Célia Bouzereau
Mémoire d’initiation à la recherche
Les Enfants Bâtisseurs
© ENSAL
Célia Bouzereau
Mémoire d’initiation à la recherche
Les Enfants Bâtisseurs • I Sous la direction de Stephan Courteix. • I Soutenu le 2 février 2018.
ÉTUD. UNIT
BOUZEREAU Célia
UE093 - E0932 - SEM. RECH.-LAB - Mémoire 3 - Mém. Init. Rech. DE MEM COURTEIX S. MASTER ARCHI
MEM
S09 ALT 17-18 8 FI
© ENSAL
«J’aimerais bien être architecte.» Un enfant aux ateliers de la Maison de l’Architecture de Bordeaux
• I Introduction ...................................................................................................................................9
• I Méthodologie .............................................................................................................................11
1 I Des Frontières Multiples
1.1 - Frontières intergénérationnelles ...................................................................................................13
1.3 - «Faire projet», la frontière objet/sujet ...........................................................................................29
1.2 - Frontières entre usagers et concepteurs .......................................................................................21
2 I éducation et conception,
vers des intérêts réciproques
2.1 - Intérêt éducatif ..................................................................................................................................35
2.2 - Intérêt pour la conception ...............................................................................................................43
2.3 - Intérêts réciproques ..........................................................................................................................51
3 I Ces projets qui invitent les enfants à concevoir
3.1 - Trois projets .......................................................................................................................................53
3.2 - Dissection comparée ..........................................................................................................................71
3.3 - Limites et potentialités..........................................................................................................................85
• I Conclusion
...................................................................................................................................89
• I Liste de références ..................................................................................................................93
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• I Introduction
«On dit que la vérité sort de la bouche des enfants. Peut-être que nos quatre vérités en matière d’urbanisme, peuvent aussi sortir de la bouche des enfants». Ces mots furent prononcés par Henry Chabert lors du comité consultatif d’urbanisme du Grand Lyon intitulé Les Enfants et l’urbanisme en 1994, et, il y a peut être dans ces termes -sans mauvais jeu de mot- une certaine vérité. Je citais déjà cela dans mon travail de rapport d’études, esquissant la possibilité d’impliquer les enfants dans la conception architecturale et urbaine. Lors de cet exercice dispensé en troisième année de licence à l’école Nationale Supérieure d’Architecture de Lyon (ENSAL), mon travail s’intitulait Les Enfants et la Ville. J’y étudiais la relation entre ces jeunes individus, de six à une douzaine d’année, et l’espace urbain. Premièrement, je tentais de comprendre l’interaction entre ces deux entités, depuis l’espace concret -dans son état initial mais aussi résultant de l’action/rétro-action de l’individu- à l’espace vécu, en passant par les espaces perçu et mental. Il s’agissait d’une approche essentiellement psychologique, afin de saisir le rapport entre un individu immature du point de vue psychique -à la différence de l’adulte- entretenu avec l’espace qu’il explore. Ayant appréhendé cela, j’esquissais les caractéristiques d’une ville qui se voudrait adaptée aux enfants, ces usagers piétons, joueurs et en demande d’autonomie. Or, notre espace urbain que je relevais, dans sa conception et dans sa réalisation, semblait difficilement répondre aux critères prônés. En effet, notre ville contemporaine héritière du fonctionnalisme et du rationalisme de la Chartes d’Athènes (Le Corbusier, 1941) est essentiellement pensée pour le déplacement automobile. Et, même en dehors de l’espace public, c’est bien souvent la voiture et ses dimensions imposées aux garages et autres parkings qui définissent toute la structure des bâtiments. Elle ne peut être plus omniprésente dans notre dessin urbain et architectural. De ce fait, et par des conceptions sociétales modernes que nous évoquerons, les enfants non-motorisés et inactifs se retrouvent exclus de l’espace urbain. Pourtant, 15 à 20% des déplacements sont le fait des jeunes générations selon la Commission européenne (DG Environnement) dans un rapport de 2002 intitulé Villes d’enfants, villes d’avenir. Face à ce constat fâcheux, comment nous positionner, en tant qu’architectes et urbanistes, en faveur d’une ville plus adaptée à tous ? Comme je commençais à le suggérer, l’idée serait de demander directement l’avis aux personnes concernées à savoir les enfants. C’est pertinemment ce qu’entreprenait le comité consultatif d’urbanisme du Grand Lyon Les Enfants et l’urbanisme de 1994 cité ci-dessus. Mais, plus qu’une consultation informative, l’écoute des enfants serait l’opportunité d’apporter un regard neuf sur des pratiques bien trop ancrées. Dans cette même idée, ils auraient, par leur . Ainsi, à l’heure de l’émergence des conceptions participatives face au concepteur unique sacralisé, je propose d’étendre cette pratique alternative aux enfants. Dès lors, comment une telle démarche peut avoir lieu ? Pour répondre à cela, nous verrons dans un premier temps les multiples frontières qu’il nous faut questionner, ces barrières conceptuelles qui se matérialisent dans les pratiques urbaines et architecturales. Puis, nous tenterons de comprendre les apports d’un tel processus, tant dans l’intérêt des enfants que celui des architectes. Dans une actualité où le temps régie tout, il semble important de pointer les enjeux de telles rencontres potentiellement chronophages. Enfin nous irons du côté des concepteurs qui ont franchi ce pas là, en observant ces projets qui ont invité les enfants à concevoir. Nous tenterons de comprendre dans quelles mesures ils se sont mis en place, quelles en sont les issues et est-ce qu’ils résonnent avec nos hypothèses avancées auparavant. Nous demandant finalement comment mettre en œuvre une conception participative et intergénérationnelle (architectesenfants), dans un intérêt tant éducatif que d’innovation architecturale ? Quels moyens et outils se donner ? Quelles limites et quelles potentialités ?
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• I Méthodologie
Continuité personnelle et démarche
Ce mémoire d’initiation à la recherche en architecture s’inscrit dans le sillon de mes travaux menés dans le cadre du rapport d’études de troisième année de licence. Il s’appuie donc sur ses contenu et conclusion et s’y réfère à plusieurs reprises. Cependant, je tenais à ce que le propos de ce document soit indépendant et qu’il s’émancipe de la lecture du précédent rapport. Ainsi, je convoque à nouveau plusieurs notions et références de ce dernier, indispensables dans la construction d’un raisonnement global et structuré. En effet, je met en place une démarche presque de l’ordre de la démonstration logique, tentant d’objectiviser mes intuitions sur le sujet. J’énonce dès lors des problèmes constatés, ces fameuses «frontières», puis tente d’en apporter des solutions théoriques. J’entends par solutions, non pas le remède unanime aux problématiques pointées, mais des potentialités d’actions, même de faible portée, vectrices d’une meilleure gestion de ces frontières. Enfin, je suis allée du côté de la pratique, afin de confirmer ou non les postulats esquissés. J’analyse ainsi trois projets de conception participative avec les enfants, mis en vis à vis les uns par rapports aux autres dans un vaste tableau comparatif aux entrées thématiques. J’y juxtapose par exemple leur cadre officiel de mise en œuvre (institutionnel, associatif etc.), leur type de public enfantin (nombre, âges des enfants etc.) ou encore leurs temporalité et déroulement. Ces études de cas ont pour but de mettre en exergue les conditions nécessaires à de telles démarches et d’en relever les apports.
Sources et documentation
Dans une cohérence d’un propos qui prône l’échange et la pluridisciplinarité, j’ai puisé mes sources dans divers domaines. Ainsi, je rapporte des travaux et propos d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes, de psychologues, de sociologues, d’anthropologues, de philosophes, de poètes, de professeurs de littérature ou encore des sciences de l’éducation. Portée sur l’humain et souhaitant repenser la hiérarchie du sachant envers le non-sachant, je fais également part de propos d’individus qui témoignent tout simplement de leurs expériences, sans nécessairement porter derrières eux un savoir reconnu qui légitimerait leur parole. Les propos des enfants en font naturellement partie. Friande d’analogies, et valorisant la vulgarisation -comme outils pour parler à tous-, plus loin dans ce document, je mentionne également plusieurs œuvres cinématographiques illustratrices de mes propos. Vous trouverez la liste de ces références dans une filmographie présentée à la fin de ce document.
Cadre culturel et approche terminologique
Comme ce fut déjà le cas pour le travail du rapport d’études, mes observations se sont restreintes à un cadre géographique et socioculturel. Et pour cause, les deux notions thématiques principales de mon travail que sont l’enfance et l’architecture (ainsi que l’urbain) sont éminemment culturelles. Notre vision de l’enfant résulte de conceptions occidentales modernes et le raisonnement que je tiens s’y restreint, ne pouvant s’étendre à toutes mœurs. Il en va de même pour notre conception de la ville. Bien que la globalisation actuelle estompe de plus en plus les différences culturelles au sein des grandes métropoles, les échelles de projets auxquels je m’intéresse sont de l’ordre du quartier où des pratiques locales subsistent. Mes recherches se cantonnent donc à la ville française voire européenne. En outre, les terminologies et étymologies peuvent être révélatrices de nos concepts socioculturels. De ce fait, j’appuie bien souvent mon propos par cette approche des mots et du langage, allant parfois chercher du côté de la philosophie.
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1 I Des Frontières Multiples
En architecture, nous employons bien souvent le terme de limite(s). Des limites plus ou moins franches et définies, mais, de toute évidence spatialisées. Il y a celle du dedans et du dehors, celle du public et du privé, celle du diurne et du nocturne pour citer les plus couramment exprimées. Elles sont variables, parfois floues, parfois nettes et dépendent de ressentis individuels et collectifs. La limite revêt de nombreuses caractéristiques symboliques et concrètes que nous pourrions continuer d’énumérer et fait déjà l’objet de nombreuses études. Mais elle est surtout créatrice d’une séparation et donc d’une entité A et d’une entité B telles les dualités citées ci-avant. Je dis séparation mais je pourrais dire interaction, tout dépend de la limite en question et de sa porosité, de la possibilité d’échange qu’elle offre entre A et B. C’est pertinemment ce degré d’interaction qu’il m’apparaît important de questionner. Lorsqu’on cherche alors la définition du terme de limite, le dictionnaire français Larousse nous donne en premier lieu son synonyme frontière et l’expression suivante : «Ligne séparant deux pays, deux territoires ou terrains contigus» qui apparaît comme la plus spatiale de ses définitions. Or, cette notion de frontière cumule, à mon sens, un aspect très objectif et défini (juridique, cartographique etc.) et à la fois un aspect plus subjectif (de l’ordre du ressenti identitaire de part et d’autre d’une frontière nationale par exemple). Ce discernement subjectif serait le fruit du degré de porosité que nous évoquions. Je m’en vais alors vous parler de frontières que j’observe entre des A et des B bien différenciés tantôt par l’âge, tantôt par le rôle attribué. Je m’en vais vous en parler telles des limites dans la définition péjorative du terme, dans le sens où elles empêchent leur propre franchissement. Je m’en vais vous parler de barrières s’il faut matérialiser le terme. Je m’en vais vous parler de ces séparations que je souhaiterais interactions. «L’expression a des frontières, la pensée n’en a pas.» Victor Hugo
1.1 - Frontières intergénérationnelles
[1]
[1] Philippe Geluck. (1986). Le Chat. Casterman. (modification colorimétrique de ma part)
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À la lecture des dires de Victor Hugo annotés ci-avant, il semblerait que les frontières naissent lorsqu’on exprime les choses, lorsque qu’on appose des mots dessus. Autrement dit, la séparation apparaît lorsque l’on donne un nom à A et à B. Dans le cas de la frontière intergénérationnelle que je souhaite décrire, il s’agit d’abord d’une dénomination chiffrée : celle de l’âge. Cette donnée à priori objective puisqu’elle détermine un temps d’existence, revêt ensuite de nombreux concepts culturels et sociétaux. Émergent alors des périodes qui sont celles de l’enfant, de l’adolescent, de l’adulte ou encore du sénior. Comme notre frontière nationale -pour reprendre ce que nous définissions d’une frontière-, celle de l’âge a ces quelques définitions juridiques que sont par exemple la majorité à l’âge de dix-huit ans en France ou encore le recensement à seize ans, plus ou moins marquées par des droits et devoirs. Ces données légales imprègnent déjà l’image que l’on peut avoir des différents âges et sont sans doutes elles-mêmes conséquentes de leurs représentions. Mais peu importe ici qui de l’œuf ou de la poule est apparu en premier, il y a bel et bien des représentations culturelles de ces phases de vie, donnant lieu aux dénominations énumérées ci-dessus. Christiane Montandon, docteur en psychologie, nous le confirme dans son article thématique des frontières des âges de la vie : «La dénomination de chaque âge est le résultat d’un construit social» (Les âges de la vie : des frontières strictes ?, Hermès, La Revue, 2012, p.43). Elle nous parle même plus loin de «culture de l’âge», concept avancé par Anne-Marie Guillemard. Apparaît alors le terme d’âgisme qu’elle nous communique également : «l’"âgisme" est ainsi un terme créé dès 1978 par Butler et repris par Palmore en 2005, qui le définit comme un "phénomène social se manifestant au travers de préjugés contre les seniors sous la forme d’attitudes et de stéréotypes positifs et négatifs Il intervient là où se trouvent à la fois préjugés et discrimination, à la fois stéréotypes et attitudes, et par conséquent à la fois processus cognitifs et affectifs contre ou en faveur d’un groupe d’âge" (Palmore, Branch et Harris, 2005)». Relevons ici les notions de préjugés, d’attitudes et de stéréotypes et demandons-nous ce qu’il en est au regard de la période dénommée de l’enfance. «L’âge est une donnée biologique socialement manipulée et manipulable.» Pierre Bourdieu dans La jeunesse n’est qu’un mot, 1984
Si la terminologie des tranches d’âges résulte de leur construction sociale, celle de l’enfant qui nous vient du latin infantern, accusatif de infans : muet, qui ne parle pas, nous en dit long sur de potentiels préjugés discriminatoires, notamment quant à la prise en compte de la parole de l’enfant. Cela se comprend au regard de la considération historique de l’enfant qui n’avait nullement vocation à parler. Mais c’est à se demander si nous ne sommes pas restés à cette définition latine -et nous y reviendrions- alors même que la prise en compte de l’enfant comme sujet a évolué. Thierry Paquot (La Ville récréative, 2015, p.22) nous renvoie d’ailleurs à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) de 1989 ratifiée par plusieurs pays dont la France et dont l’article 12 est le suivant : «Les états-parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement sont opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité». Ce décalage entre étymologie et évolution illustre la complexité de définir les concepts des tranches d’âges, cette «entreprise hasardeuse» selon Christiane Montandon «puisque les évolutions des mentalités, les progrès de la médecine et les influences interculturelles commandent une reconfiguration continuelle des frontières selon les âges». Prenons alors une donnée omniprésente dans nos définitions socioculturelles contemporaines : celle du travail. Car l’enfant, s’il a bel et bien le droit de parler, il ne peut travailler -du moins en France- avant l’âge de quinze ans. Il est, par définition, inactif : les personnes qui ne sont ni en emploi, ni au chômage selon la définition française de l’INSEE. Et il l’est au même titre que les seniors dont Christiane Montando 15
consacre une partie de son article et dont Vincent Caradec, professeur de sociologie, rapproche de la jeunesse par cette caractéristique de l’inactivité. En effet, s’il y a bien un critère qui structure de manière générale les tranches de vies que nous tentons de qualifier, c’est le travail : «il y a bien la période de l’activité professionnelle, celle qui la précède et celle qui la suit» (Vincent Caradec, « Jeunes » et « vieux » : les relations intergénérationnelles en question, Agora débats/jeunesses, 2008, p.24). à travers cette omniprésence du travail, nous pouvons déjà observer que l’enfant est considéré comme un futur adulte avant de l’être comme l’enfant qu’il est dans la temporalité du présent. Je ne m’attarderai pas sur la définition restrictive de la vie par le travail mais les expressions réussir sa vie pour qualifier une carrière professionnelle ou encore gagner sa vie au sujet des salaires en sont témoins. Or, dans ce même registre, on demande très tôt aux enfants et de manière presque anodine ce qu’ils voudront faire dans la vie, dans l’attente d’une réponse liée au travail. Les enfants répondent alors à cette attente inculquée et, par leur besoin d’imitation de l’adulte, ils se définissent tels de futurs pompiers, médecins ou encore architectes citant les métiers qu’ils se représentent le plus aisément. C’est ainsi que le jeune Antoine de Saint-Exupéry abandonne «une magnifique carrière de peintre» découragé par «les grandes personnes» (Le Petit Prince, 1945, p.12). Nous reviendrons à cette attitude au sujet de l’enfant comme projet des parents. Mais ici, cela nous intéresse dans la mesure où l’enfant est vu en tout premier lieu comme futur adulte, rejetant la période de l’enfance à quelque chose de provisoire et niant ainsi les enjeux de celle-ci ; «comme si les enfants vivaient, parce qu’ils sont des adultes en devenir, dans une sorte d’espace-temps inexistant» (Marie Raynal, 2005, Les enfants dans la ville, VEI Diversité, p.3-4).
[1]
C’est avec cette différenciation entre actif et inactif que la frontière subjective de l’âge commence à nous apparaître spatialement. En effet, la ville contemporaine issue de la modernité est majoritairement pensée pour le travail et, en ce qui concerne l’espace public, pour le déplacement du domicile au lieu de travail. Par analogie, ce trajet pour l’enfant serait celui qui mène à l’école. Cependant, alors que l’école reste souvent à l’échelle du quartier du domicile, l’hypermobilité actuelle permet de se rendre sur un lieu de travail bien plus éloigné. Je consacrais déjà une partie de mon rapport d’études au chemin de l’école, cet espace-temps fondamental comme rencontre majeure entre l’enfant et la ville. J’y évoquais également l’hégémonie automobile, principale entrave à un espace public adapté à l’enfant car, «dans la majorité des lieux ce sont bien les déplacements motorisés qui prennent le dessus» (Rue de l’Avenir, L’enfant et la rue, 2013, p.1).
[1] Maaik. (2006). Récupéré de www.maaik.com
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«La circulation est conçue par et pour les adultes.» Rue de l’Avenir dans L’Enfant et la Rue (2013) L’espace public moderne a donc petit à petit retiré l’enfant de la rue face au danger automobile. En effet, «nos villes sont trop souvent des lieux conçus en dépit des enfants et des jeunes. Les espaces publics et les moyens de transport, pensés par des adultes bien portants pour des adultes bien portants, négligent les besoins des enfants comme d’autres "minorités".» (Commission européenne, DG Environnement, Villes d’enfants, villes d’avenir, 2002, p.7). Pascale Légué le déplore également : «Les ˮvoitures-reinesˮ envahissent les abords des écoles et leurs ˮvassauxˮ, piétons et écoliers, se doivent de leur accorder la priorité en empruntant des trottoirs, passages cloutés et cheminements, bien qu’ils ne soient pas toujours adaptés à leurs mouvements.» (La Ville récréative, 2015, p.49). Ce retrait de l’enfant de la rue s’est alors fait au profit du domicile de plus en plus confiné, le «berceau» dont nous parle Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace (1957, p.35). Le film Mon Oncle (1958) de Jacques Tati présente à merveille ce parallèle entre l’émergence automobile de l’époque moderne (à laquelle monsieur Hulot résiste, fidèle à sa bicyclette) et le repli de l’enfant dans une maison de plus en plus sécurisée tels nos portes actuelles aux multiples digicodes. Nous avons donc simultanément une conception d’espaces publics peu accueillants pour les usagers non motorisés (excluant de ce fait directement les enfants) et une conception programmatique spécifique de plus en plus hermétique à l’espace public, «cet enfermement des enfants dans un monde ˮfait pour euxˮ» (Pascale Garnier, Une ville pour les enfants : entre ségrégation, réappropriation et participation, 2015). J’entends par programmation spécifique, ces espaces qui regroupent et isolent des personnes en fonction de certains critères comme celui de l’âge. Ce sont les écoles, les maisons de retraites, les gated communities qui pullulent aux états-Unis ou encore les aires de jeux, ces «prisons dorées» selon Thierry Paquot. Ainsi, les enfants d’aujourd’hui sont de moins en moins en contact avec l’adulte et leur modèle d’imitation se réduit au cercle familial et aux instituteurs. De la même manière, l’adulte ne connait plus guère d’enfants en dehors des siens et se projette d’autant plus en eux (nous en verrons les travers en partie 1.3). Nous assistons en quelque sorte à la mise en place d’un cercle vicieux. Les visions générationnelles contemporaines entraînent une non-considération de l’enfant en tant que tel qui n’est pourtant «pas un adulte miniature» (Rue de l’Avenir, L’enfant et la rue, 2013, p.2). Puis, cette absence de prise en compte se matérialise dans la ville et renforce les barrières de communication entre ces tranches de vie définies socialement. A ce titre là, nous pouvons regretter le Moyen Âge comme Philippe Ariès (1973) cité par Pascal Garnier (Une ville pour les enfants : entre ségrégation, réappropriation et participation, 2015), cette période «qui acceptait le mélange des générations dans l’espace public, époque révolue d’une relative indifférence aux différences d’âge» ; cette période peinte par Brueghel l’Ancien dont certains tableaux ne nous laissent pas distinguer les enfants des grandes personnes [1].
[1] Brughel l’Ancien. (1560). Les Jeux d’enfants, peinture à l’huile sur panneau de bois.
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1.2 - Frontières entre usagers et concepteurs
Finalement, ce qui rend la frontière entre enfants et adultes problématique, c’est peut être son caractère hiérarchique. En effet, nous avons vu qu’en tout premier lieu, ce qui fait défaut à l’enfant, c’est son étymologie de celui qui ne parle pas. Or, bien qu’aujourd’hui des droits attribuent toute légitimité à la parole de l’enfant, cette dernière garde un statut inférieur et n’a peut être pas toujours la crédibilité qu’elle devrait avoir. L’immaturité avérée des propos enfantins rend ces derniers inférieurs à ceux de l’adulte. D’ailleurs, dire de quelqu’un qu’il tient des propos immatures est éminemment péjoratif alors que cela ne pourrait être qu’une caractéristique de différenciation sans jugement de valeur aussi fort. C’est cette décrédibilisation que déplore Adora Svitak, alors âgée de treize ans, lors de sa conférence Ce que les adultes peuvent apprendre des enfants (2010). Nous pouvons d’ailleurs relever le fait que je précise naturellement l’âge de la jeune conférencière, alors qu’il ne me viendrait point à l’esprit de renseigner cette information au sujet d’un auteur de trente ou de cinquante ans. Je le fais dans une attitude de discrimination positive, sans doute parce-qu’il s’agit d’un cas encore exceptionnel que je désire valoriser, mais cela reste révélateur d’une inégalité. Quant à Alain Ducousso-Lacaze, psychologue clinicien et professeur en psychopathologie, il pointe du doigt lors de sa conférence L’Enfant enchanté : le mythe moderne de l’enfance (2015), la fâcheuse habitude à employer la première personne à la place des enfants. Il prend pour exemple les faireparts de naissance souvent dotés de je m’appelle ou encore de mon papa et ma maman [...]. Je trouvais également dans mes recherches précédentes, de nombreuses affiches médicales ou même publicitaires présentant les phrases suivantes : «Je fais dodo sur le dos ! Sur un matelas ferme, sans oreiller ni couette» [1] ; «Cette fois-ci, le docteur m’a guérie sans antibiotiques!» [2] ; «Acheter une maison, j’y pense.» [3] ou encore, «moi ze suis serzent major» [4] avec l’implication du zozotement dans cette dernière, autant discriminatoire pour les enfants que pour les personnes adultes possédant ce défaut de prononciation. Nous assistons à une sorte de domination de l’adulte sur l’enfant, par celui qui sait (le savoir de sapiens associé par cette étymologie à la notion de sagesse) sur celui qui ne sait pas. Si cette différence de maturité n’est pas à nier, sa transformation en celui qui sait pour et à la place de l’autre est tout de même à questionner. «Frank dit que je ne dois pas corriger les grandes personnes. Les gens n’aiment pas les "je sais tout".» Mary dans de film éponyme (2017)
La seconde frontière que je souhaite dorénavant évoquer, me semble elle aussi relever de la hiérarchie du sachant et du non-sachant et peut également se cacher derrière des attitudes de langage. Il s’agit de celle qui sépare le concepteur de l’espace de celui qui fera usage de cet espace-là. Elle est souvent abordée au cours de notre formation en architecture et est à l’origine de l’émergence des conceptions participatives. Elle se relève dans le décalage entre la conception des espaces et l’usage réel qu’il en est fait et devient problématique lorsqu’elle entrave cet usage potentiel. Plus subtilement, elle peut aussi permettre un certain usage mais entraver l’appropriation des espaces, un processus pourtant nécessaire dans l’investissement des lieux par l’individu, une «exigence» de l’habiter (Stephan Courteix, Pratiques de l’habiter, p.74). En effet, deux visions de l’espace s’opposent. Premièrement, il y a celle de l’occupant
[1] Naître et Vivre. (2015). Prévention de la mort subite du nourrisson. Récupéré de naitre-et-vivre.org [2] Ministère de la Santé du Gouvernement du Grand-Duché de Luwembourg - Direction de la Santé. (2006). Cette foisci, le docteur m’a guérie sans antibiotiques! Récupéré de sante.public.lu [3] Banque Laurentienne. (2008). Acheter une maison, j’y pense. Récupéré de mjamontreal.over-blog.com [4] Sergent Major. (2010). «Moi, je suis sergent Major». Récupéré de www.stratégies.fr
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qui résulte de son expérience du lieu, pratique et psychoaffective. La seconde est celle de l’architecte, surplombant l’espace grâce à ses outils de représentations graphiques et dans sa vision plus conceptuelle de celui-ci. On remarquera que l’utilisation d’échelle induit un nouveau rapport dimensionnel avec l’espace. Si l’habitant agit sur ce dernier à l’échelle 1, l’architecte le réduit à sa guise et le domine plus aisément (dans le sens physique du terme, par le rapport de taille). Apparaissent alors de potentiels conflits «du fait d’une difficile rencontre entre ces niveaux de complexité hétérogènes du rapport à l’espace, entre ceux qui le pensent et ceux qui l’habitent.» (Stephan Courteix, Pratiques de l’habiter, p.74). Cette culmination de l’architecte sur l’architecture est mise en scène dans le film de science-fiction High Rise (Ben Wheatley, 2015) où l’architecte éminemment moderniste vit au sommet du gratte-ciel qu’il a conçu. Il observe son projet sur ses plans sans jamais descendre dans les étages du bâtiments, niant totalement ce qu’il s’y déroule réellement. Hors fiction, il existe des exemples significatifs de ce décalage dont certains emblèmes de l’époque moderne (d’où l’affiliation de l’architecte à ce courant dans High Rise). Nous pouvons citer la Villa Savoye à Poissy (France) de Le Corbusier dont les premiers habitants ont rencontré de grandes difficultés à y vivre. En effet, madame Savoye s’est adressée directement à l’architecte protestant : «Après de nombreuses réclamations vous avez enfin reconnu que cette maison construite par vous en 1929 n’était pas habitable [...]» (Alain de Botton, L’Architecture du bonheur, 2006, p.83). Ce contraste entre l’habiter et l’esthétique moderniste est également mis en exergue par Jacques Tati dans Mon Oncle (1958) -pour le citer à nouveau- où la maison de monsieur Hulot [1] caricature l’appropriation tandis que celle des parents du petit Gérard [2] transpire la présence du concepteur moderne.
[1]
[2]
La maison de l’habitant
La maison de l’architecte
[1] et [2] Jacques Tati. (1958). Mon Oncle.
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Plus tard dans l’histoire de l’architecture, nous pouvons évoquer l’immeuble Danièle Casanova à Ivry (France) de Jean Renaudie (1970-1972). Stephan Courteix nous présentait une étude de Françoise Lugassy qui s’est intéressée aux réactions des habitants de l’immeuble avant et après leur emménagement : «L’originalité de la réalisation et en particulier les formes non orthogonales des pièces rendent l’architecte présent dans sa construction. Un habitant évoque ainsi le sentiment de "dormir dans les draps de l’architecte". On ne peut guère mieux exprimer le sentiment de ne pas être chez soi, les draps évoquant l’intime de l’intime.» (Pratiques de l’habiter, p.74). Plus récent encore, Paul Gaudric et émilie Saint-Marcary nous parlent d’une «architecture sans les habitants» dans leur article du même nom (2013) au sujet de rénovations urbaines de grands-ensembles d’après-guerre. Les architectes se sont alors efforcés de ne pas reproduire la vision moderniste dictée par la Chartes d’Athènes (Le Corbusier, 1941) prenant «le contrepied systématique de la doctrine architecturale des grands ensembles». Et, si les espaces extérieurs se sont vus grandement améliorés, gommant l’image négative de «cité», il semblerait que la conception interne des logements prend peu en compte les manières d’habiter des résidents. Par exemple, les habitants critiquent la suppression de l’espace d’entrée des logement qui disparaît au profit d’un calcul de surface restreint. «Son absence engendre en effet une intrusion considérée comme brutale, et renforce une sensation de promiscuité déjà importante dans les logements sociaux», mettant ainsi en danger l’exigence de perméabilité que nous évoquions également dans l’enseignement des Pratiques de l’habiter. Une fois encore, se trace une frontière franche, ici entre l’espace public et l’espace privé alors qu’elle pourrait se diluer plus subtilement à travers un travail de seuil. Précédemment, nous attribuions la cause de ce conflit entre conception et usage à des visions de l’espace complexes et divergentes. Dans cet article, les auteurs accusent également «le symptôme d’un décalage conceptuel sur les modes d’habiter entre les architectes et les habitants», qui serait la conséquence d’une énième frontière : celle des classes sociales. Ils nous le confirment plus loin : «Il semble que l’inadaptation de la conception des logements dans les quartiers rénovés avec les pratiques des habitants résulte, entre autres, de la distance sociale entre les architectes, appartenant aux classes supérieures, et les résidents des nouveaux logements, issus des milieux populaires.». Le film High Rise est à nouveau dénonciateur de cela puisque les étages du gratte-ciel se veulent analogiques des classes sociales (avec, je vous le rappelle, l’architecte au sommet) et l’ascenseur qu’il est difficile d’emprunter représente littéralement l’ascenseur social. Or, cette distinction se marque à nouveau à travers le langage. C’est ce que nous dit Philippe Blanchet, spécialiste de sociolinguistique, interrogé par France Culture (Discrimination par le langage : une violence méconnue, 2017). Le langage distingue socialement mais il revêt également un caractère technique que possède le sachant face au non-sachant. En effet, l’architecte a son vocabulaire spécifique comme tout professionnel peut l’avoir dans son propre domaine. Il en résulte un snobisme par le langage et une potentielle difficulté à communiquer, pourtant du même objet, comme si nous parlions des langues différentes. C’est la frontière que tente de briser la vulgarisation, souvent dans les disciplines scientifiques (mais pas que!) qui regorgent de termes techniques hermétiques. Oserais-je à ce sujet citer le sketch du groupe humoristique Les Inconnus dûment intitulé Les Langages Hermétiques. Dans cette mise en scène, divers professionnels se succèdent face à monsieur Gentil et à nous-même spectateurs, déployant chacun volontairement leur vocabulaire technique que nous pouvons difficilement assimiler. J’apprécie d’ailleurs le fait de vous citer cet exemple populaire dans une certaine cohérence de mes propos quant à la vulgarisation.
«Le langage est source de malentendus.» Antoine de Saint-Exupéry dans Le Petit Prince (1945)
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Nos deux frontières que sont celle entre l’enfant et l’adulte et celle qui s’immisce entre l’usager et le concepteur commencent alors à se rapprocher. à noter que l’enfant fait aussi partie des usagers de l’espace conçu et subit doublement une non-considération. Comme nous l’avons décrit, les deux séparations se créent entre le premier qui ne sait pas et le deuxième qui sait pour le premier. De plus, ce savoir est parfois rendu inaccessible par une certaine intellectualisation du langage. Je me sens moi-même incomprise lorsque je souhaite communiquer mon travail architectural à mon entourage, gagnée du sentiment que je fais partie d’un autre monde dont ils ne comprendraient pas les tenants et aboutissants. Et pourtant, je tente de le transmettre, j’emploie une autre terminologie, des analogies (dont la vulgarisation est d’ailleurs friande), je m’adapte. Si le langage est une barrière, sa richesse peut être l’outil même pour la faire tomber. Nous parlons des mots, mais nous pouvons aussi étendre cela au langage graphique ; car parfois, rien de tel qu’un schéma pour communiquer une idée. Le dessin, souvent qualifié de langage universel, dépasse ces barrières linguistiques. Or, coup de chance, il s’agit dans notre métier du moyen d’expression par excellence. Et, coup de chance à nouveau, il s’agit d’un des moyens d’expression favoris des enfants. D’ailleurs dans la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), le droit d’expression de l’enfant n’est pas restreint à la parole, l’article 13 le précise en effet : «L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répondre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen du choix de l’enfant.» (Thierry Paquot, La Ville récréative, 2015, p.22). Tentons dès lors de reconsidérer cette double frontière par le biais de la communication, qu’elle soit verbale ou graphique.
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1
.3 - «Faire projet», la frontière objet/sujet S’il y a bien un terme omniprésent dans notre discipline architecturale, c’est celui de projet, du latin projectum : jeter quelque chose vers l’avant. Il s’agirait d’un terme relativement récent qui n’a d’ailleurs pas toujours d’égal dans différentes langues. Il recouvre plusieurs notions qui peuvent diverger dans ces langues et devient support d’un concept complexe. Jean-Pierre Boutinet (anthropologie du projet, 1990, p.23) nous en donne l’exemple Italien de progetto comme activité intellectuelle du projet qui semble se distinguer de progettazione comme activité de réalisation du projet. Au sujet des langues anglaises et allemandes, il nous présente une opposition du «projet-dessein» au «projet-programme». Si précédemment nous parlions de frontières franches, le projet qui revêt une complexité de sens, peut présenter des frontières plus ambiguës. Jean-Pierre Boutinet à nouveau, représente graphiquement le projet en quatre pôles [1] (Psychologie des conduites à projet, 1993, p.34) :
[1]
Dans cette description graphique, tout se subdivise et tout se relie à la fois. Tout s’oppose mais se complémente. Les pôles et les axes, légendés en dessous de la figure, forment alors quatre quarts qui représentent respectivement les secteurs de l’innovation technique (1), de la participation sociale (2), de la recherche de sens (3) et de la créativité individuelle (4). Interviennent ensuite les connexions a, b, c et d qualifiant des types de projets en direction de chacun des pôles, créatrices des ambiguïtés que nous évoquions. Le projet architectural est alors difficile à placer, puisant plus ou moins dans chacune des
[1] Jean-Pierre Boutinet. (1993). Tableau 5 b. - La rose des vents du projet. Psychologie des conduites à projet. p.34.
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notions. Finalement, c’est peut être dans une question de dosage de ces différentes notions que les projets vont se distinguer les uns des autres. Par exemple, la création s’accompagne souvent d’une recherche de sens et si l’on place notre curseur dans la quart numéro trois, nous sommes pointés par les flèches c du «projet identitaire destiné à conforter un impératif existentiel de nature individuelle» et d du «projet personnel orienté dans un sens existentiel». Si le projet se nourrit trop dans ce quart là, pour revenir à notre question de dosage, il se risque à nier les éléments externes à l’individu, pourtant primordiaux dans la discipline architecturale. Il apparaît alors une confusion entre le créateur et sa création. Nous retrouvons là la critique de l’immeuble Danièle Casanova de Jean Renaudie où le bâtiment transpirait la présence de son concepteur. Et pour cause, il s’agissait d’une architecture figée trop formelle, ce qu’on pourrait appeler une architecture objet. Ceci est une critique courante faite aux réalisations modernistes notamment dans la mesure où l’objet fait abstraction de tout élément contextuel. Je pense également à l’architecte espagnol Santiago Calatrava dont nous employons vulgairement le nom dans l’expression de forme Calatravesque de manière plutôt péjorative. Ces mots regroupent les deux aspects de la figure trop formelle et de la forte imprégnation de l’architecte dans les murs, avec l’intégration même de son nom dans la qualification de cette forme. Le projet devient donc objet voire sujet incarné par son concepteur. Je parle de sujet car le projet devient en quelque sorte l’enfant du concepteur dans le sens d’«œuvre concrète de quelqu’un : Cette entreprise, c’est son enfant», septième définition de l’enfant donnée par le dictionnaire Larousse ; une terminologie qui fait aisément écho à la thématique de ce mémoire. Dans cette définition là, le projet devient celui de la projection identitaire, ce mécanisme psychologique qui consiste à attribuer à autrui un sentiment éprouvé par soi-même. Nous rejoignons ainsi la flèche c de la rose des vents de Jean-Pierre Boutinet. C’est pertinemment ce à quoi s’attaque la conception participative. Premièrement, elle multiplie les auteurs évitant ainsi cette sur-expression individuelle et replaçant un peu plus notre curseur sur l’autre partie de la flèche c, celle du «projet identitaire destiné à conforter un impératif existentiel» mais cette fois «de nature collective». Deuxièmement, les auteurs en question sont bien souvent les futurs usagers de l’espace. De ce fait, le mécanisme de projection identitaire évoqué est aussi celui qui leur permettra d’habiter les lieux, répondant à l’exigence d’appropriation.
Revenons désormais à cette dénomination d’enfant pour qualifier le projet d’un individu, loin d’être anodine quant à notre conception de l’enfance. En effet, si cette analogie existe, c’est parce que l’enfant est lui-même projet : celui de ses parents. Il constitue d’ailleurs dans plusieurs dictionnaires français, la première définition du terme concevoir : «Accomplir l’acte sexuel par lequel sera engendré l’enfant» pour citer celle du Larousse. On observe cette notion d’enfant projet poussée à l’extrême -pour le coup en dehors de l’acte sexuel- dans le film d’anticipation Bienvenue à Gattaca (1997) qui nous renvoie également au Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (1932). Dans cette fiction, les parents qui désirent un enfant se rendent dans un établissement où ils choisissent à la carte le génotype du futur individu qui sera alors conçu in vitro. On a par excellence, l’imposition des choix des parents avant même la naissance de l’individu. Ainsi, un enfant est avant tout celui de ses parents, il est celui de sa troisième définition du Larousse : «Descendant, postérité». Cela induit deux conséquences. Premièrement, il est celui de la lignée, potentiellement de la reproduction au sein de celle-ci et donc objet de la projection identitaire des parents. Deuxièmement, et nous le remarquons à travers notre emploi de possessifs, il apparaît comme la «propriété de ses parents» (Ramïn Farhangi, Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent, 2015). Cette notion les renvoie plutôt à l’objet qu’au sujet, ou alors au sujet de assujetti. Ces attitudes qui peuvent entraver la construction de l’enfant en tant qu’individu à part entière, sont relativement récentes. En effet, Marcel Gauchet cité par Laurence Gavarini (Les enfants dans la ville, VEI Diversité, 2005, p.9) attribue une transformation dans le rapport aux enfants du fait que l’on se soit mis à les désirer et à les programmer. Dans les années soixante-dix, la contraception et le contrôle des natalités ont renforcé cela et l’enfant a pris une place centrale dans la sphère privée. Laurence Gavarini accuse dès lors une tension entre l’enfant sujet et l’enfant objet fétichisé qui rejoint de près le mythe moderne de l’enfance d’Alexandre Ducousso-Lacaze (2015). C’est l’enfant nommé vulgairement «enfant roi». Le fait d’être désiré reste évidemment positif pour l’enfant. Cependant, il l’est moins lorsque cela véhicule de trop fortes représentations de soi-même de la part du désirant ; car on entend parler d’objet de désir, beaucoup moins de sujet de désir. 31
Vous pouvez dès lors vous demander pourquoi l’enfant de plus en plus sacralisé reste pourtant un impensé de la conception de la ville. C’est tout simplement parce que cette attitude s’opère dans la sphère privée et non dans l’entité collective que peuvent former les enfants. Ainsi s’opposent de plus en plus son propre enfant au singulier aux enfants des autres au pluriel. Cette confrontation découle directement des trop fortes projections que nous évoquions puisque l’enfant projet de ses parents représente ces derniers. Les parents se comparent ainsi entre eux à travers leurs enfants respectifs tels des représentations de leurs compétences éducatives. En effet, si l’on peut nommer un énième projet, c’est celui du projet éducatif. Finalement, les enfants sont l’objet, tantôt du parent, tantôt de l’enseignant (représentant du système éducatif national) qui parfois s’affrontent même à travers eux puisqu’ils représentent alternativement les aptitudes éducatives de chacun. Les enfants se rabaissent alors aux exigences que l’on a pour eux et «se plient aux projections que les adultes font sur eux» ainsi décrit par Antonella Verdiani, docteur en sciences de l’éducation, dans son ouvrages Ces écoles qui rendent nos enfants heureux (2012).
[1]
Entre des projets architecturaux trop sujets et des enfants trop objets, le «faire projet» fait défaut à chacun d’eux lorsqu’ils sont le support de projections trop fortes de leurs concepteurs. Il est peut être temps de leur permettre d’exister par eux-mêmes. Pour cela, commençons par redonner de la valeur au collectif face à l’individuel. Si l’architecture devrait pouvoir se construire par une diversité de concepteurs (la conception participative que nous évoquions) afin d’éviter l’objetisation du créateur unique, l’enfant demande lui aussi à pouvoir se construire en se nourrissant de la diversité humaine évitant également l’objetisation de ces concepteurs ou de ceux qui s’y substituent. Certaines écoles alternatives font d’ailleurs place à la notation collective plutôt que la notation individuelle classique. Ainsi, l’ensemble de la classe progresse ensemble dans un intérêt collectif. [1] Lunarbaboon. (2016, 28 janvier). Bonk. Récupéré de www.lunarbaboon.com (modification colorimétrique de ma part)
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2 I éducation et conception, vers des intérêts réciproques
Voilà quelques lignes que je me permet l’analogie entre le projet éducatif et le projet architectural qui peinent parfois à exister de manière plurielle et se restreignent à des exigences individualistes. Je souhaite désormais les rapprocher par leurs intérêts convergents. En effet, alors que j’esquissais précédemment les qualités du fondement de la conception participative, je présente désormais l’idée de la mettre en place avec des enfants. Il s’agit là d’une démarche chronophage qui doit se justifier dans notre société contemporaine où le temps est devenu si précieux. Nous avons l’expression d’urgence scolaire du côté de l’éducation, l’éternelle culture de la charrette du côté de la conception. Alors pourquoi se donner le temps de ces rencontres ? Observons ici ce que les uns peuvent apprendre des autres, dans un sens comme dans l’autre.
2.1 - Intérêt éducatif
Aujourd’hui, nous remettons de plus en plus en cause le système éducatif actuel bien que très ancré dans nos mœurs. S’il y a alors bien un reproche qui lui est fait et que je souhaite relever ici, c’est celui de la distinction entre apprendre et s’amuser. Voilà déjà quelques années que nous valorisons ce qui est ludique, (du latin ludus : «jeu, amusement») pour éduquer ; et pourtant, dans une journée scolaire type, le temps de la récréation est toujours distinct de celui de la classe. Nous pouvons même y voir la distinction du corps et de l’esprit : le corps doit se défouler dans la cour de récréation afin de reposer l’esprit tandis que ce dernier est monopolisé à 100% lors du temps de classe, dans une certaine immobilité du corps. Pourtant, l’un des développements fondamentaux de l’enfant est aujourd’hui qualifié de psychomoteur (et la psychomotricité est une discipline paramédicale reconnue par l’état français depuis 1988), alliant nos deux entités en un seul terme. D’ailleurs, le trait d’union entre psycho et moteur a disparu au cours de l’histoire, mêlant d’autant plus les deux notions. L’abolition de cette distinction est la base même des principes éducatifs des écoles alternatives qui ont bien souvent en commun «le fait de placer l’enfant au centre du processus éducatif et de considérer son développement global, sans séparer le corps et l’esprit.» (Antonella Verdiani, Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, p.24). En outre, si les sciences humaines parlent de psychomotricité et de ludicité depuis longtemps, les neurosciences vieilles d’à peine trente ans prouvent aujourd’hui la corrélation entre le jeu et le développement des facultés cognitives. Elles nous apprennent que notre cerveau se développe lorsqu’il est utilisé avec enthousiasme, et rien n’est plus enthousiasmant que de jouer. André Stern, enfant de quarante-trois ans qui n’est jamais allé à l’école -comme il se décrit lui même-, nous fait remarquer que «tous les enfants jouent, quelles que soient les circonstances qui les entourent, quel que soit l’environnement, la guerre, la misère, la peur, le luxe... » (L’enthousiasme, cet engrais qui fait fleurir l’enfance, 2014). à ce sujet, je prenais déjà l’exemple du chef d’œuvre La Vie est belle de Roberto Benigni (1997). Dans cette comédie dramatique italienne, le petit Josué est déporté dans un camp de concentration avec son père Guido qui fait croire à son fils que tout ceci n’est qu’un jeu auquel l’enfant s’adonne alors à cœur joie. Nous rejoignons les propos d’André Stern dans la mesure où cet enfant joue, même dans ce contexte belliqueux. Il semble donc que les enfants jouent spontanément dès qu’on leur en donne l’occasion et, de plus, que ces temps de jeu dotés d’enthousiasme sont favorables à leur développement cognitif. «Jeu après jeu, l’enfant devient "je".» Arnaud Gazagnes 35
Le jeu est donc synonyme d’apprentissage, voire même un «impératif éducationnel» selon l’architecte urbaniste et paysagiste Sylvie Brossard-Lottigier (La Ville récréative, 2015, p.59). De plus, il se pratique par les enfants -si cela lui est plus ou moins permis par le contexte-, dans tous les espacestemps qu’ils fréquentent à l’exception de l’un d’eux : le temps de classe de l’école. Je ferais un sophisme en concluant que l’on n’apprend pas à l’école (bien que certains opposants au système éducatif actuel affirment cela) mais vous conviendrez qu’il y a là quelque chose de paradoxal dans la mesure où l’école se prive d’un outil d’apprentissage fondamental. Je pense d’ailleurs qu’il en va de même pour les adultes. Bien que l’immaturité psychique de l’enfant favorise son assimilation et son apprentissage par rapport à l’adulte, ce dernier poursuit tout de même son expérience sensorielle et motrice tout au long de sa vie. Ainsi, le jeu peut lui être tout aussi profitable. Je pense à l’histoire que j’ouïs d’une vieille dame ayant de grands troubles de la mémoire. Je ne saurais plus vous en préciser la cause d’une maladie diagnostiquée ou non, mais le fait est qu’elle a recouvré la mémoire entièrement par le biais de nombreux jeux faisant appel aux neurones responsables de cela. Je pense aussi à nouveau à la pratique de la vulgarisation qui, souvent greffée d’humour, allie apprentissage et divertissement. Alexandre Astier, auteur, réalisateur et acteur de L’Exoconférence [1] (2014), regrette lors d’une interview télévisée qu’apprendre rime avec «prise de tête». Il s’attriste du fait que le documentaire s’oppose au divertissement où ce premier est associé à l’ennui (l’ennuyer de «fatiguer l’esprit [...]», Wiktionnaire) et où ce dernier se retrouve parfois vide de sens. La passivité intellectuelle est aujourd’hui mise en valeur au titre du repos comme la récréation -telle qu’elle est mise en place à l’école- se veut la vidange du cerveau après la monopolisation maladroite de celuici en classe. Il nous faut donc réapprendre à jouer, adultes comme enfants ! Et, en tant qu’architectes et urbanistes, nous devons offrir cette possibilité de jeu dans l’espace public. Ce jeu semble être une nécessité éducative, mais il est aussi le vecteur potentiel d’une reconnexion intergénérationnelle. Le tableau de Brueghel l’Ancien que nous évoquions quelques pages auparavant [2], où nous ne distinguons pas les enfants des adultes, s’intitule Les Jeux d’enfants, et je me laisse croire que la mise en relation de cette confusion des personnages dans le jeu n’est pas anodine. «Joue et tu deviendras sérieux.» Aristote Le jeu, c’est donc apprendre. Mais le jeu, c’est aussi faire, le faire dans sa dimension sensorielle et matérielle. Sylvie Brossard-Lottigier évoque ce lien entre le jeu et la manipulation sensorielle avec l’image des deux seules professions qui, pour elle, vivent encore du toucher à savoir celles du sport et de la musique. Elle nous rappelle en effet que l’on dit un «joueur de violon» ou encore un «joueur de football» (La Ville récréative, 2015, p.63). Ainsi, il s’agit là du jeu où l’on fait : le faire des mains, celui de fabriquer avant le faire de la pensée, celui d’élaborer. Ou, plutôt que l’un avant l’autre, l’un au service de l’autre dans une émulation simultanée. En anglais par exemple, ce serait le faire de making et le faire de doing. Si nous partons chercher du côté de l’étymologie grecque et avec elle, du faire selon Aristote, la distinction se fait entre le verbe poein (qui nous a donné la poésie) et prattein (qui nous a donné la pratique). Ces deux conceptions du faire peuvent ensuite se compléter de theôría (qui a donné le théâtre), qui porte les notions d’observation, de contemplation, d’examination et parfois même de spéculation. Si l’on se place dans le sillon d’Aristote, ces trois traits peuvent ainsi composer l’activité du faire comme nous l’a enseigné Eva Mahdalickova, docteur en histoire et sémiologie du texte et de l’image. Nous disséquons pour mieux comprendre, et cette décomposition dans l’histoire linguistique s’est sans doute établie afin [1] L’Exoconférence (2014) est une pièce de théâtre écrite et réalisée par Alexandre Astier et mise en scène par Jean-Christophe Hembert. Elle est le mariage d’un spectacle humoristique et d’une conférence sur l’astrophysique. En 2016, elle reçoit le prix «Science en Société» de la Société Française d’Astronomie et d’Astrophysique (SF2A). [2] Voir page 9.
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de mieux maîtriser les notions, c’est l’aspect rassurant du contrôle. En effet, comprendre c’est prendre les multiplicités (Eva Mahdalickova à nouveau). Cependant, pourquoi ces multiplicités se retrouvent si distinctes dans nos manières de faire actuelles ? La réponse se trouve peut être dans le souci de contrôle justement. C’est en tout cas ce que l’anthropologue britannique Tim Ingold se demande dans Faire : anthropologie, archéologie, art et architecture (2017). Il pose la question de la dissociation de la pensée et de l’activité pratique, de la séparation de l’esprit et de la main. Nous rejoignons de très près la frontière entre le corps et l’esprit esquissée précédemment. Ce making de Tim Ingold, c’est celui qui renoue avec la matière, c’est celui du toucher dont nous parlions. Pour l’enfant, cette rencontre sensorielle avec la matière est primordiale dans son développement. Les sensations (espace perçu) résultantes de son interaction avec celle-ci (espace concret) enrichissent son expérience subjective de l’environnement (espace vécu) et par la suite les représentations qu’il se construit du lieu (espace mental). Je parle des sensations au pluriel, convoquant nos divers sens contrairement à l’hégémonie contemporaine du visuel. Mais nous pouvons tout particulièrement relever celui du toucher dont nous discutons précisément dans ce paragraphe. L’enfant doit donc pouvoir interagir avec la matière en la palpant, en la manipulant. Il doit pouvoir construire, voire déconstruire (plutôt que démolir), pour se construire lui-même. D’ailleurs, lorsqu’Antonella Verdiani énumère des caractéristiques d’écoles alternatives, elle choisit trois termes dont celui de «constructiviste» (Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, 2012, p.29). L’architecte, quant à lui, semblerait aussi devoir se reconnecter avec la matière si l’on en croit les propos de Tim Ingold. Des liens entre nos deux protagonistes que sont l’enfant et l’architecte commencent à se dessiner -si je puis dire- à travers le faire. L’emploi du champs lexical de la construction ci-dessus fait largement écho à notre discipline architecturale. Et pour cause, elle a cette qualité de faire le lien -bien que les architectes l’aient parfois perdue, au grand regret de Tim Ingold-, entre la pensée et la pratique. Nous pouvons objecter à cela l’existence d’une architecture de papier qui n’a pas vocation à être construite, mais l’architecture dont nous parlons dans ce travail est bien celle de l’usager, vouée à être habitée. Cette dissociation de la conception avec le faire est d’ailleurs cause du décalage conception/usage décrite en partie 1.2. Faisons dès lors usage des qualités de notre pratique au service des enfants ! C’est ce que propose certaines associations ainsi que des CAUE (Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement) et autres Maisons de l’Architecture.
[1]
Les mains de l’enfant
[1] Des Pieds à la Tête. (2012, 10 octobre). Ateliers architecture pour les enfants, Ateliers d’initiation à l’architecture. Récupéré de assodespiedsalatete.blogspot.fr
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Ainsi, de nombreux ateliers d’architecture sont mis en place auprès des enfants tant sur des temps scolaires [1] qu’extrascolaires [2]. Ils donnent lieu à de multiples productions telles les photographies ci-avant où «chaque participant devenait durant deux heures l’architecte d’un îlot urbain. Et c’est par l’assemblage de tous ces îlots que prenait forme le nouveau quartier rêvé par les enfants.». Gardons ici à l’esprit les termes de «nouveau» et de «rêve» qui animent bien souvent notre vie d’architecte.
[2] [1]
Ces activités ont un intérêt éducatif pour les raisons que nous avancions. En outre, les enfants peuvent s’y approprier l’espace d’une autre manière à travers la réduction de celui-ci à l’échelle, comme l’architecte peut le faire. En effet, les enfants travaillent à l’aide de maquettes et de plans parfois jusqu’à l’échelle du territoire. À travers l’usage de ces documents -et surtout leur production-, ils peuvent se représenter l’espace plus largement que dans leur vision mentale habituelle généralement cantonnée à l’échelle du quartier. Ce nouveau rapport de taille peu avoir un aspect éminemment rassurant : «à l’échelle d’une carte, le monde est un jeu d’enfant.» (Laurent Graff, Voyage, voyages, 2006). Nous reviendrons plus tard sur cette expression de jeu d’enfant. Aussi, certains de ces ateliers proposent des promenades et découvertes des lieux amenant directement l’enfant à la matière, à l’appréhension sensorielle de l’espace prônée précédemment. Ceci nous renvoie à l’une des étymologies latines du mot éduquer educere qui signifie «tirer hors de» comme nous le rappelle Antonella Verdiani (Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, 2012, p.21). Je terminerai cela avec les mots de Bernard Préel : «la démarche éducative [...] doit "conduire au dehors" l’enfant, jusqu’à son achèvement, son accomplissement, le jour où il parviendra à embrasser tout l’univers et à se fondre en lui. C’est cette longue conquête de l’espace qu’il faut retracer» (Bernard Préel, VEI Diversité, p.15). [1] Karine Gaëlle Lefebvre. (2017). Espèces d’Espaces ! 2017. Récupéré de facebook.com/EspecesEspaces/ [2] Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) de Paris. (2016). École d’architecture pour enfants. Récupéré de familiscope.fr.
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2.2 - Intérêt pour la conception
Les treillis flottants
Enseigner l’architecture aux enfants -ou plutôt éduquer les enfants à l’architecture [1] -, comme les ateliers décrits, c’est peut être aussi créer une certaine forme de langage commun avec l’architecte. Il s’agit premièrement du langage graphique puisque les enfants apprennent à lire un plan et à comprendre ainsi ce qu’est la projection en deux dimensions. Il peut ensuite s’agir du langage oral, celui du vocabulaire spécifique disciplinaire. Les enfants y acquièrent en effet de nombreux termes liés à notre pratique architecturale. Mais, plus que d’entendre ces locutions, ils les fabriquent, faisant plus aisément le lien entre l’objet et sa dénomination. Il en va de même pour les éléments qu’ils rencontrent lors de leur expérience sensorielle des lieux à travers les promenades urbaines organisées. «En effet, l’enfant nomme ce qu’il croise, rencontre et découvre.» (Thierry Paquot, La Ville un jeu d’enfants ?, EK L’école de demain la place de l’enfant dans la ville, 2014, p.51). Ceci est d’une efficacité redoutable face à un vulgaire mot écrit au tableau dont on ne peut palper ce qu’il représente. Et, si je ne m’abuse, toucher du doigt quelque chose c’est s’approcher à le comprendre, à l’appréhender. Prenons l’exemple des ateliers d’architecture organisés à la Maison de l’architecte à Bordeaux. Natacha Boidron, l’architecte qui propose ces travaux, confirme ce que nous avançons en affirmant au sujet des enfants que «le fait de manipuler, va les aider à s’imprégner de l’idée...». De plus, les enfants font non seulement le lien entre la pensée et la matière, mais également le lien avec le troisième élément qu’est l’outil de représentation, notamment en maquette. C’est à dire qu’ils comprennent qu’on emploie -ou fabrique- un objet tiers pour représenter quelque chose. L’un des enfants nous explique en effet avec ses propres mots, en désignant les bouchons de liège qu’il a assemblés, qu’ils «représentent les barils qui font flotter la maison» [2]. Aussi, ces ateliers se décomposent en trois étapes qui sont les suivantes : «je regarde» comme le temps de l’observation, «je raconte» comme le temps de la compréhension, du dialogue ouvert et enfin «je construis» comme le temps de la manipulation. Nous retrouvons là les trois composantes grecques du faire, respectivement theôría, poein et prattein. Je souhaiterais également souligner le fait que ces ateliers accueillent des enfants d’âges divers allant de trois à douze ans, un aspect dont l’architecte organisatrice remarque les qualités : «les plus jeunes sont stimulés par les grands qui euxmêmes sont très fiers de les aider. L’inverse est aussi valable, la liberté d’expression, toute neuve, des plus petits éveille l’esprit des plus grands pour donner naissance à un bouillonnement créatif très riche.». Ceci se dresse face à la frontière intergénérationnelle, qui s’immisce cette fois-ci au sein même des enfants.
[2] [1] Préférons éduquer à enseigner comme Antonella Verdiani au sujet des écoles alternatives Steiner-Waldorf où «l’enseignant se considère avant tout comme un éducateur» (Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, 2012, p.34). [2] France 3 Nouvelle-Aquitaine. (2015). Atelier d’architecture pour les enfants à Bordeaux. Récupéré de youtube.com
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Ainsi, et pour revenir à cette idée de création de langage commun, les enfants de cet atelier découvrent -entre autres termes spécifiques-, ce qu’est une «structure en treillis» pour citer le vocabulaire le plus technique. Et, ils apprennent cela dans une démarche de projet très similaire à la notre comme le soulève l’architecte : «...l’idée qu’ils ont dans la tête et comment ils arrivent à le mettre en forme. Et, finalement c’est de la démarche de projet, comme nous architectes». Mais, me direz-vous, quel en est l’intérêt pour la conception architecturale ? Nous parlerons ici d’un atout qui s’inscrit plutôt sur le long terme. Premièrement, amorcer un langage commun graphique comme verbal, ce serait rétablir une potentielle communication (commun et communication ayant la même racine latine de communicatio : «communication, mise en commun»). En effet, le langage disciplinaire hermétique nous apparaissait telle une entrave à la prise en compte des usagers dans la conception. Si, lors de consultations participatives, les habitants comprennent l’outil du plan et un peu de terminologie, la tâche pourrait s’en retrouver plus aisée et la hiérarchie sociale -s’il y en a une- moins marquée ; le tout dans une meilleure compréhension mutuelle. Mais, et c’est là que nous nous inscrivons dans une temporalité un peu plus lointaine, les enfants sont surtout les concepteurs du monde de demain. Ici, j’emploie le terme de concepteurs sans me restreindre à la conception matérielle architecturale, urbaine ou encore de l’ordre de l’ingénierie mais bien dans la conception du monde au sens large à laquelle tout individu participe. Pour cela, l’initiation architecturale à laquelle ils participent est un moyen de compréhension plurielle du monde qui les entoure afin de mieux interagir avec lui, aujourd’hui comme demain. Natacha Boidron explique d’ailleurs avoir créé son atelier afin de permettre aux enfants «d’ouvrir les yeux sur le monde qui les entoure» car «l’architecture est partout, indissociable de notre quotidien [...]». Ceci se veut principalement en faveur des problématiques environnementales et écologiques contemporaines, enjeux fondamentaux de la ville de demain. Plutôt que la moralisation souvent employée au regard de l’écologie, l’apprentissage du milieu où nous vivons mène naturellement les enfants à vouloir en prendre soin. Dans le reportage Enfants des villes, enfants des champs (Élise Andrieu, Annabelle Brouard, 2014), retransmis sur France Culture dans l’émission Les Pieds sur terre de Sonia Kronlund, les enfants étonnent la reportrice par leur sensibilisation spontanée à la nature et à l’environnement. Trois enfants interrogés nous y expliquent de toute fierté qu’ensemble, ils ont formé leur association «SOS nature» pour «protéger la nature» parce qu’ils «aiment la nature» ! D’ailleurs, beaucoup d’ateliers mis en place avec les enfants s’intitulent «sensibilisation» à l’architecture comme on parle de sensibilisation à l’environnement. C’est aussi la vocation de ceux créés par Natacha Boidron qui nous dit que «sensibiliser à la qualité de l’espace construit, apprendre à la percevoir, le comprendre et le qualifier, sont autant de clés pour guider nos enfants à devenir des acteurs avertis de leur environnement». à ce même titre, dans le travail Villes d’enfants, villes d’avenir (2002), effectué par la Commission européenne, l’auteur nous dit : «je pense que nous devons créer un environnement respectueux des enfants, car ce sont les futurs gardiens du milieu ambiant et les responsables de demain. Ce qui est bon pour nos enfants est bon pour la société et la planète.». Mais trêve de citer les adultes et place aux paroles des enfants (interrogés dans Enfants des villes, enfants des champs) : «Moi, j’aimerais beaucoup que ce soit tout vert, mais des verts différents, avec un chemin qui se prolongerait et une colline, avec comme des bassines d’eau faites en pierre, comme si une baignoire s’était trouvé là mais une baignoire naturelle.» «J’aime bien être dehors pour sentir le soleil ou le vent. ça illumine tout. Si le soleil n’était plus là, la terre serait dans un froid glacial. Alors...c’est un peu les rayons qui me font le bonheur. Avec le vent, je ressens une fraîcheur, une fraîcheur sur tout le corps.» Robin 45
Félicien
Si l’enfant a cette capacité d’apporter une si forte attention à la nature, c’est peut être parce qu’il est extrêmement sensible à ce qui est vivant. Il l’est, ne serait-ce que par rapport à la vie humaine. Dans ce sens là, l’enfant peut être un acteur clé de la conception, un révélateur des pratiques de l’espace public. Il «se permet de nous faire la leçon. Ce qui frappe aussi chez lui, c’est sa manière de n’accorder qu’une attention distraite aux lieux, au bâti, ou du moins de s’intéresser aux gens qui les animent et leur donnent sens» (Bernard Préel, VEI Diversité, p.16). Il ne pourrait être l’architecte des réalisations figées trop «objet» que nous décriions auparavant. Il voit les habitants que l’architecte moderniste ne voyait plus. D’ailleurs, l’enfant se représente l’espace et plus particulièrement les distances en fonction des personnes de son entourage. Sa carte mentale (Kevin Lynch, L’Image de la Cité, 1960) se dessine depuis le domicile, associé aux parents jusqu’à l’école, représentée par les copains et/ou l’instituteur. Les copains, c’est le près, les grands-parents, c’est le loin. Thierry Paquot lui-même nous dit qu’il connaissait son quartier en localisant ses copains (La Ville récréative - un rêve ? EK Lieux de culte, 2015, p.53). Les lieux que l’enfant connaît, ce sont donc les personnes qu’il connaît. Mais les lieux qu’il ne connaît pas, ceux qu’il découvre, se définissent eux aussi par les personnes qui l’habitent (tant l’habiter du logement que l’habiter de l’espace urbain, celui de l’urbanité). Le jeune Félicien nous dit par exemple «j’aime bien la ville [...] j’aime bien les lumières, j’aime bien l’ambiance qu’il y a parce qu’il peut se passer n’importe quoi dans la ville, n’importe qui, sans penser à ceux qui passent à côté de nous alors que si ça se trouve ils sont extraordinaires!» (Enfants des villes, enfants des champs, 2014). Bien que la retranscription écrite de propos oraux laisse apparaître une syntaxe maladroite, je souhaiterais extraire subjectivement de cette locution l’expression «dans la ville, il peut se passer n’importe qui!». Nous pouvons également relever son grand enthousiasme de potentielles rencontres avec des individus «extraordinaires», comme la volonté de permettre ces dernières dans l’espace public. Il verbalise d’ailleurs ce regret plus tard dans le reportage : «on voit beaucoup de gens dans la ville, et en même temps, on fait pas tellement de rencontres». J’ai beaucoup parlé de ce que les enfants doivent acquérir, ici, c’est nous qui devons commencer à apprendre d’eux en écoutant ce qu’ils ont à nous révéler des espaces et surtout de la vie qui s’y meut. C’est ainsi que Fabien Desage, sociologue avant d’être photographe, tente dans sa démarche de comprendre des pratiques urbaines à travers ses clichés d’enfants dans l’espace public (« Enfantillages » : photographier les enfants (et leurs parents) dans l’espace public, Métropolitiques, 2015). Dans ses photographies, je remarque plusieurs enfants au regard détourné [1]. Si les parents observent souvent droit devant eux, sans doute afin de voir où ils vont, le regard de l’enfant semble se perdre dans toute autre direction. Cela lui permet de prêter une attention différente aux lieux, et de remarquer des détails dont nous faisons abstraction. Et, pour en revenir à la notion de projet qui anime notre profession, il a cette immense capacité d’y projeter un imaginaire donnant d’autant plus vie au lieu. C’est ainsi que Jane Jacobs, auteure et philosophe de l’architecture et de l’urbanisme, s’était rendue compte «que ses gamins connaissaient des passages franchissant un bloc d’immeubles, mais aussi d’autres raccourcis. Le quartier était devenu leur royaume et nourrissait leur imagination. » (Thierry Paquot, La Ville un jeu d’enfants ?, EK L’école de demain la place de l’enfant dans la ville, 2014, p.52).
Les regards attentifs
[1]
[1] Fabien Desage. (2015). Transports... Récupéré de metropolitiques.eu
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«Le désir d’architecture des enfants, bâtisseurs nés, révèle la capacité qu’ils ont de s’approprier, de façonner et de transformer leur cadre de vie.» Natacha Boidron (2015)
Dans cette même idée de l’enfant comme révélateur des pratiques, et grâce à sa capacité de projection imaginaire évoquée, il est aussi le meilleur indicateur d’un appropriation potentielle. Et pour cause, il est le roi du détournement ! Il peut ainsi nous étonner quant à l’usage d’éléments -conçus où non- de manière inattendue et remettre en cause l’idée que nous avions d’une fonction bien trop précise. Nous pouvons convoquer ici la notion d’affordance (James J. Gibson, The Theory of Affordances, 1977) offrant des possibilités d’action sur un objet ou non, dont l’enfant peut expérimenter tous les ressors. Nous arrivons ainsi au meilleur atout que l’enfant a pour la conception : son absence de certains codes sociaux (qui lui permet notamment le détournement évoqué), ces codes trop ancrés qui peuvent entraver notre qualité de conception. En effet, son immaturité psychique couplée à cette immaturité sociale peut lui permettre de soumettre de folles idées, des idées déraisonnables, mais pourquoi pas réalisables ? Il est peut être temps d’être un peu plus déraisonnable dans nos manières de faire. Adora Svitak, du haut de ses treize ans, que je citais déjà précédemment, nous donne un exemple plus qu’évocateur (Ce que les adultes peuvent apprendre des enfants, 2010). Elle nous parle de l’atelier des Enfants créateurs sur verre mis en place au musée de Tacoma à Washington (états-Unis). Au sein de celui-ci, les enfants devaient dessiner des projets de sculptures que les souffleurs de verre, compétents en la matière, devaient ensuite réaliser. Or, les enfants ne connaissant pas les limites techniques du soufflage de verre, ont proposé des formes tout à fait nouvelles que les artisans n’auraient intuitivement pas tentées et qu’ils sont pourtant parvenus à réaliser. Les dessins enfantins ont donc été support d’innovation. Je souhaiterais alors reprendre l’expression de «jeu d’enfants» qui est synonyme de facilité. Oublions ce que cette expression peut avoir de discriminatoire et prenons la facilité, non pas dans sa mesure simpliste qui s’oppose à la complexité plus riche, mais dans son opposition au terme de difficulté, qui nous empêche de franchir certaines barrières. Il s’agissait de la difficulté technique du soufflage de verre dans notre exemple et il peut s’agir de difficultés techniques également mais aussi normatives au sein de notre discipline architecturale. Ce fut tout le propos de mon travail de rapport d’études de licence. Il nous faut retrouver les qualités de la création enfantine, tel Pablo Picasso qui nous disait qu’enfant, il dessinait comme Raphaël et qu’il lui a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme un enfant. C’est aussi Henri Michaux qui nous incite à désapprendre et qui désigne l’enfance comme âge d’or de la création. Si l’enfant a de telles aptitudes créatrices, novatrices ainsi qu’une capacité à prendre en compte les habitants des lieux, qu’attendons nous pour leur demander leur collaboration à la conception architecturale et urbaine ?
«Au fond, pour inventer, il n’y a qu’à demander aux enfants eux-mêmes...» Commission européenne, DG Environnement (2002)
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2.3 - Intérêts réciproques
La discipline architecturale a donc de nombreux atouts au regard du développement des enfants et de leur éducation. Les enfants, eux, ont également beaucoup à apporter à la conception du projet architectural et de la ville durable de demain. Mais, plus qu’un raisonnement mathématique où nous aurions montré A vers B puis B vers A et donc une réciprocité des deux entités, il s’agit là d’échanges humains. Finalement, le point commun de nos deux protagonistes réside en partie dans la remise en question du résultat par rapport au processus. Du côté de l’éducation, c’est la remise en cause de la notation finale, du travail fini soumis à évaluation au lieu d’une valorisation de l’expérimentation et du parcours que l’enfant traverse. De manière analogue, du côté de la conception, c’est la remise en cause de l’objet architectural fini, de l’œuvre formelle achevée au profit du processus de fabrication de l’espace. Ces deux attitudes seraient vectrices du rééquilibre des excès racontés en partie 1.3. En outre, les deux cheminements similaires pourraient s’entrecroiser, reconnectant l’architecte et l’enfant. Cette reconnexion, c’est celle du dialogue de l’adulte vers l’enfant mais aussi celle du concepteur vers l’usager, redonnant de la porosité aux deux principales frontières que nous décriions. Dans les deux cas, elle passe par une reconsidération de la parole de chacun sans jugement hiérarchique fort. Car oui, les enfants et les usagers (sans opposition entre les deux puisque l’enfant est usager), ont leur mot à dire ! Et surtout, leurs dires ont de la valeur. Comprenons bien cela, afin de redescendre de notre piédestal d’adulte qui sait tout et d’architecte qui se substitue à Dieu tel celui des pensées de la Renaissance [1]. Repensons tout cela dans l’échange. Dans cette idée là, nous pouvons à nouveau citer les écoles Steiner-Waldorf avec ses éducateurs plutôt que ses enseignants ; une terminologie qui respire plus l’accompagnement que l’ordre édicté par quelqu’un de supérieur. «L’éducation authentique ne se fait pas de A vers B, ni de A sur B, mais par A avec B, par l’intermédiaire du monde.» Paulo Fere cité par Antonella Verdiani Cette réconciliation de l’adulte et de l’enfant, c’est aussi celle du caractère symétrique dont nous parle Philippe Forest, professeur de littérature, au sujet du Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry (1945). Il nous dit que dans ce conte philosophique, «l’adulte est un enfant, mais [...] l’enfant aussi est un adulte.» -puisqu’il s’agit en réalité d’un double auto-portrait de l’auteur- et que c’est pertinemment cela qui permet l’échange entre les deux. Cela rejoint ce qu’avance Kaj Noschis, docteur en psychologie, lors du comité consultatif d’urbanisme du Grand Lyon intitulé Les Enfants et l’urbanisme (1994). L’adulte qui ne côtoie plus d’enfants ne connaîtrait plus que «l’enfant dans l’adulte» qu’il est, cette figure figée où l’adulte reste frustré de l’enfant qu’il n’est plus et ne peut plus évoluer dans cette absence de rencontre avec d’autres enfants. Cette réconciliation pourrait donc avoir lieu à travers la mise en place d’une conception participative avec les enfants. Nous en avons vu toutes les potentialités, il est temps de se demander dans quelle mesure cela peut avoir lieu. Quels outils se donner ? Quelle démarche aborder ? Observons dès lors, quelques projets témoins de cela, ces projets qui ont invité les enfants à concevoir.
[1] Plus tard, on peut aussi penser à l’architecte Claude Nicolas Ledoux (1736-1806) et son estampe de l’«Œil reflétant l’intérieur du théâtre de Besançon», explicitement traversé de la lumière divine.
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3 I Ces projets qui invitent les enfants à concevoir
Lors de mon travail de rapport d’études, je rencontrais Claire Landrot, en charge des actions pédagogiques du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE) du Rhône ainsi que Karine-Gaëlle Lefebvre, architecte. Elles mettent toutes deux en place des activités de médiation architecturale et culturelle en milieu scolaire tels les quelques ateliers dont nous parlions. Ce sont ceux de l’affiche présentée en page 20, les ateliers Espèces d’espaces qui font sans nul doute référence à l’ouvrage éponyme de l’auteur Georges Perec. L’une des actions pédagogiques que j’étudiais, offrait aux enfants la possibilité de travailler sur leur quartier alors en pleine rénovation urbaine. Il s’agissait d’élèves de l’enseignement primaire de niveau CE2 de la ville de Tassin-la-Demi-Lune en agglomération lyonnaise. Ils ont participé à ces travaux au cours de l’année scolaire 2014-2015. Cet ensemble d’ateliers intitulés «Tassin, ma ville, mon quartier Un nouveau visage...» permettait aux enfants de se projeter plus facilement sur leur futur environnement urbain et d’être accompagnés dans la mutation de leur lieu de vie. Lors de plusieurs séances successives, les enfants ont pu participer à des promenades urbaines. Puis, ils ont pu opérer un travail cartographique afin de comprendre le territoire. Enfin, ils ont été les auteurs de productions multiples. Ces dernières, essentiellement sous forme de maquettes, révélaient une extrême diversité et, sans surprise, une grande créativité. Je ne rentrerais pas plus dans les détails de cet atelier que je décrivais dans mes travaux précédents, mais je l’évoque pour souligner un aspect fort regrettable. En effet, nous pouvons noter que ces actions se déroulent en parallèle de réelles transformations urbaines, sans jamais que nos jeunes concepteurs -ou du moins leurs productions et idées- rencontrent les acteurs de ces mutations. Nos frontières sont bel et bien là. Il y aurait même des conflits d’intérêts entre concepteurs missionnés par la ville (et autres maîtres d’ouvrage) et ceux qui mènent ces actions. Pour ce nouveau travail de recherche, je suis dès lors partie à la recherche de projets où l’implication des enfants s’intègrent réellement à la conception.
3.1 - Trois projets
Finalement, ces démarches de conception participative avec les enfants sont loin d’être inexistantes et certains architectes ont franchi ce pas là. Plutôt que de blâmer ceux qui ne font pas, observons ceux qui font et comprenons. Je me suis dès lors intéressée à trois projets aux contextes différents. Ils furent objets de mon choix premièrement par leurs divergences apparentes, au delà de leur point commun de travailler avec les enfants. Puis, faute de temps pour d’éventuels entretiens et retour sur ces actions, j’ai fait le choix de projets dont la quantité de documentation peut permettre une analyse pertinente. De plus, certains de ces documents qui nous renseignent à leur sujet retranscrivent des étapes des projets au format vidéo. Alors que les rapports écrits sont uniquement le fruit de la main de l’adulte, ce média de la vidéo permet, entre autres, d’entendre les paroles et réactions directes des enfants ; une parole à laquelle je souhaite accorder du crédit. Enfin, parler de trois projets, c’est éviter de se heurter à une comparaison binaire qui peut rimer avec confrontation. Certains architectes prônent parfois ce nombre trois dans la conception, où deux éléments architecturaux du même ordre peuvent créer une tension entre eux alors que le troisième élément vient bien souvent tempérer la relation des deux premiers. Mais ne soyons pas si conceptuels, nous avons vu que cela peut nous faire défaut. Présentons brièvement chacun de ces projets, afin de les contextualiser et de commencer à entrevoir dans quels cadres une telle démarche peut avoir lieu. Nous en verrons respectivement les lieux et dates, les commandes et concepteurs, les enfants qui y ont participé et dans quelle temporalité l’ont-ils fait.
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Minicitylab du Quartier des Quatrans à Caen
Ce premier projet s’est déroulé dans la ville de Caen dans le nord de la France. Il s’est intéressé au quartier des Quatrans et plus particulièrement à sa place publique. Il s’agit d’une initiative de la Maison de l’architecture de Basse-Normandie aujourd’hui renommée Territoires Pionniers I Maison de l’architecture - Normandie installée dans ce même quartier des Quatrans. Cette structure culturelle développe des actions collaboratives, créatives et expérimentales sur des sujets de territoire. Son équipe se compose d’une architecte (directrice), d’une urbaniste (coordinatrice) ainsi que d’un conseil d’administration. De nombreuses mutations sont alors en cours dans l’agglomération caennaise à travers de grands projets architecturaux et urbains entraînant une évolution du paysage de la ville. Pour accompagner les enfants dans ces changements, ils ont mis en place, depuis 2013, ce qu’ils appellent le Minicitylab, projet de sensibilisation et d’éducation à l’architecture et à l’urbanisme. À travers celui-ci, ils organisent des balades urbaines, des rencontres et des ateliers en milieu scolaire. Ils ont pour objectif de permettre aux élèves et à leurs enseignants de découvrir leur cadre de vie, de le comprendre, de réfléchir et de participer à sa transformation. Parmi ces ateliers mis en place auprès des enfants, le projet La Ville Réinventée mené sur l’année scolaire 2015-2016 autour du quartier Saint-Jean de Caen, fut récompensé du prix UIA Les Cubes d’Or Architecture & Enfants 2017. Ce prix récompense «les personnes et les organisations qui aident les enfants et les jeunes à comprendre l’architecture». Il serait par la suite également intéressant d’analyser ce projet-ci. Cependant, nous nous intéresserons ici plus particulièrement au Minicitylab mené sur l’année scolaire 2016-2017, celui du quartier des Quatrans. L’objectif de ce projet résidait dans la prise de possession de l’espace public par les enfants, la volonté de l’architecte organisatrice étant de transformer cet espace en vaste cour de récréation appropriable, d’ «activer» et de «dynamiser» le lieu. Huit classes d’élèves de niveau CM2 ainsi que leurs enseignants se sont alors vus associés au projet. Ce dernier se décomposait dans le temps en quatre étapes, presque à la manière des ateliers d’architecture pour enfants observés précédemment. Les deux premières étapes avaient pour but de faire émerger des idées. Elles constituaient un parcours urbain pour la première, puis un laboratoire d’idée en classe pour la seconde. Lors du premier temps (en décembre 2016), les enfants sont partis à la découverte du lieu accompagnés par l’architecte Élisabeth Taudière. Chacun muni d’un plan, ils avaient pour consigne d’y annoter tout ce qu’ils voyaient, plutôt dans l’observation, puis, dans une seconde partie d’y exprimer leurs impressions. Ils furent, tout au long de l’expédition, guidés par les questions de l’architecte qui les conduisait à s’interroger sur la nature des bâtiments ou encore sur la matérialité des sols. Ils furent également amenés à répondre aux questions de la journaliste du reportage mené par France 3 Normandie. La retransmission télévisée de ce dernier nous permet d’entendre les réponses spontanées des enfants sur le site. Au cours du deuxième temps (en janvier 2017), l’architecte animait la classe avec les enfants. Elle débutait par une restitution de la promenade urbaine, élaborée d’après les impressions transmises par les enfants. Puis, suite aux constats, les élèves de CM2 s’adonnèrent à une recherche d’idées en vue d’améliorer l’espace urbain, de le réenchanter. Ce travail s’est effectué sous forme de productions dessinées et textuelles individuelles (les enfants communiquant toutefois entre eux sur leurs différentes idées). La troisième étape (en mars 2017) quant à elle, s’est établie sans les enfants. Elle fit place à une autre conceptrice dite designer, Natalie Portier. Cette dernière devait monter un projet à partir des documents contenant les idées des enfants puis le soumettre aux élus de la mairie de Caen pour validation. Ce fut alors l’étape d’obtention des autorisations des élus en question, des services techniques mais aussi des habitants eux-mêmes car les projets des enfants qui n’avaient pas forcément conscience des délimitations du domaine public, débordaient parfois sur les espaces privés. Puis, nous arrivons à la quatrième et dernière étape (en mars 2017 également), celle de la réalisation. Pour celleci, quatre ateliers de construction ont été mis en place de manière thématique. De l’atelier plâtre jusqu’à celui des hôtels à insectes, les enfants ont coopéré dans la fabrication des éléments conçus par Natalie Portier. Un intervenant des services techniques de la ville était également présent. Enfin, les productions ont été installées sur le site et la place des Quatrans. Ainsi transformée, elle fut inaugurée avec enfants, parents et concepteurs. 55
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Pousses Urbaines, Pôle Gare Lausanne
En octobre 2017, la ville de Lausanne (quatrième ville Suisse) lance un concours d’urbanisme en vue de réaménager le quartier dit sous-gare. Ces aménagements s’inscrivent dans un projet plus large intitulé Léman 2030 qui prévoit notamment la transformation de la façade Sud de la gare de Lausanne. Cette dernière va évoluer et les espaces publics qui la jalonnent doivent être repensés. La ville de Lausanne souhaite la refonte de ces espaces dans une reconsidération des mobilités, particulières au contexte ferroviaire. Le deuxième degré de ce concours est de définir plus précisément le traitement du périmètre de projet détaillé allant d’une future place dite des Saugettes à une esplanade dénommée Alfred Stucky. Le communiqué de lancement du projet précise la volonté d’apporter une attention particulière à «l’esprit des lieux» et à «ces éléments si délicats qui font l’ambiance d’un endroit et pour lesquels les habitants et usagers d’un quartier ont une grande sensibilité, voire un attachement». Il s’agirait de coupler intelligemment les mobilités des passants éphémères que sont les voyageurs et les déplacements quotidiens des habitants du quartier. Pour cela, une étude pluridisciplinaire s’est établie au préalable et une première étape de démarches participatives a vu le jour. Ainsi, des entretiens et questionnaires ont été soumis à un panel de participants retranscrits en février 2017. Ils font l’objet d’une synthèse textuelle mais aussi présentant les résultats sous forme graphique (cartographies et diagrammes). En outre, des ateliers participatifs se sont déroulés au printemps 2017 et font également l’objet d’une synthèse, riche en cartographie. Ces processus sont témoins d’un fort intérêt pour la prise en compte des habitants et de leurs pratiques urbaines dans le projet. Cependant, nous ne nous intéresserons pas de près à ces documents-ci, car les investigations et ateliers en question ne se sont guère adressés aux enfants. Le graphique ci-dessous, représentatif des âges des personnes interrogées, nous le confirme. Les enquêteurs le relèvent tout de même et tentent de l’expliquer : «il persiste un écart qui se traduit [...] par la sous-représentation des enfants, des adolescents et des retraités. Il s’agit d’un biais classique de la méthode d’enquête utilisée (questionnaire en ligne)» (page 13 du rapport).
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[1] Maude Luggen Risse et Elie De Castro (enquêteurs). Michela Thiémard-Spada (traitement statistique). (2017). Figure 2 : Quel est votre âge ? «Sous-gare, prends Place !», Synthèse des résultats de l’enquête sur le réaménagement du secteur sous-gare, Lausanne – Questionnaires & entretiens. p.13. Récupéré de pole-gare.ch
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L’un des tableaux statistiques (présenté en page 14 du rapport) illustre ce décalage. Il exprime la répartition par classe d’âge dans l’échantillon des personnes interrogées en vis à vis des proportions au sein de la population du secteur Grancy (alentours de la gare), de la ville de Lausanne et de la Suisse. Ainsi, 1,4% de l’échantillon de l’enquête a entre 0 et 19 ans tandis que cette tranche d’âge représente 15,4% du quartier, 19,2% de la ville et 20,1% du pays. En outre -et une autre explication vient peut être se greffer là-, les enfants semblent peu présents dans les déambulations qui animent ce lieu. Le diagramme circulaire ci-dessous en témoigne. Cependant, ces déplacements ne sont pas inexistants et relèvent pour une majorité d’entre eux de la promenade (suivi du fameux chemin de l’école) comme le traduit le second diagramme.
[1]
[2]
[1] Maude Luggen Risse et Elie De Castro (enquêteurs). Michela Thiémard-Spada (traitement statistique). (2017). Figure 11 : Des enfants (moins de 15 ans) sous votre responsabilité se déplacent-ils dans le secteur ? «Sous-gare, prends Place !», Synthèse des résultats de l’enquête sur le réaménagement du secteur sous-gare, Lausanne – Questionnaires & entretiens. p.20. Récupéré de pole-gare.ch [2] Mêmes auteurs. Figure 12 : Si vous avez des enfants se déplaçant dans le secteur, pour quelles activités le font-ils ? Même source.
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Nous pouvons supposer que cette faible proportion de déplacements enfantins est inhérente au contexte ferroviaire, peu adapté à leur présence. C’est peut être l’action menée par Pousses Urbaines qui nous apportera alors des éléments de réponse. Ce travail, c’est celui qui m’amène à vous parler de ce projet Pôle Gare dans la problématique qui nous intéresse. Pousses Urbaines est un projet de la ville de Lausanne qui vise à expérimenter des formes de participation adaptées aux enfants sur des thématiques urbaines choisies : «C’est une participation orientée: les enfants sont acteurs. Il s’agit de leurs paroles, de leurs points de vue, de leurs expériences». Ces mots font amplement échos aux premières parties de ce travail de recherche. Cette organisation se compose de la déléguée à l’enfance de la ville de Lausanne, Florence Godoy, des partenaires du bureau TRIBU Architecture et de l’agence Plates-Blanches. D’autres entités viennent se greffer au projet telle l’association Ville en tête -pour le projet qui nous concerne-, qui organise chaque année des ateliers en classe. Des thématiques sont déterminées chaque année, et visent à rendre visible le point de vue des enfants en les associant à des projets et en impliquant des rencontres avec des adultes professionnels de l’enfance et d’autres professions. Pousses Urbaines souhaite favoriser «une découverte mutuelle entre des mondes différents». Lors de l’édition 2016, Pousses Urbaines s’est posé la question du rapport des enfants aux places publiques et notamment à celles du secteur de la gare en vue des transformations portées par le projet d’urbanisme. Cela s’inscrit dans une certaine continuité de la démarche participative initiée par les études préliminaires du concours. Cette action a pris place à travers une série d’ateliers menés auprès de 187 enfants. Dans un premier temps, ce sont les ateliers Pousses Urbaines qui ont eu lieu en novembre et en décembre 2016. Puis, ont suivis les ateliers de l’association Ville en Tête en décembre 2016 et janvier 2017. Enfin, les mois de janvier à mars 2017 ont été consacrés à l’élaboration d’une analyse et de recommandations quant à la conception urbaine. Au cours des premiers ateliers, sept groupes d’enfants âgés de sept à quinze ans ont été invités à participer ainsi qu’un groupe de parents. Pousses Urbaines a d’ailleurs veillé à ce que les participants soient représentatifs de la diversité de la ville de Lausanne. De plus, il s’agit principalement de groupes qui demeurent proches de l’environnement de la gare et qui, de ce fait, arpentent potentiellement ce lieu quotidiennement. Similairement au premier projet présenté, celui-ci a débuté par une visite de site au départ du lieu d’accueil du groupe. Cette promenade urbaine fut guidée par des questions thématiques, amenant les enfants à se questionner sur leur environnement, sur ce qu’il s’y passe, sur ce qu’on y ressent, etc. Au delà des mots, les enfants ont pu s’exprimer en mouvement, testant par exemple la jouabilité des espaces et alliant de ce fait le geste et la parole. Certains enfants furent munis d’appareils photographiques afin de capturer ce qu’ils leur semblaient important. Puis, à nouveau de manière similaire à notre premier projet, une deuxième étape a permis aux enfants de se remémorer leur exploration du site. Pour cela, chacun a produit un dessin relatant son expérience. Les enfants ont ensuite eu l’occasion de présenter leurs dessins, photographies et commentaires à des représentants de la Ville de Lausanne en lien avec le projet Pôle Gare eux aussi venus avec des documents graphiques supports de discussions et d’échanges. Vinrent ensuite les ateliers de l’association Ville en Tête. Ceux-ci s’adressaient à six classes lausannoises des degrés 3-4P (enfants de six à huit ans) et 5-6P (enfants de huit à dix ans). Les premiers modules constituaient une approche en classe de notions architecturales. Les enfants y ont abordé des questions de formes de maisons mais aussi de formes urbaines, ainsi qu’une initiation aux outils de représentation de la ville tels que les cartes et les plans. Ils se sont ensuite rendus dans la ville, explorant trois places publiques et y questionnant les limites et accès ou encore le usages et les usagers présents. Sur place, ils réalisèrent cartes mentales, dessins et photographies guidés par les médiateurs. De retour en classe, les enfants qui avaient au préalable réalisé une maquette de «quartier idéal» avec leurs enseignants on pu y intégrer un espace public résonnant avec leurs explorations. De nouvelles maquettes ont donc été produites collectivement sur une durée de quatre à huit semaines. Les intervenants de la ville sont ensuite revenus dans les classes afin d’échanger à nouveau sur ce support des maquettes. Tout ce travail d’ateliers de Pousses Urbaines puis de Ville en Tête a ensuite fait l’objet d’un rapport visant à recommander la conception d’espaces publics faisant place aux enfants.
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L’Université Foraine de Clermont Ferrand
Ce troisième projet diffère un peu plus des précédents puisqu’il ne constitue pas une mise en place spécifique envers les enfants mais plutôt une intégration de ceux-ci dans un processus plus large. Nous y reviendrons dans la comparaison des ces diverses actions. La démarche que je souhaite décrire ici prend place dans le quartier de la Gauthière au Nord-Est de Clermont-Ferrand (France) et s’est établie au cours de l’année 2014. Ce quartier est emblématique des grands-ensembles érigés dans les années 1960 et reste porteur de nombreuses stigmatisations. Dans le cadre de l’ANRU (Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine), une barre de logement, un centre commercial ainsi que trois tours du quartier se sont vus démolis en 2012. L’opération prévoyait un projet programmatique spécifique qui fut entièrement rejeté par les habitants. Ces derniers s’étant fortement opposés au projet de rénovation urbaine, un vaste terrain s’est retrouvé vide et délaissé. Cet ilôt central vide appartenant désormais à la ville de Clermont-Ferrand posait dès lors grandement question quant à son devenir. C’est là qu’intervint l’Université Foraine portée par l’association de Notre Atelier Commun (NAC). Cette démarche souhaitait profiter de ce temps de latence subi par cet espace pour consulter les habitants du quartier «donnant voix aux moins audibles» (Béatrice Durand, Questionner le verrou du programme : L’université foraine de Clermont-Ferrand, La Gauthière, Le quatre page, p.1). Or, nous savons que les «moins audibles» sont bien souvent les enfants. Notre Atelier Commun, fondé en 1999 par l’architecte Patrick Bouchain, se veut porteur d’un acte de construire alternatif aux manières de faire actuelles de la majorité des ateliers d’architecture. Cette démarche remet essentiellement en question la frontière entre usagers et concepteurs décrite précédemment dans ce travail. L’Université Foraine a débuté par l’installation de deux architectes de Notre Atelier Commun dans le quartier : Suzie Passaquin et Esther Guillemard. Elles emménagèrent dans le quartier sur une durée de dix mois, se mêlant aux autres habitants. Un quartier général s’installa également tel un atelier recréé dans une ancienne salle de musculation du site. Il fut affecté d’une permanence permettant d’organiser divers ateliers mais également de recevoir toute visite spontanée des habitants. Visible et accessible, il se voulait accueillant pour la population. Chaque mois, des séances thématiques eurent lieu, réunissant habitants, chercheurs, artistes, élus et techniciens comme nous le rapporte l’article du quatre page. Ces réunions avaient pour objectif d’initier une fabrication en commun et animaient temporairement cet îlot central délaissé. Mais où sont les enfants dans tout cela ? Premièrement, ils étaient comme tout habitant, les bienvenus au quartier général pour d’éventuels échanges. De plus, des ateliers s’y sont déployé avec la fabrication de maquettes sensibles avec les enfants, la production de dessins, de collages afin de réfléchir aux notions de couleur et de matériaux ou encore avec la mise en place d’un cycle de projection sur l’architecture. Des actions plus spécifiques aux enfants ont aussi vu le jour. L’intervention du collectif La Balise (issu de l’école Supérieure d’Art de Clermont Métropole) par exemple, a initié des ateliers participatifs avec les enfants du quartier sur le thème de l’exploration. L’objectif était d’amener les jeunes habitants à redécouvrir leur lieu de vie et pourquoi pas d’y porter un regard différent. Ce parcours s’est déroulé sous forme de fiction où les enfants observaient l’environnement tout en jouant un rôle. Connaissant les capacités de projection imaginaire des enfants, ceci ne pu qu’activer leur regard. Cela me renvoie à la fiction dans la fiction de Neverland [1], film britanico-américain réalisé par Marc Forster en 2004, où les enfants transforment leur lieu de vie quotidien dans le déploiement d’un imaginaire débordant. Finalement, entre promenades urbaines et étapes de productions graphiques et matérielles, nous retrouvons des contenus similaires aux précédents projets, agencés différemment. Ici, les actions impliquant les enfants apparurent dans différents temps ponctuels, parfois organisées, parfois improvisées. Elles pouvaient être directement liées à la pratique architecturale comme elles pouvaient être de l’ordre du jardinage, de la lecture ou de la cuisine avec une customisation de vaisselle au préalable. En outre, la quatrième rencontre thématique de l’Université Foraine s’était consacrée au sujet de l’enfance, notamment en vue de l’installation d’une crèche dans le quartier. à cette occasion, les enfants furent d’autant plus consultés et la thématique du jeu était à l’honneur. [1] Film biographique inspiré de la vie de l’écrivain écossais J. M. Barrie, auteur de Peter and Wendy (1904)
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3.2 - Dissection comparée
à travers ces présentations essentiellement descriptives des trois projets, nous apercevons déjà quelques différences contextuelles et d’organisation. Aussi, ils laissent apparaître certaines similitudes d’approches notamment dans la dimension éducative, des petits comme des grands. Tentons de comprendre quels cadres spécifiques permettent leur mise en place. Puis, observons si les pratiques des ces actions résonnent avec les postulats forgés dans les premières parties de ce travail.
Des cadres spécifiques ?
Les premières différences contextuelles de ces projets, sont inhérentes au lieu. En effet, le simple fait de prendre place ici ou là, implique déjà des divergences notables. Cette différence n’est pas propre à notre analyse puisque tout projet architectural et urbain se rattache à un site et s’y spécifie tant bien que mal. C’est là tout le propos de notre apprentissage d’analyse de site en école supérieure d’architecture. Nous pouvons objecter à cela avec les pensées modernistes où l’objet architectural s’émancipait de son contexte. Mais les projets dont nous parlons ici se veulent justement en reconnexion avec leur environnement. Chaque site donc, a ses caractéristiques locales (géographiques, historiques, morphologiques etc.). Mais, surtout, il peut impliquer des milieux culturels et sociaux différents. L’aspect culturel peut s’observer à travers le projet Pôle Gare qui se déroule en Suisse, un pays où les interventions pédagogiques de ce type sont plus fréquentes qu’en France. Notons qu’elles relèvent tout de même d’une intervention extérieure au système éducatif (l’association Ville en Tête), à savoir qu’elles ne sont pas directement intégrées aux programmes scolaires officiels. L’aspect social peut aussi parfois transparaître. à la Gauthière par exemple, quartier défavorisé et qui fut bien souvent stigmatisé au cours de son histoire, le climat de rébellion présent chez les jeunes a provoqué la destruction de certains aménagements. Les architectes pilotes du projet se sont parfois vues endosser un rôle d’encadrement face à une énergie débordante des enfants et des adolescents. à l’inverse, peut être que la cadre scolaire que nous retrouvons au sein des deux autres projets légitime en quelque sorte l’activité aux yeux des enfants à laquelle ils s’adonnent volontairement. Dans ce contexte scolaire, l’atelier peut apparaître comme un temps exceptionnel contrastant avec les temps de classe habituels. Et qui dit plus enthousiasmant, dit plus instruisant selon les neurosciences. Notez que je n’oppose pas cet enthousiasme au sein des classes avec les quelques réticences soulevées à l’Université Foraine, puisqu’une majorité des habitants et enfants étaient conquis par la démarche. Pour poursuivre sur cet aspect de stigmatisation, cette fois-ci des enfants entre eux, notons que les projets en question ont aboli certains marqueurs de distinction. Par exemple lors du reportage de France 3 Normandie sur le Minicitylab du quartier des Quatrans, la maîtresse des élèves explique que «des élèves en difficultés paraissent beaucoup moins en difficultés». Elle fait remarquer à la journaliste qu’elle a spontanément choisi de suivre des élèves qui peuvent habituellement être incommodés face aux exercices scolaires traditionnels alors qu’ils osent et s’ouvrent à travers ces ateliers. Une première frontière commence à se dissiper. Au sein des ateliers Ville en Tête pour le projet Pôle gare, c’est l’aspect collégiale des décisions, intrinsèque à la production collective, qui pouvait permettre d’estomper ces marqueurs distinctifs.
[1] Marion Cluzel. (2014). L’université foraine de Clermont-Ferrand / Rencontre autour du “jeu”. Récupéré de marfigram.blogspot.fr
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Le lieu est cadre social, mais il est aussi synonyme d’échelle. Nous en arrivons à une deuxième donnée contextuelle de l’ordre dimensionnel. Nos trois projets prennent place au sein de villes de même ordre de grandeur en termes de population. Les communes de Caen, de Lausanne et de Clermont-Ferrand comptent entre cent et cent-quarante mille habitants. Leurs agglomérations quant à elles, avoisinent toutes les quatre-cent mille habitants. C’est sans doute cette échelle qui rend possible les projets de renouvellement urbains dans chacun des cas, dans le sens où elle implique certaines gouvernances. Bien que l’ANRU soit d’ampleur nationale, les décisions des actions locales qu’il engendre se voient en partie déléguées aux Villes. Il faut alors distinguer plusieurs échelles. Premièrement, c’est celle du projet de rénovation urbaine tout juste évoquée. C’est l’échelle de la cause, une cause dont les projets découlent plus ou moins. Celui du quartier des Quatrans par exemple, semble pouvoir se mettre en place qu’il y ait rénovation urbaine de l’agglomération caennaise ou non. Celui de l’Université Foraine par contre, est directement conséquent des démolitions imposées par l’ANRU. Ensuite, vient l’échelle de travail et d’action (qui pourraient elles aussi être dissociées entre elles et détaillées). Dans le cas de l’Université Foraine, elle se calque sur le terrain vacant puis évolue selon les multiples actions qui naissent au cours du processus. Pour les ateliers scolaires du quartier des Quatrans et du Pôle Gare de Lausanne, je dirais qu’elle se réduit naturellement à une échelle humaine puisqu’elle se définit lors des promenades urbaines dépendantes de la déambulation piétonne. Cette échelle nous renvoie dans une certaine mesure aux représentations mentales de l’enfant qui s’étendent dans cet ordre de grandeur là. Dans chacun des trois cas, les enfants ont cependant l’occasion d’appréhender cet échelle d’espace perçue par rapport à une échelle urbaine plus large sur des supports cartographiques. Nos trois études de cas se rejoignent donc d’une certaine manière par leur échelle d’action(s) ; une échelle qui permet finalement l’interaction directe avec l’espace et la fabrication de celui-ci ; une échelle qui permet le faire et le mouvement. «C’est trop petit ! On peut rien faire, on peut même pas faire la roue!» Un enfant de l’atelier Pousses Urbaines Un autre élément contextuel de taille se présente : le cadre des organisations et institutions qui mettent en place le projet. Ce cadre est celui qui permet au projet d’exister. Le Minicitylab du quartier des Quatrans est le fruit de l’initiative de Territoires pionniers, structure culturelle locale appartenant au réseau national des Maisons de l’Architecture. Il s’agit d’organisations qui fonctionnent grâce à l’engagement de leurs membres ainsi qu’à des partenariats publics et privés. Le projet impliquait des consultations avec la ville essentiellement pour des raisons d’autorisation. Cependant, il n’a pas reçu de support logistique de sa part, en dehors de l’intervention d’un agent des services techniques avec les enfants pour les ateliers de fabrication. Le projet Pousses Urbaines, lui, est mené par la Ville de Lausanne. Il est piloté par la délégation de l’enfance mais se voit aussi greffé de différents partenariats. Ainsi, le projet est rejoint par les organisations déjà présentées : l’association Ville en tête ainsi que les agences Plates Bandes communication et TRIBU architecture. L’installation de l’Université Foraine quant à elle, bénéficie d’une convention avec la ville de Clermont Ferrand ainsi qu’avec le PUCA (Plan Urbanisme Construction Architecture), service interministériel français rattaché au Ministère de la transition écologique et solidaire ainsi qu’au Ministère de la cohésion des territoires. C’est l’adjoint à la DAJL et à la politique de la ville, Simon Pourret, qui suggéra une intervention de Patrick Bouchain. Il souhaitait une expertise de ce terrain vacant que la ville pensait barricader et envisageait d’en interdire l’accès. Vint alors s’installer l’Université Foraine de Notre Atelier Commun en réponse à la commande politique des élus de la ville de Clermont Ferrand. Il s’agit donc d’une commande publique auprès d’un atelier d’architecture bien qu’il soit difficile de le qualifier de la sorte puisqu’il rompt les codes de ce qu’on imagine d’une agence d’architectes. D’ailleurs, ce contexte particulier et ses enjeux multiples semblent engendrer une certaine transversalité entre les services et les compétences à laquelle la ville est peu habituée, c’est du moins ce que rapporte le bilan de l’Université Foraine. 73
Enfin, il est un autre élément contextuel dont les projets dépendent : la temporalité, un facteur qui conditionne bien souvent nos conceptions. Tous trois s’établissent sur une même période de dix mois (durée de l’année scolaire pour nos deux premiers cas). Ils divergent ensuite dans la subdivision et le déroulement de ce temps à travers les différentes étapes détaillées. Ce temps, c’est donc celui de l’école pour les enfants de Caen et de Lausanne. Cette monopolisation des heures de classe apparaît comme positive pour les avantages éducatifs procurés par les ateliers. De plus, ce temps est déjà prévu dans la journée des enfants et ne demandent donc pas d’aménagements supplémentaires. Du côté de l’Université Foraine, la monopolisation du temps extrascolaire semble positive également. Le quartier presque «ghettoisé» est parfois le théâtre de dérive sociale des jeunes et les ateliers peuvent capter ces enfants pendant ces temps en manque de cadre. Nous questionnerons de manière plus approfondies cet aspect du temps au regard des limites.
Des caractères reconnaissables ?
Précédemment dans ce travail, j’avançais de multiples intérêts de mettre en place des actions de ce type. Est-ce que ces qualités d’apprentissage, de révélation de la qualité d’espace ou encore d’innovation, se retrouvent dans ces études de cas ? De plus, ce type d’interventions s’avéraient être en faveur de meilleures interactions usagers/concepteurs et intergénérationnelles, le sont-elles vraiment ? Prenons chacun de ces aspects. Premièrement, les enfants ont-ils appris ? Répondre à cette question n’est pas tâche aisée. Premièrement, il semble difficile d’y répondre sur le court terme, l’apprentissage faisant partie d’un long processus. Deuxièmement, il est quelque chose de difficilement mesurable, notamment dans notre remise en question du système éducatif classique. Car, après tout, qu’est-ce qu’apprendre ? Si nous reprenons l’éduquer de educere : «tirez hors de», nos trois projets ont rempli la mission puisqu’ils menèrent les enfants au dehors. De plus, ils les y conduisaient de manière active. Dans le cadre des balades urbaines des projets du quartier des Quatrans et du Pôle Gare de Lausanne, le fait d’inciter les enfants à prendre des notes textuelles et graphiques in situ, les encourageait à prendre conscience de leur environnement . à travers des observations -mais aussi des interactions relatives aux autres sens-, non passives, ils acquirent de manière certaine de nombreuses représentations de l’espace. à noter que le travail sur papier hors classe, à savoir sans son bureau et sa chaise d’écolier personnels, engendrait des détournements d’éléments urbains comme sur la photographie ci-contre.
La table improvisée
[1]
[1] Pousses Urbaines. (2016). Classe 4P, Mme Chomine, collège de Mon Repos. Pôle Gare, place aux enfants ! Restitution de l’édition Pousses Urbaines 2016 et recommandations pour la conception d’espaces publics. p.45.
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De plus, comme déjà énoncé, la sortie du cadre des exercices traditionnels scolaires a permis à certains élèves de s’épanouir plus amplement. La maîtresse de la classe de CM2 de l’école Reine Mathilde de Caen nous le confiait : «Il y a toutes les dimensions scolaires que l’on peut travailler autrement. Donc c’est extrêmement intéressant, parce que des élèves en difficultés paraissent beaucoup moins en difficulté [...] une possibilité de s’ouvrir par le dessin, par l’imaginaire, pour tout le monde». (France 3 Normandie, architecture et enfants : Minicytilab pour le quartier des Quatrans à Caen [feuilleton 2 sur 4], 2017). En outre, le caractère exceptionnel de ces rencontres généra un enthousiasme et une volonté de la part des enfants propices à l’apprentissage, comme nous l’affirmait André Stern au sujet des neurosciences (L’enthousiasme, cet engrais qui fait fleurir l’enfance, 2014). Dans le cadre de l’Université Foraine de Clermont-Ferrand, la terminologie même de l’action résonne avec cette notion d’apprentissage. Patrick Bouchain, qui en est à l’origine, nous l’explique : «Ce que nous faisons, c’est une université sans lieux, sans profs, sans diplômes, sans programme, sans étudiants. [...] Étymologiquement, l’Université, c’est le lieu de réunion de la pensée ; le lieu où celui qui enseigne, à un moment donné devient à un autre celui qui apprend. Tout enseignant apprend de ce que lui renvoient ses étudiants!» (Notre Atelier Commun, L’Université Foraine : Clermont-Ferrand - La Gauthière, 2014). Il s’agit ici d’un apprentissage au sens large, du faire, de l’écoute, de l’échange qui semble avoir porté ses fruits selon le rapport de l’expérience. Sa définition ci-dessus induit également la réciprocité que nous avancions, avec ce renversement hiérarchique de celui qui enseigne par rapport à celui qui reçoit l’enseignement. Enfin, ce fut l’apprentissage de nouveaux outils de représentation : ceux de l’architecte et avec eux, de la notion d’échelle. C’est à dire que les enfants comprenaient que l’on peut représenter l’espace plus petit qu’il ne l’est réellement et qu’on peut parfois chiffrer ce rapport de réduction. Cette acquisition s’est à nouveau faite grâce à la monopolisation active des outils, dans leur emploi interactif plutôt que dans leur contemplation distante. [1] La carte mentale in situ, l’outil sensible
Le plan d’annotation, l’outil à l’échelle [2]
[1] Pousses Urbaines. (2016). Classe 4P, Mme Dumartheray, collège de Mon Repos. Pôle Gare, place aux enfants ! Restitution de l’édition Pousses Urbaines 2016 et recommandations pour la conception d’espaces publics. p.46. [2] Pousses Urbaines. (2016). Classe 5-6P, Mmes Nizzolaz et Donzallaz, collège de la Croix-d’Ouchy. Même source. p.50.
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Ainsi, les enfants semblent avoir appris dans une nouvelle forme d’éducation aux bénéfices certains. Désormais, demandons-nous ce qu’ils apportent potentiellement à la conception. Qu’est-ce que les enfants ont à dire de nos espaces ? Aux premiers abords, la découverte des lieux lors des visites organisées semblait grandement guidée par les interrogations des intervenants : «Comment vous le trouvez cet espace?» «Est-ce qu’on a le même sol que tout à l’heure, quand on était à côté de l’arbre?» «Est-ce qu’il n’y a pas un rond rouge pour dire où on est?» «Est-ce que cette information nous intéresse?» Puis, la parole des enfants prenait place petit à petit. Dans leur dires, dessins, collages et autres productions, deux notions sont omniprésentes et intimement liées. Elles apparaissent dans les divers projets de manière redondantes, ce sont celles du jeu et de la couleur. Voici ci-après, des locutions témoins de l’abondance de ces aspects. Si le jeu est apparu sans surprise, je ne pensais pas que la couleur, éminemment visuelle, serait autant présente dans les observations des enfants. Pourtant, ces remarques font désormais écho avec des commentaires courants de personnes non initiées à l’architecture. En effet, la ville est couramment blâmée dans sa couleur grise face au vert généralement associé à la campagne bucolique. Finalement, ces couleurs sont souvent le support de concepts de représentations individuelles et collectives. Le rouge par exemple, peut être le chaud. Le gris, c’est plutôt le sale ou encore le sombre nous renvoyant au travail de la lumière. Mais ils peuvent aussi se révéler plus subtiles. Cet aspect a cependant présenté des limites lors des ateliers Pousses Urbaines qui se sont intéressés aux questions de handicaps. Certaines visites se sont déroulées avec des personnes atteintes de cécité où il ne pouvait donc pas être question de couleur, reléguant cette dernière derrière des aspects plus matériels.
La couleur :
«Là c’est tout presque marron ou gris.»
«Que la ville soit plus colorée!»
«Sur la place de la Riponne, les drapeaux sont beaux, ils décorent la place, le reste est tout gris et manque de couleurs.»
«C’est sombre, c’est pas très vivant.»
«Pour que les gens ils se disent : qu’est-ce qu’il y a de l’autre côté en rouge?» «Les commerces [...], restent facilement en mémoire pour les enfants d’autant plus si les logos ou devantures sont en couleurs.»
Minicitylab du Quartier des Quatrans de Caen
«Il faut mettre des couleurs plus claires!»
«On voit que la couleur est très présente dans les dessins des enfants.»
Ateliers Pousses Urbaines Pôle Gare Lausanne
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Le Jeu : «Les arbres sont également synonymes de jeux.» «On va en quelque sorte la transformer en grande cour de récré.»
«Les enfants se mettent à jouer au loup ou à cache- cache par exemple. Cet espace entre les voitures et le parking à vélos était un bon endroit pour jouer à ces jeux.»
«Un arbre avec des objets pour jouer avec le vent, qui fait de la musique»
«Les enfants détournent les aménagements publics pour inventer toute sorte de jeux, hors du conformisme des places de jeux.»
«Le terre-plein central de la place au nord de la gare est trop petit et trop encombré pour permettre le jeu.» «Ils ont été supris de ne trouver aucun jeu.»
Minicitylab du Quartier des Quatrans de Caen Ateliers Pousses Urbaines Pôle Gare Lausanne
«Le jeu a saturé le terrain lors de la quatrième rencontre de l’UFO, dédiée à l’enfance.»
[1] Marion Cluzel. (2014). L’université foraine de Clermont-Ferrand / Rencontre autour du “jeu”. Récupéré de marfigram.blogspot.fr
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Finalement, le jeu semble être un outil clé de l’espace urbain. Non pas le jeu dans sa forme figée des installations trop prévues à cet effet, mais bien le jeu spontané plus ou moins possible dans l’espace urbain. Le rapport de l’atelier Pousses Urbaines le précise dans ses recommandations quant à la conception d’espaces publics : «Aucun enfant n’a demandé expressément à installer des jeux fabriqués (type place de jeux) autour de la gare. Ils ont plutôt demandé de l’espace pour pouvoir faire les jeux en groupe qu’ils ont l’habitude de pratiquer» (Pôle Gare, place aux enfants ! Restitution de l’édition Pousses Urbaines 2016 et recommandations pour la conception d’espaces publics, 2017, p.14). Lors de ces ateliers, les accompagnants incitaient même les enfants à vérifier la jouabilité des espaces comme gage de la qualité de ceux-ci. Cela peut mettre en exergue des potentialités d’appropriation. Le rapport le stipule également : «Le détournement d’aménagements publics est un dernier critère favorisant l’appropriation des espaces publics par les enfants. Il signifie avant tout que si les enfants ont une grande capacité à utiliser tout élément de l’espace public pour en faire un jeu, les espaces vides ont plutôt tendance à limiter le jeu spontané» (Même source, 2017, p.27). Ceci convoque à nouveau la notion d’affordance, selon laquelle les aménagements invitent à l’usage ou non. Un enfant de la vidéo de restitution l’évoque pertinemment : «déjà c’était un bon endroit parce qu’on pouvait s’asseoir» (Pousses Urbaines 2016: «Pôle Gare, place aux enfants !», 2017). Pour en revenir au jeu, c’est pour le permette que la maquette de quartier idéal fabriquée par les enfants a totalement proscrit la voiture. En sa présence, ils ne considéraient pas l’espace comme une place publique (qui en est pourtant officiellement une). A l’inverse, les enfants ont joué au sein d’espaces automobiles mal signifiés, sans comprendre qu’une circulation y était possible. Le jeu est aussi synonyme de vie et les enfants ont à plusieurs reprises qualifié les espaces par la présence de personnes ou non : «on se sent en danger parce qu’on est tout seul» ; «Ce n’est pas une place s’il n’y a personne!». Pour conclure, les enfants semblent bel et bien révélateur des pratiques urbaines. Ils le sont à travers ces petites remarques qu’ils nous faut saisir, mais le sont surtout à travers le jeu. Tester la jouabilité d’un espace apparait comme une entrée d’analyse urbaine pertinente ! Ces nombreux caractères relevés par les enfants ont-ils ensuite réellement appuyé la conception de l’espace ? Lors du Minicitylab du quartier des Quatrans, les projets ont bel et bien été réalisés et directement fabriqués par les enfants. Les dessins originaux se sont cependant vus interprétés par Natalie Portier puis soumis aux réalités et contraintes techniques. En tant qu’architecte, nous rencontrons bien souvent ces mêmes étapes d’adaptations où le projet évolue en fonction de contraintes extérieures. à Clermont-Ferrand, c’est la vocation même de l’Université Foraine de prendre en compte la parole des habitants. Il semblerait paradoxal que les propositions de projet s’en émancipe. En ce qui concerne les installations éphémères qui ont pris place tout au long des dix mois, elles étaient directement l’œuvre des habitants et des architectes ensemble. Avec les enfants, ce fut l’occasion d’installer de nombreux supports de jeux improvisés, les prenant donc directement en compte. Puis, les propositions de projet résultantes semblent dûment considérer la jeune génération notamment dans la poursuite de l’attention portée au jeu. Le projet Pousses Urbaines, quant à lui, stipule directement dans sa retranscription vidéo que «ce travail, effectué avec les enfants, a permis d’établir des recommandations pour la conception d’espaces publics.» (Pousses Urbaines 2016: «Pôle Gare, place aux enfants !», 2017). C’est tout l’objet du rapport rédigé doté de «recommandations pour la conception d’espaces publics» afin de «faire place aux enfant». Cette restitution sera directement communiquée aux architectes et urbanistes en charge du projet, dans l’espoir qu’ils l’intègrent pertinemment à leur conception. Par la suite, le projet réalisé pourrait faire l’objet d’une étude visant à mesurer la prise en compte de ce travail préliminaire.
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3.3 - Limites et potentialités
La ou les étape(s) intermédiaire(s) qui s’immisce(nt) entre les productions enfantines et leur considération directe dans la conception, peut déjà constituer une limite. Premièrement, il n’est pas tâche aisée d’interpréter les idées des enfants sans les «dénaturer» comme Natalie Portier le remarque. La restitution de l’atelier Pousses Urbaines semble être un bon moyen de médiation de ces idées. En espérant de la même manière que cette étape supplémentaire n’implique pas une perte de richesse des idées des enfants. Il en va de même au sein de l’Université Foraine lorsque les architectes de Notre Atelier Commun doivent extraire des conclusions d’un an d’émergence d’idées. Pour pallier à cette limite, les démarches mises en place doivent être les plus méthodiques possible. Il ne s’agit pas d’aller chercher une classe d’enfants et de les conduire en balade urbaine passivement. Le processus nécessite une préparation en amont ainsi que des critères de recueil et de restitution définis. Bien que l’Université Foraine, par exemple, laissait place à l’improvisation et à la spontanéité, il m’apparaît désormais qu’il faille coupler cela à une extrême rigueur dans l’interprétation de ces fabrications impromptues. Finalement, la spontanéité inhérente à l’enfant est une richesse qui n’est exploitable qu’avec rigueur. La deuxième limite observable, est celle du cadre organisateur. Les trois projets sont plus ou moins en lien avec les élus des Villes, mais dépendent chacun de structures culturelles et associatives. Aujourd’hui, bien que les Villes initient ces actions, ces dernières encore alternatives n’existent que par le biais d’organismes aux convictions fortes. Elles doivent donc susciter un intérêt auprès de structures plutôt engagées et nécessitent une médiation importante qui n’est pas toujours évidente si l’on n’a pas la renommée de Patrick Bouchain. Mon choix d’étudier l’Université Foraine en témoigne. Si je me suis consacrée à ce projet, c’est parce qu’il a suscité de grands intérêts avant le mien, à l’origine de plusieurs retours et rapports exploitables. La démarche a d’ailleurs elle-même pris de l’ampleur au cours de ces dix mois d’application, grâce à une communication vectrice d’attraits extérieurs. L’outil de la médiation apparaît comme primordial. De plus, ce cadre d’organisation demande des démarches de partenariat complexes. Ils font appel à différents acteurs de différents horizons qui doivent se coordonner dans des manières de faire inhabituelles. Les actions dont nous parlons, requestionnent les mises en place et acteurs traditionnels de projets ainsi que leur financement. Puis, une autre limite émerge : celle du temps. En effet, les actions observées se mettent en place sur des temporalités différentes de la majorité des projets architecturaux et urbains contemporains. Elles prennent le temps des rencontres. C’est tout le propos du questionnement porté par Patrick Bouchain, support même de la fondation de Notre Atelier Commun. C’est finalement le temps qui renoue avec l’humain mais qui nécessite des mises en place d’organisations plus complexes. à la Gauthière, cet investissement sur la durée a également impliqué l’installation des deux architectes pilotes telles de réelles habitantes. Ceci nous amène à une autre limite liée à celle du temps, de l’ordre de l’investissement personnel des concepteurs. Bien que les trois projets ne présentent pas tous ce cas extrême, il est important de le notifier. Le rapport de l’Université Foraine le mentionne : «C’est aussi parfois ressentir le besoin de s’ échapper, les journées sont intenses et il est parfois difficile de décrocher quand la fenêtre de votre salon donne sur le terrain du projet. lI faut donc savoir partir, aller voir ce qui se passe ailleurs, les âmes des autres villes, leurs espaces publics et leurs architectures, pour mieux revenir» (2014, p.27). Cette implication fut aussi à l’origine d’un élargissement de la tâche des architectes qui devenaient tantôt animatrices, tantôt médiatrices sociales et endossaient ainsi un rôle qu’elles n’avaient pas initialement vocation à jouer. Ceci requestionne la posture de l’architecte dans les cadres particuliers qui nous intéressent. Le quatre page du PUCA en questionne également la «généralisation ou du moins la reproductibilité de ce type de démarches» (Béatrice Durand, Questionner le verrou du programme : L’université foraine de Clermont-Ferrand, La Gauthière, Le quatre page, p.4).
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Enfin, le Minicitylab du quartier des Quatrans de la ville de Caen amène la limite de la durabilité des installations des enfants. On peut aussi poser cette question au sujet des multiples structures temporaires qui ont vu le jour au cœur de l’îlot de la Gauthière. Si l’agglomération caennaise subit de grandes transformations urbaines, l’action menée par Territoires Pionniers s’établit à plus petite échelle et de manière plus éphémère. Bien que les hôtels à insectes construits par les enfants ont vocation à rester le plus longtemps possible, les guirlandes débordants sur les balcons des habitants se verront sûrement décrochées dans une plus courte durée. Cependant, cette limite n’en est une que si l’on ne considère pas la valeur de la construction éphémère. Or, les apports théoriques de ce mémoire nous avaient amenés à vouloir valoriser le processus face à l’objet fini et la démarche face à la finalité. Le projet prend alors tout son sens et la conceptrice Nathalie Portier nous en fait part lors du reportage mené par France 3 Normandie : «C’est pas forcément les grosses interventions qui vont changer la qualité, à mon avis, de la ville et faire de la qualité urbaine. Mais des fois, ce sont des tous petits riens qui font qu’à un moment ça apporte de la poésie dans la ville.» (Architecture et enfants : Minicytilab pour le quartier des Quatrans à Caen [feuilleton 4 sur 4], 2017). Finalement, il n’y a pas de transformation foncière de la ville mais le projet apporte une festivité locale certaine, dans un cadre vivant favorable à l’enfant. D’ailleurs, lorsque les projets des enfants se heurtaient aux limites du domaine privé/public dont ils n’avaient pas nécessairement conscience, on avait demandé l’avis direct des habitants avant d’abandonner complètement leurs idées. Or, les résidents ont accepté avec joie d’étendre les guirlandes des enfants jusqu’à leurs balcons. C’est là qu’on aperçoit le fait que la dimensions humaine peut prévaloir sur les limites des cadres légaux et d’organisation. Ainsi, nos trois projets sont de ceux qui font place à l’humain et au processus de fabrication de l’espace en commun, le tout dans des temporalités nouvelles. Ces notions fondamentales qui caractérisent ce type d’interventions sont à requestionner dans notre conception contemporaine où chaque limite évoquée peut être le théâtre de potentialités.
Les festivités [1]
L’inauguration récréative [2] [1] Territoires pionniers I Maison de l’architecture - Normandie. (2017). Rendez-vous festif et inauguration des installations artistiques éphémères avec la fanfare demi-écrémé. Récupéré de www.territoirespionniers.fr [2] L’Université Foraine. (2014). Fête de l’université Foraine // Apigné. Récupérée de universiteforaine.over-blog.com
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• I Conclusion
Le dessin de la ville contemporaine ne prend résolument pas en compte les enfants qui y déambulent. Et pour cause, de multiples frontières s’y matérialisent. Premièrement, c’est la frontière intergénérationnelle qui fait défaut tant à l’enfant qu’à l’adulte. En effet, nos conceptions occidentales modernes de l’enfance renvoient cette période déterminée à un espace-temps de latence. L’enfant est considéré tel un adulte en devenir et non tel un citoyen à part entière. S’instaure dès lors une hiérarchie de l’adulte qui sait par rapport à l’enfant immature qui ne sait pas et qui n’a donc pas vocation à donner son avis. Cette supériorité transparaît dans la conception urbaine d’une ville où le travail et le déplacement automobile priment. Cette hégémonie de la voiture exclue en effet directement les enfants par définition non-motorisés et inactifs. De plus, elle entrave leur déambulation piétonne, potentiel support de leur développement psychomoteur. L’enfant s’est ainsi petit à petit retiré de l’espace public au profit de la sphère privée et du domicile. C’est là que nous observons concrètement cette frontière intergénérationnelle dans la ville. En effet, cette dernière rejette les minorités qu’elle accueille mal, dans des espaces programmatiques spécifiques et hermétiques à l’espace urbain. Une seconde frontière vient se greffer à cela : celle de celui qui dessine l’espace (l’architecte, l’urbaniste) avec celui qui en fait usage (l’habitant). Elle est à l’origine de conceptions inadaptées et donc difficilement habitables. Finalement, nos deux notions que sont l’enfant et l’architecture se rejoignent dans leur objétisation qui s’avère problématique. Entre l’enfant projet de ses parents et l’architecture enfant de son dessinateur, les projections trop fortes de leurs concepteurs font défaut à chacun d’eux. Le problème apparaît finalement lorsque la finalité (l’enfant comme le futur adulte et le projet comme future œuvre objet) prévaut sur le processus (le développement psychomoteur de l’enfant et la démarche d’élaboration du projet architectural). Mettre en place une conception participative avec les enfants serait ainsi le moyen de revaloriser ce processus, tant celui de l’épanouissement de l’enfant que celui des projets architecturaux et urbains plus adaptés à leurs habitants. De telles démarches auraient des intérêts pluriels, tant en faveur de l’éducation au sens large qu’en faveur de la conception. La discipline architecturale possède des qualités certaines dans son rapport à l’espace et ses représentations, dont les enfants pourraient bénéficier. La mise en place de nombreux ateliers de sensibilisation à l’architecture ou encore de cours d’architecture destinés aux enfants nous le confirme. Ainsi, entre explorations urbaines et productions diverses de graphiques et maquettes, les enfants enrichissent leur facultés cognitives et psychomotrices. En outre, l’éducation traditionnelle semble se priver d’un outil de taille : celui du jeu. Il apparaît important de le remettre en place, d’une part dans l’espace publique et d’autre part aux cours de ces temps d’instruction (scolaires ou par le biais de ces ateliers extrascolaires). Si les enfants peuvent apprendre de l’architecte, ce dernier peut également beaucoup apprendre d’eux. La jeune génération, immature psychiquement et socialement, peut apporter un regard novateur. Les enfants sont en effet bien souvent révélateurs de nos pratiques urbaines et du degré d’appropriation de l’espace. Dès lors, qu’attendons nous pour entendre cette parole enfantine ? Cette écoute s’inscrirait, tant dans une reconnexion entre le concepteur et l’usager, qu’intergénérationnelle. Ceci se dresse alors face aux frontières décriées. Une telle démarche, certains organismes et concepteurs l’ont initiée. Des projets invitant directement les enfants à concevoir ont ainsi vus le jour. Trois d’entre eux on fait l’objet d’une étude comparative dans ce travail. Ces projets prenaient place dans les villes de Caen, de Lausanne et de Clermont-Ferrand. Il s’agissait d’en comprendre les conditions de mise en place, les contenus et les issues. Malgré leurs divergences contextuelles, ce sont essentiellement sur leurs similitudes que ces projets m’ont permis de tirer des conclusions. Premièrement, les enfants qui ont participé à chacun d’eux ont permis une approche singulière des lieux. Ils furent de réels révélateurs de la qualité de l’espace urbain, et ce, principalement à travers la notion du jeu. S’il y a bien une terminologie à retenir de ce travail de mémoire, c’est celle du jeu. Le jeu qui doit être rendu possible dans l’espace public, le jeu comme impératif éducationnel, le jeu 89
révélateur de nos pratiques urbaines ou encore le jeu qui réconcilie adultes et enfants tels les tableaux de Brueghel l’Ancien (XVIème siècle). Cette réconciliation intergénérationnelle s’est d’ailleurs opérée au sein de chacun des projets, tant entre les adultes organisateurs et intervenants, qu’avec certains parents. Beaucoup des qualités prônées précédemment se sont donc retrouvées dans la pratique. Finalement, ils se rejoignent dans leur valorisation du processus face à la finalité. Toutefois, ces démarches encore alternatives présentent des cadres particuliers. Ces derniers remettent en cause des manières habituelles de fonctionner tant conceptuelles que logistiques. Ainsi, les projets perturbent des procédés très ancrés et posent la question de leur reproductibilité. Parmi ces renversements, le rôle de l’architecte est lui aussi remis en question. Ces projets impliquent une nouvelle posture du métier, qui pose question quant à nos futures pratiques professionnelles. Ne faut-il pas envisager un nouveau profil architecte-éducateur ? Il s’agirait là d’une redéfinition de notre travail tentant adopter une posture plus didactique. Ainsi, la pluridisciplinarité des formations déjà entreprises par les écoles supérieures d’architecture, ne pourrait-elles pas s’étendre aux sciences de l’éducation ? Finalement, les architectes dont nous avons suivi le travail au cours des projets étudiés ont revêtu ce costume de l’éducateur qu’ils y aient été formés ou non. Enfin, la création d’une telle filière serait un premier pas vers la mise en place d’actions telles que celles observées, ouvrant la porte à leur reproductibilité et pourquoi pas à leur généralisation.
[1] Marion Cluzel. (2014). L’université foraine de Clermont-Ferrand / Rencontre autour du “jeu”. Récupéré de marfigram.blogspot.fr
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• I Liste de références
Bibliographie
Les références bibliographiques qui suivent, recensées selon les normes APA 6, sont le fruit d’une captation pluridisciplinaire. Dans une cohérence de propos où je prône l’échange des savoirs, j’ai puisé mon travail dans des sources hétéroclites. Vous trouverez ainsi, dans cette liste de références, des auteurs architectes, urbanistes, psychologues, sociologues, anthropologues, philosophes, journalistes, professeurs de littérature ou encore des sciences de l’éducation, en passant par des poètes et jusqu’à notre cher écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry avec son fameux Petit Prince qui guide bien souvent ma pensée. - Andrieu, E. Brouard, A. (2014, 19 mars). Enfants des villes, enfants des champs. Récupéré de https://www. franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/enfants-des-villes-enfants-des-champs - Bachelard, G. (1957). La Poétique de l’espace. Paris, France : Les Presses universitaires de France. - Blanchet, P. interrogé par France Culture. (2017, 6 novembre). Discrimination par le langage : une violence méconnue. [audio]. Récupéré de https://www.franceculture.fr/conferences/universite-bretagne loire/discrimination-par-le-langage-une-violence-meconnue - Boutinet, J.P. (1990). anthropologie du projet. Paris, France : Presses Universitaires de France. - Boutinet, J.P. (1993). Psychologie des conduites à projet. Paris, France : Presses Universitaires de France. - Brien, Y. (dir), Grandin-Maurin, C. (dir), Auxent, B., Berruyer Steinmetz, I., Beseme, O., Brun, E.,...Miller, F. (2013). L’éducation à l’architecture, à la ville et aux paysages. Outils et actions conçus par les CAUE. Paris, France : édition de La Fédération Nationale des CAUE (FNCAUE). - Caradec, V. (2008, mars). « Jeunes » et « vieux » : les relations intergénérationnelles en question. Agora débats/jeunesses, 49, 20-29. Paris, France : Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.). - Cluzel, M. (2014, 26 novembre). L’université foraine de Clermont-Ferrand / Rencontre autour du “jeu” [billet de blogue]. Récupéré le 6 décembre 2017 du blogue de l’auteur : http://marfigramblogspot.fr /2014/11/luniversite-foraine-de-clermont-ferrand.html - Commission européenne, DG Environnement. Bochu, C. Schollaert, U. (2002). Villes d’enfants, villes d’avenir. Récupéré de http://www.ruedelavenir.com/wp-content/uploads/2013/06/kids_on_the_move _frvilles-avenir.pdf - De Botton, A. (2007). L’Architecture du bonheur. Paris, France : Mercure de France. - De Saint-Exupéry, A. (1945). Le Petit Prince. Paris, France : éditions Gallimard. - Desage, F. (2015, 27 novembre). « Enfantillages » : photographier les enfants (et leurs parents) dans l’espace public. Métropolitiques. Récupéré de http://www.metropolitiques.eu/Enfantillages-photographier les.html
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Filmographie
La liste qui suit est le résultat d’une inspiration cinématographique. Je cite certains de ces films au cours de mon raisonnement et l’ensemble participe de toute évidence à mon travail thématique. Bien que ce mémoire tente d’objectiviser le propos, il ne peut s’affranchir d’une culture personnelle. Ainsi, chaque enfant de chacun des films suivant, a sans aucun doute influencé mon travail. - Abrahamson, L. (2015). Room. Canada. Irlande. Gross, D. Guiney, E. Element Pictures. Film4. No Trace Camping. 118min. - Anderson, W. Moonrise Kingdom. états-Unis. Anderson, W. Dawson, J. Rudin, S. Rales, S.M. American Empirical Pictures. Indian Paintbrush. Moonrise. Scott Rudin Productions. 94min. - Benigni, R. (1997). La Vie est belle. Italie. Ferri, E. Braschi, G. Melampo Cinematografica. Cecchi Gori Group Tiger Cinematografica. 116min. - Cantet, L. (2008). Entre les murs. France. Benjo, C. Scotta, C. Letellier, B. Haut et Court. 128min. - Chaplin, C. (1921). The Kid. états-Unis. Chaplin, C. 68min. - Daldry, S. (2000). Billy Elliot. Royaume-Uni. Brand, C. Brenman, G. Finn, J. Ross, T. Tompson, D.M. Wharton, N. 111min. - Forster, M. (2004). Neverland. états-Unis. N.Gladstein, R. Bellflower, N. Miramaw Films. FilmColony. 101min. - Jennings, G. (2008). Le Fils de Rambow. France. Allemagne. Royaume-Uni. Hammer & Tongs. Celluloid Dreams. Network Movie Film-und Fernsehproduktion. Reason Pictures. Good Film Productions. Soficinéma 2. Soficinéma 3. ZDF. Arte France Cinéma. 96min. - Niccol, H. (1997). Bienvenue à Gattaca. états-Unis. DeVito, D. Shamberg, M. Sher, S. Columbia Pictures. Jersey Films. 106min. - Osborne, M. (2015). Le Petit Prince. France. Rassam, D. Soumache, A. Vonarb, A. On Animation Studios. Onyx Films. Mikros Image. Orange Studio. On Entertainment. Paramount Animation. 106min. - Philibert, N. (2002). être et avoir. France. Sandoz, G. Lalou, S. Maïa Films. Les Films d’ici. 104min. - Ross, M. (2016). Captain Fantastic. états-Unis. Patricof, J. Howell, L. Levinson, M. Rawat, S. Electric City Entertainment. ShivHans Pictures. 118min. - Ruggia, C. (1998). Le Gone du Chaâba. France. Algérie. Les Films du Jour. Doriane Films. 96min. - Samuell, Y. (2011). La Guerre des boutons. France. Du Pontavice, M. Gledhill, M. One World Films. 95min. - Tati, J. (1958). Mon Oncle. France. Italie. Specta Films. Gray Films. Alter Films. Film del Centauro. 110min. - Wheatley, B. (2015). High-Rise. Royaume-Uni. Thomas, J. Recorded Picture Company. 119min. - Webb, M. (2017). Mary. états-Unis. Cohen, A. Lunder, K. Basner, G. FilmNation Entertainment. 101min. 99
«être ensemble et construire des choses ensemble.» Un enfant du Minicitylab du quartier des Quatrans de Caen
Les Enfants Bâtisseurs
Célia Bouzereau
Mémoire d’initiation à la recherche
Notre ville contemporaine, héritière des pensées rationalistes et fonctionnalistes, offre une place plus que privilégiée à l’automobile, excluant directement l’enfant, par définition inactif et non-motorisé. Elle est une ville révélatrice de frontières multiples, telles les frontières intergénérationnelles ou encore celles qui s’immiscent entre concepteurs et usagers. Comment réinventer cette ville qui a matérialisé ces frontières ? Qui a oublié sa flexibilité au profit d’espaces programmatiques spécifiques des plus cloisonnés (l’école, la maison de retraite, l’aire de jeu ou encore le domicile et ses multiples portes à digicodes)? Comment passer de ces frontières séparatives à interactives ? Je propose pour cela, de donner directement la parole aux enfants qui, créatifs et dénués de certains codes sociaux, ont une forte prédisposition à l’innovation. Élargir la conception participative aux enfants, ce serait agir, tant dans un intérêt éducatif, qu’en faveur de la qualité de conception, et donc dans une certaine réciprocité qui remet en cause la conception architecturale actuelle à sens unique. C’est ce qu’ont mis en place certains architectes à travers les projets présentés dans ce travail. Observons comment ils ont invité les enfants à concevoir, reconnectant adulte et enfant mais aussi concepteur et habitant de la ville.
Our contemporary city, as a legacy of rationalism and functionalism, gives a privileged place to cars, excluding directly children, by definition non-working and non-driving citizens. This city reveals several frontiers, such as intergenerational ones or even frontiers between designers and inhabitants. How to reinvent this city which has materialized those frontiers ? Which has forgotten its flexibility in favour of too specific functions and very closed spaces (schools, retirement homes, playgrounds or even residences and their several doors with entry codes) ? How to transform those frontiers from separation to interaction ? I suggest to give the floor to children who have, thanks to their creativity and their lack of social codes, a great capacity for innovation. Expand participatory design to children would be in favour of education and of the quality of the design at the same time, so in a reciprocity which question the unidirectional actual architectural design. This is what some architects have tried through the projects presented in this research work. Let’s observe how those projects have invited children to design, connecting again adults and children but also designers and inhabitants of the city.
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