Télémanagement si loin, si proche

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Martine Hassoun 34

SYNDICALISME Gestion du personnel vs algorithmes Uni Global Union vient de publier un guide pour défendre les droits et libertés individuelles.

La technique est ce que l’on en fait. Cette conviction, Uni Global Union Cadres, organisation syndicale internationale regroupant quelque 20 millions de travailleurs des services à travers le monde, l’affiche sans complexe. C’est sur cette base qu’elle a décidé, en septembre, de lancer une campagne pour l’ouverture de négociation sur l’utilisation des algorithmes par les services de gestion des ressources humaines en entreprise. Des discussions qui, sur fond d’explosion du télétravail, sont plus nécessaires que jamais, a assuré à cette occasion Christy Hoffman, sa secrétaire générale. Pour aider ses organisations à défendre leurs mandants, qu’elles interviennent dans le champ du commerce, de la finance, des arts, de l’assurance ou des télécommunications, Uni Global Union Cadres a produit un guide, un mémo proposant une liste des revendications qui pourraient être portées dans les négociations à venir 1. On y trouve l’indispensable information, transparence et contrôle par les salariés sur les données collectées et la demande très précise que tous les avantages de la gestion algorithmique soient partagés ; autrement dit, que les gains de productivité, la flexibilité et l’amélioration des connaissances qu’elle assure soient partagés entre les salariés et les entreprises « dans des conditions équitables ». Mais proposition est faite surtout aux représentants du personnel, d’interroger en amont les employeurs sur les raisons de l’implantation de ces nouveaux outils. Les employeurs doivent réfléchir attentivement à leurs choix, défend Uni Global Union. Ils doivent le faire « pour savoir si et pourquoi ces outils sont réellement nécessaires ». Et « si la réponse est simplement “parce que nous en avons la possibilité”, le projet ne doit pas être poursuivi », conseille sans ambages l’organisation internationale. « Les outils ne doivent jamais être adoptés simplement parce qu’ils sont à la mode ou parce que des concurrents le font […]. Toute collecte de données ou surveillance de la maind’œuvre doit avoir un objectif clairement justifiable », précise-t-elle en mentionnant encore ceci, comme pour s’assurer de la chose : s’ils doivent s’imposer, les algorithmes retenus « doivent être régulièrement vérifiés par des tiers indépendants, choisis conjointement par les employeurs et les syndicats ». Plus précisément encore, « les résultats de ces vérifications devraient être mis à la disposition de toute personne concernée par les ­décisions algorithmiques  ». M. H.

recrutement à travers l’analyse de leurs expressions faciales et de leur voix, pour en déduire de prétendues compétences. Leur usage s’est élargi. Désormais, c’est pour surveiller instantanément la performance des salariés, en dehors de toute considération collective, qu’ils se répandent, parfois même sans se présenter expressément. Interviewé fin octobre sur Arte dans l’émission Vox pop, consacrée au travail de demain, Reiner Rehak, chercheur allemand en informatique, indiquait les usages cachés d’Office 365, la dernière version de la suite de Microsoft : l’outil offre aux entreprises la possibilité de contrôler sans crier gare « qui travaille avec qui, sur quel sujet et avec quelle performance individuelle ». Le 9 novembre, les chercheurs et spécialistes de l’économie numérique invités à s’exprimer au colloque de la Cnil donneront quelques clés pour comprendre cette espionnite aiguë qui semble désormais gangrener le monde du travail. Bien plus qu’une simple fascination pour une modernité dernier cri, le recours massif aux algorithmes s’explique d’abord et avant tout, diront-ils, par la crainte grandissante des employeurs de se faire dépasser par des salariés indisciplinés, celle de perdre la main sur les processus de production. La raison aurait voulu que le développement du télétravail permette d’engager une réflexion sur de nouvelles relations de pouvoir entre acteurs économiques et sociaux en entreprise. Cet espoir vacille. Ces dernières semaines, les services de ressources humaines ont surtout renoué avec leurs vieux démons : une méfiance sans bornes pour les personnels, un mépris caractérisé pour ce qui fait le travail – le travail réel et non le travail prescrit, ajouteront plusieurs participants au colloque de la Cnil. « Le patronat n’a jamais accepté les fondements de la relation salariale qui, par nature, limitent son pouvoir en n’obligeant les salariés qu’à une obligation de moyens et non de résultat », rappelait il y a peu la philosophe Fanny Lederlin. Nous y sommes toujours. Le big data serait-il au travail post-Covid ce que le taylorisme a été à la grande usine au siècle dernier : la parade trouvée par le patronat à l’insubordination des travailleurs ? Aujourd’hui, c’est même la très respectable Cnil qui s’en inquiète. Mais aussi une organisation syndicale internationale comme Uni Global Union Cadres, qui lance une campagne internationale pour aider ses mandants à s’emparer du sujet.

ROBERT GHEMENT/maxppp

1. La Gestion algorithmique, guide pour les syndicats, 26 pages, à retrouver sur www.uniglobalunion.org. OPTIONS N° 662 / décembre 2020


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