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Seigneur, unifie mon cœur

Le combat du personnel soignant

Eric Kiledjian

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Communion du Chemin Neuf, marié, membre d’une église évangélique, médecin hospitalier à Vienne

Face à la pandémie de coronavirus, le personnel soignant, médecins, infirmiers, infirmières et aidessoignants, a été en première ligne. Pour certains d’entre eux, qui étaient à la retraite, cela donna l’occasion de se remettre au service des malades, parfois au péril de leur vie.

Le début de la période de confinement a produit chez moi de la stupeur, « un gros bazar dans mes pensées ». Sur le plan professionnel, il m’a fallu repenser le sens du travail du réseau de santé dont je suis le promoteur sur le territoire. À ce titre, je dirige une équipe de neuf personnes dont les missions sont l’appui aux professionnels de santé, principalement libéraux, et aux dispositifs de ville autour des personnes malades relevant d’une complexité, soit du fait de leur maladie, soit du fait de leur environnement. Or, à cause de l’épidémie de COVID-19, les personnes affectées par une maladie chronique parfois lourde se sont pour ainsi dire cachées ; en revanche les professionnels et les dispositifs, nous ont demandé de l’aide dans des registres que nous n’avions jamais connus.

Les besoins de masques et autres matériels pour les professionnels étaient aigus, nous avons fait le lien avec des donateurs et organisé les distributions. Les services d’aides à domicile et les auxiliaires de vie nous ont sollicités pour centraliser et relayer leurs questions et leurs besoins. Nous avons dû intervenir dans des établissements sociaux ou médico-sociaux pour apporter un soutien à l’organisation de l’hygiène et des circuits de personnes et de linge. Les autorités sanitaires ayant demandé à organiser en ville un centre Covid pour les patients suspects d’être infectés et pour éviter le recours aux services d’urgences hospitaliers, nous avons dû penser la surveillance et le partage d’informations pour les personnes n’ayant pas de médecin traitant, etc. Enfin, en tant qu’administrateur de deux Ehpad touchés par l’épidémie, j’ai participé à une cellule de crise avec de nombreuses réunions en visioconférence, afin de soutenir des directrices malmenées par la progression de l’épidémie, les hospitalisations,

les décès, les absences de personnels, et les consignes changeantes des autorités sanitaires. Beaucoup de réunions, beaucoup de tensions, des organisations à inventer dans l’urgence. Cela a été l’occasion de rencontrer la générosité et l’engagement des professionnels, les entendre exprimer leur sentiment d’insécurité, leur solitude parfois, leur effroi devant le spectre de la mort, la perte de leurs repères professionnels dans des pratiques inédites ou hors normes ; j’ai constaté des identités fragilisées, des relations floutées par les masques et parfois l’interdit d’exercer leur art (par exemple pour les kinésithérapeutes libéraux, les orthophonistes, etc.). À la fois de nouvelles solidarités et des distances en lien avec les mesures barrières et la distanciation sociale imposée par le risque de contagion.

« Cela a été l’occasion de rencontrer la générosité et l’engagement des professionnels, les entendre exprimer leur sentiment d’insécurité, leur solitude parfois »

Cela a été aussi l’occasion de connaitre les peurs des personnes malades et de leurs familles, leur crainte de laisser entrer chez eux un professionnel de santé, potentiellement porteur de mort, leur choix de repousser une hospitalisation pourtant nécessaire, de peur de ne jamais revenir de l’hôpital. Moi-même dans les premiers jours du confinement j’ai fait un syndrome grippal, très probablement COVID, je me suis confiné chez moi pendant une semaine dans d’autres pièces que mon épouse ; ma pensée alimentée par la gravité potentielle de cette maladie sournoise, j’ai été habité par l’idée de ma mort et, devant Dieu, j’y ai consenti comme un possible.

Mon nouvel engagement professionnel lié à ces circonstances étranges ne s’est pas substitué à un autre quotidien, mais il s’y est ajouté. D’une part, je n’avais pas encore quitté la tristesse et le questionnement autour de la révélation d’abus sexuels mortifères dans le monde des célébrités religieuses, et voici que sur notre territoire français la pandémie mortelle trouvait son origine dans un grand rassemblement chrétien à Mulhouse. Comment des lieux où l’on s’attend à la vie et à la rencontre de Dieu pouvaient-ils cohabiter avec la mort ? D’autre part, mon environnement professionnel était un lieu de tensions parfois importantes depuis trois ans, un combat spirituel, mais à l’occasion de cette crise sanitaire des réunions et des coopérations ont été nécessaires, inattendues et heureuses, avec des acteurs symboles de mon histoire souffrante. Certaines rencontres ont réactivé mes blessures mais ont finalement pansé des relations. Le passé et le présent se sont percutés et complétés, tantôt dans la tension et tantôt vers l’apaisement. Entre affects et raison, entre enthousiasme dans l’action et perplexité dans le sens recherché à ces évènements tourbillonnants, j’ai éprouvé de la lassitude et de la perplexité, comme un sentiment d’être divisé au plus profond de moi, pas bien relié à Dieu et incertain du chemin sur lequel j’étais.

Le psaume 85 (86), 11 dans la traduction liturgique m’a apporté une consolation et un éclairage de la part de l’Esprit Saint, en traduisant en mots l’aspiration de mon cœur : « Montre-moi ton chemin, Seigneur, que je marche suivant ta vérité », et en me révélant l’enjeu et le programme de Dieu pour aujourd’hui : « Unifie mon cœur pour qu’il craigne ton nom ». Seigneur, rapproche ce qui est divisé en moi, mes émotions instables et ma compréhension changeante de ce qui est un chemin de vie et non de mort !

Le cœur est le lieu où se rencontrent et coopèrent les affects et la raison pour regarder devant ; les émotions et l’intelligence pour désirer être synchronisé avec Dieu. Le cœur est le lieu de la confusion ou bien de la paix, c’est là que je reçois la consolation (affects) et l’éclairage (intelligence), ce qui doit être unifié pour demeurer dans la vérité et la dépendance de Dieu. Ce verset m’a redonné une direction et de l’ordre dans le puzzle de mes pensées et de ma prière en vrac. Et, dès le lendemain, continuant l’œuvre de Sa grâce, des paroles claires et confiantes m’ont été apportées par une personne – qui ignorait mon combat intérieur – qui ont redonné une direction paisible à ma vie et au combat spirituel qui se joue dans la patience et dans l’espérance. E.K.

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