Recueil L'Autre- Atelier écriture

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Écrire L’A utre Année 2014-2015


SOMMAIRE Qui sont-ils? Portrait de Bryan p. 4 Portrait de Chloé p. 6 Portrait de Magalie p. 8 Portrait de Yasmine p. 10

L’objet Fétiche L'objet de Bryan p. 14 Lobjet de Chloé p. 16 L'objet de Magalie p. 18 L'objet de Yasmine p. 20

Mon objet me parle L'objet de Bryan p. 23 Lobjet de Chloé p. 24

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L’autre c’est.. Mon voisin p. 27 Un clochard p. 28

Une photo, un texte Ma voisine p. 32 Jacqueline et Pierre p. 33 Mon patron p. 35

La Fiction Une famille immensément petite p. 39 La Belle au Chaperon rouge p. 41 Le Passeur p. 45

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Portrait Dans l’absolu il est vrai que je suis jeune, pourtant, mon dos me fait souffrir comme un vieux. Pourquoi ? Je ne saurais le dire, peut-être parce que je suis souvent courbé, pour mes devoirs, pour le sport, pour l’école. Si ce n’est cela, c’est sûrement une question de famille. Ha ! Oui ! Mon bon vieux père lui aussi connait un bon nombre de problèmes dorsaux, il se peut qu’il m’ait contaminé, un virus ? Ou alors une malédiction, c’est de mauvais augure pour mes enfants. Enfin, ils vivront avec comme un fardeau. Les gens, les malédictions, tout cela m’inquiète, du moins, ça me fait peur; non, ça m’effraie, oui, c’est le mot juste, je suis effrayé notamment pour mes cheveux bruns et crépus, je les aime autant que j’aime les frites. Récemment j’ai appris que mon père a une calvitie. Santa Maria ! Il parait qu’elle est héréditaire. Santa Maria ! Je la sens arriver cette perfide, elle veut mes cheveux; moi je suis plus malin, je pense déjà aux implants capillaires. Mis à part mes cheveux, j’ai aussi un nez phénoménal, en fait j’ai un gros nez. Là encore la famille entre en scène, ma mère dispose d’un nez aussi impressionnant que le mien, toutefois à l’évidence, la question du nez réside certainement dans le fait que je suis noir. J’ai toujours cette image de la personne de couleur avec un gros nez dans la tête, mais Dieu a pris le dernier jour pour nous créer différents, non ? Et la bouche, mon Dieu ! La bouche pareille à une baleine, à un phoque, à un éléphant. En fait mes lèvres sont le Goliath de mes pieds. Au fond, je suis Frankenstein du 21ème siècle, une véritable création, une création de Picasso. Néanmoins, selon ma doctrine, personne n’est parfait, tout le monde est œuvre, et les œuvres sont tout le monde. Tentons d’en apprécier chaque aspect. Bryan

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Portrait Mon nez, au centre de mon visage, ressemble à celui d’un totem – c’est ce qu’on dit avec ma petite sœur. Je tiens ça de mon père. Comme tout d’ailleurs : mes cheveux raides, mes yeux marrons et ma peau acnéique. C’est mon héritage et ça me plaît. Mes yeux sont différents l’un de l’autre. L’un est rond, droit et respire la vitalité, quand l’autre est fermé, faible, malmené par une maladie et un ancien strabisme chirurgicalement modifié. Mes lèvres sont fines et, bizarrement, le fait que je parle beaucoup – trop selon ma mère - ne les muscle pas. Tout est à peu près proportionné dans mon corps mais ces proportions ne me conviennent pas. Mes bras, beaucoup plus poilus qu’ils ne devraient l’être, se terminent par des mains moites en permanence, pleine de doigts rongés par le stress. Mes pieds, eux, ressemblent à des pains au lait, même si la métaphore est assez surprenante. En fait, ils sont plats, révélant ma difficulté à choisir les tongs idéales pour l’été. Et à presque 17 ans, j’essaye de me décrire. Je barre, je gribouille, pour expliquer aux autres, qui me voient très bien, comment moi je me vois. Chloé

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Portrait Je suis une fille de petite taille, j’ai les cheveux blonds ce qui d’ailleurs est très étrange, car dans ma famille personne n’est blond à part ma grand-mère, qui lorsque j’étais petite, me coiffait et me disait que nous étions rares, à cause de notre chevelure dorée. J’ai deux yeux, ce qui est un bon nombre. Certains me disent qu’ils sont verts, mais moi étrangement je les trouve noisette. Est-ce normal que je ne me vois pas comme les gens me décrivent ? Revenons à moi, j’ai un petit nez, une petite bouche. Dans l’ensemble, chez moi tout est petit, et je pense que c’est pour ça que certaines personnes m’assimilent à une petite fille. Pourtant, j’ai 16 ans. Certes, je ne fais pas mon âge mais quand même... et oui je suis née en décembre 1998! J’ai des oreilles qui me paraissent dans la norme, mais mon père me répéte souvent que mes oreilles sont aussi grandes que ma curiosité. Oui j’ai une fâcheuse tendance à vouloir tout savoir, à mettre mes yeux et mes oreilles un peu partout. L’expression « Les murs ont des oreilles » a été faite pour moi. J’ai un dos assez droit. Je peux remercier les 6 ans de danse classique que j’ai fait, ça m’a été bien utile. Mes jambes sont d’une longueur appropriée au reste de mon corps. En revanche elles ne sont pas musclées ce qui montre ma détermination face au sport. Cependant celle-ci est plus présente dans mon envie de réussir ce que j’entreprends. Magalie

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Portrait Je suis plutôt petite, moins d’1 mètre 60. Pas grave me direz-vous ? Mais si! Et si l’on combine ça à ma chevelure de mouton et à mon nez aquilin, je suis le mixte parfait qui me fait ressembler à la sorcière Carabosse. Bon, pour en rester à mon physique, j’ai les yeux verts, des tâches de rousseur sur le nez et de grands doigts, très pratiques si l’on veut s’essayer à un instrument de musique. J’ai de petits pieds, je fais du 36, oui pas toujours facile de trouver chaussures à son pied. Mais mon physique a du bon car je fais plus jeune que mon âge ; et aussi cela me permet de me faufiler dans des endroits étroits, même si je ne m’y sens pas très à l’aise. J’ai la fâcheuse habitude de m’énerver très rapidement et de balancer des choses à travers la pièce, ce qui fait plisser mon front et me donne de petites rides. J’ai beaucoup de bleus sur les genoux, dus à mon habitude de tomber constamment, ce qui est logique, au vu des centimètres réduits qui me rapprochent du sol; Je le répète, oui je suis petite. Yasmine

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M O N O B J E T F E T I C H E 12


Les élèves décrivent un objet qui leur tient particulièrement à coeur et tentent de le faire devinver à leurs camarades et au lecteur.

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Tu me renvoies constamment à mon enfance perdue. Sans dire un mot tu touches mon âme de mille et une flèches aussi douloureuses qu’un dard. Ta forme simple et géométrique me délasse lorsque la solitude m’enlace. Tu es certainement le plus grand des chefs, tu as su fixer notre profonde et sincère amitié dans une pierre que même Katrina ne saurait fissurer. Tu as toujours été avec moi, j’ai toujours été avec toi, ils ont toujours été avec nous. On forme un trident à l’épreuve du temps, tu es la pointe la plus acérée. Pourtant, tu es chétive, fragile et inutile. Tes sœurs se comptent par millions, d’ailleurs je te le dis, elles sont toutes plus belles que toi. Il est vrai aussi que le temps a dérobé une partie de ta beauté. Aujourd’hui tu es très laide, tordue et pleine de tâches. Si tu devais être un homme, tu serais un vieux à l’article de la mort et ma sœur ne manquerait pas de t’achever. Mais tu symbolises ce que j’appelle « le bon vieux temps » et ça, ça n’a pas de prix. Bryan

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Souvent utilisé pour amuser, réconforter, faire plaisir, nous sommes habitués à voir des êtres aussi grands que nous. Mais moi, je suis à part. J’aurais pu être acteur et jouer dans une super série comme d’autres l’ont fait. J’aurais pu être adulé, adoré. Mais le destin en a décidé autrement. Souvent mis au placard, caché, protégé, je ne vois que rarement la lumière du jour. Je ne réconforte personne. Je suis banal, comme tout le monde, rien de plus, rien de moins. Je n’ai pas d’odeur spéciale, et je vis dans la paix. Je n’ai jamais été déchiqueté, tordu, dépecé. Il ne m’est jamais rien arrivé. Est-ce que cela me dérange ? Non, car moi j’ai une mission : symboliser l’amour, la volonté de faire plaisir. Certains diront que je ne suis pas aimé, que je mérite mieux. Mais moi, je me contente de savoir qu’on sait que je suis là et ce que je représente. Et aujourd’hui, je suis sorti pour montrer combien je suis important. Chloé

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Cet objet a une longue histoire, tant d’années et de souvenirs derrière lui. C’est d’ailleurs ce qui fait tout son charme. Il n’a aucune valeur, mais c’est un précieux trésor. Il est de la même matière que la personne qui me l’a offert. J’ai l’impression qu’il me permet d’avancer dans la vie, parce qu’avec lui rien ne m’est arrivé de mal. Il peut être tout seul mais ce n’est pas sa fonction première. Il est d’une simplicité complexe : tant de détails à observer. Il s’ouvre et se ferme comme mes yeux lorsque sa beauté m’éblouit. Il me suit partout, mais pourtant il ne peut pas marcher. C’est pour ça qu’il a besoin de moi autant que j’ai besoin de lui. Si par malheur je le perdais, une peine immense ce serait. Magalie

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Des mots, des souvenirs, des pensées, des paroles et des rêves prennent vie grâce à moi. Je suis là pour les soutenir, les transformer et les mettre en lumière. Sans moi comment pourrais-tu t’exprimer ? Te livrer ? J’ai souvent été malmené par ta volonté de bien faire, bien que tu ne sois jamais satisfaite de ce que tu fais. Moi je t’accepte telle que tu es. Des rayures et des nuages me décorent ; je suis partout mais c’est la façon dont tu m’utilises qui me rend unique. Ma fonction, c’est ton plaisir. Je suis là depuis le début à t’accompagner. Mais comment un objet aussi simple peut-il avoir autant de valeur ? Yasmine

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M O

Les élèves font parler leur objet, le font devenir l’autre s’adressant à eux et posant son regard sur le lien qui les unit.

N O B J E

T M E P A R L 22

E


Ho l’autre là ! Il m’agace, pourquoi me garde-t-il ? Je me demande quelle espèce d’importance je peux avoir pour lui. Regardez-moi ! Regardez mon état ! Je suis dépassée, vieille, faible, laide, au bout du rouleau. Je ressemble à une femme seule, en charge de triplés et qui dépend complètement des allocations. Si seulement je pouvais demander le divorce, pourquoi diable les photos n’ont-elles pas ce droit ? Je suis son moteur mais il me semble que lorsqu’un moteur est vieux, il faut le changer. S’il m’aimait vraiment il mettrait fin à ce supplice. Déjà, dès le premier jour alors que je venais d’être créée et qu’il a posé et sa tête et celui de son meilleur ami et celui de sa sœur sur moi, je voyais se profiler la grosse dépression, le genre d’union de laquelle on ne se défait jamais. Ah ! Si seulement je pouvais me gaver de mort aux rats. Il faut dire que ce que vivaient ces petiots là, c’était quelque chose hein ! Le genre d’amitié qui marque, c’était plus qu’une amitié, c’était de la fraternité. Ils avaient même inventé un air « Ginnehougi » pas une seule parole en plus, quelle débilité ! Je me rappelle qu’ils copiaient en trois exemplaires ce jour-là. « Mes sœurs », elles, elles sont mortes je pense, si j’avais twitter ou facebook j’en serais sûre, mais je ne suis qu’une photo. Ainsi, depuis le jour de son départ pour ce nouveau pays, nous sommes ensemble tous les deux, bien sûr je suis tout ce qui lui reste de cette amitié. Je lui avais pourtant dit : « Mais prends leur numéro idiot ! » Et lui comme à son habitude il ne m’a pas écoutée. Il parait que je suis important pour lui. Mon œil ! Il me pose sur une étagère sans jamais me voir ni me parler, sa sœur, elle ne se gêne pas, j’en fais des infarctus. Ça fait 1 an qu’il ne m’a pas touchée ou même regardée. Vraiment ! J’en peux plus, déchire-moi! Coupe-moi ! Brûle-moi ! Et détache toi de ton passé déjà écrit car ton avenir est à écrire. Bryan

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T’en as pas marre de te plaindre ? Tu fais que ça et pourtant c’est moi qui suis dans une boîte ! Tu veux changer, ne plus être la même. Moi j’aimerais juste être quelqu’un. Au début, quand ta sœur m’a acheté, j’étais content. Je me disais : « Chouette ! Une nouvelle vie ! » Mais ensuite elle m’a offert. À toi. Pourquoi pas à quelqu’un d’autre ? Quelqu’un qui me ferait des câlins, quelqu’un qui s’endormirait avec moi. Tu semblais si heureuse quand tu m’as vu, la première fois. Là, je sentais que j’étais spécial. Pourquoi moi ? Ta sœur ne t’offre presque jamais de cadeau ! Il a fallu que ça tombe sur moi…. Oh ! Je sais ce que tu penses : si ! Je suis important ! Je suis le plus beau cadeau que ta sœur ne t’ai jamais fait, blablabla… De toute façon, j’ai vite compris que je ne serai jamais le plus important pour toi. Ça m’est venu quand j’ai vu l’autre là, sur le lit. Ce fameux Kiki dont j’entends toujours parler. Lui, il a le droit de dormir avec toi, de te protéger, de t’aider. Lui, quand tu le perds, tu pleures. Lui, il te connaît depuis ta naissance. Moi, je ne pourrais jamais savoir si tu es triste de me perdre, parce que je suis rangé, tout seul. Oui, je sais…. Tu veux me protéger, ne pas me montrer parce que, pour toi, je délivre un message unique, quelque chose que toi seule comprend. Mais pourquoi ne pas me laisser partir ? Me donner ? Pourquoi ? Je comprends pas… Tu ne me montres pas que je compte pour toi… Oui tu as raison, il y a différentes façons d’aimer. Et je sais qu’entre toi et Kiki il y a un lien. Un lien fusionnel, sacré, que personne ne pourra briser. Mais moi, je suis différent. Je suis un lien entre toi et ta grande sœur. Je suis la preuve qu’elle t’aime et qu’elle sera toujours là pour toi. Alors oui, ça m’énerve que tu sois chiante, jamais contente, que tu veuilles être différente. Mais moi je t’aime comme ça. Maintenant, fais-moi plaisir. Pose-moi dans un coin, visible, pour que je puisse t’aider. Et souviens-toi, à chaque fois que tu me vois, que je suis là pour toi. Chloé

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Les élèves écrivent, racontent un autre, à partir d’intitulés piochés au hasard.

L’ A U T R E C’ E

S T . . .

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L’autre c’est.. . Quelqu’un

toi moi une chose ma mère un truc à manger une table un étranger eux nous Michael Jackson une maison Luc Bibi une épingle une chose Manon une main ça

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l’autre Papa Bobby Garfield flash rapidité moi appareil Will Smith Teddy Mowgli Oui-oui oui? Mario magique Paris Londres cloche


Un clochard devant ma porte

Ce pauvre homme malheureux, là tout seul dans un froid glacial, une nuit noire qui lui fit penser à son passé. Il maudit encore ce jour où tout a basculé. Au tout début de sa vie il était banquier, il passait ses journées au milieu de l’argent et aujourd’hui il se retrouve à la rue, sans un seul rond. C’était un homme très ambitieux et audacieux qui n’avait qu’une seule volonté, suivre son rêve. Et son rêve, c’était d’intégrer un cirque parce qu’à vrai dire il se faisait vraiment chier dans la banque. Lui voulait voyager et connaître la gloire. Et ça, ça tombait bien, car il avait un incroyable talent, c’était le seul homme à pouvoir faire ça : se couper un membre du corps qui repoussait en quelques minutes. Il a donc tout plaqué et intégré un cirque qui voyageait dans le monde entier. A cette époque il était heureux, tous les cirques se l’arrachaient, c’était lui la star. Londres, Paris, New-York, Montréal, toutes ces villes, il les avait conquises. Or un jour, avant une représentation, au moment de se couper le bras pour un entraînement, une peur terrible surgit en lui : et si son bras ne repoussait plus ? Pour se calmer, il se fit son cocktail spécial à base de rhum et de vodka. Mais rien n’y fit, même bourré, à chaque minute la peur devenait de plus en plus intense et chaque partie de son corps se crispait. Il était comme paralysé. Il avait perdu toute son audace. Plus il approchait la lame du couteau vers son bras, plus la peur était forte. Mille questions se posèrent dans sa tête : et si j’avais perdu mon talent ? Et si mon bras ne repoussait plus ? Et si je n’étais plus rien ? Sous l’emprise de la peur, il jeta son couteau et prit la fuite. Il venait d’anéantir son rêve. Maintenant c’est un clochard devant ma porte. Magalie

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Un voisin de palier qui ne me dit jamais bonjour Ok, je vais être en retard au boulot, comme d’habitude. Je prends l’ascenseur pour descendre au rez-de-chaussée ; arrivée à l’intérieur je m’empresse d’appuyer sur le bouton, parce que oui, j’ai peur dans les ascenseurs, cette phobie est due au fait je suppose, que tout ce qui a des portes qui peuvent se fermer d’un coup m’effraie. En gros j’ai peur qu’elles me bouffent. Là, je tombe nez-à-nez avec mon voisin de palier. Je le vois depuis très longtemps, enfin quand je dis que je le vois, je veux dire de vue, je le fréquente pas, du moins pas encore. Il s’appelle Hugo. Et il n’est pas mal du tout ; je le regarde d’en bas, parce que oui 1 mètre 60 ça fait quand même petit et là… il me regarde en retour ! Je lui souris dans l’attente enfin d’une réaction. Et non ! Stop, attend ! Ce n’est pas la première fois qu’il ne me dit pas bonjour. Il est louche quand même, avant-hier je l’ai croisé à la boulangerie et je l’ai regardé, je l’ai salué et rien. Oui… C’est étrange. Pourquoi ne me dit-il jamais bonjour ; peutêtre est-ce une impression ? Oui je dois me faire des idées. Ah nous nous arrêtons à un étage ! C’est Madame Marta qui rentre ; une petite vieille qui habite au 3ème, enfin bref, rien de bien intéressant. Elle me regarde, me salue et me sourit. Elle se tourne vers Hugo et fait de même et il lui répond ! Ah donc non ça n’était pas qu’une impression. J’essayais de me changer les idées en parlant à Madame Marta de ses problèmes de dos, chose que je n’aurais jamais dû faire, parce que quand on la lance, celle-là, elle ne s’arrête plus. Je jette un coup d’œil à Hugo pour voir s’il me regarde et non toujours pas, c’est quoi son problème ? Il ne me dit jamais bonjour, ne m’adresse pas la parole et maintenant ne me regarde pas ! Pourtant je suis super canon aujourd’hui. J’ai mis la petite robe bleue exprès, dans l’espoir de le croiser (oui je connais son emploi du temps, naturellement) et il reste insensible à mon charme. Ok il est gay ? Non pas possible ne pensons pas au pire, mais alors qu’est-ce qu’il a ?...

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Soudain l’ascenseur s’arrête, Madame Marta descend et les portes se ferment, je suis de nouveau seule avec lui ; hum je veux vraiment savoir pourquoi il est comme ça. Au moment où l’ascenseur s’arrête au rezde-chaussée et que les portes s’ouvrent, je m’approche de lui, le regarde et le gifle. Il m’insulte. « Espèce de folle ! Mais vous êtes malade ! » Ah enfin j’ai réussi à lui décrocher un mot ! Je le laisse planté là et sors. Je regarde ma montre et … Merde je suis en retard au boulot . Yasmine

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U N E P H O T O . . .

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Les élèves racontent l’histoire d’un autre, rencontré au détour d’une photographie.

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Ma voisine Cette femme-là, c’est ma voisine. Oui cette femme habillée comme un sac. Cette femme seule habitant ce petit studio parisien du 16ème depuis 10 ans, avant c’était une icône de la mode. Il y a 30 ans, elle était égérie Yves Saint-Laurent, une femme sublime avec de petits yeux noisette, de longs cheveux blonds à la Brigitte Bardot et une bouche dédaigneuse. On ne s’en doute pas, n’est-ce pas ? Eh bien oui, c’est parce qu’elle a tout perdu, son mari avait un lourd passé, il était violent et désagréable. Cela jouait sur sa carrière. Elle était affectée par son comportement machiste et sa façon de lui parler. Elle n’a pour seule compagnie qu’une peluche. Une peluche à son image que son mari lui avait offerte le jour de leur mariage, et qu’elle adore par-dessus tout. Un jour ce mari l’a quittée, la laissant seule et apeurée, sans emploi et sans famille car il était tout ce qui lui restait. Alors la voici abandonnée fatiguée et désespérée, attendant inlassablement celui qui lui redonnera goût à la vie. Yasmine

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Jacqueline et Pierre Je vais vous raconter l’histoire de ma meilleure amie, Jacqueline. Ce n’est pas une très longue histoire, mais elle vaut le coup d’être entendue. Parce qu’elle représente l’amour, le vrai, le simple. Jacqueline est blonde, grande, superficielle. Quand elle s’était coloré les cheveux, à 20 ans, je lui avais dit que ça ne lui allait pas. En fait j’étais jalouse. Parce que Jacqueline est belle, vraiment très belle. Et elle aime le montrer, d’ailleurs. Se mettre en valeur est sa principale occupation. C’est grâce à ça qu’elle a rencontré Pierre, un beau brun. Quand ils se sont vus, au Café de la Paix, ça a tout de suite été le coup de foudre. Il était serveur, et, à part son charme qui aurait fait tomber n’importe qui, il n’avait rien d’autre qui n’eut pu intéresser Jacqueline. Mais c’était lui, son véritable amour, son âmesœur, c’était lui et elle l’a su dès le premier jour. Ils sont sortis ensemble peu de temps après. Ils allaient dans des parcs, dans des fêtes foraines. Elle en demandait toujours plus, mais lui n’avait rien à lui offrir. Elle rêvait de mondanité, de paillettes, quand lui avait à peine assez d’argent pour se nourrir.

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Il étudiait la photographie, dans une école. École prestigieuse qui avait un coût. Pierre était endetté, de tous les côtés, afin d’y rentrer. Et désormais il devait rembourser. Ils se disputaient beaucoup au sujet de l’argent, mais ils s’aimaient profondément. Il la prenait souvent en photo, c’était sa muse. Son atelier, une petite cabane en bois, était remplie de photos d’elle. Ils passèrent trois années géniales ensemble. Ils vivaient au jour le jour. Jacqueline aimait tellement Pierre que je ne la reconnaissais plus. Mais quelqu’un les sépara. Un coup de feu, une balle et ce fut fini. Les erreurs passées de Pierre et ses dettes impayées avaient eu raison de lui. Jacqueline ne s’en est jamais remise. Je n’arrivais pas à la consoler, à la faire aller mieux, personne ne le pouvait. Elle voulait Pierre, mais elle ne pouvait plus l’avoir. Sa peine étant insurmontable, elle décida d’en finir, de rejoindre Pierre, où qu’il soit. C’est moi, qui l’ai retrouvée pendue chez elle. Je venais la voir pour prendre le petit déjeuner, comme chaque dimanche. Dans sa poche, j’ai découvert une photo, une photo d’elle. Elle était assise dans un fauteuil, dans une position qu’elle adorait : une jambe sous ses fesses et l’autre déployée. Habillée en léopard, son motif préféré, ses cheveux tenus en un gros chignon, elle regardait l’appareil comme si celui-ci n’existait pas : c’est Pierre qu’elle regardait. Son chien, que Pierre avait fait empailler ne trouvant aucune façon de la consoler après la mort de son animal, était posé sur un petit chariot près d’elle. Un chandelier au mur, un coquillage mis en évidence, Pierre avait tout fait pour mettre Jacqueline en valeur et proche de ce qu’elle aimait. C’était sûrement sa photo préférée, celle où on la voyait naturelle, comme elle était. Pierre la connaissait si bien. Chloé

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Mon patron Mon patron. Jamais je n’ai vu d’homme plus maladroit, ses lunettes n’arrangent en rien l’affaire. C’est à se demander comment cet hurluberlu a pu devenir rédacteur en chef d’un journal aussi influent que le nôtre, Le Cheese Times. Il serait capable d’oublier son cerveau dans une cave, c’est dire... Hier encore il venait au travail vêtu d’un costume froissé, agrémenté de chaussettes à rayures et les cheveux complètement décoiffés. On souligne le manque de style. Je dois bien avouer qu’il me fait de la peine, sa femme l’a quitté justement à cause de ses chaussettes à rayures; mais il refuse d’entendre que c’est de mauvais goût. Il est noyé dans le désespoir et porté par l’espoir. La Solitude tente de l’achever en s’attaquant à sa raison et je crois que dans cette lutte la raison est de plus en plus perdante. Ce matin je l’ai vu en arrivant à la rédaction, il marchait d’un pas colérique, puis comme poussé par la démence il se mit par terre, ses lunettes tombèrent, il criait le nom de sa femme

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sans jamais obtenir de réponse, le journal parterre dévoilait une image sanglante, enfin le soleil fit place à un nuage. C’était un oracle, un malheur le guettait, la folie l’appelait. Mais comme un faible je l’ignorais et maintenant poussé par l’hypocrisie du travail je dois faire des caresses à un fou, un damné. Dios Mio ! Bryan

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À partir d’une photographie, les élèves écrivent une fiction, une histoire dont l’image est une scène, un extrait, une représentation.

L A F I C T I O

N

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La Fiction

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Une famille immensément petite Je vais vous raconter mon histoire. D’abord je vous présente Yves et Jeannette, mes parents. Ils se sont rencontrés à l’âge de 9 ans et ne se sont depuis jamais quittés. Dans les pires comme dans les meilleurs moments, jamais ils ne se sont séparés, ils ont toujours été soudés. Une complicité fusionnelle s’est installée entre eux. Depuis que je suis enfant, j’ai toujours aimé chez ma mère cette étonnante manie : elle avait l’habitude de toujours s’agripper à mon père comme si elle avait peur de le perdre. Ils étaient si touchants. J’aimerais vivre une aussi belle histoire que la leur. Mais je crains que ce ne soit jamais possible. À 20 ans, mon père voulait prouver son amour, il a donc demandé ma mère en mariage, puis ils se sont installés dans une maison. Ma mère était une femme casanière, elle aimait s’occuper de la maison, c’est elle qui avait décidé de la décoration. Elle avait très bon goût, elle avait orné le salon de magnifiques meubles d’acajou, de fauteuils de style Louis XVI , qui lui donnaient une atmosphère très raffinée. Elle adorait les photos et me disait toujours qu’une photo éternisait un moment et c’est ce qu’elle trouvait magique. Alors chaque semaine elle en accrochait une au mur. J’ai toujours trouvé notre salon magnifique; seulement ce miroir, planté là au milieu de la salle, je le détestais. Rien que l’idée de voir mon ombre apparaître me terrorisait. Ma mère ne travaillait pas, et ça ne la dérangeait pas. Au contraire elle aimait rester à la maison et créer de nouvelles recettes pour épater mon père. D’ailleurs, elle portait toujours son tablier fétiche, blanc avec des petites tâches roses et vertes. Je ne sais pas pourquoi elle l’aimait autant, peut-être était-ce un cadeau de mon père ? Ah mon père ! C’était un grand homme. Il était chercheur en physique, ce métier lui allait si bien à cause de ses lunettes, ça lui donnait un air d’intello que j’adorais. Ses lunettes il les a toujours eues. C’est d’ailleurs grâce à ça que ma mère était tombée sous son charme. Elle me répétait souvent que c’était un homme très charismatique : brun, les yeux verts, les traits du visage marqués, l’homme parfait. Et ma mère, elle, était brune, les yeux bleus océan, un visage fin et raffiné. Ah ! Qu’est-ce que j’aurais aimé lui ressembler ! Mais une fois de plus ce ne sera jamais

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le cas. Je ne veux surtout pas oublier tante Géraldine ! C’était la sœur de ma mère. Elle avait pour habitude de venir tous les dimanches. Elle ne venait jamais sans rien mais toujours accompagnée de gâteaux. Elle faisait les meilleurs fraisiers du monde. Elle aussi était une femme adorable, son visage exprimait une beauté qui malgré les années était restée ravissante. C’étaient vraiment de beaux dimanches ! Comme celui-ci, que j’ai immortalisé en photo, comme ma mère aimait tant le faire. Malgré tout ce bonheur, c’étaient bien ces mêmes regards, présents comme à chaque fois depuis que je suis née. Ils ont toujours eu un regard aimant, mais malheureusement toujours empreint de pitié. Ils n’ont jamais réussi à me considérer comme une personne normale. Parce que dès ma naissance j’ai bien vu que je leur posais problème. On ne m’a jamais dit à qui je ressemble, si j’étais le portrait craché de ma mère ou de mon père. Je ne sais pas à qui ou plutôt à quoi je ressemble et ils me l’ont toujours fait sentir. Malgré eux ils m’ont toujours mise à l’écart. Malheureusement je suis grande. Magalie

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La Belle au Chaperon rouge Il était une fois une jeune femme sublime que tout le monde désirait, aussi bien les hommes que les femmes. Elle avait une plastique de rêve, c’était le genre de femme qui ne laissait personne indifférent, un véritable top model. Elle était tout le temps vêtue d’un chaperon rouge que lui avait offert un de ses nombreux amants, c’était le meilleur paraissait-il. Il lui seyait si bien que tout le monde l’appelait la Belle au Chaperon rouge. Aussi elle se croyait à la mode, sa garde robe était pleine à craquer, on trouvait du Gucci, Louis Vuitton, Chanel, Prada, Dior, toutes les grandes marques de la mode y passaient. En dépit de ses nombreux amants, il manquait à cette femme le grand amour. Elle était célibataire depuis bien trop longtemps et pour mettre fin à cette situation elle décida de s’inscrire sur un site de rencontres. La fortune récompensa

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son entreprise, elle rencontra la réincarnation de Casanova, issue de la lignée de Don Juan, Beau Macdonald. « Bonjour la Belle au Chaperon rouge ! - Bonjour Beau Macdonald ! - Belle au Chaperon rouge tu me plais beaucoup que dirais-tu si nous nous rencontrions. - Ce serait génial Beau Macdonald ! Je rêve de te revoir ! - J’ai une petite maison dans la forêt, pourrais-tu y venir demain ? - Je serais là Beau Macdonald. » Le lendemain, la Belle au Chaperon rouge se fit aussi séduisante qu’elle put, elle était vêtue d’une robe blanche qui lui moulait le corps, accompagnée de magnifiques talons jaunes, sans oublier son arme fatale, le rouge à lèvres, et son corset pour affiner encore plus sa taille. Elle prit le chemin de la forêt et se rendit à la demeure de Beau Macdonald avec son sac à main Prada. Après une heure passée dans la forêt la Belle au Chaperon rouge arriva chez son bel étalon, elle frappa à la porte. Beau Macdonald qui voulait faire une surprise à sa dulcinée entra aussitôt dans le vif du sujet et déclara : « Désolé ma Belle au Chaperon, je suis quelque peu incommodé, la porte n’est point fermée, tire la elle s’ouvrira. » La Belle au chaperon rouge fit comme lui dit Beau Macdonald et entra dans la maison : « Où es-tu mon Bau Macdonald ? - Je me trouve dans le lit, viens te mettre auprès de moi ! » La Belle au Chaperon rouge entra dans la chambre, puis se coucha avec Beau Macdonald.

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« Oh ! Mon Beau Macdonald que tu as de gros hamburgers ! - C’est pour mieux te plaire ma Belle au Chaperon rouge ! - Que tes frites sont dorées ! - C’est pour que tu m’aimes mieux ! - Que tes sodas sont sucrés ! - C’est pour mieux nuire à ta santé ! » Sur ces mots, la Belle au Chaperon rouge se jeta sur Macdonald, elle le dévora en une bouchée et aussi rapidement qu’elle l’avait avalé, elle devint ronde, sa belle robe blanche devint un tapis qu’elle portait sur elle, ses splendides talons jaunes devinrent d’horribles sabots et son sac à main Prada un panier incarnant la définition de la laideur. Une sorte de dépendance la prenait, elle hurlait le nom de Macdonald, un chasseur au loin ayant reconnu la voix de la Belle au Chaperon rouge accourut à la maison. Voyant l’hideuse créature qu’était devenue la Belle au Chaperon rouge il la maudit : « Ô Belle au Chaperon rouge, te voilà donc victime de Macdonald, pour cette faute tu seras condamnée à vivre dans la forêt avec ton Macdonald, seule et abandonnée de tous. » Aujourd’hui on aperçoit la Belle au Chaperon rouge marcher régulièrement dans la forêt, accompagnée de son panier et de son Macdonald au milieu des arbres et des rochers. C’était mon histoire, l’histoire de la Belle au Chaperon rouge. Bryan

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Le Passeur Imaginons qu’il y ait quelque chose après la mort. Imaginons que l’enfer et le Paradis existent. Des hommes et des femmes meurent. Où pensez-vous que vont leurs âmes ensuite ? Le temps de savoir de quel côté penche la balance, elles seraient envoyées chez quelqu’un. Quelqu’un qui les garderait et qui en aurait la responsabilité. Cette personne serait le Passeur. Claude ouvrit les yeux. Comme à chaque fois, des murmures et des cris étouffés l’avaient réveillé. La lumière blanche s’échappant des fenêtres contrastait avec le sommeil noir dont il venait d’être tiré. Après s’être étendu, Claude se dirigea vers la salle de bain. Une fois sa douche prise et ses vêtements enfilés, il alla dans la cuisine se préparer du café. Il effectuait les mêmes gestes tous les matins. Une routine qui le dérangeait mais qu’il avait finalement réussi à accepter. Sa tasse de café prête, Claude alla s’asseoir sur une chaise, au bout de la table. Les yeux dans le vide, il ne pensait à rien. Impossible pour les autres mais pas pour Claude. Sans famille ni ami, l’homme n’avait rien ni personne à qui penser. Les yeux grands ouverts, il observait le spectacle qui hantait sa maison sans cesse. Des corps nus, sans visage, sortaient d’un mur pour pénétrer dans un autre. Sa maison est en fait située entre deux mondes. C’est une passerelle qui accueille les âmes vagabondes. Une fois leur jugement tombé, elles disparaissent et laissent leur place à d’autres. Ces âmes étaient visibles pour Claude. Il assistait à un défilement constant de corps parfaitement sculptés, représentant ces âmes. Ces corps étaient accompagnés de voix faibles, semblables à des chants plaintifs. Parfois ils criaient, parfois ils pleuraient. Mais Claude ne leur parlait jamais. C’était une limite qu’il devait, selon lui, ne pas franchir. Il avait peur de ce qu’il pouvait ressentir, que ce soit de l‘affection ou de la pitié. Souvent, il reconnaissait certains corps, qu’il pouvait voir pendant longtemps. On lui avait dit que plus une âme restait chez lui, plus son jugement était long et compliqué. Claude avait eu l’habitude de se demander ce qu’avaient pu faire ces hommes et ces femmes qui restaient si longtemps. Car plus

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un être vivant commet de péchés, plus il passera du temps chez le passeur. Claude vivait sa vie et suivait sa routine, car il savait que, bien que ça ne lui plaise pas, il ne pouvait plus rien changer. Les jours passaient et se ressemblaient tous. La nuit ne tombait pas là où Claude vivait. Il ne voyait ni ciel bleu, ni crépuscule. Seulement une lumière blanche et froide. Il dormait quand il était fatigué, mangeait quand il avait faim, et vivait à ce rythme. Mais cette existence fut subitement chamboulée à un moment dont Claude se souviendra toujours. Il vivait au milieu des corps qui volaient autour de lui. Il lisait un livre qu’il avait déjà lu une trentaine de fois quand il remarqua une âme, un corps spécial. Il ne savait pas pourquoi, mais son regard s’était levé, dès l’arrivée de ce corps dans la pièce. Il ressentait quelque chose, alors qu’il ne ressentait plus rien depuis déjà un moment. Il regardait ce corps nu, sans visage, mais pourtant parfait. Une voix se fit entendre. On ne savait d’où, mais Claude sentait qu’elle appartenait à l’âme qu’il venait de remarquer. « Où suis-je ? » entendait-il. Une question qu’il entendait tout le temps, et à laquelle il ne répondait jamais, sauf cette fois-ci. « Chez moi », répondit Claude, toujours assis sur le canapé, le livre fermé entre les mains. « Qui êtes-vous ? ». L’âme pleurait et, bien que Claude ait l’habitude d’entendre ces gémissements, ceux-là lui déchirèrent le cœur. Il se leva pour aller ranger son livre et dit : « Je suis le Passeur ». Il refusait d’en dire plus, bien qu’il en ressente l’envie. Mais il venait de parler à une âme, ce qu’il s’était toujours interdit. C’était comme si une force supérieure était entrée en jeu, et luimême ne pouvait s’y opposer. « Je sais que vous avez peur, dit-il. Je sais aussi que vous ne comprenez pas. Mais faites-moi confiance, ce sera bientôt fini, et vous partirez d’ici, pour rejoindre un monde meilleur, je n’en doute pas. » Claude regardait l’âme comme un homme amoureux regarderait sa femme. « Pourquoi suis-je là ? Il y a une seconde j’étais…

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- Ne me dites rien, je ne veux rien savoir de vous, affirma Claude, malgré son envie d’en connaître plus. Vous êtes ici comme tout le monde le sera un jour. Il vaut mieux accepter. Ce sera bientôt fini, je vous le promets. - Je vous fais confiance » dit l’âme, après un temps d’hésitation. Le temps passait et Claude était toujours accompagné de l’âme. Ils parlaient de tout et de rien, de littérature, de cuisine… Mais rien qui ne concernait leurs vies passées. Claude voulait se protéger en prenant du recul, en ne voulant pas s’attacher à elle. Mais ça ne marchait pas. Le temps s’écoulait et il l’appréciait de plus en plus. Et il ne pouvait rien y faire. Claude se posait des questions. Cela faisait vraiment longtemps que l’âme était chez lui. Au début il ne s’en souciait pas, il profitait d’elle et de sa conversation. Mais plus le temps passait, plus Claude s’interrogeait. Il ne comprenait pas comment une âme qui semblait si belle et si pure pouvait être encore là. Comment était-elle morte ? Avait-elle commis des crimes ? Était-ce une erreur ? Toutes ces questions tournoyaient dans sa tête, mais il n’était pas sûr de vouloir des réponses. Leurs discussions continuaient, et Claude pensait au moment où elle ne serait plus là. Toute la solitude ressentie au cours de toute sa vie, ne pourrait se comparer à ce qui l’attendrait ce moment-là. Leur relation étant de plus en plus intime, l’âme posa un jour cette question. Cette question qu’elle avait dans la tête depuis le premier jour mais qu’elle n’avait jamais osé poser avant aujourd’hui. « Comment vous appelez-vous ? - Que voulez-vous dire ? Vous le savez déjà. - Votre vrai nom. » Claude ne voulait pas répondre. S’il lui disait, il savait que quelque chose allait changer. Leur relation ne serait plus celle de deux inconnus. « Claude, je m’appelle Claude ». Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer. Mais il était heureux de lui avoir dit. « Pourquoi êtes-vous ici ? Seul, avec des corps qui volent ? demanda l’âme. - Je suis le Passeur, celui qui les garde. - Mais pourquoi vous ? » Devait-il lui révéler la vérité ? Encore une fois, il savait que non, mais les mots

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sortirent de sa bouche sans qu’il ne puisse s’y opposer. « J’étais malade. J’allais mourir. Un homme est alors venu me voir, en me demandant si je voulais vivre. J’ai acquiescé, bien sûr. Il m’a alors proposé de me sauver à une condition : que mon âme garde celle des autres. - Vous avez fait un pacte avec le diable, affirma l’âme. - On peut dire ça, dit Claude dans un soupir. Et vous, pourquoi êtes-vous encore là ? - Je ne comprends pas. - Si une âme reste aussi longtemps que la vôtre ici, c’est qu’elle a dû commettre un nombre inimaginable de péchés. - J’ai fait des choses, des choses horribles. Je ne pourrais même pas vous les expliquer. - Racontez-moi, s’il vous plaît, demanda Claude. - J’ai tué beaucoup de monde. J’ai fait des mauvais choix. J’ai cru à des gens, qui me disaient que, pour rendre notre monde meilleur, on devait passer par la peur. Alors on a posé des bombes, un peu partout. Je voulais un monde pacifique. Maintenant je me rends compte que ce n’était pas la bonne façon d’y arriver. C’est comme ça que je suis… - Morte ? demanda Claude, étrangement calme. - J’étais encore dans le restaurant quand la bombe que je venais de poser a explosé. Je me souviens d’une lumière jaune, de cris sourds. Et ensuite je suis arrivée ici. » Claude ne dit rien, pendant un long moment, équivalent à quatre sommeils. Il voyait l’âme voler durant tout ce temps. Il ressentait sa détresse et sa tristesse. Mais il avait besoin de réfléchir. Une fois ses idées claires, l’envie de parler, de pardonner à l’âme, était trop forte pour qu’il reste dans le silence. « Est-ce que tu regrettes ? - D’avoir fait tant de mal ? Bien sûr. Je me rends compte du paradoxe qui me servait de devise. Faire le mal pour le bien. Si seulement je pouvais revenir en arrière, effacer tous mes actes, je le ferais. - Je te pardonne, car tous tes actes n’effaceront jamais tout l’amour que je te porte. » C’est après ces mots, que l’âme disparue aussi vite qu’elle était arrivée.

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Sophie et Claude auraient dû se rencontrer. Ils auraient dû se croiser à l’hôpital, lors de la dernière séance de chimio de Claude. Sophie avait, elle, un sac à dos rempli de dynamite. Si elle avait pu rencontrer Claude elle aurait sans doute réfléchi à deux fois avant de poser sa première bombe. Mais Claude n’était plus là. Il avait déjà cédé à la tentation du diable. Il était devenu le Passeur, elle deviendrait une meurtrière. Chloé

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Les textes de ce recueil ont été rédigés lors d’un stage d’écriture au Théâtre du Rond-Point du lundi 20 au vendredi 24 avril 2015. Cet atelier a été dirigé par David Wahl, dramaturge et auteur. Ce projet a vu le jour grace à la collaboration entre la Fondation Culture & Diversité, le Théâtre du Rond-Point et le lycée Evariste Galois de Noisy-le-Grand. Un grand merci à, Yasmine Aggoune Magalie Araujo Bryan De Souza Chloé Lilli pour leur participation et leur confiance.

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Remerciements à:

David Wahl

Chloé Panabière

Giovanni Cittadini Cesi

Lore Apestéguy

M. Ricci proviseur et Mme Zamord, proviseure adjointe du lycée Evariste Galois. Elodie Crouzillas, professeur de lettres de la classe de 1ère L du lycée. Toute l’équipe de la Fondation Culture & Diversité. Jean-François Tracq, secrétaire général, et toute l’équipe du Théâtre du Rond-Point. Crédits Photos: Portraits et objets : Giovanni Cittadini Cesi Photographies d’art: Diane Arbus p. 32 et 38, Lorca Di Garcia p. 35, Dina Goldstein p. 41 et Erwin Olaf p. 44

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LycĂŠe Evariste Galois - Noisy-le-Grand


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