Recueil atelier d'écriture 12/13

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Année 2012/2013

Je d’écriture Par les élèves de 1ère L du lycée Evariste Galois de Noisy-le-Grand


L’Autoportrait

Un corps imparfait

réalisés à partir du questionnaire de Proust et de L’Âge d’homme texte de Michel Leiris

J’ai un visage assez ovale, où chacun des éléments qui le caractérisent détient sa propre identité. Mon front est bombé et plutôt grand par rapport à la normale. J’arrive à placer ma main entière à sa surface. Mes cheveux, souvent attachés, le mettent davantage en valeur. Peut-être d’une façon positive, ou négative ? Mes yeux ont plusieurs couleurs, certains disent qu’ils sont très beaux, d’autres sont étonnés et ne savent pas quoi en penser. J’ai un nez assez petit, dont mes parents sont fiers car ils avaient peur que j’aie celui de mon père. C’est-à-dire assez voyant. Ma bouche se trouve être normale sans vraiment de qualités ou de défauts. Lorsque je souris, mes yeux se plissent, on me demande alors si j’ai des origines asiatiques, ce que je trouve assez bizarre puisque lorsque je ne souris pas j’ai des yeux ovales. Mon corps est quelque chose que je n’apprécie pas vraiment chez moi. J’ai la même morphologie que mon père : je peux ainsi manger ce que je veux sans grossir, certains décrivent cela comme une qualité, moi j’en parlerais plus comme un défaut. À chaque fois que je me regarde dans un miroir, je cherche les qualités que je suis censée avoir et pourtant j’ai beau chercher je n’en trouve pas.

J’ai des jambes et des bras trop longs et trop fins. Des chevilles fines comme du verre, en les voyant on pourrait presque les briser d’une main. 1m70 pour 55kg. Certains pensent que je pourrais faire mannequin, d’autres que je suis maigre, ou encore d’autres que je ne mange pas à ma faim. J’aimerais leur dire que sans eux et leurs critiques, j’aurais simplement été moi. Adeline Gagnier


L’Autoportrait réalisés à partir du questionnaire de Proust et de L’Âge d’homme texte de Michel Leiris

Pas si mal que ça… Je ne suis qu’une adolescente, je fais 1m64 et pour mon poids, je ne fais que quarante-sept kilos. Je suis fine, j’ai ce qu’on appelle le dos cambré, un petit ventre plat avec un nombril qui ne sort pas trop mais qui ne rentre pas non plus. J’ai une poitrine que l’on pourrait qualifier de quasi inexistante. Mes bras ne sont pas très musclés et mes épaules retombent comme ces filles souvent désolées de tout et de rien. Les médecins disent que je suis en souspoids, non pas que cela me gêne, au contraire. J’ai les poignets fins comme une petite fille de 8 ans mais j’en ai déjà 17. J’ai des doigts longs et fins, on dit souvent que j’ai des mains de pianiste. Les parties de mon corps sont parfaitement égales en longueur. Mes avant-bras font exactement la même taille que mes bras. Mon frère dit que c’est parce que je donne la même quantité que celle que je reçois.

Ma corpulence pourrait être celle d’un mannequin si elle était alliée à un mètre quatre-vingt. Mon corps est d’une minceur incroyable sans pour autant passer dans la maigreur, digne d’une danseuse. Ma poitrine est petite et sûrement proportionnelle à ma corpulence mais trop petite quand même. Je ne vois pas mon corps grossir, simplement parce qu’il ne grossit pas. Mon ventre s’arrondit de temps à autre mais ce n’est pas pour autant que je prends du poids. Aïdwina Pierre-Eliès


Requiem pour un corps Je voue une passion inconditionnée à mes mollets. Pour autant, ce n’est pas dans ma nature de porter un regard positif sur mes caractéristiques physiques. Mes mollets ? Pourquoi donc, je vous le demande ? J’éprouve, en effet, une certaine répugnance à l’égard de l’enchevêtrement de formes généreuses qui composent ma physionomie. Tout y est disproportionné à l’image de mes aspirations dans la vie. Ainsi, s’il m’était permis de suivre un schéma qui établirait un parallèle entre mes deux « moi », je déclarerais haut et fort sur la scène internationale les paroles qui suivent : « Mes yeux font état de mon ambition et de mon caractère observateur. Bien qu’ils soient de couleur foncée, telle une cabosse de cacao au centre d’un nuage de lait, ils n’obscurcissent pas pour autant ma vision de l’existence. Au contraire, tout ce que je vois est restitué par mes lèvres rosées et tendres, de manière positive. Pourtant à certains instants de l’existence – de plus en plus présents –, le besoin d’une vision transparente et par conséquent réaliste se transmute en un cri qui s’échappe de ma bouche… » Il est vrai qu’une étape essentielle manque dans le cheminement de la communication des pensées que j’ai précédemment décrit. Mon cerveau fulmine, fourmille, que dis-je, grouille d’informations diverses et variées que je peine à synthétiser. Celles-ci constituent pourtant ma richesse et réserve personnelle pour comprendre

L’Autoportrait réalisés à partir du questionnaire de Proust et de L’Âge d’homme texte de Michel Leiris

le monde qui m’entoure. Le regard interloqué de mon entourage à cet égard me gêne, et m’induit parfois à me questionner sur la légitimité de ce besoin perpétuel d’être informée. Je me demande si ce n’est pas la raison pour laquelle mon visage semble si élargi et mon crâne tant bombé. Mes parents m’ont effectivement dotée d’un front haut, de joues d’enfant que l’on a envie de tirer et de sourcils proéminents qui, avec mes lunettes noires, donnent l’impression d’un pare-brise de corbillard surplombé d’essuie-glaces sévères. Pour parfaire la relation symbolique entre mes actions et mon physique, mes oreilles – dont par deux fois le sang coula – restent des témoins fiables et utiles du monde qui m’entoure. En effet, celles-ci entrent en action tapies sous une couche épaisse de tresses rugueuses. Elles me permettent de partir à la rencontre des individus, mais d’être également à l’écoute de la vie elle-même constituée de sons multiples – l’une des plus belles touches musicales étant celle de Frédéric Chopin. Ce corps reste une enveloppe charnelle sans grand intérêt, une image, un mirage, la page d’une existence qui se tournera à son tour une fois que son histoire sera écrite. Alvine Datchoua


L’Autoportrait réalisés à partir du questionnaire de Proust et de L’Âge d’homme texte de Michel Leiris

Portrait Mes yeux sont marron clair. Enfin c’est ce que l’on croit avant que l’on ne regarde de plus près et que l’on constate que c’est seulement ma peau qui est plus foncée et leur donne cette couleur claire. Le blanc de mes yeux renforce cette impression. C’était la même chose avec mes dents, elles étaient plus blanches que la lumière. Elles l’étaient… jusqu’au jour où l’on m’installât cet appareil dentaire, que mes très chères amies appellent voie ferroviaire. Cette ferraille gonfle mes lèvres et les rend aussi imposantes que mon nez qui, d’ailleurs, met en avant l’écart entre mes yeux, car, oui, mes yeux sont un peu plus écartés que la normale mais juste un peu plus. Faut croire que y a que mes p’tites oreilles qui sont normales. Jason Edom


L’Autoportrait réalisés à partir du questionnaire de Proust et de L’Âge d’homme texte de Michel Leiris

Le corbeau Voilà, c’est moi. Je n’ai que 15 ans sur 1m70. Ça c’est fait. J’ai de longs cheveux noirs brillants, je les trouve noir corbeau. Corbeau ? Rien de rassurant, plutôt mystique comme aspect. De plus, mes yeux sont d’une profonde noirceur, mes amis me disent que j’ai un regard de tueuse. Rien d’attirant donc. Mon maquillage noir n’arrange en rien les choses, tout est sombre et noir. Pour me rassurer, certains disent que je suis ténébreuse. Cela me va, je ne vais pas vous mentir.

Le mystère qu’inspirent ces traits physiques n’est qu’une carapace. Carapace qui se brise au son de ma voix, c’est à ce moment-là qu’on découvre ma bouche pulpeuse, mais pas trop. Ah oui ! Et mon sourire, sûrement la seule chose que j’aime chez moi. Il est l’adorable reflet de mon cœur, ce cœur ouvert, ouvert aux autres, les autres qui ne me trouvaient en rien attirante et rassurante. Je m’égare, je tourne en rond. Parlons de mon buste, non plutôt de mon dos. Il est courbé, il a une histoire assez longue je dois dire… Elle vous intéresse ? Pourquoi ? Et bien dommage, vous n’en saurez rien, bornez-vous à mon sourire, cela vaut mieux. Je décroche, je ne sais plus quoi écrire. Est-ce vraiment moi qui ai écrit cela ? C’est un mystère, mystère de 15 ans sur 1m70. Voilà c’est moi. Vincianne Welter


L’Objet les élèves doivent décrire un objet important pour eux sans jamais le citer

Une fleur absente Mon objet est parfois caché, non par peur de le voir, mais par peur qu’il s’abîme et se raye contre le monde extérieur. Je ne peux pas toujours le regarder car il pourrait faire mal aux yeux et m’apporter plus de tristesse que de joie, mais quelques minutes par jour, son éclat et sa brillance apportent un rayon de soleil qui me réchauffe et me mène vers la nostalgie. Parfois, un visage se forme et me plonge dans un autre espace-temps. On retrouve ces émotions perdues, oubliées et effacées par les ombres. Lorsqu’on laisse entrer la lumière, une fleur brillante et majestueuse apparaît. Rien d’autre n’existe, juste la beauté et les souvenirs. Le dernier souvenir ! Le seul qui me permette de ne jamais l’oublier, le souvenir qui me rappelle sa beauté et sa gentillesse. Le bleu scintillant de ses pétales entourés d’or me fait parfois verser des larmes de joie, mais aussi de tristesse. Sa douceur et sa finesse rendent cet éclat encore plus beau et majestueux.

Comment se fait-il que ce soit le dernier souvenir de ce passé ? Comment se fait-il que cet objet me la rappelle tant ? Une multitude de questions m’enivre à chaque fois que je le regarde. Une part de moi a du mal à comprendre d’où vient cette chaleur qui me fait du bien et d’où provient cet amour qui reste intact malgré les années passées. L’autre part de moi, quant à elle, ne pourra jamais se lasser de le regarder briller de toutes ses forces. Adeline Gagnier


Souvenir, souvenir… Petite, chaque dimanche, je venais rendre visite à ma grand-mère. Elle avait, et surtout détenait, cet éclat intérieur qui permettait d’apporter du bonheur et de la joie partout où elle passait. Cette maison où j’allais pratiquement tous les dimanches n’était pas grandiose, immense ou avec une piscine, au contraire, elle contenait ces souvenirs et ce passé difficiles qui se sont répercutés sur les personnes qui y vivaient. Pour moi, cette maison était comme un parc d’attractions où je pouvais courir, crier, hurler et jouer ! Ma grand-mère était ce genre de personne qui pouvait redonner vie à un espace. Elle avait ce côté et cette particularité chez elle de ne jamais dire non. Peut-être étaitce une mauvaise chose ? Je ne sais pas. Elle me permettait seulement d’aller au-delà des interdits. Vous savez quand on est petit on n’est pas vraiment conscient de la mort et des répercussions qu’elle a sur nous. Comment j’aurais pu savoir qu’elle partirait du jour au lendemain ?

À cette époque, elle venait à mes anniversaires et souriait, enfin, d’après ce que je me rappelle et les vidéos faites. Et après quatre années passées avec elle, elle disparaît. En se réveillant le matin, on voit son papa, qu’on pensait parfait, pleurer, une maman qui essaie de le consoler. Une question évidente se pose : « Qu’est-ce qu’il se passe ? ». Et puis, il y a l’arrivée de la réponse longue et explicite, tout en essayant de ne pas trouver de mots difficiles. Est-il possible qu’un tel choc puisse vous faire oublier ces explications qui sont censées vous rassurer ? On finit par entendre seulement quelques mots : « grand-mère… décédée… train… hôpital… faute… rail… enterrement » Je ne remercierais jamais assez mes parents pour leur sincérité même si cela pouvait m’affecter. Je n’ai même pas pleuré, après cette nouvelle, je ne suis pas tombée en dépression. En fait, je sentais juste un vide. Froid. Peut-être n’ai-je pas conscience de la mort de ma grand-mère que je pensais immortelle. Je n’avais aucun souvenir d’elle. Elle venait se glisser parfois dans nos conversations comme si rien ne lui était arrivé. Ma mère n’hésitait pas à me la rappeler pour, je le pense, me réconforter. Elle me disait et me dit toujours : « Je suis sûre que ta grand-mère serait fière de toi ». Et puis les années ont passé. Son souvenir s’est affaibli. Je me demandais où étaient passés tous ses objets. Les avait-on jetés ? Vendus ? Donnés ? Cela me semblait trop cruel pour être vrai.

Et puis, et puis un séjour chez ma tante me révéla la vérité. Un parent éloigné de la famille que je ne connaissais pas vraiment et qui m’avait ignorée depuis mon enfance avait repris toutes ses affaires. C’est en voyant mon air triste que ma tante alla chercher une petite boîte. Elle n’était pas très belle, ni majestueuse. Elle l’ouvrit. Une fleur, ou plutôt un trèfle lumineux, est apparue. Elle m’a dit alors : « C’est le dernier, ou plutôt le seul souvenir que j’ai d’elle. Prends-en soin comme si c’était le plus beau des diamants au monde. » Je le sortis de sa boîte et l’essayai, elle était malheureusement beaucoup trop grande pour moi. Et elle me semblait tellement précieuse que je n’osais pas la porter par peur de l’abîmer ou de la perdre. Depuis je la garde, et parfois la regarde. Je sais, alors, que son souvenir restera avec moi. Cette bague c’est un très beau bijou non pas parce qu’il possède des ornements, même si cela accentue sa beauté, mais parce qu’il conserve l’âme de ma grand-mère perdue. Adeline Gagnier


L’Objet les élèves doivent décrire un objet important pour eux sans jamais le citer

Qui est-il ? Il n’était rien et il brillait. Qui brillait ? Les deux. Je n’y apportais guère d’importance c’était simplement le sien. Lui, en revanche était important et c’était important pour lui de l’avoir. C’était genre à la fois froid et à la fois chaud. Je pensais qu’un jour il n’y attacherait plus d’importance mais il me disait : « Non j’en ai besoin, c’est genre crucial pour moi, si je ne l’ai pas je ne me sentirai pas bien » et je le voyais toujours avec cet air interrogateur et ça se reflétait sur son visage. Il prenait le soleil, absorbait ses rayons et les renvoyait tel un miroir, un miroir de fer, un miroir sans images, simplement avec le reflet des rayons du soleil mais un miroir quand même. Rien ne disait que c’était important d’ailleurs moi-même je n’avais pas la moindre idée de son histoire. Mais lui, lui il lui en a donné une, il lui a créé une histoire !

C’était comme ça avec lui. Il aimait accorder une importance à un tout et à un rien. Il aimait agrandir les petites choses. Leur donner une valeur ultra-sentimentale. Comme un bout de papier où il y aurait un petit cœur dessus. Ce n’était qu’un bout de papier mais non, lui il y attachait, comment dire son âme, sa grande âme, sur des petites choses sans importance. Et il me disait : « Sois en sûre, un jour tu attacheras de l’importance aux petites choses. Ce jour-là c’est parce que la Terre se sera arrêtée de tourner autour toi ! » Et il avait raison. Les aiguilles des horloges ne tournent plus lorsque j’y repense. Le temps s’arrête. Le temps s’arrête quand je pense à eux. À qui ? À lui et à sa manie d’accorder de l’importance aux petites choses. Je crois qu’aujourd’hui j’aimerais connaître son histoire mais il perdrait tout son mystère et donc toute son importance. L’importance que je lui donne. Et les liens qui les relient à moi. S’il était là aujourd’hui, je lui dirais alors « Un nœud s’il est bien noué, t’auras beau le défaire, il y aura toujours des traces et des traces tu m’en as transmis grâce à ce nœud qui nous a toujours unis ». J’en prendrai soin pour lui parce qu’il a une histoire et qu’on n’abîme pas ce qui nous a été transmis. À croire qu’on prend plus soin des objets des autres que des nôtres. Aïdwina Pierre-Elies


L’espoir d’un renouveau J’étais là, j’encerclais son bras et je me demandais si un jour je serais libre. Il me tenait nuit et jour, j’étais comment dire ? En sa possession. Il m’avait apprivoisé, même légèrement abîmé comme pour marquer son territoire. J’étais passé par tant d’états : mouillé, glacé, chaud, brûlant même, à croire que ça l’amusait. J’avais toujours les rayons du soleil braqués sur moi tels une caméra. Ils m’éblouissaient et je le lui faisais bien savoir, malgré moi bien sûr mais au moins il le savait. Il faisait toujours en sorte de m’avoir sous les yeux comme si j’allais m’enfuir. C’est vrai, j’aurais voulu un peu de liberté, j’aurais voulu être détaché mais non il s’était attaché à moi. La nuit tombée, il parlait, parfois j’avais l’impression qu’il se confessait, qu’il parlait seul mais c’était elle. Elle le rassurait, l’empêchait de me baigner dans son sang nuit après nuit non pas que cela marche tous les jours, non, mais j’étais bien content lorsque cela fonctionnait parce que les bains de sang je vous avoue que c’était pas mon truc.

Parfois je sentais un corps familier, quelque chose un peu comme moi, quelque chose de froid et alors je savais, je devinais qu’il était en train de se faire du mal. J’implorais les dieux pour qu’elle appelle mais rien n’y faisait, c’était l’un de ces soirs où elle ne pouvait pas. Fichus kilomètres ! Huit mille non mais vous vous rendez compte ! Et lorsque par miracle la journée devenait plus ensoleillée de son côté de l’océan, elle venait et je savais oui je savais en secret que les bains de sang diminueraient, disparaîtraient quelque temps même parce qu’elle était là et qu’ils s’aimaient. Si j’avais pu lui dire, lui demander de rester pour toujours, je l’aurais fait et alors les bains de sang seraient définitivement terminés.

Un soir, oui ce soir où elle n’était pas encore arrivée, je sentais un corps chaud, son autre main caresser durement mon emplacement et tout de suite, j’eus un mauvais pressentiment. Nous allions de nouveau nous retrouver dans un bain de sang. À la lumière du jour quelqu’un nous trouva et je me retrouvai alors malgré moi, qui avais toujours eu une valeur inestimable, je me retrouvai comme un vulgaire grain de sable dans la mer. J’étais en train de me noyer dans son sang depuis quelques heures déjà mais je n’avais guère d’importance, c’était lui, c’était la star déchue telle un Elvis, un Michael ou une Marilyn. Quelques jours après, quelque chose de miraculeux se produisit, j’étais détaché, oui, mon rêve s’était réalisé mais c’était un bien pour un mal. J’étais détaché mais surtout détaché de lui, désunis, nous étions désunis et j’avais perdu toute ma valeur. Qu’allais-je devenir ? Il n’était plus mais moi, moi j’avais encore de l’importance, de la vie ! Je voulais qu’on me regarde avec des yeux, oui, avec les siens même s’ils étaient vides, vides de sens. Même si son regard s’était éteint, je voulais qu’on me regarde et je savais en mon âme et conscience de petite gourmette métallique qu’elle le ferait. Je savais qu’elle aurait le même regard innocent et apeuré qu’il avait, ce regard triste et admirateur à la fois, ce regard qui, malgré les seules petites heures passées, me manquait. Je savais qu’elle me regarderait comme cela parce qu’ils s’aimaient et se complétaient.

L’Objet les élèves doivent décrire un objet important pour eux sans jamais le citer

J’implorais donc les dieux de nouveau, sachant qu’ils ne pouvaient pas décemment me laisser là, orphelin, je leur implorais de m’envoyer à elle. Et vous savez quoi ? Je dus attendre mais ma patience fut récompensée. Trois ans plus tard, j’étais à elle et même si je savais qu’il y avait un risque pour que l’histoire ne recommence, je savais ou plutôt non, je voulais me jurer à moi-même que ma présence, ma soumission à son appartenance changeraient l’histoire. Aïdwina Pierre-Eliès


Un lien immuable La clarté d’une lumière blanche se propage sur les flancs serrés de sa peau. Elle ne parle pas et pourtant elle me parle. Blanche, beige, rose et presque orangée à certains instants de l’existence, je la regarde. Elle reste immuable dans l’arc-en-ciel de teintes qu’elle dégage : celles de la sérénité. Je la dévisage sans aucun regret. Pourtant, elle se fige, immuable dans son habit tacheté. Je ne comprends pas pourquoi elle ne s’est pas enfuie auparavant. En effet, il est vrai que je ne lui prête que peu d’attention. Elle doit souffrir sur cette bibliothèque infestée de volumes de la littérature classique française. Cette supposition pourrait paraître étrange, disconvenue ou même tout à fait dérisoire. Mais je vous assure que si vous lisiez dans ses yeux, comme je lis dans les siens, la dureté de son regard vous glacerait. Par ce dernier verbe, je ne souhaite pas témoigner d’une quelconque frayeur vis-à-vis de cet être qui me semble presque vivant, mais bien de la solidité de son corps. Ceci me semble d’une grande limpidité. En effet, si elle avait été en capacité de fondre, ma froideur envers elle l’en aurait dissuadée. Oui. De plus, elle se serait désintégrée sous le soleil brûlant : là-bas, dès le premier jour. Mais je ne comprends toujours pas la raison pour laquelle je l’ai gardée. Elle ne m’est en effet d’aucune utilité. Une présence, c’est tout ce qu’elle me prodigue. Certains diraient : « C’est déjà beaucoup ! », d’autres

L’Objet les élèves doivent décrire un objet important pour eux sans jamais le citer « Ne te plains donc pas ! Elle est si majestueuse » et ils diraient la vérité. Sa position supérieure dans mon cadre quotidien de vie relativise sa petite taille. Je l’admire de temps à autre et tout particulièrement au coucher du soleil. Elle se réveille de cette manière et se révèle à la vie. L’astre du jour plonge ses rayons jusqu’au plus profond de son être. Ainsi, elle s’émerveille. Si je m’interroge plus avant, il serait juste de remarquer que j’ai mis quelques années à réaliser la matière dont elle se composait. En y réfléchissant aujourd’hui, cela fait état d’une absurdité phénoménale dont j’étais l’auteur. L’enfant m’avait effectivement dit avec ces mots exacts… Ah ! C’est agaçant, je ne m’en souviens plus… « C’est en… gnagnagnagna… savon ». Savon ? Savon ? Le seul mot dont je me souvenais. Je le répète c’était absurde. Les deux années qui suivirent ma prise de possession de cette nouvelle « présence », des matières ont défilé dans mon esprit. Pourtant, la mémoire m’avait fait faux bond et le mot en six lettres ne revenait pas à mon esprit. Je reste fascinée par cet être immobile qui scrute le moindre de mes mouvements. Mon chat m’a fait comprendre que je n’étais pas seule dans ce cas. Oui. Il se regardait dans son propre miroir. Alvine Datchoua


Un caprice J’en ai enfin un ! UN VRAI ! Pas comme celui en plastique que l’on m’avait offert (N’est-ce pas Maman ? !). Il scintille à la lumière du jour. Ses perles grises illuminent ma nuit et cette perle bleue marine m’hypnotise et me remonte le moral. Mais je ne pense pas que ce soient ses perles qui le rendent cher à mon cœur. Vraiment très cher car on me l’a « offert » et j’ai « offert » en échange à cette vicieuse personne, le collier en argent qu’elle désirait tant. De la pacotille contre de l’argent… Je pense que ce n’est pas très équitable… Mais enfin bon ! Le plus important c’est que ce bracelet vient d’elle, cette personne avec qui je me sens bien. Jason Edom

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Histoire de l’objet Hum… Je suis plutôt fière de moi… Il me va bien. Je savais qu’il fallait que je lui fasse les yeux doux pour t’obtenir, petite feuille argentée. Et je t’ai eue en échange d’un bracelet… Un simple bracelet… Mais ai-je vraiment besoin de toi ? Ou voulaisje simplement un prétexte pour lui offrir quelque chose que j’ai chéri et qui vient de moi ? N’aurais-je pas plutôt préféré quelques mots sortis de sa bouche ? Dans tous les cas, je pense que c’est un idiot. Il m’a dit qu’il allait s’en aller, me laisser, moi, alors qu’il m’a dit qu’il allait toujours être là pour me soutenir… Quel menteur… J’espère au moins qu’il me laissera quelque chose de lui. Jason Edom


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Blessante douceur Il est doux, il ? Oui l’objet. Je lui donne vie, on dirait presque qu’il me le demande, pourtant il ne bouge pas, mais il vient de loin. Il est lourd, lourd de sentiments. Cependant, il n’a pas de cœur, enfin, il porte sans doute le mien. Oui il est doux, il m’accompagne dans mes rêves, néanmoins il existe. C’est un objet, il est concret. Il est doux, il m’aime, il m’aime parce que moi je l’aime, donc il me le rend bien. De toute manière, il a intérêt à m’aimer sinon je m’en débarrasse. Non en fait je ne peux pas, il est ancré en moi, il fait partie de moi. C’est moi ! Il est doux, je vous le jure, n’ayez pas peur de lui. Habituellement ce genre d’objet reflète la tendresse d’un enfant mais lui il est noir, sombre, obscur, ténébreux. Ténébreux ? Cela ne vous rappelle personne ? Je vous l’ai dit, il est doux et ténébreux, cet objet c’est moi. Vincianne Welter


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Coup de foudre Je ne t’ai même pas donné de prénom, c’est inadmissible. Je te promets d’y réfléchir. C’est à croire que je ne tiens pas à toi. Pour moi, tu vis, tu es l’amour que, lui, ne me donne pas, en tout cas pas comme j’en ai besoin. Lui, c’est mon père. J’ai vraiment du mal à dire « MON » car c’est un article possessif mais en réalité, je suis juste sa possession à lui, et encore, possession négligée. « PÈRE » par définition, enfin selon moi, c’est cet homme qui vous a donné la vie et pas simplement votre responsable légal. Voilà mon père, uniquement mon responsable légal. Appelons-le ainsi.

C’était il y a maintenant cinq ans de cela, l’année de mes dix ans. Trois mois après mon anniversaire, en Martinique. Voilà pour l’essentiel. Je suivais mon responsable légal dans les rayons de cette grande surface. Il faisait les courses, je faisais le chien. Soudain, en passant près du rayon « jouets », je dis malgré moi : « Hum… Pa’…tu sais que c’était mon anniversaire ? » L’homme restait indifférent, il comptait ses futurs achats. Du haut de mes dix années, ce fut une épreuve de me répéter en ajoutant une syllabe : - « Hum… Papa… tu sais que c’était mon anniversaire ? - Ha oui ma fille ? Tiens choisis donc un truc dans ce rayon là-bas et fais vite j’ai pas le temps, je vais à la caisse ! »

Et il partit. Sur le coup, cela me réjouissait. En me tournant, je fus face à un bac de nounours. Ils étaient souriants, joyeux et brun clair, tout ce que n’importe quel enfant aime, le choix n’allait donc pas être dur et puis de toute manière fallait faire vite. En essayant de prendre celui qui paraissait le plus neuf, j’aperçus une oreille noire. Elle m’intriguait. En soulevant ces - aujourd’hui, je le vois - vulgaires peluches, je découvris une mystérieuse panthère noire, presque l’air perdu. Comme si elle me disait « ma place n’est pas ici, aide-moi ! ». En un quart de seconde, je m’étais décidée. Cette panthère serait mienne. Une fois à la caisse, où se trouvait mon responsable légal, il me dit, presque par politesse : « T’as fait un bon choix ma fille ! ». Sauf que je n’avais pas besoin qu’il me le dise, je le savais !

Aujourd’hui, avec du recul, je me suis fait une nette interprétation de ce jour. En réalité cela lui importait peu. Le cadeau, mon anniversaire, moi… Responsable légal ? Hum ouais c’est ça, je ne porte même pas son nom. Un cadeau on l’offre, on l’offre pour faire plaisir, faire plaisir à quelqu’un, ce quelqu’un dont on connaît les goûts et les envies. Lui n’a rien fait de tout ça, c’est triste car cette panthère est mon premier - entre guillemets - cadeau venant de lui. Je crois que je le pardonne, je n’en suis pas sûre… Vincianne Welter


L’Objet les élèves doivent décrire un objet important pour eux sans jamais le citer

L’envie d’échouer Il est froid, long et rond à la fois, c’est mon premier comme cela d’ailleurs. C’est un symbole, un souvenir. C’est un bon souvenir avec un triste avenir. Il n’est point attachant mais je lui accorde tant de valeur. Cet objet dans les mains de quelqu’un d’autre ne vaut rien. Il m’appartient, je l’ai mérité. J’ai tout de même attendu trois ans avant d’en avoir un. Mais ça y est il est là, je l’ai. Mais je n’en aurai plus, il est bien trop précieux, et surtout maintenant il est en moi. C’est fou comme les objets nous pénètrent et nous hantent. C’est vraiment dommage, je n’ose même plus le regarder en face, en fait je crois que je le déteste, je le jalouse même. Pourquoi m’a-t-il fait cela ? Bon allez assez de s’apitoyer sur son sort, je dirais juste que cet objet est une victoire mais en quelque sorte le résultat de mon échec. Vincianne Welter


L’Image

Mélancolie permanente Une salle de bain. Simple, classique, plutôt grande. Oui c’est ça. Un espace immense qui, en fait, n’est pas mis en valeur. Tous les éléments qui le composent sont bleus. C’est donc, je le pense, une salle de bain traditionnelle peinte avec la couleur bleue qui rappelle l’eau et le vide de cette matière. La lumière est très peu présente, elle souligne ainsi le côté sombre. Sombre comme cette femme, qui a le regard dans le vide, qui semble perdue et trompée par la vie qu’elle mène. La porte à sa droite est l’un des éléments majeurs, puisqu’il nous renvoie l’histoire de cette femme perdue. On peut y voir un lit, enfin un bout de lit, dont plusieurs vêtements et tissus ne semblent pas trouver leur place. Un désordre permanent semble avoir pris place dans la vie de cette personne. Mais malheureusement ce désordre semble avoir eu certaines répercussions plutôt mauvaises et destructrices. Les miroirs ici semblent refléter et définir la vie de cette femme. L’un, nous montre le désordre, l’autre, quant à lui, nous présente les conséquences et donc la présence de médicaments.

les élèves doivent décrire une photo

Cette femme est la pièce principale de ce puzzle, son expression et son physique en sont les réponses. Elle a les épaules basses comme si tous les malheurs du monde reposaient sur elle, ses seins tombants et relâchés montrent le coup de la vie qu’elle a vécue. Son ventre assez enrobé, dessine ce personnage mystérieux et en même temps son côté révélateur. Révélateur ! C’est le mot. Tous ces éléments rassemblés nous révèlent l’histoire de cette femme. C’est-à-dire un passé difficile, hasardeux, confus et mélancolique. Une vie telle que personne ne souhaiterait la vivre. Une femme malheureuse qui dirige son regard vers la boîte de médicaments. Est-ce que sa vie est aussi malheureuse que ça pour perdre toute volonté de vivre ? Tous ses espoirs, tous ses rêves se sont probablement effacés pour laisser place à la réalité. Une réalité tellement brutale qu’elle peut mener un individu à souhaiter sa propre fin. Adeline Gagnier

d’après la photo Untitled (the mother) dans la série Beneath The Roses de Gregory Crewdson / 2007


L’Image les élèves doivent décrire une photo

Et… Action ! À travers cette vitre de restaurant, il regarde. Quoi ? Qui ? Je ne sais pas, mais il regarde, je dirais même qu’il observe. On dirait un bout de film juste quand ils mettent la pub, vous savez ? ! Ce moment où il va se passer quelque chose d’important, ce moment où l’on va découvrir un nouveau personnage. En regardant cela j’me dis : « Ce n’est pas n’importe qui, c’est lui, le personnage principal. Déclencheur de tout, du Bien, du Mal, de tout, vraiment tout ! C’est la vedette. » Sur sa peau, parce que, oui, on voit sa peau, son torse nu. Monsieur ne se gêne pas, il se balade comme sur la plage. Donc je disais, hum… Oui ! Sur sa peau, on voit les rayons du soleil, donnant à son corps la couleur jaune orangé d’un Californien bien bronzé, surfeur peut-être et sa coupe au bol rappelant bien ces derniers.

Toute mon attention s’est portée sur lui mais, en regardant de plus près, il y a d’autres choses qui auraient dû m’interpeller ! Ce jukebox avec le numéro 7, ha ha, mon numéro fétiche ! Je suis sûre que j’aurais appuyé sur le 7 moi aussi ! Pas pour la chanson, non. Juste pour le chiffre ! Et puis je suis sûre que j’aurais adoré la chanson de toute façon ! Et ce hamburger, dans son panier rouge, seul sans propriétaire, comme si quelqu’un l’avait commandé sans jamais le vouloir réellement. Et voilà que je m’aperçois qu’il y a un gobelet, là tout à droite. Un gobelet ! Pas entamée, je suppose, une boisson attendant quelqu’un pour la boire. Et ce jeune homme, ce jeune homme, seul, qui regarde, qui observe un restaurant à travers une vitre. Ce jeune que je ne qualifierais pas de joyeux ou même de triste. Ce jeune homme, simplement observateur avec une peau de surfeur. Aïdwina Pierre-Eliès

d’après la photo Eddie Anderson : 21 years old de Philip-Lorca diCorcia / 1990


L’Image les élèves doivent décrire une photo

Histoire noire Cette pièce contient deux âmes, mais vient d’en perdre une. Cette pièce cache le désordre émotionnel de ces deux âmes. Elle est rangée, propre et calme. Eux ou plutôt, elle, cette femme, s’accorde parfaitement au lieu. Propre sur elle, comme toujours, soigneusement coiffée et apprêtée, elle masque les apparences. Elle en a l’habitude. Néanmoins, elle a la tête baissée, l’air pensif en regardant ce sol si propre. C’est sûr elle souffre. En revanche, ce petit bout d’homme, à la porte, semble anéanti, il ne le cache pas, ou plus ou moins, parce qu’on lui a sûrement dit de le faire.

Il hésite, il a réellement du mal à quitter la pièce, pourtant ça aussi on le lui a demandé. Il a compris, il se sent impuissant face à la situation, se dit-il peut-être qu’il n’est plus ce fils modèle, ou que cela est de sa faute ? Peu importe, en preux chrétiens de leur siècle qu’ils sont, ils se doivent d’être exemplaires et d’une extrême pudeur face à la mort. Mort qui hante cette pièce désormais. Hantée car on le ressent mais on ne le voit pas. C’est à croire que rien ne peut perturber la sérénité de cet endroit, même pas la mort inexpliquée d’un nourrisson. C’était sa fille et pour lui sa sœur. Vincianne Welter

d’après la photo The Mother dans la série Dusk de Erwin Olaf / 2009


« Ah quel bel âge ! Quelle belle année ! » Marguerite restait assise sur ce fauteuil en cuir qui grinçait à chaque mouvement qu’elle faisait. Ce silence et ce calme, que certaines personnes aimeraient avoir, l’ennuyaient profondément. Alors elle pensait, elle pensait à cette jeunesse perdue, à cette beauté perdue. Ces après-midi passés avec ses amies à courir les boutiques, les regards d’envie que les hommes posaient sur elle. Le pouvoir de séduction lui manquait. La plongée et la découverte des mondes sousmarins. Elle se souvenait de toute la beauté des algues qui bougeaient telles des cheveux scintillants, ces coquillages mystérieux et incroyables. Une beauté telle qu’on ne la vit qu’une seule fois dans la vie. La beauté…

Le ronflement d’Hubert, son mari depuis maintenant 50 ans, la sortit de sa nostalgie. Ce ronflement était tellement puissant et fort qu’on aurait pu croire qu’un cochon s’était invité dans cette salle d’attente, où un psychologue conjugal allait bientôt les recevoir. « Où j’en suis ? Qu’est-ce que j’ai fait de ma vie ? » Elle se leva et partit chercher un verre de cognac, mis à disposition des patients depuis la crise cardiaque d’un homme face à sa femme qui venait de lui avouer son adultère. Elle fit quelques pas, sur ce tapis moelleux en fourrure. Ce tapis, en fait, qu’elle détestait et qui lui

rappelait la maison de ce grand-père autoritaire et sexiste qui ne supportait pas la présence des femmes à ses côtés. Mais comment avait-elle pu l’aimer ? Comment avait-elle pu venir tous ces dimanches chez eux ? Une enfance malheureuse et heureuse en même temps. Un bruit d’ambulance se fit entendre. Marguerite jeta un coup d’œil. Et Hubert, quant à lui, ne bougea pas et continua à ronfler. « Ha mais qu’est-ce qu’il fait ce médecin ! Il doit probablement être avec un couple difficile ou alors avec sa secrétaire ? », pensa-t-elle. Elle s’approcha du miroir à côté de la fenêtre, se regarda attentivement. Ses cheveux blanc argenté, placés en chignon telle la mode des femmes des années 50, permettaient de cacher sa perte de cheveux. Les rides sur son visage avaient accentué ses traits de caractère de sorte que son regard semblait toujours triste ou apeuré. Ce grain de beauté noir sur sa joue gracile rendait sa vieillesse encore plus voyante. « Ha ! Je suis sûre que ce médecin délaisserait sa secrétaire pour une personne telle que moi ! Personne ne peut rivaliser ! », Pensat-elle à voix basse. L’envie de plaire et de séduire lui était revenue. Elle s’approcha alors de la porte du cabinet, posa son oreille contre la serrure et ensuite caressa le bois de la porte. Elle attendait là, les genoux pliés, les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes. Elle n’entendit rien de bien concluant, enfin juste quelques sanglots et de petits cris. Marguerite retourna s’asseoir sur le fauteuil. Elle allait se replonger dans ses pensées quand Hubert, toujours endormi, entrouvrit les jambes. Elle l’avait obligé, avant de partir, à porter ce jean moulant pour soi-disant « faire bonne impression dans la rue et face au médecin ».

Ce jean qui lui rappelait sa jeunesse. Ce jean qui ravivait en elle cette passion perdue. Elle jeta un regard autour d’elle. Rien ne bougeait comme si le temps s’était arrêté. Elle vit une image sur le magazine à sa gauche, et lut le nom de l’article : « Comment réveiller le désir sexuel chez un partenaire qui n’en a plus ? ». Elle lut rapidement quelques phrases, jeta un dernier regard autour d’elle. Elle leva sa main droite tout doucement, tellement doucement qu’on pourrait croire que l’objet ou la partie recherchée lui faisait peur. Et puis… sa main toucha un objet dur. Elle chercha à le comprendre davantage, comme si elle n’avait jamais vu ou compris les parties masculines. Pour elle, c’était tel deux bombes à eau. Elle leva les yeux vers Hubert, cherchant une réponse au désir. Mais rien ! Rien ! Il restait penché sur sa canne à ronfler si profondément qu’on pouvait croire que son rêve était plus intéressant que la réalité. Elle ne pouvait alors entendre que le bruit d’une mouche. Les bruits de ronflement d’Hubert se firent de plus en plus forts, la mouche, probablement attirée par ce bruit se dirigea vers le visage d’Hubert. Celui-ci l’aspira d’un seul coup. Il commença à tousser, à ouvrir un œil. Marguerite, quant à elle, ne bougea pas sa main, curieuse de voir sa réaction. Hubert continua à tousser, les yeux bien ouverts, il finit par cracher cette mouche qui l’empêchait de respirer. Il regarda le tapis, puis cette main posée sur ses parties, il leva alors tout doucement les yeux vers Marguerite. Ils se regardèrent, lui cherchant à comprendre ce geste peu banal, elle cherchant désespérément une once de désir dans les yeux de son mari. « Une bombe nucléaire pourrait exploser, il ne réagirait pas », pensa-t-elle.

La Fiction travail d’imagination à partir de photos

Soudain, la porte s’ouvrit, le docteur apparut, la cravate défaite et les cheveux en bataille. Un homme furieux sortit, empoignant une femme par le bras, celle-ci jeta un dernier regard désespéré au docteur avant de sortir. Celui-ci l’ignora et dit : « Monsieur et Madame… ». Il s’arrêta net, regarda la main de Marguerite posée sur Hubert. « Ho ! Pardon ! Je peux vous prendre un peu plus tard si vous le souhaitez », dit-il tout en faisant un clin d’œil à Hubert. Marguerite répondit sans aucun scrupule et avec un grand sourire : « Ho non docteur, surtout pas, vu le peu de réaction de mon mari face à cet attouchement, je préférerais le tester sur vous, pour, au moins, vérifier que je ne vous paie pas pour rien, et surtout pour éveiller un minimum de jalousie chez lui. Après tout, je ne pense pas être la première à essayer cela sur vous, n’est-ce pas ? » Adeline Gagnier

d’après la photo de Erwin Olaf / 1998 réalisée pour la campagne Diesel Antique Dirty Denim


Mariage pour tous Et si ce jour-là tout changeait ? Et pour elle et pour la société. Sept heures du matin, le réveil sonne, dans un sursaut, elle découvre la lumière du jour, Sonia se prépara, se coiffa, brossa ses cheveux, choisit des vêtements comme un matin banal. À une exception près : « Ce matin, pas de céréales ! » Sonia opta pour un énorme pain au chocolat. Elle retourna à la salle de bain attraper un doliprane et des boules Quiès : « Ça c’est au cas où ! » Devant la glace, elle arborait un sourire d’une hypocrisie infernale, blessante même. Sonia s’entraînait. Il faudrait en faire un de la sorte lorsqu’elle parlerait aux inconnus qu’elle rencontrerait dans la journée. « - Je vais… chez Sylvie ! Je rentrerai tard, dit-elle à sa mère, pour la protéger d’une vérité qui pourrait la blesser. »

Protéger sa mère, c’est ce qu’elle avait toujours fait. Et elle continuerait. Elle l’aimait sa mère, et pourtant. Et pourtant, elle allait à l’encontre de ses opinions. Elle vivait dans une société où les sexes ne pouvaient se mélanger, un lieu où les couples hétérosexuels étaient critiqués, bannis même ! Une société où il fallait se battre pour affirmer sa différence : aimer un autre sexe.

Sonia n’avait fait que quelques pas mais elle sentait un regard sur elle. Elle tourna la tête. Un jeune homme la regardait. Si on les voyait ensemble, elle risquait les injures, les regards méchants et critiques. Mais, elle voulait lui parler. Elle sentait une attirance, quelque chose de spécial chez lui. Elle croisa les doigts à s’en faire mal et marcha droit vers lui, le fixa.

Sonia se regarda une dernière fois dans le miroir de l’entrée pour admirer ses jambes fraîchement rasées. Elle arrangea sa minijupe, enfila ses ballerines. Ça y est ! C’était parti pour les cris et la révolution… Tout le monde s’était donné rendezvous à la Grand’ Place. Ils allaient se faire entendre…

- Salut, je m’appelle Sonia. Tu vas à la manif’ ? - Heu… Ezra, oui, t’es venue toute seule ? - Oui. Disons que mon entourage n’est pas du tout du même avis que moi sur la société et que je ne suis pas censée me trouver ici aujourd’hui. - Je vois, mais tu es là n’est-ce pas ? Tu te rebelles ?, répondit-il en fixant la jeune fille. - Oui, j’enfreins les règles pour la première fois aujourd’hui et je t’avoue que je commence à avoir peur. - Oh ! Ne t’inquiète pas, tout se passera bien. Je suis là. - Merci mais je ne voudrais pas t’importuner. - Ta présence ne pourra qu’embellir ma journée, ne t’inquiète pas. - Oh, je ne sais pas quoi te dire, c’est très gentil, dit-elle alors que ses joues se teintaient d’un rouge vif. - Ne dis rien alors, donne-moi ta main, je te protégerai.

Elle prit le métro, regarda tous ces couples homosexuels et se dit : « Je ne suis pas comme eux ! Je veux avoir le droit d’aimer quelqu’un de différent. » Sonia était promise depuis l’enfance. Sa mère lui avait dit : « Tu te marieras avec Sylvie, c’est une chouette fille. Elle est bien élevée et puis vous vous entendez très bien toutes les deux. » Mais Sonia n’avait jamais rien ressenti à son égard. Sylvie ce n’était qu’une copine, et puis c’était une fille. Jamais elle ne pourrait épouser une fille ! « Je veux vivre autre chose ! » Voilà ce qu’elle pensait ! Elle descendit à l’arrêt le plus proche de la Grand’ Place. Sur le quai, elle aperçut les premiers couples hétérosexuels. Elle sourit : « Voilà pourquoi je veux me battre aujourd’hui ! Je veux avoir ce droit-là ! »

Elle lui prit la main et partit avec lui, fascinée par la beauté de ses propos. Sur le quai, les gens autour les observaient, chuchotaient, rigolaient d’eux. Une fille et un garçon ensemble c’était impensable, dégueulasse. Mais Sonia s’en fichait, se sentait en sécurité avec cet inconnu… Ezra. Le prénom résonnait en elle...

La Fiction travail d’imagination à partir de photos

Les slogans résonnaient dans la rue. Des centaines de personnes criaient : « Tolérance, espérance, vive la différence ! » Le cœur de Sonia battait la chamade. L’adrénaline coulait dans ses veines. « J’y suis », cette voix retentissait dans sa tête. Ezra la regardait, elle rougissait. Ils ne se connaissaient pas depuis longtemps ces deux-là mais peu importe, ils étaient venus seuls et à présent ils étaient deux. Deux, prêts à crier haut et fort dans les rues qu’ils étaient différents ! La manifestation commença, les slogans se faisaient entendre, les chansons également, bref c’était une manifestation comme les autres. Le truc c’était Ezra, ce jeune homme, il lui tenait la main depuis une heure sans la lâcher. C’était fusionnel. Un coup de foudre comme on n’en fait pas. Elle et lui ne voulaient plus se lâcher. C’était réconfortant de se savoir avec lui, alors elle en profitait. La révolution battait son plein. Les uns s’embrassaient, les autres dansaient et rigolaient, tout était devenu comme une grande fête à l’allure de débauche. Mais c’était beau, il y avait un nuage d’amour qui planait au-dessus de la foule, et c’était beau ! Sonia se trouvait à présent aux côtés de ce jeune Ezra et se demandait si elle ne rêvait pas. Si tout n’était pas que le fruit de son imagination. Mais non, elle avait beau fermer les yeux et les rouvrir, Ezra était toujours là, le sourire aux lèvres et la main dans la sienne.


Soudain, les CRS débarquèrent et Sonia sortit de la bulle dans laquelle elle s’était enfermée avec Ezra. Elle n’avait rien vu de négatif dans la marche enchantée mais la manifestation avait pris une tournure catastrophique : des bagarres, de l’alcool, de la drogue. Les forces de l’ordre devaient intervenir ! Les hommes en uniforme commencèrent alors à disperser la foule. La révolte était terminée. Sonia, prise de panique, lâcha la main d’Ezra mais ce dernier lui courut après. Il ne voulait pas la perdre de vue. Certains luttaient contre les agents, portant des casques et des matraques, d’autres se faisaient pousser par des boucliers. La place se vidait quelque peu, Sonia courut au centre de celleci et pendant quelques secondes, elle s’imagina être seule au monde mais la réalité la rattrapa bien vite lorsque la main de quelqu’un se posa sur son épaule. Elle sursauta de peur que ce soit l’un de ces hommes déguisés qui l’attrape, mais non en se retournant, elle découvrit le regard énigmatique du jeune garçon qui lui avait tenu la main toute la journée. Il caressa doucement sa joue gauche et quand il s’approcha, elle l’embrassa. Dans le feu de l’action, ils tombèrent mais leurs lèvres ne se décollèrent pas. Leurs jambes s’entrelaçaient et le regard des autres, on s’en moquait. Elle était venue se rebeller et personne ne les voyait. Aïdwina Pierre-Eliès

d’après la photo de Richard Lam / Vancouver - 2011 lors des émeutes post-Stanley Cup

C’était un samedi ensoleillé, un de ces samedis. Il fait chaud, il fait beau à tel point qu’on aimerait marcher sur une plage de sable chaud. Quatre hommes sirotaient un verre de Piña Colada au bord d’une terrasse. Il y avait Miguel, le plus rapide et intelligent des quatre, Pedro, le tireur d’élite, Juan, le « commandant de cette escouade » du dimanche (étrange, nous sommes samedi) qui prétendait être un ancien « soldat de la guerre ». Il lui arrivait souvent de dire « Jé veux guerre ! » Enfin c’est ce qu’il croyait, car il faut le préciser, le « commandant » Juan avait reçu une balle en pleine mâchoire (ce qui lui avait valu le surnom de fifty pesos) et cette blessure l’empêchait de parler correctement. Il lui fallait un interprète. C’est là qu’IL intervient. Qui donc ? Le seul, l’unique, l’indomptable, le remarquable : Señor Sanchez !!! De tous ces soldats, il était le plus… le plus, le plus, le plus… Il avait une guitare qui avait la couleur du feu et ça je crois que c’était sa plus grande qualité. Mais revenons à nos moutons : il faisait beau c’était un samedi ensoleillé, ils étaient assis à une terrasse avec de la Piña Colada et Sanchez jouait de la guitare en chantonnant un air qui restait dans la tête : « Banbeleloo, Bambeleloo ! Soy un hombre de Mexico ! » Il répétait ces paroles en boucle et ses amis le suppliaient de se taire. Il n’en faisait qu’à sa tête.

La Fiction travail d’imagination à partir de photos

Malheureusement pour les quatre compères, le Mexique et les Mexicains n’étaient pas vraiment bien vus car le Mexique avait envoyé des troupes pour aider le Pakistan à maîtriser les révolutionnaires dans leur révolte. En parlant d’émeutes, je me demande s’ils avaient remarqué les gens en colère qui criaient : « Sus aux mercenaires ! », juste à côté d’eux. Je me demande ce qu’en pensait le commandant : « Aïe ! Aïe ! » ? Ah oui, faut dire qu’on lui avait lancé une brique en pleine tête, oui juste une brique mais on ne sait jamais donc ils partirent se réfugier derrière un mur mais dans leur fuite, Pedro glissa sur une douille et se tordit la cheville. Dans sa chute, il poussa un cri de détresse en suppliant ses amis de l’aider à se relever. Sanchez, grand enfant dans l’âme, lui répondit : « Tu sais, le fait que tu te sois tordu la cheville, eh ben ça te fait une belle jambe ! » « Ce n’est pas le moment Sanchez !, dit Miguel, joue de la guitare pour calmer el commandante. Pourquoi ? rétorqua Sanchez. Parce que la musique adoucit les mœurs !!! » Jason Edom

d’après la photo L’homme à la guitare de Aris Messinis / Libye - 2011


La Fiction travail d’imagination à partir de photos « Mais non Monique c’est pas comme ça qu’il faut couper le céleri ! Tu sers vraiment à rien ! Pourquoi je t’ai épousée, incapable que tu es, je suis sûr que… » Il l’a sortie du lit, en pleine nuit, comme ça sans raison, pour préparer cette fichue soupe ! En fait, Gérard s’est endetté, il joue son argent en pensant que chaque jour est son jour de chance, du coup il joue et il perd. Résultat : de maigres salaires pour les fabuleux cuisiniers de son petit resto. Bref, ils sont partis. Monique, elle, est toujours là. Une chose est sûre, cette femme, elle l’aime. Bon, en fait c’est ce qu’on peut supposer vu qu’elle est toujours à ses côtés.

Un couteau venait de couper sa phrase et par la même occasion ses artères. Monique vient de le tuer. Que lui est-il passé par la tête ? Pourquoi ? Il se vide de son sang. Sans un mot ou même une quelconque expression sur son visage de femme négligée, elle prend un bac plein de torchons et se met à nettoyer le sol, comme au travail. Elle est femme de ménage dans une école maternelle. Elle a toujours voulu des enfants mais, lui, disait que c’était bien trop bruyant et coûteux. Elle s’y est donc résignée. Maintenant, elle a la ménopause. Monique nettoie ce sol, qui d’ailleurs, en avait bien besoin. C’est la routine pour elle. Comme dans Les Temps Modernes de Chaplin, même à l’extérieur de son travail elle reproduit les mêmes gestes telle une machine. Une machine, c’est ce qu’elle était pour lui, en réalité, une sorte d’objet, un outil pour réparer les dégâts de son défunt mari. Cet ignoble personnage. Cet ingrat de Gérard. Une fois le ménage terminé, elle reprit là où son mari l’avait arrêtée. Monique coupe le céleri. Soudain, on frappe à la porte. Elle ouvre. Dans ses mains, elle tient le couteau pour les légumes. Par hygiène, elle s’était servie d’un autre couteau pour son mari.

« Bonsoir Madame, les voisins se sont plaints de tapage nocturne, pouvonsnous entrer ? » Madame retourne calmement à son céleri. C’est sûrement les petits vieux qui ont un problème avec leur appareil auditif ; ils ont appelé la police par crainte. Faut pas leur en vouloir. Un des policiers pénètre dans la cuisine. En pointant le bout de son couteau, elle dit : « C’est par là ». Il tourne la tête en direction des indications de la femme. Il aperçoit le corps inerte d’un homme, les yeux grand ouverts. Le jeune policier regarda Monique d’un air choqué. Elle dit : « Benh quoi ? Au moins j’ai nettoyé ! » Vincianne Welter

d’après la photo Hartford dans la série A Storybook Life de Philip-Lorca diCorcia / 1989


Les textes de ce recueil ont été rédigés lors d’un stage d’écriture au Théâtre du Rond-Point du mardi 5 au vendredi 9 mars 2013. Cet atelier a été dirigé par David Wahl, dramaturge et auteur, et encadré par leur enseignante de lettres, Élodie Crouzillas. Ce projet a vu le jour grâce à la collaboration entre la Fondation Culture et Diversité, le lycée Evariste Galois de Noisy-le-Grand et le Théâtre du Rond-Point.

Un immense merci à Alvine Datchoua, Jason Edom, Adeline Gagnier, Aïdwina Pierre-Eliès et Vincianne Welter pour leur participation et leur confiance.

Remerciements à David Wahl, Élodie Crouzillas, Giovanni Cittadini Cesi, Margot Tracq à M. Ricci et Mme Fanjul du lycée Evariste Galois à toute l’équipe de la Fondation Culture & Diversité à toute l’équipe du Théâtre du Rond-Point

Crédits photos : L’Autoportrait : Giovanni Cittadini Cesi L’Objet : Margot Tracq L’Image / La Fiction : voir chaque texte

Lycée Evariste Galois Noisy-le-Grand


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