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Vers " une rÉsoluTIon du conflit " entre artisanat et industRIe en typOGRAphie ?



Col Blanc / COL BLEU vers « une résolution du conflit » entre artisanat et industrie en typographie ?

Mémoire de recherches DNSEP design graphique École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon Alaric Garnier, janvier MMXIII



Sommaire 07 Avant-propos 09 Introduction 11 Oscillations entre « conne tradition » et innovation 14 Positions paradoxales 16 Anatomie(s) des caractères 17 Iconographie 50 Questions de reproduction 53 Distinction de classes 54 Notes sur la peinture d’enseignes 56 Le devenir du typographe 58 Bibliographie 60 Colophon



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Vers « une résolution du conflit » entre artisanat et industrie en typographie ? J’emploie ce dernier terme d’une manière volontairement erronée, ou incomplète car trop souvent employé à mauvais escient. En utilisant le terme typographie, j’essaye de regrouper sous une même notion deux disciplines (très) différentes ayant pour point commun les lettres de notre alphabet, l’art du lettrage et l’art de la typographie. Mais on ne devrait jamais confondre lettrage et typographie, ces disciplines étant à l’origine pratiquées par des personnes différentes, parfois dans des contextes également différents. En tant que designer graphique, pour qui le lettrage et la typographie font l’objet d’une pratique quotidienne, il m’a semblé important de regrouper ces sujets dans ma recherche. Néanmoins, afin de rendre la lecture de ce mémoire plus compréhensible, je vous livre une brève explication des distinctions entre lettrage et typographie. On pourrait résumer le lettrage à « l’art de dessiner des lettres », mais ce serait faire un énorme raccourci. Selon Gerrit Noordzij, il s’agirait plutôt de « l’art de dessiner un mot ». Agencer des lettres dessinées pour un usage unique et un propos spécifique. Le lettrage peut-être utilisé pour un logo d’entreprise, une enseigne, un titre de livre, un nom de bateau. Par opposition à la typographie, les lettres qui composent un lettrage sont interdépendantes. « Sur-mesure », elles se réinventent à chaque fois, et sont en relation directe au mot, son support, son espace, son contexte. La typographie quand à elle, consiste à agencer des caractères mobiles d’imprimerie, pour composer un mot, une phrase, un texte, un livre. Autrefois arrangée à la main avec des caractères en plomb ou en bois, aujourd’hui immatérielle, élaborée numériquement sur un ordinateur, la pratique de la typographie n’a presque pas changé. « Écrire avec des lettres pré-fabriquées » disait Gerrit Noordzij. Une forme de « prêt-à-porter », qui demande beaucoup de goût et de soin dans son agencement et dans ses combinaisons. Autrefois prise en charge par l’imprimeur, la typographie est désormais entrée dans le champ de compétences du designer graphique. Le terme typographie est souvent employé pour désigner le dessin de caractères, ou type design en anglais, ce qui finit de semer la confusion dans le vocabulaire. Le type designer conçoit des caractères destinés à l’usage d’une tierce personne, ou à son propre usage s’il est lui-même typographe. Contrairement au lettering artist, le dessinateur de caractères dessine des alphabets complets, capitales, bas-de-casse, chiffres, espaces, ponctuations, et signes mathématiques. Son œuvre, destinée à un usage courant revêt un caractère universel. Fred Smeijers évoque avec cynisme une quatrième discipline : le font tweaking. Cela consiste à modifier ou customiser des polices de caractères existantes afin d’obtenir un produit « original ». Si cette pratique existait déjà autrefois, elle s’est intensifiée avec la démocratisation des outils de dessin de caractères. Parce qu’elle ne me semble pas d’un intérêt majeur, et qu’elle peut nuire aux professions de la typographie, je n’aborderai pas ici cette pratique.



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« Henceforth I gave up all ideas of becoming an architect and became a letter-cutter and monumental mason. This at the time seemed an escape down from a gentlemanly profession to the rank of skilled artisan. »   A.E.R.G.

*  Pour un aperçu détaillé de cet apprentissage, voir mon rapport de stage Learning from Seattle, auto-édité, 2011.

Durant l’été 2010, dans le cadre de mes études de design graphique à l’École nationale supérieure des beau-arts de Lyon, j’ai eu la chance de partir effectuer un apprentissage de huit semaines chez Sean Barton [voir pp. 46-47], un artisan peintre en lettres installé sur les docks de Ballard, à Seattle, dans l’état de Washington, à l’extrême Nord-Ouest des États-Unis. Après avoir passé les deux premières semaines à observer et assister mon patron au travail, j’ai pu prendre le pinceau en main pour la première fois. S’en sont suivies quelques semaines d’exercices : tracer des traits verticaux, horizontaux, obliques, en arc de cercle, sur des dizaines de feuilles, jusqu’à ce que chaque trait soit « propre », et identique à son voisin. Par la suite, j’ai du recopier différents alphabets traditionnels, Thick & Thin, Plain Block, Script, Slant Style… sur de grands formats de papier, en respectant une hauteur de caractères de 3 pouces (7,6cm), avec le même pinceau de marque Mack série 189L, taille 6, et de la peinture 1Shot poster. Une fois ces différents styles maîtrisés, j’ai pu peindre quelques mots, sur des planches de papier cartonné, toujours avec le même pinceau. Voyant mes progrès réalisés et l’assurance qui me gagnait, Sean m’a fait faire quelques exercices de rapidité. « Recopie ce lettrage en une heure ». J’y ai passé l’après-midi. « Un peintre en lettre ne peut pas vivre de son métier s’il n’est pas rapide » m’a t-il dit d’un ton encourageant pour conclure la journée. Enfin, j’ai appris à apprêter correctement une enseigne en bois, ponçages puis sous-couches, trois fois de suite, et à utiliser la 1Shot laquée, pour le fond et les lettrages. Durant les dernières semaines de mon apprentissage, j’ai pu m’essayer à peindre divers panneaux de bois, bannières en plastique, et vitrines à l’endroit comme à l’envers. Trop rapidement, ce stage s’est terminé et je me rendais compte qu’il eut fallu que je reste encore plusieurs années pour apprendre complètement le métier. * J’avais découvert une profession dont j’ignorais tout, avec ses propres traditions, son mode d’enseignement, son vocabulaire,


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ses techniques. Tout différait de l’approche de la typographie que j’avais eue jusque-là. Le quotidien du métier était radicalement différent de celui auquel j’étais habitué. Cet apprentissage était-il compatible avec l’enseignement du design dont je bénéficiais dans une école d’art ? Quelle position adopter en tant que (futur) praticien ? « Si tu veux faire du lettrage, autant retourner faire un CAP peintre en lettre dans un lycée technique » me disait François Chastanet * lors d’une discussion autour de mon travail quelques années plus tard. L’artisanat était-il à bannir des écoles d’art françaises ? Je réalisais qu’une certaine hiérarchie existait entre la figure du designer et celle de l’artisan, le premier souvent considéré intellectuellement supérieur au second. L’adjectif « artisanal » n’a t-il pas d’ailleurs autant une valeur laudative que péjorative ? Le sens de ce mot se précise par l’opposition qu’il faut établir avec le travail artistique, le travail d’amateur et le travail industriel. En tant que designer, c’est plus particulièrement avec ce dernier que la distinction m’intéresse dans le champ de la typographie. Peut-on alors opposer les pratiques artisanales aux pratiques de design dans le champ de la typographie ? Les lettres dessinées et composées à la main sont-elles différentes de celles dessinées et composées avec une machine ? Leur contexte de production est-il fondamentalement opposé ? Cette opposition est-elle encore effective aujourd’hui ? Arthur Eric Rowton Gill (1882-1940) est une des plus célèbres figures du design anglais [voir p. 22]. Personnage aux multiples facettes, à la fois catholique et anarchiste, admirateur tant des courbes féminines que des lettres de l’alphabet, ses compétences s’étendaient de la gravure sur pierre et sur bois à la sculpture, en passant par l’illustration, la peinture en lettres, la calligraphie, la typographie, l’imprimerie et l’écriture. L’ambiguïté de son œuvre est représentative de l’opposition entre l’artisanat et l’industrie au XXe siècle. Au travers de l’étude du travail de Gill, j’essaierai de voir comment a évolué la typographie dans une économie contemporaine. Le typographe est-il aujourd’hui un « col blanc » ou un « col bleu » ?

*  François Chastanet, architecte de formation, est designer graphique et dessinateur de caractères à Bordeaux. Il enseigne à l’École supérieure des beaux-arts de Toulouse et il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’épigraphie contemporaine.


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*  Il y a une essence de la tradition. Dans ma bienveillance, je dirai qu’elles sont toutes respectables. Dans sa malveillance, Lacan, lui, disait : “Une tradition est toujours conne.” Mais c’est l’envers et l’endroit de la même médaille. C’est précisément parce qu’elles sont connes, c’est-à-dire l’objet d’une jouissance imbécile à elle-même inconnue, qu’il n’y a rien d’autre à faire avec que de les respecter, ce qui veut dire les tenir en respect et se tenir à distance. » Jacques-Alain Miller, « Lettre ouverte à Monsieur Guaino sur les mariages », Le Point, 29 janvier 2013, en ligne : www.lepoint.fr/invites-dupoint/jacques-alain-miller/lettreouverte-a-monsieur-guaino-sur-le-mariages29-01-2013-1621408_1450.php. [page consultée le 30 janvier 2013]

2  Étienne Souriau, Vocabulaire d’esthétique, avec Anne Souriau, PUF, coll. « Quadrige », 2004.

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OscilLAtions entre "conne tRAdITion" * & innovation D’un point de vue juridique, l’artisan est un travailleur manuel établi à son compte (alors que l’ouvrier est salarié par le patron) ; il exécute son travail lui-même ou avec l’aide de sa famille, de quelques compagnons ou d’un apprenti ; son statut d’artisan a pour critère son inscription au registre des métiers. D’un point de vue esthétique, l’artisan fabrique lui même et entièrement les objets qu’il produit ; il en choisit le modèle et en assure l’exécution complète. Celui qui n’exécute qu’une partie de l’œuvre est plutôt un ouvrier. Le caractère global et complet de l’œuvre artisanale depuis la conception jusqu’à la fin de l’exécution lui donne une unité organique. L’artisan travaille à la main ou avec un outillage mécanique réduit, et non pas en série avec des machines ; l’idée d’habileté manuelle et de savoir-faire est même souvent sous-entendue dans la notion de travail d’artisan. L’œuvre en prend un aspect vivant : les menues irrégularités de l’exécution manuelle font de chaque objet une pièce originale, jamais exactement identique à une autre. Le design, du terme anglais conception, résulte d’une relation entre le produit et sa finalité. La forme de l’objet doit être tirée de sa fonction et de son usage. Il est le fruit d’un dialogue entre concepteurs, exécutants, fabricants, sociologues et… analystes des marchés et des finances. Les objets créés sont destinés à la production de séries plus ou moins importantes, utilisant l’outillage technico-scientifique du système économique en place. L’objet est proposé au public après analyse de ses aspirations, parmi lesquelles furent privilégiées les tendances au fonctionnalisme, au respect des progrès industriels, et au dépassement du traditionnel. Dans la plupart des « écoles » de design, on décèle une méfiance à l’égard de l’artisanal et une volonté d’obtenir un produit parfaitement adapté, soit définitif dans sa structure, soit modulable par l’utilisateur. Le design est le résultat d’une société plus rigoureuse et rationnelle, soucieuse du temps présent plutôt que captivée par la fantaisie et la rétromanie. On verra que ces définitions tirées du dictionnaire d’esthétique d’Étienne Souriau 2 sont un peu réductrices, voir erronées si l’on considère spécifiquement les champs du lettrage et de la typographie.


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Dans l’introduction de son livre The English Lettering Tradition from 1700 to the present day *, Alan Bartram explique que son étude du vernaculaire s’est portée sur les lettrages des îles britanniques produits par des artisans, excluant par là toutes les productions de designers. Selon lui, le design graphique est une profession trop récente, qui n’existait guère avant la seconde moitié du XXe siècle, apparue dans un contexte très différent des métiers vernaculaires. Les artisans de la lettre travaillent selon une tradition transmise du maître à l’apprenti, ou du père au fils ; le designer étudie habituellement dans une école de design. L’ouvrier qualifié exécute généralement lui-même le lettrage final, alors que le designer délivre habituellement des croquis ou dessins techniques à un autre artisan pour qu’il exécute et interprète le lettrage. L’ouvrier qualifié conçoit en fonction de la tradition dans laquelle il a été formé, des formes qui ont déjà été éprouvées dans des situations similaires, bien qu’il puisse y conférer un maniérisme tout personnel ; pour Bartram, « le designer est concerné par la résolution de problèmes intellectuels auto-infligés, en créant une interprétation personnelle et originale, et il est susceptible de tirer son inspiration d’une grande variété de sources – souvent de milieux éloignés de celui pour lequel il travaille ». Les variations autour des traditions vernaculaires résultent non seulement de modifications conscientes, mais parfois de l’inaptitude de l’artisan. Ce qui peut avoir son charme. Tandis que l’inaptitude d’un designer donne un résultat simplement médiocre. Pour distinguer le travail de l’artisan de celui du designer, il faut garder en tête l’idée de tradition. Les traditions se transmettent du passé au présent, elles permettent une continuité chronologique et culturelle. La tradition et le vernaculaire sont étroitement liés, la plupart des objets vernaculaires étant traditionnels et inversement. La conception d’un objet vernaculaire répond plus aux attentes de la communauté qu’à celles de l’artisan. Dans son livre American Signs, Forms and Meaning on Route 66 2, Lisa Mahar oppose le créateur vernaculaire au designer « professionnel », les objets créés par celui-ci reflétant davantage ses propres goûts et attentes que ceux de la communauté. Elle cite également l’historien de l’architecture Thomas Hubka et son essai Just Folk Designing : « En travaillant traditionnellement, l’artisan explore un champ bien plus étroit que le designer, mais il n’en est pas moins créatif ». On comprend donc que pour comprendre les méthodes du design vernaculaire, il faut saisir comment les formes sont générées selon un mode de pensée dominée par la tradition. En travaillant traditionnellement, l’artisan s’offre l’adhésion de la société. Il respecte des règles établies depuis des générations, auxquelles la société a donné avec le temps son approbation. Il s’assure ainsi d’être compris par l’ensemble des membres d’une communauté. Dans son célèbre manuel Qu’est-ce qu’un designer : objets. lieux. messages 3, Norman Potter consacre un chapitre à l’artisanat, « le designer en tant qu’artisan », dans lequel il détaille les inconvénients et les avantages à travailler indépendamment dans un atelier : « Un atelier de services s’intègre de façon très directe dans une communauté locale. Il se développe et fonctionne par le biais de rencontres physiques, ce qui laisse des possibilités (sic) et permet en un sens de les renouveler. En proportion, les occasions

*  Alan Bartram, The English Lettering Tradition from 1700 to the Present Day, Lund Humphries, 1986.

2  Lisa Mahar, American Signs, Form and Meaning on Route 66. The Monacelli Press, 2002.

3  Norman Potter, Qu’est-ce qu’un designer : objets. lieux. messages [1969], postface de Robin Kinross, traduction de l’anglais par Gilles Rouffineau et Damien Suboticki, Paris, B42/ Saint-Étienne, Cité du design, 2011.


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de se lancer dans des travaux de design expérimentaux seront rares, mais découleront naturellement, si tout se passe bien, de l’acceptation progressive de l’atelier par les membres de la communauté locale, à mesure qu’il gagnera leur confiance par ses services. En second lieu, tout type d’atelier se caractérise fondamentalement par des concessions mutuelles, lesquelles agissent comme un moyen de contrôle et confèrent à ses activités une certaine proximité et un sens des proportions. De plus, il bénéficie en continu d’un retour d’informations grâce au mode de travail qu’il privilégie, voire par les arrangements commerciaux auxquels il consent. Troisièmement, au milieu de ce désert culturel dans lequel nous voudrions tous voir pousser une nouvelle vie vernaculaire, il est sans doute plus gratifiant de faire les choses (et de bien les faire) que d’en parler ou d’être celui qui donne les instructions. »

*  Harry Clemens Ulrich von Kessler (1868-1937) était un collectionneur d’art, un directeur de musée, un mécène, un essayiste, un diplomate et un militant pacifiste allemand. Sa maison d’édition Cranach Press était du type private press. 2  Voir Evan R. Gill, Bibliography of Eric Gill, Cassel & Co. LTD, London 1953, p. 139.

Ayant entamé sa carrière en 1900 comme dessinateur technique pour un architecte londonien, Eric Gill (1882-1940) se rend rapidement compte que ce régime de travail – où chacun exécute sa tâche sans se soucier des autres étapes de la production – ne lui convient pas. Parallèlement, il suit des cours du soir de calligraphie et de gravure lapidaire à la Central School of Arts and Crafts. C’est là-bas, guidé par son professeur de calligraphie Edward Johnston (1872-1944), qu’il décide de quitter son emploi de dessinateur industriel pour créer sa propre affaire d’inscriptions lapidaires et de lettrages pour l’édition. Il continua à travailler avec Johnston pendant plusieurs années, et le reconnaissait comme un véritable mentor. Eric Gill jouissait d’une telle réputation, qu’il se déplaçait dans toute la Grande-Bretagne pour peindre des devantures de magasins, jusqu’en France pour divers travaux, dont une gravure lapidaire à la cathédrale d’Amiens. Dans le domaine de la typographie (au sens de lettres gravées en vue d’être reproduites), un de ses premiers travaux connus remonte à 1904-1905. Il avait dessiné et gravé lui-même un alphabet romain en capitales pour le comte Harry Kessler *, destiné aux titrages d’une réedition de vingt-et-un volumes de classiques allemands. 2 [voir p. 27] L’influence d’Edward Johnston [voir p. 21] – que l’on considère comme le père de la calligraphie moderne – sur son travail fût considérable. On peut le constater en comparant ses gravures datant d’avant son apprentissage avec Johnston, avec celles qu’il réalise plus tard en tant qu’artiste indépendant [voir pp. 24-25]. Tout en gardant une apparence très « classique », les lettrages de Gill sont reconnaissables entre mille : fins, élégants, incisifs, contrastés sont autant d’adjectifs qui me viennent à l’esprit en les regardant. D’un point de vue plus objectif, on constate que ses ‘A’, ‘M’, ‘N’ sont généralement dotés d’empattements dans leur parties supérieures. Les terminaisons de ses ‘J’, ‘K’, ‘Q’, ‘R’, sont souvent amples. Ses ‘a’, ‘c’, ‘e’, ‘s’ sont très ouverts. La terminaison rompue de son ‘r’ est toute empreinte du ductus. Certaines de ces caractéristiques se cristallisent dans le dessin du Perpetua, publié par Monotype en 1929. J’y reviendrai plus tard.


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Positions paRAdoxales En tant que fervent défenseur des idéaux Arts & Crafts, Gill était convaincu que l’humanité pouvait s’épanouir dans le travail et la création. Selon lui, l’économie capitaliste, l’industrie et le taylorisme aliènent le peuple et lui enlèvent toutes possibilités d’initiatives. La société industrielle s’acharne à rendre le travail de l’ouvrier mécaniquement parfait et à reléguer toute son humanité à ses heures de temps libre. Il est devenu un outil entre les mains d’un concepteur, n’attendant de lui que de la bonne volonté. Malgré ce constat amer, Gill ne s’inquiétait pas pour l’avenir des artisans : « Fût-elle presque complète, la victoire de l’industrie mécanisée ne pourra jamais oblitérer la réalité de la responsabilité humaine, & nombreux seront toujours ceux qui choisiront d’être maîtres de leur propre travail & dans leur propre atelier, plutôt que maîtres d’autres hommes travaillant dans des conditions moins qu’humaines, c’est à dire des conditions où leur est déniée toute responsabilité intellectuelle. » * Rationnel, et conscient de la supériorité matérielle de l’industrie sur l’artisanat, Gill prône une véritable séparation de ces deux mondes « étrangers » : « Ainsi donc il existe deux mondes, et ces deux mondes ne se fondront jamais en un seul. Ils ne sont pas complémentaires ; ils sont, dans le sens le plus vif de ces mots, des ennemis mortels. D’un côté, le monde de l’industrie mécanisée, qui se prétend capable d’apporter aux hommes le bonheur, et tous les délices de la vie humaine — pourvu que nous nous contentions d’en jouir pendant notre temps libre, et ne demandions rien de tel dans le travail par lequel nous gagnons notre vie ; un monde réglé par le sifflet de l’usine et la pointeuse mécanique ; un monde dans lequel personne ne fabrique quoi que ce soit d’un bout à l’autre, où tout produit est standardisé et l’homme simplement un outil, un rouage. De l’autre, un monde déclinant, mais indestructible, celui du petit commerçant, du petit atelier, du studio de l’artiste, du cabinet de consultation — un monde où la notion de temps libre existe à peine, car elle y est presque inconnue, et très peu désirée ; un monde où le travail est la vie, & où l’amour l’accompagne. » 2 Ainsi, très tôt dans sa carrière, Gill se retire de Londres avec sa famille pour vivre dans une communauté Arts & Crafts — d’abord à Hammersmith puis à Ditchling dans le Sussex — à l’écart de la civilisation moderne. Il se consacre dans son atelier au lettrage gravé sur pierre, aux bas-reliefs, et à la sculpture monumentale. Son intérêt pour les arts médiévaux se manifeste jusque dans son accoutrement quotidien, blouse de travail, sandales et toque en papier. En 1913, il se converti au catholicisme et devient un fervent pratiquant. Pourtant, il semblerait qu’il agissait totalement à l’encontre de ses croyances : en 1989, Fiona McCarthy a publié une biographie de Gill 1, basée sur le journal de ce dernier. Le livre

1  Eric Gill, Un essai sur la typographie. Bibliothèque typographique, Ypsilon 2011, pp. 18-19

2  Eric Gill, Op. cit., p. 18-19.

1  Fiona Maccarthy, Eric Gill, Faber & Faber, 1989.


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révèle les mœurs « peu catholiques » de Gill, son rapport aux femmes et à la sexualité. Outre son épouse, il fréquentait plusieurs maîtresses dans ses communautés Art & Crafts et dominicaines. Il aurait également entretenu des rapports sexuels avec sa sœur et sa fille… tout comme avec le chien de la famille. Même si cela mérite d’être évoqué, mon propos n’est pas ici de juger de ses pratiques, qui si elles sont gravement condamnables, ne doivent pas occulter les productions qui nous intéressent. Il y a l’artiste, et il y a son art — Revenons donc à la typographie. *  La Monotype est une machine de fonte et de composition de caractères d’imprimerie inventée en 1887 par l’ingénieur américain Tolbert Lanston. Dans l’histoire de l’imprimerie, elle constitue un chaînon entre la typographie manuelle et la photocomposition.C En 1897, Monotype ouvre une branche en Angleterre, et construit une usine en 1899. L’entreprise était d’une taille suffisante pour justifier la construction de son propre chemin de fer. 2  Stanley Morison (né le 6 juin 1889 à Wanstead, Angleterre, mort le 11 octobre 1967 à Londres), est typographe, créateur de caractères et historien de la typographie. De 1923 à sa mort, il est conseiller chez Monotype Corporation. Il sera également conseiller typographique pour le quotidien britannique The Times à partir de 1929. Sa réalisation la plus célèbre est la police de caractères Times.

3  Voir les commentaires de Stanley Morison au sujet du Perpetua dans son livre A Tally of Type, Cambridge University press, 1973

Monotype *, sous l’impulsion de Stanley Morison 2, cherchait à publier un nouveau caractère de texte, qui conviendrait pour la conception de livres du XXe siècle. Un caractère issu de l’école de Johnston, plus universel que les fontes créées par les presses privées du début du siècle, jugées trop singulières et personnelles. Ce caractère prendrait sa source non pas dans la calligraphie, mais dans l’écriture épigraphique. Eric Gill s’avéra naturellement être l’artiste le plus apte à fournir ce travail. C’est à Charles Malin, graveur indépendant de poinçons très réputé à Paris – plutôt qu’aux graveurs de Monotype – que sont confiés les dessins d’Eric Gill afin de conserver les qualités incisées des caractères. Un jeu de capitales et de bas-de-casse en 12 points Didot est gravé en mai 1926, suivi des capitales de titrage en octobre de la même année. Les poinçons artisanalement gravés sont ensuite livrés chez Monotype en Angleterre et reproduits, d’autres graisses sont ajoutées à la série, et la Perpetua telle qu’on la connaît est publiée en 1929 [voir pp.28-29]. Gill venait donc de collaborer avec l'industrie, qu'il n'avait de cesse de diaboliser au travers des nombreux pamphlets écrits contre la civilisation moderne. Il retrouvait la ‘gentlemanly profession’ du designer, qu’il détestait lorsqu’il était encore apprenti dans un bureau d’architecture. Mais cette fois-ci, il était aux commandes. S’il avait mis un pied dans le design, ce n’était pas pour reproduire les gravures qu’il réalisait à la main. Avec l’aide des équipes de Monotype, Gill avait dû grandement adapter son dessin aux exigences de l’industrie typographique, et aux goûts de Stanley Morison en matière de typographie du livre. Le caractère fût une réussite, mais ni Gill ni Morison n’étaient complètement satisfaits du résultat 3. Désireux de continuer d’expérimenter avec les formes purement « industrielles », sans se référer aux traditions artisanales, Gill réalisa le caractère Joanna en 1930-31, à l’origine pour sa propre imprimerie. Hague & Gill press était une imprimerie de services. Associé avec son gendre, Gill avait pour ambition de réaliser des travaux de ville, et détestait être assimilé aux Private Press pour lesquelles il avait travaillé. Il imprima nombre de ses propres essais avec son caractère Joanna, ce qui valut finalement à ce dernier d’être publié par Monotype en 1937. Proche de la Perpetua dans sa structure, la Joanna est moins contrastée, et ses empattements sont parfaitement rectangulaires. Rationnelle, la Joanna est une mécane humaniste que l'on pourrait assimiler à un « Gill Sans Avec ». Gill promouvait vigoureusement l’idée que le travail de gravure lapidaire ne devait dépendre que d’une seule personne, de la conception à la réalisation. Pourtant, il employait une multitude d’assistants, certains éxécutant pour lui des gravures et des


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sculptures entières, ce qui pourrait sembler contradictoire à ses idées et ses écrits. C’est ce qui fait la complexité du travail et de la vie de Gill. Rejetant l’immoralité et la surindustrialisation de Londres, en 1905, il suit son ami Edward Johnston et s’installe dans la communauté Arts & Crafts de Hammersmith. En 1907, son interêt pour le Moyen Âge le pousse à s’installer à Ditchling, un petit village dans le Sussex, plus connecté aux méthodes de vie et de travail médiévales. En 1924 il s’installe avec sa famille dans un ancien monastère à Capel-y-Ffin au Pays de Galle *. Il a néanmoins toujours maintenu une forte présence sur la scène artistique londonienne, et voyagea jusqu’en France et à Jérusalem pour travailler. Et bien qu’il s’opposait au pouvoir de l’Église et de l’État, il ne refusait pas les commandes publiques comme par exemple la proposition d’un sceau pour le Roi George V en 1913, la sculpture du chemin de croix qui le rendit célèbre en 1914 pour la cathédrale de Westminster, et la standardisation de la typographie de la National Railway, circa 1933. 2

*  Eric Gill, Lust for letter & line, Ruth & Joe Cribb, The Brisith Museum Press, London 2011.

2  « The L.N.E.R. Standardization » in The Monotype Recorder, Modern Typography Number. Vol. 33, nº 4, hiver 1933 The Monotype Corporation, London

Anatomie(s) des caRActères Puisqu'il existe une typographie artisanale, et une typographie industrielle, on est en droit de se demander si la forme des caractères de l'une est différente de l'autre. Dans son essai sur la typographie, Gill démontre que notre alphabet latin s'est développé sur le modèle des gravures lapidaires antiques. Au Moyen Âge, les scribes n'ont fait que reproduire les formes inventées par les romains usant de plumes à bec plat, jusqu'à ce qu'ils inventent les minuscules pour une simple raison de rapidité d'éxécution (d'un ‘A’ tracé en trois coups de plume, on passe au ‘a’ en deux traits). 3 En 1450, l’invention de l’imprimerie et des caractères mobiles bascule les pratiques manuelles de l’écriture dans une ère protomécanique qui forge la typographie telle qu’on la pratique encore aujourd’hui. Son créateur, Gutenberg, n'invente pas de nouvelles formes de lettres ou une nouvelle forme de livre, il ne fait que reproduire les standards du manuscrit alors en vigueur : des caractères gothiques, composés très serrés sur deux colonnes avec des marges abondantes tout autour du rectangle d'empagement pour y laisser des annotations. La forme des lettres a ensuite lentement évolué des garaldes, empreintes de l'écriture manuscrite de la Renaissance, aux caractères « modernes », rationnels, avec un axe droit et sans trace apparente du ductus 4, en accord avec l'esprit de leur temps (les didones du siècle des Lumières, les mécanes et réales de la révolution industrielle). C'est par la suite l'écriture manuscrite et les différentes

3  Adrian Frutiger, l’Homme et ses signes. Signes, symboles, signaux [1978-1981].Atelier Perrousseaux éditeur, Paris, 2004.

4  Ductus est un mot latin dérivé de ducere (tirer, conduire, diriger). Il signifie l’action d’amener, de diriger, de tracer (en particulier les lettres). En écriture, le ductus est l’ordre et la direction selon lesquels on trace les traits qui composent la lettre. Chaque type d’écriture possède un ductus propre qu’il convient de respecter pour assurer une écriture fluide et naturelle.


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Première page du cahier de vingtquatre reproductions sur papier couché à la fin du livre d’Edward Johnston,

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Writing & Illuminating & Lettering. Johnston y précise l’échelle de reproduction, ce qui est significatif de

sa méfiance, et de son exigence envers la reproduction mécanique d’œuvres artisanales. Livre reproduit échelle 1.


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Dans son manuel Writing & Illuminating & Lettering, Edward Johnston détermine précisément les proportions d’une lettre

réussie. Cette double page donne des indications sur la chasse des caractères et informe sur les erreurs à éviter.


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Extrait de Paradise Lost, de John Skelton, publié en 1902 par la Doves Press. Les titres et lettrines sont dessinés et gravés par Edward Johnston. La fonte de texte, Doves Roman, a été dessinée par Sir Walker Emery d'après les travaux de Nicolas

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Jenson (circa 1470) et gravée par Edward Philipp Prince. L'ensemble des poinçons et caractères de la fonte furent jetés dans la tamise par T.J. Cobden Sanderson, l'associé de Walker Emery, suite à leur dispute et la fermeture de la maison d'édition.


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Edward Johnston (1872-1944) au travail, l’annÊe de publication de Paradise Lost. Photographe inconnu.


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Arthur Eric Rowton Gill en 1927, photographié par Howard Coster (1885-1959). À cette époque, Gill vit avec sa famille entre Capel-y-Ffin au Pays de Galles et Salies-de-Béarn au pied des

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Pyrénées. C’est également durant cette période qu’il crée les caractères Gill Sans et Perpetua pour Monotype. La cigarette sera responsable de sa mort prématurée en 1940.


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Contrat d’apprentissage, rédigé de la main de Gill pour son premier apprenti Joseph Cribb en 1908.


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En haut : inscription datant de 1901. La maquette préparatoire est accompagnée d’une note disant « A.E.R.G. 1901, avant d’étudier à la Central School of Arts & Crafts, avant l’enseignement de Johnston. On sent dans le lettrage une forte influence Art Nouveau, que Gill rejetera vivement plus tard.

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À droite : un mémorial aux lettrages très caractéristiques datant de 1908. La comparaison avec le précédent permet de constater la très forte influence de Johnston sur son dessin de lettres.


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En haut : Alphabet conçu par Eric Gill en 1905 pour servir de modèle aux peintres en lettres de la chaîne de librairies W. H. Smith & Son (toujours existante).

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En bas : Capture d’écran de la fonderie Radim Peško. Non disponible à la vente, le caractère Dear Sir/Dear Madam (2012) prend modèle sur l’alphabet de Gill, sans que son nom ne soit mentionné.


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Alphabets commandités par le Comte Harry Kessler en 1905, pour les titrages de re-éditions de classiques allemands. Ils s’agit de la première expérience connue de Gill avec l’imprimerie.

Ces alphabets m’ont servi de modèles dans le dessin des titres de ce mémoire.


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En haut : dessin préliminaire des bas-de-casse du caractère Perpetua. Au milieu : esquisse préparatoire d’une gravure lapidaire d’un mémorial pour Walter Hines Page. Cloître de l’abbaye de Westminster, juin 1923. En bas : dessin corrigé du Perpetua Titling.

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The Monotype Recorder, commemorating the exhibition held at monotype house of lettering and type design by Eric Gill. Vol. 41, nº 3, 1958 The Monotype Corporation, London


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abcdefghijklmn opqrstuvwxyz &

AND·TH WALTER A MOVABLE TYPE IS THE La comparaison des dessins précédents avec le Perpetua tel qu’on le connaît aujourd’hui permet de constater le rôle clé qu’a joué Monotype dans la finalisation du caractère, et son adaptation aux contraintes techniques de l’imprimerie : d’aspect général, le Perpetua est devenu plus robuste,

dans ses déliés comme dans ses empattements. De plus, la chasse des caractères a été légèrement égalisée et de nombreux détails ont été modifiés, afin de rendre la fonte plus transparente ou impersonnelle (la transformation du ‘a’, du ‘r’ et du ‘y’ est ici flagrante).


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Extrait du livre Counterpunch de Fred Smeijers. L’emploi de ce genre de schémas lui permet de démontrer que, si la gravure de poinçons permet

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potentiellement de réaliser n’importe quel alphabet, les caractéristiques des outils favorisent néanmoins certaines formes.


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Ces schémas extraits du livre Practical Sign Shop Operations de Bob Fitzgerald permettent au lecteur de visualiser simplement la méthode pour éxécuter un alphabet sans-serif (Gothic en

américain) avec un pinceau à lettrage. Il est nécessaire de « finir » chaque trait pour obtenir des terminaisons droites, plus « typographiques ».


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Eric Gill démontre ici pourquoi les caractères dits « d’ingénieurs » sont moins lisibles que les caractères traditionnels. Les formes traditionnelles sont plus instinctivement

adaptées pour être tracées à la main. Eric Gill, Un essai sur la typographie [1931] Bibliothèque typographique, Ypsilon 2011.


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Dans le cadre de la réforme typographique de la London and North Eastern Railway, le caractère Monotype Gill Sans fut adopté pour l’ensemble de la communication imprimée de la compagnie : tracts, brochures, affiches, grilles horaires, boîtes d’allumettes...

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Ainsi que l’ensemble de la signalétique, prise en charge par des peintres en lettres à travers tout le pays. Afin de donner l’exemple, Gill fut invité à peindre et à fixer lui même le nom de la locomotive la plus célèbre reliant Londres à Edinburg : The Flying

Scotsman. On voit ici Eric Gill (à gauche) lors de la cérémonie qui marquait l’accomplissement de l’uniformisation de la communication de la compagnie. À droite du groupe, C. G. G. Dandridge, directeur de la publicité de la L.N.E.R., à l’initiative de cette réforme.


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Gill a réalisé une série de schémas tels que celui-ci, afin de démontrer la rationnalité de son caractère Gill Sans. Ils participaient à convaincre les peintres en lettres de la L.N.E.R. d’adopter le modèle, en leur promettant que l’exercice de reproduction serait simple et réjouissant.


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ABCDEFGHIJKLMN OPQRSTUVWXYZ abcdefghijklmnop qrstuvwxyz Alphabet extrait du manuel de peinture en lettre Mastering Layout, on the Art of Eye Appeal de Mike Stevens (1986). L’auteur dit s’être à l’origine inspiré du caractère Caslon Italic mais que son style de peinture a évolué vers quelque

chose plus proche du Century Italic. Les échanges et les influences sont constants et réciproques entre l’impri­merie et la peinture d’enseignes, et il est parfois difficile de juger qui de la poule ou de l’œuf est arrivé le premier.

En bas : l’Adobe Caslon Pro de Carol Twombly dessiné en 1990 d’après des spécimens de William Caslon de 1734-1770


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Cette tombe anglaise du XIX siècle démontre que dès cette époque, les nouveaux caractères développés dans l’imprimerie et la peinture d’enseignes sont employés également pour la gravure lapidaire. Cet exemple comporte à peu près tout les nouveaux styles

d’alphabets alors à la mode : Gothiques (Blackletters), Égyptiennes ombrées, Scriptes, Grotesques, Italiques modernes, Normandes. Seule l’italique dérive de traditions propres à la gravure lapidaire.


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« Titled and Curved Display Lines », planche extraite du livre 1000 Practical Show Card Layouts and Color Sketches de Harold C. Martin (1930), p. 109. H. C. Martin, showcard writer (peintre de pancarte) reconnu pour son talent dans la mise en page des P.L.V.

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préconise l’usage des caractères à empattements : « je ne condamne pas les “trucs modernes”. Les lettrages modernes sont une révolte contre la monotonie de ceux penchés sur les typographies classiques. Si l’on a étudié l’art du lettrage depuis sa racine

tout en l’ancrant dans notre système, on se retrouve à faire des “trucs modernes” sans avoir à recopier de nouveaux alphabets. » L’auteur est visiblement averti des nouveaux courants (la nouvelle typographie) alors en vogue en Europe.


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Affiche de Jan Tschichold pour le Phoebus Palast, circa 1927, 118.8 x 84 cm. Fils d’un peintre en lettres de Leipzig, Il est devenu une figure majeure de la typographie moderniste, prônant

pendant la première moitié de sa carrière le rejet des traditions, préconisant l’usage de caractères sans empattement et la composition dynamique et asymétrique.


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À gauche : Cartes de visite de quatre artisans américains. En haut : Cartes de visite de quatre designers parisiens.


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Page de titre gravée par Eric Gill pour une réédition de Troilus & Criseyde par la Golden Cockerell Press (1927). La typographie du livre a été prise en charge par Robert Gibbings. Gill fait preuve d’une grande liberté sur l’anatomie des lettres pour entrer en raisonnance avec ses illustrations.

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Planche préparatoire (original gravé sur cuivre) du Romain du Roi, 1693. Le Romain du Roi représente selon Robin Kinross, le commencement de la typographie moderne. En effet, Louis XIV avait commandité une nouvelle fonte pour l’imprimerie Royale. Celle-ci fût mise au point par une commission

scientifique, ayant cherché à rationnaliser les caractères produits par les graveurs de poinçons pendant les siècles précédents. La gravure des nouveaux poinçons fût confiée à Philippe Grandjean, qui prît quelques libertés sur le dessin, pour atténuer la froideur géométrique de son design.


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Ce schéma proposé par Lisa Mahar dans son livre American Signs, Form and Meaning on Route 66 permet de visualiser les différences morphologiques entre les caractères vernaculaires et l’Helvetica.


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Double page de mon livre Learning From Seattle, au sujet de mon apprentissage de la peinture d’enseignes, 2010. (É=70 %)


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En haut : Atelier de Mystic Blue Signs, une entreprise de peinture en lettres traditionnelle à la Nouvelle Orléans. À la fois atelier de service et showroom, l’atelier d’Yvette Rutledge et Vince Ryland accueille les clients et touristes de passage.

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En bas : L’atelier de John Fitzgerald, imprimeur typographe à la Nouvelle Orléans. Il dispose de quatre fontes de texte complètes, ainsi que de quelques caractères de titrage. Il partage son temps entre l’impression de travaux de ville et de travaux personnels.


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*  Eric Gill, Un essai sur la typographie. Bibliothèque typographique, Ypsilon 2011, p. 31.

2  Eric Gill, Op. cit., p. 67.

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traditions d'écriture à la main qui ont imité ces formes typographiques propres à l'imprimerie. Les lettrages des pierres tombales du XIXe siècle en témoignent, ils font plus référence aux caractères d'imprimerie alors en vogue qu'aux gravures de la Rome Antique. « L'esprit est l'arbitre de la forme des lettres, non pas l'outil ni le matériau. Il ne s'agit pas du tout de nier que les outils et les matériaux ont eu une très grande influence sur la forme des lettres. Mais cette influence a été secondaire, et s'est exercée, le plus souvent, sans intention consciente de l'artisan. »* Encore aujourd'hui, lorsque l'on écrit avec application (comme pour remplir un formulaire par exemple) on écrit « en caractères d'imprimerie ». Ce constat que fait Gill confirme l'idée que la forme des lettres est plus influencée par les tendances d'une époque ou d'un métier que par l'usage d'un outil. « Dans les différents métiers où l'on s'emploie à tracer des lettres, il n'y a quasiment aucune référence consciente aux caractères d'imprimerie, & de tout temps, des traditions marginales se sont, semble-t-il, perpétuées indépendamment du courant dominant. Les écritures manuscrites des magistrats, des notaires, des ecclésiastiques, et ainsi de suite, ont continué d'aller leur petit bonhomme de chemin, sans paraître avoir été le moins du monde influencées par le courant dominant de leur temps. Mais cette indépendance n'est qu'apparente. Tous ces chemins de traverse s'égarent & se perdent, les activités auxquelles ils sont liés disparaissent, ou la force du courant les rattrape. L'écriture manuscrite & l'anglaise gravée sur cuivre se trouvent toutes deux aujourd'hui dans cette situation difficile. Si tant est que l'écriture manuscrite doive être réformée, c'est en appliquant un vrai savoir-faire des techniques d'écriture à la plume à la connaissance des techniques d'imprimerie, & non en ressuscitant la calligraphie médiévale […] La peinture moderne d'enseignes & la gravure doivent suivre la même voie ; quant à la gravure lapidaire, puisque nous pouvons chérir le souvenir de Trajan au musée, nous devons tout oublier de lui à l'atelier. » 2 À la fois graveur, peintre en lettres et typographe, et ayant appris l'art du lettrage en se référant à des modèles anciens, Gill considérait néanmoins que la forme des caractères typographiques se devait d’évoluer avec leur temps. Les anatomies des caractères dessinés par Gill signifiant ici l’oscillation de pratiques, entre manuelles et mécaniques, singulières et multiples. En effet, quiconque possède une petite expérience de l’usage du pinceau à lettrage admettra que n’importe quelle forme typographique est réalisable, tant que la patience et la précision accompagnent le travail. Les formes d’alphabets traditionnellement employés par les peintres en lettres résultent simplement d’une adéquation entre efficacité (rapidité d’exécution) et respect des traditions propres au métier (qui remontent au XIXe siècle). À l’heure du dessin de caractères numérique, cette remarque est d’autant plus vraie. L’outil informatique n’influence que très peu notre manière de dessiner, la lettre s’étant émancipée complètement de la main. J’y reviendrai plus en détail. Dans son livre Counterpunch : making type in the sixteenth century, designing typefaces now, Fred Smeijers dresse les ponts entre


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la pratique de la typographie telle que la connaissait les artisans du XVIe siècle et les designers d’aujourd’hui. Sa propre expérience de la gravure de poinçons à la main lui permet de comprendre l’origine de l’anatomie des caractères vieux de cinq-cent ans et toujours en usage aujourd’hui. Il explique comment l’outil peut avoir une influence sur les formes [voir p. 30 ] et compare les conditions de travail des graveurs de poinçons de la Renaissance au métier de type designer aujourd’hui. Cette une véritable réflexion sur l’évolution des « façons de faire » dans la typographie du livre.

Questions de reproducTIon Lors d’une conférence donnée à l’ATypI * de Brighton en 2007, le designer graphique, historien et théoricien anglais Richard Hollis revient sur l’influence en Grande Bretagne et ailleurs du calligraphe Edward Johnston (1872-1944). Il y fait notamment l’étude de son livre Writing & Illuminating & Lettering, manuel pratique de calligraphie, d’enluminure et de lettrage publié en 1906, dans un contexte industriel où ces arts d’origine médiévale n’avaient plus de raison d’être. 2 Enseignant en calligraphie à la Central School for Arts & Crafts, Johnston s’inscrit dans la lignée de William Morris (1834-1896), œuvrant pour un renouveau de l’artisanat et de « l’amour du travail bien fait ». Richard Hollis démontre qu’au travers de l’attitude de Johnston face à la mécanisation et à la reproduction, il était loin d’être cet excentrique, artisan naufragé à l’âge de la machine. Johnston était un homme du XXe siècle, aussi fonctionnaliste que les modernes de l’entre-deux guerres. Pour lui, Nothing is reproduced, something different is produced – « rien n’est reproduit, quelque chose de différent est produit ». Cet aphorisme exprime bien son attitude face à la reproduction mécanique. Il refusait d’ailleurs la plupart du temps que l’on reproduise ses lettrages sans en respecter l’échelle exacte. On pense ici à l’évocation de la « perte d’aura » selon Walter Benjamin 3, ainsi, dans Writing & Illuminating & Lettering, tous les schémas explicatifs on été dessinés à l’échelle 1. Mais les illustrations n’ayant pas été, elles, créées spécifiquement pour la publication sont soigneusement légendées, indiquant la source et l’échelle de reproduction (à l’image du frontispice du livre, et des plaques reproduites en niveau de gris en fin d’ouvrage sur un cahier de papier couché [voir p. 17] ). Johnston avait d’ailleurs refusé de dessiner des lettrages pour la Cranach Press de l’éditeur Harry Kessler, prétextant que le graveur responsable des reproductions devrait être aussi responsable du design. Cela ne l’a pas empêché de finalement travailler avec le graveur de poinçon Edward Philip Prince 4 à la conception d’une police de caractères – une blackletter 5 de 18, 12 et 10 points –

*  l’Association Typographique Internationale a été fondée en 1957 par Charles Peignot (de la fonderie française Deberny & Peignot). Elle se réunit une fois par an, autour de conférences et d’expositions dans une ville choisie.

2  Richard Hollis « Writing & Illuminating & Lettering… & Mecanisation » in Writings About Graphic Design, Occasional Papers, London, 2011

3  Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Sur la photographie, Éditions Photosynthèses, 2012. 4  Edward Philip Prince (1846-1923) était un graveur de poinçons anglais. Il a travaillé pour la plupart des presses privées anglaises, et a notamment gravé la Doves Roman pour Emery Walker et Thomas Cobden Sanderson. De son propre aveu au comte Harry Kessler, il se qualifiait de Craftsman who carried out other men’s designs (un artisan qui effectuait la conception d’autres hommes). 5  Ce que Harry Kessler nomme Blackletter dans le colophon de Hamlet correspond à un romain dont le dessin aurait été remanié pour lui donner la couleur des gothiques allemandes.


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spécialement destinée à une nouvelle édition du Hamlet pour cette même Cranach Press et imprimée en 1928. Les lettrages de titrage ont été finalement dessinés et gravés par son ancien élève Eric Gill, tandis que les illustrations furent prises en charge par Edward Gordon Craig. Harry Kessler s’étant chargé personnellement de la brillante typographie et de l’impression des trois cents exemplaires de ce chef-d’œuvre de la bibliophilie.

*  The Monotype Recorder, commemorating the exhibition held at monotype house of lettering and type design by Eric Gill. Vol. 41, No. 3, 1958, p.

2  Les inscriptions de la colonne Trajane comportent les caractéristiques suivante : O, Q, C, G, D ont des proportions circulaires, leur hauteur est sensiblement égale à leur chasse (largeur). M, W, A, N, V, T, ont des proportions carrées, leur hauteur est sensiblement égale à leur chasse. B, E, F, R, S, Y, I, J, K, L, P ont des proportions plus étroites. La hauteur de B, E, F, R, S, fait approximativement le double de leur largeur. Ces proportions contrastent avec celles développées au cours du XIX siècle, où la chasse des caractères tendait à s’égaliser sur l’ensemble de l’alphabet. Edward Johnston, Writing & Illuminating & Lettering, Pitman publishing 1906, p. 233.

3  Eric Gill, Un essai sur la typographie. Bibliothèque typographique, Ypsilon 2011, p. 55. 4  The Monotype Recorder, commemorating the exhibition held at monotype house of lettering and type design by Eric Gill. Vol. 41, No. 3, 1958.

Lorsque en 1915, Franck Pick, directeur du London Transport, commande à Johnston un caractère pour la signalisation et l’identité du métro londonien, il ne se refuse pas, là encore, de collaborer avec l’industrie. La commande exige un caractère radicalement simple et nouveau, « que le passager pressé ne confondra pas avec les publicités commerciales omniprésentes » *. L’ampleur du travail ne permettant pas à Johnston de prendre en charge la conception et la réalisation des lettrages, il dessinera le désormais célèbre Underground Alphabet et le laissera réaliser par des céramistes et peintres en lettres à travers toute la ville. Bien que son dessin fasse référence aux proportions classiques de la colonne Trajane 2, l’alphabet ne conserve aucune réminiscence de la trace de l’outil dans la forme des caractères. Il fait preuve d’une grande modernité dans son dessin, en interprétant de manière géométrique et rationnelle ces formes dites classiques – les O de la colonne Trajane ne sont en réalité pas parfaitement circulaires. De telles interprétations rationnelles de l’alphabet seront courantes une dizaine d’années plus tard avec entre autres les caractères Erbar (1922), Kabel et Futura (1927) ou Gill Sans (1928). Au sujet du caractère bâton de Johnston pour le métro londonien et à l’élaboration duquel il avait participé, Gill semble déjà porter un avis critique : « La première tentative notable pour déterminer la norme de caractères simples fut l’œuvre de M. Edward Johnston, lorsqu’il dessina le caractère sans empattements du Métro de Londres. Certaines de ces lettres ne sont pas entièrement satisfaisantes, surtout si l’on se souvient qu’un alphabet destiné à un tel usage doit être, autant que possible, à “l’épreuve des idiots”, autrement dit, les formes doivent en être mesurables, et résister à un exposé dialectique, comme diraient les philosophes — rien ne doit être laissé à l’imagination du peintre en lettres ou du fabricant de plaques émaillées. Le caractère sans empattement de Monotype marque peut-être une amélioration dans cette “épreuve des idiots”. Les lettres en sont plus strictement normées — dépourvues de formes qui dépendraient de l’appréciation et du sens critique de l’ouvrier chargé de les reproduire. » 3 Ce caractère dont parle Gill n’est autre que le Gill Sans. Dans le numéro du Monotype Recorder de 1958 4 consacré à l’exposition rétrospective du travail d’Eric Gill ; l’auteur, que nous appellerons Monotype ou « voix de l’industrie », les articles n’étant pas signés, développe et illustre le propos de Gill au sujet de son caractère sans empattement inspiré de son maître Johnston. Gill avait dessiné de nombreux schémas explicitant la rationalité de son dessin, avec lesquelles cet « idiot capricieux et entêté » qu’est le peintre en lettres ne pourrait se permettre la moindre inventivité [voir p. 35] ! Gill, désormais designer, était entré de plein pied dans l’ère de l’industrie et de sa supériorité sur l’ouvrier éxécutant. Le soin qu’il


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appliquait à rendre ses schémas à la fois évidents et attrayants témoigne d’un aspect pourtant trop souvent négligé par l’industrie : cette idée défendue par William Morris de l’expression du plaisir dans le travail. En proposant ce genre de diagrammes, Gill n’ordonne pas simplement à l’éxécutant, « fais précisément cela », il l’engage surtout à « regarder à quel point ce dessin sera délicieux à reproduire » *. Ce conflit entre artisans et designers est également perceptible dans l’histoire de la signalétique du métro de New York. La responsabilité de la signalétique du réseau de transport métropolitain est lentement passée, au fil des années, des mains des artisans peintres en lettres et céramistes locaux, à celles de grandes agences de design graphique. Cette passation de pouvoir ne s’est pourtant pas faite facilement. Selon Massimo Vignelli – designer fondateur d’Unimark International, une importante agence de design consultancy à qui la ville avait confié le contrat de restructuration de la signalétique du métro – « c’était le plus grand bordel du monde ». Vignelli n’était responsable que de la conception du projet, sa réalisation étant confiée à l’atelier interne de signalétique du métro. Les ouvriers de l’atelier interprétaient mal les recommandations d’Unimark, reproduisaient les lettrages à la main plutôt que de manière photomécanique, et les approches entre les caractères ne satisfaisaient pas Unimark. De plus, les nouveaux panneaux étaient accrochés par dessus les anciens, ce qui ajoutait à la confusion du réseau de transport. L’agence n’avait qu’un faible pouvoir de contrôle sur les peintres en lettres. Ce conflit reflétait des attentes fondamentalement différentes entre les artisans et les designers. Tandis que les premiers étaient absorbés à réaliser des panneaux, les seconds s’intéressaient aux systèmes les structurant 2. Aux États-Unis, les panneaux et les enseignes sont des espaces de création où se joue ce conflit entre artisans et designers : les traditions n’étant pas immuables, elles évoluent en permanence, au gré des progrès technologiques et sociaux. Lisa Mahar décrit cinq périodes majeures dans l’histoire des enseignes américaines entre 1930 et 1980. Symétrie, géométrie, rigueur (1938-1947), Thêmes et symbolismes régionaux (1945-1960), Abstraction et expression (1950-1957), Spécialisation, modularité et ségrégation (1957-1965) et Simplicité intensive (1961-1970). Cette dernière période correspond au moment où le designer graphique commence à remplacer peu à peu l’artisan dans la création des enseignes. En effet, le développement des motels, stations services et supermarchés franchisés implique une systématisation des enseignes. Les designers, centralisés dans les bureaux de grandes agences de communication, planifient la fabrication des enseignes, privilégiant les lettres en plastique préfabriquées et l’usage de caractères de type Helvetica [voir pp. 44-45]. L’emploi des bas-de-casse est également une nouveauté introduite dans le paysage par les graphistes 3.

*  The Monotype Recorder, commemorating the exhibition held at monotype house of lettering and type design by Eric Gill. Vol. 41, No. 3, 1958, p.

2  Paul Shaw, The (mostly) true story of helvetica and the new york city subway. www.aiga.org/the-mostly-true-storyof-helvetica-and-the-new-york-citysubway/ 18 novembre 2008.

3  Lisa Mahar, American Signs, Form and Meaning on Route 66. The Monacelli Press, 2002.


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Distinctions de cLAsses

*  William Morris, L’Art et l’Artisanat. Rivages poche, Petite Bibliothèque, 2011

« L’art intellectuel est séparé de l’art décoratif par des lignes de démarcation très tranchées, non seulement en raison du type d’œuvres produites sous ces appellations, mais aussi pour ce qui est de la position sociale de ses producteurs. Ceux qui s’adonnent aux arts intellectuels exercent des professions libérales ou bien sont des gentlemen comme on les appelle, tandis que ceux qui suivent les arts décoratifs sont des travailleurs payés à la semaine, en résumé, ce ne sont pas des gentlemen. » * Ainsi, dès la fin du XIXe siècle, William Morris, oppose socialement deux types d’artistes, l’artiste « décoratif » et l’artiste « intellectuel ». Par « arts intellectuels », Morris entend la pratique des beaux arts (peinture, sculpture, architecture), et il y distingue déjà deux catégories d’artistes : les vrais artistes, maîtres innés de leur art, et ceux qui y sont arrivés par leur position sociale ou leur capacité de travail. Ceux-là sont, selon lui, des artistes décoratifs « opportunistes », étant parvenus à intégrer un marché qui ne leur correspondait pas, et devaient se contenter d’offrir au monde des œuvres « belles » et « utiles ». Il ne faut pas oublier que Morris se réfère constamment à l’époque médiévale, où la distinction entre artiste et artisan n’existait pas. Les artisans, regroupés en guildes, puis en corporations, travaillaient tous ensemble dans un même but, sans hiérarchie autre que celle du maître et de l’apprenti. Selon Norman Potter, « L’artisan est un col bleu : il porte un bleu de travail (ou du moins il aurait besoin d’en porter un), a de la poussière dans les cheveux et mets les mains dans le cambouis. Il prend inévitablement part à des modes de comportement qui distinguent les ouvriers des cadres supérieurs, bien qu’il ait plutôt tendance à gagner moins, à effectuer plus d’heures, et à aborder son travail avec des objectifs et des principes que les ouvriers qualifiés n’auront généralement pas ou auxquels ils ne seront même pas favorables. L’artisan se sentira donc un peu seul au milieu de tous ces ouvriers, bien qu’il partage sur certains points une grande part de leur culture. Il sera tout aussi mal à l’aise en compagnie des hommes d’affaires et des cols blancs que sont les designers (et plus particulièrement les architectes), mais pour d’autres raisons. Malgré le fait qu’il soit lui-même souvent amené à enseigner, il n’éprouvera que peu de sympathie envers les universitaires et les théoriciens du design, probablement parce qu’il estimera que leur point de vue est fondé sur un désagréable mélange de privilège économique et d’ignorance pratique. C’est ce qui fait que les nantis de gauche sont si impopulaires, d’ailleurs. L’artisan s’identifie fortement à la “base ouvrière”, à ses yeux toute personne qui discourt sans avoir fait ses preuves devant un établi ou aux commandes d’une machine est automatiquement


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discréditée et ne mérite pas d’être prise au sérieux. » * On peut alors se demander si cette attitude de condescendance qu’ont certains designers envers les artisans n’est pas symptomatique de cette « lutte des classes » qui se joue entre cols blancs et cols bleus ? Une lutte qui aurait pour décor la distinction faite par Carl Mitcham 2 de deux façons d’être face au monde : l’une est associée à la particularité toute Heideggerienne du Dasein (parfois traduit comme « être-là »), tandis que l’autre caractérise une approche plus conceptuelle et planifiée à la manière du design. Si chez Heidegger il y a comme une éloge de l’artisan, c’est que les propriétés tangibles et immédiates d’une production artisanale se rapprochent de la significativité 3 de « l’être au monde ». Le design, lui, construit une distanciation structurante qui n’est plus « l’être-là ». Plus objectivement, je m’appuie sur la description de Fred Smeijers 4, pour qui l’artisan est dans le « faire », la fabrication, la répétition d’un geste appris, tandis que le designer serait celui qui conceptualise sa pensée. À l’un l’immédiateté concrète, à l’autre la distanciation qu’amène la structuration d’un projet. En somme, le col bleu est au monde ; le col blanc en est distant.

Notes sur LA peinture d‘enseignes À partir de ma propre expérience de la peinture d’enseignes, j’ai pu développer quelques hypothèses sur les différences formelles entre « typographie d’artisan » et « typographie d’ingénieur ». Cette dichotomie est déjà signifiée par Eric Gill lorsqu’il évoque les recommandations à suivre dans le dessin d’un caractère d’affiche : la manière gestuelle se pliant plus aisément aux contraintes de lisibilité que le dessin mécanique, plus rationnel et parfois maladroit [voir pp. 32-33]. Par exemple, et d’un point de vue pratique, s’il permet de réaliser tout type de lettrage, le pinceau à bout plat favorise certaines formes d’alphabet. On peut les diviser en trois sous-parties : les alphabets one-stroke (en un trait), les alphabets « semi-formels », et les alphabets « construits ». Les lettres one-stroke, si elles ne sont pas tracées en un trait ininterrompu, le sont en un strict minimum de coups de pinceau. Un ‘A’ nécessite trois coups de pinceau, un ‘B’ en nécessite également trois, un ‘C’ peut-être réalisé en un ou deux coups de pinceau, un ‘E’ se fait nécessairement en quatre traits, etc. Ces alphabets sont les plus caractéristiques du métier de peintre en lettres, on les qualifie de « non-finis », leurs terminaisons, portant la trace de l’outil, sont, d’une manière générale, légèrement

*  Norman Potter, Qu’est-ce qu’un designer : objets. lieux. messages [1969], postface de Robin Kinross, traduction de l’anglais par Gilles Rouffineau et Damien Suboticki, Paris, B42/ Saint-Étienne, Cité du design, 2011. 2  Carl Mitcham, « Dasein versus Design : the problematics of turning making into thinking », in International Journal of Technology and Design Education, 2001 vol. 11, pp. 27-36

3  Pour la définition du terme Significativité, voir le texte de Philippe Quesne, Les recherches philosophiques du jeune Heidegger, Kluwer Academic Publishers, Leuven, 2003, p. 162. 4  Fred Smeijers, Type now, Hyphen Press, London, 2003.


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*  Dans son livre Design : introduction à l’histoire d’une discipline (pocket 2009), Alexandra Midal évoque Marianne Brandt, cette étudiante du Bauhaus qui proposa deux théières, dont une qu’elle présente comme faite à la main (avec toutes ses imperfections) et la seconde comme produit industrielle à la fabrication parfaite). Marianne Brandt fait ainsi un véritable éloge de l’industrie, démontrant sa supériorité sur les produits artisanaux. Pourtant, le subterfuge était que les deux théières avaient été fabriquées à la main, pour des raisons économiques, tous les industriels ayant refusé de fabriquer son produit.

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arrondies (Flood Stroke), ou asymétriques (si l’on twiste le pinceau en fin de course). Toutes sortes de caractères avec ou sans empattements et de scriptes peuvent être réalisés de la sorte. C’est la technique la plus rapide, et la plus adaptée pour les travaux de petite taille, ou l’inscription de textes longs. Mais c’est également la technique exigeant le plus d’expérience et de maîtrise de l’outil. La graisse des caractères dépend directement de la largeur du pinceau utilisé, et de la pression exercée sur celui-ci. Avec une écriture « semi-formelle », le peintre en lettre peut réaliser une grande variété d’alphabets : linéales, Elzévires, mécanes, etc. Cela consiste toujours à tracer sa lettre en un minimum de traits, mais les terminaisons sont rendues rectilignes par un dernier coup de pinceau perpendiculaire. Un ‘A’ se trace en six coups de pinceau, un ‘C’ en trois ou quatre traits, un ‘E’ en sept traits etc. Dans la catégorie des caractères sans-empattement, une linéale dite « humaniste » (aux contreformes ouvertes et aux terminaisons obliques ou verticales) est beaucoup plus rapide à tracer qu’une linéale moderne (aux contreformes fermées par des terminaisons horizontales). La forme des lettres se rapproche alors plus de la typographie, mais la trace de l’outil reste toujours visible (irrégularités, légère incision des fûts, ou même l’apparition de minuscules empattements, dûs au mouvement des poils du pinceau en fin de course). Cette technique est rapide, elle est adaptée pour les travaux de taille moyenne [voir p. 31]. N’importe quel style typographique peut-être reproduit au pinceau, si l’alphabet est « construit ». La technique ne consiste pas à tracer le contour puis à remplir l’intérieur des lettres, mais plutôt à en tracer les contours extérieurs d’un trait assez large pour que la lettre soit remplie. Une taille de pinceau adaptée à la taille du lettrage est évidemment nécessaire, mais cette technique est généralement la plus adaptée pour les travaux de grandes dimensions. Les tailles de pinceau étant évidemment limitées, les lettres de très grande taille seront nécessairement réalisées avec une technique de remplissage. La graisse des caractères ne dépend plus alors de la taille du pinceau utilisé ni de la pression exercée, elle découle du nombre de traits éxécutés. Étant souvent préalablement tracées au pinceau, les inscriptions lapidaires répondent à peu près aux mêmes exigences, et certains styles de lettrages sont plus adaptés que d’autres en fonction de leur taille. Mais la spécificité du marteau et du burin rend l’alphabet romain le plus adapté au travail rapide. Il nécessitera infiniment moins de coups de marteau qu’un caractère sans empattement. De manière générale, plus on essaye d’imiter les formes des caractères d’imprimerie, plus le travail sera laborieux. Avec de l’expérience, on peut réaliser des lettrages si « parfaits » qu’ils sembleraient sortis d’un fichier numérique et découpés par une machine dans du vinyl. Quel est alors l’intérêt de peindre à la main quelque chose qui semblerait sorti d’une machine ? * Si faire appel à un peintre en lettres n’est pas forcément plus cher que de faire appel à un poseur d’adhésif, lui faire reproduire parfaitement un lettrage dessiné sur l’ordinateur augmentera considérablement les coûts. Tout l’art de la peinture en lettre consiste, quelque soit le travail à réaliser, à


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tracer les lettres en un minimum de coup de pinceau. Tout comme une courbe de Bézier réussie demande un minimum de points d’ancrage. Le passage des enseignes peintes aux impressions numériques ou aux lettrages en vinyl a aboli les contraintes technicoéconomiques propres au métier. Le développement de la typographie numérique et la généralisation de la quadrichromie ont eu le même effet sur les métiers de l’imprimerie. Il suffit pour cela de constater, de nos jours, la profusion de couleurs et de polices de caractères sur le moindre prospectus commercial courant, en le comparant à un imprimé équivalent datant d’il y a cinquante ans.

le Devenir du typogRAphe La révolution informatique a irrémédiablement transformé le métier de dessinateur de caractère. Alors qu’il était devenu, depuis la révolution industrielle un « concepteur » donnant instructions et croquis à des dizaines de dessinateurs, fondeurs et compositeurs, le type designer voit son statut changer, en même temps que ses méthodes de travail. Les années 1980 sont propices à l’émergence des premières fonderies numériques indépendantes telles que Bitstream (1981), Emigre (1984), fontbureau (1989), qui inventeront des polices complètement originales pour les unes, tandis que d’autres surferont sur la vague des revival historiques. Ces fonderies deviennent rapidement des structures importantes, et dans les années 2000, de nouvelles structures indépendantes voient le jour, souvent dirigées par une ou deux personnes, proposant chaque jour de nouveaux caractères originaux. « L’industrie typographique » n’est plus. Plus d’usines de plombs, plus d’entrepôts de stockage, plus de ligne de chemin de fer et plus de division des tâches entre cols blancs et cols bleus. Ces petites fonderies prennent parfois en charge toutes les étapes de la création de caractères typographiques : conception, réalisation, promotion, vente, distribution... Elles proposent parfois des familles de caractères très étendues qui n’ont rien à envier, par exemple, à la police Univers et sa pléthore de déclinaisons initialement réalisées pour le compte de la fonderie Deberny & Peignot dans les années 1950, à l’apogée de l’existence de ces grandes entreprises. En effet, la dématérialisation de la typographie a permis à tout designer de créer sa propre fonderie sans besoin d’un capital de départ ou de locaux devant accueillir un matériel encombrant. Certaines fonderies en Europe deviennent financièrement rentables et permettent à leurs créateurs, parfois graphistes de formation, de se consacrer à plein temps à cette activité : Optimo, Lineto


57 1  Radim Peško a dessiné en 2012 le caractère Dear Sir / Dear Madam dans le cadre de l'exposition Zak Kyes working with. Selon Radim Pesko, la fonte est inspirée « d'alphabets classiques utilisés comme modèles par les peintres en lettres ». En vérité, le caractère est très clairement inspiré de l’alphabet dessiné par Eric Gill pour servir de modèle aux peintres en lettres des magasins W.H. Smith & Sons, circa 1925. 2  Ourtype distribue depuis 2012 le caractère Edward, dessiné par Hendrik Weber. Tout comme le Gill Sans, Edward s’inspire officiellement du caractère dessiné par Edward Johnston pour le métro de Londres en 1916.

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(Suisse), Radim Pesko Type Foundry 1, Ourtype 2, Underwear (Hollande), Colophon Foundry (Angleterre), Pampa Type (Argentine), Jean-Baptiste Levée Typography (France), House Industries, Commercial Type (USA) pour n’en citer que quelques unes. Ces créateurs étant responsables de l’ensemble de leur projet d’un bout à l’autre de la chaîne, il me semble que l’on peut les qualifier d’artisans de la typographie. L’artisanat ne se définit plus aujourd’hui dans un rapport au « fait-main », mais plutôt par sa liberté et son indépendance vis à vis d’un système corporate. Même s’il demeure quelques imprimeries au plomb (ou au bois), rares sont celles qui gravent et fondent encore de nouveaux caractères. Au regard de sa dépendance aux traditions, la typographie, qu’elle fasse preuve ou non d’innovation est plus que jamais dans la référence à sa propre histoire. En effet, parmis toutes les disciplines du design, la typographie reste probablement la plus liée aux traditions qui la régissent. Pourtant, nul doute que l’ensemble des praticiens typographes le font par amour de la lettre et du métier, et que celui-ci est d’autant plus manifeste lorsqu’ils sont leur propre patron, maîtres incontestés et incontestables de leurs créations… de l’idée à la finalisation.


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BibliogRAphie Anonyme « The Sign Painters of Old New York : This City Now Unsurpassed in the Variety of Display » The New York Times, 8 avril 1900

Gérard Blanchard Pour une sémiologie de la typographie Ed. Magermans, Rencontres de Lure et École des beaux-arts de Besançon, 1978

Michel Aphesbero (éd.), « Il réalisa des lettrages sur camion pendant 50 ans » Revue Le Pied de Biche no 5

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Les titres sont composés en Kessler Display, caractère dessiné par Alaric Garnier en MMXIII d’après les dessins d’Eric Gill pour l’Insel Verlag, Leipzig, MDCCCCV. Le texte courant est composé en FF Quadraat, dessiné par Fred Smeijers en 1992 comme une interprétation des types de Claude Garamond. La Quadraat italique, peu inclinée mais très étroite, respecte les recommandations énoncées par Gill au sujet des italiques réussies dans son Essai sur la typographie. Les notes & légendes sont composées en Ballard Sans, dessiné par Alaric Garnier en 2011-2012 d’après des modèles traditionnels de caractères sans empattements employés par les peintres en lettres américains. Le caractère Gill Sans, parmis d’autres, est resté une référence constante dans l’élaboration du Ballard, pour ses qualités humanistes évidentes. Je tiens à remercier vivement Hugo Anglade, Léna Araguas, Alexandru Balgiu, Sean Barton, Derek Byrne, Tom Castinel, Thierry Chancogne, François Chastanet, Gaëlle Choisne, Martin Clamens, Jean‑Marie Courant, Pierre Doze, Margot Duvivier, Britney Everett, John Fitzgerald, Camille Garnier, Jill Gasparina, Damien Gautier, Catherine Guiral, Keene Kopper, Célestin Krier, Lucie Patarozzi, Thomas Petitjean, David Post‑Koller, Pablo Réol, Octave RimbertRivière, Yvette Rutledge, Inès Sassi, Lisa Tararbit, Lauren Tortil & mes parents pour ces passionnantes discussions autour de l’art, du design et de l’artisanat, qui ont énormément nourries les réflexions abordées ici. Suivi de mémoire Catherine Guiral

Conception graphique Alaric Garnier

Imprimé et relié à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon en février 2013.

Quondam ScRIba Fidelis





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