Catalogue Florent Contin-Roux

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Florent Contin-Roux Peintures   2002-2010

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Florent Contin-Roux

Peintures 2002-2010

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Pourquoi les peintures de Florent Contin-Roux sont-elles si curieuses aujourd’hui et si prometteuses pour demain ? En 2003, au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, se déroula l’exposition « Hyperréalismes USA 1965-75 », première somme européenne de ce mouvement pictural essentiellement américain, qu’on appela aussi post-pop, qui eut son heure de gloire au début des années 70, et fut ensuite plutôt décrié, jugé trop « vulgaire » puisque souvent assimilé par le public à un impeccable savoir-faire. Organisée par Jean-Claude Lebensztejn et Patrick Javault, cette exposition fut relayée par un épais livre qui reste, à ce jour, l’un des plus intéressants ouvrages en français sur le sujet. Lebensztejn écrit un préambule qui inscrit ce phénomène dans l’histoire du réalisme américain, de Charles Scheeler, à la fois peintre et photographe dans les années trente, à Edward Hopper, et précise l’ apparition du mouvement dans le contexte artistique des années soixante, après le Pop Art et en même temps que l’Art Minimal et Conceptuel. Il publie par ailleurs une série passionnante d’interviews, les plus intéressants étant sans nul doute ceux de Richard Artschwager, Malcolm Morley et Chuck Close. Javault écrit un texte très intéressant paradoxalement intitulé « Platitudes ». Il insiste notamment sur l’invention du flou pictural grâce à l’apport de la photographie (plus ou moins ratée) et sur l’apparition contemporaine de l’aérographe, d’abord utilisé pour la décoration des voitures et des motos, et sur les méthodes différentes des peintres (mise au carreau, projection, tableau retourné pour Morley, comme le Picasso cubiste). Il actualise enfin ce courant en y connectant Dan Graham et Jeff Koons, en particulier. La répartition des artistes est très nettement américaine. Seuls quatre européens y trouvent place : Gérard Gasiorowski, Franz Gertsch, Jean-Olivier Hucleux et Gerhard Richter. Ils ne forment dans le livre qu’une sorte de parenthèse, un simple cahier d’images. Pourtant, la position de Richter semble très originale, puisqu’il est le seul à revendiquer une telle posture de fascination vis-à-vis de la photographie : « La photo possède une abstraction qui lui est propre et qu’il est difficile de pénétrer (…) La photo est l’image la plus parfaite qui existe ; elle ne change pas, elle est absolue, donc indépendante, inconditionnelle, sans style. C’est la raison pour laquelle elle a pour moi valeur de modèle (…) Peut-être est-ce que parce que la photo me désole, parce qu’elle végète, mène une existence misérable bien qu’elle soit une image achevée, que je souhaite la mettre en évidence, la valoriser, la faire (même si ce que j’en fait est pire). »(1) La question de l’ « exécution » de l’image, au sens à la fois de la fidélité de sa restitution, de l’imitation de ses défauts si le cliché est raté, ou de ses qualités propres si l’image a été tramée pour être imprimée, par exemple, voire dans le sens très littéral de sa mise à mort (si on pense au morbide Warhol, par exemple), pose le fond du problème du photo-réalisme. A la fois la qualité des sources (images trouvées, imprimées, ou prises par les artistes eux-mêmes, avec des appareils jetables (des téléphones portables, aujourd’hui), des classiques 24x36, ou des chambres sophistiquées…) et précision plus ou moins laborieuse de l’exécution, les sources et les méthodes déterminent l’orthodoxie (Chuck Close) ou les déviances (Richard Artschwager, Malcom Morley) des positions des artistes. Florent Contin-Roux est un peintre photo-réaliste dont on pourrait dire qu’il est un « petit-fils » de Richter. Il s’appuie la plupart du temps sur des clichés projetés pour exécuter ses peintures. Ceux en couleur ont été pris par lui, dans une quête assez « plate » du banal, de l’ordinaire.

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Ceux en noir et blanc sont pour la plupart des photos de famille, mais aussi d’archives, de documents historiques. Alternant par séries paysages sans qualités et plongées dans la mémoire familiale ou autre, le jeune peintre autodidacte a commencé à mettre en place depuis une dizaine d’années un vocabulaire très personnel, bien qu’encore sous influence. Il avoue volontiers sa dette à Richter, oeuvre déterminante s’il en est, et est très attentif à ses suiveurs.(2) On sait en effet que Richter a fait école, ses «disciples» les plus connus sont Luc Tuymans, Néo Rauch, Adam Adach, Wilhelm Sasnal, qui occupent les plus hautes places de la peinture et de son marché aujourd’hui (3). La position de Contin-Roux est beaucoup plus modeste, par le temps qu’il consacre à son art (son métier de coiffeur l’occupe à plein temps), et aussi par l’envergure de ses sujets. Les photos banales de paysages et de scènes de loisir (camping, salon de jardin), les photos familiales anciennes qu’il exorcise en les exhumant ne visent pas du tout le positionnement anthropologique d’un Richter et de son Atlas.(4) Pour Florent Contin-Roux, les images sont plus simplement extraites de l’album de famille, ou de revues, de livres, etc. ou prises par lui à la manière d’un touriste un peu désabusé, façon carte postale, voire sur internet, à l’opposé de la photo d’art. Leur traitement oscille entre flou et image générique, tentations expressionnistes et informelles. Le tableau intitulé « Déplacement » (2006) superpose ainsi la sensation fluide d’un paysage flou à l’arrière-plan, sans aucun détail, et des raclures en surface, à la Richter, qui donnent une sensation de vitesse latérale. La même année, il réalise « Âmes » où l’effet de suspension de formes à la surface du tableau est renforcé par la présence d’ombres portées. L’ambiance générale rappelle à la fois certains effets développés par le surréaliste Yves Tanguy, spécialiste des paysages « biomorphiques » à marée basse, ou certains espaces « métaphysiques » de Chirico ou « parano-critiques » de Dali, et l’effet des blocs de couleur râclés en surface de Richter. A ses deux sources principales de travail, photographies noir et blanc de cet ensemble qu’il nomme « Paint it black » -sans doute en hommage aux Rolling Stones- et clichés en couleur qu’il prend souvent lui-même, Contin-Roux applique des traitements divers. Soit il peint directement sur l’épreuve photographique en papier glacé, soit il maroufle le document sur le papier, la peinture devenant alors une surcharge qui suture l’image de mémoire comme une plaie à vif (la série intitulée Asnières 14-18), soit il transpose l’image en la projetant sur une toile, en l’agrandissant, en la pixellisant, en la recadrant (c’est le cas de « Gisant », « Gagarine », « Reichtag », « Renoir », « Kennedy »). Beaucoup de ses peintures sont des paysages montrés comme en suspens, où l’espace défile et où le temps semble cependant arrêté. Le tableau « Déplacement » en est un bel exemple, tout comme Horizon I et II, où le paysage paraît résumé à sa plus simple expression. Dans la série nommée Landscape/Escape (qu’on peut traduire par paysage/échappée), l’artiste joue avec les mots d’une autre langue que la sienne pour évoquer le paradoxe du point de vue stable/instable qu’il suggère. Les tableaux sur le thème du jardin (« Garden party », « Chaises ») et des loisirs (« camping », « swimming pool ») sont des variantes domestiques du paysage. Cette même sensation de suspens est rendue par des surcharges dégoulinantes de peinture à la surface du tableau (une image qui se ruinerait sous nos yeux, en quelque sorte) ou par des objets décrits comme en lévitation (Dream I et II), ou seulement suggérés par le dessin sur un fond peint (Construction rouge). Il est intéressant de noter que lorsqu’un objet est montré seul au milieu d’un paysage, une chaise en plastique, par exemple, il peut devenir une construction, plus ou moins flottante, évanescente, comme dans un rêve, une sorte de mirage. Certains paysages urbains (Sète, Beaublanc), péri-urbains, industriels (Hangar) ou agricoles, voire certaines sculptures ou monuments (Gisant, Home Museum) complètent les sujets abordés par l’artiste à ce jour.

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Comme Richter, Contin-Roux est partagé entre la pseudo-objectivité de son modèle photographique et sa restitution picturale,avec toutes les tentations informelles, expressionnistes et subjectives que cela implique. Il construit pas à pas, lentement, une position romantique qui puise ses sources autant dans le symbolisme d’Odilon Redon, la peinture pop/conceptuelle d’un Richter que dans la proximité avec un certain type de peinture actuelle élaboré à partir de photographies. Luc Tuymans, l’un des peintres « méta-réalistes » les plus connus actuellement, parle de ses tableaux comme de « paysages mentaux issus essentiellement de la mémoire ». Il est important de rappeler qu’après avoir complètement arrêté de peindre pendant trois ans, au début des années 80, Tuymans s’étant tourné vers le cinéma, l’artiste est revenu ensuite à la peinture en y important de nouvelles techniques : gros-plan, cadrage, séquence. Par sa position, il revendique l’inadéquation et le retard de la peinture à notre époque de surinformation. Il déclare : «Dès mes débuts, j’ai eu cette idée que je qualifierai de «falsification authentique», c’està-dire l’idée de faire non pas des choses nouvelles, mais de travailler des images qui existent déjà dans la mémoire collective et que chacun s’approprie. C’est ce qui rend la peinture contemporaine. En fait, la contemporanéité traite de la substance du document, en le revitalisant».(5) Ailleurs, il compare la vitesse du cinéma à celle de la peinture, alors que la photographie est instantanée et figée. Concluant cette conversation avec Sabine Folie, à la question : « Comment le temps détermine-t-il votre peinture « métaphysique réaliste » ? Il répond : « …le temps s’arrête ».(6) Dans un texte d’un de ses commentateurs favoris, Jean Poussin suggère que la surface de certains tableaux de Florent Contin-Roux est comparable à un pare-brise embué, qu’on aurait la tentation d’essuyer. Cette image en appelle une autre appliquée en 1991 par le célèbre critique d’art Bernard Lamarche-Vadel au tout jeune artiste Yvan Salomone, veilleur de nuit à l’époque . Ayant d’abord convoqué Manet comme le premier artiste à avoir été dans la « décrépitude de son art », et imaginant que Salomone pourrait en être un des derniers, l’auteur a cette formule frappante : « Rien n’est mieux vu et nul ne voit davantage que sous un rideau de larmes »(7) On comprend la fulgurance de cette phrase en regard des aquarelles dessinées d’abord par projection, sur le mur, à la verticale, puis peintes à plat, sur une table, où les jus forment des flaques qui diluent les images autant qu’elles les révèlent, d’où cette vision souvent humide, suintante, parfois mouillée, si particulière aux œuvres de Salomone. Les expériences picturales de Florent Contin-Roux sont très diverses qui suggèrent la latéralité (Déplacement), la gravité (Garden Party), la lévitation (Construction), et toutes autres formes de suspens. Leur variété invite à imaginer des champs d’expérience très larges et très ouverts pour les années qui viennent.

Yannick Miloux, juillet 2010

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(1) G. Richter, « Notes, 1964-65 » : Richter, les presses du réel 1995, p. 29-30 (2) On y trouve les noms de Childress, Cognée, Desgrandchamps, Doig, Hurteau, Josseau, Kahrs, Salomone, Tuymans, Van Plessen, parmi d’autres. (3) On renverra à l’étude universitaire de 2006 de Nina Childress, où elle précise : « Le style Richter a fait école: Eberhardt Avekost, Paul Winstanley, Carole Benzaken, Philippe Cognée, Régine Kolle, Thomas Ruff, Nina Childress, Luc Tuymans, Adam Adach, … », non publié (4) Après l’Atlas de Mnémosyne de l’historien d’art Aby Warburg (1925-1928), Richter organise sa collection d’images sous forme d’Atlas entre 1962 et 1998.. Le texte de Benjamin H.D. Buchloh « Gerhard Richter’s Atlas : the anomic archive » in catalogue Musei Pecci, Prato 1999, analyse cette œuvre en comparaison avec celle des Becher et les albums de Boltanski. Les intentions de Warburg sont « d’accomplir un projet matérialiste de construction de la mémoire sociale en collectant des reproductions photographiques d’une grande variété des pratiques de la représentation ». L’œuvre complet se trouve dans la collection de la Städtische Galerie im Lenbachhaus à Munich (5) Luc Tuymans : « Doué pour la peinture », éd. MAMCO 2006, p. 20 (6) In catalogue « Cher peintre…Lieber Maler…Dear Painter… Peintures figuratives depuis l’ultime Picabia », Centre Pompidou, Kunsthalle Wien, Schirnkunsthalle Frankfurt 2002, p. 121 (7) Bernard Lamarche-Vadel : « Un pas » in Yvan Salomone, La Criée Rennes 1992, p. 16

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Paint it black Flash – mémoire Au commencement il y a l’image. Cette série d’œuvres de Florent Contin-Roux a pour fil rouge l’utilisation d’images préexistantes, et il s’agit d’un simple aperçu sur les recherches actuelles de l’artiste, basées depuis de longs mois sur le rapport peinture / photographie. Tirées de différents registres — intime, historique, médiatique — ces photographies constituent la matière première d’une réflexion sur l’importance de l’image dans nos vies et dans notre rapport au monde. Le trop-plein d’images, leur défilement continuel et le zapping auquel est souvent contraint l’individu sont ici pointés par l’artiste. Il entend opérer un tri, un choix qui revient à proposer une pause dans ce déferlement sans fin. C’est que l’impact d’une image est souvent disproportionné par rapport à l’événement qu’elle prétend représenter. C’est aussi que la plus banale des images pourra accéder au statut d’icône, si elle est suffisamment mise en scène. Dans ce flot d’images, certaines surnagent, certaines nous obsèdent, sans que l’on sache exactement pourquoi ; elles reviennent, inlassablement. Refusant de s’en tenir à ce constat, Florent Contin-Roux a choisi d’accepter «toutes les images du monde» et de questionner certains de ces flash-back. Ce travail sur l’image se double d’une réflexion sur la mémoire, mêlant souvenir intime et actualité politique, images historiques et visions de la banalité quotidienne. Démunis devant le passage de notre histoire personnelle, nous le sommes aussi face à l’oubli de l’histoire collective. L’image, censée faciliter le souvenir, est aussi l’écran qui nous masque la réalité des choses perdues à jamais. Elle reste là, ou resurgit quand tout a disparu, mais bien souvent il n’y a plus grand-chose derrière. La photographie n’est-elle pas « cette image qui produit la mort en voulant conserver la vie » ? Et nous nous débattons sans cesse, aux prises avec cette mémoire inextricablement intime et collective. Le flash-back débouche sur le black-out. Trop de mémoire tue la mémoire, dit-on parfois, et c’est aussi pour cela que nous avons besoin de l’œuvre d’art. Ici, l’irruption de la peinture est capitale. En couches de noir et de gris, parfois occupant tout l’espace, parfois laissant subsister le motif, elle va entamer avec l’image un dialogue

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subtil. Des taches viennent perturber la lecture des images, qui subsistent, pourtant, en transparence. Peinture et photographie entament un dialogue ; elles se répondent et se percutent comme l’espace et le temps. Patiemment, la surface est reconstruite ; Des paysages se dessinent, incertains, comme vus à travers une vitre. Dans ces gestes-là, Florent Contin-Roux retrouve toute la richesse, et aussi toute l’ambiguïté du rôle de l’artiste. Il s’agit tout à la fois d’effacer et de conserver, de recouvrir et de découvrir. Car si la mémoire est nécessaire, l’oubli l’est tout autant. Il s’agit, au bout du compte, de révéler. Terme qui pourrait relever du vocabulaire photographique, mais ici il est bien question de peindre. Révéler par l’effacement. Révéler l’image, ou ce qu’il y a derrière ; mais aussi révéler la perte, la disparition de l’enfance, le temps qui passe et l’oubli de l’histoire. Pour que quelque chose subsiste. Jean Poussin ___________ 1

Roland Barthes, La Chambre claire, note sur la photographie, Cahiers du cinéma, Gallimard, Le Seuil, 1980, p. 144.

Gisant, 2007, huile sur toile, 120 x 150 cm. page ci-contre : Reichstag, 2009,huile sur photographie, 6,5 x 18,5 cm. 9


Nord Atlas, 2008, acrylique et laque sur toile, 100 x 100 cm. 10


Zeppelin, 2009, huile sur toile, 19 x 26 cm. 11


Hiroshima, 2008, huile sur toile,19 x 26 cm. 12


Gagarine, 2009, huile sur toile,100 x 100 cm. 13


MĂŠmoire/Paysage, 2004, acrylique sur toile, 89 x 116 cm. 14


Night, 2008, acrylique et laque sur toile, 30 x 40 cm. 15


Renoir, 2007, acrylique et impression sur papier, 15 x 10 cm chaque, coll. MusĂŠe des Beaux Arts de Limoges. 16


Sans titre, 2004, huile sur toile, 50 x 50 cm, coll. privĂŠe. 17


Landscape Florent Contin-Roux n’est pas à proprement parler un paysagiste, même s’il travaille depuis longtemps la question du paysage. En l’occurrence, ce genre est favorable à toutes les expérimentations. Le paysage est presque un outil, une contrainte technique, matérialisée par le simple trait de l’horizon. Mais il est d’abord la construction d’un monde propre à l’artiste, qui s’interroge constamment sur notre rapport à l’environnement. Ces peintures semblent parfois se tenir de l’autre côté d’une vitre embuée. On veut l’essuyer avec le plat de la main, mais on ne fait qu’aggraver le flou, et de toute façon la voiture roule trop vite, le paysage est déjà reparti à toute allure vers l’arrière. N’en reste plus que le souvenir. Souvenir que l’on attrape plus ou moins bien, que l’on garde plus ou moins longtemps, selon le train où va la vie. L’art de Florent Contin-Roux est d’abord dans ce sens de l’ambigu : savoir saisir cet entre-deux, cet état vaporeux et indécis qui caractérise souvent notre rapport au paysage. Cet état est aussi celui des rêves. En dormant nous cherchons à saisir des fantômes. Au matin, nos poings ne ramènent que du vent. Pourtant quelque chose subsiste, comme une vapeur persistante au-dessus de la netteté du quotidien. C’est un objet de cet ordre que cette peinture s’attache à traquer. Elle s’apparente à un travail de mémoire, entre apparition et disparition, entre masque et dévoilement. Montrer sans trop montrer, montrer en dissimulant : telle est la subtile et insatiable recherche de l’artiste. S’attacher à révéler et à recouvrir tout à la fois, n’est-ce pas ce que nous faisons de nos souvenirs ? C’est notre condition de vivre dans ce flou que l’on dit artistique, comme si le flou était l’apanage de l’art, comme si la vie n’était pas une perpétuelle — et incertaine — mise au point.

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Si Florent Contin-Roux a souvent recours à la photographie comme matière première, c’est parce qu’elle se donne comme reflet et souvenir fidèle du monde. Recouvrant les clichés, les renvoyant à leur échec en tant que représentations du réel, il se livre à une sorte d’archéologie à l’envers.Retrouvant, par strates successives, par glissements et coulures, une autre vérité du paysage. Un travail de révélation, comme on dit en photographie. Le paysage est perturbé et changeant, pourtant il y a toujours un horizon vers lequel le regard se porte. Cet horizon, présent et indépassable même dans les plus abstraites de ces peintures, est garant d’un certain équilibre, d’une forme d’harmonie. Avec cependant une frontalité toute contemporaine. Les taches de peinture, les gouttes, les brouillards sont là pour rappeler cette vérité première : c’est toujours de la peinture. Cette prise en compte de la modernité n’est pas exclusive d’une certaine tendresse pour ces paysages imparfaits. Les taches ne sont pas seulement des obstacles à la vue, elles sont aussi — et tout en même temps — des caresses, des effleurements délicats. C’est dans cette oscillation entre distance et proximité, entre séduction et radicalité que la peinture de Florent Contin-Roux entend se situer : quelque part entre le lâcher prise et le saisissement du réel. Jean Poussin

Déplacement, 2002, huile sur toile, 89 x 116 cm, coll. FRAC Limousin. page ci-contre : De la lumière au loin, 2007, acrylique et jet d’encre sur vinyle, 19 x 59 cm. 19


Horizon 1, 2007, acrylique, laque et jet d’encre sur vinyle, 50 x 70 cm, coll. FACLIM. 20


Horizon 2, 2007, acrylique, laque et jet d’encre sur vinyle, 50 x 70 cm, coll. FACLIM. 21


Ames, 2002, huile sur toile, 89 x 116 cm, coll. FRAC Limousin. 22


Dream 1, 2009, huile sur toile, 100 x 100 cm. 23


Constructions rouges, 2009, huile sur toile, 50 x 50 cm. 24


La traversée du désert, 2008, huile sur toile, 50 x 50 cm, coll. privée. 25


La traversée du végétal 1, 2006, huile sur toile, 20 x 20 cm. 26


La traversée du végétal 2, 2006, huile sur toile, 20 x 20 cm. 27


Beaublanc, 2008, huile sur bois, 30 x 30 cm. 28


Z.I.N., 2008, huile et laque sur toile, 100 x 100 cm. 29


Garden Le premier qui, ayant enclos un terrain, s’avisa de dire « Ceci est à moi », et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755.

On sait que le paysage inviolé, la pure nature, n’existe plus depuis bien longtemps dans nos contrées. Mais le jardin est par définition ce territoire où la nature est reconstruite par l’homme. On y trouve, outre les plantes, tous les objets manufacturés dont nous avons besoin pour nous y sentir bien. Ces chaises en plastique, si molles et collantes à la peau par temps chaud, ne sont pas bien jolies. Mais elles permettent au jardinier de contempler son ouvrage. C’est pourquoi d’ordinaire, on ne les voit pas : on est assis dessus. Florent Contin-Roux a choisi de tourner vers elles son regard de peintre, mi-attendri, mi-critique. Hommage de l’artiste à ces objets ordinaires, qui tendent à se faire oublier au cœur du foisonnement de la végétation. Sièges, pourtant, de repos mérités et de rêveries bucoliques. Il est vrai que l’on peut léviter parfois, sur une chaise en plastique, comme sur cette peinture où le siège semble flotter entre deux eaux. Et la tondeuse se coule dans la verdure, elle semble tapie dans l’herbe comme un animal sauvage : puisqu’elle prend la pose, pourquoi ne pas faire son portrait ? Cette machine n’est plus seulement une briseuse de sieste, elle est aussi, à son tour, un élément à part entière de cette nature recomposée. Le jardin est tout à la fois l’ouverture vers le monde, un premier pas au-dehors du chez-soi, et aussi une clôture contre l’agression extérieure. Puisque le paysage est bien souvent hostile, puisqu’il est pollué, autant cultiver son jardin et domestiquer le végétal. Pour l’homme effarouché par le dehors, les barrières du jardin posent les limites de la sauvagerie acceptable. Au jardin, l’horizon est borné, mais c’est mon horizon, précieux pour cela. Le jardin constitue un rêve, modeste et parfois illusoire ; le vert est à la mode et il est plus facile de l’inviter chez soi. Aujourd’hui tout le monde veut consommer du vert ; ce qui revient souvent à rajouter du plastique dans la nature. Point de jugement, pourtant, dans le travail de Florent Contin-Roux, mais un regard lucide et amusé. Dans les riants souvenirs d’enfance, la chaise en plastique participe de la même nature onirique que la glycine exubérante.

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Au-dehors, le camping est une autre façon d’habiter l’extérieur. Pour supporter la sauvagerie un peu plus loin, on emmène son mobilier. Le paysage est peut-être défiguré, mais il y a de la tendresse, aussi, dans la façon dont les fourrés accueillent en leur sein nos tentes et nos réchauds à gaz. Tendresse et menace à la fois, que l’on retrouve dans la manière de Florent Contin-Roux : cette baigneuse s’avance prudemment au centre de la piscine, peut-être parce que l’eau est froide, plus sûrement parce qu’elle sent peser sur elle l’immensité de la nature, la froide colère de ces arbres dégoulinant sur elle. Qu’elle soit poliment invitée au jardin, ou timidement défiée depuis l’abri de nos toiles de tente, du bout de nos chaussures en plastique, la nature porte en elle cette ambivalence : elle est pour l’homme un milieu hostile, mais il n’en connaît pas d’autre, finalement. Jean Poussin – juillet 2010

Camping, 2006, huile sur toile, 70 x 90 cm. page ci-contre : plant, 2010, acrylique sur toile, 60 x 81 cm (détail). 31


Garden Party, 2006, huile sur toile, 81 x 116 cm. 32


Chaise rose, 2008, acrylique sur papier, 30 x 30 cm. Chaise verte, 2008, aquarelle sur papier, 30 x 30 cm. 33


Swimming pool, 2008, huile sur toile, 116 x 89 cm. 34


Dream II, 2010, huile sur toile, 100 x 100 cm. 35


Tondeuse, 2010, huile sur bois, 30 x 30 cm. 36


Florent Contin-Roux Né en 1975. Vit et travaille à Limoges. www.florent-contin-roux.blogspot.com Expositions personnelles (sélection) : 2010 2009 2008 2007 2006 2005 2004

Rectorat de l’Académie de Limoges. CCI Limoges. Galerie Passe temps, Eymoutiers. Centre culturel J.P.Fabregue, St Yrieix la Perche. Museum/Home sweet home, Musée de l’Evéché, Limoges. Paysage/ in situ, La Pommerie, St Setiers. Paint it black, espace Arnon, Limoges. Pink mix, La Pommerie, St Setiers. A propos de quelques tensions, espace Arnon, Limoges.

Expositions collectives (sélection) : 2010 2009 2008 2007

Galerie Délit d’initiés, Limoges. Galerie Negpos, Nîmes. Médiathèque de Ganges (34). Photopeintrie 2, FRAC Limousin, Limoges. Double pas, Galerie l’oeil écoute, Limoges. Sous cadre, LAC&S La vitrine, Limoges. Photopeintrie 1, FRAC Limousin, Limoges.

Collections publiques : - FRAC Limousin. - Musée des Beaux Arts, Palais de l’Evêché, Limoges. - Faclim / Artothèque du Limousin. Catalogues, publications (sélection) : - Catalogue des collections, tome 3, FRAC Limousin. - Catalogue exposition Double pas, Galerie L’oeil écoute, Limoges. - Catalogue exposition La grue niche sur le toit , Musée de l’Evéché, Limoges. Bourse : 2006

Aide à la création DRAC Limousin. 37


Ce catalogue a été édité par Chamalot - Résidence d’artistes à l’occasion de l’exposition Florent Contin-Roux, Peintures 2002-2010, dans les locaux de la résidence, du 10 octobre au 1er novembre 2010.

Contact : Chamalot - Résidence d’artistes Christine et Philippe Pée 19300 Moustier-Ventadour +33 (0)5 55 93 05 90 chamalot.residence@free.fr www.chamalot-residart.fr

Remerciements : L’association tient à remercier ses adhérents et donateurs. L’artiste remercie Yannick Miloux, et le Frac Limousin, Catherine Texier, Jean Poussin et l’Artothèque du Limousin. L’association Chamalot - Résidence d’artistes reçoit le soutien moral et financier du Ministère de la Culture / DRAC Limousin, du Conseil Régional du Limousin, du Conseil Général de la Corrèze, de la Communauté de Communes de Ventadour, de la Commune de Moustier-Ventadour, de la Communauté Européenne (Leader Corrèze-Ventadour). Moustier-Ventadour

Crédits photographiques :

F. Le Saux pour les oeuvres du FACLIM et du FRAC du Limousin ; F. Contin-Roux pour les autres. © Chamalot - Résidence d’artistes / L’artiste / Les auteurs Tous droits de reproduction réservés pour tous les pays ISBN : 978-2-917684-02-3 Dépôt légal : octobre 2010 38


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