L' "après" Quelles transitions ?

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le maximum de marges financières. En 1990, 20 % des substances actives composant nos médicaments étaient produites hors de France, aujourd’hui c’est 80 %. Et 40 % des médicaments commercialisés en Europe sont fabriqués et conditionnés ailleurs, passant par des cascades de soustraitants. La traçabilité d’un médicament devient difficile. Les substances actives sont le plus souvent produites en Inde ou en Chine. Puis la chaîne de fabrication joue à saute frontières en fonction du moinsdisant social plus que de la qualité. Les grands groupes vont où les exigences sur la protection de la santé des travailleurs et où les salaires sont bas, d’autant que ces pays sont aussi souvent les moins regardants sur les normes environnementales, la chimie fine s’avérant très polluante.

Médicaments « made in »… où ça ?

Sécurité sanitaire

Maillons faibles et chaînons manquants R & D, approvisionnement en matériel médical, en traitements : la pandémie a éclairé la fragilité de la France dans cette filière hypermondialisée. De la conception à la fabrication, un new deal s’impose.

L

a crise sanitaire sera-t-elle analysée comme une épreuve de vérité ? L’État a failli, dans l’anticipation comme dans sa capacité à répondre de manière rapide et organisée à la pandémie. La France s’est retrouvée dépendante. En manque de matériel médical, des masques aux surblouses jusqu’aux respirateurs. Mais aussi en pénurie de tests comme de médicaments courants, au point de rationner le paracétamol ! À l’hôpital, cette prévention à courte vue des risques de santé 30

publique se traduit par des pratiques qui privilégient le moindre coût et la gestion à flux tendu des demandes sanitaires. Dans la recherche médicale, de la conception à la fabrication et à la commercialisation des traitements, la mondialisation de cette filière prive la France de toute autonomie pour assurer sa sécurité sanitaire. La santé est un droit, pas une marchandise ? Elle est pourtant soumise à un marché des plus féroces. La filière pharmaceutique ne cesse de se restructurer pour dégager

Ce partage des tâches se traduit par des ruptures récurrentes dans les chaînes d’approvisionnement et des pénuries de médicaments, qui ont fait l’objet de plusieurs alarmes. En 2008, 42 ruptures de stocks étaient enregistrées en France ; en 2019, on en était à 1 200 signalements, impactant un quart des prescriptions faites aux patients français. Deux rapports parlementaires ont récemment tenté d’y remédier, sans succès. Fin 2019, la loi de financement de la Sécurité sociale 2020 a certes adopté une mesure : l’obligation pour les laboratoires de disposer de quatre mois de stocks de leurs médicaments sur le territoire européen : elle prendra effet début juillet… En attendant, au pic de la crise, les services de réanimation ont dû gérer des stocks de curare (décontractant musculaire avant intubation), de propofol (anesthésique) ou d’azithromycine (antibiotique), vitaux mais fondant comme neige au soleil. Et les autorités françaises ont dû se battre dans la foire d’empoigne mondiale pour être approvisionnés en tout, au prix fort.

La R & D : entre optimisation financière et prédation Les labos pharmaceutiques n’en continuent pas moins à engranger des bénéfices, à l’instar de Sanofi, qui ces dernières années a redistribué 5 milliards d’euros annuels en dividendes à ses actionnaires, tout en continuant à délocaliser et à supprimer des emplois en France, y compris en R & D 1. Même avec une telle solidité financière, les laboratoires ne prennent plus le risque d’investir dans la recherche sans la certitude d’un retour sur investissement. Tant pis pour les pertes d’expérience OPTIONS N° 658 / juin 2020


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