....) 43 On pensera notamment aux financements par crowdfunding ou encore aux financements en fonds propres. 44 D’après entretiens de Chloé Corbenois, Cogedim

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FIGURE 7

Fig 7 : Tableau réservations au détail de logement ordinaires, disponible sur http://fpifrance.fr/sites/default/files/Presse/rapport_observatoire_fpi_3t_2017.pdf, LES CHIFFRES DU LOGEMENTS NEUFS : 3EME TRIMESTRE 2017, FPI

investisseurs auront une exigence particulière sur le taux de rentabilité (entre 4 et 10%), qu’ils détermineront en fonction du pourcentage de locaux loués45.

a)

Financer un projet peut alors devenir un réel casse-tête pour le promoteur. En effet, le montage financier variera en fonction de chaque phase du projet et des aléas du chantier et les promoteurs devront respecter un calendrier serré pour rembourser les prêts bancaires. Une bonne commercialisation permet de s’assurer d’un soutien bancaire : dans cette perspective l’obtention du permis de construire devient vite une course contre la montre afin de pouvoir commercialiser au plus vite les appartements grâce aux plans de vente.

- Les bénéfices recherchés et les outils des promoteurs

Pour l’opinion publique, les acteurs qui financent les projets ne se sont pas visibles et donc jamais remis en cause dans ce système. C’est donc le promoteur qui apparaît en première ligne. Or d’autres délais, liés à diverses demandes de crédits formulées par d’autres acteurs peuvent s’ajouter aux crédits bancaires, complexifiant ainsi le montage financier de l’opération. Le calendrier de financement est alors un réel outil à maitriser pour le promoteur, parfois non sans quelques difficultés.

45 Bellec Mélinda, L’architecte et la promotion immobilière : quelles relations ?, Mémoire HMONP sous la direction de François Defrain, ENSA Nantes, 2017

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d)

La

promotion immobilière privée

et les objectifs de rentabilité

« Qu’importe la quantité, pourvu qu’on ait le bénéfice ! Mais alors c’est le mythe et le mystère. Le bénéfice des promoteurs fait d’autant plus rêver qu’on ne le connaît pas. »46 Il convient en outre d’analyser les desseins du promoteur pour penser la construction de logements en France aujourd’hui. Lorsque l’on construit pour un particulier, nous nous attachons, en tant qu’architectes, à comprendre les attentes du client et nous tentons de concilier ses désirs avec le prosaïsme des contraintes budgétaires. Les attentes du promoteur sont d’un autre ordre, et cela est en partie dû au fait qu’il n’investit par 46 . Page 15 de l’ouvrage Les promoteurs de JeanFrançois DHUYS, édition du Seuil, 190 p., 1975

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son propre argent. Ce mémoire semblait une bonne occasion pour comprendre comment travaillent les promoteurs, étudier les moyens dont il dispose, comment et pourquoi entreprendil une opération de logements. Pour répondre au mieux aux attentes des promoteurs, il faut à mon sens comprendre d’autres facteurs, en amont : d’où vient l’argent qu’ils investissent et comment le gèrent-t-ils sur le temps d’une opération ? Comment ont-ils eu accès à ce terrain ? Autant d’enjeux qui permettent de mieux cibler le type d’architecture vers lequel les architectes pourront s’orienter en fonction de leurs clients.

« Le bénéfice n’est rien d’autre que la clef de la rentabilité, seul critère de décision et d’action du capitaliste qui décide de

« faire de l’argent avec de l’argent par l’intermédiaire du logement. » 47

Cette partie s’attache à comprendre les bénéfices que peuvent tirer les promoteurs immobiliers d’une opération de logement. Comme le rappelle Alexandre Bangou, le promoteur « achète de la constructibilité, de la surface de plancher et [il] vend des mètres carrés »48. L’objectif du promoteur est de faire « du gras »49. 47 . Extrait du préambule du livre Mon ambition, Fernand Pouillon, textes choisis et présentés par Bernard Marrey, édition du linteau, 52 rue de Douai, 75009 PARIS, LIBRAIRIE DE L’ARCHITECTURE ET DE LA VILLE, ouvrage publié avec le concours du ministère de la Culture (centre national du Livre et Direction de l’Architecture et du Patrimoine) 48 . D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou responsable de programme chez Nexity 49 Cf. infra la double page « Le bilan financier » qui décortique les ressources initiales, financières et humaines, mises sur la table par les promoteurs afin de mener à bien leur(s) projet(s). Cette pièce graphique tente de comprendre à quoi correspondent les lignes inscrites dans un bilan financier (éléments cités de nombreuses fois lors des négociations entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre), pour mieux répondre à notre client par la suite.

- Acteurs et missions : des opérations immobilières lucratives Après avoir appréhendé l’outil majeur dont se sert le promoteur, il me semblait essentiel de faire un point sur les acteurs de la promotion immobilière et les relations qu’ils peuvent entretenir avec les acteurs de la maitrise d’œuvre. Certains d’entre eux, à l’image des responsables de programmes, sont des interlocuteurs directs des architectes, notamment lors du suivi de chantier. D’autres officient plus ou moins dans l’ombre et leur relation avec les architectes est presque inexistante, alors qu’ils dictent tout autant les tâches que ces derniers doivent exécuter. C’est le cas par exemple des commercialisateurs qui font la navette entre les acquéreurs et les responsables de programmes qui, eux, sont en relation directe avec les acteurs de la maitrise d’œuvre. Il faut noter par ailleurs que les métiers de la promotion immobilière diffèrent selon les missions qui les caractérisent : le foncier, le programme, le bilan financier puis la vente. Dans cette perspective comprendre ces différentes missions c’est aussi comprendre les attentes de chacun. Chaque enjeu est confié à une équipe, ayant pour tâche d’y répondre au mieux dans un temps imparti. Notons également que plus l’entreprise est grande, plus les tâches sont divisées, et les employés ne peuvent guère sortir du rôle qui leur est attribué. Nous nous intéresserons notamment à trois facettes de la promotion immobilière que l’on rencontre systématiquement sur une opération de logements : développeur foncier, responsable de programme et commercialisateur. Analyser ces trois professions permet en partie de faire le point sur les outils que les promoteurs peuvent utiliser pour mener à bien son opération de logement. Chaque profession se voit confier une mission précise et intervient au cours d’une phase spécifique, telle que la recherche d’un terrain, l’élaboration du bilan financier puis la commercialisation du bien.

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« Maintenant il y a vraiment une stratification entre la construction et

- Obtenir un terrain : le marché du foncier et le métier de développeur

« Les hyènes que tu vois, et bien c’est nous ! »52

le programme et encore avant le développement.

Personne ne se croise, finalement c’est très structuré et tu ne dois pas empiéter sur les autres. »50

« Le dossier passe de main en main. Chaque chose est divisée. »51

Sur le marché dit du « diffus », qui n’est pas placé sous le contrôle d’un architecte diligenté par les pouvoirs municipaux, ni sous celui d’un urbaniste, comme dans le cas des ZAC ou les grands projets d’aménagement métropolitains par exemple , le foncier représente un achat conséquent dans l’équation d’un projet. Si l’on n’obtient pas de terrain, rien ne se construira dessus. La connaissance du prix du foncier détermine en grande partie le budget alloué à une opération de construction de logement. Il faut en outre prendre en compte les directives des pouvoirs municipaux en matière d’architecture, édictées en partie dans les PLU53 et souvent officieusement formulées. C’est la prise en compte et le respect de ces éléments qui permet d’obtenir le permis de construire. Or, l’obtention de ce permis de construire est une condition indispensable à la mise en œuvre de l’opération, notamment pour lors de l’achat du foncier. En effet, pour Jean-François Dhuys, « la seule condition suspensive54 acceptée par les propriétaires fonciers concerne la délivrance du permis de construire qui peut leur apporter confirmation d’un prix supérieur à celui que les promoteurs, même les plus entreprenants, leur proposerait en prenant le risque administratif à leur charge55 ». Pour beaucoup, la pression foncière serait le principal facteur responsable du prix exorbitant des logements. Comme le souligne François-Xavier Barade, « le logement c’est le

50 . Entretien Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim 51 . Entretien Etienne Chevreuil, associé dans l’agence d’architecture Tectone

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52 . Entretien Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim 53 On pensera notamment aux questions de gabarits, aux pourcentages de pleine terre, aux surfaces taxables, etc. 54 Autrement dit, si le permis de construire n’est pas délivré, peuvent renoncer à la promesse de vente. 55 Dhuys Jean-François, Les promoteurs, édition du Seuil, 1975, Page 49

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RENTABILITÉ THÉORIQUE SUR UNE OPÉRATION DE 100 LOGEMENTS DANS LA RÉGION PARISIENNE VENDUS AU FUR ET À MESURE DES TRAVAUX Fig 8 : Rentabilité théorique sur une opération de 100 logements dans la région parisienne vendus au fur et à mesure des travaux, d’après l’ouvrage Les promoteur de Dhuys Jean-François

L

é

g

e

n

d

e

capitaux propres crédits fonds des assureurs crédits terrain crédits construction dépenses du prix de revient rythme des ventes recette asquéreurs

bénéfice

Décomptes : distribution du

fin des travaux : remboursement rédits puis fonds propres

Travaux gros oeuvre : apitaux propres + crédits construction + fonds acquéreurs

début construction : capitaux propres + crédits construction

montage opération capitaux propres + crédits terrain

études préalables

besoin de financement

Dépenses, prix de revient Recette asquéreurs Besoins de financement Capitaux propres Crédits

Achat travaux début & fondations terrain vente et début encaissements

hors eau

fin travaux

&

fin des décomptes

livraison

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CALENDIER TTHÉORIQUE TYPE D’UNE OPÉRATION DE LOGEMENTS VENDUS AUX FUR ET AU MESURE DES TRAVAUX Fig 9 : Calendrier théorique type d’une opération de logement vendus au fur et à mesures des travaux d’après le mémoire HMONP de Bellec, Melinda 2016

Etablissement ou crowd founding, etc.

Architecte rentre en jeu Commercialisateur rentre en jeu

gpa

technique

montage programme

dévellopement

foncier

31

autorisation de construction

travaux

commercialisation

financement

mois

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 12 m o i s

Architecte Recherches et régociations

commence à être payé

capacité / faisabilité

Sécurisation du foncier avec une promesse é l a b o r a t i o n réalisations des du permis de conditions suspensives construire Dépôt du PC

études

mise au point du produit fonds propres

instruction du PC entre 3 à 4 mois

PRO - DCE lancement commercial

recours des tiers PC

études de marché

définitif

Achat foncier

appel d’offre

MOE d’EXE

crédits bancaires en fonction de la commercialisation

rentre en jeu

& prend la place de l’architecte

chantier de 15 à 24 mois

commercialisation de 3 mois à 2 ans + contrat de réservation

Livraison opération

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parent pauvre du bâtiment. Il n’y a pas d’argent pour construire à cause de la pression foncière. Le promoteur ne rognera pas sa marge, ça s’est sur ! Parce que celui qui fait la loi aujourd’hui ce n’est pas le promoteur, c’est le vendeur du foncier56 ». Lorsque la décision est prise d’acheter le terrain, les promoteurs peuvent lancer leur opération, en constituant une SCI, préparent l’acte d’achat avec les notaires, sollicitent un crédit dit « d’anticipation » auprès de leur banque, etc. Pour l’établissement bancaire, seule la simulation financière, fondée sur le prix du terrain, peut déboucher sur un accord en évaluant le degré de rentabilité d’une opération, parfois au détriment des risques éventuels que représente une opération. Parallèlement, les promoteurs élaborent le programme de construction en fonction des attentes des agglomérations, et en collaboration avec les architectes pour les études de faisabilité, etc57. Ainsi, l’obtention du terrain constitue l’étape au fondement d’une opération immobilière et représente de 15 à 50% du prix de vente du logement58. Le foncier, matière première d’une opération, correspondant à plus d’1/3 du montant total de l’argent investit pour une opération. Des acteurs spécifiques se consacrent à cette mission, ce sont les développeurs fonciers. Les tâches qui incombent aux développeurs consistent à prospecter les terrains, vacants ou non, d’une agglomération, de trouver les opportunités foncières dans un périmètre définit au préalable. Les entreprises de promotion immobilière peuvent s’appuyer sur des équipes de développeurs en interne ou faire appel à des sociétés extérieures vendant leurs services. Pour la recherche de ces terrains, les développeurs fonciers doivent respecter des critères de sélection bien particuliers (localisation, surface, accessibilité etc.) permettant au reste de l’opération de se dérouler plus facilement. Comme le rappelle Chloé Corbennois, responsable de projet chez 56 . Entretien avec François-Xavier Barade, agence Archibuild, Paris 17e 57 On se reportera de nouveau au schéma du bilan financier, 58 Nicolas Michelin, Le monde

COGEDIM, « nous [les responsables de projets], on travaille en amont avec des développeurs. On cherche des terrains en centre ville, à proximité des gares. Donc c’est stratégique hein! (sic). Avec la loi ALUR je crois, nous avons la possibilité de ne pas construire autant de places de parking que le PLU l’exige. C’est tout bénef’ pour nous! (sic). On est proactif là-dessus parce que sur dix terrains acquis, seulement deux opérations verront le jour59 ». Ainsi, le métier développeur, qui peut s’avérer lucratif60, requiert un sens du relationnel important et une connaissance pointue du monde politique et du développement urbain propre à chaque agglomération car, ainsi que le souligne Eric-Emmanuel Rettgen, « il ne faut évidemment pas faire un projet contre une commune, mais un projet avec une commune61 ». Dans cette perspective, les promoteurs doivent aussi s’adapter officieusement aux souhaits des municipalités pour élaborer les programmes de construction et déposer les permis de construire.

« Les promoteurs s’adaptent à chaque fois, aux desiderata des mairies ! »62

59 Entretien avec Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim 60 Un développeur foncier, lorsque celui-ci est extérieur à une entreprise de promotion immobilière, peut se faire jusqu’à 30 à 50% de marge sur le terrain obtenu, selon le témoignage d’un développeur foncier privé au cours d’une conversation informelle, avril 2018. 61 Entretien avec Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise IN SITU Promotion, Paris 2e 62 Entretien avec Etienne Chevreuil, associé dans l’agence Tectone, Paris 13e

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« Madame Le maire, enfin la femme du maire, voulait faire une crèche, alors on va faire une crèche ! Notre mode d’exercice ne tient qu’aux relations intuitives. »63 - Élaborer construction :

un

programme

de

Lorsque le terrain est acquis, un programme de construction est établi. Que le projet immobilier soit résidentiel ou tertiaire, l’architecte n’est pas le seul décideur des opérations à venir. Dans le cas du marché privé en foncier diffus, de nombreux facteurs entrent en compte pour élaborer le programme de construction, qui relèvent souvent d’interactions et d’échanges tacites entre les acteurs de la construction et les pouvoirs publics, comme nous l’avons évoqué. Cependant, il n’existe aucune structure mandatée pour superviser la construction des logements audelà des directives émises par les PLU. À la suite d’entretiens menés avec des urbanistes travaillant dans des sociétés d’aménagements ou pour des collectivités, à l’image de Marie Ghiringhelli pour l’entreprise Grand Paris Aménagement (GPA) ou encore Manon Cole pour la collectivité du Grand Roissy, nous nous sommes aperçus que pour de tels projets, l’échelle à laquelle le programme est élaboré pourrait peut-être être repensée. En effet, ces institutions ou structures pourraient apporter un regard d’expertise sur la conception des programmes. On pourrait 63 . Entretien avec François-Xavier Barade, agence Archibuild, Paris 17e, à propos d’opérations de logements menées sur la commune d’Asnières-sur-Seine, Hauts-de-Seine (92).

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aussi envisager que l’instructeur du permis de construire, proche de l’équipe du maire64, dont le rôle est prépondérant dans l’acceptation du PC, ne soit pas le seul décideur, mais qu’il puisse être secondé par une équipe d’aménageurs. Ainsi, les décisions relatives au permis de construire ne dépendraient pas exclusivement du pouvoir municipal, dont l’emprise sur les projets serait donc moins prégnante. Des équipes urbanistiques pourraient donner des préconisations de programmes en fonction des zones régionales, permettant ainsi à la parole habitante de s’élever un peu plus que ce qu’elle ne peut avoir aujourd’hui. Les projets seraient alors réellement imaginés en fonction des besoins de ces habitants. Apporter davantage de variations dans l’élaboration des programmes pourrait peutêtre favoriser une certaine mixité sociale, en permettant à certains quartiers/zone urbaine/ arrondissement, de se renouveler. Si l’on prend l’exemple du quota de logements sociaux, on peut imaginer qu’il serait peut-être davantage respecté dans certaines communes françaises, si le pouvoir municipal n’était pas le seul décideur, et si des équipes d’experts, prônant une vision d’ensemble à l’échelle départementale voire régionale, pouvaient également s’exprimer sur les projets de construction. Cela rééquilibrerait les rapports de force entre les différents acteurs impliqués. Cela pourrait aussi atténuer les effets 64 Le maire délivre les autorisations relatives à l’occupation et l’utilisation des sols : permis de construire, permis d’aménager, déclarations préalables, certificats d’urbanisme. Strictement encadrées par la loi, les procédures sont menées par le service instructeur de la commune. Le rôle du maire est quasi toujours prépondérant mais sa responsabilité peut varier. Quand la commune dispose d’une carte communale et à la condition que le conseil municipal l’ait décidé, ou quand elle est dotée d’un plan local d’urbanisme (PLU), le maire agit au nom de la commune. En l’absence de PLU ou de carte communale, il agit au nom de l’État – un rôle que le préfet peut également tenir. Aujourd’hui, et cette tendance va s’accentuant, la commune peut faire partie d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) dont il existe différents types : communauté de communes, communauté urbaine, communauté d’agglomération, établissement public territorial (EPT), métropole. Le maire peut alors déléguer sa compétence au président de l’EPCI. Le principal document d’urbanisme que la commune doit élaborer et réviser à l’initiative du maire est le PLU – qui intègre le projet d’aménagement et de développement durable (PADD). À l’échelle intercommunale est élaboré le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUI) qui peut tenir lieu de programme local de l’habitat (PLH) et de plan de déplacement urbain (DPU). À l’échelle des métropoles est élaboré le schéma de cohérence territoriale (SCOT). Chacun de ces documents doit être compatible avec celui de rang supérieur. Il existe également des documents à l’échelle régionale, nationale et européenne.

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de zonage dans certaines agglomérations où l’habitant pourrait alors reprendre sa place dans certains quartiers d’affaire, et où la rénovation ou réhabilitation des logements insalubres vacants seraient de nouveau inscrites à l’agenda des promoteurs, etc.

« Des maitres d’œuvre privés nous demandent de faire une étude de faisabilité gratuite. Ca serait du donnantdonnant. »65 Afin de déterminer la validité du programme de construction, une étude de faisabilité est nécessaire. Elle permet en outre d’effectuer un budget prévisionnel. On constate que la plupart du temps, la faisabilité est réalisée gratuitement par un architecte choisi directement par le promoteur. En se référant au PLU, l’architecte peut alors façonner des plans indiquant le nombre maximum de logements réalisables sur cette surface, où évaluant la surface utile qu’il sera possible de « gratter » si l’hypothèse des bureaux est privilégiée pour cette opération. Dès lors, le promoteur est en mesure de calculer la faisabilité du projet - bureaux et/ou logements. Mais il le fait prioritairement selon une logique financière.

« Le promoteur essaye de bourrer son programme à

Le profit avant tout ! (sic) »66

« La problématique c’est qu’une fois qu’on a livré la résidence, quelque part le challenge c’est de la remplir ! »67 En ce qui concerne une opération de logements, les promoteurs insistent particulièrement sur un programme « type », puisqu’ils ne sont pas tous armés pour définir des programmes qui changent de leurs schémas. Bien souvent, ils reconduisent les solutions adoptées lors de précédentes réalisations. Le goût pour l’innovation ne se fait pas souvent ressentir, ce qui pourrait pourtant apporter une plus-value commerciale à celui qui la lance68. L’innovation envisageable pour le promoteur se fera sur d’autres secteurs que sur des questions architecturales, comme le souligne Chloé Corbennois : « L’innovation se fait plutôt dans l’usage, la domotique, etc. Ou dans les services : un gardien qui est la H24 ou un système de co-working, dans un service de voiture partagée, etc. Ça ne va pas aller plus loin. Cela ne portera pas forcement sur l’architecture. Ou alors [les promoteurs] vont mettre l’argent pour faire venir des starchitectes qui vont apposer leur signature, mais uniquement dans des opérations d’envergure. C’est avant tout une stratégie de marketing. »69

Et Etienne Chevreuil d’ajouter :

mort pour rentabiliser!

65 . Entretien Etienne Chevreuil, associé dans l’agence d’architecture Tectone 66 . Entretien avec Etienne Chevreuil, associé dans l’agence d’architecture Tectone

« Ce sont souvent les labels et la réglementation qui guident le niveau d’exigence adopté pour une opération. Le promoteur se plie aux exigences de la ville et des réglementations en vigueur.

67 . Entretien avec Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim 68 . Page 15 de l’ouvrage Les promoteurs de JeanFrançois DHUYS, édition du Seuil, 190 p., 1975 69 . Entretien de Chloé Corbennois, responsable de projet à Cogedim

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L’innovation peut nous permettre de rentrer dans les critères environnementaux, mais si il n’y a aucun garde-fou, on se fait rouler dessus au rouleau compresseur (sic). En revanche, lorsque l’on construit dans Paris, c’est une vitrine. Il y a un coût de construction qui est plus élevé, on peut donc se permettre d’innover un peu. Mais l’innovation est très limitée.» 70

Or, décider ainsi d’un programme, en fonction de logiques financières, sans tenter de penser son élaboration en concertation avec davantage d’acteurs, ou sans rechercher prioritairement à s’assurer de la qualité des logements fabriqués, remet en question le sens du métier d’architecte et interroge quant aux compétences que les architectes peuvent apporter à un projet. Qu’en est-il des intentions architecturales au regard de ce « bourrage71 » de surfaces ? Les architectes sont-ils amenés à simplement habiller une étude capacitaire ? Les pièces graphiques72 demandées pour un permis de construire illustrent bien ce statut. Alors qu’aujourd’hui, un projet se vend principalement sur une image, le rôle des architectes ne serait-il réduit qu’à celui de façadiers ?

70 . Entretien Etienne Chevreuil, associé dans l’agence d’architecture Tectone 71 On entend par ce terme, l’idée selon laquelle chaque mètre carré gagné accroit le bénéfice financier du promoteur. L’objectif étant alors de dégager la plus grande surface habitable possible pour maximiser les profits lors de la vente. 72 Parmi elles prioritairement : plan masse, coupes, élévations, perspectives. Les plans intérieurs ne sont, eux, jamais demandés en premier lieu.

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- Monter une opération : la gestion du budget et des équipes par les responsables de programme

« En fait c’est un savant dosage une opération. C’est compliqué, c’est très compliqué. »73 La mission des responsables de programmes consiste principalement à gérer l’enveloppe financière en coordonnant les équipes de la maitrise d’œuvre. Ils tiennent alors à jour le bilan financier, suivent de près l’aspect administratif des opérations (permis de construire, DCE, appel d’offre, suivi de chantier jusqu’à la livraison). Le responsable de programme est également le principal interlocuteur de l’architecte. Les responsables de programmes font le lien entre tous les corps de métier de la maitrise d’ouvrage afin de filtrer les informations pour les transmettre par la suite à la maitrise d’œuvre. Mais cela n’est pas sans conséquences sur les missions que les architectes doivent mener à bien, ce qui modifie en partie les contours de la profession, souvent au détriment des acteurs de la maitrise d’œuvre.Chez BNP Paribas par exemple, nos interlocuteurs au quotidien sont un pilote ou un asset-manager. L’un s’occupe du pilotage de chantier, l’aspect plus technique, alors que l’autre s’occupe de la partie surface, respect des coûts, etc. Le dialogue est parfois compliqué puisque l’un ne peut répondre pour l’autre. Chaque modification d’appartement est alors un casse-tête administratif. Chez PITCH promotion, notre interlocuteur est un responsable de programme. C’est lui qui fait le lien avec les autres professionnels du côté de la maitrise d’ouvrage. Néanmoins, pour certaines tâches, il aura tendance à les confier instinctivement à 73 Entretien de Chloé Corbennois, responsable de projet à Cogedim

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l’architecte, même si celui-ci n’est pas rémunéré pour ces missions : réunion avec le SPS, le contrôleur technique, réunion avec les requérants du permis de construire, etc.

nous l’avons montré. Les propos de François-Xavier Barade, architecte et chef d’agence, en témoignent : « Le logement est vendu comme un yaourt. Quand tu achètes un yaourt, tu achètes une marque, un label, un emplacement et un packaging. Quand tu achètes un logement, tu achètes le label HQE, c’est comme le label BIO. J’ai mis beaucoup de temps à accepter ce système, cette logique de marché. C’est une grille, et le mec va comparer. » 76

- Vendre les logements construits : le rôle du commercialisateur En collaboration étroite avec le responsable de programme, la principale mission des commercialisateurs consiste à vendre les logements construits. Son efficacité est garante de la santé de l’opération, comme en témoigne Alexandre Bangou : « Faire la commercialisation de ces plans PC demande de vendre tes appartements au plus tôt. Plus tu commercialises tôt, plus ton taux de chiffre d’affaire sera sécurisé tôt. A partir de 35/40% de chiffre d’affaire sécurisé, tu fais tes contrats de réservations. Environ 40% des réservations bénéficient déjà d’un prêt. Ensuite le promoteur sort de l’argent pour l’achat du terrain, pas avant (sic). Ils portent le risque. Une fois qu’on a acquis le terrain, la courbe de profit file. Elle va relativement rester stable par la suite. Mais à partir de l’acquisition du terrain, l’argent commence à rentrer et l’équilibre se fera jusqu’à la livraison. » 74

C’est alors que tous les moyens du marketing sont permis75. Les plateformes de diffusions sont variées, et ambitionne d’atteindre un public très large. Ce sont des armes de communication pensées pour vendre un maximum de logements. Et ce, parce que le lancement commercial est vital pour une opération : avant même que le bâtiment sorte de terre, il faut que la majorité des logements soient vendus, comme 74 Entretien Alexandre BANGOU, responsable de programme chez Nexity 75 Ces moyens sont divers et variés et parfois relativement surprenants : charte graphique imposée pour la production de plans de vente par les architectes, sms envoyés à tous les passants à moins de 500m d’une future opération Nexity, publicités radiophoniques de type « Ikea » pour Cogedim (actuellement diffusées), etc.

La marge du promoteur ne se sera effective qu’une fois le dernier logement vendu : le commercialisateur est donc un acteur primordial du système porté par la promotion immobilière privée. À l’image des développeurs fonciers, les commercialisateurs peuvent être employés d’une société de promotion immobilière ou être extérieurs77.

« La pratique courante c’est que le promoteur offre la première TMA à l’acquéreur. Mais au final c’est l’architecte qui doit regratter le plan ! C’est facile de faire des cadeaux quand ce ne sont pas eux qui le font.»78

76 . Entretien François-Xavier Barade, agence Archibuild, Paris 17e 77 Pour Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise IN SITU Promotion, Paris 2e, « Les commercialisateurs externes, travaillent avec des éléments chartés c’est à dire que tout ce qui est planning de communication, ou panneau 4 par 3, communication sur internet, tout ça est charté et pris en charge par nos services, la communication c’est nous qui la gérons et le commercialisateur utilise les outils qu’on lui fournis. » 78 . Entretien Etienne Chevreuil, associé dans l’agence d’architecture Tectone

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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Les possibles liens entre ses professions et la nôtre Les entreprises de promotion immobilière fonctionnent de façon relativement opaque quant à la diffusion des informations auprès de ses collaborateurs. C’est souvent un seul référent qui contrôle ces informations, lui permettant ainsi de s’assurer une mainmise sur le projet et donc le budget. En tant qu’architecte, nous n’avons à faire qu’à un seul interlocuteur, ou deux maximum, lorsqu’on réalise une opération de logement avec des promoteurs immobiliers. Un architecte ne travaillera pas main dans la main avec un commercialisateur ou un développeur foncier par exemple. Les architectes sont néanmoins directement concernés par leurs missions, puisqu’ils vont produire des plans de vente pour le commercialisateur, ou réaliser une faisabilité en amont pour le développeur foncier, etc. Nous considérons ce manque de clarté dans la diffusion des informations comme regrettable, puisque les architectes travaillent, la plupart du temps, gratuitement (faisabilités et plans de vente à des prix trop faibles), pour ces professionnels de la promotion immobilière. Les liens entre certains acteurs de la maitrise d’ouvrage, et entre la maitrise d’œuvre sont coupés, notamment du fait de la division des tâches qui caractérise la promotion immobilière. Serait-ce volontaire de la part de la maitrise d’ouvrage de couper ces liens, afin de contrôler l’équipe de maitrise d’œuvre, selon une optique hiérarchique ? Serait-ce lier à la volonté de suivre des logiques entrepreneuriales ? Dans cette optique, les promoteurs immobiliers pourraient alors dicter les missions de la maitrise d’œuvre à leur guise mais également justifier une temporalité convenant aux attentes de la maitrise d’ouvrage et non à la maitrise d’œuvre. L’architecte est donc souvent sommé d’exécuter ce que le promoteur lui demande, sans que son travail ne soit réellement considéré. Or, cette

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situation, pour le moins préoccupante, mérite d’être interrogée. Le schéma venant à la suite illustre de manière subjective les liens formels, puis informels, qui existent entre maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre sur l’opération de 120 logements à Asnières (opération où je suis personnellement impliquée). Le premier montre les différentes liaisons contractuelles (qui font l’objet d’un marché, d’une convention ou d’un contrat entre les intervenants) et fonctionnelles (obligations réglementaires, normatives, consensuelles entre les différents intervenants). Le deuxième illustre toutes les relations informelles que l’architecte peut entretenir pour le compte de son client, le maître d’ouvrage, sans aucune compensation financière et sans que ces missions ne soient décrites dans le contrat liant les intervenants de l’opération (dessin de plans et coupes du projet + explication du projet aux requérants, réunions avec le bureau de contrôle, etc.). Par le biais de relations intuitives et d’échanges informels, les promoteurs jouent le jeu du relationnel, une démarche souvent incontournable dans le marché privé, où chacun négocie ce qu’il peut.

« Tu ne peux pas blacklister Vinci »79 Néanmoins la plupart du temps, les structures d’architecture ne font pas le poids face à ces machines à produire des logements. Le rapport de force est déséquilibré. Les architectes sont facilement contraints à céder du terrain, et aligner leurs honoraires sur les prix du marché, principalement régulé par les promoteurs80. Les agences ne peuvent évidemment pas refuser de travailler avec des promoteurs si elles souhaitent continuer à travailler sur des logements collectifs 79 . Entretien Sabrina, chef de projet chez Mimram 80 Ce cas de figure s’applique surtout dans le domaine du marché privé diffus.

L a promotion immobilière, acteur incontournable de l’appareil de prodcution de logement


hors du marché public/bailleur sociaux. Travailler pour un promoteur immobilier est un moyen pour les agences et les architectes de se rendre visibles, afin de pouvoir prétendre à d’autres types de commandes, et également avoir une entrée financière stable.

« Mais il faut comprendre qu’un architecte qui travaille avec un promoteur, c’est une machine à cash. Il va avoir des rentrées sures. Parce que le promoteur paye. »81

81

. Entretien Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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L a promotion immobilière, acteur incontournable de l’appareil de prodcution de logement


L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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SCHÉMA DES RELATIONS ENTRE ACTEURS, EXEMPLE DE L’OPÉRATION DE 120 LOGEMENTS À ASNIÈRES-SUR-SEINE, architectes:

Archibuild,

maître d’ouvrage

: PITCH

promotion

Fig 10 : Schéma des relations entre acteurs, exemple de l’opération de 120 logements à Asnières sur Seine, PITCH promotion et Archibuild, source personnelle

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L a promotion immobilière, acteur incontournable de l’appareil de prodcution de logement


LA FABRICATION DE LOGEMENTS: QUEL DIALOGUE ENTRE PROMOTEUR ET ARCHITECTES?

II

Les groupes de promotion immobilière constituent des acteurs de taille dans le marché privé du logement en France. Mais ils privilégient souvent une approche productiviste, ce qui induit une certain standardisation des constructions, tant du point de vue des programmes que de la typologie des logements. Ainsi, les logements sont moins pensés en fonction de « l’habiter », ce qui devrait demeurer leur sens premier, et tendent à devenir des produits financiers aux yeux des promoteurs. À travers les entretiens avec promoteurs et architectes, nous proposons de faire le point dans cette partie sur l’état de la production de ces logements, en essayant de décortiquer les raisons pour lesquelles nous sommes arrivés à produire des logements de ce type. La façon de concevoir le parc résidentiel est étroitement liée aux rapports qui existent entre les acteurs de cette production. Il semble alors important d’analyser les relations entre maitrise d’ouvrage et maitrise d’œuvre et particulièrement entre les promoteurs et les architectes. Ils travaillent main dans la main mais défendent souvent une vision de la construction radicalement différente et leurs intentions initiales ne se rejoignent pas. Il leur est donc difficile de parler le même langage. Le contrat liant les deux parties semble être la meilleure illustration de ce constat. S’il se veut équitable, ce contrat

peut être également perçu comme étant un terrain de conflits ou les intérêts divergent. L’architecte doit apprendre à s’armer, et notamment par ce biais contractuel, pour faire-valoir la défense d’une architecture durable et responsable.

« Humainement parlant, un architecte et un promoteur n’ont rien en commun.

Nous sommes des maîtres d’œuvre… ils sont les maîtres de l’ouvrage. Nous sommes payés… ils touchent. » 82

Pourquoi la qualité des logements se dégrade-t-elle de manière flagrante ? On ne saurait hâtivement et de façon caricaturale tenir les promoteurs immobilier pour seuls responsables et en faire des boucs-émissaires de choix pour dénoncer les logiques à l’œuvre dans la construction de 82 P39 de l’ouvrage Mon ambition de Fernand Pouillon, extrait d’entretiens avec F.Pouillon. extrait d’un texte provenant de l’entretien entre Fernand Pouillon avec Jacques Chancel, Radioscopie, 1968, de celui avec Jean-Francois Dhuys, Les nouvelles littéraires, 1978, et de son intervention au colloque « La ville nouvelle », 1973

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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logements du marché privé aujourd’hui. La promotion privée est partie prenante d’un système où règne le « tout consommable » et la fétichisation du bien immobilier pensé comme produit. Il nous semble néanmoins réducteur de pointer du doigt cette profession comme seul responsable de la perte d’emprise des architectes sur le marché du logement et, par effet de cascade, de la dégradation de la qualité des logements, de leurs prix croissants, etc. Chaque acteur de la production de logements peut être tenu responsable de l’état dans lequel se trouve le secteur de la fabrication de logements aujourd’hui ; élus, banquiers, et même architectes ! L’ouvrage de Philippe Tétriac, Faut-il pendre les architectes ?83, met en lumière cette question de la responsabilité quant à l’architecture que l’on construit. Pour reprendre les mots de Rudy Ricciotti, l’architecture est bel et bien « un sport de combat »84. La vision de l’architecture portée par les architectes peut être malmenée par beaucoup de facteurs. Outre les diverses réglementations, travailler pour la promotion immobilière privée apparaît comme un « combat » pour lequel la profession devrait s’engager au quotidien. Défendre nos intérêts semble une nécessité. L’architecture concerne la société tout entière, l’architecte devrait alors être considéré comme un acteur à écouter autant, sinon plus que quiconque. Cependant son rôle est de plus en plus minimisé, conférant à la promotion immobilière un rôle de plus en plus grand, et pas seulement dans le marché privé du logement, mais de plus en plus dans la façon dont est pensée la ville de demain. 83 Trétiack , Philippe, Faut-il pendre les architectes,, Edittion Seuil, 2001 84 Ricciotti,Rydy & d’Equainville , David, L’architecture est un sport de combat Edition Textuel, 2013

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a) La question du contrat Le contrat apparaît comme le document permettant d’établir un terrain d’entente entre les deux interlocuteurs que sont le maitre d’œuvre et la maitrise d’ouvrage. Il nous paraissait indispensable d’évoquer ce document, normalement essentiel à la bonne réalisation d’un ouvrage. Il devrait traduire les attentes de chacun dans un même document, même si celles-ci sont parfois diamétralement différentes. Certains articles de ce document juridique peuvent toutefois révéler les différences qui opposent ces deux acteurs. Le contrat peut également traduire le rapport de force inégal entre promoteurs et architectes. Il nous paraît essentiel de l’analyser afin de comprendre quelles sont les clauses du contrat qui peuvent être défavorables aux architectes et leurs conséquences sur le déroulement des opérations de construction. Avant toute chose, le contrat liant promoteur et architecte est fondé sur le droit privé85. Cela induit une marge de manœuvre confortable pour les promoteurs. Or cela interroge, si l’on considère la grande liberté laissée pour mener des opérations de construction qui touchent un public large - acquéreurs accédants et avoisinants en premier lieu. Néanmoins, les promoteurs se débrouillent au mieux pour mener des opérations selon leur bon vouloir, et prennent rarement en considération, par exemple, la nécessité pour certaines communes 85 Selon l’Ordre des Architectes, le contrat entre promoteur et architecte est bien définit en fonction des obligations juridiques du droit privé. Ainsi, le contrat architecte / promoteur a été réalisé à partir du contrat travaux neufs de l’Ordre des architectes. Il devrait comporter : - un cahier des clauses générales (CCG) qui détermine les dispositions générales applicables dans les rapports entre le maître d’ouvrage et l’architecte - un cahier des clauses particulières (CCP) qui fixe les dispositions spécifiques du contrat d’architecte conclu avec le maître d’ouvrage (la désignation et la qualité des parties contractantes, l’objet de l’opération, la mission confiée à l’architecte, les conditions, le montant et les modalités de sa rémunération, les conditions dans lesquelles l’architecte satisfait à son obligation d’assurance professionnelle), - une annexe financière qui est fonction du mode de calcul des honoraires (au pourcentage dans la plus part des cas, au déboursé, au temps à passer) - un document relatif aux obligations d’assurance des parties Cf. Ie site internet de l’Ordre des Architectes, le 18 juillet 2018, disponible sur : https://www.architectes.org/contrat-travauxneufs-architecte-promoteur

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


de bâtir des logements sociaux86. Or, il semble que nous pourrions être en droit d’exiger, pour la conception d’un immeuble de 120 logements, que cette conception témoigne d’une prise en compte de l’intérêt public. L’objectif d’une telle architecture devrait être la volonté de faciliter l’appropriation des lieux par les publics concernés. Autant d’éléments qui devraient peutêtre relever aussi de la responsabilité juridique des promoteurs immobiliers.

-

Un rapport de force déséquilibré : vers un appauvrissement de la qualité des logements?

Malheureusement le contrat de référence fourni par l’Ordre des Architectes, décrit quelques lignes plus haut, n’est pas utilisé par la promotion immobilière. Elle utilise ses propres bases de contrat, avec les clauses directement pré-décrites. L’Architecte peut les amender. François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, travaille avec de nombreux promoteurs dans le marché du VEFA. Il témoigne de cette difficulté à faire face à des multi-nationales : « Amender le contrat, c’est ne jamais avoir de réponse positive et tu ne signeras jamais ton contrat avec la BNP par exemple. Mais de toute manière il ne faut jamais faire pression avec le promoteur. Pour moi il y a deux types de problèmes : relationnel et après réception, mais à ce moment là tu es assuré. Et puis de toute manière tu peux toujours revenir sur un contrat pour certaines clauses qui étaient violines.» 87

devient une agence d’architecture employant une vingtaine de salariés ? Les jeunes agences, plus susceptibles à accepter des clauses abusives pour rentrer dans le marché du gré à gré, ne peuvent pas s’en sortir face à ce monde de la promotion. Encore une fois, notre formation d’architecte ne nous arme guère pour faire face à ces questions juridiques, et pour beaucoup d’architectes, payer un avocat excède de beaucoup le budget prévisionnel. Les promoteurs eux-mêmes jouent de ce rapport de force pour faire passer leurs conditions. C’est en ce sens que l’on peut entendre les propos d’Alexandre Bangou, de souligner que « quand tu bosses avec Nexity c’est souvent les règles de Nexity ! On a des contrats groupes, si tu bosses avec Nexity tu sais ce qui t’attend tu vois, faut pas se leurrer (sic) »88.

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Un des points qui pourrait être le plus amendé serait la clause sur les honoraires. Dans la majorité des cas, les honoraires des architectes sont forfaitisés89. Et dans beaucoup de cas, le contrat n’est jamais donné avant le permis de construire, comme en témoigne Etienne Chevreuil de l’agence Tectone : « Alors déjà, pour revenir sur le contrat, il faut savoir que l’on ne l’a jamais quand on commence. Bien souvent, au départ on est pas rémunéré pendant quelques mois. On ne devrait pas laisser faire cela. Bien souvent nous on nous propose un forfait sur un montant de travaux, le montant des travaux il ne faut pas se leurrer (sic) il est toujours insuffisant. Eux-mêmes le savent puisqu’on leur tire les mots de la bouche (sic), ils essayent de faire de l’argent sur les honoraires, et du coup ils essayent de minimiser le montant des travaux, et puis en faire un forfait ensuite non-négociable. Alors nous là-dessus, on est pas dupe non plus (sic). Ce qu’on a fait là récemment avec Bouygues c’est qu’on a accepté le forfait

Le droit privé en France permet aux deux parties de négocier les clauses du contrat à leur guise. Notion intéressante lorsqu’il s’agit d’un contrat avec un particulier. Néanmoins lorsqu’il s’agit de Bouygues, Vinci, Nexity, BNB Paribas, que 86 On notera ainsi que lorsqu’il y a moins de 800m2 de SDP, il n’y a pas d’obligation de respecter le pourcentage de logement social demandé par la commune. Autre exemple, si le promoteur construit une résidence séniors, le logement social disparaît totalement du programme, etc. 87 D’après l’ entretien non-directif avec François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e

Des honoraires justement calculés?

88 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 89 Ils représentent un pourcentage du montant HT des travaux, divisé en fonction du phasage de l’opération.

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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mais révisable sur le montant des DGD. Donc on prend en compte tous les TS, parce que ça nous prend du temps aussi tous les TS. Il faut modifier souvent les plans. Mais ce qu’on négocie maintenant c’est une réévaluation sur le montant des marchés signés, après l’appel d’offre, on signe les marchés, on voit le montant et on réajuste. C’est assez logique et ça rassure le maître d’ouvrage aussi.» 90

Le sentiment qui domine, c’est que les questions financières demeurent un sujet délicat. Les architectes sont les premiers silencieux sur ce point. Sur les bancs de l’Ecole Nationale Supérieure d’Architecture, la question des honoraires n’est jamais abordée. En sortant du cursus, les étudiants n’ont aucune idée de la valeur de leur propre travail. Il nous paraissait alors nécessaire d’aborder cette question au cours des entretiens. Puisque selon l’expression consacrée, tout travail mérite salaire, à quel montant est évalué le travail d’un architecte concernant la production de logement en France selon les grilles appliquées par les acteurs de la promotion immobilière ? Les honoraires des architectes, fixés en principe après négociations entre les deux parties, illustreraientils l’opinion que se fait le monde de la promotion des architectes ? Selon Philippe Martial91, le contrat privé liant MOA et MOE devrait se baser sur le contrat du marché public fixé par la loi MOP (avec les même barèmes d’honoraires, etc). Lorsque l’on voit qu’un jeune architecte a du mal à se payer aujourd’hui92, c’est qu’il y a un problème dans notre façon de négocier notre rémunération sur le temps d’une opération. Les architectes sont alors contraints à trouver des solutions alternatives pour se protéger, pour contourner le contrat signé avec le maitre d’ouvrage afin de se défendre avec leurs moyens en cas de litiges. L’architecte FrançoisXavier Barade, a mis en place des propositions d’honoraires pour être payé. Selon lui : « Qui 90 D’après l’entretien semi-directif avec Etienne Chevreuil, associé dans l’agence Tectone, paris 13e 91 D’après l’intervention de Philippe Martial le 16/11/17 dans du séminaire HMONP 92 D’après les interventions des différents jeunes architectes lors des sessions HMONP à l’ENSA de Nantes au cours de l’année 2017/2018

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ne dit rien consent. Un contrat c’est très long à signer. Avant de signer je me débrouille pour faire une proposition d’honoraire que j’essaye de faire signer. J’accepte de travailler sans contrat par contre je n’accepte jamais de travailler sans être payé : je fais des notes d’honoraires à chaque phase»93. Pour Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, le moyen le plus efficace dont dispose les architectes pour faire pression auprès des promoteurs est de jouer sur le permis de construire. Puisque l’architecte « sert à déposer un permis de construire », selon les mots d’Alexandre Bangou, l’architecte prend « en otage » le dossier du permis pour pouvoir signer le contrat avec le maitre d’ouvrage lorsque celui-ci doit déposer au plus vite. L’architecte parisien témoigne : « Souvent on arrive à l’obtenir au moment du PC, c’est un moyen de levier aussi hein. C’est malheureux à dire hein mais bien souvent, s’ils veulent déposer le projet, il faut qu’ils nous fassent le contrat avec NOS conditions. On a eu des contacts très tendus avec des MOA on gardait le PC en otage, c’est le seul moyen de faire accepter nos demandes pour le contrat. »94. Certains des professionnels rencontrés au cours de mes recherches sont apparus comme des sources d’inspiration quant à ma future pratique professionnelle. Etienne Chevreuil, architecte parisien, s’efforce de faire une architecture des plus justes. Il mène à bien de nombreux combats quotidiens avec son associé Pascal Chombart de Lauwe, ce qu’illustrent ses propos : « On amende chaque article. C’est de la négociation en fait. Il y a plein d’architectes qui ne regarde pas et qui signe les yeux fermés. Nous on regarde tout, à la fois les questions de propriétés intellectuelles, les cas de résiliations de contrats parce que cela peut arriver, les indemnités que l’on touche, les travaux modificatifs acquéreurs qui sont souvent sous-rémunérés voir pas payés du tout, donc nous on fait attention a ça, que ce soit clair dès le début, on décide aussi des différents degrés de TMA. Il ne faut pas tout accepter, surtout

93 D’après l’entretien non-directif de François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e 94 D’après l’entretien semi-directif avec Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


pas ! Même au niveau des honoraires, nous on dénonce le dumping de certains architectes pour avoir des contrats, nous la dessus non, on ne baissera pas nos honoraires. On considère qu’on mérite un montant suffisant d’honoraires. Déjà pour vivre ! Il y a des projets pour lesquels on ne fait pas de marges ! Les promoteurs ont des marges à deux chiffres alors que nous on essaye déjà d’en avoir une. Nos bilans on peut les fournir aux promoteurs mais ce n’est pas les mêmes que les leurs ! »95

-

ses propres délais. Certains promoteurs semblent alors totalement déconnectés de la réalité de la profession d’architecte, et insistent constamment sur la réduction du temps dont l’architecte dispose pour travailler. Une pression dont certains acteurs de ce secteur ont pleinement conscience. Ainsi, Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity, dénonce lui-même certaines contraintes de temps imposées par ses responsables en interne en affirmant : « Chaque promoteur fonctionne différemment, mais aujourd’hui la tendance actuelle c’est de commercialiser sur des plans PC. PROBLEME (sic) ! et moi je me bats même chez Nexity en interne contre ça. Ils ne faut pas le faire parce que lorsqu’on commercialise sur des plans PC, sans faire la synthèse des fluides, les gaines gonflent, sans parler des poutres etc ! Comment tu vas expliquer à un client pourquoi il va perdre de la SHAB (sic) ? Il va perdre 2m2 dans son logement qu’il a acheté 5000€ du mètre. La tendance aujourd’hui est donc d’expliquer au maximum que les plans du PC doivent être aussi détaillés qu’un DC. »98.

Temporalités imposées

La question du temps est essentielle dans le contrat. Néanmoins, chaque partie ne poursuit pas les mêmes intérêts au cours de chaque phase. La temporalité du promoteur et celle des architectes n’est pas la même. Les architectes découpent le projet selon différentes étapes ESQ APS PC APD PRO DCE96 - ce qui se justifie totalement : chaque phase est essentielle pour la bonne réalisation de la construction. Les bureaux d’études vont pouvoir travailler dans un temps imparti et l’architecte va pouvoir faire sa synthèse au mieux. On valide à chaque phase des principes de conception, ce qui est nécessaire pour la santé d’une opération. Les promoteurs, eux, n’ont pas la même temporalité : les phases PC et DCE sont les plus importantes puisqu’elles permettent de débloquer une opération en fonction du bilan financier. Une fois la phase PC purgée, le bail est signé entre investisseur et promoteur (cf. l’exemple d’Asnières-sur-Seine), et lors de la phase DCE les négociations sont lancées entre les entreprises et le maitre d’ouvrage : l’enveloppe financière pour les travaux97 est fixée. La question que nous pouvons poser est celle des méthodes qu’utilisent les architectes pour faire valoir leurs intérêts auprès promoteurs. La promotion immobilière est évidemment au fait des temporalités des architectes. En revanche, elle fait passer ses intérêts économiques avant le bon enchainement de ces phases, en bousculant les temps proposés par l’architecte afin de respecter 95 D’après l’entretien semi-directif avec Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 96 Cf. Glossaire 97 Elle représente environ 40% HT du montant total de l’opération, voir partie 1)

Il est très difficile d’établir un calendrier en accord avec un maitre d’ouvrage (promoteur ou autre d’ailleurs) puis, dans un second temps, de réclamer nos honoraires à chaque phase de l’opération. Cependant, pour les architectes, définir des temporalités adéquates et les respecter sont la garantie d’un travail réalisé méticuleusement. En outre, elles permettent à la maitrise d’oeuvre de jouir d’une rentrée d’argent régulière au long de l’opération. L’architecte peut travailler jusqu’au DCE même si le permis n’est pas purgé. Cependant il ne sera pas payé pour ce travail si le permis n’est pas purgé. Il conviendrait donc d’envisager des moyens de s’assurer que notre travail soit rémunéré de façon plus juste. Les pratiques de l’agence Tectone en la matière peuvent indiquer quelques pistes. Pour les deux associés : « La négociation c’est surtout la répartition des honoraires sur chacune des phases. On essaye d’obtenir suffisamment 98 D’après l’entretien semi-directif d’Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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Fig 11 : Extrait d’un contrat type de promotion immobilière, bibliothèque personnelle

d’honoraires rémunérés pour commencer, APS pour avoir une petite trésorerie, donner une impulsion, si le contrat est signé. Alors que les promoteurs attendent d’effectuer le premier paiement à l’obtention du permis de construire, voire à l’obtention du permis de construire purgé après les recours. Maintenant ce qu’on fait, c’est qu’on négocie dès les premières phases, puis on décompose le PC en plusieurs phases. Pour le dépôt de PC, quand on le remet en main propre au maitre d’ouvrage, une partie du pourcentage de la répartition alloué au PC, une autre partie quand on obtient le PC, et puis une autre quand le PC est purgé. Ce n’est pas toujours accepté, mais on essaye! Parce que notre travail est terminé quand le PC est déposé ! Or on doit être rémunéré pour ce travail c’est normal »99.

99

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D’après l’entretien semi-directif avec Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


- Les grands oubliés du contrats : plans de vente & TMA, faisabilité, suivi de l’EXE Déjà évoqués précédemment, les plans de vente, les plans de Travaux Modificatifs Acquéreurs (TMA) ainsi que les faisabilités sont les sujets sensibles entre promoteurs immobiliers et architectes. Pour certains, ces travaux sont trop onéreux, pour d’autres, pas assez rémunérés vis à vis du travail fourni.

« Entre le moment où il y a une promesse de vente sur un terrain, les architectes sont en phase esquisse, ils courent un risque, effectivement! Ils ne sont pas forcement payés sur cette phase là, parce qu’il n’y a encore aucun contrat qui les lie au promoteur.

Mais

on ne sait pas encore si on va sortir l’opération

Certaines missions demandées à l’architecte ne sont simplement pas payées par le promoteur. Parmi elles, la faisabilité, une phase pourtant essentielle à la promotion immobilière. La faisabilité, comme nous avons pu le voir, est nécessaire pour constituer un dossier et établir un bilan financier. Avant la faisabilité, leur enveloppe budgétaire n’étant pas encore établie, il est « difficile » selon ces acteurs de rémunérer les architectes. Ces derniers travaillent donc, malheureusement, gratuitement. Les faisabilités sont des exercices qui doivent être réalisés rapidement, selon une méthode très rigoureuse : au sein des agences, on ne passe pas plus d’une journée à faire une faisabilité. Comme garantie, le maitre d’ouvrage leurs assure (oralement bien sûr), que si l’opération sort, ils seront nommés architectes du projet. « C’est du donnant-donnant ».101 Pourtant, il semble à maints égards que la situation soit passablement désavantageuse, voire inacceptable. Mon expérience professionnelle au sein d’une agence fonctionnant beaucoup avec ce genre de « services donnés », me démontre au quotidien que ce type de travail ne porte ses fruits qu’en certaines occasions. Seules quelques opérations sortent grâce à ces faisabilités réalisées pour le compte de promoteurs ou de développeurs fonciers qui entretiennent des relations étroites avec les associés de l’agence Archibuild102. D’autres missions, tels les TMA (Travaux Modificatifs Acquéreurs) sont reprises par le promoteur sans consultation de l’architecte, comme l’illustrent parfaitement les propos d’Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity :

aussi ! »100

100 D’après l’entretien semi-directif d’Alexendre Bangou, responsable de programme chez Nexity

« On ne fait pas les plans de vente en interne mais quand il y a des modifications d’appartement on le gère directement chez Nexity. Ce n’est pas dans le contrat mais ce qui n’est pas dans le contrat est libre d’interprétation. En revanche faire péter les cloisons et refaire un cloisonnement de

101 D’après l’entretien semi-directif avec Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 102 Ainsi, dans cette agence, pour plus de 300 faisabilités faites en quatre ans, seulement une quinzaine sont sorties.

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l’appart, que les architectes me demande 300 € pour ça, clairement non (sic). »103.

Ces modifications de plans faites par l’architecte seraient une dépense trop chère pour le promoteur, en faisant évoluer son bilan financier. En effet, il ne peut pas pré-évaluer les exigences de son futur client. Dans le cas d’investisseurs, les plans de vente sont faits en partie par les architectes, à des prix très bas104. Toutefois les investisseurs se montreront très exigeants quant aux plans de vente de leurs futurs produits. De ce fait, l’architecte peut dessiner plus de dix fois un appartement, modifier les emplacements d’équipements, etc. Certaines agences décrient cette sous-rémunération. Certains architectes se bâtent pour que leur travail soit justement évalué et rémunéré, comme Etienne Chevreuil :

« On établit un barème, si c’est une modification de prise, des petites choses mineures, c’est tel tarif, jusqu’au jumelage de deux logements et la c’est carrément un projet qu’il faut refaire. On ne peut pas être payés 120 euros pour un projet ! On a des grilles en interne de degré d’intervention sur les TMA et on essaye de les mettre dans le contrat à chaque fois. On ne le fait pas depuis très longtemps mais on estime qu’on a perdu du temps pas mal de fois. On estime que c’est le minimum, mais je pense que nous sommes les seuls à le faire ! »105

Un dernier aspect qu’il convient de mentionner relève de la perte d’influence des architectes sur la mission d’exécution. Ainsi, pour Etienne Chevreuil, « les contrats d’architectes se font maintenant sur la base des études de conception et pour la mission de réalisation, un autre contrat est passé avec d’autres professionnels, un maitre d’œuvre d’exécution, une personne qui n’a pas forcement conçue le projet. ». D’ailleurs, même si la mission de réalisation est 103 D’après l’entretien semi-directif d’Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 104 Environ 200€ par envoi de plans 105 D’après l’entretien semi-directif d’Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e

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confiée à l’architecte, le promoteur engage en interne un MOTR, un maitre d’ouvrage technique de réalisation. « Le responsable de programme passe la main à cette personne, cette personne qui a plus de bagage technique, et qui suit le chantier, qui nous accompagne lors de certaines réunions. »106. Cette prise de responsabilité des promoteurs est vue par les architectes comme étant très problématique sur le chantier107. Pour le promoteur, c’est bel et bien l’architecte qui s’est mis dans cette situation. L’architecte est ainsi de plus en plus considéré comme incompétent sur les questions techniques. Eric-Emmatuel Rettgen, chef d’entreprise de promotion immobilière a un avis tranché sur la question : « Les dernières opérations font que je souhaite que l’architecte ait une place qui se réduise à l’expression d’une créativité plutôt que des missions complètes donc je souhaite que mes architectes soient de bons concepteurs et puis voilà ! C’est leur rôle essentiel »108.

106 D’après l’entretien semi-directif d’Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 107 D’après l’entretien semi-directif d’Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e, « Pendant le chantier il (le promoteur) peut donner des ordres directement aux entreprises, en nous squeezant un peu. Il veut que le chantier avance, au détriment de la sécurité et des DTU. On arrive à des situations vraiment grotesques parfois. Et puis les responsables chantier de la MOA qui donnent des ordres directement aux entreprises en leurs disant que c’est plus simple que ça va plus vite, donc nous on passe pour quoi à côté ! » 108 Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise d’IN SITU, Paris 2e

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


b)

Etat

des

lieux

de

la

production de logement

À travers les différents entretiens réalisés ou encore grâce à ma propre pratique professionnelle, un constat d’échec se fait sentir quant à l’évolution de l’état des logements en France. Peu de surface, des prestations frôlant le décor de théâtre, une absence totale de recherche d’innovation, etc. Dans cette perspective, il semble intéressant de faire un point sur l’état des logements que l’on produit en France aujourd’hui, à travers la voix des différents acteurs de la construction, tels les promoteurs ou architectes, mais aussi à travers la voix des habitants. Ainsi, quelques constats s’imposent.

-

que l’architecte avait envisagée. Les honoraires de l’architecte étant fonction du pourcentage du montant des travaux (généralement entre 3 à 10%), le montant des travaux est déterminé, dès la phase d’esquisse/APS, pour estimer le budget de l’opération et les honoraires des différents intervenants. Cependant, dans le plus commun des cas, le promoteur réduira ses coûts en imposant à l’architecte d’abandonner certains principes, techniques ou esthétiques. L’architecte est alors souvent perçu par le promoteur comme incompétent sur ces aspects, caricaturé tel un artiste hors des réalités économiques qui animent le promoteur. Et sur ce point, peuvent souvent naitre quelques tensions. Ainsi, Eric-Emmanuel Rettgen confie que : « Il faut que l’architecte soit compétent techniquement pour concevoir un produit qui va être conforme à la réglementation actuelle et, dernier point, qu’il respecte le budget. S’il ne respecte pas le budget je veux le savoir le plus tôt possible. Si c’est pour me le dire une fois que toute l’opération est commercialisée et que je me dirige vers un dépassement de budget, j’ai mon appel d’offres, je n’ai plus de marge, là c’est pas possible : c’est lui le responsable et là, je suis très très fâché ! »

Un logement bien réalisé, mais à petit prix !

Lorsque l’on interroge les promoteurs sur l’esthétisme et la bonne réalisation de ce qu’ils construisent, les avis peuvent être partagés. En revanche, tous répondent que l’architecte a carte blanche tant que l’économie du projet est respectée. La raison d’être du promoteur sur une opération est bel et bien la question budgétaire. Or, on constate un manque évident de communication sur ces questions budgétaires, entre promoteurs et architectes. La raison tient peut-être au fait que les honoraires de ces derniers sont fonction du budget prévisionnel des promoteurs. Il reste qu’un certain flou entoure l’aspect financier d’une opération, et les architectes sont souvent contraints de naviguer à vue, n’ayant guère connaissance de la manne financière allouée à chaque opération. Le dessin de l’architecte étant déterminant pour calculer le montant de l’opération, des allers-retours entre promotion et architectes se font dès la phase d’esquisse pour cerner au mieux l’économie d’un projet. Cela dit, le promoteur annonce dans tous les cas une opération moins onéreuse que celle

109

La question de l’économie du projet est aussi importante pour les acheteurs de ces logements. Investissement d’une vie pour les uns, ou outil de défiscalisation pour d’autres, le logement est le résultat concret de ce que le promoteur construit et de ce que l’architecte dessine. Ce dernier est malheureusement souvent coupé des réalités quotidiennes des habitants avec lesquelles il conviendrait de composer, puisque dans la plupart des cas, seule la mission de conception lui échoit, et, s’il a la chance de suivre le chantier, il n’aura jamais affaire aux futurs occupants, le promoteur faisant l’intermédiaire entre ces deux acteurs. Ce lien rompu est regrettable puisqu’il permettrait peutêtre aux architectes et aux habitants d’instaurer un dialogue quant aux tenants et aboutissants 109 Entretien Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise IN SITU Promotion, Paris 2e

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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de ce genre d’opération et ainsi d’apaiser les tensions qui peuvent naitre d’une certaine méconnaissance des contraintes liées à la construction de logement.

mécontentement grandissant vis-à-vis de ce qui se construit. Le logement habité est critiqué et le principal argument est avant tout le rapport qualité/prix. Le prix n’englobe pas seulement le logement mais beaucoup de facteurs dont les occupants n’ont pas forcement conscience : emplacement, services aux alentours, honoraires du promoteur et du commercialisateur, décision du maire sur telle ou telle esthétisme, TVA, temps de l’opération gonflée par des recours au permis de construire contraignant le promoteur à débourser plus d’argent, etc.

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Fig 12 : Non aux logements chers… CHARB, bibliothèque personnelle

« À Romainville on a eu une réunion avec le conseil syndical et le client me dit : « j’ai acheté le prix d’une Porsche pour avoir une Twingo ! » Il a sorti 300 000 euros, mais il est à Romainville ! A quoi je lui ai répondu : « Tu n’as pas acheté une Porsche tu as acheté une Mégane ! » Construction française, fiable. Ramener au m2, il a acheté à 3500 euros du mètre, c’est rien du tout ! Quand tu replaces une Porsche dans son contexte, chaque boulot vaut son pesant d’or ! Si tu achètes à 3500 euros du m2, il ne faut pas non plus s’attendre à quelque chose de fou. Quand tu achètes dans le neuf, il y a des défauts ! Surtout chez Nexity. Il ne faut pas se leurrer, la qualité n’y est pas. Une Porsche c’est fait main, c’est une œuvre d’art ! Il y a des promoteurs chez qui c’est important de faire de la qualité, et pour d’autres où ce n’est pas la priorité. » 110

Le prix du logement final est perçu par les habitants comme trop cher pour le produit vendu. C’est à ce moment que le système montre ses limites. D’une manière générale, on ne peut que constater un 110 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

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L’impossible réduction des coûts du logement en France ? « Comment permettre à la maitrise d’œuvre de dessiner des logements selon moins de contraintes ? Des logements moins chers permettraient-ils de recréer une demande ? Etant peu au fait de certaines questions politiques ou économiques, je me questionne sur le risque que nous encourrions si nous nous attaquions au prix du logement aujourd‘hui, à cette façon exacerbée d’accroitre le volume de production, qui engendre une recherche perpétuelle de bénéfice économique à défaut d’une recherche de durabilité et de qualité. » 111

Le coût des logements a complètement explosé ces dernières décennies. Le graphique ci-dessous montre l’écart entre la solvabilité des ménages et les coûts de l’immobilier. Les pics de croissance allant au delà du « Tunnel de Friggit »112 correspondent à des bulles immobilières.

111 Extrait de carnet de note, réflexion personnelle au cours de l’année 112 Graphique et explication consultable sur le site internet http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr/priximmobilier-evolution-a-long-terme-a1048.html

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


comme le Danemark ou l’Allemagne, cette taxe n’est pas obligatoire pour les terrains à bâtir et les logements neufs. Comme évoqué dans la première partie, le foncier représente entre 15 à 50% du prix de vente final. Mais qui sont ces vendeurs de terrain ? L’Etat, ou les collectivités, ou les propriétaires privés. En ce qui concerne les pouvoirs publics, on pourrait peut-être pensé à l’éventualité de faire baisser les prix où d’y imposer des plafonds dans le marché du diffus. Fig 13 : Courbes

de Friggit, indice de prix des logements rapportés aux revenus par ménage, Source : CGEDD d’après l’INSEE, bases de données notariales et indice notariales

Le prix du logement tel qu’il est livré peut être inconnu à l’architecte lorsqu’il construit pour la promotion immobilière, puisque toutes les données d’une opération sont analysées et filtrées pour chaque intervenant et chaque phase. Le promoteur va taire ses prix à l’architecte ou aux entreprises, afin de maitriser son budget global. L’architecte, rappelons-le, est normalement mandataires de l’équipe de Maîtrise d’œuvre, il doit alors avoir un regard sur le budget pour l’ensemble de l’opération. Cette question apparaît néanmoins comme essentielle. Comment-estil possible de réduire le prix du logement en France ? Selon Nicolas Michelin113, fondateur de l’agence parisienne ANMA, il conviendrait de jouer sur cinq facteurs, ne dépendant pas des même acteurs et donc pas des mêmes logiques. Il n’est pas sans intérêt de rappeler que l’Etat est l’un des premiers bénéficiaires de la promotion immobilière. L’un des aspects financiers les plus important relève de la prise en compte nécessaire de la taxe sur la valeur ajoutée. Théoriquement imperceptible pour les acteurs de la construction, elle est cependant payée par le client final. Cette taxe peut variée de 5,5% à 20% sur la totalité des produits mis en œuvre sur une opération. Dans d’autres pays européens, 113 Nicolas Michelin : « Baisser les prix des logements suppose d’inventer une nouvelle économie immobilière » CATHERINE SABBAH - LES ECHOS SUPPLEMENT IMMOBILIER, 12/02/2015 Lien : https://www.lesechos.fr/12/02/2015/ LesEchos/21876-150-ECH_nicolas-michelin-----baisser-les-prixdes-logements-suppose-d-inventer-une-nouvelle-economieimmobiliere--.htm

Par ailleurs, le coût des travaux, représentant 40% du prix de vente d’un logement dans un bilan financier, pourrait être un facteur à revoir à la baisse selon le fondateur d’ANMA. Néanmoins, il est important de savoir qu’il n’existe qu’une faible variation du prix des travaux selon la qualité de logement. Alors que la charge foncière et le prix final peuvent varier du simple au quadruple, le m2 fabriqué ne varie que du simple au double. Il est évident, en effet, que la structure d’un immeuble, ses fondations et nombre d’équipements sont identiques ou très peu différents quelle que soit la qualité des logements. Pourrait-on dire alors, que le vrai confort ne coûte pas plus cher ? Par exemple, selon Jean-François Dhuys, « l’isolation thermique représente rarement 10% du coût des travaux (soit 3% environ du prix de vente) alors qu’elle constitue une des prestations essentielles trop souvent négligées par le promoteur, surtout s’il a acheté trop cher son terrain, qu’il ne « boucle » plus son budget prévisionnel et que, néanmoins, il ne veut pas amputer sa marge bénéficiaire. »114. Aujourd’hui, le coût de construction des travaux ne serait pas nécessairement à revoir à la baisse. Les promoteurs sont pourtant les premiers à vouloir les « serrer ». Cependant, diminuer les coûts serait souvent synonyme de sacrifice sur la qualité architecturale. Or, prôner la baisse des prix ce n’est pas pour autant céder à la dichotomie entre prix et qualité.

114 Page 54 de l’ouvrage Les promoteurs de JeanFrançois DHUYS, édition du Seuil, 190 p., 1975

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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Selon l’architecte parisien, les honoraires de la maitrise d’œuvre, autour de 4% du prix de vente, sont déjà minimes, mais peuvent être légèrement réduits. La solution pour lui serait de confier des missions complètes aux architectes afin d’éviter la démultiplication des honoraires de la maitrise d’œuvre. Néanmoins aujourd’hui les promoteurs se sont déjà appropriés en interne la mission de suivi de chantier et de réalisation, ce qui est alarmant. La mission de conception de l’architecte est heureusement encore protégée grâce au permis de construire. Cependant, comme Nicolas Michelin l’évoque dans son article, confier des missions complètes aux architectes serait la garantie du maintien de la qualité d’un projet tout au long de sa réalisation. Enfin, les frais de portage, frais engendrés par le porteur d’opération (fonctionnement, marge, commercialisation, publicité, frais financiers, assurance, frais divers garantis d’achèvement, commission d’engagement) atteignent 25% du prix de vente selon Nicolas Michelin. Les porteurs d’opération sont tous les intermédiaires d’un projet : les agents financiers, les maîtres d’œuvres d’exécution, les autorités réglementaires et l’acquéreur. Les frais de portage sont établis en proportion du montant des recettes TTC. Nous considérons qu’il faudrait peut-être s’intéresser à cette fameuse marge de la maitrise d’ouvrage. Celle-ci comptabilise les taux d’intérêt des banques pour le prêt des fonds, les investisseurs, les honoraires des promoteurs, la commercialisation115, autant de facteurs qui représentent un montant non-négligeable dans l’équation et sont à prendre en compte dans le prix du logement. La structure du prix de vente et la part prise par les dépenses annexes (rapport entre prix d’achat et prix de revient) seraient donc à revoir.

115 La commercialisation représente un budget important pour le promoteur. Selon Jacques Duclos, promoteur en retraite travaillant chez DI Promotion, venu nous présenter son travail dans le cadre d’une session HMO le 16/03/18, les honoraires financiers (Gestion, Pub, Honoraires de vente, SAV, etc. représenterait 15 à 20% du bilan tandis que les honoraires techniques (architecte, bureau de contrôle et assurances) varieraient entre 3 à 12% du coût des travaux… Ce constat est alarmant : aujourd’hui paye-t-on plus cher en publicité qu’en matière grise ?

53

-

La durabilité pour les bâtiments selon les logiques de la promotion immobilière

Fig 14 : Fissures affaissement des logements AADL, Jony Mar

Si l’on prend en compte le critère de durabilité, moins dans une perspective écologique de « développement durable » que du pout de vue de la pérennité des bâtiments, il est apparu à travers les différents entretiens que l’architecture créée par la promotion immobilière ne serait pas faite pour durer. Les logiques financières à l’œuvre et portées par les acteurs de la promotion immobilière semblent engendrer une certaine obsolescence des bâtiments, dont il convient d’interroger le caractère programmé ou non. Or, comme le rappelle Bruno Peuportier, le bâtiment est « un lieu intermédiaire entre ses occupants et l’environnement extérieur ayant pour but de constituer un espace approprié aux activités prévues (logement, activité professionnelles, etc.) tout en s’intégrant dans un site »116. Dans la mesure où les bâtiments qui sortent de terre s’inscrivent sur le temps long dans différents environnements, à l’échelle spatiale et temporelle 116 PEUPORTIER B., 2008, Éco-conception des bâtiments et des quartiers. Paris : Presses des Mines ParisTech, 331 p. (Sciences de la terre et de l’environnement). , référence ellemême tirée de la thèse d’Aurélien Taburet, doctorant à L’UNAM (Université du Maine Espaces et Sociétés (ESO-Le Mans) – UMR 6590 CNRS) sous la direction de Jacques CHEVALIER et Cyria EMELIANOFF Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain, Thèse de doctorat pour l’obtention du diplôme de doctorat « Géographie sociale et régionale

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


du bâtiment117, la notion de durabilité semble primordiale. Elle traduit aussi, en partie, la qualité des bâtiments construits. Or, comme le souligne Eric-Emmanuel Rettgen, cette qualité est souvent sacrifiée au profit des bénéfices à court terme : « La qualité c’est deux ans, cinq ans, dix ans, si vous arrivez sur un bâtiment et que vous voyez des noirceurs de partout, c’est loupé quoi. Si on me propose un matériau qualitatif qui se justifie et que ça rentre dans le budget, ça pose aucun problème. Clairement on a pas le temps à perdre avec un truc qui va être refusé par le bureaux de contrôle, il y a suffisamment de moyens pour construire avec les matériaux actuels, pas besoin d’innovation qui nécessiterait un ATEX.»118

La question de la durabilité semble également intéressante. Elle implique une question beaucoup plus large que le simple logement, mais englobe une façon de voir la ville. La ville se fait sur elle-même, tel un palimpseste, mais au cours des dernière décennies, elle a toujours été pensée sur une temporalité plus étendue. Or, repenser des morceaux de villes en désuétude sur des temps très courts semble difficile, si ce n’est impossible. « Aujourd’hui les gens reste 7ans en moyenne dans l’appartement neuf qu’ils viennent d’acheter. Au bout de 7 ans ils rachètent autre chose, ils changent ! Dans l’ancien, tu restes plus longtemps, le logement évolue. »119.

Quel pourrait être le futur visage des villes dont les bâtiments sont promis à la ruine ? 117 . « Il s’agit de considérer d’une part « l’environnement extérieur » de ce dernier depuis ses « abords , le site proche, la région, jusqu’au niveau planétaire » (ibid.), et de minimiser les impacts pour chacune de ces déclinaisons. Il s’agit, d’autre part, de prendre en considération l’échelle intermédiaire, celle du « dedans » et du « dehors », celle de la circulation des personnes et des biens, de la protection, de la qualité esthétique de l’enveloppe, de la valorisation des flux naturels, des connexions aux réseaux d’eau, d’énergie, de transports, de gestion des déchets (ibid.). B. Peuportier distingue enfin une troisième échelle, l’environnement intérieur » citation extraite de la thèse d’Aurélien Taburet, doctorant à L’UNAM (Université du Maine Espaces et Sociétés (ESO-Le Mans) – UMR 6590 CNRS) sous la direction de Jacques CHEVALIER et Cyria EMELIANOFF Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain, Thèse de doctorat pour l’obtention du diplôme de doctorat « Géographie sociale et régionale 118 D’après l’entretien semi-directif avec Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise In-situ promotion, Paris 2e 119 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

Serait-il possible de questionner la réversibilité de nos bâtiments ? Puisqu’il est impossible d’arrêter le marché florissant de l’immobilier, pourraiton imposer aux promoteurs de construire des bâtiments durables et/ou réversibles ? Ces réflexions seraient éventuellement à étudier au sein d’une action politique, avant de devoir faire face aux conséquences.

-

Tout pour la façade !

« Nous, promoteurs, on fait des boîtes à savon, on fait toujours la même forme, toujours les mêmes choses, c’est vrai. »120 Le logement en tant que tel n’est que trop rarement réfléchi par les concepteurs. Pour beaucoup d’entre eux, la recherche d’un plan intérieur de qualité en phase avec son environnement, est survolée pour se concentrer sur la forme extérieure du bâtiment. Les différentes normes et réglementations formatent aussi beaucoup le logement d’aujourd’hui, décourageant peut-être beaucoup d’architectes à s’y intéresser. Bien heureusement, d’autres s’attèlent à faire de ces plans intérieurs de vrais bijoux. Le promoteur pousse à dessiner au plus vite les plans intérieurs121 contraignant l’architecte à se concentrer sur l’aspect extérieur du bâtiment, alors que de nombreux dispositifs législatifs réduisent également la marge de manœuvre des architectes. Les logements sont standardisés et identiques les uns aux autres, ce qui interroge la 120 . D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 121 Ainsi, les plans de vente sont à finir dès la phase du PC pour certaines opérations!

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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liberté de création laissée aux architectes.

doit remplir des lignes Exel pour calculer le maximum de rentabilité. On doit avoir un ratio entre 0,8 et 0,9% entre la SDP et SHAB. Selon Etienne Chevreuil, « l’argent est le nerf de la guerre ». Notre travail doit rentrer dans cette logique de profit, fondée sur une rentabilité rapide.

« La conformité est sur les façades. Le clos et le couvert. L’intérieur du bâtiment je peux en faire ce que je veux.

Fig 15 : Atelier d’Architecte, auteur inconnu

« Mieux vaut que l’architecte fasse un maximum de travail sur le

PC parce que le projet se fait en une semaine, on lui dit qu’il faut sortir un DCE dans un mois et demi. » 122 La temporalité que nous impose le promoteur conditionne notre façon de travailler. L’architecte 122 . D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

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Mais je touche pas à l’extérieur. »123 D’un point de vue législatif, la conformité des travaux se fonde essentiellement sur les façades, et non sur le respect des intérieurs. Cette situation est acceptée dans la profession. Il conviendrait toutefois de remettre cela en question, d’abord au sein des agences, mais surtout en terme de législation. Imposer une conformité des plans intérieurs pourrait permettre de faire valoir nos droits vis-à-vis des promoteurs immobiliers qui s’approprient à leur guise les plans dessinés par les architectes. Malheureusement, au sein même des structures d’agences, cette dichotomie entre façade et intérieur est visible. Beaucoup de chefs d’agences délaissent les plans intérieurs pour venir dessiner sur un bout de papier l’aspect de son futur bâtiment. Cette situation est selon nous regrettable, puisqu’elle illustre bel et bien le délaissement de « l’habiter », de cette recherche de qualité des espaces et volumes intérieurs. La surface intérieure est synonyme, pour beaucoup, de qualité dans un logement. Cependant, toujours 123 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


Fig 16 : Plan promotion et

de vente réalisé pour l’opération l’opération Archibuild, source personnelle

de

120

logements à

Asnières

dans un soucis de rentabilité, les promoteurs vont avoir tendance à réduire la qualité spatiale. Les normes PMR permettent aujourd’hui de garantir une certaine surface décente dans le logement, bien que les mètres carrés soient donnés à des pièces non-nobles. Mais la spatialité peut aussi se lire dans la hauteur des logements. François-Xavier Barade témoigne ainsi qu’« en terme en hauteur, on a perdu 20cm en 20ans. Heureusement en terme de surface, les normes PMR sont passées par là. Mais la qualité spatiale c’est déjà mort depuis longtemps. Le seul truc qui nous reste encore c’est la qualité de la façade ! Les [acheteurs] ne comprennent pas, ils ne connaissent pas le système.»124. Dans de nombreux entretiens, les années 70 sont citées comme référence puisqu’elles illustrent cet intérêt certain pour l’intérieur des immeubles résidentiels, cette recherche d’espaces communs de qualité, en dépit des critiques formulées à l’encontre des façades. Aujourd’hui, il semblerait que nous fassions face à la situation inverse. « Attention à la mode qui se démode ! Aujourd’hui on est mort de rire avec ces 124 D’après l’entretien non-directif avec François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e

sur

Seine, PITCH

immeubles en garde-corps marronnasses (sic) qui ont été faits dans les années 1970-1980 sauf qu’à l’époque tout le monde trouvait ça beau. J’avoue que mon architecte il faut qu’il m’explique ce qu’il a au fond de lui, c’est ses tripes qui m’intéressent. Ce qui m’intéresse c’est que l’architecte extériorise sa créativité sur sa façade et s’il va trop loin et bien on le recadre (sic) ! »125.

Mais alors, comment le promoteur voit-il les plans intérieurs de ce qu’il construit ? Dans la mesure où les responsables de programme ont très peu de contacts avec les futurs occupants des lieux, la recherche de qualité est souvent une moindre priorité. Pour les commercialisateurs, c’est néanmoins un aspect important, que les acteurs sont amenés à aborder durant les phases de négociation. Or, concernant la qualité des espaces de vie et des aménagements intérieures, il est de plus en plus souvent demandé aux architectes, lors de la réalisation des plans de vente, de suivre une manière de faire extrêmement méthodique. Dans cette perspective les acquéreurs ne sont pas nécessairement en mesure d’acheter un appartement correspondant à leurs attentes car les plans de vente sont typiquement fait de manière à ce que certaines informations soient cachées afin de « duper » le consommateur. L’accent mis sur 125 D’après l’entretien semi-directif avec Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise In-situ promotion, Paris 2e

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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la qualité dans le discours des commercialisateurs est encore une fois une stratégie marketing.

Les travaux seront alors le premier facteur à être impacté sans pouvoir toucher au reste des fonds. C’est donc la qualité du bâtiment qui est revue à la baisse. Ses propos en témoignent :

Comme l’explique très bien EricEmmanuel Rettgen, le logement dit haut de gamme est qualifié de cette manière par certains facteurs, dont les prestations intérieures. Selon lui, haut de gamme et neuf seraient confondus: « On confond programme haut de gamme et programme tout beau tout propre. Un haut de gamme, ce qui est de base : c’est une situation de qualité, donc un très beau terrain, un environnement, une adresse, et des prestations. C’est le strict minimum. La troisième chose qu’il faut c’est les parties communes de qualité, les parties communes c’est à dire des halls, des paliers et des jardins. »126.

De plus, la charte imposée par certains promoteurs, fondée sur les prestations, nous contraignent d’autant plus en s’additionnant aux réglementations étatiques, municipales (PLU). La liberté de notre dessin, qui tend à être de plus en plus normé, est mise en danger. Les normes PMR, incendie, etc. cadrent les plans en terme de hauteur et de surface. La charte des promoteurs, principalement fondée sur une recherche de qualité qui repose avant tout sur les prestations, les couleurs, le nombre de luminaires, impose souvent à l’architecte de réaliser un dessin standardisé. Les prestations intérieures deviennent pour les promoteurs synonymes de qualité architecturale. Ces prestations, bac de douche sans ressaut, béquilles et portes en bois et non en stratifié, etc., seraient alors pour le futur occupant ce qui fait la différence et la qualité d’un logement. Malheureusement, ni une jolie façade ni une jolie cuisine en stratifiée ne sont synonymes de qualité. Et, comme le rappel Alexandre Bangou, lorsque le promoteur a utilisé la totalité de ses fonds, il lui faut réduire une ligne dans ses bilans. 126 D’après l’entretien semi-directif avec Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise In-situ promotion, Paris 2e

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« Tu as des opérations t’es vraiment à poil (sic), tu peux pas jouer sur ton coût de construction, tu sais que si tu augmentes ton prix de sortie tu te mets en risque. Donc là t’as des opérations ça va être 100 % d’ennuis. Des garde-corps moches, de la tôle perforée, tu réduis au maximum tes menuiseries, tes parties communes elles seront rikiki : tu réduis tout ! »127

-

Réflexion sur la place de l’humain

« Aujourd’hui tu vas l’entendre partout, de toutes les bouches des promoteurs en ce moment c’est l’expérience client, c’est le mot à la mode.

La

qualité fait partie de tout ça.

»128

Selon Eric-Emmanuel Rettgen, l’humain, ou du moins le client est aujourd’hui au centre des préoccupations des promoteurs immobiliers, ainsi que l’illustrent ses propos. Pour autant, on est en droit de s’interroger sur l’essence de la qualité recherchée pour satisfaire ce client et sur ce que cela révèle de la réelle prise en compte du facteur humain dans la construction du logement aujourd’hui en France. On pourrait considérer notamment 127 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 128 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


Fig 17 : Les locataires, photomontage de Robert Doisneau 1962

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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que la qualité repose en partie sur l’ergonomie intérieure. Il conviendrait donc de mener une réflexion poussée sur ce « qu’habiter » implique sans sacrifier le confort des acquéreurs (une double orientation, un aménagement plus ergonomique, des proportions plus souples, etc.). En somme, une qualité d’usage, fonctionnelle et spatiale. L’agence Tectone tente de répondre à la promotion immobilière en proposant leur propre charte 129. Bien que les normes actuelles complexifient la conception des logements, l’agence Tectone montre par son expérience et son engagement, qu’il est possible d’œuvrer à la conservation des qualités d’usage. Malheureusement, dans le schéma classique de promotion immobilière, ces notions sont rarement prises en compte. Le fond du problème réside le système dans lequel la promotion immobilière s’inscrit, et son dessein, et non la promotion immobilière elle-même. En pensant avant tout au profit, plutôt qu’à la qualité, elle n’est qu’un pion dans l’échiquier. Une telle conception des logements semble illustrer un état de fait caractéristique des logiques propres à la société de consommation où nombre des produits commercialisés sont avant tout pensés selon leur aspect, leur « design » davantage que selon leur fonctionnalité. Maquiller un bâtiment permet alors aux promoteurs, sinon de répondre aux attentes des clients, du moins de les séduire sur les apparences. Peut-être que les architectes, du fait de leur devoir de conseil, se devraient d’alerter de cette situation. Toutefois, il n’est pas certain que leur voix soit entendue, ainsi que le soulignent les propos d’Alexandre Bangou :

« Concrètement je ne veux pas que l’archi soit en lien direct avec le client. L’architecte est payé par le promoteur il n’est pas payé par le client. Je ne suis pas une boite aux lettres non plus. L’architecte s’il veut être en lien direct, il va jusqu’aux livraisons et 129 La chartre Tectone est consultable sur le site internet de l’agence https://www.tectone.fr/philosophie/. Elle définit les objectifs à atteindre : Lumière naturelle dans les parties communes, Double orientation à partir des logements 3 pièces, Aucun logement mono-orienté au Nord même pour un studio, Prolongement extérieur privatif pour tous les logements, Fenêtre en premier jour dans les cuisines, Eclairage naturel recherché pour les salles de bain, Structure permettant l’adaptabilité des logements.

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il va voir les clients pour leur expliquer pourquoi il y a une putain de pissette au milieu de la façade ! (sic) » 130

Les missions qui nous sont confiées sont de plus en plus réduites, donnant de plus en plus de pouvoir au secteur privé. Ce devoir de conseil n’est évidemment pas rajouté dans les missions du promoteur. Sa responsabilité (partie 1) devient alors une réelle question que les pouvoirs publics devraient s’approprier en même temps que les questions aujourd’hui votées à l’assemblée. L’entièreté du système est revu, pourquoi ne pas considérer ces questions dans la réflexion de la loi ELAN par exemple ?

c) Penser les causes de l’appauvrissement de l’architecture : un partage de responsabilités La façon dont est perçue le logement en France peut sembler alarmante. Tout au long de mes recherches, quel que soit l’interlocuteur avec lequel je m’entretenais, une question sous-jacente ressortait : « mais alors, à qui la faute ? ». Autrement dit, qui pouvons-nous tenir responsable de l’état du logement et de son architecture aujourd’hui ? L’ouvrage déjà mentionné de Philippe Trétiack constitue-t-il un premier élément de réponse ? Faut-il pendre les architectes ? Une question qui, selon l’essayiste et architecte français, semble récurrente dans le quotidien des français. Beaucoup pensent que le « désastre » urbain qui nous entoure est dû aux architectes. Davantage orientée sur la perception des monuments publics (Bibliothèque nationale de France, l’Opéra Bastille, etc.) cette question peut être également généralisée aux immeubles de logements, voire aux logements eux-mêmes. Les architectes ont certes une part de responsabilité, mais ils sont loin d’être les seuls boucs émissaires. En effet d’autres intervenants entrent en jeu et participent à la fabrication de la ville. Ainsi, les 130 D’après l’entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


architectes doivent aussi composer avec les desiderata de maires devenus de véritables potentats locaux, traiter avec des entreprises dont on peut questionner le professionnalisme, faire face au poids de la juridiction, dialoguer avec des maîtres d’ouvrages issus de formations souvent radicalement différentes et prendre en compte l’opinion tranchée et les critiques peu avenantes du public. Si Philippe Trétiack a dressé le constat sévère d’un milieu et d’un système qui n’en finissent pas de produire des erreurs monumentales, notamment concernant les grands ouvrages, nous souhaiterions dans le cadre de ce travail apporter quelques nuances quant au partage de responsabilité des acteurs de la fabrication du logements en France.

- La promotion immobilière et ses acteurs

Aborder la question de la fabrication du logement selon les logiques portées par les acteurs de la promotion immobilière ne saurait se réduire au fait de dresser un portrait à charge de cette profession. Il s’agit bien plutôt de comprendre dans quel système elle s’intègre. La promotion immobilière est souvent pointée du doigt. Mais il convient de bien faire la distinction entre les différentes sociétés de promotion immobilière ainsi que les différents acteurs gravitant autour d’elle, pour ne pas faire d’amalgame. Certes, de nombreux acteurs qui gravitent au sein de cet secteur désirent dégager d’importants bénéfices des surfaces habitables qu’ils mettent en vente. Il est néanmoins réducteur de mettre l’entièreté des acteurs la profession dans le même panier. Tous ne mettent pas leur intérêt financier avant le confort ou la qualité architecturale propres aux biens qu’ils commercialisent. En effet, une partie des promoteurs sont très soucieux de l’immeuble dans lequel les occupants vont vivre. Il faut en ce sens rappeler qu’il existe plusieurs sociétés de promotion immobilière, allant de la multinationale

à la locale. Leur taille peut témoigner, ou non, d’une certaine prise en compte de l’humain dans la fabrication de logement. Certains promoteurs limitent le rôle des architectes aux dessins de façades, les privant ainsi de la conception de l’espace intérieur, au détriment de la qualité des espaces, alors que d’autres s’efforcent à fabriquer des logements de qualité, aux prestations intérieures notables, à une recherche d’espace commun spacieux, une double orientation dans les logements, etc. Ayant l’intuition que la branche architecturale continue à défendre l’intérêt général contre des raisonnements purement financiers, le recours à un architecte peut alors être synonyme de garantie sur la production de logement. La relation qu’entretiennent les promoteurs avec leurs architectes témoigne de leur volonté de construire dans un réel désir de recherche de qualité pour les futurs occupants des logements. L’architecte François-Xavier Barade, travaillant beaucoup dans le marché du logement en diffus, souligne ainsi cette différence importante : « Il existe deux types de promoteurs : les indépendants et les nationaux. Nous on préfère les indépendants, c’est plus facile d’accéder aux marchés. Ce ne sont que des relations de ventes de gré à gré. Left Bank par exemple, j’ai réussi à plus les fidéliser au bistrot. Les nationaux j’ai jamais réussi à passer le cap, ce sont des boîtes représentant une certaine dichotomie : il y a les équipes et il y a la direction générale, ce n’est pas humain »131

Par ailleurs, si certains promoteurs, en dépit de préoccupations d’abord financières, peuvent se montrer attentifs à l’esthétisme de certaines réalisations architecturales, leur attention a tendance à davantage se porter sur des éléments extérieurs et peu en lien avec le confort quotidien des occupants, comme nous l’avons évoqué précédemment. Ainsi, Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise InSitu promotion, 131 Entretien non-directif François-Xavier Barade, chef d’agence d’Archibuild, paris 17e

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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confie qu’il souhaite que les bâtiments qu’il sort de terre soient « beaux » : « Je me promène dans la rue, (…) dès que je vois un chantier, une tour, un immeuble qui est « pas mal » (sic), je vais voir les coordonnées de l’architecte. Un projet que j’ai trouvé beau, je prends des notes et puis un an après, deux ans après, je suis amené à contacter cet architecte ». Même si cette attitude traduit une certaine volonté de « bien faire »132, elle révèle surtout la dissonance entre le bon et le beau dans l’esprit de nombreux promoteurs immobiliers. Or le beau, ou le nouveau, c’est aussi ce qui a tendance à se vendre mieux. À cet égard, il faut noter que les promoteurs nationaux restent très souvent dans ce schéma de profit. A travers l’entretien avec les promoteurs comme Cogedim ou Nexity, la recherche d’innovation dénotait une stratégie marketing. « Ils (les responsables de Cogedim logements) vont mettre l’argent dans des archis particuliers, mais ça c’est dans des opérations d’envergure, des super archis, des starchitectes, pour qu’ils viennent construire et mettre leur patte. Voilà. C’est une stratégie de marketing »133. Il reste difficile pour un architecte de travailler pour ce genre de structure sans se plier à des attentes strictes. Si quelques exemples de promotion immobilière peuvent prouver le contraire, la majorité de ce qu’on l’on construit en France demeure médiocre puisque le marché est principalement réservé à ces multinationaux. De plus, du fait que ces nationaux soient omniprésents sur le marché, ils exercent malheureusement une pression énorme tant sur la maitrise d’œuvre que sur les entreprises réalisant les travaux pour réduire les coûts et travailler selon un calendrier serré. Selon A. Bangou, cela s’apparenterait à du donnant-donnant : «L’exemple simple, tu vas négocier ton marché de peinture à prix faible, quand tu vas arriver aux livraisons, et bien ta peinture et tes murs ils seront blancs hein ! Mais quand tu vas regarder de plus près, ca va être dégueulasse. Le carrelage c’est la même chose. En fait on leur dit aux entreprises : tu me fais un bon prix pour 132 D’après l’entretien semi-directif avec Eric-Emmanuel Rettgen, chef d’entreprise In-situ promotion, Paris 2e 133 Entretien semi-directif avec Chloé Corbennois, responsable de projet chez Cogedim

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cette opération et je te positionne sur l’autre ! C’est comme ça que ça marche… c’est aux dépens de la qualité ! » 134

Alors, sur le marché privé, l’accès à la commande pour les différents acteurs qui prennent part au chantier est soumis à « la loi de la jungle », où le plus fort trouvera son compte. Cette façon de faire n’est pas sans conséquence. « Ca peut être compliqué. Ils ont tendance généralement en plus à serrer la vis, au maximum des entreprises pour avoir des remises commerciales et signer à des montants de marchés très bas. Et bien voilà ce qu’il se passe après, des entreprises qui font faillite parce qu’elles n’arrivent pas à joindre les deux bouts, elles ont signés trop bas. Alors après on leur dit : « bah oui mais si vous aviez été moins dur en négociation, on n’en serait peut-être pas là aujourd’hui, l’entreprise serait peut être encore debout »»135.

Comme nous avons pu le voir auparavant dans ce mémoire, la promotion immobilière fait appel à différentes stratégies pour trouver les fonds nécessaires pour construire. Une somme précise est allouée à chaque mission de l’opération. Lorsque qu’un maillon de la chaine ne fonctionne pas comme il était « prévu » dans le temps ou dans sa réalisation, alors les choses se compliquent. Le responsable de programme en concertation avec ses responsables, au moment du bilan financier, tente de faire des économies pour rentrer dans les clous. Les aléas de chantier ne représentant que 3% du montant total de l’opération, c’est à ce moment que des économies vont être faites en défaveur de l’innovation, de la qualité des matériaux et donc de la durabilité du bâtiment. Puisque le promoteur ne pourra pas réduire sa marge, ni les prestations en amont de l’opération (les frais étant déjà mis sur la table), ce sont les frais réservés pour les travaux qui sont remis en cause. De plus, les promoteurs peuvent défier l’avis des autres acteurs de l’opération, 134 Entretien semi-directif Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 135 Entretien semi-directif Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e

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comme la maitrise d’œuvre, au détriment de la bonne conformité projet car ils jouissent d’une plus grande autorité lors du suivi de chantier. Ainsi, Etienne Chevreuil confie que : « Pendant le chantier ça peut être compliqué parce qu’en fait il (le responsable de programme) peut donner des ordres directement aux entreprises, en nous squeezant un peu. On a eu des cas parfois. Parce qu’il veut que le chantier avance, au détriment de la sécurité et des DTU, vraiment hein, on l’a vu. On arrive à des situations vraiment grotesques parfois. »136

Le réel problème lorsqu’on décide de rentrer dans ce système repose sur la question de la liberté d’agir et de concevoir laissée aux architectes. Si l’on s’engage sur ce type d’opération pilotée par la promotion immobilière privée de grande envergure, il faut faire une croix sur une certaine marge de manœuvre, que ce soit au niveau de la maitrise d’ouvrage ou de la maitrise d’œuvre. Les responsables de programme eux-mêmes, ne peuvent décider sans concertation avec leurs propres responsables. Chaque décision doit alors être discutée au plus haut de la hiérarchie, monopolisant du temps et contraignant beaucoup le projet. Or les décisions sont prises dans le but de mener à bien l’opération coûte que coûte. Chloé Corbennois témoigne ainsi que : « Finalement, tout choix est politisé. Parfois on te force à choisir un archi pour travailler dans une commune. Tu n’as pas le choix. C’est parce que c’est le copain du maire. Je ne donnerai pas de nom hein, mais parfois c’est moche ! Mais je n’ai pas le choix ça m’est imposé de plus haut, je suis la dernière roue du carrosse moi. Moi il y a mes chefs derrière, quand mon grand chef dit qu’il veut ça, et bien il aura ça, et puis on se tait ! même si tu trouves ça horriblement moche ! Tu n’as pas le choix. Du coup tu te retrouves avec des trucs très particuliers. »137

Construire au plus vite pour pouvoir être rentable le plut tôt possible constitue un enjeu majeur pour le promoteur. Mais celui-ci est aussi soumis aux pressions de différents acteurs, tels les collectivités territoriales, les municipalités et leurs PLU, les structures bancaires, les VEFA, les délégataires des aides à la pierre et leurs chartes etc…. La promotion immobilière privée n’incarne et n’engendre pas à elle seule les dérives et abus du système. Mais si l’on en arrive à cette situation, c’est pour permettre le remboursement de ces prêts bancaires et satisfaire les exigences de l’investisseur. Le temps qui passe entre le moment où le promoteur sait à qui il va vendre son opération et le moment de la signature du bail, lorsque le PC est purgé est chronométré. Par la suite, la durée de chaque phase est définie et des modalités de retard sont imposées au promoteur, afin de respecter l’adage selon lequel « le temps c’est de l’argent ». Dans cette perspective, le promoteur imposant son rythme à la maitrise d’ouvrage, apparaît comme victime du système dans lequel il s’inscrit. La pression qu’il exerce alors auprès de ses collaborateurs ne serait alors que la pression venant de ses investisseurs, des modalités de bail, des prêts bancaires à rembourser, etc. Construisant en son nom mais avec l’argent des autres, le capital d’une opération devient alors l’élément central du projet, les autres facteurs devenant accessoires. Construire, quelle que soit l’architecture, est le moteur même du responsable de programme. Néanmoins un bâtiment ne s’implante pas sans un contexte. L’environnement devient alors une autre paire de manches. Le promoteur doit être au fait de chaque stratégie politique, au fait des changements de mandats, s’il veut bâtir. C’est alors que rentre en jeu l’aspect politique du système.

136 Entretien semi-directif Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 137 Entretien semi-directif avec Chloé Corbennois, responsable de programme chez Cogedim

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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- les pouvoirs publics A différents niveaux et selon diverses modalités, les pouvoirs publics entrent également dans l’équation lorsqu’il s’agit de réfléchir aux logiques du système dans lequel s’insère la promotion immobilière privée. On relèvera d’une part le rôle des pouvoirs publics au niveau institutionnel, eu égard aux moyens législatifs qui facilitent la défiscalisation dans le cadre des accessions à la propriété à des fins d’usage locatif. Nous sommes aujourd’hui en droit d’interroger l’adéquation de ces dispositifs avec le fonctionnement du marché du logement actuel. Du point de vue de la conception architecturale, il serait à mon sens judicieux de remettre en cause ce système de défiscalisation car trop d’investisseurs privés deviennent peu regardants sur la qualité des logements qu’ils acquièrent. Sur cette question, le gouvernement actuel dirigé par E.Macron demande la suppression de certaines clauses de la loi Pinel. Une réforme très décriée par la promotion immobilière qui permet de déplacer l’investissement de capital vers d’autres systèmes que l’immobilier, comme les jeunes star-ups par exemple. On peut en effet interroger la part de responsabilité des pouvoirs publics tant au niveau des mairies que des communautés de communes, des régions, etc. Tous les projets de logements en France sont rythmés par la politique d’une métropole, d’une communauté de communes ou d’une commune. Premièrement dans la temporalité d’un projet (aucun projet n’est instruit pendant des élections municipales), puis dans les choix esthétiques d’un projet, comme en témoigne Chloé Corbennois : « Tu connais les communes où c’est comme ça. Tu sais à quoi t’attendre. Tu sais qu’à Surennes ou à Levallois-Perret tu n’auras pas trop le choix. Et c’est des choix très politiques hein. La colonnade et la pierre agrafée c’est hyper rassurant pour les gens. C’est flippant hein. Moi ça m’angoisse à mort. »138. Le maire a donc tous les droits sur sa commune, et donc sur ce qui s’y construit. Il est 138 Entretien semi-directif avec responsable de programme chez Cogedim

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Chloé

Corbennois,

arrivé que certaines autorités publiques prennent le crayon à la place des architectes. Lorsqu’on connaît cet état des choses, on comprend mieux que certaines communes soient plus convoitées que d’autres par les promoteurs et par les architectes, comme le souligne Etienne Chevreuil : « Après bien souvent les promoteurs ne font pas du tout le même projet d’un endroit à un autre (…) ils s’adaptent à ce que le maire veut. Encore une fois le politique hein. On dit toujours que les architectes sont les jouets des politiques. On va devoir livrer un projet en fonction de la date des élections, en vue des prochaines élections, c’est tout le temps comme ça. La mairie se targue d’avoir réaliser pleins de projets, dans son bilan c’est bien ! Mais en fait c’est vrai qu’avec telle ou telle mairie on ne viendra pas vous chercher parce que ça ne va pas plaire au maire ! » 139

Du point de vue des collectivités, les PLU vont devenir de plus en plus légers avec la loi ELAN. Cette réforme donne à mon sens, plus de pouvoir aux maires. Les maires sont issus de n’importe quel milieu socio-professionnel. Ils ont un point de vue extrêmement subjectif sur le sujet et paradoxalement énormément de pouvoir. La solution serait peut être alors de déléguer plus d’instructeurs au PLU, venant d’un autre ministère, et leur conférer plus de pouvoir ? Ou instaurer un devoir de conseil aux institutions urbaines, comme c’est le cas pour GPA ou la collectivité Grand Roissy pour le territoire Nord-Est parisien140.

- les architectes Même si les architectes peuvent appartenir à des courants bien distincts auxquels chacun est libre de s’identifier, il ne s’agit pas dans ce travail de remettre en cause leurs choix esthétiques. Il s’agit au contraire d’interroger le système économique dans lequel ils s’insèrent pour mettre en œuvre un certain type d’architecture. Beaucoup d’entre eux décident de rentrer dans le système de production 139 Entretien semi-directif Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 140 Entretien non-directif avec Marie Ghiringhelli étudiante à l’Ecole d’Urbanisme de Paris, stagiaire au Grand Paris Aménagement

la fabrication de logemens : quel dialogue entre promoteurs et architectes


de logement en masse, parfois en oubliant l’essence même de ce que la profession devrait incarner. Tout architecte devrait avoir une certaine conscience professionnelle141, faisant de l’architecture un intérêt commun, ce qui n’est pas une mince responsabilité. Légalement, les architectes sont tenus responsables sous n’importe quel prétexte. Il faut néanmoins rappeler que son dessin est conditionné par la réglementation, les promoteurs (en ce qui concerne la temporalité et budget d’une opération), par les maires (l’esthétique est parfois décidée par le maire lui-même, beaucoup d’architectes dessinent en fonction des souhaits d’une personne), par la MOE d’EXE, les entreprises. Le discours d’Alexandre Bangou illustre bien cet état des choses, soulignant « qu’en France l’archi ce n’est pas le patron. Il y a trop de personne qui touchent à ses plans. »142. Il semble ainsi que la profession n’ait pas évolué au rythme des transformations qui affectent les manières de produire du logement, et reflètent le triomphe de la société de consommation. Aujourd’hui l’architecte peut être tenu responsable sur une opération pour n’importe quelle raison. Nombre d’aspects peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires, et doivent donc être vérifiés par l’architecte, censé, dans la pratique, être le chef d’orchestre de la maitrise d’oeuvre d’une opération, comme l’illustrent les propos de Chloé Corbennois : « après c’est pas que la faute de l’architecte, c’est aussi la faute des bureaux d’études hein (sic) ! Après c’est à l’architecte de vérifier. »143. C’est ce statut ambivalent de l’architecte qu’il conviendrait peutêtre de revoir, lui qui apparait à la fois tenu pout seul responsable dans les faits, mais trop souvent dépossédé, sur le terrain, de l’autorité nécessaire à l’encadrement d’une opération sur le temps long. Nous considérons ainsi que la profession manque terriblement de connaissances juridiques pour s’armer face à la maitrise d’ouvrage, et 141 Conférence de Philippe Martial, président de l’Ordre des Architectes de Loire Atlantique. 142 Entretien semi-directif avec Alexandre Bangou, responsable de programme chez Nexity 143 Entretien semi-directif avec Chloé Corbennois, responsable de programme chez Cogedim

spécifiquement face à la promotion immobilière privée. Et il est frappant de constater qu’une agence d’architecture ne peut pas se permettre financièrement de s’appuyer sur un pôle juridique en son sein, alors que les grandes entreprises de promotion immobilière le peuvent aisément. Parfois, le simple fait de recourir à un avocat relève de l’impossible financièrement. L’architecte est alors facilement pointé du doigt, tenu comme responsable de toute anomalie non-vérifiée ou responsable d’un manquement à son devoir de conseil, alors qu’à chaque instant, le promoteur le pousse à produire au plus vite son ouvrage. Ainsi, François-Xavier Barade dresse, de façon résignée, le bilan suivant : « On fait partie d’une profession qui a démissionné. Quand je ne fais pas le chantier, je cède mes droits de propriétés intellectuelles et je ne fais pas le permis balais. Les droits de propriété intellectuelle c’est une hérésie, je ne suis pas beaucoup attaché à mes droits. Les architectes sont des missionnaires. L’éthique, quand tu travailles pour des gens qui n’en n’ont pas, et bien tu travailles en conséquence. » 144

On notera aussi qu’il est de plus en plus difficile pour de nombreuses agences de joindre les deux bouts face aux honoraires revus à la baisse par les promoteurs. Ils font donc appel à des pratiques courantes dans le monde de l’entreprise. Exemple flagrant de ce qui fait plier la profession sous la pression économique, le dumping illustre une certaine résignation face aux logiques de marché. Beaucoup d’architectes, comme François-Xavier Barade, pensent « [qu’on] ne peu[t] pas [s]e battre contre tous les systèmes ! Il faut réussir à s’inscrire dans un système. » Peutêtre que si nous ne pouvons pas nous battre contre ce système, il serait plus judicieux de trouver les bonnes armes pour s’armer contre ces grands groupes, afin de défendre notre profession, ainsi qu’y invite l’ouvrage de Rudy Ricciotti.

144 D’après l’entretien non-directif de François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e

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Cet exercice de mémoire a été pour moi l’occasion de questionner bien plus que la définition de la promotion immobilière et de la qualification des logements qu’elle peut construire. Il remet en cause également le rapport à notre profession, et comment est-ce que je souhaite par la suite évoluer. Maintenant que je suis alertée à quelle « sauce je vais être mangée », ma futur pratique apparaît alors un combat. Défendre notre profession peut alors être vu sur plusieurs fronts. A petite échelle premièrement. Quotidiennement, les architectes doivent se battre afin de faire valoir leurs droits, à l’instar de Pascal (Chombart de Lauwe, associé de l’agence Tectone). « Il a 30 ans de métier, il connaît les bilans de maitrise d’ouvrage il sait comment ça fonctionne ! Il leur met un peu le nez dans le « caca », en leur disant qu’il connaît leurs marges, il sait combien leur coûtent les frais de commercialisation, que les pubs sont plus élevées que les honoraires des architectes. Qu’ils arrêtent de nous embêter sur des honoraires qui ne représentent rien dans leurs bilans ! Ce sont des discutions un peu houleuses, ca prend beaucoup de temps mais on arrive à négocier des contrats décents. »145 Malheureusement l’entièreté de notre profession n’a pas toujours les armes nécessaires pour faire face à cette machine de production de logement. Certains architectes, soucieux différemment de la santé de la profession, décrètent que « Les architectes sont des missionnaires. L’éthique, quand tu travailles pour des gens qui n’en n’ont pas, et bien tu travailles en conséquence. Tu ne peux pas te battre contre tous les systèmes ! Il faut réussir à s’inscrire dans un système. Je ne suis pas beaucoup attaché à mes droits. »146 . Les architectes, malgré le fait qu’ils soient

de profession libérale, devraient prendre conscience qu’ils ne sont pas seuls. La clef réside peut-être dans l’unification de cette profession afin de faire valoir justement nos droits afin de défendre allégrement une architecture de qualité aux yeux de tous ? Comme dans de nombreuses profession, le temps passé sur un projet correspond à de l’argent. Cette vision du monde de l’entreprise représenterait-elle la vision de notre société toute entière ? La promotion immobilière ne serait alors que le pantin de ces notions sociétales actuelles. La promotion privée en fabriquant des logements dans un schéma productiviste se positionne dans un contexte historique marqué par un système capitaliste apparaissant aujourd’hui comme une référence économique mondiale. L’idée même de construire par l’intermédiaire de prêts bancaires / fonds d’investisseur, de vendre des logements non sortis de terre, et de revendre une opération dans les plus brefs délais pour se « décharger » financièrement afin de se faire une plusvalue rapide, représenterait alors cette logique. En opposition au marché privé, les bailleurs sociaux, eux, restent présents sur une opération, afin de se porter garant de la bonne santé d’une opération. Les notions de beau, de durabilité, de l’humain, de qualité, présents le long de cette deuxième partie, sont des préoccupations primordiales pour cette maîtrise d’ouvrage. Néanmoins les bailleurs sociaux délaissent peu à peu leur rôle de maître d’ouvrage pour se concentrer sur leur mission de gestionnaires, et l’État s’appuie de plus en plus sur le secteur privé pour porter l’investissement et résoudre la crise du logement. Sommes-nous alors condamnés à vivre dans cadre homogène et figé, où l’offre de logements demeure «stéréotypée»? Ou le secteur privé peut-il être porteur de programmes novateurs?

145 Entretien semi-directif d’Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone, Paris 13e 146 Entretien non-directif avec François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e

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III

DE POSSIBLES ALTERNATIVES?

FIG 18 : SocHeritage neighbourhood of Razgrad, Bulgaria, Consultable sur BRUTGROUP, photo by Andrei Poplaceanu

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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Pensée comme un tour d’horizon non exhaustif des alternatives au logement/produit, cette partie cherche à faire la lumière sur quelques possibilités de changement dans la façon de concevoir les logements. Cette dernière partie associe refus argumenté de modèles existants (partie 1 et 2) et solutions concrètes vers des ailleurs plus soutenables – écologiquement, mais surtout humainement parlant. Dans un premier temps, nous nous arrêterons sur le devoir de conseil de l’architecte, en essayant de l’étendre à un devoir de transmission. Permettre la transmission, l’initiation, le dialogue et le conseil sont les meilleurs atouts de l’architecte pour agir en faisant valoir ses droits mais également en respectant ses devoirs. Pour rappel, depuis la loi de 1977, l’architecture est bien considérée comme un intérêt du public. Dans ce contexte, transmettre et communiquer au grand public nous paraît être une bonne arme contre le désastre urbain grandissant. Dans un second temps, nous essaierons de nuancer le regard critique porté jusqu’ici sur la promotion immobilière en faisant un état des lieux de ce que la promotion immobilière fait dans le domaine de l’innovation et de l’architecture qualitative aujourd’hui. Au sein de la promotion immobilière, les schémas de pensée changent aussi. De plus en plus de petits groupes de promotion amorcent des opérations « responsables », pour des propriétaires accédants. Certains d’entre eux refusent l’idée même du financement bancaire, pour des investisseurs, et préfèrent financier leurs opérations par crowd-founding pour un montage d’opération réfléchi. Enfin, nous nous arrêterons sur les alternatives de cette fabrication de logement en France. Si la promotion immobilière représente la majorité de ce qu’on l’on construit aujourd’hui en France, il existe des échappatoires à ce système de production de logements, peu nombreux et peu réputés certes, mais méritant leurs places dans ce mémoire.

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a) Transmission des valeurs de l’architecture, un moyen facile d’agir efficacement Ce mémoire fut aussi l’occasion pour moi de m’interroger sur le rôle que les architectes ont à jouer dans la transmission de leur savoir. Ainsi, au fameux devoir de conseil pourrait s’ajouter un effort de transmission des valeurs de la profession. Les architectes sont les mieux placés pour jouer un rôle de passeur auprès de l’imaginaire commun, non seulement de la population, mais aussi du législateur, des décideurs publics, des puissances d’investissements privées et de tous les acteurs de la construction en France, au premier rang desquels, les promoteurs immobiliers. Au quotidien, transmettre ses valeurs au maitre d’ouvrage c’est déjà faire preuve de pédagogie, et tenter à son échelle de faire évoluer les mœurs. L’agence Tectone œuvre en ce sens pour transmettre ses valeurs à son client. Ainsi, Etienne Chevreuil témoigne : « On essaye de faire de la pédagogie avec des projets qu’on a réalisé pour les prochaines opérations avec d’autres promoteurs. D’anciens clients font des attestations certifiant que nous avons bien réalisé les choses, que ça a été bien fait et que le chantier a été bien mené. Mais c’est de plus en plus dur à négocier. Mais c’est encore possible ! » 147

Il faut alors, à chaque instant, rappeler au maitre d’ouvrage que notre travail est à recontextualiser. L’architecte ne travaille pas que pour un client, pas seulement pour réaliser ce produit/logement. Ils travaillent pour quelque chose qui va être imposé à tout le monde, dans la ville. Cette responsabilité doit-être connue et prise en compte par ses interlocuteurs et ses collaborateurs. Parmi les terrains d’action qui s’offrent aux architectes pour tenter de véhiculer au mieux certaines idées, nous pouvons penser à l’initiation dès l’école, aux conseils d’architecture, d’urbanisme et d’environnement ainsi qu’à la 147 . Entretien semi-directif d’Etienne Chevreuil, associé de l’agence Tectone à Paris. de possibles alternatives?


profession d’assistant à la maitrise d’ouvrage. A mes yeux, faire évoluer la vision de chacun au quotidien peut-être un moyen, toutes proportions gardées, de faire évoluer les représentations sur ce qu’est et devrait être la fabrication de logements en France. Tous ces moyens d’actions sont des leviers pour permettre de faire évoluer l’état général de la fabrication de logement en France, en faisant la lumière sur l’écart entre les formes actuelles du bâti et ce qui pourrait être celles de demain. « Nous sommes des êtres de langages, mais nous sommes aussi des êtres d’espaces. Dès que nous naissons, nous sommes dans l’espace. On apprend la langue mais vous savez les villes, notre architecture, l’espace, c’est aussi important que la langue. On construit, nous communiquons, nous fabriquons et donc montrer l’importance de l’architecture ça serait facile ! C’est beaucoup de jeux, beaucoup d’émotions, ça serait très facile et important à faire. »148

Certaines associations concentrent leurs actions sur la transmission des notions architecturales dès le plus jeune âge. L’association ARDEPA à Nantes par exemple, propose une initiation à l’architecture sous toutes formes et pour tout âge, aux écoles qui le sollicitent. Peutêtre pourrions nous envisager d’appuyer de telles initiatives et d’aider à leur diffusion. Si l’on considère que certains législateurs, décideurs publics, puissances d’investissement privées, mais également certains promoteurs et acteurs de la construction d’aujourd’hui, ne sont pas suffisamment avertis sur la culture architecturale et urbaine, nous pourrions envisager étendre l’idée de l’association ARDEPA à ces acteurs de la fabrication de la ville et du logement. Les conseils CAUE (conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement) incarnent un organisme investi d’une mission d’intérêt public, né de la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977. 148 . Extrait de l’entretien radiophonique entre Christian de Portzamparc et Frédéric Métézeau, sur France Inter, dans l’émission L’Invité de 8 :20 : le grand entretien, diffusé le mercredi 18 juillet 2018

Initialement, le CAUE est créé à l’initiative des responsables locaux et présidé par un élu local. C’est un organe de concertation entre les acteurs impliqués dans la production et la gestion de l’espace rural et urbain. Néanmoins dans le secteur privé, il n’est que trop peu présent. Il serait probablement profitable d’étendre les prestations des CAUE aux organismes privés de la fabrication de logements afin de valoriser les futures constructions, tant sur le marché du diffus du logement que sur les autres production de la promotion immobilière : bureaux, équipements, etc. , Cela permettrait également d’éviter les idées reçues de certains décideurs publics et d’organismes de promotion immobilière, sur l’architecture contemporaine, jugée « d’effet de mode » ou « d’avant-gardiste ». Changer le regard par la transmission de la culture paraît être un premier pas pour permettre un réel dialogue équitable entre architecte et promoteur sur la qualité de ce que l’on produit aujourd’hui en France.

b) D’autres modèles au sein de la promotion immobilière

Si l’on s’empresse souvent de blâmer la promotion immobilière pour les dérives dont souffre le secteur de la construction de logements en France, il convient néanmoins de nuancer ces critiques. En décortiquant ses origines, ses moyens d’actions, et le système dans lequel elle s’inscrit, nous avons pu saisir que les critiques se concentraient sur la promotion classique. Il existe pourtant des sociétés de promotion immobilière qui tentent de se démarquer de ce modèle dominant. Certaines d’entre elles tentent de promouvoir une offre de logements prenant en compte les évolutions sociétales actuelles, et celles à venir. Le logement n’est plus vu comme un objet figé, et certains promoteurs

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s’intéressent à de nouvelles formes d’habiter où les appartements peuvent devenir pluriels, flexibles, évolutifs, modulables. L’exposition « Habitez plus, habiter mieux » au Pavillon de l’Arsenal, Paris 7e, du 5 avril au 2 septembre 2018, présente des exemples illustrant que les promoteurs privés peuvent aussi innover main dans la main avec des équipes de maitrise d’œuvre et des architectes. Construire pour réaliser une plus-value sur le logement demeure l’essence de la promotion immobilière, mais certains acteurs de la profession défendent l’idée que les bâtiments peuvent être beaux et paysagers, réversibles, innovants, etc. Parmi eux, nous pouvons citer la compagnie de Phalsbourg. La compagnie de Phalsbourg est la maitrise d’ouvrage de la tour en bois de logement de LAN à Paris 13e, comprenant 103 logements en accession. Le projet entier comporte un ilot décomposé en plusieurs bâtiments : l’un en logement social, l’autre en accession, etc. Cette décomposition des typologies est facile : le bâtiment en accession sera donné en exemple, où les prestations vont être de qualité, etc. Le bâtiment concentrant les logements sociaux n’a cependant pas été publié… Cela dit, ce bâtiment est exemplaire comme immeuble de logements. La structure en bois composant l’ensemble se lie en façade par trame de 3,9m de large, accueillant des duplex sur toute sa hauteur. La garantie d’une certaine qualité se trouve dans une volonté d’innovation architecturale pour chaque ouvrage, dans le fait qu’ils investissent leurs propres fonds dans les opérations149 et enfin dans le fait que cette « compagnie » soit gestionnaire de l’ouvrage. Outre les missions des développeurs, constructeurs et investisseurs à fonds propres, ils 149 Ils développent des projets pour leur propre compte et sont donc en mesure de créer des standards qui vont au-delà des principes du marché, tant en matière d’architecture et de services que de développement durable et de normes HQE par exemple.

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garantissent le suivi du projet dans son ensemble et assurent, l’animation, la maintenance et la sécurité de leur patrimoine via leur filiale IQC Asset Management. Cela garantit la pérennité des réalisations créées, avec une qualité de prestations « qui bouleverse les standards du marché. »150. Parmi les bâtiments innovants que nous évoquions, nous pouvons également mentionner le programme des 16 logements « à la carte », dans le 18e arrondissement à paris. Conçu par PetitdidierPrioux architectes et missionnés par Vinci Immobilier & Habx, cette commande, directe, constitue un beau cas d’étude au regard de sa démarche de programmation personnalisée qui se décline suivant les étapes de conception : pré-découpage avec propositions de typologies de base, identification des besoins des futurs habitants, personnalisation des plans, assemblages des demandes. Ce qui mène à des typologies plus grandes que la normale et personnalisées: T1 : 28m2 en moyenne, T2 : 45m2 en moyenne, T3 allant de 82 à 68m2, etc. Pour ce faire, l’équipe a développé un principe en 4 étapes : la création de plateaux libres et de façades réglées pour répondre à une variation de configurations ; le pré-découpage de chaque étage en de multiples lots possibles ; le choix des typologies par les habitants en fonction de leurs besoins et envies (surfaces, pièces, vues, prix,…) et enfin l’assemblage final par l’architecte en un projet commun. L’architecte apparaît alors non pas comme un simple maitre d’œuvre mais réapparait comme un « concepteur des possibles ». A travers ces quelques exemples nous remarquons que le type de commandes est ciblé pour les logements neufs : ces logements sont conçus pour des acquéreurs, le montage financier de l’opération étant alors spécifique.

150 . Communication de la compagnie Phaslbourg, extraite directement de leur site internet http://www. compagniedephalsbourg.com/nos-metiers/

de possibles alternatives?


WOOD UP Paris XIII, Boulevard du Général d’Armée Jean Simon Maîtrise d’oeuvre : LAN / Atelier Georges / Maître Cube / EQO Ingénierie / Sinteo / Elioth / Casso&Associés / Apave / JP Lamoureux mission complète Maitrise d’ouvrage : REI Habitat / Compagnie de Phalsnourg Programme : concours immeuble à Vivre Bois, ADIVbois 103 logements en accession, 28 T1 / 24 T2 / 23 T3 / 19 T4 dont 17 duplex, 9 T5 duplex ; étage collectif avec cuisine, lounge et terrasse, salle d’escalade et café de quartier; toiture végétalisée non accessible Aménageur : Semapa

Fig 19 : Planche projet WOOD UP, Documents graphiques provenant architectes LAN sur https://www.lan-paris.com/ fr/projects/paris-xiii-1

du site internet des

Livraison : 2021

Documents graphiques provenant du site internet des architectes LAN sur https://www.lan-paris.com/fr/projects/paris-xiii-1

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Fig 20 : Planche projet Plateaux libres, PETITDIDIERPRIOUX, Documents graphiques provenant du site internet des architectes PetitDidierPrioux sur http://petitdidierprioux.com/fr/portfolio/items/plateaux-libres-paris-xviii/

PLATEAUX LIBRES, Paris XVIII, rue Phillipe de Girarc Maîtrise d’oeuvre : PETITDIDIERPRIOUX, architectes mandataires mission complète Maitrise d’ouvrage : Vinci immobilier Programme : 6 plateaux libres et 1 maison individuelle Surface : 1055 m2 SHAB, 1272 m2 SDP Livraison : 2019 Coût : 2,2M€

Documents graphiques provenant du site internet des architectes PetitDidierPrioux sur http://petitdidierprioux.com/fr/portfolio/items/plateaux-libres-parisxviii/

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de possibles alternatives?


En revanche les montages d’opération pour accession abordable151 impliquent un autre type de montage. Les pouvoirs publics ont un rôle particulier à jouer dans ces montages. Ils permettent à certains ménages d’acheter un logement à prix modéré (les avantages sont calculés en fonction des revenus), sans incidence sur. Le vendeur du foncier quant à lui se verra réduire son montant de revient, puisque les zones où les communes ont un pouvoir décisionnel sur le programme de ce qui en ressort. Dans la capitale française, ce facteur a des conséquences sur la carte géographique de la mixité sociale. En effet, ce dispositif, mis en œuvre dans certains quartiers Nord de Paris, est inexistant dans l’Ouest parisien par exemple, où certaines communes ne souhaitent pas doter leur parc résidentiel de logement sociaux, ni de logements en accessions abordables. Encore une fois, si les agences décidaient de suivre une charte déontologique à l’instar de l’agence Tectone, imposant certaines règles, cela permettrait de rééquilibrer le rapport de force entre pouvoirs publics et acteurs de la construction dans certaines communes, qui seraient à éviter. De plus, additionnée au choix de la maitrise d’ouvrage, les architectes, s’ils décident d’être soucieux de la production de leur travail, choisissent le type de commande qu’ils souhaitent développer en fonction de la région géographique. Ils rayent alors un certain type de commande, sachant dans quelle 151 . Un logement en accession abordable est un logement vendu à un prix inférieur à celui du marché. S’adressant à toute personne répondant à des critères d’éligibilité précis (primo-accédant ou locataire de sa résidence principale depuis plus de deux ans) et dont les revenus ne dépassent pas un certain plafond, ce dispositif permet aux ménages modestes d’acheter un logement neuf. S’associant à des promoteurs et des aménageurs de confiance, les collectivités consentent à réduire le prix des terrains qu’elles leur vendent. Le prix au mètre carré peut ainsi être dévalué de 25% en dessous du prix du marché. Pour bénéficier d’un programme neuf en accession abordable, les ménages doivent occuper le bien immobilier comme résidence principale sur une période de sept ans minimum. Construits dans des quartiers prioritaires, ces programmes sont majoritairement situés à proximité des commerces, des écoles et des services. Ils sont également réalisés selon le respect des dernières normes énergétiques. Les villes dans lesquelles ces dispositifs sont proposés majoritairement sont Nantes et Rennes . Le Nord de Paris peut également faire appel à ces « coups-depouce » pour les acheteurs. Deux types de dispositifs d’accession peuvent s’appliquer: l’accession directe ou le Prêt Social Location Accession (PSLA). Ce dernier est un dispositif national adapté sur les territoires de Rennes et de Nantes, qui ouvre droit à une TVA à 5,5% sur le prix de vente et à l’exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties, et ce pendant 15 ans. Source : https://www.legendre-immobilier.com/actualites/ acheter-dans-le-neuf-zoom-sur-les-dispositifs-et-definition-delaccession-abordable

commune ils vont travailler et donc, avec et pour qui ils dessinent. Par exemple, l’agence Tectone refuse de travailler dans l’Ouest parisien, où des communes imposeront une esthétique loin de la leur. Ces architectes sont alors honnêtes dans la façon de voir leur travail et respectueux de la responsabilité qu’ils tiennent. Tant que pour le promoteur que pour l’architecte, une opération est un « savant dosage », qui a mon sens est extrêmement difficile à connaître, mais qui est essentiel à notre pratique.

Ces dispositifs d’aide à l’accession semblent un bon coup de pouce de l’Etat pour les ménages souhaitant acquérir une résidence principale. Le prix de vente étant réduit mais le prix de construction ne variant pas, les logements sont de qualité et bien réalisés. Cette architecture est conçue de manière réfléchie, en évitant la pression économique que le promoteur peut exercée dans les montages « classiques » en VEFA. Parmi les exemples de ces logements conçus en accession abordable type, nous pouvons évoquer l’opération nantaise de l’agence FACES152. L’opération est portée par CIF, l’un de ces maîtres d’ouvrage privé nantais qui entretient des relations saines et constructives avec les architectes. Chaque logement bénéficie d’une double orientation, et est desservie par un escalier central. Malgré un budget relativement modéré, les architectes ont réussi à concevoir un immeuble où l’argent se concentre sur des éléments de détails, des éléments qu’ils ont jugé importants, comme des menuiseries en bois, tandis que les économies ont été réalisées sur d’autres prestations. De manière intelligente, les logements sont conçus qualitativement tout en maitrisant un prix de vente raisonnable.

152 . Article disponible sur http://www.darchitectures. com/villa-cassin-16-logements-en-accession-abordablenantes-a3648.html

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c) Les

alternatives

:

quels

sont les autres modèles ?

- Passerelles Pour une architecture plus raisonnée, certains modèles existent. Il est possible aujourd’hui d’agir activement pour une fabrication de logements qualitatifs, réfléchis et responsables. Il me semblait intéressant de comprendre par quel moyen notre profession peut s’émanciper afin de soumettre à notre clientèle une solution durable et économique sur la question du logement. Pour les architectes qui souhaitent court-circuiter le schéma traditionnel de maitrise d’œuvre travaillant sous les ordres d’un maitre d’ouvrage, des structures se montent parallèlement, sous la forme juridique de contractant général153. L’appellation est issue de l’exercice anglo-saxon de l’acte de bâtir où, majoritairement, les architectes sont dénommés “Architects General Contractor”, et où ils assurent une prestation globale. Ce montage est possible uniquement pour des petites opérations, de rénovation par exemple, ou de maisons individuelles. Ces sociétés sont tolérées par l’Ordre des Architectes selon l’article 8ter154, stipulant qu’elles peuvent constituer des filiales de commercialisation dans le cadre d’une offre globale de services lorsqu’elles en contrôlent la majorité du capital. Les avantages de ce système sont de permettre au contractant de prendre en charge la totalité des travaux de la conception à la réalisation, en étant un interlocuteur unique pilotant le projet du début à la fin. En revanche, l’accès à la commande se fait uniquement sur « bouche à oreille ». De plus, le contractant est le seul responsable des délais et de l’économie du projet, ce qui constitue une prise de risque non négligeable, comme le souligne François-Xavier Barade : 153 . Article disponible sur http://www.laclefenmain.com/ contractant-general/ 154 Issu de l’article sur les propositions du groupe de travail, disponibles sur le site de l’Ordre https://www.architectes. org/propositions-du-groupe-de-travail

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« Alors il faut trouver des astuces. Etre contractant général c’est plus avantageux. Tu es une entreprise, tu n’es pas un maître d’œuvre. AB Contracting par exemple, chez nous, a été créé pour cela. Tu as le droit de faire une filiale contracting, où tes honoraires sont noyés dans le coût des entreprises. Mais attention il y a une notion de prise de risque. C’est assez proche de la promotion pour cela. » 155

Avec ce type de structure, le contractant général est garant de la réussite du projet. Comme une entreprise générale, le contractant général confie la réalisation des ouvrages à des entreprises partenaires, chacune spécialisée dans le corps de métier dédié. Le contractant général peut ainsi venir de formations variées et pas nécessairement de l’architecture.

Etape 1. L’étude architecturale et technique Cette étape permet le montage et la définition du contenu de votre projet, avec définition de la programmation : réalisation d’études d’opportunité et de faisabilité d’un programme immobilier ; évaluation de l’enveloppe financière du programme : recueil du cahier des charges ; recherche éventuelle du terrain ; esquisse préliminaire et choix du parti architectural; étude de tendances, couleurs, matières, acoustique ; études des aspects administratifs, juridiques et financiers des travaux envisagés ; relevés complexes de bâtiments existants ; choix technique de construction ou de rénovation rédaction du programme ; établissement du planning. Etape 2. Signature du contrat Etape 3. Etude architecturale et réalisation des travaux Une fois le contrat établi et signé par les deux parties, l’architecte contractant 155 . Entretien non-directif de François-Xavier Barade, chef d’agence Archibuild, Paris 17e

de possibles alternatives?


LAUN, Vergers du Launay, ZAC Erdre Porterie, Nantes Maîtrise d’oeuvre : FACES architectes mission complète Maitrise d’ouvrage : CIF

Programme : 2017 CONSULTATION, projet LAUREAT 70 Logements, locatif social, accession abordable SP 3500 m2 Coût des travaux : 1350 € HT/m2

Fig 21 : Planche projet LAUN, FACES architectes, Documents graphiques provenant du site internet des architectes FACES sur hhttp://www.faces-architectes.net/, dessins armelle antier / perrine belin

Livraison : 2018

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général réalise la mise au point du projet architectural et technique au sein de sa société et confie les éléments aux entreprises pour la réalisation des travaux par lots. L’architecte et/ou le maître d’œuvre contrôle les travaux ; il est également pilote de chantier. Etape 4. Réception des travaux finalisés (point de départ des garanties et des responsabilités) Etape 5. Suivi des garanties contractuelles Nous ne considérons pas pour autant que ce type de structure est un moyen efficace pour l’architecte afin faire face à la promotion immobilière classique. Celle-ci est trop présente dans la fabrication de logement en France et la forme juridique du contractant ne permet pas de se faire une place comme alternative pérenne dans le système d’acteurs qui régit la construction des logements aujourd’hui. L’idée même de contourner le schéma classique serait dérisoire. Néanmoins, à petite échelle, elle permettrait peut-être à l’architecte d’avoir une plus grande liberté et, peut également, produire des logements de qualité à plus grande échelle. Il convient en outre d’être bien conscient des risques liés à cette profession, surtout pour un architecte. A mon sens, architecte/contractant signifie de s’interroger quotidiennement sur notre profession d’un point de vue déontologique. L’Ordre des Architectes interdisant à un architecte d’être maitre d’ouvrage, il est donc nécessaire de comprendre ce que cela implique. Être contractant, c’est porter une pratique permettant une architecture questionnée à chaque instant. Il existe des architectes qui se mettent dans la peau du concepteur/constructeur. L’architecte et chef d’entreprise Clément Gillet est venu lors d’une session HMONP nous démontrer qu’il était possible de monter ce genre de structure pour dessiner et concevoir des logements moins onéreux, plus qualitatifs, adaptables, etc. Etant à la fois associé de l’agence d’architecture Clément Gillet, et chef de l’entreprise B3 construction, nous considérons que sa volonté de sortir de la 75

production de logement classique est à mettre en avant, quand bien même nous pourrions discuter de certaines de ses constructions.

- D’autres modèles Il existe aussi des initiatives innovantes permettant à la fabrication de logements de s’émanciper du marché privé. Elles s’inscrivent dans la continuité des théories et des réalisations de bâtiments réversibles, des bâtiments industriels, etc. De nombreux exemples existent, des cas où l’on aperçoit des mutations qui ont vu le jour au cours du siècle dernier un peu partout dans le monde. Ces projets illustrent une diversité d’approches, tant techniques que sociales, témoignant du fait que les bâtiments n’ont cessé de se transformer en fonction des évolutions liées au fonctionnement des ménages. Ils sont l’exemple type de la volonté de contrebalancer une modernité trop rigide, fonctionnaliste et impersonnelle et qui ne date pas d’hier. Le premier exemple est naturellement la maison Dom-ino (1914-1915) par l’architecte suisse Le Corbusier, avec son plan libre et sa façade libre grâce à une ossature en béton armé autoportante. Dom-ino est le début d’un processus que les habitants doivent ensuite prendre en charge. Il est le point déclencheur d’une série de concept permettant aux constructions de se libérer de la contrainte « la forme suit la fonction » dans l’architecture résidentielle. Mais le béton n’est pas le seul ami de la construction de plateaux libres. A plus grande échelle, nous pouvons citer l’opération, ayant vue le jour, faite d’éléments préfabriqués en métal de la Grand’Mare, à Rouen, par les architectes Marcel Lods, Paul Defondt et Henri Beauclair. En 1971-1975, l’opération des Marelles est l’opération phare de l’habitat en plateaux libres. Soutenu par le de possibles alternatives?


Ministère de l’Equipement, ce programme de 116 appartements expérimentaux est singulier. La structure est inspirée de Louis Khan, avec des poutres et des poteaux creux en béton préfabriqués. Assemblés, ils forment un réseau tridimensionnel de gaines qui rend possible la disposition libre de pièces humides. Les façades quand à elles peuvent recevoir des huisseries variées qui complètent les panneaux colorés. Deux architectes (Bernard Kohn et Georges Maurios) accompagnés d’un psycho-sociologue accompagnent les acquéreurs dans la conception de leur logement. Cependant le promoteur, face à la lenteur des ventes, met fin à l’expérience participative, ne concernant finalement que 16 familles. Les logements sont, encore aujourd’hui, très appréciés, et restent évolutifs même si de nombreuses familles l’ignorent. Sur la scène internationale, nous pouvons bien évidemment mettre en parallèle ces innovations du logement en plateaux libres avec le projet d’Alexandro Aravena au Chili, Quinta Monroy. Sur un site de 5 000m2, dans un contexte principalement résidentiel et dans une logique de renouvellement urbain, la ville de Iquique demande à l’agence Elemental pour 75000$ de construire 100 logements sociaux pour reloger des familles du bidonville vivant sur le même emplacement. L’enjeu est donc de construire un logement familial avec un budget de 7 500 $ sur un site contraint et nécessitant des constructions denses. Le concept est trouvé : concevoir un logement de taille moyenne sur deux étages livré pour partie. Cuisine, salle de bain, escalier, devaient être conçus pour une maison de 72m2. 50% du volume de chaque unité est construit par les habitants eux-mêmes. Dans cette perspective, le porteur du projet souscrit au credo suivant : « Nous préférons construire la moitié d’une bonne maison plutôt qu’un mauvais logement »156.

156 . Alexandro Aravena, citation disponible sur le site https://blogs.letemps.ch/oeilduviseur/2016/01/14/alejandroaravena-le-chilien-qui-voulait-une-architecture-sociale-et-belle/

Fig 23 : 2004, Alexendro ARAVENA, Quinta Monroy, Chili

A Amsterdam en 2010-2011, Tony Fretton Architects dessine Solid 11. A l’initiative d’un bailleur social et d’un promoteur social Statgenoot, ils commandent à l’architecte trois nouveaux ouvrages qui devront accueillir toutes sortes d’activités, à l’image des bâtiment squattés d’Asmterdam. Après la construction de la « coque », vient un second temps du chantier. Un système d’enchère en ligne permet aux intéressés de se faire connaitre. On distingue ceux qui souhaitent ouvrir un commerce et ceux qui souhaitent habiter selon leurs revenus. La diversité des projets et des législations applicables rendent l’exercice difficile : 125 lots sont découpés puis livrés nus. L’aménagement – conception réalisation – est laissé à la charge de l’acquéreur. Stadgenoot reste propriétaire de la structure : les occupants lui versent donc un loyer. En revanche, ils possèdent leurs intérieurs qu’ils peuvent revendre (comme une copropriété en France). Le bailleur fait le pari, risqué mais permettant tellement plus d’innovation, du temps long pour rentabiliser son opération.

Ces initiatives représentent des exemples innovants pour sortir de la fabrication standard du logement. En France, un « concept » est en cours de réalisation à Bordeaux, qui pourra peut-être servir de référence dans l’avenir à certains promoteurs pour se libérer des schémas traditionnels de leur profession. Ces projets innovants sont nommés

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LA MAISON DOMINO

LES MARELLES

1814-1915, LE CORBUSIER, PROJET

1971-1975, Bernard KOHN ET Georges MAURIOS, Boussy-St)Antoine, France

La Grand’Mare 1968-1969, Marcel LODS, Paul DEPONDT, Henri BEAUCLAIR, Quartier de la Grand’Mare, Rouen, France

ELEMENTAL 2004, Alexendro ARAVENA, Quinta Monroy, Chili

SOLID 11 2010-2011, Tony FRETTON Architects, Amsterdam, Pays-Bas 77

Fig 24 : Planche projet BRAZZA, Bordeaux, MACRO LOT Soferti Garonne - Ilot pilote, disponible sur le site http://www.bordeaux2030.fr/sites/www.bordeaux2030.fr/files/ cahier_des_charges_de_la_consultation_soferti-garonne.pdf

de possibles alternatives?


volumes capables. Ils désignent un type de production de logement ou locaux d’activités, mis en vente « brut de décoffrage ». Pour partie inachevé, l’aménagement intérieur reste à la charge de l’acquéreur. Ce concept permet d’acheter un logement « neuf avec travaux » et d’accéder à la propriété à un coût inférieur à celui du marché pour un habitat « sur-mesure ». En terme de typologie il peut s’agir de logements individuels ou collectifs. L’avantage du volume capable vis à vis du schéma classique en VEFA reste incontestablement l’aspect financier de l’opération pour l’acquéreur. Les volumes capables ne sont disponibles que pour les acheteurs souhaitant habiter dans ces logements à des fins de résidence principale, puisqu’ils sont conçus de manière à ce que l’appropriation se fasse instantanément. Ce type d’opération représente une opportunité pour la production de logement en France de faire autrement, afin de pallier à la perte qualitative toujours plus grande que l’on constate quant à l’intérieur des logements. A travers le projet emblématique du Brazza à Bordeaux, nous pouvons placer quelques espoirs dans l’expérience des logements en volumes capables pour offrir de nouvelles perspectives sur la question de l’habiter en France. Face au quartier historique des Chartrons et aux Bassins à Flot, au débouché du pont Jacques Chaban-Delmas, se trouve un site principalement constitué de friches industrielles de 53ha. Quatre îlots sont alors répartis sur 55000 m2 de potentiel constructible : 10 à 15000m2 sont à destination de bureaux, 6 à 8000 m2 sont destinés pour de la programmation hôtelière, 5 à 8 0000 m2 pour de l’équipement sportif indoor et 26 550m2 sont destinés à la construction de 400 logements environ. La ville de Bordeaux décide en 2014 de lancer une consultation. L’équipe du groupement est composée différents acteurs, issus des différentes branches déjà évoquées dans ce mémoire pour mener à bien les opérations

de construction de logements157. L’architecteurbaniste libanais Youssef TOHME Architectes & Associés a pour mission de dessiner 4900 logements, 75 000m2 de bureaux et 90 000m2 d’activités artisanales, de commerces et de loisirs. Parmi ces logements, 45% doivent rester libres, 20% sont pour l’accession à la propriété, et 30% sont destinés aux logements sociaux. L’architecte conçoit trois typologies de logements : les échoppes, les logements sur pilotis et les volumes capables, eux-mêmes divisés en trois, les logements individuels, les logements collectifs et les logements collectifs évolutifs. Il ambitionne ainsi de mettre en œuvre une architecture à la recherche d’une plus grande souplesse quant aux façons possibles d’habiter les lieux, ce qu’illustre ses propos : « Donner de la liberté dans les manières de vivre, c’est donner de la perspective et de l’ouverture aux habitants. C’est rendre possible des rapports optimistes à la société comme au monde. »158. Sur une surface de l’opération l’agence A6Architectes conçoit les studios Brazza en concertation avec l’architecte mandataire Youssef TOHME. Les quatre programmes en « volumes capables » correspondent à des petits bâtiments collectifs d’environ 25 logements chacun (R+3 / R+4). Les prix de sortie sont maitrisés (2 100 à 2 400€/m2). Les parties collectives des immeubles sont livrées achevées. Et, pour les parties privatives, deux possibilités sont proposées : - des logements simplexes : 2,5m de hauteur sous plafond (2 100€/m2) - des logements évolutifs : 5m de hauteur sous plafond avec des attentes conçues pour la création d’une mezzanine (2 400€/m2)

157 Ainsi : ADIM Sud Ouest (aménageur – mandataire), Crédit agricole immobilier, Eden Promotion, Kaufman & Board, Les citizens, Mésolia, Nouvelles Fonctiones Urbaines (NFU), d’un groupement d’architectes d’opération composé de Youssef TOHMÉ Architectes & Associés, Atelier Provisoire, A6Architectes, AUC, Collectif Encore, Kapzul, NP2F, et du paysagiste Michel Desvignes. 158 . Youssef Tohmé, extrait disponible sur le site de A6A, http://atelier6architecture.com/058

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3.

3 - BRAZZA : Macro-lot Soferti Garonne - îlot pilote

BRAZZA : MACRO LOT Soferti Garonne - Ilot pilote Les 4 programmes en «Volumes Capables» de studio Brazza correspondent à des petits collectifs d’envion 25 logements chacuns (R+3 / R+4). Les prix de sortie sont maitrisés (2 100 à 2 400euro/m²). Deux possibilités sont proposées : - des logements simplexes : 2,5m de hauteur sous plafond (2 100euro/m²) - des logements évolutifs : 5m de hauteur sous plafond avec des attentes conçues pour la création d’une mezzanine (2 400euro/m²)

3.

1 - BRAZZA : 3 typologies de logements

Grand Paris Aménagement BRAZZA : 3 typologies de logements

Les échoppes Les échoppes

3.

LesLes logements sur pilotis logements sur pilotis

Les parties collectives des immeubles sont livrées achevées. Le stationnement est géré par un parking silo situé à proximité des volumes capables et vendu Paris Aménagement en plus du logement (25 Grand 000 euro)

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LesLes volumes capables volumes capables

2 - BRAZZA : 3 typologies de volumes capables

BRAZZA : 3 typologies de logements

Grand Paris Aménagement

Les individuels

Individuels

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Les collectifs

Collectifs

Les collectifs évolutifs

Collectifs évolutifs

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de possibles alternatives?

25 Aménagement : Plan projet Atelier 6A, Eden promotion Bordeaux, BRAZZA, illustrations issu du site internet de A6A disponible sur http://atelier6architecture28/06/2018 .com/058 GrandFig Paris illustrations personnelles

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etp. 10 / 21


Prom Eden P

Arch A

BRAZZA : Projet A6A - Eden promotion

Projet A6A - Eden Promotion 2x16 logements (R+3),

Progr 2x16 logem

Surface: 18,5m2 unité de vie, 37,5m2 annexe (+6,5m2 terrasse) Prix de vente : 2400euros/m2

Sta ma

Livraison : 2018?

Surf 18,5m² u 37,5m (+6,5m²

Promoteur : Eden Promotion

Prix de 2 400

Archietcte : A6A

Livra 20

Programme : 2x16 logements (R+3) Statut : maitrisé Grand Paris Aménagement

Surfaces : 18,5m² unité de vie 37,5m² annexe (+6,5m² terrasse) Prix de vente : 2 400euro/m² Livraison : 2018?

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Dans le projet proposé par Eden Promotion et A6A, les appartements sont divisés en deux parties ; - une « unité de vie » d’une vingtaine de mètres carrés comprenant les parties humides (simple hauteur). Cette partie est livrée avec les finitions : isolation thermique et acoustique, peintures, revêtement de sol et plafond, menuiseries. Elle répond aux normes PMR. De plus, les logements privés sont livrés avec : un bloc sanitaire159, une source de lumière, sol et plafond (a priori chape au sol) portes et fenêtres, raccordements réseaux, isolation thermique et phonique, eau chaude sanitaire en chaufferie collective, et des points de fixations pour une future mezzanine - une « annexe » de 38m2 en double hauteur (5m sous plafond) à aménager ; hors d’eau, hors d’air et isolations thermique et acoustique. Des attentes sont prévues pour la réalisation de la mezzanine. Les peintures, cloisons, menuiseries intérieures, revêtement de sol et la réalisation de la mezzanine sont à la charge de l’acquéreur. Il devra par ailleurs déposer une déclaration préalable en cas de création de SDP. - une terrasse Le stationnement est géré par un parking silo situé à proximité des volumes capables et vendu en plus du logement (25 000€). Les parties collectives sont livrées achevées, le monte charge, les escaliers et les couloirs sont surdimensionnés afin de permettre aux futurs habitants d’acheminer des matériaux de construction. Les promoteurs mettent à disposition des acquéreurs des cahiers techniques qui contiennent les informations permettant de finir les travaux en respectant les normes et les règles. 159

Celui-ci comporte : une douche, un WC, un point d’eau et un évier.

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Le Volume capable, c'est quoi?

Les équipements essentiels sont constitués de:

Il y a tout de même:

un bloc sanitaire comprenant

Le sol et le plafond

Les murs et fenêtres

Les équipements essentiels

Une douche

Un WC

Un point d’eau

Mais également: Les connexions aux réseaux

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http://neuf-avec-travaux.fr/

Une source de lumière

Le Volume capable, c'est quoi?

http://neuf-avec-travaux.fr/

4/7

3/7

un évier

Comment cela fonctionne? 1

2

Vous choisissez et achetez votre Volume capable

Vous imaginez comment vous allez l’aménager

Fig 25 : Plan projet Atelier 6A, Eden promotion Bordeaux, BRAZZA, illustrations issu du site internet de A6A disponible sur http://atelier6architecture.com/058

et

illustrations personnelles

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http://neuf-avec-travaux.fr/

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de possibles alternatives?


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Fig 27 : Graphique comparaison VEFA/VEFI, source personnelle issu d’un PDF réalisé par Clémentine LAJOIE au sein de GPA

Le prix de vente des volumes capables sur l’opération de Brazza est de 33% inférieur au prix de vente de logements construits en VEFA classique. En revanche, les coûts de constructions, honoraires et la marge du promoteur ne suffisent pas à équilibrer le bilan (10 à 25%). Pour une marge identique (marge relative en % du chiffre d’affaire TTC), la charge foncière devrait être divisée en deux. La production de volumes capables est une alternative intéressante au logement « classique », mais a tout de même ses limites. Premièrement, il est difficile d’appréhender les contraintes acoustiques et thermiques du bâtiment, étant donné qu’il est livré sans aménagement intérieur. La question de la responsabilité de ces contraintes est alors soulevée : devrait-on soumettre à l’acquéreur dans le cahier des charges le respect des normes thermiques et acoustiques du bâtiment ? Et si le futur occupant est dans l’obligation de réaliser ses travaux, doit-on également l’assortir d’une obligation de délai ? Il faut alors décrire précisément à l’acquéreur dans la fiche descriptive les travaux à réaliser et par quels moyens y arriver, les normes obligatoires ou le label envisagé pour respecter les conditions du contrat. Par ailleurs, en cas de revente, une distinction devra être faite entre ce qui a été réalisé par le vendeur et le revendeur. Alors, le vendeur est assimilé à un constructeur au plan de la responsabilité décennale, mais dans les faits il est évidemment moins bien couvert par des assurances. Il prend alors un risque plus important. 160 . Graphique réalisé par Clémentine La joie, dans le cadre d’une présentation au sein de Grand Paris Aménagement sur les avantages des opérations en volumes capables (2018)

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De plus, la garantie d’une finition parfaite est impossible dans le VEFI, puisqu’elle consiste à consacrer une livraison « brute de béton ». Il serait alors peut-être bon de repenser ce genre d’assurance pour pouvoir suivre ces nouvelles manières de construire le logement. La loi ELAN (article 22) sur ce point, permet de décloisonner les limites de la GPA (Garantie de Parfait Achèvement), en modernisant « la vente en l’état futur d’achèvement afin de sécuriser l’acquéreur dans le cadre de la garantie financière d’achèvement et de permettre à l’acquéreur et au vendeur de se mettre d’accord pour permettre à l’acquéreur d’assurer lui-même certains travaux de finition. »161. Il faut alors compléter le code de la construction et de l’habitation afin de définir précisément les obligations du garant recherché au titre d’une Garantie Financière d’Achèvement (GFA) délivrée dans le cadre d’une VEFA du secteur protégé (immeuble à usage d’habitation ou mixte). On espère tout de même une définition plus claire sur ce sujet dans les prochaines semaines ou mois afin de statuer sur la question de l’évolution du logement en VEFA. Ce point peut également faire courir un risque énorme sur l’aggravation des pratiques actuelles dans la mesure où il permet aussi de décharger le promoteur de ses responsabilités sur la fin de son opération. Permettra-t-il alors au promoteur de passer encore moins de temps sur une opération

Dans cette dernière partie, nous souhaiterions aussi dresser un état des lieux des solutions qui peuvent s’offrir à nous aujourd’hui pour contourner le système de fabrication de logements piloté par la promotion immobilière privée. L’alliance entre experts de la construction et habitants reste une forme de production de la ville d’aujourd’hui, bien que ce type de fabrication demeure à la marge des pratiques dominantes. Or cela permet de se concentrer sur la conception même des logements, qui a été trop longtemps guidée par une logique de rentabilité (des espaces communs minimalistes, considérés comme lieux onéreux, notamment pour les charges communes, ou sources de conflits par exemple). Ce dernier point tente de mettre en lumière les vertus des façons d’habiter autonomes, et souhaite valoriser certaines réalisations architecturales en rappelant qu’il est existe encore une « liberté de faire ».

Enfin, une des limites ayant trait à la construction de ces volumes capables repose également sur la réglementation française en cas de nouvelles constructions. Si l’acquéreur décide de construire ou déconstruire à sa guise le logement, il devra en faire la demande auprès de la commune par une déclaration préalable ou un permis de construire. De ce fait, cela lui occasionnera de nouveau des frais et un délai supplémentaire pour faire aboutir ce type de procédure.

Malgré les contraintes propres à l’habitat participatif, ce mode d’habiter comporte aussi des avantages notables en comparaison avec la promotion de logement en France classique. La construction de logement en habitat participatif est individualisée, la qualité est maitrisée et contrôlée, « tout en économisant en règle générale 20% des coûts globaux »162. D’un point de vue humain, c’est également un moyen d’apprendre à faire des compromis, échanger, communiquer, apparaissant alors comme une réelle expérience humaine. De plus, l’habitat participatif est un moyen pour des familles d’acquérir un terrain en ville, une chose quasiment impossible pour des particuliers seuls. Pour les raisons déjà évoquées au long de ce mémoire, acheter un logement est aujourd’hui une décision importante. Si l’on refuse le pavillonnaire et le collectif en VEFA, acheter en zone urbaine ou péri-urbaine devient vite un casse-tête sans nom. L’auto-promotion est une réponse à cette situation inédite. Comme

161 Assemblée Nationale, article 22 de la loi ELAN, disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/ pl0846.asp

162 . Propos de Andreas Delleske, extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

de logement ?

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- L’exemple de l’habitat participatif

de possibles alternatives?


l’illustre le graphique ci-dessous163 dans la ville de Fribourg en Allemagne, les motivations de l’autopromotion semblent répondre aux dérives déjà constatées liées à l’état actuel de la production de logements en France.

Fig 28 : Quelles sont les motivations majoritaires de l’autopromotion à Fribourg en Brisgau ? Source : Ville de Fribourg en Brisgau, extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

-

Contexte

Quelques expérimentations permettent d’envisager des issues aux impasses écologiques, politiques, et sociales, engendrées par la conception classique et dominante du logement collectif aujourd’hui dont on a pu démontré dans ce mémoire les failles. Parmi les premières expérimentations sur le logement où les acteurs de la fabrication du logement ont pu se passer de la promotion immobilière privée et de ses logiques sousjacentes, nous pouvons citer quelques pays européens. En Allemagne, c’est en 1920, en pleine crise économique et dans le cadre du mouvement réformateur de l’habitat que les premières opérations d’habitat groupé dites « Baugemeinschafter » voient le jour, tandis qu’à la même époque débute « l’auto-construction populaire » en France. On pensera aussi au 163 . Source : Ville de Fribourg en Brisgau, extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

mouvement des Castors164, dans les années 1950, porté par les classes sociales ouvrières de toute la France pour faire face au déficit catastrophique de logement en France. L’entraide est alors le mot fort, pour répondre aux besoins de reconstruction de l’après-guerre. Des espaces communs de vie et de partage sont intégrés aux logements collectifs, dépassant ainsi la simple auto-construction. Ainsi, « du modèle subi du Moyen Âge ou de la révolution industrielle, on glisse lentement vers un nouveau modèle d’habitat groupé : celui où on choisit son voisinage. »165. Les premières remises en cause de la Charte d’Athènes166 sont énoncées par Team X à la fin des années 1950. Elles se concentrent sur le rôle que l’humain (et donc l’habitant) doit jouer. Leurs revendications annoncent les prémices de l’habitat participatif : la réflexion autour du bâti serait au niveau de « l’unité du voisinage, pensé comme un système communautaire vivant aux échelles différenciées plutôt que dans un agrégat de machines à habiter. »167. Dans les années 70, une centaine d’habitats autogérés voient le jour autour de Nantes puis dans toute la France, par le biais du Mouvement de l’Habitat Groupé 164 Les Castors sont un mouvement d’autoconstruction coopérative né après la Seconde Guerre mondiale en France. Il est aujourd’hui implanté au niveau national et compte près de 50 000 adhérents. Il s’agit de plusieurs associations plus ou moins indépendantes, fédérées par la Confédération nationale d’autoconstruction CASTORS. Le terme « castor » semble apparaître à la fin de la Seconde Guerre mondiale. À Bayonne, malgré l’hostilité du maire de l’époque, un groupe de pionniers obtient pour un prix raisonnable un terrain marécageux soumis à l’influence des marées. Le premier chantier important débute en 1948 à Pessac, organisé par les membres du Comité ouvrier du logement de Bordeaux. On voit alors des familles se regrouper dans différentes villes de France (dont Rezé, Montreuil, Lyon et Villeurbanne) autour d’expériences d’autoconstruction coopérative fondées sur le principe de l’apporttravail : le travail collectif, effectué pendant les heures de loisirs, vient pallier l’incapacité des personnes ainsi associées à financer l’achat ou la construction d’un logement. Ces regroupements ont été une réponse militante de différents mouvements politiques et sociaux à la crise du logement. Bien que la part de l’aspect communautaire varie suivant les opérations, il a joué un rôle dans l’essor et l’organisation du mouvement, en favorisant les rencontres des membres et les échanges entre les regroupements. 165 . Extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Burno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011 166 . La charte d’Athènes, initiée par Le Corbusier, décrit les principes fondateurs de la ville industrialisée moderne , prônant notamment le zonage selon les fonctions primaires de la ville : se loger, se divertir, travailler. 167 . Team X, en 1956, extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

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Autogéré 168, né en 1977 et renommé récemment Eco Habitat Groupé. Il répond aux initiatives issues de Mai 68. Ce sont alors 100 immeubles qui sont construits en « autogestion » selon l’association. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’habitat participatif n’invente donc rien de nouveau. Les années 2000 jettent les bases d’un renouveau, en intégrant développement durable au participatif, et illustre alors l’intérêt grandissant de la population et des politiques publiques pour ces notions. L’humain, dans ces raisonnements, est donc au centre des préoccupations. Mais qu’en est-il réellement ? Il existe des familles, des hommes et des femmes qui, ensemble, achètent un terrain, conçoivent et réalisent leurs maisons, décident de ce qu’ils vont partager (jardin, salle, atelier…) et mutualiser (tondeuse, outils, éventuellement voiture…). On parle de ces habitants (accédants ou locataires) qui veulent lutter contre le système de promoteur immobilière (et tout ce qu’il implique) en recherchant le meilleur statut pour y parvenir, qui veulent rendre leurs projets financièrement accessibles à tous ; des projets où l’écologie va de soi et où le maître mot est solidarité. L’habitat groupé aujourd’hui est présent dans toutes les régions française de manière informelle, ayant en son sein une association pilote dans le domaine. Néanmoins, ce genre d’initiative peut être considéré comme la base de ce qu’on construit dans d’autres pays européens, comme la Belgique, la Suisse (A Plan-les-Ouates, le projet Les Voirets regroupent 10 ménages pour 29 habitants), l’Allemagne, ou les pays de l’Europe du Nord (Au Danemark par exemple, 5% de la population vit aujourd’hui en habitat groupé). 169

168 https://www.habitatparticipatif.eu/40-ansmouvement-de-lhabitat-groupe-autogere-mhga/ 169 Extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Burno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

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Lexique et faux-amis170

Certaines notions d’autopromotion apparaissent floues pour de nombreux acteurs de la construction. Il semble alors valable d’éclaircir certains termes en dissociant bien les faux-amis. Auto-promoteurs : désigne des personnes membres d’une structure juridique spécifique de construction : l’auto-promotion. Auto-promotion : terme technique désignant une organisation civile, initiée par des particuliers, dans l’objectif d’ériger ou de restructurer collectivement, en qualité de maitre d’ouvrage, un bâtiment pour leur propre compte. L’auto-promotion indique la démarche constructive choisie pour réaliser un habitat groupé, mais ne décrit pas le projet de vie en tant que tel. Coopérateurs : désigne les membres d’une coopérative. Dans le cas de l’habitat groupé, il s’agit généralement de ceux d’un société coopérative civile de construction, mais il peut également s’agir d’autres formes coopératives. Coopérative : terme désignant un projet dont la propriété est collective et pour lequel le pouvoir est exercé démocratiquement (une voix = une personne). Cette dénomination détermine les liens des membres entre eux et leur mode de gestion interne. Groupe de construction ou collectif de construction : termes assez neutres et peu précis désignant simplement le rassemblement de personnes, de manière informelle, autour d’un projet commun. Dans le cas du collectif, on sous-entend en plus le partage d’objectifs et d’engagements communs. Habitat groupé : terme générique faisant référence à la constitution d’un habitat issu de l’initiative collective de particuliers. A coter que

170 Extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011 de possibles alternatives?


Fig 29 : Schéma type d’une opération de construction écologique, Source : guide de l’autopromotion, écoquartier Strasbourg, oct 2010

pour les urbanistes « habitat groupé » a une autre signification et décrit plutôt un habitat fait de logements accolés, imbriqués les uns aux autres avec des entrées séparées, comme modèle intermédiaire entre la maison individuelle et l’immeuble. Habitat participatif : dénomination faisant référence à la méthode d’élaboration ou de gestion de l’habitat, voulue de manière partagée avec ses occupants. Il est devenu le terme fédérateur pour désigner toutes les mouvances de projets faisant appel aux citoyens dans leurs élaborations. Il est toutefois sujet à débat, car la participation ne pourrait être que consultative. Or les habitats groupés revendiquent une participation forte, voire une implication personnelle de premier plan.

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Trois grandes familles d’habitat groupé & les acteurs

La construction issue de l’initiative collective peut prendre trois formes différentes. Dans ces familles, le rôle de chacun est définit et particulièrement celui du maître d’ouvrage. - en promotion classique Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la promotion privée, ou publique, peut également être à l’initiative de ce type de fabrication de logement. Elle peut acheter et bloquer le terrain pour un certain temps, trouver des habitants, gérer la concertation avec les habitants, être directement associée dans la conception et la réalisation du projet. En France, il n’existe que trop peu d’organisme de promotion immobilière alertes sur le sujet, alors qu’en Allemagne la pratique est courante. - par délégation de maîtrise d’ouvrage Dans cette configuration, les habitants sont à

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l’origine du projet. Ils prennent l’initiative de se rassembler et de définir les contours de l‘opération, des responsabilités de chacun, etc. Lorsque cette base est posée, ils font appel à un délégataire (MOD, Promoteur, contractant général, etc .) pour assurer la maîtrise du projet. Les risques sont alors majoritairement portés vers un professionnel. Cette configuration est la plus commune. - en autopromotion Le groupe d’habitants endosse directement le rôle du promoteur immobilier, et fait donc le choix de se passer directement de cette profession et donc de porter la responsabilité dans sa totalité. Ensemble, les habitants sous forme de groupe, sont le maitre d’ouvrage, seul commanditaire du projet, et pilotent le projet. Le groupe peut néanmoins décider de mener le projet avec ou sans l’aide d’un professionnel, comme un architecte, ou un AMO. Cette dernière forme met la participation au cœur du projet. Mais cette forme est aussi la plus complexe voire risquée, comme nous allons le voir.

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Quelques complexités

Beaucoup de projets d’habitat groupé participatifs naissent, mais tous n’aboutissent pas. Parmi les premiers obstacles, citons la méconnaissance fréquente de ce qu’implique cette démarche et donc parfois leur désillusion lors de la mise en œuvre. Vient ensuite la prise de risque. Un projet en promotion classique ne propose pas de démarche participative dans l’élaboration du projet. Seuls des choix de finitions intérieures sont proposés. Dans le cas de l’auto-promotion, par définition, les membres du groupement sont les promoteurs. Etant donné que c’est un moyen trop peu connu pour construire son bien, il n’est pas facile de maitriser les risques financier et humain que comportent ces opérations. Puisque le promoteur est celui qui endosse le risque, la responsabilité peut-être un

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frein pour les habitants. En revanche, il peut exister une gradation dans la démarche participative et donc dans la prise de risque du groupement. Il est possible de faire appel à un professionnel pour ce type d’opération, comme un assistant à la maitrise d’ouvrage, afin d’être conseillé lors des différentes phases. A mi-chemin entre promotion et auto-promotion, il s’agit de projets ou la participation des acquéreurs peut être très forte tout en étant cadrée par un cahier des charges défini au préalable par le professionnel. En Allemagne, beaucoup de projets sont montés avec ce schéma, permettant ainsi une construction en masse des bâtiments dans ce pays171.

Mais comment repérer les opportunités foncières avant les promoteurs institutionnels ? Comment acheter un terrain sans capital initial ? Une bonne relation avec la collectivité est incontournable, car c’est souvent par son intermédiaire que le groupe trouvera le terrain. Dans la majorité des cas, le terrain acheté sera déjà prédisposé par la mairie à accueillir des projets dits « innovants » ou « expérimentaux ». Les futurs propriétaires du terrain ne feront que répondre aux propositions foncières de la mairie, et ne s’attèleront pas à convaincre les élus locaux du bien-fondé de leur projet. Le choix du statut juridique172 peut aussi apparaître comme un obstacle pour le groupe, car chaque statut définit un type de partage des responsabilités plus ou moins important, mais dans le même temps, ce choix influence aussi l’engagement des établissements bancaires pour accéder aux demandes de financements de ce groupe. A ce jour, le statut de copropriété est le plus fréquent, mais d’autres statuts ont été retenus 171 On pensera ainsi au bureau d’études Phasea à Frigbourg en Brisgau, qui réserve les terrains à la municipalité, élabore un pré-projet et va chercher ses clients, poursuit les études, dépose le PC et suit le chantier. Cependant les habitants restent maitres d’ouvrage collectivement. Phasea permet des délais très courts : de deux à cinq ans études/livraison), d’après l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011 172 On pensera, entre autres, à la société coopérative civile de construction, à l’association, ou la forme plus connue de la SCI. de possibles alternatives?


par les groupes173. Dans tous les cas, il est préférable d’avoir un socle juridique unique, simple, ajustable. Les établissements privés d’investissement sont dans beaucoup de cas frileux quant à ce type de projet, puisque trop méconnu dans la majorité des cas.

Le statut juridique pour monter une opération de logement participatif ou en auto-promotion peut prendre des formes différentes. La France, visà-vis de ses voisins allemands ou belges, est en retard en ce qui concerne les dispositifs proposés par le droit. Les députés ont proposé d’instituer en 2009 un « tiers secteur de l’habitat participatif » mais n’a jamais été voté à l’Assemblée. Il faut alors faire avec les moyens d’aujourd’hui, en espérant que le droit français fasse preuve de réaction à ce sujet. Les structures juridiques aujourd’hui sont basées sous trois formes : les légères (l’indivision, l’association, la copropriété sont fondées sur la propriété individuelle et la bonne entente des parties), les sociétés civiles (elles peuvent être immobilière, simple, d’attribution, coopérative, d’intérêt civil ou d’accession à la propriété), et enfin les sociétés commerciales, offrant la plus grande liberté d’organisation mais nécessitant une plus grande assistance.

de savoir créer et entretenir une dynamique interne. Dans cette optique, le chantier est une phase où tous les acteurs vont être mobilisés : architectes, habitants, artisans, etc. L’architecte joue un rôle majeur dans cette phase, en prenant en compte à tout instant les volontés des habitants et parfois en les incluant dans les phases du chantier, ainsi que le souligne Yves Conan : « Il ne faut pas perdre en vue que sur le chantier, c’est l’architecte qui est responsable et maître des rapports aux entreprises et non pas les habitants. Certains habitants souhaitent autoconstruire, du moins partiellement, pour mieux s’approprier leur logement et économiser sur leur budget. »174

Avec tous ces facteurs réunis, nous pouvons remarquer que de nombreux facteurs nous pousse à aller vers le modèle de la promotion immobilière privée. Les moyens alternatifs, en plus d’être risqués pour les accédants euxmêmes, sont à la marge de ce qu’on peut faire aujourd’hui dans la fabrication de logement en France. Il faut donc se battre pour transmettre et faire connaître ces alternatives au plus grand public. L’élément majeur d’un projet d’habitat participatif est, naturellement, le groupe. Entité vivante, il est composé d’habitants aux personnalités diverses. Il est donc indispensable 173 . Extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011

174 . Extrait de l’ouvrage Archiactuelle : L’habitat groupé participatif, Yves Connan , Edition Ouest-France, 143 p., 2012

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ECO-QUARTIER STRASBOURG

contractés auprès de différents organismes bancaires.

Maîtrise d’oeuvre : Gies Architecktur

Sa conception répond à trois piliers:

mission complète Maitrise d’ouvrage : SCI Eco-Logis

- le social, en proposant des espaces de vie collective, une gestion collégiale et des moments de convivialité, en favorisant l’entraide et les relations de bon voisinage, tout en respectant l’autonomie de chacun,

Les dix familles qui portent ce projet sont associées dans le cadre d’une Société Civile d’Attribution (SCIA), maître d’ouvrage de l’opération.

- l’économique, en favorisant les filières environnementales de construction et en proposant des logements d’une grande qualité à des prix comparables au marché du neuf,

Programme : Sur un terrain vendu par

- l’environnement, en optant pour des techniques économes en énergie et des matériaux sains, et en incitant les comportements éco-responsables. L’immeuble a été certifié BBC.

la ville de Strasbourg, 11 logements, 1 chambre + salle commune, sur un terrain de 1700 m². La surface totale de l’immeuble est de 1000 m² habitable, répartis sur un rez-de-chaussée, 3 étages et un attique. Il comprend, en plus des logements privatifs, une salle des fêtes, une chambre d’amis partagée, une buanderie, un atelier de bricolage, des caves et un jardin collectif. Au pied de l’immeuble, un abri avec toiture végétalisée peut accueillir 35 vélos. Les appartements desservis par des coursives en façade nord, sont tous traversants et possèdent des terrasses ou des balcons en façade Sud.

Surface : 1040 m2 Livraison : 2010

Coût : 2,9M€ tout compris, dont les coûts de construction s’élèvent à 1,8M€. le prix au mètre carré de l’opération est de 2950€

Et après cinq ans de fonctionnement ? L’immeuble répond aux attentes en matière de performances environnementales : environ 300 € de chauffage par an et par logement. Propriété de la SCIA, il est autogéré par les familles qui bénéficient de la jouissance des appartements. Conformément à la charte rédigée en phase de conception du projet et réactualisée dernièrement, un comité de maison se réunit une fois par mois pour prendre les principales décisions de gestion, notamment pour les parties communes et pour évoquer le vivre ensemble. Deux journées de travaux communs sont organisées, le 1er mai et le 11 novembre, d’autres journées s’y ajoutent naturellement.

Fig 30: Planche projet Mickael Gies par eco quartier Strasbourg

Le financement a été assuré par des prêts immobiliers individuels que les familles ont

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de possibles alternatives?


POUR CONCLURE La fabrication des logements par la promotion immobilière en France aujourd’hui dans le marché du diffus est un sujet sur lequel chaque architecte devrait, à mon sens, travailler. Les promoteurs sont devenus l’interlocuteur indéniable dans la production de la ville. Si beaucoup de promoteurs ne prennent pas le temps de comprendre les architectes, il faut pourtant que notre profession s’efforce de comprendre la leur. D’une part, afin de comprendre leur langage, de comprendre leurs outils, et d’autre part, afin de pouvoir répondre en tout état de cause à leurs attentes, permettant ainsi de se situer en tant qu’architecte. Le développement de nos agglomérations a conduit à ce que plus de 80% des Européens soient urbains (environ 25% l’était en 1945175). Pour répondre au besoin de logements, la promotion immobilière est devenue maîtresse de l’habitat en ville. L’acte de construire n’implique pas seulement de bien faire malheureusement. Cette puissance privée a permis la croissance fulgurante de nos cités, mais, de fait, l’ensemble du jeu d’acteurs a aussi métamorphosé l’habitant en client (ou investisseur), le lieu de vie en bien immobilier (ou produit financier). Définir ce qu’est un promoteur immobilier, le situer dans un contexte historique, puis analyser ses outils pour faire tourner cet appareil de la production de logement illustre que cette profession est bel et bien un acteur majeur, parmi quelques autres, de notre société productiviste actuelle. Il ne faut pas pour autant le pointer du doigt comme seul bouc émissaire. Néanmoins, ces organismes privés de promotion immobilière devraient faire plus souvent preuve de bons sens, et se rappeler que « l’argent est un moyen, et non une fin ». Les investissements consentis devraient être un bras de levier pour réaliser des projets, et non pas pour réaliser toujours plus de bénéfices. Le logement est la matière de la ville, il nourrit sa mémoire et son identité, il définit sa forme et définit sa densité. Ce mémoire a été l’occasion de me faire une idée plus précise de la conception du logement selon les logiques de la promotion immobilière, en n’oubliant pas de remettre en perspective nos pratiques d’architectes à l’aune de ces logiques. À la suite d’un essai de définition sur ce qu’est la promotion immobilière, il nous est apparu essentiel de dresser un portrait non-exhaustif des logements fabriqués par ces organismes privés dans le marché du diffus. Il semble que l’état des lieux réalisé en deuxième partie de ce mémoire, peut être qualifié de désastreux, tant du côté de la maitrise d’ouvrage que de la maîtrise d’œuvre. Les avis de plusieurs professionnels illustrent la façon dont le logement est fabriqué aujourd’hui en France en essayant de décortiquer les raisons pour lesquelles nous sommes arrivés à ces constats alarmants. De nombreux facteurs rentrent en jeu : le contrat liant le promoteur à l’architecte, illustrant souvent un rapport de force déséquilibré, des temporalités imposées selon les logiques du maître d’ouvrage, des honoraires sous-évaluées, et parfois même inexistantes. L’architecte perd peu à peu son emprise sur le projet, voyant ses missions se réduire et être redistribuées à un nombre croissant de partenaires, parfois même missionnés indépendamment par la maîtrise d’ouvrage, qui s’octroie de fait le rôle de mandataire. Les logements qui en découlent sont alors décrits comme médiocres, et ce par le promoteur lui-même. En sachant que plus de 70 % des bâtiments sont financés par des promoteurs176, les acteurs de la promotion immobilière (tout comme les acteurs gravitants autour de lui du système de rentabilité: investisseurs institutionnels, pouvoir publics, et parfois même architectes !) devraient remettre en question leurs constructions ainsi que le système pour le fabriquer. 175 Collectif, Rollot, Matthias, Repenser l’habiter, alternatives et propositions, édition Autonomia Libre & Solidaire, 2018 176 Les architectes, toujours aussi mal payés, dans Les échos par Catherine SABBAH, le 19/01/18, disponible sur https://www. lesechos.fr/19/01/2018/lesechos.fr/0301174129312_les-architectes--toujours-aussi-mal-payes.htm

L a fabrication de logement sous le prisme de la promotion immobilière

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Cette vision de l’habitat – et par extension de la ville – aura généré des millions de m2 de logements où la rencontre entre individus est devenue difficile. Selon un sondage TNS-Soffres177, 57% des personnes interrogées considèrent que « la qualité de vie en ville s’est dégradée au cours des vingt dernières années ». Il paraît alors fondamental de trouver d’autres modèles à ce système, des moyens afin de le réinterroger, et des alternatives radicales, ou non, à ce système. Architectes, peut-on agir face à cette fabrication de logement en France ? Quelques solutions s’offrent à nous, certaines d’une simplicité évidente, d’autres plus complexe ? A cette fabrication de logement décrite dans les deux premières parties de ce mémoire, d’autres modèles existent. Même si l’état des lieux est pour le moins morose, il n’englobe pas l’intégralité de la corporation des promoteurs immobiliers. Certains acteurs prennent même cette tendance globale à contre-pied, en orientant leur offre vers un public de propriétaires occupants et en renouant avec un véritable travail sur la question du logement collectif. Un nombre croissant de projets de promotion privée intègrent aujourd’hui ces questions dans leurs programmation. Alors que 6,5 millions de locataires français consacrent en moyenne 27% de leurs revenus au logement178, il est à mon sens évident de ne pas concevoir le logement selon un seul modèle mais d’essayer de trouver des voies de traverses. De plus, l’augmentation du nombre de recompositions familiales et de personnes habitant seules, l’allongement de la durée de vie exigeraient des réponses d’habitat astucieuses, tant en terme de financement que de réversibilité des espaces. Autres constats : l’affaiblissement des liens sociaux, la montée des solitudes renforcent le besoin de solidarité ; la volonté de résister aux modèles et à une architecture standard, de sortir d’un marché immobilier obnubilé par le profit se traduit par la recherche de nouvelles expressions architecturales, diversifiées, compactes, mettant en forme des matériaux naturels, d’autres relations à la nature et à l’environnement. Parmi elles, les volumes capables et l’habitat participatif. Ces nouvelles formes d’habiter et de concevoir le logement permettent d’entretenir un certain espoir quant aux processus de fabrication de logements en France. Ils attestent en effet que les vues défendues par certains architectes ne sont pas condamnées à entrer en contradiction totale avec celles des acteurs de la promotion immobilière. Peut-être pouvonsnous, dans certains interstices, travailler main dans la main avec ces acteurs afin de réaliser des projets humains, évolutifs et justes.

177 . Enquête TNS-Soffre de juillet 2008 178 . (avec une augmentation de 17% entre 2005 et 2010 selon INSEE PREMIERES N°1395, mars 2012), donnée extraite (page 7) de l’ouvrage Archiactuelle : L’habitat groupé participatif, Yves Connan , Edition Ouest-France, 143 p., 2012

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Les problématiques rencontrées dans ce mémoire, comme je l’ai déjà évoqué à plusieurs reprises, sont omniprésentes dans ma pratique actuelle de jeune architecte. La relation étroite que les promoteurs entretiennent avec les architectes est un élément structurant du quotidien, puisque les opérations menées en collaboration avec les promoteurs représentent une grande partie des commandes de l’agence dans laquelle je travaille. C’est d’ailleurs cette pratique actuelle et le lien que, personnellement, je peux entretenir avec eux, qui m’ont poussée à me renseigner sur ce sujet. Néanmoins, aujourd’hui, après deux années passés dans une agence travaillant exclusivement en commande privée dans le marché du diffus, je souhaite étendre mes perspectives professionnelles en intégrant une agence pluridisciplinaire. Ne plus travailler avec ces acteurs de la construction de logement ne me parait pas pour autant être la solution adaptée, mais je souhaite élargir mes connaissances en marché public afin de me faire une idée large des principaux types de commandes disponibles pour les architectes. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai pris la décision de quitter l’agence dans laquelle je travaille actuellement. L’agence Archibuild est en effet composée de trois pôles : architectes, ingénieurs, maitres d’œuvre d’exécution, qui travaillent théoriquement ensemble, mais qui, malheureusement, ont des fonctionnements assez séparés au quotidien. Je souhaite ainsi rejoindre une équipe composée uniquement d’architectes, qui travaille sur plusieurs types de commandes : publiques à travers des concours et appel d’offre, privées dans le marché du diffus également, quelques projets de design intérieur, etc. Mon expérience au sein de l’agence Archibuild a été très formatrice en me permettant de comprendre le monde de la promotion immobilière, et de réfléchir sur quelle posture nous devions et pouvions tenir, nous architectes, face à ces acteurs. Les quelques architectes avec qui j’ai pu m’entretenir adoptaient des positions assez différentes vis-à-vis de ce type de commandes. Mais certains témoignages et retours sur expérience se sont avérés extrêmement porteurs d’espoir vis-à-vis de notre profession. Ils illustraient le fait que certains architectes ont su se montrer conscient, sans toutefois être résignés, des logiques souvent implacables du monde de la promotion immobilière et tentaient de combattre, à leurs niveaux, certaines des dérives auxquelles notre profession peut faire face. Ainsi, ils mettent en place, quotidiennement, des moyens efficaces pour faire valoir leurs droits et leurs visions des choses. Ces armes (taux d’honoraires imposés et décortiqués selon les phases, charte interne à l’agence, clauses du contrat non-négociables, etc.), qui

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m’ont semblé ingénieuses, devraient être des exemples pour de nombreuses agences. Dans ma future pratique professionnelle, je pense être inévitablement amenée à travailler avec ces acteurs de la construction : je compte bien prendre exemple sur ces architectes pour faire face à des promoteurs peu à l’écoute de notre travail, en mettant en place des systèmes combatifs et nous permettant de garder nos valeurs intactes. Les alternatives exposées dans la dernière partie de ce mémoire apparaissent elles aussi comme une forme d’espoir afin réaliser des ouvrages évolutifs et réfléchis hors de la logique de rentabilité de certains organismes de promotion immobilière. Ces moyens d’agir et ces commandes sont des tremplins efficaces permettant à notre profession de faire valoir nos valeurs. Il me semblerait essentiel, dans un futur proche, de m’intéresser de près à ces pratiques pour développer une potentielle agence en compagnie d’une équipe alliant des profils divers : urbanistes, architectes, mais aussi des profils proches de la recherche (anthropologues, géographes, sociologues, etc.). Le statut de collectif pour un premiers temps, paraît être un commencement de montage de structure adapté pour débuter avec des petits projets (concours, appel à projet, commande privée de petite taille) puis le montage d’une agence de type SARL (ou en parallèle à l’instar du collectif Fichtre à Nantes ?) si les projets le demanderaient. La zone géographique de l’implantation du collectif importerait alors peu. Les différentes professions seraient alors considérées comme aussi importante dans la conception que l’étude technique, mettant ainsi la recherche de logement (ou autre) au centre des préoccupations. Certaines commandes sont, à mon sens, plus simples à approcher. Je vois l’exemple des volumes capables comme un compromis adaptés entre un souci d’espaces évolutifs et la garantie d’une certaine liberté architecturale, évitant ainsi « les cages à lapin » que certains promoteurs produisent. En revanche, l’exemple de l’habitat participatif, bien que très inspirant, est le type de commande trop peu accessible, car trop peu répandu. L’architecte doit se faire une place de choix dans ce marché qui, malheureusement en France, est méconnu. Penser à la perspective d’ouvrir une structure avec une multitude de commande, donc une multitude de maitrise d’ouvrage et donc des projets variés me séduit énormément. Maintenant que le monde de la promotion immobilière et ses rouages ne me sont plus aussi inconnus, j’espère pouvoir m’atteler à y répondre d’égal à égal.

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LEXIQUE

ALUR (loi) :

La loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, aussi appelée loi Alur, a été votée et validée par le gouvernement Hollande. Elle a été publiée au Journal Officiel le 26 mars 2014. Cette loi Alur a pour principal objectif de modifier, à savoir améliorer, l’accès au droit au logement français. On trouvera le texte de loi sous l’appellation officielle loi n°2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Les réformes de la loi Alur visent à modifier, et faciliter, l’accès au logement. En ce sens, cette nouvelle loi sur l’immobilier regroupe un certain nombre de mesures pour encadrer les loyers et améliorer les relations entre locataire et propriétaire. L’idée est de diminuer le coût du logement, pour le locataire, et de maintenir un certain nombre de garanties, pour le propriétaire, en limitant les risques d’impayés.

ATEX : Appréciation Technique d’Expérimentation (ATEx) Créée à l’initiative des acteurs de la construction – et notamment avec les contrôleurs techniques – , l’ATEx est une procédure rapide d’évaluation technique formulée par un groupe d’experts sur tout produit, procédé ou équipement innovant. Cette évaluation est souvent utilisée soit en préalable à un Avis Technique, car elle permet des premiers retours d’expérience sur la mise en œuvre des procédés, soit pour un projet unique.

CC : coût de construction

DTU : Document Technique Unifié, Le DTU est un cahier des charges qui définit les normes françaises concernant les travaux du bâtiment, normes d’exécution et de mises en œuvre dans « les règles de l’art ».

GFA : garantie financière d’achèvement GPA : garantie de parfait achèvement MAPA : marché à procédure adaptée

publique et à ses rapports avec la maîtrise d’oeuvre privée, dite loi MOP, est l’un des principaux textes qui encadrent en France le droit de la construction publique. Elle s’applique dans les relations entre les différents intervenants publics et privés lors d’une construction ordonnée par une entité publique. Le maître d’oeuvre est la personne qui détient une compétence technique et qui est chargée, par le maître d’ouvrage, de concevoir, de coordonner et de contrôler la bonne exécution des travaux. Pour que la loi MOP s’applique, le maître d’oeuvre doit être une entité privée. Il a des fonctions d’exécutant et matérialise les décisions du maître d’ouvrage par lequel il a été choisi. Il va aussi faire le lien avec le maître de l’ouvrage et les prestataires dans le cadre des contrats de travaux. L’article 2 de la loi définit le maître de l’ouvrage comme la personne morale [...] pour laquelle l’ouvrage est construit . En matière de construction publique, il va généralement s’agir de l’État ou d’une collectivité territoriale. Cependant, le maître d’ouvrage peut aussi être une entité intervenant pour le compte de l’État dans le cadre d’une mission de service public, comme certains organismes HLM. Ses attributions sont administratives. Il est l’entité porteuse et pilote de l’opération. En tant que commanditaire, il va étudier la faisabilité et l’opportunité de l’opération. Il va définir la localisation, le calendrier, les objectifs et surtout arrêter le budget et choisir le(s) maître(s) d’oeuvre. Son rôle est donc aussi financier. S’agissant de la construction d’un bâtiment, la mission confiée au maître d’oeuvre doit correspondre au moins à la totalité de la mission dite mission de base qui est décrite à l’article 7 de la loi et détaillée dans les différents décrets. La mission de base couvre l’ensemble de la conception et du contrôle des travaux, de l’esquisse jusqu’à la réception des travaux.

PDV : plan de vente PLU : plan Local d’Urbanisme SARL : société à responsabilité limitée, société commerciale où la responsabilité des associés est liitée au montant de leurs apports SCI : société civile immobilière SDP : surface de plancher SHAB : surface habitable TMA : travaux modificatif acquéreur

MOP (loi) : La loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d’ouvrage

VEFA : vente en l’état de futur achèvement

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(vente sur plan) VEFI : vente en l’état de futur inachèvement PHASE D’UN PROJET: FAIS: Faisablité ESQ : Esquisse APS : Avant projet sommaire PC: Permis de construire : Le permis de construire est un document administratif qui donne les moyens à l’administration de vérifier qu’un projet de construction respecte bien les règles d’urbanisme en vigueur. Ce document obligatoire pour les travaux de grande importance ne doit porter que sur les biens immobiliers. D’une manière générale, les constructions nouvelles sont par principe soumises à permis de construire, même lorsqu’elles ne comportent pas de fondation.Par exception, sont notamment dispensés d’un permis de construire, en raison de leur nature ou de leur très faible importance, sauf si elles sont implantées en secteurs sauvegardés ou en site classé : * les constructions qui créent entre 2 et 20 m² de surface hors oeuvre brute (SHOB), * les constructions dont la hauteur au-dessus du sol est inférieure à 12 mètres et qui n’ont pas pour effet de créer de surface de plancher ou qui ont pour effet de créer une SHOB inférieure ou égale à 2 m². Les travaux sur constructions existantes sont en principe non soumis à permis de construire. Un permis de construire est notamment exigé pour : * l’agrandissement d’un bâtiment lorsque l’opération vise à créer plus de 20m² de (SHOB). C’est le cas par exemple lorsque le projet de construction nécessite la création de niveaux supplémentaires à l’intérieur du logement, augmentant ainsi la surface habitable * le changement de destination d’une construction (par exemple le changement d’un local commercial en local d’habitation) lorsque ces travaux sont accompagnés d’une modification de la structure porteuse ou de la façade du bâtiment * la modification du volume de l’habitation lorsque l’opération nécessite de percer ou d’agrandir une ouverture sur un mur extérieur. Le recours à un architecte pour réaliser le projet de construction est obligatoire lorsque la surface hors oeuvre nette (SHON) de la future construction dépasse 170m². Le permis de construire a une durée de validité de 3 ans. Le titulaire de l’autorisation peut en demander la prolongation au moins 2 mois avant son expiration.

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APD : Avant profet définitif PRO : Projet DCE : Dossier de consultation des entreprises EXE: études d’éxécution Les études d’exécution [EXE] permettent la réalisation de l’ouvrage. Elles ont pour objet, pour l’ensemble de l’ouvrage ou pour les seuls lots concernés : D’établir tous les plans d’exécution et spécifications à l’usage du chantier ainsi que les plans de synthèse correspondants ; D’établir sur la base des plans d’exécution un devis quantitatif détaillé par lot ou corps d’état ;D’établir le calendrier prévisionnel d’exécution des travaux par lot ou corps d’état ; D’effectuer la mise en cohérence technique des documents fournis par les entreprises lorsque les documents pour l’exécution des ouvrages sont établis partie par la maîtrise d’œuvre, partie par les entreprises titulaires de certains lots. Lorsque les études d’exécution sont, partiellement ou intégralement, réalisées par les entreprises, le maître d’œuvre s’assure que les documents qu’elles ont établis respectent les dispositions du projet et, dans ce cas, leur délivre son VISA.


E BIBLIOGRAPHIE Livres & ouvrages : •

Maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’oeuvre : construire un vrai dialogue : la contribution de l’ergonome à la conduite de projet architectural, Martin Christian, Editeur Octares, 229 pages, 2012

Archiactuelle : L’habitat groupé participatif, Yves Connan , Edition Ouest-France, 143 p., 2012

Les promoteurs, Jean-François Dhuys , Edition Seuil, 190 p., 1975

Manuel d’antispéculation immobilière : une introduction aux fiducies foncières communautaires / sous la direction de John Emmeus Davis, Montréal : Ecosociété, 2014 . 212 pages, http://biblio.nantes.archi.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=40020

Le marketing des opérations de promotion immobilière, Claude Mezrahi , Editeur : presse des ponts, 328 p., 2010

Mon ambition, Fernand Pouillon, textes choisis et présentés par Bernard Marrey,Editeur : Edition du linteau, 52 rue de Douai, 75009 Paris, Librairie de l’architecture et de la ville , ouvrage publié avec le concours du ministère de la Culture (centre national du Livre et Direction de l’Architecture et du Patrimoine), 2011

L’impossible autonomie de l’architecte, Christian de Montlibert, Editeur : Presses universitaires de Strasbourg, sociologie de la production architecturale, 1995, 227 pages

Repenser l’habitat : alternatives et propositions !, coordonné par Mathias Rollot et Florian Guérant, Editeur: Autonomia Libre&Solidaire, 304 pages, avril 2018

L’architecture est un sport de combat, Ricciotti, Rudy et d’Equainville, David. Editeur : Textuel, 112 pages, 2013

Construire réversible, Canal architecture, Patrick Rubin, Imprimerie Moutot, Paris, avril 2017

Faut-il pendre les architectes, de Philippe Trétiack, Editeur : Seuil 190 pages, 2001

Articles de revues: •

Les nouveaux espaces - logement et spéculation, Revue : Espaces et Sociétés, (1977) n° 22 - 23 // in: Espaces et Sociétés - Paris : Anthropos, 1977 .-152 pages, http://biblio.nantes.archi.fr/cgibin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=32111

Investisseurs institutionnels 2009 : Stratégies immobilières, Revue : La lettre de la Pierre, Hors série décembre 2009 // in: La lettre de la Pierre - Paris : Agence Innovapresse, 2008 .-216 p ; 22 cm, http://biblio.nantes.archi.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=31856

Les nouveaux espaces - logement et spéculation, Revue : Espaces et Sociétés, (1977)n° 22 - 23 // in: Espaces et Sociétés - Paris : Anthropos, 1977 .-152 p. ; 24 cm., http://gallica.bnf.fr/ ark:/12148/bpt6k5614834h, http://biblio.nantes.archi.fr/cgi-bin/koha/opac-detail.pl?biblionumber=32111

Où en est la promotion immobilière privée ? GRANELLE J.-J., Études Foncières, mars 1998, no 78, p. 25-31.

Mémoires & thèses: •

L’architecte et la promotion immobilière : quelles relations ?, Mémoire HMONP de Bellec, Mélinda (2017), sous la direction de François Defrain

Les promoteurs immobiliers dans les projets urbains. Enjeux, mécanismes et conséquences d’une production urbaine intégrée en zone dense. Citron, Paul (2016) thèse sous la direction

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de Sylvie FOL, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - Géographie-cités Centre de recherche sur les Réseaux, l’Industrie et l’Aménagement École Doctorale de Géographie de Paris •

Logement en promotion immobilière : Pour un retour à l’innovation spatiale, Mémoire HMONP de Moulin, Edouard (2017) sous la direction de Pascal Amphoux à l’ENSA de Nantes

Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain, Thèse de doctorat pour l’obtention du diplôme de doctorat « Géographie sociale et régionale » par Taburet, Aurélien, doctorant à L’UNAM (Université du Maine Espaces et Sociétés (ESO-Le Mans) – UMR 6590 CNRS) sous la direction de Jacques CHEVALIER et Cyria EMELIANOFF

Stratégies de marché d’une structure d’architecture et ingénierie de taille moyenne dans le secteur privé en ce qui concerne la réhabilitation de bureaux et de logements sur Paris, Mémoire HMONP de Wyart, Richard (2017), sous la direction d’Anne D’Orazio à l’ENSA Paris La Villette

Où va l’argent du logement ? signé C.S. dans Les Echos le 12/02/2015, supplément Immobilier, Lien : https://www.lesechos.fr/12/02/2015/LesEchos/21876-147-ECH_ou-va-l-argent-du-logement--.htm#EytKb1DDqxtP0K1r.99

L’architecte qui propose de se passer des promoteurs, Nicolas Michelin suggère de réduire, voire de supprimer les frais de portage pour réduire les prix du mètre carré, par Rey-Lefebvre, Isabelle dans Le Monde, le 07.06.2014, Lien : http://www.lemonde.fr/economie/ article/2014/06/07/l-architecte-qui-propose-de-se-passer-des-promoteurs_4434061_3234. html#XBYSptA4d53oiSRH.99

Nicolas Michelin : « Baisser les prix des logements suppose d’inventer une nouvelle économie immobilière » CATHERINE SABBAH - LES ECHOS SUPPLEMENT IMMOBILIER, 12/02/2015 Lien : https://www.lesechos.fr/12/02/2015/LesEchos/21876-150-ECH_nicolas-michelin-----baisser-les-prix-des-logements-suppose-d-inventer-une-nouvelle-economie-immobiliere--.htm

Les architectes, toujours aussi mal payés, dans Les échos par Catherine SABBAH , 19/01/18 À 09H20, disponible sur https://www.lesechos.fr/19/01/2018/lesechos.fr/0301174129312_les-architectes--toujours-aussi-mal-payes.htm

Jean-Louis Violeau : « Les promoteurs profitent d’une position de rentiers », Catherine SABBAH - LES ECHOS | LE 15/04/2015, disponible sur https://www.lesechos.fr/15/04/2015/ LesEchos/21919-152-ECH_jean-louis-violeau-----les-promoteurs-profitent-d-une-position-derentiers--.htm

NON, LES PROMOTEURS IMMOBILIERS NE SONT PAS SEULS RESPONSABLES DE LA HAUSSE DES PRIX !, auteur inconnu, Publié le 20/04/2015 à 12H33 mis à jour le 20/04/2015 à 12H38, disponible sur https://www.capital.fr/immobilier/non-les-promoteurs-immobiliers-nesont-pas-seuls-responsables-de-la-hausse-des-prix-1031589

Articles de presse:

Conférences: •

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Economie de l’aménagement et stratégie foncière, Intervention de Suzanne FRITELLI à l’université de l’Ecole Urbaine Sciences Politiques de Paris dans le cadre du cycle d’urbanisme de l’année 2016-2017


Les économistes attérés, 12/12/17, face à la crise du logement, quelles politiques? https:// www.youtube.com/watch?time_continue=31&v=NjVVnedfToQ

MANIFESTE POUR UNE NOUVELLE FABRICATION DE LA VILLE, par Nicolas MICHELIN 31/03/2016 À 17H40, ACTUALITÉS, POINTS DE VUE, URBANISME, Propos relatés d’une conférence de presse de Nicolas Michelin, https://www.amc-archi.com/article/manifeste-pour-une-nouvelle-fabrication-de-la-ville-par-nicolas-michelin,4722

Ordre des architectes, https://www.architectes.org/propositions-du-groupe-de-travail

L’autopromotion, Adil 26, https://adil.dromenet.org/les-dossiers-de-l-adil-26/l-autopromotion/l-autopromotion/

LES CHIFFRES DU LOGEMENT NEUF : 4EME TRIMESTRE 2016 ET BILAN ANNUEL, Observatoire de l’immobilier de la FPI, 21 février 2017, http://fpifrance.fr/sites/default/files/2017-02_ rapport_de_lobservatoire_t4.pdf

http://www.ecohabitatgroupe.fr/

https://www.habitatparticipatif.eu/40-ans-mouvement-de-lhabitat-groupe-autogere-mhga/

La loi ELAN, disponible sur http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0846.asp

Volumes capables, c’est quoi? http://neuf-avec-travaux.fr/

Sites internet:

Autres: •

Volumes capables, par Clémentine La Joie dans le cadre d’une présentation Réunion Disteu du28.06.2018

LES CHIFFRES DU LOGEMENT NEUF : 4EME TRIMESTRE 2016 ET BILAN ANNUEL, observatoire de l’immobilier de la FPI, 21 février 2017

Exposition HABITER PLUS, HABITER MIEUX, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, 2018

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TABLE DES ILLUSTRATIONS

Fig 1 :Relations

promoteur/architecte, le chat et la souris, illustration personnelle, en référence à l’ouvrage Tibert et Romuald

Fig 2 : Les

promoteur de

tâches du promoteur, d’après l’ouvrage

Dhuys Jean-François

Les

Fig 3 : Etudes et formations du promoteur immobilier, disponible sur https://www.cidj.com/metiers/responsable-de-projetsimmobiliers

Fig 4 : Mesures sur le logement et changement à venir, NFOGRAPHIE-CREDIXIA_Mesures-sur-leLogement, disponible sur : https://www.credixia.com/blog/actualitesp r e t s - i m m o b i l i e r s / i n f o g r a p h i e - m e s u r e s - l o g e m e n t - va changer-2018 Fig 5 : La loi Pinel, comment investir. Source : http:// www. varmatin.com/immobilier/immobilier-pourquoi-il-faut-profiterde-la-loi-pinel-avant-2018-184394 Fig 6 : Revenus mensuels des investisseurs, article de Dominique de Noronhap.30-34 , éditeur : BARNES 1346903400509 Etudes BI Immobilier L’investisseur, acteur clé du marché, disponible sur https://www.barnes-international.com/ pdf/150300-ProfessionCGP.pdf Fig 7 : Tableau réservations au détail de logement ordinaires, disponible sur http://fpifrance.fr/sites/default/files/Presse/ rapport_observatoire_fpi_3t_2017.pdf, LES CHIFFRES DU LOGEMENTS NEUFS : 3EME TRIMESTRE 2017, FPI Fig 8 : Rentabilité théorique sur une opération de 100 logements dans la région parisienne vendus au fur et à mesure des travaux, d’après l’ouvrage Les promoteur de Dhuys Jean-François Fig 9 : Calendrier théorique type d’une opération de logement vendus au fur et à mesures des travaux d’après le mémoire HMONP de Bellec, Melinda 2016 Fig 10 : Schéma des relations entre acteurs, exemple de l’opération de 120 logements à Asnières sur Seine, PITCH promotion et Archibuild, source personnelle Fig 11 : Extrait d’un

contrat type de promotion immobilière, bibliothèque personnelle

Fig 12 : Non personnelle

aux logements chers…

CHAB,

bibliothèque

Fig 13 : Courbes

de Friggit, indice de prix des logements rapportés aux revenus par ménage, Source : CGEDD d’après l’INSEE, bases de données notariales et indice notariales

Fig 14 : Fissures affaissement des logements AADL, Jony Mar Fig 15 : Atelier d’Architecte, auteur inconnu Fig 16 : Plan de de99 120 logements

vente réalisé pour l’opération l’opération à Asnières sur Seine, PITCH promotion et

Archibuild, source personnelle Fig 17 : Les 1962

locataires, photomontage de

Robert Doisneau

Fig 18 : SocHeritage neighbourhood of Razgrad, Bulgaria, Consultable sur BRUTGROUP, photo by Andrei Poplaceanu Fig 19 : Planche

projet WOOD UP, Documents graphiques provenant du site internet des architectes LAN sur https:// www.lan-paris.com/ fr/projects/paris-xiii-1

Fig 20 : Planche projet Plateaux libres, PETITDIDIERPRIOUX, Documents graphiques provenant du site internet des architectes PetitDidierPrioux sur http://petitdidierprioux.com/ fr/portfolio/items/plateaux-libres-paris-xviii/ Fig 21 : Planche projet LAUN, FACES architectes, Documents graphiques provenant du site internet des architectes FACES sur hhttp://www.faces-architectes.net/, dessins armelle antier / perrine belin Fig 22 : Projets compilés pour « autres modèles », extraits de l’ouvrage Construire réversible, Canal architecture, et dessins personnels

Fig 23 : 2004, Alexendro ARAVENA, Quinta Monroy, Chili Fig 24 : Planche projet BRAZZA, Bordeaux, MACRO LOT Soferti Garonne - Ilot pilote, disponible sur le site http://www. bordeaux 2030. fr / sites / www . bordeaux 2030. fr / files / cahier _ des_charges_de_la_consultation_soferti-garonne.pdf Fig 25 : Planche projet Atelier 6A, Eden promotion Bordeaux, BRAZZA, illustrations issu du site internet de A6A disponible sur http://atelier6architecture.com/058 et illustrations personnelles

Fig 26 : Volumes capables : neuf avec travaux, disponible sur Illustrations extraites de l’explication «volumes capables, c’est quoi?» sur http://neuf-avec-travaux.fr/le site http://neuf-avectravaux.fr/ Fig 27 : Graphique comparaison VEFA/VEFI, source personnelle issu d’un PDF réalisé par Clémentine LAJOIE au sein de GPA Fig 28 : Quelles sont les motivations majoritaires de l’autopromotion à Fribourg en Brisgau ? Source : Ville de Fribourg en Brisgau, extrait de l’ouvrage Autopromotion, habitat groupé, écologie et liens sociaux, comment construire collectivement un immeuble en ville ?, par Bruno Parasote, aux éditions Yves Michel, 2011 Fig 29 : Schéma type d’une opération de construction écologique, Source : guide de l’autopromotion, éco-quartier Strasbourg, oct 2010 Fig 30 : Planche projet Michael Gies, à Strasbourg


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