L' "après" Quelles transitions ?

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POLITICARDS De Varsovie à Lagos Pour élucider des meurtres, le Kub cherche à coincer un politicien polonais pas reluisant, tandis qu’au Nigeria l’avocate Akama est aux prises avec un candidat au poste de gouverneur, pourri jusqu’à la moelle.

lités entre riches et pauvres, entre hommes et femmes. Et ce n’est pas le moindre mérite d’Andenle que d’avoir pris pour porte-parole une protagoniste féminine, qui pétille dans un univers machiste. Survitaminé, pimenté d’un humour cynique, ce polar féministe se double d’un brûlot politique. La jeune maison d’édition Atelier Akatombo se consacre essentiellement à la littérature de genre nippone. Pour soutenir son travail remarquable (sur lequel je reviendrai), ne négligez pas sa dernière parution, Une grande famille. Ce premier roman noir signé Hika Harada nous plonge avec force coups de théâtre dans des secrets de famille, aux côtés de deux anti-héroïnes insolites. Il en résulte une satire sociale dotée d’une immoralité mordante, au suspense constant… Et soudain, il arrive ceci, pour notre plus grand plaisir : la création du Prix Claude Mesplède/ Quais du Polar. Un des plus prestigieux festivals du genre rend ainsi hommage à celui qui restera à jamais l’exégète le plus fervent, érudit et passionné de notre territoire littéraire. Ce prix récompensera chaque année une œuvre contribuant à une meilleure connaissance, sous la forme d’essai, d’ouvrage historique, de correspondance, de document, d’enquête, de travaux académiques et universitaires… Bingo pour le premier lauréat, Manchette. Lettres du mauvais temps 1977-1995. Dans cette somme de 214 lettres patiemment compilées, JeanPatrick Manchette, fondateur du néopolar, de sa légendaire écriture précise et virevoltante, nous régale de ses avis et humeurs sur des livres, des films, des auteurs, mais aussi sur ses combats idéologiques, ses doutes. Un homme et un artiste se livrent, entiers. C’est pertinent, érudit, humble, drôle, engagé… à l’image de Claude Mesplède… Manchette, Mesplède, deux êtres nous manquent, tout reste désespérément dépeuplé…

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Les incursions du polar polonais, pourtant florissant, sont rares chez les éditeurs français. Saluons le travail de la modeste maison Agullo, qui publie régulièrement Wojciech Chmielarz et les enquêtes de son inspecteur Jakub Mortka, dit le Kub, assisté de la lieutenante Anna Suchocka, alias la Sèche. La Cité des rêves est le quatrième tome, le plus abouti, qui nous rend définitivement adepte de leur compagnie… Le cadavre d’une étudiante en journalisme est retrouvé dans une résidence huppée de Varsovie. Faits divers à la sordidité somme toute banale, s’il n’était assorti de cette incongruité rédhibitoire : le propriétaire est un politicien au passé pas très net, au présent subversif. Dès lors, pression sur nos deux enquêteurs, qui n’entendent pas s’en laisser conter… Le titre résonne bien sûr ironiquement. Chimères plutôt que rêves. Et la cité microcosme recèle un concentré de fléaux. Entre arrogance mafieuse et violences faites aux femmes, xénophobie et corruption, la radiographie d’une société réactionnaire fait mouche. Les péripéties impeccablement agencées cachent un roman plus complexe qu’il n’y paraît, foire aux vanités implacable, avec une majestueuse pirouette finale, qui nous laisse dans l’impatience du volume suivant. Deux personnages et un auteur viennent d’inscrire leur nom en majuscules dans la littérature noire… Tout aussi incisive est la plume de Leye Adenle, écrivain nigérian vivant à Londres, révélé voici quatre ans avec le formidable Lagos Lady. Son deuxième opus nous arrive enfin, et confirme notre engouement. Feu pour feu nous immerge de nouveau dans Lagos, au côté d’Amaka, l’avocate pugnace de son premier roman. Un jet privé se crashe sur un quartier résidentiel, tuant le candidat favori au poste de gouverneur de l’État. La course au pouvoir prend une sinistre tournure : le challenger est une crapule virtuose en corruption et trafic de chair féminine, qu’Amaka s’est juré de faire tomber. Pas question qu’il accède à ce poste, synonyme d’immunité… Leye Adenle, sautant d’un personnage à l’autre, fait preuve d’un sens du rythme inouï. Les dialogues vifs, très réussis (« l’argent, c’est le pouvoir. Pourtant, ce n’est que du papier ») cèdent volontiers la place au staccato des armes à feu. Derrière le grand spectacle se profile une redoutable charge contre la société nigériane. Lagos bouillonne, mégapole de tous les dangers, creuset des perversions et de la barbarie humaine, des criantes inéga-

Serge breton

BIBLIOGRAPHIE • Wojciech Chmielarz, La Cité des rêves, Agullo, 2020, 416 pages, 22 euros. Leye Adenle, Feu pour feu, Métailié, 2020, 375 pages, 21 euros. Hika Harada, Une grande famille, Atelier Akatombo, 2020, 208 pages, 18 euros. Manchette. Lettres du mauvais temps, Correspondance rassemblée par Jean Guyon, Nicolas Le Flahec et Gilles Magniont. Préface de Richard Morgiève, La Table Ronde, 541 pages, 2020, 27,20 euros OPTIONS N° 658 / JUIN 2020


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