N'en-a-qu'un en Très-Haute-Prudence

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Christine Van Acker

N’en-a-qu’un en Très-Haute-Prudence Vu par

Yoan Armand Gil



N’en-a-qu’un en Très-Haute-Prudence


Il a été tiré de cet ouvrage cent exemplaires réservés aux membres de l’association Les éditions du Chemin de fer, numérotés de 1 à 100, constituant l’édition originale.

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© Les éditions du Chemin de fer, 2012 www.chemindefer.org ISBN : 978-2-916130-42-2


Christine Van Acker

N’en-a-qu’un en Très-Haute-Prudence vu par

Yoan Armand Gil



“Les matières ici traitées ne sont tant folâtres, comme le titre au-dessus prétendrait.” Rabelais


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Informations importantes relatives à la sécurité des Ouvreurs de ce livre Bien que son poids ait été contrôlé pour ne causer aucun dégât collatéral en cas de chute accidentelle, ouvrir cet opuscule avec précaution sans le laisser s’échapper de vos mains. Les bras risquent de vous en tomber, aussi nous préconisons la posture assise, mieux adaptée aux personnes sensibles qui pourraient se troubler et se trouver mal à l’énonciation de quelque gauloiserie dont l’auteur a le secret. Nous déconseillons tout particulièrement aux femmes enceintes et aux mères allaitantes d’aller plus avant. En cas d’autocombustion, les éditions du Chemin de fer déclinent toute responsabilité, l’Ouvreur de livres étant prévenu que cet ouvrage est un composé d’homopolymère linéaire, autrement dit de molécules de D-Anhydroglucopyranose reliées entre elles par des liaisons glycosidiques ß. Chez les personnes d’humeur atrabilaire, une lecture prolongée peut se révéler à l’origine de certains effets indésirables : sécheresse des yeux, maux de têtes, agitations incontrôlées des membres inférieurs, supérieurs, et du milieu. Il n’est dont pas recommandé d’ingérer ce livre au moment de prendre le volant. Si les douleurs persistaient au niveau de la rate, augmentées de haut-lecœur, de tremblements nerveux, ne les négligez pas et consultez rapidement un médecin patenté ou un rhabilleur local. Avant de monter dans un avion, assurez-vous que ce livre n’est pas illicite dans votre pays de destination. Il ne faut pas partir très loin pour trouver quelques-unes de ces prisons insalubres où ne vous seront pas offertes toutes les commodités qu’un voyageur, si tant est qu’il soit en mal d’aventure et de dépaysement, aurait tout de même un peu escomptées. Les tortures y sont encore fréquentes et fort désagréables. Elles pourraient entraîner une

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détérioration de votre santé, voire un risque de blessures graves ou mortelles qui vous gâcheraient vos seuls jours de vacances et ne vous permettraient pas de reprendre correctement votre travail juste au moment où votre employeur aura certainement le plus besoin de vous. Dans l’hypothèse où vous vous décideriez non seulement à acheter, mais aussi à lire cet ouvrage, des liseuses ornementées d’images pieuses ou de paysages exotiques vous seront proposées en option par les éditions du Chemin de fer. Elles vous donneront la possibilité de cacher cette couverture horrifique et subversive et d’emporter la chose en toute discrétion dans un endroit moins fréquenté, loin des regards réprobateurs. Ne laissez pas ce livre à portée des personnes raisonnables, ni de leurs chiens. Veillez à ce qu’ils ne démontent, ne déchirent, ne mâchent, ni n’avalent les pages qui le composent. Elles sont, nous le rappelons encore, constituées de molécules de D-Anhydroglucopyranose reliées entre elles par des liaisons glycosidiques ß et pourraient présenter des risques d’étouffement. Chez certains sujets, les liaisons glycosidiques et produits apparentés peuvent entraîner un syndrome associant à des degrés divers une altération de l’état de conscience et des troubles du comportement : idées délirantes, hallucinations, état confuso-onirique, désinhibition avec impulsivité, euphorie. Ce syndrome peut s’accompagner de troubles potentiellement dangereux pour le Lecteur – celui qui a dépassé le stade d’Ouvreur de livre – ou pour autrui, à type de : comportement inhabituel, comportement auto – ou hétéro – agressif, notamment si l’entourage tente d’entraver l’activité du Lecteur à la page 50. Après toutes ces précautions d’usage, vous voilà enfin prêts à entrer dans l’univers de N’en-a-qu’un. Tout en vous souhaitant une excellente lecture, nous déclinons toute responsabilité en cas d’épisode confusionnel dont celleci pourrait malencontreusement être l’élément déclencheur.


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“Pardon, Madame, le chemin pour aller en TrèsHaute-Prudence, s’il vous plaît ? − En Très-Haute-Prudence... ? Mais, vous y êtes, Monsieur !”


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était un temps sans temps. Il faisait noir comme dans le cul de n’importe qui et, plus encore, comme dans celui des autres. Personne pour le voir, personne pour le chercher à tâtons. Personne pour qu’on en finisse avec les vieilles ténèbres, pour que ça cesse, pour que ça naisse, personne pour qu’on lâche la laisse de la Lumière qui n’osait pas appuyer du haut de son premier rayon sur le petit bouton, là, tout au fond de la Nuit, là où ça chassetouille, là où ça gargrouille, où ça grasseproute, là où ça roustonne et ça marmitorne...

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Personne pour qu’advienne enfin le règne de l’Interrupteur. Or, il advint que, du fond de cette éternité vide et froide, la Lumière devint allergique au Néant. Un éternuement contenu depuis la Nuit des Temps la projeta, les doigts en avant, sur le petit clicli érectile de la Nuit. Ainsi, de par la grâce catarrhique d’une rencontre entre la main de la Lumière et le corps de la Nuit, la Nuit vit Dieu et, avec Dieu, le Septième Ciel, les Anges, le Paradis, et tout ce qui naquit de ses premiers frissons de plaisir. Le Souffle de la Lumière et l’Orgasme de la Nuit furent si violents qu’on en eut pour un bon moment avant de pouvoir y voir clair, sans se ramasser tantôt un gros caillou, tantôt l’aile d’un ange au coin de l’oreille. Et, je vous le dis, ce fut un travail de Titan que de réunir ces morceaux épars, apeurés, s’interpellant : – Vous n’auriez pas vu ma couronne ? – Vous êtes certains que les Arbres ne sont pas passés par ici ? − Un grand barbu... Oui... ça ne vous dit rien ?

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− Ma Mer, ma Mer, qui sait où est ma Mer ? − Un Stratus accompagné d’un Cumulus, vous êtes certain ? La Nuit, pour faire passer le Temps – qui était très jeune encore, sachant à peine marcher – ramassait, au gré des balades avec son petit bout d’Eternité, des zettamottes de Terre, des yottalitres d’Océan, quelques poignées d’Algues, des soupçons de Mousses, et en pétrissait de petites boulettes qu’elle lui lançait pour qu’il se décide à courir. Le Jour, lui, préférait capturer dans ses filets des éclats luminaissant, des astrincelles, des embraises qu’il lançait à son tour, émerveillant le Temps qui sautait de joie et battait des Heures, oubliant l’espace d’un instant qu’il lui faudrait passer, passer, et passer encore.


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oilà probablement ce à quoi songeait Sébastien Braquemart, le bientôt père du héros de notre histoire, pour se motiver quand la dernière croupe se présenta à lui. En ces temps de Très-Haute-Prudence, nul n’aurait encore pris le risque d’être le fruit d’une seule mère. Le moment de la fécondation de notre héros fut programmé pour un jour sans vent et sans mauvaises nouvelles. De tels jours, on le sait, sont très rares et, la plupart du temps, ils trépassent aussitôt nés. Il y en eut un seul cette année-là. Peut-on dire qu’il fut entier ? Il

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y eut un après-midi. Peut-on dire qu’il se fut pleinement accompli ? Après que Sébastien Braquemart, géniteur de celui qui n’a pas encore reçu de nom, eut garni de sa semence les neuf premières Promises, l’entrain n’y était déjà plus, le perforant moins performant, et son cœur de bientôt père lâcha à la dixième croupe tandis qu’il songeait aux mystères de l’Univers pour se donner du courage. On dit à ce propos que ce fut là la première mauvaise nouvelle de la journée après ces heures bénies entre les cuisses de toutes. Les neuf Postulantes, toutes fort bien pilenconnées, ainsi que la dernière bien mal masculée, s’en retournèrent chacune de son côté, se promettant mille choses et, surtout, de ne pas rater le rendez-vous après que cette bouillie informe eut mijoté suffisamment au sein de leurs matrices solidaires. La pauvre Postulante pour qui ç’avait été le baptême du foutre, ignorante des usages d’un débraguettage en

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règle, se désolait de cette partie de serrecroupion tournée en eau de boudin. Le reste de cette chose que le bas de son ventre, bouche toujours ouverte, semblait appeler, l’extrémité de ce trouble tout juste entraperçu, ne seraient-ils pas restés là-bas, dans le corps de l’Ensemenceur, ce corps avec qui elles s’étaient toutes frotté le gras des fesses et dont elles avaient définitivement sucé la moelle, elle moins que les autres ?



ous y voilà, faut bien que ça sorte ! pensa l’une d’elles quand le terme fut atteint. − Ah ! Je pense que ça va être ma fête ! dit une seconde. − Putain, ce que ça cogne là-dedans ! dit la troisième. − Aïe, aïe, aïe ! Ouille, ouille, ouille ! se plaignit la quatrième. On n’entendit des cinq autres que les ballottements de poches d’eau à percer, les tourniquettements de boyaux, les soufflations ferrovaires, les vaginssements et vulvovations ordinaires dans cette position prénatalitaire.

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Il n’en manquait plus qu’une seule pour entamer le premier acte du R.H.O. (Recrachement Harmonisé Obligatoire). Le Chef plaça tout de même les autres Parturientes en cercle autour du grand Chaudron à Réunir, laissant une place vacante pour celle qui devrait bien finir par arriver. C’était sans compter sur la lenteur des transports en commun qui mènerait l’absente, comme on le verra plus tard, à aller cracher son morceau ailleurs. Quel vif émoi pour l’homme à la baguette que le spectacle de ces grandes et larges bouches barbues dont le chant lui ravissait les tympans – en ce temps de TrèsHaute-Prudence, les utérus s’exprimaient d’eux-mêmes, les visages des jeunes accouchées restant impassibles, loin de ces grimaces douloureuses d’antan. Le Chef avait placé, en guise de signature, sur le visage de chaque future maman, un masque de cochon donnant au tableau vivant une tonalité qui lui était propre. Ces mises en scène contribuaient à sa renommée dans toutes les familles Très-Hautes-Prudentes sensibles à la mode installatoire de l’époque.

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Qu’il manquât une Recracheuse laissait au public présent une impression de vertige. Peu habitué à l’improvisation, le Chef prit le temps de joindre ses mains et, avec beaucoup de ferveur, de faire sa primière. Ces invocations pouvaient alors avoir beaucoup de pouvoir, comme celui de lâcher les vannes de la pluie en cas de sécheresse ou de multiplier les pains quand les boulangers étaient en grève. Mais les neuf Recracheuses allaient lâcher les morceaux, il fallait souhaiter que ce fussent les bons pour que le nouveau venu soit considéré comme viable. Nos entrailles, aïe, travaillent Plates poches, poches plates Crachons, allons, crachons Hip hip hip, nos tripes flippent Crachons, allons, crachons Le Chef saisit alors son fouet et se mit à cravacher les dix-huit belles grosses cuisses pour qu’elles mettent l’enjouement nécessaire à un bon Recrachement, à l’unisson avec la chorale expectorante.

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La peur n’a pas d’heure Creusons creusons La trouille patrouille, ouille Qu’un sang impur abreuve La fosse à rejetons On avait tendu, dans le fond du cuveau, une peau de chèvre. Chaque élément expulsé y tombait avec fracas. On aurait dit le tonnerre pris au piège d’un tonneau. Multiplions, multiplions Que ça gicle, que ça racle A l’unisson, lâchons le fiston Le dernier membre tomba et le réceptacle se mit à tourner à la manière des lessiveuses d’antan. Comme il manquait quelque chose, on entendait brimbaler les morceaux les uns contre les autres. La musique qui en émanait n’avait rien de céleste.

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Alors que les neuf parties complètement essorées s’accordaient en un unique individu qui, à trois pattes, cherchait ce qui lui manquait, un bras droit allait naître tout seul, ne laissant à sa mère que le temps de se cacher au fond des entrailles de la ville pour ne pas se faire repérer par la patrouille des Tourne-Vices, toujours prêts à resserrer les boulons et à refermer les boutons quand ils n’étaient pas assez bien attachés à leur goût. Aucune Très-Haute-Prudente n’avait plus le droit d’accoucher hors du R.H.O., sans la direction d’un Chef, sans le masque, sans le tambour, sans assistance. La main sortit la première et, tâtonnant, se fraya un passage à travers la forêt des poils pubiens. L’avant-bras sortit à sa suite, puis le coude, puis le reste, le tout se déroulant voluptueusement au contact du ventre de sa mère. Aucune Très-Haute-Prudente n’avait plus le droit d’éprouver ce que cette jeune accouchée ressentit au contact du membre nouveau, ce presque-plaisir, cette presque-tendresse, ce presque-amour. Elle prit le presque-enfant dans ses bras et se mit à le bercer doucement. Les doigts du petit se délièrent

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les uns à la suite des autres pour aller poignasser naturellement dans le rebondi de ses mamelles qu’elle avait bien grosses et fermes. La Recracheuse, tout à ses nouveaux émois, et le presque-enfant restèrent ainsi enlacés de longues heures, l’un dans les bras de l’une, l’autre dans les bras de l’un. Quand la menotte potelée donna des signes d’endormissement, desserrant l’étreinte, la mère, la mort dans l’âme, déposa délicatement le petit membre sur un radeau de fortune et le laissa dériver au gré des eaux usées. Une fois hors de sa vue, elle s’en fut, le corps léger, le cœur pesant, retrouver la société des Très-HautsPrudents, gardant en elle le souvenir de la trace chaude d’une petite main contre son sein, avec l’espérance pour ce bout de vie innocent d’un fleuve, d’un océan, de quelque chose de plus grand, de l’autre côté de la ville, peut-être.



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