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Une porte à franchir
Témoignage : Marie-Paule Billard ccn
Envoyée par la Communauté en Sicile, j’ai découvert à Palerme énormément de migrants. D’où venaient-ils et que faisaient-ils ? Cette question m’a habitée pendant plusieurs semaines mais je n’avais pas vraiment de réponse. Je connaissais le lieu d’accueil des Jésuites, mais, ce qui me permit de l’aborder fut une rencontre au groupe de prière. Daniel, un frère italien, a prié pour les migrants, lors d’une assemblée de prière et, après avoir fait sa connaissance, il m’a invitée à venir passer une matinée au centre d’accueil des migrants. Ce jour-là, je me suis contentée non seulement de regarder mais aussi de parler avec certains migrants venant du Sénégal ou du Congo et qui s’exprimaient très bien en français. A ce moment-là, j’ai compris qu’une nouvelle porte s’ouvrait mais comment la franchir ? Le Seigneur me guidait pas à pas, mais pas forcément à la vitesse que j’aurais souhaité…. Petit à petit tout devenait plus clair. Pour moi, être au service des migrants était une continuité de mes missions en Afrique. J’avais beaucoup reçu, il fallait à mon tour que je donne beaucoup.
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En arrivant en France, je me suis inscrite très rapidement dans une association paroissiale de Ste Foy les Lyon appelée ESPOIR. La mission consiste à faire des maraudes dans la ville de Lyon, que nous faisons à deux ou trois personnes. J’ai opté pour le soir de 20h à 22h -23h. Nous rencontrons de nombreuses personnes venant d’Albanie: des gens seuls (beaucoup de femmes), mais aussi des familles avec enfants couchant sous tentes, coincées entre les piliers sous les autoroutes de Perrache, dans le bruit et la pollution. Tous ont un minimum de bagages. Ils sont souvent en attente de régularisation de papiers, attente toujours très longue (parfois plusieurs mois) malgré les aides des bénévoles et services sociaux. Nous rencontrons aussi des personnes qui ont des problèmes de santé, des troubles psychologiques, surtout ceux qui ont été victimes de la guerre ou des régimes de dictature. D’une façon générale, tous vivent de grandes souffrances physiques et morales, mais aussi des problèmes familiaux, climatiques, etc. Pourquoi arrivent-ils en France ? Une désinformation massive des passeurs vantant la France comme un pays de cocagne où il fait bon vivre, où l’on trouve facilement du travail, un logement. Quand ils arrivent en France tous nous disent : « C’est la galère, nous dormons dans la rue avec tous les risques que cela comporte : vols, viols, maladies, difficultés pour faire les papiers de régularisation, barrage de la langue, mais aussi descentes de la police qui met les tentes et tous les effets des migrants à la poubelle (ce qui arrive de temps en temps) ».
Notre association n’a pas de grands moyens financiers, mais plutôt humains. Pour les maraudes, nous choisissons un parcours qui peut varier d’une fois à l’autre et nous nous arrêtons à chaque personne que nous rencontrons pour l’écouter, lui parler, voir où en sont ses papiers, quelles difficultés il ou elle rencontre. En général, on commence par offrir une tasse de thé ou de café. Je me rends compte à quel point les gens dans la rue ont besoin de parler et d’être écouté. Sur place, les migrants trouvent tout ce qu’il faut pour manger matin et soir, se doucher, laver leur linge s’habiller, avancer dans leurs démarches, car, sur Lyon, il y a beaucoup d’associations de toutes confessions et autres. Mais, écouter et parler fait encore un peu peur car il faut à la fois être discret, encourager et montrer qu’on les aime tels qu’ils sont, sans jugement. Beaucoup de gratitude de leur part et aussi de la nôtre, due à une simplicité d’échange et d’écoute. Des liens avec eux se tissent au moins pour quelque temps et parfois on ne les revoit plus. Surprise aussi comme avec ce jeune Gambien qui, après deux ans de galère, a ouvert sa main dans laquelle il y avait une clé et dans un grand sourire m’a dit : « J’ai une chambre pour moi tout seul dans un centre, à 30 kms de Lyon, où les gens sont très gentils. Je suis heureux. Maintenant, je viens aider l’association et tous ceux qui m’ont soutenu pendant deux ans. Je vais pouvoir travailler et envoyer de l’argent à ma mère. » Un point très positif, c’est que les migrants peuvent être visités par plusieurs associations différentes sans créer des rivalités entre nous. Nous sommes tous solidaires. Nous rencontrons beaucoup de migrants, mais aussi des jeunes sansabris français qui vivent dans la rue sans espoir de trouver du travail et oublient un peu leur situation en se réfugiant dans l’alcool. Nous nous arrêtons aussi, sauf s’il y a trop de chiens. Je trouve cette mission pleine d’imprévus, d’échanges, de compassion, de simplicité, d’ouverture, d’une grande richesse humaine dans ce monde marginalisé qui dérange. Pour moi, aujourd’hui, cette mission est un vrai cadeau du Seigneur. « Dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).