Travail, jeunesse, libertés Sous tension…

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Pénurie de main-d’œuvre : où est le problème ?

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Est-ce le régime d’indemnisation des demandeurs d’emploi qui en est la cause, ou les conditions d’embauche et de travail proposées aux salariés ? Actualité d’une question alors qu’une réforme de l’Unédic, dénoncée par toutes les confédérations syndicales, s’annonce pour le mois prochain.

ENTRETIEN Avec Frédéric Lerais Économiste, directeur de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires).

– Options : Le gouvernement et le patronat l’affirment : une pénurie de maind’œuvre menacerait les entreprises. Qu’en est-il réellement ? – Frédéric Lerais : Avant toute chose, précisons que, chaque fois, qu’il y a reprise économique, ce discours resurgit : le marché du travail souffrirait d’un manque cruel de salariés. Pas d’une pénurie de main-d’œuvre ; cela, l’économie française n’en est pas menacée. Il y a en effet des difficultés de recrutement sur certaines compétences ou dans certains secteurs comme la santé, les cafés-hôtels-restaurants ou les transports. Mais le problème est davantage microéconomique que macroéconomique. Incontestablement, le taux de chômage a baissé ces derniers mois pour atteindre désormais le niveau d’avant crise. Il ne serait plus aujourd’hui que de 8 %. Mais ce chiffre correspond à une définition resserrée de ce qu’est la recherche d’emploi. Il est fondé sur la définition qu’en donne le Bit, à savoir : est chômeur toute personne de 15 ans ou plus qui n’a pas travaillé au moins une heure pendant une semaine de référence, et qui est disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours, ou en a

« C’est un fait : la violence de la crise que nous venons de vivre a conduit beaucoup de salariés à revisiter leur projet de vie, à changer de métier ou de région. » 12

trouvé un qui commence dans les trois mois. C’est une définition qui ne tient pas compte de toutes les personnes situées dans le halo du chômage. « Halo du chômage », c’est-à-dire ? Pour une raison ou pour une autre, de nombreuses personnes ne correspondent pas à la définition que je viens de citer. Parmi elles, il y a les salariés qui ne sont pas disponibles immédiatement ou qui ne recherchent pas d’emploi. Évoquer la situation de l’emploi impose de considérer le marché du travail dans toutes ses dimensions. Au total, toutes catégories confondues, la France compte aujourd’hui plus de 6 millions de demandeurs d’emploi. Bien sûr, et nul ne le conteste, certaines entreprises risquent de rencontrer, dans les semaines qui viennent, des difficultés pour recruter. C’est un fait : la violence de la crise que nous venons de vivre a conduit beaucoup de salariés à revisiter leur projet de vie, à changer de métier ou de région. Beaucoup vont donc manquer à l’appel. Mais allons plus loin : interrogeons-nous sur leur volonté d’aller voir ailleurs, et sur la pertinence des exigences qui peuvent leur être faites en matière de diplôme, de formation ou de mobilité. De salaires et de conditions de travail également… Bien sûr. Et il y a fort à parier que, profitant d’un rapport de force favorable sur le marché du travail, les revendications qui vont s’exprimer à l’embauche ne vont pas seulement toucher les entreprises au porte-monnaie mais aussi engendrer un regain de concurrence entre toutes pour trouver les compétences dont chacune a OPTIONS N° 669 / septembre 2021


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