L' "après" Quelles transitions ?

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à propos Respirons à fond et profitons-en, c’est provisoire Huit minutes et quelques secondes venues en droite ligne de Minneapolis, aux États-Unis, ont démontré à tout un chacun qu’il pouvait finir asphyxié sous le genou d’un policier impeccable dans sa tenue et concentré sur la lente décroissance du rythme respiratoire du type à terre. Le tout un chacun en question étant néanmoins conscient de l’existence d’une sorte d’échelle de priorité : pour mourir de la main (ou du genou), d’un policier mieux vaut être noir ou quelque chose du même ordre ; pauvre également, le cumul des deux constituant une sorte d’idéal en termes d’impunité. Minneapolis n’est pas en France, mais la France a ses propres flics minneapolitains, dont le gouvernement a longtemps nié l’existence. D’où l’écho, ici, à l’homicide de George Floyd et aux manifestations de là-bas. D’où également un psychodrame gouverne­ mental, avec l’Intérieur en bouffon tragique. On connaît de longue date les techniques d’étranglement locales, parmi lesquelles celle qui consiste à transformer joyeusement un suspect – rétif, car rétif, le suspect l’est par nature – en trampoline. On ne compte plus les cas documentés où les agents de la force publique ont, à mains nues, coupé définitivement le sifflet à de louches persifleurs. À force de quoi, de bavure en crise cardiaque et d’Adama en George, l’émotion publique s’en mêle, révulsée par des vidéos mettant en images la complicité fétide entre violence et racisme… D’un coup, le sémillant Castaner se voit chargé de siffler la fin du bal des étrangleurs et d’annoncer sans rire que, désormais – le mot a son importance – le racisme policier sera mal vu, voire mal noté. Immensité du choc ! La police – enfin,

ceux qui s’expriment en son nom – s’étouffe de rage. Force de l’habitude, ils sautent à la gorge du ministre. Interdire les étranglements ? Mais autant renoncer à la guillotine au prétexte d’affûtage excessif ! Du racisme ? Alors qu’ils manifestent le même enthousiasme face aux drapeaux rouges, aux gilets jaunes, aux défilés verts, aux suspects d’allure foncée, sans discrimination aucune ! Le souffle court, le gouvernement bégaye, bafouille, balbutie et, combinant fuite en avant et rétro­ pédalage, finit par trouver un second souffle : on décidera plus tard. Pour l’heure, juré, on peut continuer d’étrangler. En attendant ? En attendant, tout un chacun retient sa respiration.

C’est pas nous, c’est elle, l’avait qu’à pas commencer…

JIM RUYMEN/maxppp

Leur ministre toujours en travers de la gorge, froissés dans leur éthique professionnelle, les policiers ont donc sauvé, sinon l’honneur, du moins leur savoir-faire strangulatoire. Petit plaisir, en passant, ils ont ridiculisé leur ministre de tutelle – facile – en faisant savoir que le susdit leur avait suggéré de remplacer la fameuse clé d’étranglement par l’usage systématique du Taser. Immense éclat de rire, sauf chez les cardiologues, les cardiaques et les fâcheux, toujours trop nombreux. Les héritiers de Gilbert Bécaud, regretté Monsieur 100 000 volts, envisageaient le dépôt de plainte pour détournement d’image, lorsqu’un coup de téléphone, sans doute élyséen, a sonné la retraite en zigzag arrière. Voulant conforter ce premier succès, nos policiers ont saisi l’opportunité de la manifestation des salariés de la santé. Les héros d’hier mais voyous du jour se heurtent donc aux barrages casqués 6

OPTIONS N° 658 / juin 2020


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