70E ANNIVERSAIRE DE L’INSCRIPTION DE LA 3 E ASSEMBLÉE DE LA RÉPUBLIQUE DANS LA CONSTITUTION
1946-2016
CONSEIL ECONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
Il est donc de fait qu’un avis émanant du Conseil économique peut avoir une influence déterminante sur une loi. Cette influence ne saurait léser en rien la souveraineté de l’Assemblée nationale qui reste maîtresse de ses décisions finales. (...) Ce caractère préalable de l’avis du Conseil économique lui assure plus de force en même temps qu’il lui facilite la tâche.
Léon Jouhaux en août 1947,
Président du Conseil économique de 1947 à 1954
SOMMAIRE FRANÇOIS HOLLANDE, Président de la République
6 PATRICK BERNASCONI, Président du Conseil économique, social et environnemental
8 GÉRARD LARCHER, Président du Sénat
10 CLAUDE BARTOLONE, Président de l’Assemblée nationale
11 DU CONSEIL ÉCONOMIQUE AU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
12 L’ESPRIT DES CONSTITUANTS DE 1946
20 LE CONSEIL ÉCONOMIQUE DE 1947 LES FORCES VIVES EN ACTION
26 LE CONSEIL ÉCONOMIQUE UN ACTEUR ENGAGÉ DE LA RECONTRUCTION
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©Présidence de la République - L.Blevennec
François Hollande Président de la République française
Vous êtes l’une des expressions de la vitalité de notre société, de la variété de ses formes, de la multiplicité des engagements, des sensibilités. Au Conseil économique, social et environnemental s’agrègent toutes les France qui font la France. La France du travail d’abord qui veut concilier justice sociale et performance économique. La France des salariés dont je sais la grande qualification et en même temps dont je mesure les attentes et parfois les inquiétudes. La France des entreprises dont je connais les performances mais aussi les difficultés face aux défis de l’économie mondialisée. La France des agriculteurs, des commerçants, des artisans, des professions libérales, des acteurs de l’économie sociale et solidaire, vous tous devant moi.
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Au Conseil économique, social et environnemental s’agrègent toutes les France qui font la France.
La France de l’engagement, celle du mouvement associatif, du mouvement familial, des bénévoles. A cette France-là je veux exprimer aussi ma reconnaissance, ma volonté d’explorer toutes les pistes qui permettront d’instituer enfin un véritable statut pour les bénévoles même si les bénévoles ne demandent rien d’autre que de servir leur pays et en même temps peuvent-ils échapper à toute protection et à toute reconnaissance ? Je suis devant la France des territoires, à travers les Conseils économiques, sociaux et environnementaux des régions et je tiens également à ce que la force de leurs propositions soit mieux utilisée, mieux organisée. La France de toutes les générations, des plus jeunes à ceux qui représentent les plus anciens, l’alliance des âges que j’ai revendiquée tout au long de ces derniers mois. Car mon ambition dans ce quinquennat c’est de faire que dans notre France les enfants vivent mieux que leurs parents, faire en sorte que la génération qui arrive puisse réaliser le rêve de celle qui s’efface où en somme le mot, la notion même de progrès retrouvera tout son sens. Le Conseil économique, social et environnemental (…) traduit l’esprit du dialogue et un rôle irremplaçable, celui du rassemblement (…) J’ai besoin, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, de votre engagement, de ce que vous représentez, de votre liberté, de votre indépendance, de vos exigences mais, en même temps, de votre capacité de vous organiser, comme vous le faites ici, dans une société qui est capable de se parler. Le message que j’ai voulu vous transmettre en venant ici devant vous, devant ce Conseil, est simple : ensemble, nous devons redresser la France. Nous avons à la réconcilier avec elle-même et nous avons besoin de la contribution de tous.
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
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Le Conseil économique, social et environnemental devient de plus en plus moderne à mesure qu’il prend de l’âge.
Le Conseil économique, social et environnemental devient de plus en plus moderne à mesure qu’il prend de l’âge. J’en veux pour preuve que notre conseil fut d’abord économique par la Constitution de 1946 que nous célébrons, puis économique et social en 1958, et enfin économique, social et environnemental en 2008. À chaque évolution institutionnelle de notre pays, et non des moindres en 1958, le CESE a vu le champ de ses compétences s’élargir.
Patrick Bernasconi
C’est là le signe d’une reconnaissance ; c’est là le signe d’une responsabilité, mais aussi d’une place particulière : celle de troisième assemblée de la République.
Président du Conseil économique, social et environnemental
Cette assemblée occupe aujourd’hui pleinement le rôle que lui a attribué la Constitution de 1958, à travers trois articles ; une place légitime et indispensable pour le fonctionnement de la démocratie : l’expression de la société civile organisée. C’est là sa responsabilité. Cette place de troisième assemblée de la République lui impose de donner son avis au gouvernement notamment sur les projets de lois, qui lui sont soumis par les pouvoirs publics, l’Assemblée nationale ou le Sénat, sur les champs qui sont les siens : l’économique, le social, l’environnemental. Se faire entendre, le CESE peut aussi le faire. Il peut interpeller. Il peut s’autosaisir d’une question qui préoccupe la société et qui s’exprime à travers les adhérent.e.s des différentes organisations qui le composent. L’assemblée joue alors un rôle d’alerte et d’influence pour inciter le gouvernement à mettre en œuvre une politique publique. La loi, expression de l’autorité souveraine… Que serait-elle si elle n’avait pas en amont été préparée ? Que serait-elle si ses concepteur.rice.s n’avaient pas en amont entendu ce que pouvaient en penser les citoyen.ne.s ? Comment la loi pourrait-elle s’imposer à tous les individus si ses concepteur.rice.s n’avaient pas préalablement pris la peine d’appréhender le besoin, la nécessité de la société et sa capacité à accepter la règle contraignante et opposable à chacun ? Qu’en serait-il d’une démocratie où les besoins de la société ne seraient pas entendus, où des règles lui seraient imposées sans qu’elles ne soient considérées comme justes et nécessaires ? Quel pourrait être le résultat du mépris et de l’indifférence d’un gouvernement qui, au-delà des élections, ne serait plus à l’écoute pour mener le pays dans une direction considérée comme essentielle pour tous ? Soumettre, consulter, écouter, prendre en considération sont autant de
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garanties et de principes politiques qui permettent la cohésion de la société et l’équilibre de la nation toute entière. Cette responsabilité qui est celle du CESE comme expression de la société civile organisée est celle d’être la représentation d’une « petite France », dans toutes ses composantes. Le CESE ne représente pas la.le citoyen.ne dans son individualité, dans son besoin de travailler, de vivre un territoire avec ses écoles, ses établissements sportifs, de vivre son emploi, sa santé. Cette expression-là se matérialise dans le bulletin de vote qu’elle.il met dans l’urne en faveur de sa.son maire, de sa.son député, de sa.son sénateur.rice, de la.du Président.e de la République. Le CESE pour sa part représente la traduction par le collectif de l’expression citoyenne. Mais l’expression de ce que chacun attend de l’avenir et du quotidien est essentielle. C’est au corps politique qu’elle s’adresse. Cette expression individuelle ne crée pas ce que je pourrais appeler communément le « vivre ensemble », un « corps civil » en mesure de se faire entendre par le « corps politique ». Ce que représente le CESE est justement l’expression de cette pluralité dans une unité construite, celle de l’intérêt général. Elle est l’assemblée dans laquelle les intérêts collectifs se confrontent pour se dépasser et produire les bases du « bien vivre ensemble » ou, mieux encore, du « faire ensemble ». La réforme constitutionnelle de 2008 est allée plus loin encore dans le rôle confié à notre assemblée : le devoir de se saisir des pétitions citoyennes dès lors qu’elles réunissent 500 000 signataires. Il s’agit d’un droit dont bénéficient les personnes résidant régulièrement en France et dont elles doivent pouvoir mieux disposer. Jusqu’alors, le droit de pétition était en France sans réelles conséquences. Or cette expression doit être écoutée ; il s’agit du droit à l’expression directe. Il n’est d’ailleurs pas nécessairement question de revendication ou de protestation mais de « messages » qui enseignent sur les préoccupations d’une société, sur un débat qui monte, sur une idée qui s’impose, sur une cause qu’il serait bon de défendre. Le CESE est l’assemblée qui a la légitimité et l’obligation de s’en saisir. Cette obligation, le CESE va désormais s’y conformer en tenant compte des évolutions de notre société et non pas en tentant d’adapter les pratiques de notre société à des règles anciennes. Ce sont nos 70 ans que nous fêtons et mon ambition pour le CESE aujourd’hui, pour l’avenir, est d’être ce qu’il est : résolument moderne, résolument ancré dans la société civile, résolument et profondément démocratique. LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
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Le conseil joue un rôle de premier plan pour la promotion du dialogue social.
Gérard Larcher Président du Sénat
« Le Conseil économique et social est, auprès des pouvoirs publics, une assemblée consultative. Par la représentation des principales activités économiques et sociales, il favorise la collaboration des différentes catégories professionnelles entre elles et assure leur participation à la politique économique et sociale du gouvernement ». C’est le premier article de l’ordonnance du 29 décembre 1958 mettant en œuvre la Constitution du 4 octobre 1958. Article qui consolide la place du Conseil économique et social telle que l’avait définie la Constitution du 27 octobre 1946 : assemblée consultative, issue de la société civile dont les travaux éclairent tant le pouvoir exécutif que le pouvoir législatif. Confrontée aux contraintes nées de la mondialisation mais aussi aux exigences de la solidarité et de la cohésion sociale, notre société est aujourd’hui à la recherche de nouveaux équilibres. La société civile souhaite mieux se faire entendre et participer plus directement à la définition des grands choix politiques. En dehors de toute démarche partisane, le Conseil économique, social et environnemental depuis la réforme constitutionnelle de 2008, conseille, par ses rapports et ses avis, les élus de la nation. Assemblée du premier mot, expression de la société civile, il apporte ainsi sa contribution à l’élaboration des politiques publiques. Il est l’instrument privilégié de nos concitoyens pour faire remonter leurs aspirations et leurs analyses au niveau politique. Le conseil joue également un rôle de premier plan pour la promotion du dialogue social. Ce dialogue social dont chacun s’accorde à penser qu’il est insuffisant dans notre pays et que cela rend plus difficile la mise en œuvre des réformes. Or, notre histoire politique et sociale nous montre combien les compromis trouvés par les partenaires sociaux sont, en général, le meilleur instrument pour faire évoluer, sans heurts et sans crispations inutiles, notre modèle social. Par sa composition, par son mode de fonctionnement, le CESE permet aux acteurs économiques et sociaux de confronter leurs points de vue, donc de dégager des pistes de réformes. Cette fonction essentielle pour promouvoir une culture de la négociation et du compromis est appelée à se développer. Ce sera un des enjeux de demain pour le CESE : être un des lieux privilégiés du dialogue social et trouver ainsi toute sa place dans cette articulation entre démocratie sociale et démocratie politique au service du progrès économique et social.
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Le Conseil économique, social et environnemental incarne dans nos institutions deux principes fondamentaux de notre démocratie : la diversité et le dialogue. C’est un bel anniversaire que nous célébrons cette année. Depuis soixantedix ans, le Conseil économique, social et environnemental incarne dans nos institutions deux principes fondamentaux de notre démocratie : la diversité et le dialogue. La diversité, évidente dans la composition même du conseil, c’est celle de la société française – cette richesse qui anime et nourrit notre pays au quotidien. C’est celle des professions, des entreprises, des associations, des personnalités, des territoires de la République, à laquelle le CESE donne un visage en même temps qu’une voix. C’est le pluralisme des points de vue, au service d’une réflexion en constant approfondissement. C’est la confrontation des expertises, rassemblées dans la recherche de l’intérêt général et l’élaboration de recommandations averties, aptes à guider l’action commune. Le CESE, c’est aussi le lieu du dialogue, qui est au fondement de toute vie démocratique. Un dialogue vivant, qui rassemble les acteurs dans une démarche commune de délibération éclairée autour des grands enjeux de notre société. Un dialogue efficace, puisqu’il crée les conditions réelles d’une réflexion poussée, à la hauteur des défis de notre temps. Un dialogue harmonieux, marqué par une véritable science du compromis, du consensus, sources les plus sûres de la concorde. Un dialogue exigeant, aussi, dans ce qu’il implique de réflexion sur la durée, de recul par rapport au temps médiatique, de hauteur de vue.
Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale
Il ne serait pas étonnant qu’après soixante-dix ans d’un tel travail, le CESE ait acquis quelques cheveux blancs. Et pourtant, les défis qui sont les siens, ceux d’une société en constante évolution, lui assurent une perpétuelle jeunesse. Aux côtés de l’Assemblée nationale, le CESE a toute sa place. Je forme le vœu qu’il en ait plus encore demain et qu’il s’impose comme l’assemblée du temps long, la chambre de la préparation de l’avenir.
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
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du Conseil ĂŠconomique
au Conseil ĂŠconomique, social et environnemental
Après diverses expériences sous l’Ancien Régime et à la fin de la IIIe République, c’est en octobre 1946, dans la continuité notamment des principes proclamés dans le programme du Conseil national de la Résistance, qu’une institution représentative des intérêts économiques et sociaux, le Conseil économique (CE), est consacré par un texte constitutionnel. Le Conseil économique et social (CES) lui succèdera en 1958. Il est devenu Conseil économique, social et environnemental (CESE) à la faveur de la révision constitutionnelle de 2008. C’est donc l’histoire condensée de ces 70 dernières années, celle de l’ancrage de cette assemblée consultative de la société civile organisée dans les institutions de la République, qui est ici retracée.
Les prémices de la représentation des intérêts économiques et sociaux L’ancien Régime utilisait déjà largement des procédures de consultation des intérêts économiques, souvent mêlées aux institutions communales : auprès du roi, un Bureau de commerce fut ainsi créé en 1664 puis organisé en commission extraordinaire du Conseil du roi ; il comprenait, à côté des membres du Conseil, des députés du commerce et des fermiers généraux. Au nom de l’égalité, la Révolution française supprima, à la fois, les privilèges et les corps intermédiaires, les corporations notamment1, afin de ne reconnaître qu’une seule expression de la souveraineté nationale, celle issue de l’élection des représentant.e.s de la nation. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, dans son article 3, affirme ainsi que : « Le principe de toute souveraineté nationale réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». Après la Révolution de gouvernement provisoire
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1 Loi Le Chapellier du 14 juin 1791.
1848, crée
le la
« Commission du Luxembourg », placée sous la présidence d’un membre du gouvernement (Louis Blanc) assisté de l’ouvrier Albert. Elle avait pour mission d’« étudier ardemment et de résoudre un problème posé aujourd’hui chez toutes les nations industrielles de l’Europe » en s’occupant « du sort des travailleurs ». Composée de plus de 500 personnes, représentant les différents corps de métier, sur la base d’une parité entre patron.ne.s et ouvrier.ère.s, elle pouvait proposer à l’Assemblée des mesures importantes comme la réduction d’une heure de la journée de travail2. Après diverses tentatives infructueuses, c’est le gouvernement du Cartel des gauches présidé par Edouard Herriot qui, par un décret du 16 janvier 1925, créa un Conseil national économique (CNE) chargé d’« étudier les grandes questions intéressant la vie économique du pays ». Placé auprès de la présidence du Conseil, il comprenait 47 membres titulaires représentant les intérêts du capital, du travail et de la population. Il était présidé par le président du conseil, qui pouvait proposer les sujets mis à l’étude conjointement avec le conseil lui-même. Alors que la crise rendait plus nécessaire que jamais l’expression des intérêts économiques et sociaux auprès des 2 Décret du 2 mars 1848.
DU CONSEIL ÉCONOMIQUE AU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
©gallica.bnf.fr_agenceMeurisse
pouvoirs publics, le Parlement adopta, le 19 mars 1936, en réponse aux souhaits des organisations syndicales et des milieux économiques une loi portant « nouvelle organisation du Conseil national économique ». Un décret-loi du 14 juin 1938 modifiera ensuite, en particulier, sa composition. L’effectif du conseil passa à 173, puis à 260 membres nommés pour trois ans. La parité était établie entre chef.fe.s d’entreprises et salarié.e.s. Il pouvait transmettre ses recommandations au Parlement et arbitrer les conflits économiques à la demande des parties concernées. Après la transformation des conventions collectives en véritables « lois professionnelles »3, le conseil s’est, par ailleurs, vu reconnaître un rôle dans leur élaboration. La guerre conduisit le gouvernement à suspendre, par un décret du 16 octobre 1939, le fonctionnement du CNE. Le même décret créait toutefois un Comité permanent plus restreint (21 membres) chargé de conseiller le gouvernement sur les questions économiques. Le régime de Vichy supprima l’un et l’autre par la loi du 30 décembre 1940.
Le Conseil économique (1946-1958) La Constitution du 27 octobre 1946 affirme, dans son article 25 : « Le Conseil économique, dont le statut est réglé par la loi, examine pour avis les projets et propositions de sa compétence. Ces 3 Loi du 24 juin 1936.
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
projets lui sont soumis par l’Assemblée nationale avant qu’elle n’en délibère. Le Conseil économique peut, en outre, être consulté par le Conseil des ministres. Il l’est obligatoirement sur l’établissement d’un plan économique national ayant pour objet le plein emploi des hommes et l’utilisation rationnelle des ressources. » Outre la constitutionnalisation du Conseil économique, ce texte consacrait son rôle de conseiller, à la fois, de l’Assemblée nationale et du gouvernement. Il comprenait initialement 164 membres. La loi du 20 mars 1951 permit la représentation de nouvelles activités, de l’habitat, des classes moyennes, des départements d’Outremer, la réduction à 148 du nombre des conseiller.ère.s étant obtenue par la diminution de celles.ceux nommé.e.s par le gouvernement. La même réforme modifia les attributions du conseil : si son rôle d’arbitre des conflits sociaux disparaissait, le conseil pouvait se saisir lui-même de projets ou propositions de loi, donner son avis sur les projets de plan et sur la conjoncture économique, mais aussi être chargé par l’Assemblée nationale de faire des études ou des enquêtes.
Le Conseil économique et social (1958-2008) À l’issue des débats soumis au sein du comité consultatif constitutionnel, la Constitution du 4 octobre 1958 consacre les trois articles de son titre X
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(69, 70 et 71) au CES4 : il donne son avis sur les projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis ; il peut, dans ce cadre, désigner un.e de ses membres pour exposer devant les assemblées parlementaires l’avis du conseil ; il peut également être consulté par le gouvernement sur tout problème de caractère économique ou social ; tout plan ou tout projet de loi de programme à caractère économique ou social lui est soumis pour avis. Il comprenait initialement 205 membres. Les 20 personnalités représentant les activités économiques et sociales de l’Algérie et du Sahara ont été supprimées en 1962, cette suppression étant compensée par le passage de 10 à 25 du nombre des « personnalités qualifiées par leur connaissance des problèmes économiques et sociaux d’Outre-mer ou ayant une activité se rapportant à l’expansion économique dans la zone franc ». Après la réforme de 1984, l’Assemblée passa de 200 à 230 membres5. La période a notamment été marquée par l’échec du référendum du 27 avril 1969 portant sur le projet de loi relatif à la création des régions et à la rénovation
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4 Une ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique précise les attributions et la composition du CES. 5 Un décret du 4 janvier 1991 destiné à permettre la représentation de Mayotte dans les représentant.e.s des activités économiques et sociales des départements et territoires d’Outre-mer portera ce nombre à 231.
du Sénat. Cette dernière devait assurer, à travers une fusion de la chambre haute avec le CES, la représentation des collectivités territoriales, des activités économiques, sociales et culturelles, des Français.e.s établi.e.s hors de France. Son rejet entraîna la démission du général de Gaulle de la présidence de la République.
Le Conseil économique, social et environnemental (depuis 2008) La légitimité du conseil a été confortée par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, puis la loi organique de juin 2010 : sa composition est plus en phase avec la société, il comporte plus de jeunes, de femmes et il est explicitement compétent dans les domaines de la protection de l’environnement. Il est placé auprès du gouvernement, mais désormais également du Parlement et peut aussi être saisi par les citoyen.ne.s. L’assemblée du CESE réunie en séance plénière en décembre 2010 a traduit un important renouvellement résultant de l’évolution de sa composition. L’article 7 de l’ordonnance modifiée répartit, en effet, les conseiller.ère.s en trois pôles : 140 membres au titre de « la vie économique et du dialogue social », 60 au titre de « la cohésion sociale et territoriale et de la vie associative » et 33 au titre de « la protection de la nature et de l’environnement ». Au total, sur 233 membres, l’assemblée a accueilli 152 nouveaux conseiller.ère.s (65 %) contre
DU CONSEIL ÉCONOMIQUE AU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
135 pour la mandature précédente (58 %). Cette nouvelle composition révèle trois évolutions fondamentales. La réforme constitutionnelle a d’abord instauré le principe de la parité hommesfemmes6 au sein du CESE : l’assemblée comptait ainsi 101 femmes, soit 43,3 % des conseillers, au cours de la mandature 2010-2015 ; elle compte 106 femmes pour ce qui est de l’actuelle mandature (45,5 %)7. 6 Les organisations représentées doivent veiller à ce que l’écart entre le nombre d’hommes et de femmes désignés par elles, ne soit pas supérieur à 1. 7 À noter que ce pourcentage est légèrement supérieur pour les personnalités associées avec
L’arrivée de « 18 représentants des associations et fondations agissant dans le domaine de la protection de la nature et de l’environnement » favorise ensuite l’expression des nouvelles préoccupations en écho à l’élargissement des compétences au champ environnemental de l’ancien CES. Enfin, l’entrée de 4 « représentants des jeunes et des étudiants » a permis une meilleure prise en compte des attentes de la jeunesse et induit la richesse d’un débat intergénérationnel. 50 % sur les 60 nommées par décret du 19 novembre 2015.
Nulle part ailleurs, dans ce pays, ne se trouve réunie une telle diversité d’origines, d’activités, d’intérêts, à l’opposé de l’homogénéité socio-culturelle qui marque souvent les institutions. C’est bien une France en réduction issue, pour l’essentiel, de ses « forces vives », qui est présente dans l’hémicycle du CESE et s’efforce de dégager des compromis au bénéfice de l’intérêt général. D’où la nécessité de réviser à intervalles réguliers sa composition pour s’assurer de sa représentativité dans une société en mutation accélérée. On le sait bien : rien n’est aujourd’hui possible en politique sans l’association la plus large des citoyen.ne.s et des organisations qui structurent la société. Le CESE est précisément l’institution de la République qui assure la représentation de la société civile organisée. Il constitue un forum démocratique dont les textes votés à l’issue d’un débat contradictoire permettent, sur la base d’un constat partagé, de dégager les pistes de la réforme acceptable. Il revient ensuite au politique de faire ses choix et de décider, éclairé par une société civile organisée qui a eu la possibilité de s’exprimer. Au-delà des modifications engendrées dans la composition de cette assemblée constitutionnelle et dans ses modalités de saisine, la pratique a conforté l’esprit qui préside au fonctionnement du Conseil : ses travaux sont marqués par le respect mutuel entre ses membres et le souci constant du rapprochement des points de vue et du consensus ; la qualité reconnue de ses avis, rapports et études est d’abord la résultante de cet état d’esprit. LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
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1946
Inscription du Conseil économique dans la constitution de la IVe République. Son ancêtre, le Conseil national économique créé en 1925, avait été supprimé par le gouvernement de Vichy.
1947
1951
La composition du Conseil économique est modifiée pour tenir compte des changements du paysage syndical et le nombre de sièges est réduit à 148.
1954
Installation du Conseil économique dans l’aile Montpensier du Palais Royal suite à la dissolution de l’Institut international de coopération intellectuelle. Élection de Léon Jouhaux, secrétaire général de la confédération générale du travail – Force ouvrière à la présidence du Conseil économique.
À l’origine de la création du Conseil national économique, Léon Jouhaux est élu en 1947 à la présidence du Conseil économique, fonction qu’il occupe jusqu’à son décès en 1954.
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Élection d’Émile Roche, membre du groupe de la « pensée française » à la présidence du Conseil économique. Émile Roche est nommé au Conseil économique en 1951. Il y siège jusqu’en 1979. Membre actif du parti radical durant les années 1930, il est journaliste et spécialiste de questions économiques.
1959
Le Conseil économique et social s’installe le 22 juin 1959 au Palais d’Iéna. Anciennement Musée des travaux publics, le Palais a été construit par l’architecte Auguste Perret à partir de 1936.
1974
Élection de Gabriel Ventejol, membre de la Confédération générale du travail - Force ouvrière à la présidence du Conseil économique et social. Membre du conseil depuis juin 1959, il y siège sans discontinuer jusqu’en 1987.
1958
La Constitution de 1958 conforte le Conseil économique et social, dont la composition et les missions évoluent.
DU CONSEIL ÉCONOMIQUE AU CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
Élection de Jean Mattéoli à la présidence du Conseil économique et social. Résistant, ministre du travail et de la participation de 1979 à 1981, il est nommé au conseil en 1987. Il y siège sans interruption jusqu’en 2004.
2008
La réforme constitutionnelle opérée par la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République du 23 juillet 2008 transforme le Conseil économique et social en Conseil économique, social et environnemental. Il peut désormais être saisi par pétition citoyenne.
2010 1999
Élection de Jacques Dermagne à la présidence du Conseil économique et social. Jacques Dermagne siège au CES
©DavidDelapor
1987
de 1984 à 2010 comme représentant des entreprises privées puis à partir de 2004 comme personnalité qualifiée. Il est réélu président du conseil en 2004.
La loi organique met en œuvre les mesures de « modernisation » du Conseil économique et social prévues par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 (rajeunissement, féminisation, limitation du nombre de mandat ...).
de 2004 à 2011. JeanPaul Delevoye est nommé au CESE en tant que personnalité qualifiée.
2015
Élection de Patrick Bernasconi à la présidence du Conseil économique, social et environnemental. Chef d’entreprise, il a été président de la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP) de 2005 à 2013. Il est membre du CESE au sein du groupe des entreprises depuis 2010.
Élection de Jean-Paul Delevoye à la présidence du Conseil économique, social et environnemental. Ministre de la Fonction publique, de la réforme de l’État et de l’aménagement du territoire de 2002 à 2004, Médiateur de la République
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
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L’esprit des constituants
de 1946
AN : CE 178 Extrait du Journal officiel de la République française des 8, 9 et 28 octobre 1946
Refondation du syndicalisme et esprit de la Résistance
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L’organisation de la Résistance avait permis une réflexion riche et foisonnante pour préparer l’avenir de la France au lendemain de la victoire. Dès le 1er mai 1943, dans un message adressé de Londres à l’occasion de la fête du Travail, le général de Gaulle déclarait : « Quand viendra la victoire, la patrie reconnaissante devra et saura faire à ses enfants, ouvriers, artisans, paysans, d’abord un sort digne et sûr, ensuite la place qui leur revient dans la gestion des grands intérêts communs ». À la Libération, l’existence d’un Conseil représentant les forces économiques et sociales de la nation libérée semble certaine tant elle a été affirmée dans la plupart des
Porté par les projets de démocratie économique et sociale de la Résistance et prévu par le texte de deux projets de Constitution de 1946, le Conseil économique est inscrit au titre III de la Constitution du 13 octobre 1946. Fruit de débats animés, l’institution naît pour participer à la reconstruction de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et pour permettre aux corps intermédiaires de s’exprimer officiellement.
projets préparés par les différents mouvements de Résistance. Les thèmes de la démocratie économique et sociale sont portés aussi bien dans le programme du Conseil national de la Résistance, que par le parti socialiste ou le mouvement des républicains populaires. Bien que le patronat sembla réticent, plusieurs personnalités politiques de la IVe République furent favorables à la création du Conseil économique : des figures de premier plan comme Vincent Auriol et Paul Ramadier, Léon Jouhaux et la Confédération générale du travail, Maxime BlocqMascart, Paul Coste-Floret, François de Menthon ou André Philip en sont de fervents partisans, tout comme les agriculteurs de la Confédération générale de l’agriculture, et les associations familiales. L’ESPRIT DES CONSTITUANTS DE 1946
Si à l’occasion des études qui avaient précédé le vote de 1936, il avait été allégué que de larges secteurs de l’activité sociale étaient restés perméables à l’esprit syndicaliste et que dans d’autres le degré d’organisation était insuffisant pour que le Conseil national économique ait des pouvoirs trop étendus et représenta réellement les corps intermédiaires, le programme du Conseil national de la Résistance, qui trouvera sa traduction dans le préambule de la Constitution de 1946, manifeste avec éclat la refondation d’un syndicalisme glorieux. En inscrivant que « tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix », en son sixième article, le législateur consacre le droit syndical et y inscrit une liberté sociale fondamentale. L’existence du Conseil économique traduit des « jours heureux » un idéal de société : l’instauration d’une « démocratie économique et sociale » au sein de laquelle fut refondée, la « libre association » et un « syndicalisme indépendant doté de larges pouvoirs dans l’organisation de la vie économique et sociale ». Fortement marqué par les idées de la Résistance et le besoin de rénover le pays, le Conseil économique, dès sa première séance de travail, s’empare de l’esprit de 1946. Saisi d’une proposition de loi sur le temps de travail et de repos des LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
professions agricoles, il assure ainsi une participation active des corps intermédiaires dans le débat autour de la reconstruction du pays.
La constitutionnalisation du Conseil Le principe rapidement admis selon lequel le conseil devait être un organe constitutionnel a, considérablement, influé sur l’ensemble des dispositions futures prévues à son sujet. Si Waldeck Rochet ou encore Léon Jouhaux jouèrent un rôle important dans la naissance du Conseil économique, ce dernier ne peut être considéré comme la simple résurrection du Conseil national économique. Deux sortes de considérations ont conduit le législateur de 1946 à insérer dans le projet de Constitution les dispositions relatives au Conseil économique : la stabilité et des conceptions doctrinaires. Le premier projet de Constitution fut repoussé en mai 1946 par le peuple français. Après l’échec du premier référendum, les débats constitutionnels reprennent avec pour partie les mêmes acteur.trice.s : la seconde assemblée constituante repoussa le monocamérisme qui donnait plus de pouvoir au Conseil, mais la Constitution finalement ratifiée par référendum le 27 octobre 1946 mentionne le
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Conseil économique dans son article 25 et précise les éléments suivants : « Un Conseil économique, dont le statut est réglé par la loi, examine, pour avis, les projets et propositions de loi de sa compétence ». La IVe République fait ainsi du Conseil économique, une institution consultative, placée auprès de l’Assemblée nationale et du gouvernement, et compétente pour donner ses avis tant sur les projets et propositions de loi de sa compétence et notamment le projet de plan. Contrairement au Conseil national économique, il fut reconnu que la stabilité constitutionnelle donnerait au conseil un nouveau statut ; mais il parut, visiblement, plus sage de laisser à la loi organique le soin de détailler la composition et le fonctionnement du Conseil économique.
une « chambre de documentation » pour l’Assemblée nationale. Si la composition du conseil provoqua devant l’assemblée des discussions souvent animées, il faut lire dans les nombreuses propositions présentées l’expression d’une tendance dont l’objet était de faire du conseil une assemblée très largement représentative des forces de l’économie française et permettant aux corps intermédiaires de se faire entendre officiellement.
L’institutionnalisation des corps intermédiaires : la discussion de la loi organique du 27 octobre 1946 Alors qu’une très large proportion de l’Assemblée ne souhaitait en faire qu’un simple « Conseil technique d’effectifs restreints », la solution de compromis qui fut adoptée eut pour effet de faire du Conseil une assemblée de « compétences économiques ». C’est ainsi que le rapporteur Prouteau voyait dans le Conseil économique
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salle des séances, Conseil économique au Palais Royal ©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine - diffusion RMN
L’ESPRIT DES CONSTITUANTS DE 1946
AN : CE 178 Extrait du Journal officiel de la République française des 8, 9 et 28 octobre 1946
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le Conseil ĂŠconomique de 1947
les forces vives en action
©Ministère de la Culture (France) - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine - diffusion RMN
Une organisation renouvelée C’est la loi organique n° 47-2.384 du 27 octobre 1946 qui énonce la composition et le fonctionnement du Conseil. 164 sièges sont répartis comme suit : 45 pour les organismes de travailleur.euse.s, 20 pour les entreprises industrielles, 10 pour les entreprises commerciales, 10 pour les artisan.e.s, 35 pour les agriculteur.rice.s, 9 pour les coopératives, 15 pour les
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Réuni pour la première fois en assemblée plénière le mercredi 26 mars 1947 au Palais Royal, le Conseil économique est solennellement installé par Paul Ramadier, Président du Conseil des ministres et Edouard Herriot, Président de l’Assemblée nationale. Jouissant d’une assise constitutionnelle nouvelle, le Conseil de la IVe République se distingue très nettement de son prédécesseur de la IIIe République. Fort d’un modèle résolument parlementaire, il est représentatif de l’ensemble des forces économiques et sociales organisées et s’illustre par son caractère à la fois technique et pratique.
territoires d’Outre-mer, 10 pour « des représentants qualifiés de la pensée française », 8 pour les associations familiales et 2 pour les associations de sinistré.e.s (pour la période de reconstruction). Une fois la répartition définie par la loi organique, le décret du 24 février 19471 fixe les conditions de détermination des organisations les plus représentatives chargées de la désignation des membres du premier Conseil économique. 1 Décret du 24 février 1947 portant règlement d’administration publique fixant les conditions de désignation des membres du premier conseil économique.
LE CONSEIL ÉCONOMIQUE DE 1947 LES FORCES VIVES EN ACTION
Le décret prévoit en outre les conditions de nomination : avoir 23 ans au moins, appartenir depuis deux ans à la catégorie professionnelle représentée et ne pas appartenir à l’Assemblée de l’Union française ni au Parlement.
Une large place est octroyée aux syndicats de travailleur.euse.s. Robert Bothereau l’un des fondateurs de la CGT-FO avec Léon Jouhaux, ou encore Jean Ducros, président fondateur de la CGC en sont quelques figures emblématiques.
Le Conseil économique de 1947 est une assemblée d’hommes, jeunes (64% sont âgés de moins de 40 ans) et parisiens (63,5% vivent à Paris ou en région parisienne). Le benjamin, Antoine Lawrence, a 28 ans. Seulement 3 femmes, Catherine Rousse, Jeanne Quercy et Mathilde Bonnefoy, sont désignées. Sur les 164 membres, 13 seulement ont appartenu au Conseil national économique. Les membres sont nommés pour trois ans et répartis par groupes professionnels2. Chaque groupe a un président.
Les personnalités représentant la « pensée française » sont, quant à elles, nommées par le gouvernement : on peut citer le prix Nobel de Chimie et Professeur au Collège de France Frédéric Jolliot-Curie, l’architecte Charles Le Corbusier, l’économiste, démographe et sociologue français Alfred Sauvy.
Le Conseil économique se distingue par son caractère de technicité, puisqu’il ne comprend presque exclusivement que des représentant.e.s professionnel.le.s, choisi.e.s au sein des groupements économiques et sociaux les plus représentatifs de l’économie nationale. 2 Agriculture, Artisanat, Associations familiales, Coopératives, Entreprises nationalisées, Entreprises privées divisées en sous-groupe, Entreprises commerciales et industrielles, Pensée française, Sinistrés, Union française, Confédération générale du travail (CGT), Confédération générale du travailForce ouvrière (CGT-FO), Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC).
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
Le Conseil de 1947 consacre la représentation des acteur.rice.s socioéconomiques en France et incarne la richesse et la diversité de la société civile.
Un modèle parlementaire La loi organique ne prévoyait pas dans le détail la structure interne du conseil, lui conférant une liberté certaine. Le conseil fixe ses méthodes de travail et a le pouvoir d’élire son Bureau chaque année, d’élaborer son règlement intérieur et de former ses commissions. Le Bureau est l’organe collégial de direction du Conseil. Il se compose du président, de quatre vice-présidents, de deux questeurs et de quatre secrétaires. Il bénéficie de tous les pouvoirs pour présider aux travaux
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du conseil. C’est lui notamment qui désigne la commission compétente lorsque le conseil est saisi d’un projet ou d’une proposition de loi. Léon Jouhaux est élu le 17 avril 1947 à la présidence du Conseil économique. Seul candidat au deuxième tour du scrutin, il l’emporte avec 91 voix sur 128 votants. Il sera président jusqu’à sa mort en 1954. Au nombre de neuf, les commissions3 ont été calquées sur les commissions parlementaires. Léon Jouhaux en détaille la composition « Les membres sont choisis en raison de leur compétence et de manière à assurer autant que possible la représentation proportionnelle des différents groupes de représentation du Conseil économique »4. Chaque commission comprend un président, un vice-président, 19 à 24 membres et 10 à 17 membres suppléants. Bien que le statut du Conseil économique lui en donne la possibilité, il n’a pas jugé utile de créer des commissions spécialisées, souhaitant ainsi
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3 Commission de l’économie nationale, commission des finances, du crédit et de la fiscalité, commission de la production industrielle, commission de l’agriculture, commission du commerce et de la distribution, commission des travaux publics, de la reconstruction et de l’urbanisme, commission des transports et des postes télégraphes et téléphones, commission du travail, de la santé et de la population, commission de l’économie de l’Union française. 4 Léon Jouhaux, « Le rôle du Conseil économique », Revue française du travail, août 1947, p. 649.
maintenir le caractère généraliste de ses travaux. Le Conseil économique se réunit deux fois par mois en assemblée plénière, pendant la durée des sessions parlementaires. Il peut siéger plus souvent si nécessaire. Les séances au Palais Royal sont publiques. Outre les demandes d’avis de l’Assemblée nationale et du gouvernement, le Conseil économique peut se saisir lui-même à la demande de son Bureau, ou d’au moins cinq de ses membres, de toutes les questions relevant de sa compétence.
Premiers travaux La première année d’activité du Conseil économique est riche en travaux qui se caractérisent par leur ampleur et leur variété. Tous les grands problèmes du champ économique et social sont pris en considération. Dans les premiers mois de son activité, la nouvelle assemblée fait l’objet d’un réel intérêt de la part des députés. A la fin de l’année 1947, sur un total de 38 travaux, 26 demandes d’avis ont été formulées par l’Assemblée nationale. Le Conseil exerce dès lors une réelle influence sur les lois. Lors de l’étude d’un projet ou d’une proposition de loi de la compétence du Conseil économique, l’Assemblée nationale entend, en séance de commission, le rapporteur. CeluiLE CONSEIL ÉCONOMIQUE DE 1947 LES FORCES VIVES EN ACTION
ci doit exprimer l’avis du Conseil et rapporter l’opinion de la majorité et celle de la minorité, s’il n’a pas été unanime. L’avis du Conseil est imprimé et distribué à tous les membres du Parlement. Fait notable, à l’Assemblée nationale, la lecture des avis doit être effectuée préalablement à la discussion générale. À la demande de commissions ou du ministre intéressé, les rapporteur.e.s du Conseil peuvent, en outre, assister aux débats et, par ailleurs, être appelé.e.s à présenter leur avis devant l’Assemblée5. « Il y a là un effort de collaboration entre techniciens et hommes politiques qui est nouveau et doit être fructueux », comme l’évoque Léon Jouhaux la même année.
également saisi lui-même de deux propositions et deux projets de lois. Il a rendu 8 résolutions. Statut de l’artisanat, formation professionnelle, utilisation de la main d’œuvre, accords tarifaires internationaux, statut des entreprises publiques : le Conseil économique s’approprie de nombreux sujets ayant trait aux relations sociales, ou encore aux enjeux industriels et agricoles et s’affirme comme un des lieux emblématiques de débats autour de la reconstruction et de la modernisation économique de la France. Le Conseil est également à l’origine d’une documentation dense qui éclaire, renseigne, informe, inspire le gouvernement et le Parlement.
Toujours en 1947, le conseil s’est 5 Loi n° 46-2384 du 27 octobre 1946.
Avec l’installation du Conseil économique en 1946, la France se dote ainsi d’un organe d’expression des forces économiques et sociales, haut lieu du consensus. Maurice Byé, économiste, professeur à la faculté de droit de Paris et membre du Conseil économique l’évoque en ces termes dans un article consacré au présent et à l’avenir de l’assemblée : « Des rapprochements utiles ont lieu entre représentants d’intérêts différents ; que le ton généralement courtois, objectif, non oratoire des débats contraste heureusement avec les habitudes de notre première assemblée ; que le rapprochement de points de vue non fondamentalement opposés se fait quotidiennement sur des textes de compromis […] »6.
©Ministère de la culture (France), Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, Diffusion RMNGP
6 Léon Jouhaux, « Le rôle du Conseil économique », Revue française du travail, août 1947, p.649.
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AN : CE 181 France documents, n°11, septembre 1947
AN : CE 178 ReprĂŠsentation proportionnelle des groupes du Conseil, s.d.
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PORTRAITS Robert Bothereau ajusteur mécanicien de profession, syndicaliste, membre fondateur et 1er Premier secrétaire de la CGT-FO
Antoine Lawrence comptable, membre de l’Union française. Âgé de 28 ans il est le benjamin du Conseil économique en 1947 Georges Reclus Président directeur général de Gaz de France
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Charles Le Corbusier architecte et urbaniste
Gustave Deleau Président de la fédération départementale des groupements commerciaux et PME, puis député européen (19791984)
Trois femmes, Jeanne Quercy (ci-dessus, représentante de l’UNAF) et Mathilde Bonnefoy (à gauche, ouvrière textile, représentante de la CGT), Catherine Rousse (salariée agricole) ont été désignées parmi les membres du Conseil économique de 1947
Cyrille Grimpret président honoraire du Conseil général des Ponts et chaussées et de la SNCF et directeur de l’Institut industriel du Nord
Léon Gingembre président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) Fondateur la CGPME en 1944, il la préside de 1945 à 1978
Roger Monnin président de l’Union des caisses d’allocations familiales
Jean Marchal économiste professeur à la faculté de droit (la Sorbonne), puis membre de l’Académie des sciences morales et politiques
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le Conseil ĂŠconomique
un acteur engagĂŠ de la reconstruction
Le 2 mai 1947, Waldeck Rochet, président de la commission de l’agriculture de l’Assemblée nationale, ancien membre du Conseil national économique, demande au Conseil économique de se prononcer sur une proposition de loi présentée par le groupe communiste sur la règlementation du temps de travail et du repos hebdomadaire des professions agricoles. Le Conseil économique a vingt jours pour rendre son avis, c’est la première saisine depuis son installation. Labour ©DR/Min.Agri.Fr
Le Conseil économique saisi par l’Assemblée nationale Le Conseil économique nomme alors un rapporteur : Michel Rius, scieur de long de profession, membre du groupe de l’agriculture. Deux commissions travailleront de concert sur cette première saisine : la commission du travail, de la santé et de la population et la commission de l’agriculture. Le rapporteur de la proposition de loi Antonin Gros et Waldeck Rochet sont auditionnés. Ils rappellent le double objectif du texte soumis au Conseil économique « un souci de justice en faveur des salariés
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de l’agriculture, un désir de maintenir à la terre une main d’œuvre qualifiée »1.
Une loi nécessaire En 1947, un tiers de la totalité des personnes actives en France sont des travailleur.euse.s de la terre, ouvrier.ère.s ou exploitant.e.s agricole. La situation est alarmante en cette période d’après guerre : la production agricole est déficiente alors que le ravitaillement du pays est un enjeu majeur pour le gouvernement. La France doit également faire face à un exode rural massif. Pour le Conseil économique, 1 AN : CE 189, extrait du procès verbal de l’audition d’Antonin Gros et de Waldeck Rochet au conseil éocnomique,1947.
LE CONSEIL ÉCONOMIQUE UN ACTEUR ENGAGÉ DE LA RECONSTRUCTION DE LA FRANCE
l’absence de limitation du temps de travail et de règlementation du repos hebdomadaire est l’une des causes de l’exode rural. Et cette proposition de loi serait de nature à endiguer l’exode rural tout en pérennisant une main d’œuvre stable et qualifiée. « L’application des 2 400 heures aura comme heureuse conséquence de rendre plus stable la main d’œuvre agricole, de permettre le maintien dans nos villages des jeunes garçons et jeunes filles qui, ayant plus de loisirs, pourront fréquenter les cours d’apprentissage, les bibliothèques, faire du sport, comme les camarades de l’industrie et du commerce » rappelle Michel Rius dans son avis. Le rapporteur fait ici état d’une autre préoccupation du Conseil économique : la justice sociale et la reconnaissance accordées aux professions agricoles : « Les lois sociales n’ont été appliquées à cette profession qu’avec parcimonie. Le travail de la terre a été considéré comme un travail inférieur réservé aux paysans (…) Les ouvrières et les ouvriers de la terre ont l’impression d’être considérés comme des citoyens diminués, maintenus à l’écart du progrès social »2. Le Conseil économique martèle cet objectif de justice sociale dans son avis, qu’il hisse au dessus des autres préoccupations. Ainsi lorsque la question de la conséquence de
2 AN : CE 189, extrait de l’avis du Conseil économique, paru au Journal officiel le 3 juin 1947.
LE CESE, EXPRESSION DE LA SOCIÉTÉ CIVILE ORGANISÉE
l’encadrement du temps de travail sur le coût de revient des produits agricoles et donc du coût de la vie se pose, le Conseil économique tranche : « La justice et l’humanité exigent qu’au même titre que les autres citoyens les travailleurs de la terre bénéficient du progrès social »3.
Des préconisations suivies et reprises dans la loi Le Conseil économique vote son premier avis le 30 mai 1947, celui-ci est transmis au rapporteur de la Commission de l’agriculture de l’Assemblée nationale qui reconnait que les modifications apportées au texte de la proposition de loi lui donnent « plus de souplesse et le rapprochent le plus possible de la profession ». La Commission reconnaît également la qualité des travaux, elle déclare « s’être inspirée de l’argumentation développée par le rapporteur du Conseil économique ».
Michel RIUS
rapporteur du premier avis du Conseil économique sur la règlementation du temps de travail et du repos hebdomadaire dans les professions agricoles membre du groupe de l’agriculture
Sur les cinq modifications de fond proposées par le Conseil économique, quatre ont été retenues par l’Assemblée nationale, puis par le Conseil de la République. La loi n°48401 du 10 mars 1948 règlementant le temps de travail et le repos hebdomadaire dans les professions agricoles porte définitivement l’empreinte du Conseil économique. 3 ibid.
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AN : CE 190 Lettre de convocation à la première séance plénière du Conseil économique, le 2 mars 1947
AN : CE 312 Lettre de Waldeck Rochet, député de Saône-et-Loie à Léon Jouhaux, président du Conseil économique, le 2 mai 1947
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AN : CE 312 Journal officiel du mardi 3 juin 1947
AN : CE 312 Journal officiel du mardi 3 juin 1947
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AN : CE 312 Journal officiel du mardi 3 juin 1947
‘ Le Conseil économique, social et environnemental devient de plus en plus moderne à mesure qu’il prend de l’âge. J’en veux pour preuve que notre conseil fut d’abord économique par la Constitution de 1946 que nous célébrons, puis économique et social en 1958, et enfin économique, social et environnemental en 2008. À chaque évolution institutionnelle de notre pays, et non des moindres en 1958, le CESE a vu le champ de ses compétences s’élargir. C’est là le signe d’une reconnaissance ; c’est là le signe d’une responsabilité, mais aussi d’une place particulière : celle de troisième assemblée de la République. Ce sont nos 70 ans que nous fêtons et mon ambition pour le CESE aujourd’hui, pour l’avenir, est d’être ce qu’il est : résolument moderne, résolument ancré dans la société civile, résolument et profondément démocratique.
Patrick Bernasconi
Président du Conseil économique, social et environnemental
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