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Le confinement, une opportunité pour le créé?
Environnement
Le confinement, une opportunité pour le créé?
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Martin Kopp
Théologien écologique protestant, président de la commission écologie - justice climatique de la Fédération protestante de France, membre du Séminaire œcuménique francophone de théologie de l'écologie (SOFTE)
Comme chargé de plaidoyer pour la Fédération luthérienne mondiale, Martin Kopp a aidé différentes organisations religieuses à préparer la COP21, en septembre 2019. De nature optimiste, ce théologien prend à bras le corps l’enjeu urgent, vital et pertinent pour notre monde : adresser aux Etats un plaidoyer pour notre planète.
Le violet éclatant de Marguerites du Cap. Un délicat pétale d’Iris de Sibérie. La vague jaune acidulé de Corbeilles d’Or. Autant de beautés végétales qui ont attiré et affiné mon regard de confiné campagnard. Au bénéfice d’un beau jardin, mon geste de solidarité fut de partager en ligne une photo chaque jour, pour les confinés d’appartement. C’est que le besoin de nature s’est fait ressentir. Comme si la fréquentation des arbres et des fleurs, même irrégulière ou distraite d’ordinaire, relevait d’un essentiel qui nous était enlevé. La crise du Covid-19 fut un moment propice à cette réalisation et, plus largement, à la réflexion sur notre lien à la création, en contexte de crise écologique. Quelles leçons tirer de notre expérience de confinement et du ralentissement de l’économie mondiale ? Quel regard poser et quelles réflexions développer comme chrétiens, qui confessons Dieu comme « créateur du ciel et de la terre » ? Déambulons et cueillons quelques pensées, comme une main verte en son jardin.
Le retour de la nature
C’est une forme de vie d’une centaine de nanomètres, visible au microscope électronique, qui a coincé la moitié de l’humanité entre quatre murs. Deux grandes leçons sont enseignées par cet être minuscule.
D’abord, nous sommes rappelés à notre nature animale, sujette à la maladie et à la mort. C’est violemment que le coronavirus a dévoilé notre vulnérabilité, que nos illusions modernes de puissance et de maîtrise ont pu nous faire oublier ou négliger. La Bible le disait déjà, en nommant l’humain ’âdâm (Gn 1.26-27), c’est-àdire, littéralement, le « terreux » 1 . Or parler de
« terreux », c’est ramener l’humain à hauteur d’humus. Nous ne sommes pas des dieux, nous sommes pris du sol, susceptibles d’être blessés et de mourir. Ensuite, le virus met en relief l’interdépendance dans laquelle se situe le vivant. Héritiers du dualisme occidental qui sépare la « nature » de la « culture », nous risquons toujours de nous croire indépendants. Quelle que soit l’origine naturelle du Covid-19, celui-ci met en relief nos liens aux autres créatures vivantes et abiotiques. Le pape François répète dans Laudato Si’ que « tout est lié ». Cela détermine aussi une vulnérabilité : Karl Barth estimait déjà que l’humain « est la plus dépendante de toutes les créatures » 2 et que si « l’homme paraîtra "la plus grande" des créatures vivantes […] en réalité c’est lui qui devra être et rester "la plus humble" de toutes » 3 .
Le besoin d’une conversion écologique
Le confinement fut favorable à de telles méditations. Car il fut pour beaucoup l’expérience d’un certain arrêt. En d’autres termes, une expérience de shabbat. La Bible nous enseigne que cesser d’agir et nous reposer sont des actes
féconds. Et ce aussi pour la terre (Lv 25.1-7). Or qu’avons-nous vu ? Des oiseaux qui communiquent mieux, des grenouilles et des hérissons épargnés par milliers par les roues de nos voitures, des émissions de gaz à effet de serre en baisse… Bref, un répit, une respiration bénéfique à la vie.
Mais déjà les scientifiques mettent en garde : ce n’est, précisément, qu’un répit. Un redémarrage risque d’avoir des ef fets inverses – par exemple, pour des animaux devenus peu prudents sur les routes – et de signer un retour aux destructions ordinaires. C’est dire qu’une véritable transformation de nos sociétés est nécessaire si nous voulons endiguer le changement climatique, protéger les espèces végétales et animales, et construire une nouvelle manière de nous épanouir et de croître, spirituellement et humainement.
Le temps du confinement a montré que ce changement requiert, dans les pays dits « développés », qui en fait surproduisent et surconsomment, une certaine décroissance. Relever le beau défi écologique n’ira pas sans le premier pas de la sobriété, sans une sagesse du moins. Mais une sobriété choisie et solidaire. Choisie, parce que consciente des limites et voulant consacrer du temps à d’autres dimensions de notre être-humain, que le confinement a redécouvert essentiels : les relations personnelles, la proximité avec la nature, l’art et la culture… Solidaire, parce qu’elle devra mettre en place les outils pour accompagner les transitions de travailleurs et des plus vulnérables.
Les chrétiens et les Églises peuvent initier de telles démarches et contribuer à la construction du « jour d’après ». Depuis le désinvestissement de nos actifs financiers hors des énergies fossiles jusqu’à des balades chrétiennes dans la création, en passant par l’abandon d’un certain « productivisme ecclésial », qui accumule le faire et, souvent, épuise des curés, des pasteurs et des laïcs actifs, les pistes sont nombreuses. Plus que jamais, nous nous situons à un carrefour, dans un temps de kairos. Choisironsnous la vie, « pour que tu vives, toi et ta descendance » (Dt 30.19) ? M.K.
[1] Par le renvoi implicite à ’adâmâh, qui signifie « terre ». [2] Barth, Karl, Dogmatique. Troisième volume. La doctrine de la création. Tome premier [1945], Genève, Labor et Fides, 1960, p. 154. [1] Ibidem.