Les blés d'or

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LA CHANSON La chanson des blés d’or

DES BLÉS D’OR ou La traversée du XXe siècle par mon père 1904 - 1995

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Christian Maillot 2012


La chanson des blés d’or

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La chanson des blés d’or

A Arthur, Léonard, Stéphanie et Jochen

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La chanson des blés d’or

Avant-propos

C

’est un hommage que je viens rendre ici à mes parents, un témoignage, malheureusement posthume, de ma profonde gratitude à leur égard. Je ne crois pas leur avoir dit assez clairement ma reconnaissance pour l’éducation qu’ils m’ont donnée. Je regrette profondément de ne pas avoir posé des mots sur ces sentiments qui étaient les miens, lorsqu’ils étaient encore auprès de moi. Ces choses me semblaient aller de soi. Mais maintenant, face au vide de leur absence, je m’aperçois que jour après jour, ils ont su me donner tout le bagage indispensable pour faire de l’enfant que j’étais un « honnête homme » au sens classique du terme. Ils ont atteint la perfection. Pour cela ils ont d’abord mené avec simplicité une vie exemplaire, en dépit des épreuves d’une rare brutalité qu’ils ont dû affronter. Ensuite, ils ont laissé, à mes frères et à moi-même, toute liberté pour développer une pensée autonome, honnête, rigoureuse et critique. Je crois en avoir fait plutôt bon usage jusqu’à présent… Enfin ils nous ont entouré d’amour, d’un amour constant et sans faille. Vous qui prolongez notre filiation, voyez leur vie. Je les admire, ils le méritent, et je suis sûr que leur exemple est une base solide

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La chanson des blés d’or sur laquelle vous pouvez prendre appui et aller confiants vers l’avenir, si vous êtes fidèles à leurs valeurs. C’est donc pour ne pas voir tomber dans l’abîme de l’oubli tous ces événements qui forment la vie si intense de mes parents et grands-parents, au cours du XXe siècle, que j’ai rassemblé mes souvenirs pour les consigner ici. On trouvera des faits insignifiants au regard de l’Histoire qui furent capitaux pour eux, parce qu’ils en étaient les acteurs volontaires ou involontaires, mais aussi des faits historiques au milieu desquels ils ont été emportés, ballotés, blessés, parfois exaltés et transportés de bonheur comme tant d’autres en France, en Europe ou ailleurs. Je tiens à ce que ce passé soit conservé dans nos archives familiales. Aucune espèce ne peut survivre privée de ses racines. Pas plus nous que les autres… Gardons à l’esprit que certains de ces peuples qui se sont déchirés au cours de ce XXe siècle ont finalement réussi à se réconcilier grâce à la volonté obstinée d’hommes comme Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Charles De Gaulle, René Cassin... et de millions d’inconnus que cette aventure passionnait. Grâce à l’action positive de tous ces citoyens dans les six pays fondateurs de notre Union, un pas immense a été accompli par ma génération entre 1945 et 2000 : plus d’un demi-siècle de paix en Europe. C’est un fait exceptionnel dont nous avons été les bénéficiaires, pour notre plus grand bonheur individuel et collectif. Cette union de peuples par le consentement mutuel, et non par la conquête militaire ou la soumission économique, fait ma fierté. D’aucuns ont dit que la paix est la continuation de la guerre par d’autres moyens, c’est vrai mais cela doit appartenir au passé. Pour l’avenir, la concorde et la complémentarité doivent être les uniques objectifs des nations et des individus qui les composent. Les notions de luttes et de rivalités doivent disparaître des rapports entre humains. C’est utopique ? Pas si sûr… Vous voyez bien ce qui a été réalisé en Europe par la volonté collective de quelques nations. C’est un premier pas et il faut continuer

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La chanson des blés d’or d’avancer. Allons vers la recherche d’une meilleure efficacité par l’union des efforts dans une même direction, un même but. Bannissons les rivalités stériles entre les individus, les castes, les communautés, les « races », les religions ou les nations. Bousculons s’il le faut les mentalités pour que naisse une société nouvelle, harmonieuse, efficace, économe et pérenne. La promiscuité sur Terre nous y oblige si l’on veut éviter le chaos. Il faut agir vite. Au cours des années soixante nous étions persuadés que la civilisation s’imposerait partout contre l’obscurantisme et la barbarie. Nous imaginions que les anciens empires coloniaux auraient diffusé les idées de démocratie et de liberté, que l’égalité entre les sexes compléterait l’égalité entre les Hommes et que ce qui rapproche l’emporterait sur ce qui divise. Le levier formidable qui devait permettre ce bouleversement était l’éducation de tous et partout. On a même imaginé que les maladies seraient vaincues l’une après l’autre par la science… Notre doux rêve a volé en éclat dans les années quatre-vingt-dix. Le constat est sans équivoque : c’est un échec. Les haines, les séparatismes, la bêtise, l’égoïsme, l’affairisme, l’inculture triomphent partout. L’anomie est devenue le système qui tend à gouverner le monde. Alors, on ne peut rien faire ? Bien sûr que si. Il faut se réapproprier le pouvoir qui a été confisqué aux peuples. Reprenons les principes de l’Anarchie : c’est par chacun que doit arriver le changement, c’est par les actions individuelles que bougent les choses. Il ne faut plus attendre d’en haut les bouleversements nécessaires, d’un Homme providentiel, il y a urgence. Les élites sont partout corrompues. Lorsqu’elles détiennent le pouvoir, dans le meilleur des cas elles ne songent qu’à se le partager et, dans le pire, à se l’approprier pour elles seules. Pour le bien-être général, il faut agir dans des groupes ou des associations avec lesquels on voit se concrétiser ses actions. Ces associations militantes ne manquent pas, qu’elles soient locales nationales ou internationales. Ne restez pas assis sur votre nuage moelleux à contempler votre bien-être et à glousser d’aise.

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La chanson des blés d’or Soyez ces papillons dont le battement d’aile va provoquer l’ouragan. Pour ma part je ne peux dissocier mon bonheur personnel du bonheur collectif. Je me sens solidaire de mes contemporains. La vie qui vibre en moi doit tout aux milliards de cellules qui travaillent ensemble et restent groupées autour d’un seul objectif : vivre et partager pour la survie de toutes, c’est-à-dire de moi. Le jour où certaines vont vouloir s’approprier mon énergie vitale pour elles seules, au mépris des autres, je serai mal et proche de mon terme. C’est malheureusement l’exemple que donnent le système politique et les religions à la mode… pour quelques années encore. Agissez donc à votre humble niveau ! Le trou dans lequel on met la dynamite est petit mais il suffit pour faire éclater la montagne, comme ne l’a pas dit Lao-Tseu. Nous sommes liés les uns aux autres. Donc allez vers ce qui unit et non ce qui divise, que ce soit au sein de la famille, du cercle des amis ou des nations. Nos parents ont payé le prix fort. Ils ont été les victimes, rarement les acteurs de ces divisions entre les peuples. Inversez les choses et ne cédez rien à ceux qui vous entraînent vers de fausses valeurs comme l’argent, le pouvoir ou une célébrité éphémère. Travaillez à la construction du paradis ici et maintenant, ne le cherchez pas ailleurs, ou au-delà, il n’y est probablement pas. Agissez ! Vous trouverez le bonheur, comme le trésor du Laboureur de la fable de La Fontaine1, en le cherchant. La destination compte moins que le chemin. L’action, le mouvement rendent heureux. Pour conclure et vous laisser entrer dans la lecture de « La chanson des blés d’or », je veux dire quel bonheur c’est pour moi d’avoir des petits-enfants issus d’une fille française et d’un beaufils allemand. C’est la concrétisation de mon idéal de recherche perpétuelle d’harmonie. C’est aussi l’union de deux cultures qui n’en sont en réalité qu’une seule : la culture européenne à travers des peuples différents.

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« Il devient indispensable que l'humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé. »

Albert Einstein

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L’ENFANCE L’ENFANCE À AUTRYAUTRY-LELE-CHÂ CHÂTEL

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I

l est un petit village niché sur les bords de la Loire, au cœur d’une région paisible et accueillante. Là-bas, l’été s’alanguit sans excès dans l’odeur des foins coupés. L’automne exhale ses parfums d’humus et de gibier au son des cors de chasse. L’hiver recouvre d’un voile de givre blanc les forêts et les prés alors que crépite le feu de bois dans la cheminée. Le printemps étales ses tapis de fleurs et de champignons dans la brume tiède du matin. La terre est riche, légère et généreuse, les ruisseaux paisibles et poissonneux, les forêts profondes et giboyeuses. Sur les rivières et les étangs glissent les barques en frôlant les saules pleureurs. Au loin un lièvre bondit en traversant les champs. Ce pays est celui d’Alain Fournier, de George Sand, de Colette, de Régine Deforges… C’est le Berry, cœur battant de la France, autour duquel s’est peu à peu unifié le royaume. La Renaissance y a pris son essor et la langue s’est imposée comme référence. Ce petit village se nomme Autry-le-Châtel et la famille Maillot y a son berceau. Ils sont tous nés là, aussi loin que l’on remonte, dans un rayon d’une dizaine de lieues, sur la rive sud de la Loire, entre Gien et Briare. Ces

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La chanson des blés d’or ancêtres sont tous agriculteurs, artisans ou journaliers. Lors de la création des noms de familles par les autorités seigneuriales et religieuses, l’un d’eux, menuisier de son état ou habile utilisateur d’un maillet (aussi appelé mailloche ou maillot au Moyen Age) a reçu ce nom qu’il a transmis à sa descendance.

Le 27 février 1904… Le samedi 27 février 1904, par un petit matin au soleil pâle, naît mon père André Clair Émile Maillot à Autry-le-Châtel, dans la maison familiale. C’est le cinquième enfant de la famille. Il a déjà deux sœurs (Hélène et Alice) et deux frères (René et Camille). Un autre frère (Robert) viendra pendant la Grande Guerre. Les quelques cheveux qu’il a sur la tête ont des reflets roux. On le surnomme très vite le Roucoucou. Son père, Irené, est le gardechampêtre du village. C’est une personnalité importante à cette époque, il est le représentant de la Loi. En ce début de XXe siècle, Émile Loubet est président de la République française. George V va être couronné roi d'Angleterre et d'Irlande, et empereur des Indes. La journée de repos hebdomadaire n’est pas encore adoptée, la journée de travail va bientôt être limitée à dix heures, la France compte moins de 40 millions d’habitants, le Japon va entrer en guerre contre la Russie, Salvador Dali et Glenn Miller vont naître… L’été dernier, le premier Tour de France a été remporté par Maurice Garin. La France est un pays prospère et créatif dans les domaines des sciences, des arts et de l’industrie. La mère, Clémence André, est attentive, elle fait preuve d'une grande patience et d’une grande douceur avec les enfants. Elle les entoure de tout son amour. La ribambelle de petits va avoir une enfance heureuse. La vie à Autry est assez dure comme partout a cette époque, mais la vie de famille est harmonieuse et la cohésion est forte. Elle se maintiendra à l'âge adulte entre frères et sœurs. Les journées de Clémence sont épuisantes. Aucune machine ne vient alléger ses tâches ménagères. La messe du dimanche est le seul moment de la semaine où elle peut s’habiller et passer une heure sans travailler. C’est sa seule distraction, en

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La chanson des blés d’or quelque sorte. Le père, lui, n’est pas à l’église, avec les calotins ! Il représente la République. L’Eglise et l’Etat sont séparés depuis 1905… Alors il est en face, au café de la mairie…

Au centre, Clémence avec Roby et Thérèse, sa belle-fille. De chaque côté un oncle et une tante d’André. Devant, les poules.

Le père Irené Maillot, René debout derrière lui, Clémence avec Suzon sur ses genoux puis Thérèse et sa fille Thérèse enfin Hélène.

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Le Petit Journal du 28 février 1904, paru le lendemain de la naissance d’André Maillot.

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De gauche à droite : Clémence, Irené, un frère de Clémence et une tante.

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Autry-le-Châtel au début du XX siècle

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Il veille à ce que l’ordre soit respecté par les assoiffés, les batailleurs, les récalcitrants, tout en vidant sa chopine avec les autres. En cas de besoin il se lève et dégaine sa formule : « Tu rentres chez toi sans faire d’histoires sinon je mets ma plaque !» Là, ça chauffe… Sur cette plaque, fixée au baudrier, deux mots sont gravés en gros caractères : LA LOI. La plaque sur la poitrine, il détient l’autorité.

Plaque de garde-champêtre

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La chanson des blés d’or En temps normal il passe dans les rues avec sa casquette de garde-champêtre et fait les annonces officielles en commençant par un roulement de tambour. Il sort alors un papier de sa poche et déclare « Avis à la population : à la suite de la délibération du conseil municipal… » et il poursuit par « le concours de pêche aura lieu le dimanche… » ou bien « pour le défilé du 14 juillet, notre député, monsieur… » ou encore « l’inauguration des pissotières municipales aura lieu le … en présence de monsieur le conseiller d’arrondissement à onze heures…». Il conclut par le sempiternel « Qu’on se le dise ! », suivi d’un roulement de tambour. À chaque arrêt, tous les cent mètres, il recommence son annonce. Les villageois passent la tête par la fenêtre ou sortent sur le pas de la porte pour écouter. Les enfants ont accouru et l’entourent. Ils le suivent et font le tour du village en sautant d’un pied sur l’autre, ravis de laisser un peu les jeux de billes pour une sorte de parade.

Tambour, baudrier et baguettes de garde-champêtre.

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Le lavoir à Autry où se rend Clémence.

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Le premier souvenir de classe : pas envie de chanter

Une photo de classe en 1910.

C’est donc dans ce monde bien réglé et bien policé que grandit le petit André. Oui, ce prénom qui rappelle le patronyme de sa mère va coller à cette branche de la famille à la manière d’un papier tue-mouches dont on n’arrive pas à se séparer… Son premier souvenir d’enfance se passe à l’école communale. On est avant la Guerre de 14. L’Alsace et la Lorraine forment une tache indélébile sur les cartes de géographie de toutes les classes de France. Chaque matin on chante la Marseillaise et d’autres chants patriotiques dans la cour de l’école avant d’entrer en classe. Ce matin-là les élèves sont alignés face au drapeau. Mais le petit André n’a pas envie de chanter. L’instituteur, un réfugié Lorrain qui ne transige pas avec ce rite, voit le manque d’enthousiasme de son élève, fait arrêter tout le monde et s’enquiert des raisons de ce mutisme. « Pourquoi ne chantes-tu pas ?... Tu ne veux pas

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La chanson des blés d’or chanter ? » « Non ». Monsieur le directeur de l’école est appelé. André reste buté sous le regard médusé de ses sœurs, de ses frères et des autres élèves. « Il n’a pas voulu chanter ! » dit le maître. « Comment ça, il n’a pas voulu chanter ?… » Une avalanche tombe alors sur la tête d’André. Il est tancé, menacé, admonesté. Il faut faire comprendre au rebelle et aux autres que la chose n’est pas admissible. Rien n’y fait. Il est puni. André passe une mauvaise matinée à l’école. Et puis la cloche sonne et il rentre enfin à la maison. Mais son père l’attend sur le pas de la porte : « Paraît que t’as pas voulu chanter ce matin ? » « Euh... » Et vlan ! Une énorme calotte lui fait tourner la tête. Elle lui « clasinera » (comme il le racontera plus tard à nous, ses enfants) dans la tête et lui chauffera la joue pendant un long moment. Et il bénéficie d’une seconde explication de texte sur ce qu’il est bon de faire et de ne pas faire en matière de chants patriotiques. Il avouera ne pas savoir pourquoi il a fait cela ce matin-là mais avoir toujours accepté de chanter par la suite… Cette « tourlousine » aura peut-être fait naître une vocation de chanteur… mais nous verrons cela plus tard.

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La chanson des blés d’or Sinon, les souvenirs de l’école sont excellents. Il apprend bien, il aime ça. Il ira jusqu’au Certificat d’études qu’il aura à onze ans et quittera à regret les bancs pour aller garder les vaches puis apprendre un métier. En six ans il aura acquis une orthographe parfaite et des compétences remarquables en calcul mental.

La visite de Monsieur l’Inspecteur L’instituteur de la classe unique des garçons est inspecté. Il a été prévenu depuis plusieurs jours de cette visite et il a bien sûr préparé une demi-journée modèle. Monsieur l’Inspecteur vient vérifier que l’enseignement de son « hussard noir » est conforme aux instructions officielles. Les enfants ont été prévenus, ils ont un peu répété, ils doivent donner leur meilleur. Certains, au fond de la classe doivent éviter de lever la main. Les cours se déroulent comme prévu : morale en entrant avec la sentence écrite d’avance au tableau, arithmétique, calcul mental, conjugaison puis récitation. L’instituteur a choisi de faire réciter « Le Loup et l’Agneau » de Jean de La Fontaine que les enfants ont appris la semaine précédente… Le Loup et l’Agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l'allons montrer tout à l'heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d'une onde pure. Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. Sire, répond l'Agneau, que Votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu'elle considère Que je me vas désaltérant

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La chanson des blés d’or Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d'Elle ; Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. Tu la troubles, reprit cette bête cruelle, Et je sais que de moi tu médis l'an passé. Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né ? Reprit l'Agneau ; je tette encor ma mère Si ce n'est toi, c'est donc ton frère. Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens : Car vous ne m'épargnez guère, Vous, vos Bergers et vos Chiens. On me l'a dit : il faut que je me venge. Là-dessus, au fond des forêts Le loup l'emporte et puis le mange, Sans autre forme de procès. A la fin de la séance, Monsieur l’Inspecteur demande à poser quelques questions aux élèves. - Je vous en prie, Monsieur l’Inspecteur… - Les enfants, que retenez-vous de cette histoire ? Les enfants lèvent la main, bien droit et en silence. -Toi, dis-moi. - Le loup est méchant. L’agneau ne peut pas troubler son eau, il est placé plus haut. - Toi. Monsieur, c’est l’agneau qui a raison. Le loup est menteur. - Toi. - Il n’était pas né, le petit agneau, ça ne peut pas être lui. Le loup est méchant, il s’attaque au plus faible qui ne peut pas se défendre. Monsieur l’Inspecteur se tourne vers le maître et dit en le regardant : - Non. Ce qu’il faut comprendre c’est que la raison du plus fort est toujours la meilleure. Qu’il ait raison ou tort, c’est lui qui impose sa loi. Il faut donc être fort pour faire valoir ses droits…

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La chanson des blés d’or L’instituteur en prend pour son grade. Il est mortifié. Il comprend la leçon qui s’adresse à lui. La fable a une portée politique, surtout pour lui qui est réfugié Lorrain. L’histoire va montrer très vite ce que Monsieur l’Inspecteur voulait que les enfants reçoivent comme message.

Le père et la mère Maillot devant leur maison à Autry.

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La première automobile dans le village Il est attendu depuis plusieurs jours… Monsieur Levasseur va venir au village avec son automobile. C’est un personnage important, un notable. Il vient d’acheter une automobile. Tout le monde en parle. Ce matin là un grondement se fait entendre au loin. Il se rapproche.

Une automobile Panhard et Levassor, modèle 1910.

Ce n’est pas comme le bruit des machines à vapeur qu’on emploie dans les champs en été. Ces moissonneuses et ces batteuses cracheuses de fumée et de vapeur au souffle alternatif. C’est une sorte de roulement sourd. Et puis il y a le klaxon, la corne, le pouêt pouêt pouêt qui avertit de loin de l’arrivée du monstre et du spectacle. Les enfants accourent vers la place du village. Le voilà, le voilà ! Le monstre apparaît traînant un nuage de poussière.

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La chanson des blés d’or C’est donc ça une automobile ! Elle est rutilante avec ses cuivres et sa peinture laquée verte. Juché sur ce véhicule, il est assis à côté du chauffeur, dans sa pelisse et les yeux protégés par des lunettes, monsieur Levasseur. Fier comme Artaban, il descend, il parade, il fait le spectacle. Il fait le tour du véhicule en expliquant doctement le rôle et le fonctionnement de chaque élément à l’assistance ébahie. Les voix du village lui sont d’ores et déjà acquises pour sa prochaine réélection au poste de Conseiller général. C’est à peu près la seule automobile qui passera par le village pendant plusieurs années. Tous les enfants continueront à se précipiter pour l’admirer à chaque passage.

Un premier aéroplane sur le village

Un Blériot 11 au décollage.

C’est un autre matin, les enfants sont en train de jouer dans le bourg. Un ronronnement peu à peu se fait entendre. Tiens, quel drôle de bruit… Une automobile ? Ils accourent de nouveau sur la place du village, juste à temps pour voir un aéroplane apparaître au-dessus des maisons. Un aéroplane ! Ils en ont entendu parler par les pères et les grands frères : Blériot, Paulhan, Farman,

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La chanson des blés d’or Santos-Dumont, Voisin… Ils connaissent les noms de ces fous volants ! On voit le pilote avec ses lunettes et son casque de cuir. Il salue de la main les habitants éberlués. Tout le monde pointe le doigt vers cet engin qui côtoie les oiseaux et rase les toits. Puis il disparaît de l’autre côté de la place, derrière les platanes. Les enfants courent à travers le village jusqu’à la dernière maison pour le voir encore au-dessus des champs puis il enjambe les arbres et disparaît. Le café a résonné de cet événement pendant des mois.

Le père et sa casquette Le père Maillot porte une casquette comme presque tous les hommes qui ne portent pas le béret basque ou le chapeau. Cette imposante casquette lui sert à corriger les garçons qu’il faut faire obéir… et les filles à l’occasion. Il se poste pour cela derrière la porte d’entrée de la maison, attend le passage des canailles et assène un bon coup de casquette sur la tête du malheureux qui entre. Un peu aveuglé par le passage de la lumière à la pénombre qui règne à l’intérieur, il voit tout à coup des étoiles lorsque s’abat la casquette. « Ça nous enfonçait la tête dans les épaules » comme le racontera plus tard André. En dehors de cela, c’était un père juste et qui en imposait par sa prestance.

La louée : il garde les vaches et travaille dans un moulin Le 24 juin 1912, à la foire se déroule la louée. C’est une vieille tradition qui remonte au Moyen Âge. Avant l’arrivée de l’été on loue des bras pour les travaux des champs. C’est ainsi que le petit André est loué à un meunier pour travailler tout un été dans un moulin à eau. Le revenu est petit pour la famille mais c’est surtout une bouche de moins à nourrir pendant trois mois. En 1913 il garde les vaches chez un fermier des alentours. Il lui en restera un souvenir mitigé. À la ferme, le travail sera dur mais les femmes prendront soin de lui, les enfants de la famille l’accepteront vite et le séjour s’avèrera plutôt agréable.

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La chanson des blés d’or Pour ce qui est du moulin, la vie est plus dure, sans effusion et avec peu de rapports humains. Levé tôt, couché tard, il s’endort épuisé par les efforts fournis.

Moulin à eau près d’Autry-le Châtel.

La mobilisation générale et la déclaration de guerre André est dans les champs ce 2 août 1914 à une demi-lieue du village. Depuis quelques mois il entend les adultes parler de guerre avec l’Allemagne, du Kaiser, des casques à pointe, des uhlans... Et là, il entend les cloches de l’église sonner le tocsin. Tout le monde s’est figé. Ça y est, ce que l’on redoutait se produit. Les hommes vont devoir partir. Les travaux des champs ne sont pas terminés. Tout semble s’arrêter. Après un moment de silence et de recueillement ou de prière la tête baissée, de partout on converge vers le village. Sur la place une affiche est collée : « Ordre de mobilisation générale ». Les grands se mettent alors à discuter, les femmes se mettent à pleurer. Nous, les enfants, on sent que quelque chose de grave arrive. On ne

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La chanson des blés d’or comprend pas bien mais on sait que c’est triste. On se regarde et on n’ose pas parler trop fort. Pour la famille Maillot, le père reste, il a quarante cinq ans et n’est pas mobilisable, ce sont les plus jeunes qui doivent rejoindre leur régiment. Des cousins et des oncles partent. Sur la place, on se sépare. Chacun va chez lui rassembler quelques affaires pour prendre la route. Les jours suivants, un grand vide se fait dans le village et dans les champs. Il manque beaucoup de monde. Ce sont les enfants et les femmes qui doivent prendre la relève après le départ des pères et des grands frères afin d’aider les moins jeunes qui n’ont pas été mobilisés et les grandes sœurs qui sont restées. La guerre va être dure pour les enfants aussi.

Un soir André est envoyé chez un homme qui est rebouteux et un peu sorcier pour lui porter un paquet. Probablement des cheveux et des effets personnels d’une personne atteinte de la grippe espagnole ou d’un parent parti au front. La nuit tombe. L’air glacial coupe le visage comme la lame d’un rasoir. Le chemin est de plus en plus obscur. La maison, là-bas, est une masse sombre percée d’une ouverture d’où vacille une lueur jaune. La peur au ventre, il frappe à la porte en bois. Une silhouette ouvre. « Entre » « Je viens de la part de … » « Oui, je t’attendais ». Il tend le

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La chanson des blés d’or paquet enveloppé dans un papier journal à cette grande silhouette hirsute. « Tu diras que je vais faire ce qu’il faut… Rentre vite. Au revoir ». La porte se referme et il repart, pas mécontent de quitter cette maison sinistre mais pas rassuré de devoir refaire le chemin dans le bocage éclairé par la lune qui glisse sa lueur entre les nuages malmenés par la bise. Il aperçoit les premières fenêtres du village avec soulagement. Il court maintenant dans les rues du bourg. Arrivé à la maison, la chaleur de la cheminée l’attend avec un bol de soupe que la mère apporte. Voilà, la mission est accomplie. La grippe espagnole et les combats ont décimé le village. Bien plus tard, il nous racontait cela en nous disant que selon lui, la grippe espagnole c’était la peste ou tout comme !

A 14 ans la pleurésie et le verdict du médecin Il a quatorze ans, la guerre s’éternise. Le père Maillot a cru bon de faire un autre enfant pour repousser l’appel sous les drapeaux de quelques années… Au cas où la guerre ne prendrait pas fin. Un dernier garçon naît : Robert. Le jeune André est mis en apprentissage chez un boucher à Gien. « Comme ça il aura à manger ! ». Il attrape une pleurésie et revient à Autry auprès des siens. La maladie s’éternise, elle aussi. Le médecin, sans grande discrétion annonce aux parents qu’André va mal et qu’il ne vivra pas au-delà de vingt ans. André, dans son lit entend ces mots. Un couperet froid lui tombe sur la nuque. « Je n’ai plus que cinq ou six ans à vivre… » Il se recroqueville, abattu par ce diagnostic. Mais très rapidement il réagit et se dit que si c’est vrai, autant faire en sorte que ce soient de belles années. Et que, peut-être, il pourrait faire mentir ce médecin. Il va chercher à mettre tous les atouts de son côté : sport et nourriture saine. Cet événement va être déterminant pour le reste de sa vie et forger sa personnalité. Il ne sera jamais fataliste, il aura une grande confiance en lui et se prendra toujours en main sans jamais s'apitoyer sur son sort ou se plaindre. Il fera preuve d’une détermination simple et sans faille.

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L’hôtel à Gien La guerre est maintenant terminée depuis novembre 1918. Le père n’a pas été mobilisé. La famille a quitté Autry pour s’installer à Gien. Les parents tiennent un hôtel-restaurant dont ils viennent d’hériter près du pont traversant la Loire, sur la rive gauche, face au château de Gien. L’emplacement exceptionnel de cet hôtel aura une certaine importance lors de la guerre suivante… Il y a une grande cour où les clients détellent leurs chevaux et parquent leurs carrioles. Le jour du marché la cour et le restaurant sont pleins. Après les affaires sur le champ de foire, les marchands, les maquignons et les fermiers se restaurent, boivent, discutent et jouent à la manille. Parmi eux un habitué, le père Goulard est souvent remis dans sa carriole le vendredi soir alors qu’il ronfle en cuvant ses chopines. Une tape sur la croupe de la jument et « A la maison ! » La bête, pas si bête, le ramène à bon port en toute sécurité au petit trot. Il est alors descendu de la patache sous les reproches de sa femme et porté sur son lit pour une nuit… d’ivresse. Georges Salomon est un habitué de l’hôtel, un client parisien qui fait du transport et des déménagements. Sa ligne favorite va de Paris à la Côte d’Azur et il fait souvent une halte à Gien. Il lui arrive de venir passer quelques jours de vacances dans l’hôtel. Les familles sympathisent. Toto, comme on l’appelle, parce qu’il conduit des autos, est un personnage typiquement parisien. Né en 1889, orphelin, il a grandi en se débrouillant pour survivre dans le Paris de la « Belle époque ». Les poubelles de certains restaurants lui servent de table. Le personnel emballe proprement les restes des repas afin qu’ils soient consommés par des miséreux. Il a ses adresses, il a ses amis, il a ses « tables ». Très jeune il côtoie les mouvements anarchistes et socialistes. Il traine dans les réunions et y croise Léon Trotski. Vers 1910 ce sera Lénine et en 1920 Ho Chi Minh, qui sera le père de l’indépendance du Viêt Nam, bien plus tard. Que du beau monde ! Enfin, des personnages qui vont laisser une trace dans l’histoire. Enfant des rues cherchant des petits boulots puis cocher de fiacre au début du siècle nouveau, il s’intéresse aux automobiles. Il me

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La chanson des blés d’or confiera avoir imaginé et mis au point avec d’autres, pendant la Première guerre, un ancêtre du démarreur électrique pour les camions militaires. La manivelle est à cette époque et restera encore longtemps le moyen le plus utilisé pour faire démarrer les moteurs. Il fut conducteur de camions pendant toute la guerre. Notamment au Chemin-des-Dames en 1917 et/ou à Verdun la Voie Sacrée en 1916. Les pires endroits de cette horrible guerre. Il faisait la noria avec les troupes et le matériel. Montant les troupes « fraîches » au front et redescendant les survivants pour un peu de repos avant de les ramener dans les tranchées.

Georges Salomon, au centre, les mains dans le dos, et ses collègues chauffeurs de taxis.

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André a 17 ans : « On les mariera ensemble »… Mais revenons sur les bords de Loire au cours de l’été 1921. La famille Salomon est en vacances. Le repas s’éternise. On chante. Chacun à son tour se lève et entonne sa ritournelle. Les autres, autour de la table reprennent le refrain à l’unisson. Les enfants sont là. Andrée (Salomon), la petite de Toto qui a six ans regarde André (Maillot) et lui fait des sourires. A son tour, il chante La chanson des blés d’or qui deviendra sa chanson fétiche, sa chanson du dimanche ou des repas de mariage pour tous les membres de la famille. Et soudain, quelqu’un dit en les regardant « Ils sont beaux, non ? Un jour on les mariera ensemble, ces deux là ! ». Le jeune homme qui a dix-sept ans regarde la petite qui en a six et pense « cette gamine ? Sûrement pas ! » Et pourtant douze ans plus tard, en 1933 on célébrera leur union à Paris…

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Le Petit Journal du 21 mars 1915, jour de la naissance d’Andrée Salomon. Le Petit Journal sera le surnom d’Andrée au cours de son enfance pour son côté pipelette.

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ANDRÉ NDRÉ MONTE MONTE À PARIS

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1921 : il retrouve Camille à Paris

Les Halles de Paris et l’église Saint Eustache en 1921.

En 1921 André a 17 ans, il monte à Paris et y retrouve son frère Camille. Ce sont les « Années folles » dans cette ville, on cherche à oublier la guerre en s’étourdissant. Le travail ne manque pas, il faut reconstruire le pays et, de plus, beaucoup d’hommes ont été tués pendant la Grande Guerre. On manque de bras. Les parents ont dit à Camille comme à André « tu seras boucher, comme ça tu auras toujours à manger ! » Ils apprennent donc tous deux le métier, l’un rue Cadet et l’autre au marché Saint-Quentin près de la gare du Nord. Ils se mettent au sport, à la lutte gréco-romaine et à la gymnastique suédoise. On trouvera longtemps les longues bouteilles en bois servant à la réalisation d’exercices à la maison. La santé d’André est maintenant excellente. Il se forge une musculature à toute épreuve, il en aura besoin dans les différents métiers qui seront les siens, parfois par force. À la boucherie, il transporte les quartiers de bœuf en soufflant au moment de l’effort comme une machine à vapeur. Il gardera ce tic

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La chanson des blés d’or d’haltérophile tout au long de sa vie. Il amusera bien ses collègues, plus tard à l’imprimerie, qui le surnommeront La vapeur.

André, deuxième à partir de la gauche, devant la boucherie de la rue Cadet.

Les années 20 s’écoulent à Paris avec quelques retours sur les bords de Loire. C’est devenu un beau jeune homme. Là, son père le jauge, au cours de ses vacances. Ils vont ensemble en fin de journée, lorsque le soleil descend et allonge les ombres, dans le jardin sur le bord du fleuve. « Allez, tu mets cent arrosoirs sur les légumes et les salades ! » ou bien « On va retourner ce carré à la bêche ». Ils se mettent côte à côte et la compétition commence. Le père plante la bêche, soulève la motte et la retourne. Il avance, il avance sans peine… André traîne. Son père va bien plus vite. Il

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La chanson des blés d’or remarque soudain un détail : il ne soulève pas la motte mais prend appui sur le sabot de bois, fait levier pour soulever la motte et par rotation des poignets la retourne. C’est ça le secret que son père s’est bien gardé de lui donner. Il essaie… C’est bien plus facile comme ça. Ça va tout seul. Il se met alors à rattraper le retard en enfin dépasse le père. Un coup d’œil par en dessous, un sourire, ils se sont compris. Le père dit « Bon, je te laisse finir… T’as pas trop perdu la main à Paris, mon gamin ».

Les Grands Boulevards à Paris.

Le service militaire à Bourges En 1924 il part faire son service militaire à Bourges. Pas loin de Gien, au cœur du Berry. Il est dans le premier régiment d’artillerie. Il apprend à enrouler les bandes molletières autour des mollets, à placer son calot bien droit sur la tête, à défiler au pas, à tirer au fusil et au canon, à faire de l’équitation mieux qu’un paysan qui dirige son cheval de trait dans les champs. Il adore les chevaux, surtout les grands beaux travailleurs puissants. Il gardera une jolie expression qui fera rire ses enfants… et moins sa femme. En parlant d’une femme aux courbes arrondies et aux

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La chanson des blés d’or formes généreuses au niveau des hanches, il dira « Elle a une croupe comme une jument de brasseur ! ». Les deux années passent, puis il reprend son métier de boucher.

Le père, la mère, Germaine, Camille, René et sa fille Thérèse, Thérèse (sa femme) et Roby. Ci-dessous un exercice de tir.

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Le premier béguin… la première déception

André, tiré à quatre épingles…

À la faveur de ses promenades du dimanche sur les Grands boulevards ou peut-être de ses contacts avec les jolies clientes, il fait la connaissance d’une jeune fille qu’il ne laisse pas indifférent et qui ne le laisse pas indifférent non plus. De rendez-vous du dimanche en rendez-vous, les choses prennent un tour sérieux. Elle est protestante, lui pas grand-chose au niveau religieux. Elle lui prête des livres pour lui ouvrir l’esprit aux réflexions théologiques et métaphysiques. Il a 27 ans et pourquoi ne pas songer au mariage ? Un dimanche il est invité au repas dominical chez les parents de la jeune fille. On le découvre, on le teste, on

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La chanson des blés d’or l’évalue… Et puis, la question que toute la petite bourgeoisie pose arrive : « Qu’est-ce que vous avez comme économies si vous voulez vous marier ? » André prend cette question comme une douche glacée. « Ben j’ai un peu… J’ai mon métier et quelques économies. » Il n’a en fait rien ou presque. Il a seulement deux mains au bout de deux bras et du courage à revendre. Il finit le repas mortifié. Il rompt définitivement dans la semaine qui suit. La religion sera mise entre parenthèses pour lui jusqu’à la fin de la guerre, la Deuxième, pas la Grande ! Il veut fonder une famille mais pas avec n’importe qui et à n’importe quelles conditions.

Un meeting politique avec Léon Blum On est au milieu des années trente. La politique n’est pas une passion mais André s’y intéresse et se rend à un meeting politique avec Camille. Il fait beau et la foule est réunie en plein air. Une atmosphère de fête au son de l’accordéon règne en ce dimanche de printemps. Le public assiste au défilé des orateurs de la SFIO. Les discours avec leurs envolées lyriques sont ponctués d’applaudissements par une foule en bras de chemise, la casquette ou le chapeau sur la tête et la cigarette au coin des lèvres. L’orateur est maintenant Léon Blum pour conclure. La foule est en liesse. Il soulève l’enthousiasme en parlant de semaine de 40 heures, de congés payés, de scolarité obligatoire jusqu’à quatorze ans, de conventions collectives, de plan de grand travaux d'utilité publique, de création d'un fonds national de chômage, de régime de retraite pour les vieux travailleurs, de mise en place d'un Office national des céréales destiné à régulariser le marché et de lutter contre les spéculateurs… Tout à coup un voisin d’André dans la foule demande « Qu’est-ce qu’il a dit ? », une voix de titi parisien lui répond « Tais-toi donc, c’est bien trop fort pour nous ! Contente-toi d’applaudir… ». André ne s’intéresse pas vraiment à la politique. Il y viendra pourtant dans les années cinquante avec Pierre Poujade et la défense des petits commerçants. Harcelés de contrôles, criblés d’impôts et d’amendes en tous genres, ils se révolteront contre le

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La chanson des blés d’or personnel politique de la Quatrième République… corrompu et inefficace. Andrée sera même surnommée « madame Poujade » par des amis de la famille, tant elle s’emportera et s’enflammera pour le mouvement poujadiste.

Le mariage et la naissance de Roland En 1933, les événements se précipitent en Europe. Pour Camille et André aussi. En octobre Camille se marie avec une jeune fille, Germaine. À l’occasion de ce mariage André revoit la petite Andrée (ou Dédée) qui a maintenant 18 ans. Plutôt mignonne. Il en oublie sa cavalière attitrée et passe la fête en sa compagnie. C’est le coup de foudre. Cinq semaines plus tard, le 20 novembre ils se marient à la mairie du XVIIIe arrondissement par un froid glacial. « Il faut battre le fer quand il est chaud » a-t-il coutume de dire… Elle est encore bien jeune. Elle a perdu sa mère de la grippe espagnole alors qu’elle avait six ans. Son père Georges (Toto) s’est remarié et ça ne s’est pas trop bien passé pour les enfants du premier mariage : Jojo, Simone et Andrée. Le manque affectif est

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La chanson des blés d’or douloureux pour elle. Alors elle ne songe qu’à quitter la maison et à fonder sa propre famille. Lui, il a 29 ans, c’est presque un vieux garçon. Il travaille dur. Elle est couturière. Le budget est serré. Il va se trouver trois semaines sans travail, sans indemnités… La Grande dépression frappe l’Europe. Le Front populaire n’est pas encore venu instiller un peu de solidarité et mettre en place les indemnités chômage. Le porte-monnaie, déjà mince, se vide très vite. Il se souviendra de ces jours comme quelques uns des pires de sa vie. Une période de doute sur ses capacités. Sa petite femme attend un heureux événement dans leur petit appartement de la rue Jonquoy, à Paris.

Les invités au mariage (voir les personnes en annexe).

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Le 20 septembre 1934 naît Roland. Elle va pouvoir délivrer tout l’amour qu’elle a en elle. Mais il y a une chose qu’elle n’a pas trop, c’est du lait… Le bébé pleure, il a probablement faim. André prend rendez-vous avec le docteur Carton. C’est un nutritionniste adepte des méthodes naturelles dont André avait lu

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La chanson des blés d’or les livres. « Le bébé a faim parce que votre lait ne le nourrit pas assez. Alors mon petit, vous allez noter tout ce que vous mangez matin, midi et soir. Vous reviendrez la semaine prochaine. Votre bébé n’est pas malade. On va établir un régime pour vous ». Ainsi fut fait. L’alimentation fut modifiée et le problème résolu. Voilà un père de famille bien en avance sur son temps…

Avec Roland au jardin du Luxembourg en 1935.

Maman vide un poulet avec les gants du mariage A dix huit ans, Dédée n’est pas encore une ménagère accomplie. Un jour, pleine de bonne volonté elle achète un poulet pour le repas du dimanche. Comme elle ne veut pas dépenser trop et qu’ils ne sont que deux, elle choisit un petit poulet. Si petit que papa dira plus tard qu’on aurait cru un pigeon ! Mais ce poulet est tout juste plumé et pas vidé. Devant l’animal entier, elle doit lui couper la tête, les pattes et le vider, ce qu’elle n’a jamais fait. Elle l’a vu faire mais c’est tout. Elle ne veut pas attendre son mari qui ferait cela sans difficultés, alors elle cherche ses gants blancs

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La chanson des blés d’or de mariée et les enfile. Ils montent au-dessus du coude et sont en tissu. Le massacre peut alors commencer… Elle racontera cela en disant qu’elle tint l’animal aussi loin d’elle que possible, détourna la tête et le vida avec des haut-le-cœur.

André, Dédée et Roland en 1936.

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La chanson des blés d’or L’affaire faite elle jeta les gants avec les entrailles et fit cuire la pauvre bête. André fut surpris par la taille du poulet nain et s’amusa beaucoup du récit du travail préparatoire. « La prochaine fois, prends un poulet normal et je te montrerai comment faire… ». Ce qui fut fait et qui ravit pendant des dizaines d’années les amis et la famille. Le poulet entouré de cresson et de frites présida au repas dominical, parfois remplacé par son compère le rosbif.

Naissance de Jean-Claude

Jean-Claude.

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La chanson des blés d’or En septembre 39 naît le second de la famille : Jean-Claude. La période est bien troublée. André est retourné sous les drapeaux. Le pays est entré depuis le 3 septembre 39 dans ce que l’on appellera la Drôle de guerre. Les alliés ont déclaré la guerre à l’Allemagne et rien ne se passe sur le front occidental. André a rejoint son régiment d’artillerie du côté de Reims. Pendant neuf mois il va attendre en s’occupant des chevaux qui tirent les pièces d’artillerie…

Andrée et Roland en 1938.

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André en permission, et Dédée pendant la Drôle de guerre. - Rentre ton ventre ! - Mais laisse-moi donc tranquille !

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Andrée, Jean-Claude et Roland en 1940.

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LA « DRÔ DRÔLE DE GUERRE » ET L’EXODE

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Maman se réfugie à Gien en 39 puis c’est l’exode

En mai 40 les vraies hostilités commencent. Andrée a quitté la rue Jonquoy, elle est à Gien chez ses beaux-parents. L’endroit semble plus sûr que Paris. On ne sait jamais, si les canons allemands arrivaient à toucher Paris !!! Malheureusement, la situation de l’hôtel, près du pont de Gien, va s’avérer très dangereuse en dépit de son éloignement de la frontière allemande. De plus on ne va pas s’enterrer dans des tranchées au cours de cette guerre. C’est une guerre de mouvement qui commence. La ligne Maginot est contournée. Elle n’aura servi à rien. En effet les aviations allemande et italienne vont bombarder bien au-delà de la ligne de front. Notamment les ponts sur la Loire afin de bloquer le reflux de l’armée française.

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Dédée voyant le front craquer de partout décide de fuir les zones de combat qui se rapprochent rapidement. Le pont du chemin de fer est détruit et l’hôtel des parents aussi. 2

Gien après les bombardements.

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L’hôtel à Gien reconstruit après la guerre.

Elle quitte Gien et part sur les routes vers le sud sur une bicyclette tirant une poussette. Les deux petits avec elle : Roland qui va avoir six ans sur le porte-bagages et Jean-Claude qui a sept mois derrière, dans une poussette. Elle emporte quelques provisions avec elle et elle avance la peur au ventre. Les routes sont encombrées de millions de Belges, d’Alsaciens, de Lorrains et de gens du Nord qui fuient les zones de combats3. Ils sont rejoints par les Parisiens et toutes les familles des villes menacées de près en près… Sans oublier les troupes qui se « replient » pour un hypothétique sursaut, une volte face qui n’arrivera pas. Une interminable file de réfugiés à pieds, à vélos, en motos, en voitures, en charrettes à cheval ou en camions s’égraine en direction du sud.

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La chanson des blés d’or L’aviation italienne ou allemande prend l’alignement des routes et mitraille la population, sans grand risque et sans égard pour les civils qui se jettent dans les fossés pour éviter la mitraille. C’est un indescriptible chaos. Chaque jour il faut trouver de l’eau, de la nourriture pour elle et les petits, du lait pour Jean-Claude, fuir encore et encore, aller plus loin pour sauver sa vie et celle de ses enfants. Les nouvelles circulent dans les colonnes, sur la route. « Ils sont à Orléans », « Ils sont à Limoges », « Ils sont à Clermont », « N’y allez pas, ils y sont déjà ! »… Le mythe de la cinquième colonne naît alors. Ils sont partout, les espions aussi ! « Ils parlent français comme vous et moi » « ils ont des uniformes français ».

Un jour, un convoi militaire les dépasse. Les soldats viennent de l’Est, ils se replient. Andrée demande aux soldats s’ils savent où est le régiment de son mari, s’ils ont des nouvelles des combats, s’ils ont quelque chose à donner aux enfants… Un officier dont la femme et les enfants sont eux aussi jetés sur une route, quelque part comme elle ordonne : « Poussez-vous à l’arrière. Montez ma

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La chanson des blés d’or petite dame. On va à Toulouse pour se regrouper. Montez le vélo et la poussette comme vous pouvez. On vous emmène ». Ils avancent de quelques dizaines de kilomètres. Ils partagent la nourriture avec les soldats. Et puis, quelques jours plus tard, les ordres contradictoires font que le convoi militaire se déroute. La petite famille est laissée sur le bord de la route dans le flot hétéroclite des réfugiés en quête de refuge. On est près de Toulouse. Jean-Claude est malade. On a vendu du lait malsain pour le bébé. Sa couleur un peu vert clair laissait supposer qu’il n’était pas trop frais… Mais il n’y a rien d’autre à donner. Acheté à prix d’or – les prix de la nourriture flambent tout au long de la route. Il ne faut pas être difficile et surtout avoir de l’argent. D’aucuns ne perdent pas une occasion de faire du profit… Trouver un médecin, des médicaments, une nourriture saine c’est impossible dans ce désordre. Mais parfois l’entraide marche aussi. Ceux qui n’ont pas grand-chose partagent une boîte de sardines, un verre de lait, une boule de pain... Andrée est seule. Elle est à Marquefave, au sud de Toulouse et Jean-Claude meurt là, au bord de la route après des heures de souffrance. Pas de communications, pas de nouvelles. Seule dans la tourmente, en pleine détresse. Une famille va lui venir en aide. C’est la famille Castéras. Ils voient passer tous ces réfugiés et cette femme en pleurs avec son bébé de huit mois mort et son autre enfant de six ans. Ils se voient dans cette femme qu’ils ne connaissent pas. Ils vont loger Andrée et Roland, les protéger. S’occuper de l’enterrement de Jean-Claude. Faire prévenir André qui fait sa guerre et qui va obtenir une permission, mais ce sera après l’armistice. Merci à cette famille qui entretiendra toujours la tombe du bébé, même bien longtemps après ces événements. Ce ne sera que dans les années soixante qu’ils reverront Andrée et Dédée, ce couple en qui ils se voyaient. Un été en août, à l’occasion des vacances, ils se retrouveront à Marquefave. L’émotion sera intacte et la chaleur humaine intense.

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Papa fait un prisonnier ! Comme pour beaucoup, la guerre a été bien bizarre pour André. L’attente pendant des mois puis tout à coup des bombardements énormes dans la montagne de Reims. Des « marmites » qui tombaient des avions, ouvraient le sol pour en sortir les entrailles et soufflaient tout, autour du cratère. Des ordres pour se diriger vers tel endroit puis un contre-ordre pour aller ailleurs… Des officiers qui tonnent « Mais qu’est-ce que vous faites ici ? Les allemands sont là-bas à trois kilomètres ! Allez rejoindre votre unité » Ou bien « Ne tirez pas avec le canon, vous allez vous faire repérer ! Ils arrivent ! Sauvez le matériel, repliez-vous ! »

Une pause pour les soldats.

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La cuisine roulante installée sous une grange.

Et puis, un matin, André se retrouve à la tête d’un groupe de cinq soldats de son unité. Il a le grade le plus élevé : maréchal des logis. Donc il dirige… « Qu’est-ce qu’on fait ? » Plus de communications, plus d’ordres et des gens qui vont dans presque tous les sens… plutôt vers le sud en général. « On va aller là-bas vers le hameau, on trouvera peut-être du ravitaillement et des consignes ». En marchant, au détour du chemin voilà que le groupe avise un uniforme qui ne ressemble pas au leur. L’homme est seul, ils sont cinq. On s’approche de lui, le canon des fusils levé vers lui. Il lève les mains « Che suis Pelche ! Tirez pas !» On n’a pas confiance. Et si c’était un Allemands, pas un Pelche ? C’est peut-être un piège… Il est maintenant à deux mètres du groupe. Il plonge les mains dans ses poches. André, qui n’a pas oublié la lutte gréco-romaine, se jette à sa ceinture et aplatit le Pelche en lui faisant une de ces clefs de bras dont il a le secret. « Il a voulu prendre un pistolet dans sa poche, l’Allemand ! » se dit-il. « Tenez-le en joue, je fouille ses poches ». Rien. On prend

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La chanson des blés d’or quand-même son fusil et maintenant on a un prisonnier… « Metstoi debout et marche devant ». Ils s’en vont ainsi vers le hameau avec leur prise de guerre. A l’entrée du village, ce n’est pas du français qu’on entend… Dans la cour d’une ferme un groupe d’une quinzaine de soldats est assis en train de manger des rations militaires dans leur boîte de conserve. Ils ont tous le même uniforme que le prisonnier ! En un quart de seconde le rapport de force n’est plus le même. Le Pelche montre les autres, baragouine en souriant et se dirige vers eux. C’est alors comme un seul homme que le petit groupe tourne les talons, un regard a suffi. Tout le monde a compris. « Et si ce n’étaient pas des Belges mais des Allemands ? » On décampe d’un bon pas sans se retourner.... « On ne va tout de même pas se faire prendre comme ça ! »

Encombrements sur la route de l’exode.

Ils continuent ensuite à errer jusqu’au moment où un camion militaire passe sur la route, allant dans le même sens qu’eux. Il n’y a que des « seconde classe » dedans. Réquisitionné ! Le petit groupe monte et André en prend le commandement. Le chauffeur se replie, alors on se replie vers la Loire. Ils font ainsi quelques

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La chanson des blés d’or centaines de kilomètres. Prenant les ordres dans les villes où ils passent afin de rejoindre leurs unités, ils s’entendent dire par un officier qui n’a pas bien conscience de la réalité des événements « Comment ? Vous venez de Reims avec le camion ? Où est votre unité ? Mais vous êtes des déserteurs ! Vous méritez d’être fusillés ! »… « On ne va pas moisir ici. Le plein est fait ? On y va, on continue vers le sud » se dit André. C’est l’arrêt des hostilités qui stoppe le repli du petit groupe et met fin à ses aventures. Pour le même fait on proposera une médaille à André qui a « sauvé du matériel militaire qui risquait de tomber dans les mains de l’ennemi » !!! Il la refusera. Ayant rejoint ce qui reste de son unité, il apprend que son épouse est près de Toulouse et que Jean-Claude est décédé. Avant sa démobilisation, il reçoit une permission de quelques jours pour la mort de son fils.

Carte de la France coupée en deux zones.

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À PARIS SOUS SOUS L’OCCUPATION

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Les alertes la nuit rue Ebelmen, sous les toits Après la démobilisation, en 1941, le couple se retrouve à Paris occupé. Ils habitent rue Ebelmen dans le XIIe arrondissement, près de la rue Chaligny. C’est un appartement au dernier étage, sous les toits. Le métier de boucher n’est pas facile : on manque de tout, surtout en ville. André ayant été licencié trouve du travail à la SNCF comme garde-voies. Ce corps doit surveiller les voies ferrées dans et autour de Paris. Il s’aperçoit rapidement que ce travail se fait pour les autorités occupantes et que son uniforme pourrait le faire passer pour un soldat allemand4. Après quelques mois, sentant qu’il se trouve pris entre les autorités collaborationnistes et la Résistance qui sabote les voies et les ouvrages d’art, il démissionne et s’en va travailler chez son beaupère, rue Chaligny. Il possède son permis de conduire, qu’il a passé à l’armée au cours de son service militaire et il n’est pas manchot. Alors, en route pour les transports en tous genres, les déménagements... Mais la France est coupée en deux, il y a la zone « libre » au sud et la zone occupée au nord. Cela durera jusqu’à novembre 1942. Les déplacements sont donc extrêmement difficiles entre nord et sud, et surtout totalement réglementés. Pour Dédée, les journées sont rythmées par les files d’attente interminables dans l’espoir d’avoir du pain, du lait, des œufs, des légumes5 (topinambours, rutabagas) ou des fruits. La famille s’entraide comme elle peut. Les camions sont repeints afin de faire disparaître SALOMON qui ne fait pas très bien. Georges est d’ailleurs convoqué à la Kommandantur pour faire connaître ses origines. On va ainsi remonter cinq générations. Tout le monde est baptisé ! Il repart libre. Une nuit, le garage brûle avec plusieurs camions. Renée, la seconde femme de Georges, prétendra que c’est à cause de la couleur verte, porteuse de malheur, qu’ils ont brûlé. La vraie raison ne sera jamais connue. Ils seront définitivement rouges par la suite et sans aucun nom dessus. Ils auront des pannes, des

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La chanson des blés d’or crevaisons, des accrochages et des accidents mais ils ne brûleront plus ! C’est bien la preuve… En mars 1942 naît Claude. C’est le troisième garçon. Il arrive deux ans après le décès de Jean-Claude. Il va bénéficier de tout l’amour qui a été refoulé et de toute l’attention de papa et maman. La vie est toujours aussi difficile à Paris. Des alertes obligent à descendre surtout la nuit dans les abris. On entend les éclats tomber sur le toit. Les gares de Lyon et d’Austerlitz sont proches et elles sont la cible des bombardements. Les magasins sont vides et Roland devient de plus en plus fragile. Il commence à se tenir voûté. Et puis, Georges a dû « assurer la relève », comme on dit alors, relève réclamée par le gouvernement de Laval et les autorités allemandes. Mais devant le peu d’enthousiasme, cela se transforme en STO (service du travail obligatoire), fini le volontariat. C’est-à-dire qu’il doit déclarer un employé aux autorités afin qu’il participe à la libération d’un soldat prisonnier en Allemagne. Il faut trois ouvriers pour remplacer un soldat. L’entreprise est petite et a payé son écot… pour un moment. Arrive ensuite une deuxième demande. Georges essaie de faire traîner puis annonce à André qu’il sera le prochain sur la liste ; gendre ou pas…

Les camions avec Jojo au volant, Renée assise et Robert à côté d’elle.

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La chanson des blés d’or N’étant pas chaud pour aller travailler pour la machine de guerre nazie, dans une usine d’armement bombardée par les alliés, la décision est prise : on va s’en aller à la campagne. On pourra sûrement trouver des légumes, des fruits, de la volaille, des lapins, de la viande, des poissons dans la rivière, de la farine, des œufs. Tout ce qui manque à Paris. La planche de salut se trouve chez un cousin, Georges André, fils d’un frère de la mère d’André… Vous suivez ?...

File d’attente devant une boulangerie à Paris.

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LA FUITE A NOGENT PUIS A CHÂ CHÂTILLON

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Le cousin Georges André recueille la famille à Nogent Ils restent quelques mois à Nogent-sur-Vernisson chez le cousin qui est boucher, puis trouvent une boutique à Châtillon-Coligny, rue Jean Jaurès. Ils vont d’abord habiter dans la maison, juste à côté de la boucherie de monsieur Asselineau. Ils vont ensuite acheter le fonds de commerce et s’y installer. Ce magasin en plein centre du village ne permettra pas l’abattage clandestin, fort pratiqué par certains concurrents du village et fort rentable en cette période. Ah, oui, il y a cinq boucheries pour 1800 habitants dans le village ! C’est beaucoup. De plus André n’est pas du village… Mais certains viennent de Paris pour trouver du « ravitaillement » comme on dit. En dépit des tickets de rationnement, on peut trouver plus facilement de la nourriture à Châtillon qu’à Paris. André va faire des voyages à Paris avec des valises pleines de ravitaillement pour la famille. Il doit éviter les contrôles à la gare et dans le train. Des moments difficiles voire dangereux émaillent ces déplacements. Lors d’un de ces voyages il doit finir le trajet à pied entre Montargis et Châtillon : une vingtaine de kilomètres.

La boutique à Châtillon-Coligny Elle est belle cette boutique rue Jean Jaurès avec sa grille en fer et ses rideaux à grosses rayures rouges et blanches, avec son carrelage blanc aux murs et ses billots en bois massif de vingt centimètres d’épaisseur creusés à chaque poste de travail par les milliers de coups de hachoir ou de couteau. Il y a de la sciure au sol pour faciliter le nettoyage et éviter les taches. Il y a une grande table aux pieds en fer forgé peints en vert avec un plateau en marbre blanc. Des morceaux de viande y sont disposés avec des terrines et autres charcuteries. Dans une encoche entre le billot et le mur sont glissés les couteaux de toutes sortes, les hachoirs, les feuilles, les fusils à affûter, le couteau à jambon tout droit et presque rectangulaire… Une panoplie d’outils extraordinaire. Un peu au-dessus, une rangée de crochets pointe ses dents en avant

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La chanson des blés d’or pour y accrocher les saucissons sec ou à l’ail, la scie et même les feuilles de papier d’emballage de la viande tenues dans un angle par une ficelle à rôti. Presque en-dessous se trouve la balance avec son cadran triangulaire et sa grande aiguille. Il y a aussi la machine à hacher que l’on tourne d’une main pendant que l’on pousse de l’autre avec un cylindre de bois pour ne pas se faire emporter les doigts par la vis sans fin. Cette machine est solidement fixée au billot.

André devant la boucherie.

En face de l’entrée est placée la caisse, tout à côté de la balance. Dans l’angle droit de la boutique se trouve le frigo. Au début c’est une simple pièce avec des pains de glace pour maintenir la fraîcheur. Les pains de glace sont livrés par camion et manipulés à l’aide d’un crochet en fer par le marchand. Papa transformera la glacière en frigo en faisant installer une réfrigération électrique. Il en profitera pour faire installer l’électricité dans toute la maison ce qui n’existait pas à l’exception d’une lampe au milieu des pièces principales au bout d’un fil torsadé enrobé de coton. La partie habitation commence derrière la boutique par une grande salle à manger. Dans le coin gauche est installé un bureau

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La chanson des blés d’or recouvert de tissu vert comme un billard dans sa partie centrale et surmonté de tiroirs à la manière d’un vaisselier. Ensuite à gauche toujours se trouve le poêle devant la cheminée. Une table trône au centre de la pièce et au fond se trouve une sorte de meuble sur lequel préside la radio.

En haut la rue du docteur Jaupitre. En bas, notre rue, la rue Jean Jaurès.

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La chanson des blés d’or Ensuite il y a la cuisine avec, sous la hotte, une grande cuisinière en fonte avec ses disques et ses couronnes que l’on retire pour recharger en bois ou en charbon. Elle a, sur le côté gauche, une réserve d’eau chaude avec un robinet pour se servir et un four à droite. En face, sous la fenêtre de la cour est posée une de ces gazinières blanche et bleue avec deux feux, à côté de la pierre à évier. On a au robinet l’eau (froide) courante. À droite, dans la cuisine se trouve un meuble bas de rangement pour les ustensiles. À droite aussi, la porte donnant sur la cour. Cette cour est recouverte de briques rouges au sol. On la traverse pour aller dans les chambres situées au-dessus de la boutique et dans le grenier au-dessus des chambres. À gauche, dans la cour se trouvent une pompe à eau (souvent gelée l’hiver et que l’on débouche et enfilant un tisonnier rougi au feu pour percer la glace qui obstrue le conduit), les deux laboratoires à tout vent pour la charcuterie avec leurs chaudrons noirs. Un appentis-garage à vélos, les cabinets à la turque et le bûcher au fond. Une pièce avec une cheminée qui sert de fumoir pour la charcuterie. Au-dessus de cette pièce un autre grenier à la toiture mitée, les tuiles se sont envolées avec le temps. La partie nuit se situe donc sur la boutique, il y a trois chambres donnant sur la rue ou sur la cour. Pendant la période de l’Occupation le grenier au-dessus des chambres est utilisé comme poulailler. Il y a jusqu’à quatre-vingts poules nourries au grain ! Mais il paraît que ça fait un bruit pas possible des poules qui picorent des graines sur du parquet, dès le matin très tôt ! Si ça se couche tôt, ça se lève très tôt les poules… Mais c’est une période un peu particulière. Pour entrer on peut éviter de passer par la boutique en empruntant le couloir, à droite. Il longe le magasin et débouche dans la cour. Sous la grande porte en bois se trouve presque toujours « cachée » la grosse clef de la serrure. Il suffit de glisser la main sous la porte. On ne craint pas les voleurs à Châtillon-Coligny.

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La chanson des blés d’or Place du marché

Le débarquement et la libération : pris comme otage André perd son frère René au printemps 1944. Prisonnier en Allemagne, il s’est évadé et, alors qu’il tente de regagner Gien où se trouve sa femme et sa fille, il est abattu en traversant le Doubs dans des circonstances qui laissent penser que le passeur a eu un rôle bien ambigu.

René Maillot.

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La chanson des blés d’or Les années de l’Occupation passent lentement. C’est dur mais moins qu’à Paris. Puis vient enfin l’heure de la Libération. Les événements se précipitent à partir du débarquement de Normandie, le 6 juin 1944. La confusion règne un peu partout. Le village est occupé, comme toute la France, mais on a fini par connaître les « occupants ». Ce sont pour beaucoup de braves paysans allemands ou autrichiens qui sont là par force. Et puis, un jour d’août 44, alors que les débarquements alliés de Provence et de Normandie avancent en libérant la France, un soldat allemand vient au village pour chercher du ravitaillement, comme il a l’habitude de le faire. Il n’est pas très jeune, on le connaît bien à Châtillon. Il est abattu en traversant le pont du Puyrault par un (soit disant) résistant. Un de ces héros de la dernière heure qui a sorti le fusil et que l’on voit parader sur le marchepied d’une Traction-avant arborant la croix de Lorraine et le brassard FFI. Ce soldat qui a été abattu était un père de famille autrichien, pas un SS virulent et sanguinaire.

Ci-dessus la place Becquerel ou place du Cheval Blanc.

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La chanson des blés d’or Bien que largement désorganisé, le commandement allemand veut punir le village. Une opération de représailles contre « les terroristes » est lancée. Le village est considéré comme un centre du terrorisme (ils ne disent pas résistance) dans la région. Le maire de Châtillon est sommé de fournir une liste de cinq hommes qui seront fusillés pour l’exemple. Il se place en tête de liste avec le curé Bracquemont. Suivent André qui est le dernier arrivé dans le village, donc une sorte d’étranger, et deux autres personnes : M. Debry et M. Chausson. Les autorités vont alors les chercher et les enferment dans un cachot en attendant le peloton d’exécution. Les heures vont être décisives pour l’avenir des convictions d’André. Nul doute que ses discussions avec le prêtre l’ont amené à voir sa vie d’un œil nouveau. Le hasard fait que ce jour-là, un convoi américain passe par le village. Un accrochage s’ensuit entre les Alliés et allemands. Les soldats qui gardaient les otages quittent précipitamment les lieux en laissant les otages. Pendant plusieurs jours c’est un chassécroisé entre les troupes allemandes, les « résistants » et les alliés qui entrent d’un côté du village alors les autres sortent par l’autre. L’exécution n’a pas eu lieu. La gratitude envers les Américains sera définitive de la part de papa et maman. On comprend pourquoi… Les choses ont tenu à quelques minutes, et je ne serais pas là pour écrire ces lignes ! (lire le récit de la Libération du village écrit par le curé Bracquemont dans les annexes, à la fin de l’ouvrage).

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La chanson des blés d’or

Les trois photos d'amateur en bas, page précédente et ci-dessous ont été prises le 26 août 1944 dans les rues de Châtillon-Coligny. Les troupes américaines viennent d'arrêter un officier allemand. Les Américains appartiennent à la 35e Division d'Infanterie - groupe de combat 320 - de la 3e armée du général Patton.

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La chanson des blés d’or

Le pont de Gien saute encore ! Les combats de la libération voient le pont de Gien bombardé et une arche est détruite, un peu comme en 1940. L’hôtel qui lui fait face et qui a été réduit à l’état de cendres au début de la guerre est toujours installé dans des baraquements provisoires. Les baraquements brulent lors de ce bombardement. L’hôtel va être reconstruit en dur dès 1946. C’est la belle-fille des parents, Thérèse, veuve de René qui a repris seule l’hôtel. Il restera dans la famille jusqu’aux années soixante. Clémence, la maman d’André, est décédée juste avant le début des hostilités, au printemps 1940.

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LA NOUVELLE NOUVELLE VIE À CHÂ CHÂTILLONTILLON-COLIGNY

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La guerre est finie ! La guerre est maintenant finie. Mais pendant quatre ans encore les tickets de rationnement vont limiter la consommation. Pour la boucherie, c’est une époque qui voit exploser le commerce avec les parisiens. Ils viennent (les Trognon par exemple) chercher de la viande, avec ou sans tickets… Après le Certificat d’études, pendant un an, Roland s’installe à Paris chez les grands-parents Salomon, rue Claude Decaen. Il y fait des études pour préparer un certificat de technicien en électromécanique, à l’école de la rue de la Roquette, près de la Bastille. C'est bien, mais loin des parents et du frère, le moral ne suit pas. Il abandonne à la fin de la première année. Il revient à Châtillon-Coligny pour le plus grand plaisir de papa et surtout de maman qui préfère avoir son grand fils près d’elle…

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Les fêtes historiques à Châtillon Roland, qui est revenu à la maison, travaille à la boucherie. La vie est belle, même si elle n’est pas encore facile. Toutes les occasions sont bonnes depuis la fin de la guerre pour organiser des fêtes populaires. Le quatorze juillet, le quinze août, le premier mai… Tout est bon. Bals, feux d’artifices, défilés, concours de toutes sortes. Châtillon fait revivre son passé Renaissance. La municipalité organise ainsi en été des reconstitutions historiques.

On se déguise en personnage du seizième siècle. On rappelle la période Renaissance mais aussi celle des Guerres de religion. Les boutiques sont décorées. Les visiteurs affluent pour ces journées. Le château et son donjon sont au centre des festivités. Les adolescents comme Roland et Gaëtan sont transformés en gardes avec casque et hallebarde. Les cousins de passage deviennent pages et les cousines princesses ! La maison voit souvent la famille faire une halte sur la route de Vichy. Dédée est ravie de cette animation. Jojo, Simone, Robert sont les bienvenus.

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La chanson des blés d’or

Gaspard de Coligny est né à Châtillon-sur-Loing. Calviniste, il a été assassiné lors du massacre de la Saint-Barthélémy (Châtillon-sur-Loing à pris par la suite le nom de Coligny).

Février 1948 : naissance de Christian Le 2 février 1948 un événement capital dans ma vie se produit : ma naissance ! C’est dans la chambre du premier étage, au-dessus de la boutique. Je suis l’expression même de l’euphorie de la victoire, mais avec un peu de retard… ou peut-être est-ce la marque du désœuvrement des parents le 1er mai 1947. Le babyboom est alors à son meilleur. Le 2 février donc, c’est la Chandeleur, alors maman prépare des crêpes pour Claude et Roland, mais elle sent qu’il faut qu’elle presse le mouvement. Mon arrivée se fait à 22h40. En panne d’inspiration on me prénomme Christian – Claude – Roland ! Ce choix complète bien

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La chanson des blés d’or ceux qui ont été faits pour Roland – (Roland – André) et pour Claude (Claude – Camille).

Sur ma peau de mouton en été 1948.

Il y a bien sûr un peu de déception dans la famille, on espérait une fille. C’est sûrement pourquoi jusqu’à l’âge de quatre ans on me fera porter les cheveux longs et une barbotteuse unisexe. Mais, rassurez-vous, sans effets sur mes orientations sexuelles futures...

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La chanson des blés d’or

Andrée, Claude et Christian à la Lancière en 1948.

Mon terrain de jeu : le village entier Châtillon est un merveilleux village où mon imagination va pouvoir vagabonder et mes jambes galoper avec mes copains et mes copines. Les voitures se comptent sur les doigts des deux mains ou à peu près. Je peux cavaler partout comme un fou sans danger, ou presque…

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La chanson des blés d’or L’école maternelle ne sera jamais mon truc. Ils auront du mal à m’attraper par une aile et à me faire tenir assis pendant une journée. Il y a tant de choses à découvrir dans ce village et tant de personnes dignes d’intérêt, pour moi : cinq cours d’eau qui serpentent et passent sous les maisons, un château, la place du marché avec le magasin de sabots de la grosse Alice, le perron du dentiste Niscard où j’aime m’asseoir, la statue de Bécquerel et la boulangerie Forite sur la place du Cheval Blanc, la scierie près du canal, le portique des pompiers où je grimpe, le Pâtis où habitent mes copains Robert et Jean-Marc, la place de la mairie avec le cinéma-café, la promenade ombragée le long du Milleron où j’aime pêcher, le garage automobile de monsieur Ramiro, le champ de foire avec l’arrêt des autocars, le lavoir, l’atelier du maréchal ferrant avec ses braises orangées et son énorme soufflet, l’escalier du grenier à sel, l’église, les pompes à eau publiques que l’on peut actionner pour jouer à l’eau, comme celle qui est devant la boutique… Un vrai paradis pour le petit sauvageon que je suis.

Le café-cinéma sur la place de la mairie.

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La chanson des blés d’or

L’église de Châtillon-Coligny.

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La chanson des blés d’or Et chez nous aussi avec la cour où les grands (Papa, Roland et Gaëtan) préparent la charcuterie dans d’énormes chaudrons noircis par la suie : boudin fumant, saucissons secs ou à l’ail, le fumoir, le bûcher empli jusqu’au plafond, la salle à manger et la cuisine derrière la boutique. On accède à la salle à manger depuis la boutique en montant trois marches. Là, en hiver, un poêle à charbon porté au rouge diffuse une chaleur torride. On pose les tartines de pain sur le dessus du poêle et on les fait griller… délicieux. Au-dessus de l’entrée de la cave se trouve une excroissance qui forme comme un meuble, sous la fenêtre de la cour. Un poste de radio en bois y trône avec son cadran qui s’allume, son voyant vert qui grossit ou diminue et son aiguille que l’on fait tourner à l’aide d’un gros bouton, balayant les stations dont Radio Luxembourg. On y écoute La Famille Duraton, Raymond Soupleix et Jeanne Sourza dans Sur le banc… puis Signé Furax sur Europe n°1. J’ai encore en tête les échos de la bataille de Diên Biên Phu. Ce drôle de nom que la voix du journaliste répéta à l’envi pendant plus d’un mois lors de chaque journal radiophonique.

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La chanson des blés d’or

La boutique décorée pour la fête historique vers 1953. Maman, Roland, un bœuf monumental, moi avec le couteau à jambon et papa.

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La cour et l’école côté garçons. Derrière le muret celle des filles et audelà la maternelle.

Un magnifique billet de banque de l’époque.

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Le Paradis de la famille Fleurier et au bout de la rue à droite, la porte de l’Enfer.

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Monsieur Godet et Gaëtan Un personnage s’est récemment installé dans la maison appelée l’Enfer. C’est un parisien qui habite cette bâtisse où se réunissaient les Protestants calvinistes (les catholiques se réunissaient pour leur part à cinquante mètre de là au Paradis !). Il est ceinture noire de judo, il est allé en Afghanistan avec sa 2CV Citroën et il vient à la boutique en djellaba… C’est un personnage qui plaît aux jeunes comme Roland et Gaëtan pour son côté nonconformiste. Ah, oui, Gaëtan. C’est un garçon d’un an plus âgé que Roland qui est apprenti à la boucherie.

Une 2CV comme celle de monsieur Godet.

Pour moi, c’est un autre grand frère au même titre que Roland. Ils ont 18 ou 19 ans, j’en ai 4. Je les regarde comme mes héros. Ils sortent ensemble avec un joyeux drille, Guy Gaubier qui est instituteur dans un village à côté. Les années cinquante pour eux vont très bien commencer. Les bals alentour, les virées en voiture avec Guy, les filles, la rigolade… Mais la guerre d’Algérie va calmer tout le monde. Gaëtan, qui ne connaît pas trop ses parents et qui a été placé chez monsieur et madame Poulard, un couple très dévoué de Châtillon, est imprégné des idées existentialistes de Sartre et de Beauvoir. Il décide de loger sous le toit dans un

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La chanson des blés d’or des greniers de la maison. Il choisit le grenier au plafond percé. Isolation quasi nulle. Il pleut sur le lit à travers les trous de la toiture… Il installe un parapluie et tout va bien. Il fait rire les parents. C’est un zazou, comme on dit à l’époque, mais il est travailleur et sérieux.

L’Enfer où habite monsieur Godet.

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La chanson des blés d’or

Jean Lecointre m’emmène sur son traîneau Jean Lecointre est le menuisier du village. Il a fabriqué un drôle de traîneau en bois avec un fauteuil sous lequel il a adapté des sortes de skis. Un hiver il m’emmène faire des promenades dans Châtillon et dans les alentours sur ce traîneau maison. Je suis bien emmitouflé dans une couverture et je me tiens aux bras du fauteuil. Je l’aime bien Jean. Il a des crises d’épilepsie. C’est un truc bizarre qui fait un peu peur quand même. Il paraît qu’il tombe raide et se tord sur le sol en bavant quand ça le prend. Mais ça, je ne l’ai jamais vu. C’est juste ce que disent les grands.

La Renault KZ pour la tournée

La KZ transformée en version utilitaire.

A la boutique, les ventes ne sont pas suffisantes. Alors maman reste avec Roland qui apprend le métier de boucher sans grand plaisir pendant que papa part en tournée. Papa charge la KZ avec les pains de glace pour la glacière, la viande et la charcuterie. L’arrière de la voiture a été aménagé et recouvert de plaques d’aluminium. C’est la boutique ambulante. Et en route pour la tournée. Il adore cela. Dès le passage du pont du Puyrault et la montée de la Sablonnière, il commence à chanter en conduisant.

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La chanson des blés d’or Pourtant ce n’est pas un circuit bien rentable. Dans les fermes et dans les hameaux traversés, chacun a ses poules, ses lapins et ses gibiers ramenés de la chasse. Le passage du boucher est surtout l’occasion de discuter un peu et d’avoir des nouvelles de Châtillon. Aillant-sur-Milleron, Dammarie-sur-Loing, Adon, La Bussière… Voilà la tournée. A La Bussière il y a le café de madame Jolivet. En général c’est une halte obligatoire pour un casse-croûte et papa y taille une belle bavette avec madame Jolivet… s’il ne lui en vend pas, de bavette ! Lorsqu’il m’emmène avec lui pour faire la tournée, c’est le moment que je préfère (avec celui où il me fait prendre le volant ; je me mets debout entre ses jambes et je prends le volant les bras complètement écartés). Dans le grenier, au-dessus du café, il y a une lunette astronomique en cuivre, magnifique. Avec elle on peut regarder les oiseaux dans les arbres mais aussi, il paraît, la lune et les étoiles, mais c’est seulement la nuit. Et je n’y suis jamais la nuit. Elle me fait envie cette lunette…

Chez madame Jolivet à La Bussière.

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La chanson des blés d’or

Le baptême de l’air de papa A la sortie de Châtillon, après la côte du Puyrault, là où papa commence à chanter, il y a un terrain d’aviation. C’est un grand champ plat et bien dégagé où pousse de l’herbe et où flotte une manche à air. Un dimanche après-midi, une grande partie du village est rassemblée là pour admirer un avion biplan et s’offrir un baptême de l’air dans ce coucou. Il est tout en toile et en filins d’acier avec une hélice à l’avant, deux roues sous les doubles ailes et un volet à l’arrière qui se tourne à droite ou à gauche pour le diriger. Il y a deux places : une devant pour un passager et une derrière pour le pilote. Papa, après avoir parlé longuement avec le pilote, monte dans l’avion, s’installe devant et fixe sa ceinture de sécurité. Un mécanicien vient se placer devant et lance l’hélice avec les bras. Une fois, deux fois et c’est parti. Les cheveux au vent ou plutôt la casquette au vent… de l’hélice, ils s’en vont au bout du champ en roulant sur les mottes de terre qui font sauter le petit appareil. L’avion se tourne, s’arrête et tout à coup le moteur se met à tourner à fond. L’accélération est formidable. L’avion roule, chahuté par les bosses du terrain, puis la queue se lève et ils décollent lentement. Ils rasent les arbres et virent à gauche pour passer devant nous. On voit papa qui fait coucou dans le coucou. Et puis on n’entend presque plus le moteur. Ils sont partis. Quelques minutes plus tard le bruit revient avec papa et l’avion. L’avion descend et vient se poser juste là, en face de nous. Il roule, tourne et revient devant nous en secouant de nouveau ses passagers. Puis le moteur s’arrête. Le pilote demande à papa si ça va, si c’était bien. Ils se détachent et descendent sous le regard envieux de certains, les autres n’imaginant pas un instant s’asseoir dans un tel engin… « Pour rien au monde… »

Mimi Coute, Robert et Jean-Marc Prêtre… Moi, mes copains ce sont Robert et Jean-Marc Prêtre. Ils habitent la maison-hôtel-restaurant-café qui se trouve au milieu du pâtis. C’est une grande place qui sert de champ de foire. C’est aussi là que les cirques s’installent, quand il en passe un. C’est chouette

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La chanson des blés d’or chez mes copains. Il y a aussi un lavoir, à côté, où viennent les mamans avec leur bassine pleine de linge, un savon de Marseille et un battoir. On les entend taper le linge, discuter et rigoler. Ça fait une tache blanche tout autour, dans l’eau. C’est le savon. Les poissons doivent y venir pour se laver gratis. Derrière chez Robert et Jean-Marc il y a le logement de Mimi Coute, à côté d’un bûcher. Elle a mon âge. Elle est toute blonde avec des cheveux un peu frisés. Elle est belle. Elle est amoureuse de Roland y paraît. Quand il la voit passer devant la boutique, il appelle « Miiiiiiimiiiiiiiii ! » alors elle baisse la tête, rase le mur d’en face et se sauve en courant. Elle est toute rouge. C’est pour ça qu’on dit que c’est son chéri, même s’il a dix-huit et elle en a quatre… Lui, il rigole.

Christian et un copain sur le pont du Puyrault.

Roland et ses copains En été, souvent les copains de Roland et de Gaëtan viennent les chercher pour aller à la Lancière. C’est le déversoir qui précède la jonction d’une rivière avec le canal. Là, une sorte de plage a été

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La chanson des blés d’or aménagée et les jeunes parisiens et parisiennes aiment s’y retrouver en fin d’après-midi. Roland est un peu parisien. Il n’est pas natif de Châtillon et connaît Paris. Malheureusement pour lui, il n’est pas en vacances, comme eux. Il n’a donc pas autant de liberté. Ce jour-là, un petit groupe attend Roland et Gaëtan devant la boutique vers cinq heures de l’après-midi. Tous deux ont travaillé après le repas pendant que papa a fait la sieste. Ils ont nettoyé la boutique, les outils, préparé les commandes… pour être prêts quand les copains vont venir. Et c’est là, alors qu’ils retirent leur tablier, que papa, tout frais et dispos, ouvre la porte vitrée de la salle à manger et dit « Bon, on va préparer les andouillettes » ou bien « on va mettre les jambons dans la saumure et les faire cuire » ou encore « faudrait affûter les lames à la meule ». La catastrophe. Ils sont furieux. Ils n’ont pas fait la sieste, eux ! Par chance maman s’en mêle pour signaler à papa que lui seul a fait la sieste et que, en conséquence, ils La Lancière peuvent peut-être y aller. « Je les ai vus, ils n’ont pas arrêté pendant que tu dormais ! » Alors papa les laisse aller… Ce jeu va se reproduire assez souvent.

La Lancière.

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La chanson des blés d’or

Un jeudi avec papa Parfois papa m’emmène avec lui chez les fermiers pour acheter une vache, un mouton ou un cochon. Il a ses fournisseurs habituels comme monsieur Ganzin ou monsieur Arlicot. Il accroche la remorque à la voiture et en route. C’est alors une sacrée belle matinée. Dans la ferme, on va trouver Arlicot et papa lui demande s’il aurait une vache à vendre. Alors l’autre lui dit que peut-être… Qu’il faut aller dans le champ de l’autre côté du chemin creux où est le troupeau. Alors on y va. On a mis les bottes parce qu’il y a de la boue dans la cour, que les poules et les canards se baladent et qu’ils y font leurs besoins. Il y a le tas de fumier qui fume et la fosse à purin qui récolte tout ce qui coule ou ruisselle. Arrivés dans le champ papa regarde les vaches. Il s’approche de l’une d’elles, touche sa croupe, regarde ses dents en relevant les lèvres ; les vaches n’aiment ça et elles tournent brutalement la tête en reculant. Il tâte ensuite sous le ventre, caresse le museau et dit « Je t’en donne 3200 ». L’autre dit « Ah, non, j’peux pas la laisser à ce prix là ! » et il donne un autre prix. Ça dure quelque temps comme ça et puis ils sont d’accord. Ils se tapent dans la main. Alors on attrape la vache et on la conduit dans la remorque. C’est là qu’on va boire un coup dans la salle à manger de la ferme, sur la toile cirée. Ça sent le feu de bois et il y a du papier tue-mouches qui pend des poutres. En général c’est une eau de vie, de la prune. Ils trinquent, puis « Elle est bonne !» qu’il dit, papa. « C’est de la vieille ! C’est le père qui l’a faite, avant guerre… ». Moi, je regarde la mouche qui tourne au-dessus de la table en me demandant à quel ruban elle va aller se coller. Et puis on remonte dans la voiture et on s’en va à l’abattoir. C’est en haut du village sur la route de Montargis. On passe sur la bascule. On montre des papiers, on y fait mettre des coups de tampon… Papa fait descendre la vache et puis, ensuite, je ne vois pas trop ce qui se passe. Une fois, un taureau s’est échappé dans la cour de l’abattoir. Il était en colère. Ça a été une drôle de corrida pour le rattraper. Moi, j’étais enfermé dans la guérite du monsieur aux tampons et je regardais par la vitre. Tout le monde

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La chanson des blés d’or dans l’abattoir s’y est mis… ça cavalait dans tous les sens et tout le monde disait ce qu’il fallait faire. Quand c’est un cochon, j’assiste au spectacle. Déjà, c’est pas facile à attraper un cochon. Ça donne des coups de pattes arrière pour faire lâcher. Ça fait comme des moulinets avec la patte, comme quand Roland fait démarrer le scooter avec le kick. C’est fort un cochon. Ça crie, hu hu huuuuu, ça fait un bruit pas possible. Puis ça se calme, grâce au merlin. Le merlin c’est un gros marteau à papa. Ça le calme très vite et très bien. Un coup sur la tête et il dort. Il ne bouge plus. On lui fait un petit trou dans le cou et on recueille le sang dans une grande poêle qu’on va faire bouillir tout de suite. Avec de la paille on frotte le cochon et on le brûle pour enlever les poils. Ensuite on le lave et on le rase avec un large couteau court : le pleu. On n’aime pas les poils sur le lard. On le suspend par les pattes arrière, et avec un couteau pointu on lui ouvre le ventre, comme pour le Grand méchant loup dans le Petit Chaperon rouge. On l’ouvre du haut en bas. Voilà, ça se passe comme ça quand je vais avec papa le jeudi. On n’a pas classe le jeudi à cette époque, maintenant c’est le mercredi.

On achète la Talbot

La Talbot de papa.

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La chanson des blés d’or Un jour papa achète une voiture à monsieur Ramiro. C’est un garagiste de Châtillon, le père d’un copain à Claude. Il propose une Talbot. Une de ces longues voitures noires. Le capot n’en finit pas. Elle est très belle. À l’intérieur tout est recouvert de tissu beige et il y a, à l’arrière, des petits strapontins qui sortent de trappes cachées dans le sol. On peut ainsi ajouter deux places tournant le dos à la route et être quatre ou cinq à l’arrière et deux à l’avant. Le moteur, avec ses six ou huit cylindres, ronfle avec un son grave. Elle est très confortable, c’est une voiture de route et de longs voyages. Rien à voir avec la KZ qui perd un jour sa roue arrière sur la route d’Aillant. Alors qu’il freine dans la descente, papa voit une roue le doubler ! Oui, oui, il n’en a plus que trois ! « Mais c’est la mienne ! » se dit-il…. Heureusement, après le dépassement, elle finit sa course dans le fossé. Alors papa s’arrête doucement, sans dommages, puis refixe la roue qui voulait faire la course et repart ! Cette superbe Talbot, nous la garderons quelques années, mais finalement pas très longtemps. Je pense qu’elle était très vorace en essence et en huile…

École de Châtillon. Claude (deuxième en haut à partir de la gauche) avec sa classe en 1949.

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La chanson des blés d’or

Claude : « la dure vie de château » à Montargis ! Claude commence sa scolarité à l’école communale de Châtillon. Le directeur de l’école est monsieur Buisson. Il l’a comme maître ainsi que madame Buisson qui s’occupe les petits. En 1952 il va au collège. Mais il n’y a pas de collège à Chatillon. Alors il va à Montargis, au Château. C’est un internat, une école « libre » tenue par des curés. C’est assez dur. Il part le dimanche soir soit avec papa, soit avec Roland, soit avec monsieur Briselance qui est pharmacien sur la place du marché. Son fils est aussi au collège-lycée de Montargis.

A Châtillon toujours, en 1952, Claude est en polo rayé.

Il y a un professeur qui s’appelle Danger… Claude rentre le samedi et parfois on va le voir le jeudi. Une fois il est collé. Maman demande ce qui s’est passé. Il explique qu’il a eu une mauvaise note, du genre un 3, mais lui, il dit que c’est un 9. Alors elle demande à voir le père Danger qui est professeur principal de la classe. Il explique que Claude a eu un 3. Maman dit que non,

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La chanson des blés d’or que ce n’est pas un 3 mais un 9. Alors il va retrouver la copie corrigée par un autre professeur. Il constate que c’est bien un 9. Alors il dit avec beaucoup de mauvaise foi, le Père Danger : « Comme ça, ça lui servira pour la prochaine fois ». Claude n’apprécie pas du tout. « Servira à quoi ? ». Il a été collé pour rien. C’est fichu pour le mercredi après-midi.

L’école-collège-lycée Saint-Louis à Montargis.

Claude fait partie de la chorale du collège, style Petits Chanteurs à la croix de bois. Il paraît qu’il a une belle voix. Il faut en profiter avant qu’il ait mué. Il a donc cette activité en plus des cours. C’est lourd mais on dit que c’est bon pour le Latin !

Le scooter de Roland Un jour Roland achète un scooter, une Vespa. Cet engin fait rêver tous les jeunes des années cinquante. Cette invention née au lendemain de la guerre en Italie grâce aux stocks de roues d’avions laissés par les américains devient très vite LE piège à

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La chanson des blés d’or filles par excellence. Symbole de liberté. Quoi de mieux que d’emmener les filles sur la selle arrière pour qu’elles vous passent les bras autour de la taille et se collent à vous ? Pour moi, son petit frère de six ans, c’est en passager avant, debout sur le marchepied, entre les genoux de Roland que j’embarque. Le menton au ras du guidon et les cheveux dans le vent. Ça vibre dans mes guibolles. Je suis le plus heureux du monde.

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La chanson des blés d’or

Il est six heures du matin : Roland rentre… Papa n’est pas censé être au courant des sorties nocturnes de Roland et de ses copains. Ce matin-là, il rentre d’une nuit agitée avec Gaëtan et Guy. Il est dans la cuisine. Soudain papa ouvre la porte, il vient de se lever, il descend pour faire sa toilette… « Tiens, déjà levé ? » « Euh, oui ». Et voilà une nuit qui a été bien courte. Gaëtan passe par là. « Toi aussi, tu es déjà debout ? » « Bon, je fais le café et on s’y met, ça tombe bien on a du travail aujourd’hui ». Les sorties les entraînent dans tous les bals des environs, mais aussi jusqu’à Paris ! Oui, la gent féminine est limitée entre Châtillon, Montbouy, Montargis, Saint-Maurice, SainteGeneviève des Bois, Aillant… pour ces Dom Juan du Gâtinais. Un jour, ils sont à Paris. Les parents sont au courant, c’est au grand jour cette fois-là. Gaëtan est avec Roland sur le scooter. Ils suivent un camion. Mais ils ne voient pas que le camion perd de l’essence, son réservoir plein n’est pas bien refermé. L’essence asperge les pavés. Roland roule et glisse sur l’essence. Le scooter dérape et se couche sur le flanc dans une gerbe d’étincelles… L’essence prend feu, les flammes courent derrière le camion et remontent jusqu’au réservoir qui prend feu attisé par la vitesse. Le camion en feu s’immobilise cent mètres plus loin. Le conducteur en sort précipitamment sans comprendre. Roland et Gaëtan se relèvent, les vêtements déchirés mais pas trop amochés. Le scooter n’a pas grand-chose. Le camion brûle maintenant. La police arrive très vite, des hirondelles en pèlerine avec le bâton blanc à la ceinture et le képi sur la tête. Roland s’approche pour expliquer ce qui s’est passé. Il est repoussé vigoureusement. « Dégagez, ne restez pas là, ça va exploser. Allez circulez ! » Bon, le scooter n’ayant rien et comme ils n’ont rien de grave non plus, ils se disent qu’ils vont s’éclipser rapidement avant qu’on les rende responsables de l’incendie du camion. Quelle histoire !

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La chanson des blés d’or

Roland est conscrit ! Roland achète ensuite une 4CV Renault par l’intermédiaire de l’oncle Jojo. Elle roule un peu en crabe mais on n’est pas trop regardant. Depuis la fin de la guerre, avoir une auto n’est pas facile, alors on fait rouler à peu près tout… Donc avec elle, Roland est prêt pour de nouvelles aventures ! « Bon pour le service, bon pour les filles ! » C’est la formule. Il a presque vingt ans et il vient de passer au conseil de révision. C’est une série de tests et de visites médicales qui déterminent si le jeune homme est apte à faire son service militaire et dans quelle arme il pourra être affecté. Depuis le début des événements en Algérie, la réponse est en général « oui »… Pour ça non plus on n’est pas trop regardant. Donc, en 1954, Roland a fait ses trois jours et le Conseil de révision l’a considéré « bon pour le service ».

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La chanson des blés d’or Il rentre à Châtillon avec les autres de son âge et la tradition veut que les jeunes conscrits portent une cocarde tricolore à la boutonnière et aillent faire la tournée des fermes et des maisons du village afin de se faire offrir un coup de gnôle contre une chanson paillarde. Très rapidement le petit groupe de conscrits s’approche de l’ivresse, y entre et poursuit vers le coma éthylique… Roland goûte très peu ce genre de libations et décide de fausser compagnie au groupe d’imbibés. Il part avec sa 4CV pour… Rouen afin de leur échapper. Il ne reste surtout pas à Châtillon et va se réfugier chez la tante Simone, à la boulangerie, rue du Gros Horloge. Il va rouler dans le froid pendant de longues heures (le chauffage des voitures ne commençait à être efficace qu’au bout de 200 kilomètres environ !) et finir par arriver à Rouen dans un triste état. Simone le couche et appelle maman pour lui signaler que Roland est chez elle et que tout va bien. A Châtillon, les conscrits restants sont ivres… de rage, furieux de ne plus avoir leur effectif au complet, ils hurlent, tapent à la porte et secouent la grille. Ils veulent récupérer le lâche qui les a abandonnés et l’obliger à continuer la fête ou plutôt les libations avec eux. Ils finissent par entrer et fouillent la maison au cri de « Où qu’il est Roland ? Où qu’il est ? »… Ils visitent toute la maison. Pas de Roland. Ils finissent par repartir, pas loin de tout casser tellement ils sont en furieux. Roland reste une semaine, malade, il a pris froid avec les autres conscrits puis dans le voiture. Il est soigné et chouchouté par Jacqueline sa cousine et la tante qui sont toutes heureuses de sa visite.

Le cirque s’installe à Châtillon Vers l’âge de cinq ou six ans tout va radicalement changer pour moi. Je vais devenir Zorro dans les ruelles du village. Un Zorro intégral dans la tête. J’ai reçu du père Noël un habit tout noir avec le chapeau, le masque, la cape, le pantalon à franges sur le côté à la manière des indiens et l’épée de Zorro. Un jour, un cirque installe son chapiteau sur la place du pâtis, à côté de chez mes copains. Dans l’après-midi, la parade défile à

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La chanson des blés d’or grand renfort de haut-parleurs dans la rue principale, invitant la population à venir nombreuse assister au GRRRRRAND SPECTACLE INTERRRRNATIONAL avec des lions, des éléphants, des clowns, un magicien et ses lapins… Spectacle à dix-huit heures et vingt heures sur la place du Pâtis.

Mais après avoir suivi la parade avec tous les autres enfants, en arrivant devant le chapiteau, je vois un cow-boy s’avancer vers moi. C’est comme dans la rue en face du saloon au moment du duel, dans les westerns. Il n’a pas l’air impressionné par Zorro. Mes copains me poussent du coude, l’air de dire « vas-y, faut pas te dégonfler ». Le cow-boy qui doit avoir huit ans me demande « T’es Zorro ? » « Oui » que je lui réponds. « Et toi, t’es qui ? » « Buffalo Bill » qu’il me dit. Ha ! Buffalo Bill… Le coup que je reçois est rude. Il n’a pas l’air commode ce gars là. Alors on se

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La chanson des blés d’or toise un moment, on se tourne autour et puis, sous le premier prétexte, on remonte sur nos chevaux imaginaires et on repart au galop. Le duel n’a pas eu lieu. Je ne suis pas allé au cirque ce soir là et mes copains non plus. Je crois que Buffalo Bill est plus fort que Zorro… Le lendemain le cirque est reparti sur les routes de la Puisaye, pour distraire un autre village.

Zorro glisse… je me casse la clavicule ! Un après-midi que je suis avec mes copains sur le pâtis, on a l’idée de jouer à l’attaque de Fort Laramie. Avec Robert je grimpe sur le portique d’entraînement des pompiers volontaires de Châtillon. Une sorte d’échafaudage en ferraille de style Eiffel mais en moins bien. C’est Fort Laramie. On a rempli nos poches de petits cailloux pour se défendre et on vise les assaillants avec ces munitions. On résiste bien quelques temps, mais les munitions finissent par manquer, alors nous, on improvise une nouvelle arme… On continue aux crachats et les autres en bas avec les cailloux. Mais voilà, les crachats ça va moins loin que les cailloux. Pour améliorer la portée je prends donc mon élan et je projette le mollard le plus loin possible en courant. Malheureusement je glisse, je passe par-dessous la balustrade et je tombe quatre mètres plus bas. Juste à côté de machines agricoles avec leurs lames d’acier qui stationnent là. Les copains me voient faire la pirouette et m’écraser au sol. Je ne bouge plus, je gémis. Ils vont prévenir leurs parents qui accourent. Me voyant ainsi et comprenant ce qui s’est passé ils envoient quelqu’un prévenir mes parents à la boucherie. Maman et Roland arrivent. Je revois ces visages au-dessus de moi, laissant juste un petit trou de ciel bleu au milieu. « C’est Kiki, il est tombé du portique ! » Le docteur Jaupitre qui a son cabinet à 100 mètres arrive à son tour. Il dit « Qu’est-ce qu’il a encore fait celui-là ? » et puis il me voit quand on s’écarte pour le laisser passer. « Ah, mais c’est Kiki ». Il pensait avoir affaire à Claude qu’il avait percuté avec sa 2CV quelques temps auparavant alors que l’autre fonçait sur son vélo, comme lui, sans

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La chanson des blés d’or regarder. Le docteur l’a aussi soigné pour un truc dans la gorge (un phlegmon) et, s’approchant de la bouche ouverte avec un instrument, Claude s’est dressé, lui a grimpé sur la poitrine et lui a craché à la figure. On crachait beaucoup dans la famille à cette époque… Enfin, pour résumer, le diagnostic est : clavicule brisée en deux. Me bouger est très douloureux. Roland va chercher sa 4CV Renault bleue. On sort la banquette arrière et on m’y a allonge comme sur un brancard. On me transporte ainsi sur cette banquette aux housses en tissu écossais et on installe le tout dans la voiture. En route pour l’hôpital de Montargis, à vingt kilomètres.

La 4CV Renault de Roland

Dans les couloirs de l’hôpital nous devons attendre. Des infirmières, des bonnes-sœurs compatissantes passent et demandent « Qu’est-ce qu’il a ce p’tit coco ? » « Il est tombés d’un étage et demi » « Oh, le pauvre !», puis continuent leur

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La chanson des blés d’or chemin dans les couloirs. On s’occupe enfin de moi. On m’emmène dans le bloc opératoire sur un chariot à roulettes et on me met un masque en caoutchouc sur la figure. Ça sent l’éther. Je crie deux ou trois fois, ce qui me remplit bien les poumons et puis plus rien. Quand je me réveille, j’ai le thorax et le bras droit dans le plâtre. Un corset m’enveloppe de la taille à l’épaule droite. Le bras est relevé à 90 degrés et le coude est plié à angle droit. Un truc génial pour faire dégager devant soi… Je reste deux jours sans manger et sans trop boire (je crois), un problème d’incompatibilité avec l’éther dans l’estomac. Ensuite je reste cinq semaines avec ce corset de plâtre. Je suis cajolé à la maison. Je finis par m’habituer au corset, sauf quand ça me démange dans le dos. Il paraît que je suis même arrivé à écrire, avec la main sortant du plâtre ! Le jour de retirer tout cela finit par arriver. À l’hôpital, une dame s’approche avec une machine électrique munie d’une lame circulaire comme la machine à jambon, mais en plus petit. Ca ressemble à une roulette à découper la pizza. Et elle commence à attaquer le plâtre dans le dos. La trouille... Je sais comment ça fait avec la machine à jambon. Je me décolle au maximum le dos de cet appareil qui va me découper en tranches. Et il y a cette odeur de plâtre et de bandes velpeau que l’on chauffe, une drôle d’odeur. Et puis tac… D’un coup le plâtre s’écarte et je sens le froid se glisser partout dans mon dos, sur mon ventre et ma poitrine. Mon bras droit retombe. Je ne peux plus le tenir. Je suis tout faible. On me met le bras en écharpe avec un tissu qui me tourne autour du cou et soutient mon avant-bras. Et on rentre à la maison. Deux jours plus tard, le docteur Jaupitre passe par là, il vient prendre de mes nouvelles. Maman lui dit « Il est dans la cour en train de ranger du bois pour le bûcher ». « Laissez-le, c’est un très bon exercice de rééducation » rétorque le docteur qui voit en cela une excellente rééducation naturelle. J’ai par la suite totalement oublié que je m’étais cassé la clavicule. Aucune séquelle. Et Zorro a rapidement repris ses exploits à la pointe de l’épée.

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La chanson des blés d’or

Ma passion : la pêche à la ligne

La pêche avec ma cousine Raymonde. Remarquez la canne à pêche de fabrication maison.

Une de mes passions à cette époque est la pêche à la ligne, quand je ne suis pas Zorro. Avec mes copains on se fabrique des cannes à pêche à l’aide d’une branche de noisetier, de ficelle à rôti et d’une épingle à nourrice. La ficelle à rôti, c’est moi qui l’apporte, j’en prends autant que j’en veux à la boutique. Plus tard j’ajouterai un bouchon en liège traversé par une allumette. J’embroche un asticot ou un ver de terre et je m’installe au bord du Milleron, du canal ou d’un des nombreux bras du Loing qui parcourent le village. Entre les algues qui ondulent au fil du courant, je lance ma ligne. Rien. Les poissons vairons, goujons ou autres ne viennent jamais s’accrocher à mon épingle. Je vois

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La chanson des blés d’or remuer le fil et lorsque je tire et remonte l’hameçon, il est nettoyé comme un os par un chien. Jamais personne pour frétiller au bout du fil. Pourtant, si, une fois je remonte un poisson… il est accroché par le ventre ! Un poisson de passage embroché par hasard en relevant la ligne. Mais quand même, un poisson. J’en ai eu un à décrocher. C’est tout gluant, tout bizarre à tenir dans la main.

Le Milleron et le Loing, paradis des pêcheurs.

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La chanson des blés d’or

Monsieur Ganzin Les randonnées avec papa sont toujours un grand plaisir pour moi. Il y a notamment la visite à monsieur Ganzin, que je prononce « Danzin ». C’est un monsieur qui possède une ferme sur la route de Montbouy, peu après la sortie du village. Nous y allons en général pour acheter des moutons. C’est sa spécialité. Il est très en avance sur son temps monsieur Ganzin : le chauffage de toute la ferme est réalisé à partir du gaz provenant de la décomposition du fumier de ses moutons. Une longue allée bordée de peupliers (je crois) conduit de la route à la ferme. Cette allée constellée de trous que les flaques d’eau investissent à chaque pluie nous secoue dans la KZ et fait sauter la remorque à bestiaux. Si bien qu’un jour je ne peux m’empêcher de dire : « Dis donc monsieur Danzin, il faudrait les boucher tes trous sur le chemin ». Amusé par cette demande, il me répond : « On va voir ça mon Kiki ». Il paraît que j’avais la cote avec lui. En tout cas, lorsque nous revenons quelques semaines plus tard… L’allée de terre a été refaite ; un vrai billard. Mais seulement jusqu’à l’hiver suivant, pardi !

Les gaulois, les romains, papa et moi Un jour papa s’arrête sur la route près de Montbouy. « Viens je vais te montrer les arènes ». Pas très loin de la route, au milieu des arbres et des broussailles, à moitié recouvertes par la végétation, on découvre des grosses pierres en gradins et un cercle plat au milieu. « Ici, il y avait les jeux du cirque, à l’époque des Romains » me dit papa. Et il me raconte des histoires avec des lions, des chrétiens, des taureaux, des gladiateurs, etc. En effet, la région autour de Châtillon était très prospère et comme elle se trouvait sur un axe de communication important, beaucoup de villages ont été florissants. Des bains romains ont été retrouvés dans une ferme près de là, ils étaient utilisés comme fosse à purin depuis bien longtemps avant que quelqu’un découvre la chose. Papa me raconte aussi qu’après les Romains, le roi Pépin le Bref aurait combattu et terrassé un taureau dans ces arènes ! A l’école,

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La chanson des blés d’or j’ai entendu parler de ce Roi de France, ça m’impressionne. Papa lit beaucoup, quand il a le temps, les livres que lui prêtent le Père Bracquemont et monsieur Chausson. Ils ont plein de livres très anciens et des livres écrits par des érudits de la région.

Les arènes de Montbouy.

Par la suite des fouilles archéologiques seront menées derrière le stade de Châtillon, près de la distillerie et on découvrira des ossements et des ornements dans des buttes de terre qui s’avèreront être des sépultures gallo-romaines, des tumuli. Un dimanche après-midi que les érudits et les apprentis archéologues de la région sont en train de creuser dans la « butte », comme on appelle le tumulus, l’un d’eux sort du trou avec une os à la main. « Ça y est, on a trouvé des ossements humains ! On va sûrement trouver bientôt des objets rituels en or et en argent ! » Les curieux du village regardent la chose brandie par le monsieur. Papa s’approche et demande à voir l’os. Il connaît un peu les os, papa. Il met ses lunettes, le regarde, retire un peu de terre autour et dit à la cantonade « C’est un os de porc. Une palette ». Ricanements dans l’assistance… ou dépit. « Vous croyez ? En tout état de

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La chanson des blés d’or causes, il faut qu’on étudie ça dans le calme, au laboratoire » réplique le savant. En fait cette découverte montrait tout simplement que les gaulois mangeaient des sangliers. Ce qu’Astérix et Obélix nous confirmeront quelques années plus tard… Le Moyen Age a vu des foires très importantes se tenir dans toute cette région qui était sur le passage des hommes et des marchandises allant du nord au sud de l’Europe et inversement.

Un matin d’hiver, la neige et la glace Un hiver, vers 1954, la neige tombe en abondance. La rue est recouverte de vingt centimètres de poudre blanche. C’est magnifique. On se retrouve tous dans la rue à se lancer des boules de neige et à rouler d’énormes blocs pour faire des bonshommes de neige. Je n’en ai jamais vu autant. Il fait un soleil magnifique. La neige est tombée toute la nuit et la surprise a été totale au matin. C’est beau ! Mais maintenant, les gants en laine sont trempés et le bout des doigts fait mal, comme pris dans un étau. De retour à la maison, devant le poêle, je me sèche. J’ai les joues rouges et le nez qui coule. Les mains au-dessus de la salamandre se réchauffent peu à peu et font terriblement mal. Mais on a bien joué. Au cours de ce terrible hiver, le froid s’installe et reste. Le canal est gelé. Pour les enfants, un nouvel espace de jeu s’ouvre : une patinoire sur la glace du canal ! Claude et ses copains y jouent en cet après-midi au ciel plombé. La couche de glace est épaisse de cinq à six centimètres et c’est un vrai billard pour les glissades. Soudain, à l’endroit ou doivent aboutir des eaux d’écoulement plus chaudes le miroir se fend et craque sous les semelles de Claude. Les éclats s’écartent et il tombe dans l’eau glacée. Panique dans la bande de copains. Par chance il ne passe pas sous la glace et une main, sur le bord, le saisit. Il se débat et arrive à regagner la berge. Trempé mais sauf. Il a eu chaud, si on peut dire ! Son copain Ramiro lui propose de l’emmener chez lui. Il est glacé. La maman le déshabille et l’installe devant la cheminée.

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La chanson des blés d’or Elle étend ses vêtements mouillés afin de les faire sécher. Elle le frictionne vigoureusement et l’enveloppe dans des serviettes en attendant le séchage complet. Il reste là pendant une bonne partie de l’après-midi à se réchauffer en sirotant des boissons chaudes. Il rentre ensuite à la maison et ne dit rien à maman qui ne va rien savoir. Tout le monde va garder le secret. Enfin rien savoir jusqu’à ce que madame Ramiro lui raconte l’affaire, mais plusieurs années plus tard…

Noël à la maison Chaque année, lorsque Noël approche papa va chercher un sapin avec Claude et moi. Ce Noël 1954, papa prend la remorque à bestiaux et on emporte scie et hache. En route pour une sapinière. C’est un des plus grands que choisit Claude, près de trois mètres de haut. On le ramène à la maison, tout fiers, et on découvre à quel point il est grand ! C’est comme s’il avait grandi dans la remorque… On l’installe dans la salle à manger et on le décore : boules, guirlandes et petites bougies fixées comme avec des pinces à linge. « Mon beau sapin… » « Petit papa Noël…. » « Vive le vent, vive le vent, vive le vent d’hiver… ». Tout est prêt pour le grand soir. Le repas de Noël se fait après la fermeture du magasin alors que les semaines précédentes et la journée ont été exténuantes. Il a fallu préparer tout ce que les clients vont mettre sur leur table de fête : rôtis, pâté, terrines, boudins blancs et noirs, saucisses parfumées… Et aujourd’hui tout le monde est venu chercher sa commande. On a fermé très tard. Maman a réussi à préparer le festin. Il fait une chaleur d’août dans la salle à manger. Elle est à table, le dos au poêle qui ronfle gaillardement. On a allumé les bougies du sapin. C’est magnifique. Après les ripailles, on va se coucher. Le Père Noël va passer et on trouvera les cadeaux demain matin. C’est le matin ! Il y a sûrement des cadeaux en bas, près du sapin ! On descend et ils sont bien là. Cette année-là il y a un cyclo-rameur pour moi. Un drôle de machin à trois roues que l’on dirige avec les pieds et que l’on fait avancer en ramant. Une autre année je dirai, déçu « J’avais commandé une voiture pour monter

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La chanson des blés d’or dedans et j’ai une petite voiture pour rouler à la main… » Une autre fois j’ai eu le fameux habit de Zorro tout noir.

Un après-midi de printemps, la grêle s’abat sur Châtillon Un jour de printemps c’est une averse de grêle qui s’abat sur Châtillon. Par la fenêtre je regarde tomber les grêlons dans la cour. Ils rebondissent. Ils sont gros comme des billes en terre. Ca fait un bruit d’enfer en tombant sur le zinc du toit de la cuisine. C’est maintenant tout blanc dans la cour. Je sors pour voir les alentours. Il y en a une dizaine de centimètres dans les rues et notamment dans la rue du docteur Jaupitre. Plus haut que le trottoir. Ca fait un drôle de bruit en marchant. Je n’ai jamais revu pareil spectacle. Mais ça n’a pas tenu très longtemps. En quelques heures les caniveaux et les rigoles se sont remplies d’eau glaciale qui s’est écoulée dans le Milleron et le Loing.

Les voisins et les amis Mon petit univers se compose aussi de nos voisins. Il y a en face madame Poisson (Raie de son nom de jeune fille paraît-il !). Je l’aime bien parce qu’elle tient une épicerie. Dans sa boutique ça sent les harengs saurs et le pain d’épices. Elle a des chiens et des chats alors souvent je demande à papa « Je voudrais des rognures pour madame Poisson ». Papa ouvre un tiroir où elles se trouvent, prend un papier et me met les restes de viande – nerfs, tendons, gras et un peu de maigre aussi ! Fièrement je traverse la rue, j’entre en faisant tinter la clochette en haut de la porte et je dis « Bonjour madame Poisson. J’ai apporté des rognures pour les chats ». « Merci mon p’tit Kiki. C’est bien gentil. Qu’est-ce que tu veux que je te donne pour te remercier ? » Alors je me tortille d’hésitation, je fais semblant de chercher et je dis invariablement « Un plum ». Oui, c’est ma faiblesse. Ce sont des petits babas au rhum enveloppés individuellement dans un papier argenté avec écrit en bleu « PLUM MAURICE ». A cette époque, le slogan « avec modération » on ne connaît pas… Cette pâtisserie industrielle est restée ma préférée. Et je repars avec mon trophée.

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La chanson des blés d’or

L’oncle Raymond (les bras croisés), M. Geoffroy, papa (en tablier et le ventre en avant), un peintre et M. Asselineau. Madame Poisson, de dos, est devant sa boutique.

Sur notre trottoir il y a madame Milan la crémière. C’est une grosse dame avec un tablier blanc qui se tient derrière un meuble sur lequel trônent d’énormes jattes emplies de fromage blanc battu. Il y a aussi les yaourts dans leur pot en verre et le lait que l’on sert avec une mesure en aluminium dans les boîtes à lait du même métal. Il y a enfin plein de fromages frais, camemberts, chèvres cendrés… ça sent le lait caillé. En face de chez elle il y a madame Tavernier. C’est une petite dame toute maigre et fripée qui se recroqueville sur elle-même. Elle tient la papèterie. Il y a des livres partout, des cahiers, des crayons de couleur et des jouets. Je me souviens d’une lanterne magique qui me fait envie. C’est un appareil en tôle avec une lentille à l’avant et, dans un compartiment à l’arrière, une bougie qu’il faut allumer. Entre les deux une encoche permet de passer des images peintes sur un support en papier parchemin ou sur plaques de verre. Encore un objet qui me fait rêver et que le Père

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La chanson des blés d’or Noël m’apportera pour mon plus grand bonheur. Ah, le parfum dégagé par ce projecteur allumé… Papa trouve chez elle aussi de très vieux livres concernant le village comme il en trouve chez monsieur Chausson, otage avec lui en 44 et qui est devenu son ami. Ce monsieur Chausson proposera de m’apprendre le violon vers l’âge de six ans mais après deux leçons chez lui je laisserai définitivement cet instrument trop récalcitrant et incapable de sortir autre chose que des grincements malgré la douleur aux doigts.

Le café-buvette d’en face.

Sur notre trottoir, en direction de la place du Cheval Blanc, il y a chez Geoffroy le bistrot, puis le grainetier (Hamard) avec tous ses tiroirs remplis de merveilles de toutes formes et de toutes couleurs. Il y a madame Bouchard l’horlogère-bijoutière, qui tient la boutique de luxe du village. Il y a Lemitre, un autre boucher, pas vraiment copain avec papa. Il y a ensuite Lecointre, le menuisier. Chez lui c’est un vrai paradis. Il y a de la sciure partout et des chaises, des tables, des armoires, des buffets enchevêtrés les uns dans les autres, même dans le grenier. La

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La chanson des blés d’or plupart sont en bois brut. En hêtre ou en chêne. Il y a plein d’outils accrochés sur les murs et des machines comme le tour qui permet de faire en un clin d’œil une quille ou un pied de lampe. Ca sent bon. C’est un vrai capharnaüm. En face il y a Vallaud, le marchand de chaussures du village. Il y a des centaines de boîtes en carton dans son arrière-boutique. C’est drôlement bien rangé. Ensuite il y a sur la place du cheval Blanc le boulanger Forite. Chez lui ça sent bon. Il vend des gros pains bien dodus et croustillants. Maman taille des tranches pour faire le goûter et elle y étale du beurre et de la confiture ou bien du pâté de foie ou encore du pâté de campagne que fait papa. Chez Forite, il y a aussi des couronnes de pain qui sont enfilées sur un bâton fixé au mur. C’est bien les couronnes parce qu’on passe le bras au milieu et on les porte comme ça. Monsieur Forite a un fils qui est le copain de Claude. Il fait plein de bêtises… Il a fait pipi dans le bénitier à l’église. C’est surtout à l’église qu’il semble accumuler les bêtises. Il réserve ça au curé et au catéchisme. Enfin Claude a été puni avec Forite pour cette affaire… Sur la place du marché, il y a la dame qui vend les pétards et les farces et attrapes. C’est une toute petite boutique en pointe entre deux ruelles. C’est une vraie caverne d’Ali Baba. Mais moi, je n’y vais pas, je suis trop petit… Il y a aussi dans la rue Bellecroix monsieur Krakovska. Il a un drôle de nom et il est très très gros. Il est toujours en bleu de travail avec une ceinture de flanelle beige autour de la taille. Il a ses sabots de bois devant la porte et dans sa maison il est en chaussons de feutre.

Gaëtan et Roland partent pour l’armée… papa vend la boucherie Et puis Gaëtan s’en va au service militaire. Il a ses vingt-et-un ans. Il part pour la Tunisie où des « événements » se produisent. Il va à Bizerte. Un an plus tard c’est au tour de Roland qui part pour l’Algérie : Oran, chez les zouaves. Le vide est immense.

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La chanson des blés d’or

Hélicoptère déposant des soldats dans le djébel.

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Soldats dans un half-track en Algérie.

A la boutique les choses se compliquent. Roland a dit que quand il reviendra de l’Algérie (s’il revient, parce que ça se passe mal), il ne reprendra pas le métier à la boucherie, il ira à Paris. Alors maman dit à papa qu’il faut vendre la boutique et aller à Paris. Pour elle, Châtillon c’est la cambrousse ! Ce n’est pas son truc. Alors papa accepte et ils mettent en vente. Pas facile, les acheteurs ne sont pas nombreux. Ils finissent par trouver un acheteur qui en tire un très bon prix, lui. Et on déménage. Ça commence et ce n’est pas près de s’arrêter. Il y a plein de pièces, plein de greniers à vider et plein de matériels à emporter. Des tas de choses qui ne serviront plus. Ce sont quatorze remorques à bestiaux qui sont emmenées dans un

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La chanson des blés d’or local qui sert de garde-meubles. La plupart des meubles et objets ne seront jamais récupérés et cela n’a jamais fait défaut par la suite…

Roland en Algérie (1956).

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On va à Vichy, dans la maison du grand-père Salomon Dans un premier temps, on est au mois de juin, on va à Vichy. La maison est vide, les grands parents n’y viennent encore qu’en août avec l’oncle Robert Salomon et la tante Paule. On va y rester jusqu’au mois de novembre. L’été se passe avec toute la famille Salomon. Moi, j’ai mon cousin Alain et mes cousines Françoise et Joëlle. C’est super. Je vais pêcher avec Alain dans l’Allier. Ma technique s’est améliorée. On ramène des poissons qui ne contiennent que des arêtes et que les cuisinières s’empressent de mettre à la poubelle. Pas grave, on y retourne quand même pour en pêcher d’autres. L’oncle Robert nous fait tirer à la carabine du grand-père. On vise une cible en carton placée dans le verger. Malheureusement, pour améliorer mon tir, je me mets accroupi et ne vois pas la chienne de la maison Monette au-delà de la cible qui va renifler les balles qui se sont enfoncées dans l’herbe. Je tire et loge la balle dans la cuisse de Monette qui se met à hurler. Kaï kaï kaï ! Je comprends mon erreur. Tout le monde rapplique de la maison les bras au ciel. Le grand-père « Qu’est-ce qu’Alain a fait ? » « C’est pas lui, c’est kiki… » « Ah, bon… » Le grand-père enguirlande l’oncle et considère que je ne l’ai pas fait exprès. Pour Alain, les choses auraient été différentes. Il faut dire qu’il a déjà décimé les canards en les pendant par le cou sur un fil, puis, ne les voyant plus bouger, leur a mis la tête dans l’eau pour les réveiller ! Cet épisode a marqué les esprits…

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Dans le verger à Vichy : la grand-mère, Françoise, Christian, Alain, les deux enfants Lallier et Joëlle tout en haut.

Enfin Monette sera emmenée chez le vétérinaire, la balle sera extraite, la patte sera plâtrée et elle bénéficiera d’une convalescence douillette. Pas comme maman qui, dans la même période, se tord la cheville en descendant de l’autocar qui fait la ligne Creuzier-Vichy. Elle a tout juste droit à une bande velpeau et une pommade, en considérant qu’elle est bien chochotte et qu’elle cherche à se faire plaindre pendant un mois. Elle en gardera une certaine rancœur vis-à-vis de la grand-mère. Une de plus…

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C’est Roland ! C’est Roland ! Au cours de l’été, en août, on attend Roland qui bénéficie d’une permission de deux semaines. Cela fait plus d’un an qu’il est parti et c’est sa première permission en métropole. Chaque lettre de Roland est attendue avec impatience. C’est le seul lien entre lui et nous. Maman est très inquiète. Ses lettres disent que tout va bien, qu’il a de bons copains, qu’il fait beau et que les paysages sont magnifiques… mais que dans son prochain colis du chocolat même noir à croquer serait le bienvenu avec des boîtes de sardines et du Ricoré. Les parents se doutent bien que le quotidien n’est pas aussi beau que ce que Roland ne met dans les pages que ce que la censure autorise. On pense qu’il va arriver à l’aérodrome de Vichy, à Charmeil. On va donc voir atterrir les Bréguet-deux-ponts en provenance de l’Algérie. La maison domine et l’on voit passer les avions qui atterrissent.

Un Bréguet-deux-ponts à Charmeil.

Et puis, un matin alors que je joue dans le verger, sous les cerisiers, j’entends « C’est Roland ! ». La tante Paule l’a vu entrer de l’autre côté. Il est très beau dans son habit militaire beige, avec son calot rouge et ses yeux bleus au milieu d’un visage bronzé. Il

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La chanson des blés d’or a une petite moustache à la Clark Gable comme on aime à cette époque. Je suis tout intimidé, je n’ose pas lui parler. Il y a de l’émotion dans l’air. Maman est folle de bonheur. Roland, après les effusions demande à aller se changer pour se mettre en civil. Deux semaines, c’est très court. Il va être le centre de toutes les attentions. Pour moi c’est le héros qui revient dans sa famille…

Maman, Christian, Roland et Claude.

Au cours de sa permission, il va m’apprendre à faire un feu dans le jardin pour faire cuire un œuf au plat. Il creuse un trou en fonction de la direction du vent à travers les mottes de terre, on cherche des brindilles, on prend du papier journal et on allume. Même si ça ne marche pas bien, je suis heureux de faire le Robinson avec lui. Les œufs ont un goût de fumée très prononcé, mais c’est bon quand même.

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La chanson des blés d’or Et puis, il va repartir. Il le fera mais en s’octroyant quelques jours de plus. Avec ses copains, il a été décidé de rallonger la permission de quatre jours. Arrivé au port de Marseille où il doit retrouver les autres, ils ne sont pas là. Catastrophe… Ils ont eu peur des sanctions ? Il en retrouve deux seulement. Ils prennent un bateau pour Oran, la mort dans l’âme. Ça va chauffer pour eux. Effectivement, à l’arrivée, ils sont attendus au port. « Vous êtes aux arrêts… Déserteurs… Au gnouf… » « Mais où sont les autres ? » « Vous êtes les premiers ! ». Les autres vont effectivement arriver par petits groupes les jours suivants et se retrouver tous peu à peu en prison, au gnouf. Les voilà considérés comme déserteurs au pire et fortes têtes pour le moins… En principe ça se paye cher. Mais les choses vont s’arranger parce qu’ils ne sont pas les premiers à rallonger un peu la seule permission au milieu des vingt-sept mois du service et surtout, on a besoin d’eux dans le djébel. Donc l’affaire est vite étouffée et ils repartent en opérations.

Papa vend les prunes du jardin sur le marché de Vichy Cet été là, il y a plein de fruits dans le verger du grand-père. Ils tombent et pourrissent au sol en attirant les guêpes. Avec l’oncle Robert, Alain, les cousines et Claude on fait une bagarre de prunes bien mûres. Tout autour de la maison on se cache et on se vise avec les fruits qui éclatent bien quand le tir est juste. Mais le grand-père sort de la cave où il bricolait et se met en colère. C’est encore l’oncle Robert qui prend. C’est vrai que c’est un peu lui qui a organisé. Mais comme toujours, on a commencé petit, avec quelques fruits et puis ça a dégénéré et il y a des prunes éclatées un peu partout au sol et sur les murs de la maison. On est vite refroidis. Il a raison le grand-père. Alors papa dit qu’on va cueillir les fruits dans les pruniers et qu’il ira les vendre sur le marché. C’est ce qu’il a fait. Il a ainsi ramené quelques sous, on n’en avait pas trop à cette époque. La famille présente : oncle, tante, grands-parents se sont un peu moqués d’André qui s’est installé entre deux

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La chanson des blés d’or fermières dans les allées du marché avec ses paniers de fruits, mais ils devaient se sentir un peu coupables de ne pas oser faire la même chose…

Jojo avec le fusil, le grand père, Marie (accroupie), Anna (debout), Robert et les enfants (de gauche à droite) : Alain, Françoise Dominique et Marie-Josée.

La rentrée à l’école Beausoleil de Vichy En septembre je suis inscrit à l’école Beausoleil, en bas, à l’entrée de Vichy. C’est une école toute neuve. Je ne connais personne. Maman est venue avec moi le premier jour. On attend dans la cour. Je suis mal. Elle me dit « Vas jouer avec le petit garçon, làbas. Il est tout seul aussi »… Je vais faire deux mois dans cette école. Juste le temps de commencer à m’habituer. Il faut que je prenne l’autocar le matin

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La chanson des blés d’or et le soir. Je reste le midi à la cantine. J’ai huit ans. C’est long une journée d’écolier. Mais ça ne va pas durer parce que papa et maman cherchent à prendre un commerce : un Familistère. C’est une chaîne de petites épiceries comme Félix Potin ou GouletTurpin. Ils seraient gérants.

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LA LONGUE MARCHE… MARCHE… VERS PARIS

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Le Familistère à Sens pendant neuf mois Vers le mois de novembre 1956 on leur propose un magasin Familistère à Sens, dans l’Yonne. Alors on déménage et on s’installe dans cette nouvelle ville. La boutique est dans l’île qui se trouve au centre de la ville. Il y a une église, une école, quelques magasins, des habitations, un terrain vague, deux ponts (un de chaque côté) et de l’eau tout autour. Il y a même un bateau lavoir amarré dans un coin. Je vais pouvoir redevenir pêcheur.

Extérieur d’un magasin Familistère en 1960.

Je vais assez vite m’intégrer dans cet environnement. De la fenêtre de ma chambre je vois la cour de l’école, ce qui me permet de partir quand on siffle la fin de la récréation et la mise en rang. Je traverse la rue et j’y suis. Papa et maman ne tardent pas à être amis avec le curé de la paroisse : le Père Jo. Je commence le catéchisme, je fais du football le jeudi, et de la

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La chanson des blés d’or pêche presque tous les jours. Claude va au collège, de l’autre côté du pont. Il fait de l’allemand, du latin et du grec ancien… pour être avec les meilleurs du collège. Mais ça ne lui plait pas beaucoup. Les autres, dans sa classe ne sont pas du même milieu social et il commence à mal le vivre. Il va faire partie des Eclaireurs de France. Ça lui plaît. Un dimanche d’été on va lui rendre visite. Il est depuis plusieurs jours en camp près de Vézelay avec son groupe. Ils dorment sous des tentes en toile, boivent de l’eau du ruisseau qu’ils purifient avec de l’eau de javel. Ils nous font goûter… On sent bien le goût de chlore. Ils font du feu comme des indiens ! Ils chantent autour du feu. J’adore. Je rentre de cette visite en enviant Claude qui vit la « vraie » aventure.

Intérieur d’un magasin Familistère en 1960.

Pour papa et maman, c’est beaucoup de travail. Ils doivent commander puis recevoir les conserves, les produits secs, les nonpérissables et les produits frais comme les légumes ou la charcuterie et vérifier que les quantités livrées sont bien celles qui

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La chanson des blés d’or sont indiquées sur les bordereaux. Ils doivent gérer les produits périmés, assumer les vols et assurer une présence constante dans le magasin. Il y a de la clientèle mais ça ne rapporte pas beaucoup. Et puis Roland est toujours en Algérie. Il va bientôt revenir. Sa permission libérable est pour bientôt.

Le soldat américain de l’OTAN Un jour d’été où il fait très chaud, un convoi militaire américain de l’OTAN passe devant chez nous. Les gros GMC défilent avec matériels et trouffions en faisant vibrer tous les murs. Maman, est sortie devant la boutique et elle salue de la main les soldats. C’est alors qu’elle prend des fruits dans un cageot qui est en démonstration devant le magasin, qu’elle en lance aux soldats. Les camions ralentissent. Certains trouffions sont sur le marchepied du camion. Ils sont ravis et font de grands sourires à maman et la remercient de la main. Vers sept heures et demie, le soir, un grand soldat noir en uniforme pousse la porte du Familistère. Ding ding fait la porte. Il vient remercier les parents. Mais la communication est très difficile. On appelle Claude qui a fait un peu d’anglais. On parle surtout par gestes. Le soldat fait comprendre que sa chemise a un trou à la manche, un trou de brûlure de cigarette et qu’il voudrait que maman lui fasse une reprise. Il propose aussi et surtout d’inviter la famille dans un restaurant, le soir même, pour remercier. Je me souviens toujours de ce superbe soldat quand il s’est présenté en ouvrant la porte de la boutique. Pour papa et maman c’était un de ces sauveurs qui, un jour d’août 44, leur avait évité le pire. Trop de travail et les difficultés à communiquer font que le repas au restaurant n’a pas eu lieu. Mais c’est un souvenir qui est restera bien marqué dans nos mémoires.

Mon souffle au cœur Je ne sais pas pourquoi, un jour on découvre que j’ai un souffle au cœur. Depuis que maman a perdu Jean-Claude, elle est très inquiète au moindre signe de maladie pour nous. Un peu à la

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La chanson des blés d’or manière de la malédiction de la pleurésie pour papa, on s’imagine que je ne vais pas survivre longtemps. Alors le cardiologue demande que je ne me lève pas trop tôt le matin, que je ne fasse pas de sport violent et… qu’on ne me gronde pas et qu’on fasse tout ce que je dis ! Enfin peut-être pas tout ça, quand même... A partir de ce jour mes horaires d’écolier sont aménagés et je ne commence qu’à dix heures. Pour les copains je deviens le gars qui peut rester une heure de plus au lit le matin. Très fort ! Malheureusement à l’école élémentaire, c’est en début de matinée que les apprentissages les plus importants sont placés. Ça ne va pas faciliter ma scolarité. Enfin ça dure pendant deux trimestres. Ensuite de nouvelles aventures vont nous conduire plus loin.

Christian, le pêcheur sur les bords de l’Yonne.

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La chanson des blés d’or

Avec mon meilleur copain.

Enfant de Chœur Le soir du Vendredi Saint, le Père Jo me demande de venir et de servir la messe avec lui comme enfant de chœur. Je dois faire le quatrième. J’ai neuf ans et c’est un rôle qui me plait beaucoup. « Ne t’inquiète pas, on te dira quoi faire au fur et à mesure ». La messe, je connais, mais cette fois je vais être acteur. On me met aux burettes. Je suis donc responsable d’un plateau avec deux flacons : un d’eau et l’autre de vin blanc. Je revêts une aube et nous voilà partis derrière le Père qui sort de la sacristie. On entre en scène. Je me lève et m’assieds en même temps que les autres, je me mets à genoux, assis, debout… et puis mon vrai rôle commence. On m’appelle, je m’approche, je verse de l’eau ici, du vin là dedans, encore de l’eau… Je retourne à ma place. Debout, assis, debout et on rentre à la sacristie. Il n’y a pas de rappels mais c’est tout juste ! Je passe une soirée mémorable sous le regard de papa et maman qui sont fiers de moi. Le père me dira de verser moins d’eau sur les doigts au moment approprié la prochaine fois, j’ai presque tout vidé d’un coup… On m’expliquera exactement comment faire et j’adorerai servir à la messe aussi longtemps qu’on restera à Sens. C’était un peu comme mon équipe de foot ou de rugby que j’avais

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La chanson des blés d’or plaisir à retrouver le dimanche et le jeudi. Le jeudi on répétait le texte en latin. « Et cum spiritu tuo » « Deo gracias » « Ite missa est » … On ne comprenait rien mais ça sonnait super bien. « Alleluia », c’était comme une formule magique, comme « Abracadabra… ».

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La chanson des blés d’or

La colonie de vacances dans les Vosges Au cours de l’été, Claude et moi, nous allons en colonie de vacances avec la paroisse. Je connais tout le monde. Je suis très content. On va dans les Vosges, au col de la Schlucht, sur les flancs du Hohneck. C’est dur à dire le col de la Schlucht !

Le lac près du col de la Schlucht.

On y va en train. On est répartis par petits groupes dans les compartiments. On voyage toute la nuit et on arrive en fin de matinée après de l’autocar et de la marche à pied. Le logis est dans un immense chalet en bois noir. Les chambrées sont sous le toit et la salle à manger est au rez-de-chaussée avec les toilettes. Devant la maison se trouve un grand abreuvoir avec de l’eau qui coule en permanence, c’est là qu’on fera notre toilette, le torse nu et à grands coups de flotte que l’on prend dans les mains pour y plonger le visage. C’est glacial. Ça réveille. À l’intérieur on mange sur des grandes tables des tartines de gros pain avec des

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La chanson des blés d’or confitures de baies que je ne connais pas. Je découvre aussi les bretzels, ces rosettes qui sont plus grandes que ma main. C’est délicieux. Claude est là, en cas de cafard, mais ce n’est même pas utile. Je m’éclate. On fait plein de jeux et de randonnées dans les forêts. Près du chalet il y a un lac. On y prendra un bain, au milieu du séjour. Ce sera le seul bain complet ! L’eau est glaciale, comme dans l’abreuvoir sauf qu’on se trempe en entier. Vers la fin du séjour on va visiter Colmar et Munster. Dans nos bagages, on va tous rapporter du fromage qui va empester pendant tout le voyage et faire de la place dans le train... En arrivant à la maison, maman va le mettre illico à la poubelle.

Roland est démobilisé : Paris est à lui ! Roland est démobilisé. Il vient à Sens. En fait il est en permission libérable. C’est-à-dire que pendant 40 jours il peut être rappelé. C’est son angoisse. Il a déjà fait suffisamment avec 26 mois. Après quelques temps il est démobilisé et s’en va à Paris pour trouver du travail. C’est là que l’oncle Camille va être déterminant. Il lui trouve du travail aux NMPP. C’est la société qui répartit et emballe les journaux chaque jour pour les distribuer. Camille a un camion et il passe aux NMPP chercher chaque nuit son quota de journaux, d’hebdomadaires et de mensuels qu’il va ensuite distribuer au cours de sa tournée en Champagne. Ce travail qui consiste à emballer et à ficeler des paquets de journaux ne passionne pas Roland mais c’est au moins un moyen de gagner de l’argent. La boucherie pour lui, c’est terminé.

On quitte Sens, pour Gournay chez l’oncle Raymond Après neuf mois seulement à Sens on s’en va. Les affaires ne sont pas bonnes et puis Roland est installé à Paris, alors maman veut retourner près de son fils et de sa capitale. On se retrouve à

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La chanson des blés d’or Gournay-sur–Marne chez l’oncle Raymond et la tante Simone. Maman est ravie d’être chez sa sœur. On loge au-dessus de la boulangerie. Papa est resté à Sens pour régler les problèmes d’inventaire à faire. La société Familistère va réaliser l’inventaire à sa façon et papa, seul avec l’équipe qui a été envoyée, se retrouve avec un trou considérable à rembourser : trois cent mille francs en 1957. Les parents que l’on a volés sans vergogne mettront trente ans à rembourser. Au début avec rancœur et chaque trimestre… à la fin en faisant traîner au maximum avec les plus petites sommes possibles avant l’arrivée des huissiers, qui ne viendront jamais.

Le triporteur Vespa pour transporter le pain entre les deux magasins.

Moi, ça me fait une nouvelle école à la rentrée scolaire. Mais c’est bien la boulangerie de l’oncle et la tante. D’abord ils m’aiment bien, j’ai des croissants sortant du four le matin et des gâteaux ou des glaces à toute heure. « Tiens, Kiki, prends, c’est pour toi… » Et puis il y a Raymonde, ma cousine un peu plus âgée que moi et Bernard mon cousin qui est un peu plus âgé que Claude. Il y a aussi Jacqueline (ma grande cousine) et Michel son mari. Michel est d’origine espagnole, catalan. Il est venu en 1938 avec son père comme réfugié. Ils ont fui le franquisme. C’est mon copain aussi Michel. Bernard a racheté la Vespa de Roland. Repeint en rouge

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La chanson des blés d’or sombre avec des instruments de musique dessinés à l’avant de chaque côté du phare, il est très beau le scooter. La boulangerie principale est sur les bords de Marne, près de la plage. Jacqueline tient le dépôt de pain au centre ville. Alors Bernard ou Michel livrent le pain tout chaud à Jacqueline dans un triporteur Vespa. C’est un scooter à trois roues avec une boîte en bois derrière sur deux roues. La boîte ferme par des portes. Ils font autant d’aller-retour que nécessaire à toute vitesse. Il n’y a qu’un petit kilomètre mais j’adore qu’on m’emmène derrière le guidon, comme avec celui de Roland. Souvent je vais dans le fournil regarder travailler. Ça sent bon la pâte, le pain cuit, les viennoiseries... L’oncle fait un pain magnifique, bien gonflé avec une belle croûte bien dorée qui craque. La mie a de belles bulles d’air mais elle est bien consistante… C’est le meilleur pain qu’il m’a été donné de manger.

La plage de Gournay en été.

Le dimanche il y a toujours plein de monde autour de la table : Jojo, Marie, Robert, Paule, mes cousines, Solange la copine de

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La chanson des blés d’or Bernard… On tient table ouverte à Gournay. On discute, on picole, rigole, on parle fort, on se dispute : il n’y a pas deux personnes qui ont la même opinion politique. À table il y a toujours du vin rouge, de la bière Valstar et du cidre (Raymond est normand et le cidre est obligatoire). Papa vient enfin nous rejoindre. L’oncle Camille lui a trouvé du travail dans une imprimerie rue des Saints-Pères, dans le quartier Saint-Germain. Il est factotum. Il travaille douze heures par jour pour pas beaucoup. Les transports sont assez longs en bus et en métro. Quand il nous rejoint, le soir, il est « rouetté » comme il dit. Il est épuisé. Mais il a du courage. Maman trouve du travail chez Vilmorin, près du Châtelet. Elle prépare les commandes de graines pour la vente par correspondance. Elle va travailler aussi pour Sélection du Reader’s digest. Ce sont des emplois « saisonniers » qui prennent toujours fin juste avant d’atteindre la durée entraînant la titularisation et un salaire plus important. Elle va passer de l’un à l’autre pendant plusieurs années. On est donc là provisoirement en attendant de trouver un logement à nous.

Inondations à Gournay : on se réfugie à Paris chez Roland Les choses vont se précipiter. En novembre, une crue de la Marne comme il y en a tous les cinq à dix ans, nous oblige à quitter la maison. L’eau monte vite et atteint un demi-mètre dans la boutique. On quitte la maison en barque dans la nuit et on va chez Roland, rue Paul Bert. Il loge dans un studio à pièce unique. On se retrouve à cinq pendant une quinzaine de jours. Je ne vais plus à l’école.

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ON SE FIXE ENFIN À VITRYVITRY-SURSUR-SEINE

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Un toit grâce à Camille C’est dur pour les parents. Heureusement Camille va encore nous sauver. Il possède une ancienne ferme transformée en logements d’habitation à Vitry-sur-Seine. Une douzaine de familles vivent au 192 avenue Rouget de L’Isle. Ce n’est pas très reluisant mais ce sont deux pièces avec l’eau courante dans une. Les bâtiments datent de 1600 environ. Les murs en pierre mesurent quatrevingts centimètres d’épaisseur. Alors papa, maman, Roland et Claude nettoient, rebouchent, repeignent et aménagent ce logement puis on s’y installe. On est à quatre kilomètres de Paris. Il y a le trolleybus qui emmène à la porte de Choisy et là, le métro dessert tout Paris. C’est plus facile pour papa et maman d’aller travailler : elle chez Villemorin près du Châtelet et lui rue des Saint-Pères. Pour moi, c’est une nouvelle école. Elle est à trente mètres de la maison. C’est bon.

Claude arrête les études Claude a décidé d’arrêter les études, il a quinze ans et veut travailler. Il est embauché lui aussi dans l’imprimerie de la rue des Saints-Pères comme margeur. Il pousse les feuilles de papier sur de grosses machines, il nettoie l’encre, il règle les machines… ça ne le passionne pas mais c’est un travail, et le quartier lui plait bien. Ce quartier est le rendez-vous des amateurs de jazz Nouvelle Orléans et de Be-Bop avec Miles Davis, Art Blakey, Kenny clarke, Charlie Parker, Sidney Bechet, Claude Luter… Les « rats » de Saint-Germain sont dans les caves comme le Tabou et le Club saint-Germain. Mais Claude et Roland sont surtout très amateurs de musiques latines : chachacha, rumba, mambo, merengue, boléro, paso doble, tango, calypso… Ils ont les disques de Xavier Cugat, de Perez Prado, de Bob Azzam, de Ben, des Machucambos, Harry Belafonte et des Platters. Sur le tournedisque (Teppaz ?) de Roland on se les passe et repasse. Les disques sont rares et chers. Derniers 78 tours mais surtout 45 et 33 tours. Mes deux frères fréquentent les dancings à la mode, à Paris et aux alentours comme le Chalet du lac.

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Par hasard Roland rencontre Guy Gaubier et… l’informatique Un dimanche, le hasard fait que Roland rencontre Guy Gaubier place de la République. Ils ne se sont pas revus depuis Châtillon et leurs « frasques ». Guy n’est plus instituteur mais formateur. Il s’est lancé dans l’informatique. Il invite Roland à aller voir chez Bull, qui recherche des jeunes pour les former à la mécanographie et à l’informatique. IBM commence aussi à s’installer en France, il y a des débouchés. Le recrutement se fait sur tests. Pas de niveau requis. Juste un esprit logique. C’est exactement ça que Roland cherche.

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La chanson des blés d’or Cette rencontre va déterminer tout son avenir professionnel. Il passe les tests avec succès et est recruté immédiatement par Bull. Il suit une formation et devient aide opérateur. Il suit d’autres cours et devient opérateur, puis programmeur, puis analyste programmeur… Guy ne lui a pas mis le pied à l’étrier, il lui a seulement indiqué où se trouve le cheval… Roland a fait le reste. Les mots ou expressions : cartes perforées, Cobol, Fortran, Gamma30, Gamma10, programme, UNIVAC… vont entrer dans le vocabulaire de la famille et clore presque tous les repas le dimanche. Oui, parce que Bernard, Thérèse et Claude vont aller rejoindre Roland dans ces nouveaux métiers.

Mes vacances d’été à Vichy Comme il n’y a pas beaucoup d’argent à la maison, on m’envoie à Vichy pour les grandes vacances. J’y reste deux mois. C’est avec l’oncle Robert et la tante Paule que je pars. Il y a aussi Françoise, Joëlle et Solange mes cousines et Alain mon cousin. Lui, il habite à Vichy avec les grands-parents… je ne sais pas pourquoi. On s’amuse bien là-bas. Le jardin est grand et il y a plein de choses à faire. En juin et début juillet, les cerisiers croulent sous le poids des fruits. Des bigarreaux délicieux. Comme ces arbres ne sont pas très hauts, on peut facilement y grimper et cueillir les cerises. Il y a aussi des pruniers, des poiriers, des abricotiers et un noyer. Sur le côté de la maison, le grand-père s’est aménagé un grand potager. Il y a de tout : des légumes (haricots verts, carottes, persil, pommes de terre…) et des fruits (framboises, cassis, fraises et fraises des bois). La tante Paule fait des tartes délicieuses aux fraises des bois. Je crois qu’elle y met une crème avec de la crème fraiche, un peu comme une crème pâtissière. C’est sa spécialité. Je me régale. Le problème pour moi, au cours de ces vacances c’est quand je reçois une lettre de papa et maman. Alors là, une boule remonte du ventre jusqu’à la gorge lorsque je lis la lettre et je ne peux m’empêcher d’éclater en sanglots. La journée est fichue. Je suis inconsolable. La tante, mes cousines viennent me consoler mais rien n’y fait. C’est à chaque fois comme ça.

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Le grand-père m’aime bien. Il m’emmène avec lui arroser les rosiers de l’entrée principale… par où on n’entre jamais. Ses roses sont incroyablement parfumées. Elles sont rose pâle avec un peu de jaune, roses ou bien jaunes. J’ai encore leurs senteurs en tête. De ce côté de la maison il y a aussi les noisetiers. C’est formidable les noisetiers pour faire plein de choses : des épées bien droites, des arcs et des flèches, des cannes à pêche… On peut retirer l’écorce comme une peau de lapin ou bien la graver pour faire des décorations. Pour faire un arc c’est parfait, la corde est juste bien tendue, pas trop. Il y a beaucoup de noisetiers, et c’est une chance parce que nous avons besoin de beaucoup de branches pour notre artisanat personnel avec Alain.

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Christian, le roi des cîmes.

En septembre on reprend la DS 19 de l’oncle Robert et on remonte à Paris. Il a toujours une ID ou une DS. C’est un « citroënophile ». Il faut dire qu’il travaille beaucoup pour

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La chanson des blés d’or Michelin qui est à Clermont-Ferrand et que Citroën et Michelin c’est un peu la même entreprise depuis que la famille Michelin en a pris le contrôle aux dépens d’André Citroën. Alors c’est certainement mieux d’avoir une Citroën qu’une Renault ou une Peugeot... Moi, je ne suis pas malade en DS. C’est la voiture de l’an 2000 mais certains ne supportent pas sa suspension dans les virages du Morvan.

On est relogés dans une HLM neuve Après trois ans avenue Rouget de l’Isle, Vitry se transforme et se modernise. Notre maison va être rasée. On nous propose un logement HLM dans les premiers immeubles de la ville. On a deux chambres, un salon, une cuisine et une salle de bains. C’est vraiment tout le confort moderne dont on rêve. On est au septième étage sur neuf. Le trolleybus est à trois cents mètres, à côté de la mairie. On est encore pour quelques années entourés de cultures de lilas, la spécialité de Vitry et de jardins. L’atmosphère est très conviviale. On se connaît est on sympathise avec certains voisins comme Jean et Solange Antoine au sixième, notre voisin de palier, monsieur Aucordier (qui a fait la guerre aux Dardanelles en 1915 et à Narvik en 1940, événements que je vais étudier en cours d’Histoire à l’école) et d’autres dans l’immeuble. Un grand nombre de nos voisins du 192 ont déménagé comme nous et sont de nouveau nos voisins. Chaque année, le parti communiste organise des animations devant notre immeuble pour le 14 juillet avec un bal le soir et des pétards partout grâce à nous, les jeunes. J’ai maintenant treize ans. Avec mes copains on fait des cabanes dans les jardins qui sont expropriés et les terrains devenus vagues… Le jeudi on traîne et on fume des Kool et des Royal en faisant la grenouille avec les joues. C’est une fin d’enfance très agréable.

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La chanson des blés d’or

Je vais en classe de neige

Un hiver, en 1961, j’ai la chance de partir en classe de neige à Ancelles, dans les Alpes. Maman me tricote un pull en jacquard très chaud avec l’aide de madame Antoine, et elle m’équipe

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La chanson des blés d’or parfaitement malgré un petit budget. C’est la même chose pour mes copains. Je passe un mois extraordinaire à travailler le matin et à faire du ski l’après-midi. Une étude en fin de journée et une veillée complètent le programme journalier. Je passe mes trois étoiles de ski. On visite Grasse, Nice et Cannes en autocar… On est en février et je découvre au cours de ce voyage le mimosa qui est en fleurs sur la côte méditerranéenne où le printemps est déjà à l’œuvre. Au retour, tout bronzé, je retrouve papa et maman qui travaillent toujours autant. N’ayant pas réussi à aller en sixième, au collège, on m’oriente vers la filière courte, celle du certificat d’études en deux ans. J’ai la chance d’y avoir successivement deux excellents instituteurs, monsieur Kerviel et monsieur Ferrovecchio. Merci à la Bretagne et à la Corse d’avoir mis sur mon chemin ces deux maîtres d’exception. Des enseignants à la manière du père de Marcel Pagnol dans La Gloire de mon père ou Le Château de ma mère. Je travaille si bien avec eux que je passe avec succès le Certificat d’études et qu’ils proposent à papa et maman de m’envoyer dans une nouvelle classe qui vient d’être créée, la quatrième d’accueil. Cette classe se propose de faire en deux ans le programme des quatre ans du collège avec les meilleurs éléments de l’Ecole Communale. Ce choix va déterminer tout le reste de ma vie. Je vais donc m’y lancer et me retrouver ensuite au Lycée pour des études, jusqu’au baccalauréat.

Claude fait son service militaire en Algérie Pendant ce temps, Claude s’en va faire son service militaire à Maison Lafitte près de Paris, puis à Alger une fois ses classes terminées. Il se trouve en Algérie juste avant l’indépendance. Les choses ont bien changé par rapport à Roland. Plus question de djébel, de mechtas, de douars, de combats héliportés et d’embuscades dans les Aurès. C’est maintenant en ville que ça se passe. Il y a des attentats, des bombes dans les cafés, des assassinats dans les rues, des manifestations pour ou contre l’indépendance. La lutte est autant contre le FLN que contre l’OAS. De Gaulle conduit l’Algérie vers l’indépendance et

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La chanson des blés d’or l’armée est partagée entre l’obéissance au Président ou la sédition pour le maintien de l’Algérie française. Les soldats du contingent sont pris entre les deux et souhaitent surtout rentrer rapidement…

Barricade à Alger pour contenir le flot des manifestants.

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La chanson des blés d’or Claude revient finalement en 1962 sain et sauf après une année complète à Alger. Il finit ses dix-huit mois de service à Vannes, en Bretagne. Alors, en août, je vais en vacances avec les parents, à l’Ile-aux-Moines, dans le golfe du Morbihan. C’est à côté de Vannes, et on en profite pour aller le voir. Quelques mois plus tard, de retour à la vie civile, il reprend son travail à l’imprimerie avant de se lancer à son tour dans l’informatique.

Roland nous présente Andrée dans une guinguette à Robinson Claude redevient un habitué des bals et des dancings avec Roland. Un de leurs lieux favoris est le Chalet du Lac, à Vincennes. Tous les dimanches après-midi ils y usent le parquet de leurs semelles, sur des danses latines. Costume sombre bien coupé, chemise blanche à boutons de manchette et cravate assortie, ça emballe ! Ils sont beaux mes frères et ils sentent bon l’Aqua Velva ou la lotion après rasage Avon bleue. Ce sont les marques à la mode.

La guinguette Le Grand Arbre à Robinson.

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La chanson des blés d’or Un dimanche, Roland nous propose de venir au Grand Arbre, une ancienne guinguette transformée en dancing et de faire la connaissance d’une jeune fille avec qui il sort. Et… c’est du sérieux. Alors, on se met sur notre trente-et-un et on va à Robinson. Il fait beau, la piste est noire de monde. À une table on voit Roland et on découvre Andrée. Oui, elle s’appelle Andrée ! Claude est sur la piste en train de danser. Roland fait les présentations, on est un peu gênés mais on trouve des sujets de conversation, on meuble comme on peut. Elle réussit brillamment le test.

Roland se marie Quelques mois plus tard le mariage a lieu à la mairie du XIVe et à l’église à côté de la rue Raymond Losserand. Le repas se déroule au restaurant Le Rouget-de-l’Isle à Choisy-le-Roi. Il y a les parents et les frères d’Andrée, Gaëtan et sa fiancée Joëlle, l’oncle Camille et la tante Germaine, l’oncle Robert et la tante Paule, l’oncle Roby, la tante Simone, Jean-Paul et Bernard de Melun, en plus de nous et de quelques autres amis. À la fin du repas quelqu’un lance « André, La chanson des blés d’or ! » C’est souvent la tante Paule qui lance ça. « Oui, André, les Blés d’or ! » reprend tout le monde. Alors papa, après s’être fait un peu prier, mais pas trop, se lève et commence à répéter pour lui-même le début de la chanson afin de se placer dans le bon ton. Et il commence : « Mignonne, quand la lune éclaire » « La plaine aux bruits mélodieux, »… C’est parti. Le charme opère. Il chante très bien. Oui, ça aussi, il le fait bien. Maman, assise à côté de lui est plutôt fière. Elle fait parfois une remarque « Tu l’as pris trop haut » ou « trop bas » « tu forces ta voix » ! L’assistance reprend le refrain avec lui. Le succès est total. Applaudissements nourris. On demande souvent alors « La belle épicière » ! « La belle épicière » !... C’est son autre succès. Une chanson qu’il a découverte à la fin des années trente, une chanson qui fait rire l’assistance. « Qu’elle était belle ma belle épicière,… » Il enchaîne alors sur cette deuxième.

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La chanson des blés d’or Il y a toujours quelqu’un pour demander « Dédée, une chanson !» Alors là, maman se recroqueville sur sa chaise en disant, « j’ai plus le souffle ». Elle a horreur de chanter en public. Alors c’est Camille qui vient sauver maman en se levant et en chantant La bourrique à Thomas.

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La chanson des blés d’or Roland et Andrée vont habiter rue des Haies, près de la Nation puis rue Raymond Losserand pendant plusieurs années, juste à côté de monsieur et madame Fouquet, les parents d’Andrée.

Les poulets du samedi matin avec Jean Antoine Comme il ne travaille pas le samedi matin, papa se lève tôt et part avec notre voisin Jean Antoine pour vendre des poulets sur le marché de Vitry. Les poulets, ce n’est pas vraiment de la boucherie comme il l’aime mais en tout cas ça rajoute un peu de beurre dans les épinards. On n’en a pas trop. Il vide et prépare les poulets pendant que monsieur Antoine fait la vente. Il rentre vers deux heures de l’après-midi. Ça lui fait de sacrées semaines de travail, surtout que ce n’est pas fini pour son samedi….

Les cours de philosophie à l’institut Catholique Le samedi après-midi, pendant plusieurs années, papa va suivre des cours de philosophie à l’institut catholique de le rue d’Assas. Il y écoute les conférences de Jean Daujat. Il est étonnant papa. Le petit garçon qui a quitté l’école communale d’Autry à onze ans lit et s’instruit sans cesse. Il y entraîne Roland, Andrée et Gaëtan. Pour Gaëtan qui est plutôt marxiste, CGT et matérialiste, ça ne marche pas bien longtemps. Il est toujours intéressant de savoir comment pensent les autres, mais là, c’est trop, cette propagande, même s’il considère Jésus comme le premier communiste de l’histoire ! Andrée et Roland vont y suivre les cours pendant une année. Ces cours permettront à papa d’affiner ses convictions et de parfaire son éducation religieuse et philosophique. J’aurai souvent de belles discussions avec lui lors de mon adolescence.

Claude et Jacqueline se marient Claude travaille, lui aussi, maintenant dans l’informatique. Ses horaires sont infernaux. N’ayant pas le téléphone à la maison, ce sont des télégrammes qui viennent souvent le rappeler pour un

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La chanson des blés d’or « problème urgent qu’il faut résoudre », à toute heure et même pendant les jours de repos. Et puis, il rencontre Jacqueline qui va devenir sa femme. Elle est d’abord une de travail… Un beau jour, il nous annonce à son tour qu’il va se marier. Quelques mois plus tard, c’est au bras de Jacqueline qu’il sort de l’église pour commencer une nouvelle vie.

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La chanson des blés d’or

Les cours de peinture à l’École ABC

L’atelier de peinture installé dans le jardin, chez Roland et Andrée rue Portal.

Papa s’est pris de passion pour la peinture. Il décide de suivre des cours de dessin et de peinture par correspondance, à l’école ABC. Les métiers qu’il a exercés jusque-là ne facilitent pas sa dextérité pour la finesse du dessin. Peu importe, il y consacre une grande partie de son temps libre pendant des années. Il a un mérite extraordinaire car il n’est guère encouragé. Maman raille un peu ses premiers dessins, mais papa s’accroche et peu à peu acquiert

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La chanson des blés d’or les rudiments du dessin puis les techniques de la gouache et de la peinture à l’huile. Laborieusement, il apprend et finit par étonner tout le monde en atteignant l’excellence. Oui, l’excellence. Il se consacre principalement aux reproductions de tableaux célèbres qu’il réussit avec talent : Corot, Renoir, Ingres, Millet, Courbet, Vermeer, Boucher… Il est devenu un spécialiste du glacis et réussit des reproductions magnifiques de Corot. Sans oublier Vermeer (La fille à la perle). Ses connaissances sur les mélanges et l’harmonie des couleurs dépassent tout ce que l’on pourrait imaginer. Ses mains et son cerveau valent de l’or.

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La chanson des blés d’or

Quelques reproductions particulièrement bien réussies.

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La chanson des blés d’or

Un repas de famille A peu près chaque année la tante Germaine et l’oncle Camille invitent les Maillot pour un déjeuner un dimanche midi. Ils habitent tout près de la gare du Nord. De la cuisine on voit les voies et les trains passer. C’est un joli immeuble d’aspect Haussmannien, côté rue. Le repas est presque toujours le même. On commence par un apéritif au Champagne. Camille le rapporte de sa tournée, c’est du Gerbaud. Ensuite il y a des avocats au ketchup… Ces deux éléments sont rares à cette époque. Une fois on a de la tête de veau – dire tête de viau pour faire couleur locale. Il faut dire qu’à ce repas, en plus de Camille et André, il y a Hélène et parfois Roby. Alors l’accent revient et on roule les R comme à Autry. Les souvenirs d’enfance et de jeunesse reviennent et nous, les jeunes, on écoute. La tête de veau sauce Gribiche, c’est à peu près le seul endroit où j’en mangerai. Moi, j’aime bien. Camille rappelle que c’est le plat qu’on faisait le lendemain d’un mariage, d’une communion ou d’un

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La chanson des blés d’or enterrement… pour faire digérer tranquillement et passer les excès de la veille ! Ils avaient de sacrées panses, autrefois ! Le repas ne se termine pas sans quelques histoires d’autrefois et quelques chansons : La Bourrique à Thomas, Les Blés d’or, La Belle épicière, Elle vendait des p’tits gâteaux…

Camille et Germaine.

C’est alors que la tante Germaine nous offre des cigarettes qu’elle a eues dans l’avion. Ce sont des petits paquets de quatre, comme les P4 qu’on achète en cachette des parents, mais celles-ci sont des américaines. Elle ne fume pas et Camille non plus. Mais

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La chanson des blés d’or Roland, Andrée, Claude et moi, nous fumons. L’oncle et la tante ont fait quelques beaux voyages dans le monde et ils nous racontent cela. On rêve alors un peu.

Les vacances à Argelès-sur-mer En août 1964 nous partons en vacances à Argelès-sur-mer, dans les Pyrénées Orientales. Un copain de collège m’a convaincu que le camping là-bas c’est un peu le paradis en plus décontracté. Sur ses conseils on réserve par courrier une place au camping de la Chapelle et on se met en route dans les premiers jours de juillet. On fait le voyage en deux fois avec un arrêt à Vichy. La 203 est à la hauteur. On traverse l’Auvergne sans gros problèmes par SaintFlour, Marvejols, Millau, Lodève, Pézenas et on débouche sur la Méditerranée. On a eu un déluge vers Saint-Flour et une crevaison vers Lodève, juste après un panneau indiquant « Attention chute de pierres »… On file directement sur Argelès, non sans se faire quelques embouteillages entre Narbonne et Perpignan. Papa commence les vacances vanille-fraise à cause du coude gauche à la portière sous le soleil. Enfin on s’installe à Argelès. Le camping est nouveau pour nous. La tente nous a été prêtée par l’oncle Raymond. On l’a montée une fois avant de partir avec lui mais maintenant il n’est plus là. On a un tas de toile bleue, un autre jaune et des tubes en alu droits ou coudés à assembler, mais pas n’importe comment ! Pas si simple. Heureusement, très vite, des voisins viennent aider, eux, ce sont des habitués. C’est ça le camping. Finalement, en une heure ou deux, tout ça est monté impeccablement avec les sardines qui servent à haubaner la toile. On déplie la table, les chaises, on place le camping-gaz, la glacière, on gonfle les matelas pneumatiques, on sort les duvets… On place même la pomme de terre sur les piquets métalliques de la tente pour éviter de faire paratonnerre. On y est ! On peut boire un coup avec les voisins qui nous ont donné un coup de main. Les vacances peuvent commencer.

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La chanson des blés d’or Je décide maintenant de rejoindre la plage où je devrais retrouver mon copain et les autres. Sur le chemin, près de la pinède, je le rencontre. Il est avec toute la bande qui va être le monde de mes étés pendant six ans. C’est un groupe formé d’un noyau fixe d’une quinzaine de « permanents » et d’éléments qui viennent s’agréger pour un mois seulement. La bande atteint la trentaine au meilleur d’août. Le noyau est composé de garçons et de filles d’horizons et de milieux différents et de grande qualité humaine. Très enrichissant.

La plage d’Argelès-sur-mer

Papa et maman vont venir souvent à Argelès pour y passer de très belles vacances. Ils vont y faire des connaissances, de celles que l’on retrouve avec plaisir chaque année en tongs et maillot de bain, le bob sur la tête. C’est simple, sûr et sans complexes. Papa dessine, face au Canigou et aux champs de vigne, fait une pétanque avec les amis, se baigne mais ne reste pas trop longtemps sous le parasol avec maman à cause du soleil, lit sur sa chaise pliante installée sous l’auvent de la tente, sirote un vin de Banyuls ou de Valmy… Au fil des années on va devenir des pros

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La chanson des blés d’or du montage de la tente. La Tramontane, les orages violents qui inondent le camping, plus rien ne nous impressionnera. Une année, en juillet, ce sera le duel homérique Poulidor-Anquetil sur le Tour de France. Un vendeur de journaux astucieux fera des recettes miraculeuses chaque matin en passant dans les allées du camping grâce à sa présentation des titres du journal L’Indépendant très orientée « supporters de Poupoul » ! Il fera rire ou sourire chaque matin et vendra son journal bien au-delà du lectorat potentiel. Les articles n’ont en général qu’un lointain rapport avec les titres lancés à la criée mais les gens achètent pour voir comment il a transformé l’élément vrai pris dans le journal. Cela amuse beaucoup papa et maman.

Camp de camping de la Chapelle à Argelès.

Pour ma part, je ne vois guère les parents que pour les repas… Mes nuits se terminant tôt le matin. Petit déjeuner vers dix heures, plage, repas, sieste, repas et soirée avec les copains et les copines. Mais ils savent que tout se passe calmement, sans violence. De plus tous les parents se connaissent et nous connaissent. Ah, les belles vacances !

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La chanson des blés d’or

Mai 68 : rue Gay-Lussac en mobylette Soudain, c’est mai 68. L’agitation est à son comble en France et ailleurs aussi. Depuis avril, chaque jour, des manifestations étudiantes puis lycéennes parcourent les rues. Des grèves viennent se joindre à l’agitation si bien que l’on se retrouve vers la mi-mai dans un dans « un beau bordel ». L’essence manque à la pompe, les parents qui ont connu la dernière guerre font des provisions de riz, de pâtes, de farine, de sucre, d’huile, de café et de conserves en tous genres. Ils se préparent à subir un siège. Papa continue de travailler mais il lui devient difficile de traverser le quartier latin à mobylette sans être bloqué par un cortège de manifestants ou un barrage de CRS, les uns et les autres de moins en moins pacifiques. De gros affrontement se produisent en fin de journée et la nuit entre les manifestants et les CRS. Des barricades sont élevées à l’aide de voitures, d’arbres abattus, de poubelles et de pavés arrachés aux chaussées.

« L’insurrection » dans le quartier latin.

Pour ma part je continue de suivre les cours encore dispensés par les professeurs non-grévistes au lycée Voltaire près du Père

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La chanson des blés d’or Lachaise. Les métros et les bus fonctionnent de façon aléatoire. Il faut souvent faire le coup de poing à l’entrée du lycée pour passer le piquet de grève formé par d’autres élèves, parfois de ma classe. C’est vif, mais c’est sympa…

Scène de rue après les affrontements.

Un matin papa se rend au travail de bonne heure, comme d’habitude. Toute la nuit la radio a relaté des combats de rues qui se déroulent vers le jardin du Luxembourg et dans les petites rues avoisinantes. Le quartier latin est surnommé depuis quelques jours le quartier lapin à cause de tous ces jeunes qui courent en tous sens pour échapper aux matraques des CRS. Quelques

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La chanson des blés d’or meneurs se sont fait connaître : Alain Geismar, Jacques Sauvageot et Daniel Cohn-Bendit. Ce dernier est de loin le plus photogénique…

Daniel Cohn-Bendit, dit Dany le rouge

Sur sa mobylette Manufrance, papa descend donc l’avenue des Gobelins, remonte la rue Claude Bernard et découvre éberlué une rue Gay-Lussac totalement dévastée : des voitures renversées et

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La chanson des blés d’or calcinées, la chaussée éventrée, des pavés partout, des barricades, des vitrines brisées… Une scène de guerre après un bombardement.

Rue Gay-Lussac au matin, sous les pavés on trouve le sable de la plage.

Il se faufile comme il peut entre les obstacles qui barrent la circulation. Les yeux se mettent à lui piquer comme certains soirs lorsqu’il est rentré en évitant les échauffourées dans les rues et en espérant qu’un groupe d’étudiants pourchassés par les CRS ne va pas surgir d’une rue, lui boucher le passage et courir face à lui.

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La chanson des blés d’or Les gaz lacrymogènes flottent encore dilués dans l’eau déversée par les pompiers. Le boulevard Saint-Michel est éventré. Les arbres ont été coupés et barrent le boulevard. C’est le chaos.

Rue Gay-Lussac après une nuit d’affrontements.

Des camions de pompiers circulent. Les habitants sont devant leur porte d’immeuble, les commerçants contemplent les dégâts à leur devanture, incrédules. C’est la révolution ! En fait tout va bouillir jusqu’au 30 mai, date de la manifestation pro-De Gaulle des Champs-Élysées. Le Président va disparaître puis réapparaître quelques temps après. Pompidou a assuré l’intérim pour les médias. Il a préparé sa suite… Je me rends à cette manifestation monstre du 30 mai à la Concorde. Je ne remonterai pas les Champs-Elysées, je resterai à faire du sur-place de la Concorde pendant deux heures et je rentrerai à la maison en allant retrouver ma voiture, prudemment laissée dans le 14e arrondissement. J’ai la chance d’avoir encore quelques gouttes d’essence, grâce à papa. Et je prendrai en auto-stop des personnes de l’autre bord, un peu outrées que je sois allé à cette manif proDe Gaulle ! Il faut dire qu’à cette époque je suis monarchiste…

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La chanson des blés d’or Ça fait bien rigoler tout le monde dans la famille. J’apprécie De Gaulle. Je ne vais pas aimer ses successeurs. Je vais faire le même genre de parcours politique que le grand-père Salomon, mais en sens inverse. Les vacances arrivent, et les Français veulent bien faire la révolution mais pas en juillet-août ! Je vais passer le bac dans un climat un peu tendu. Je vais ensuite attendre les vacances et aller à Argelès comme d’habitude avec les parents, une fois que tout va être rentré dans l’ordre. Ce fut un beau printemps.

Je «fais» instituteur La récré est finie. Je m’aperçois rapidement que la rentrée universitaire est compliquée. Les cours ne reprennent que très lentement. L’année sera perdue pour certains étudiants. Papa arrive à l’âge de 65 ans. C’est l’âge normal de départ à la retraite. Il ne me semble pas possible qu’il travaille pour me payer des études universitaires. Donc, c’est bien comme ça et je commence à travailler à mon tour. A cette époque, des ministères et des banques m’ont écrit pour me proposer du travail avec le bac. Ils vont me former… Claude et Roland m’incitent à choisir l’informatique. Mais j’ai tant de respect et d’admiration pour les enseignants qui m’ont poussé à étudier que j’ai envie de suivre leur voie. Je veux à mon tour enseigner. Je choisis l’Education nationale. Je vais donc « faire » instituteur. Alors, en septembre je postule pour être instituteur. Je suis embauché comme « suppléant éventuel » dans une école élémentaire rue Laplace à Arcueil. Je suis immédiatement pris en main par des institutrices chevronnées. Fin septembre je suis membre du syndicat SNI, de la mutuelle MGEN, de la complémentaire Autonome de la Seine, assuré MAIF et même donneur de sang à l’ADOSEN. Je vais apprendre le métier sur le tas avec des stages à l’École Normale de la rue Molitor à Paris. Ça ne va pas être facile mais les exemples de certains enseignants que j’ai eus en tant qu’élève vont me servir comme modèle et les collègues vont m’aider.

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La chanson des blés d’or Papa continue son travail à l’imprimerie et fait toujours autant d’heures. Il est chauffeur/livreur la journée et, le soir et le matin, quand les bureaux sont vides, il fait du nettoyage. Il rentre toujours aussi « rouetté » le soir, sur sa mobylette ! Maman travaille chez M. et Mme Roy dans le XIIIe arrondissement depuis quelques années. Elle fait du ménage et s’occupe du petit Frédéric et de sa sœur Cécile. Madame Roy est psychologue et son mari est écrivain. Il est d’origine haïtienne, réfugié politique ou quelque chose comme ça. Sa famille a eu des problèmes avec Papa Doc, le président Duvalier et ses tontons Macoutes. Il est très cultivé, très bohème, il a beaucoup de copains qui sont comme lui. C’est sa femme qui fait bouillir la marmite. Il a beaucoup poussé papa et maman pour que je fasse des études, au moins jusqu’au baccalauréat. Il adore discuter avec maman. Ça le fait rire d’avoir une femme de ménage blanche…Il rêve de renverser Duvalier avec ses amis en France et à NewYork. Malheureusement il décédera un jour chez son coiffeur, comme ça en un instant et ne retournera jamais en Haïti. Il faudra attendre plusieurs années avant que le dictateur sanguinaire disparaisse remplacé par son fils, Bébé Doc…

Je me marie à mon tour Le 15 mai 1972 je me marie à Périgueux. Hélène est une ravissante employée de la poste qui est montée à Paris. Elle quitte la poste pour Air-France en 1970. On se rencontre grâce à un ami commun. Elle habite rue Clerc puis rue Dauphine, dans le quartier Saint-Germain. Hôtesse de l’air, elle a des horaires très irréguliers et nos rendez-vous sont un peu compliqués. Et puis, elle me teste certainement. Nous n’avons pas le téléphone (il faut attendre de six mois à plus d’un an pour l’avoir…). Paris est une ville sûre et les retours de rotations en pleine nuit, au 18 de la rue Dauphine, ne lui posent aucun problème. C’est bien Paris à cette époque !

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La chanson des blés d’or

Mariage à l’abbaye de Chancelade près de Périgueux le 15 mai 1972. Roland, Andrée, Claude et Jacqueline.

En 1973 naît Stéphanie. Hélène quitte le métier d’hôtesse navigante pour un travail de bureau. Pour ma part, je me suis spécialisé dans les classes dites difficiles. J’y fais la rencontre de collègues exceptionnels dans les collèges de Vitry-sur-Seine. Des gens dévoués, consciencieux et efficaces. Je deviens professeur. Papa et maman sont ravis et fiers. Ils sont très fiers de leurs trois fils. Ils nous voient réussir notre vie professionnelle et notre vie personnelle.

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La chanson des blés d’or

Les petits-enfants arrivent, papa et maman sont heureux !

Anniversaire à Vitry. Maman et ses petites filles : Pascale, Stéphanie et Sandrine.

Année après année la famille s’est agrandie. L’aîné des petitsenfants est Yves pour Roland et Andrée. Il a été suivi par Pascale pour Claude et Jacqueline. Puis ensuite sont venus Sandrine, Philippe et donc Stéphanie. La répartition garçons/filles est correcte ce qui permet à maman de tricoter alternativement en bleu et en rose et de pouponner tout le temps. Et elle s’y connaît en couture, maman. Elle voit une photo ou un modèle sur quelqu’un ? Elle trouve du tissu, le met à plat, dessine à la craie de couturière les éléments, coupe, coud avec sa machine Singer achetée avant guerre… Et voilà, elle a réalisé un vêtement pour elle ou pour les petits-enfants. Il y en a qui disent que les tricots qu’elle nous faisait serraient un peu au niveau de l’aisselle. Bon,

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La chanson des blés d’or d’accord, peut-être pour le tricot, mais en couture !? Il s’est dit dans la famille que ses robes étaient copiées par les autres dames de Châtillon ! Il ne faut pas oublier qu’elle était « la parisienne » du village et qu’elle était abonnée au Petit écho de la mode. Mon habit de Zorro ! C’était elle et le Père Noël. Alors… Tiens, par exemple, une année, en août 1955, se déroule le concours de déguisements du Figaro à Châtillon. Ça consiste à faire un costume à l’aide du titre Le Figaro découpé dans le journal. Maman, habile couturière, va s’avérer très forte à ce jeulà. L’oncle Raymond et la tante Simone débarquent à la maison pour le bonheur de tous. Ils viennent passer quelques jours de vacances avec les cousins et cousines. Maman a prévu la participation de Claude au concours : elle lui a préparé un costume de muscadin pendant ses rares moments libres. Il y a la redingote, le gilet, le pantalon, le bicorne et la canne. Tout est cousu sur du tulle, ce genre de grillage très fin qui est un tissu. Raymonde rêve de se déguiser aussi. Alors maman et sa sœur Simone vont lui confectionner en deux temps et trois mouvements un costume de rose. Claude et Raymonde remportent le premier prix !

Les dimanches à Melun chez Roby et Simone Pendant cette période des années soixante, la vie est plutôt belle pour nous. Papa a acheté une voiture, une 203 Peugeot d’occasion. Une voiture avec un « moulin » formidable, comme il dit. Elle nous permet d’aller parfois le dimanche à Gournay chez l’oncle Raymond et la tante Simone ou à Melun chez l’oncle Roby et l’autre tante Simone. Ces derniers sont instituteurs et c’est toujours très intéressant d’être avec eux. On apprend plein de choses (notamment sur les champignons).

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La chanson des blés d’or

L’increvable 203 Peugeot de papa.

Quand je suis devenu instituteur, l’oncle Roby m’a donné son sifflet, un superbe sifflet de marine avec un son strident, parfait pour asseoir son autorité. Il m’a légué aussi plein de livres de grammaire, d’orthographe, de conjugaison, de calcul, d’HistoireGéo… des années 40, 50 et 60. Certains, comme la tante Simone, ont dit qu’il s’est surtout débarrassé de vieux bouquins. Avec eux, en été, le dimanche à la campagne se passe dans la forêt de Fontainebleau : on pique-nique. Il y a Bernard et JeanPaul, mes cousins qui sont un peu plus âgés que moi. On se marre ensemble, on a des fous-rires pas possibles. Roby et Simone nous font découvrir toutes les curiosités de la région : Milly la Forêt, la Chapelle des Simples, la mare aux Evées, le rocher Canon, la caverne des Brigands, Barbizon, le château de Fontainebleau ou de Vaux-le-Vicomte… Ils connaissent tant de choses et d’endroits intéressants autour de Melun.

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Promenade en forêt avec Roby, maman, Stéphanie et Simone en arrière-plan.

Et puis il y a le grand-père Moulin. C’est le père de la tante Simone. Il a un joli visage de grand-père, le crâne largement dégarni et un merveilleux sourire accroché au visage. Son accent fait chanter la Provence. Lui aussi, il est passionnant : il fait plein de choses par lui-même. C’est plus qu’un bricoleur. Pour ses petits-fils, il a fabriqué un train électrique avec la gare les passages à niveau et les tunnels. Il a aussi fabriqué des skis en bois pour les sports d’hiver. Il peint des tableaux magnifiques représentant des paysages de la côte d’Azur et de l’arrière-pays. Il nous raconte notamment qu’il emploie un bleu particulier pour faire le ciel, le bleu de cæruléum. Le bleu parfait pour les ciels de Saorge, son village à la frontière italienne.

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Souvent, on repasse tous par chez Roby le dimanche soir et Simone improvise un repas pour la famille. On rentre finalement à Vitry vers onze heures du soir en se mêlant aux bouchons de Montgeron, Villeneuve-Saint-Georges et du Carrefour Pompadour. Mais on a passé un excellent dimanche et on est crevés pour reprendre le travail le lundi !

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LA RETRAITE ET LA PEINTURE

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Gardien d’immeuble à Rueil Lorsque l’âge de la retraite sonne pour papa, à 65 ans, il quitte son travail à l’imprimerie de la rue des Saints-Pères. Il va devenir gardien d’immeuble avec maman pendant trois ans à RueilMalmaison. L’immeuble est neuf et ils découvrent ce nouveau métier. Ils sont prêts à tout ! Claude et Jacqueline sont copropriétaires dans l’immeuble. Le travail ne manque pas mais ils aiment bien. Avec certains copropriétaires, des liens d’amitié se tissent et ils quitteront ce travail non sans un peu de peine. Ils reviennent à Vitry, chez eux, où j’habite avec Hélène. J’ai gardé l’appartement en prévision du retour après la période de gardiennage. Nous cohabitons quelques temps puis nous partons à Massy, au sud de Paris avec notre petite fille qui vient de naître le 1er janvier 1973 : Stéphanie.

Les Noëls en famille Chaque année, pour noël, la famille se retrouve chez les parents ou chez Roland ou chez Claude ou chez nous. Avec la naissance d’Yves, puis de Pascale, de Sandrine, de Stéphanie, de Philippe les Noëls se régénèrent. Le Père Noël doit revenir, il y a toujours un petit à faire rêver. Le repas a lieu le soir du 24 décembre donc chacun a passé sa journée au travail. Il rentre, se prépare et se jette en voiture dans la cohue de tous ceux qui font la même chose à la même heure. L’arrivée se fait au compte-gouttes. Puis la soirée commence. Les petits sont excités comme des puces en attendant les cadeaux. Les grands sont épuisés mais le champagne ranime tout le monde. Ensuite, après l’apéritif, l’orgie de bouffe commence : huîtres, foie gras, saumon, terrines, viande, fromage, desserts… Deux ou trois vins accompagnent ces mets. Maman adore un vin, le Montbazillac doux et sucré. Papa aime un SaintEmilion : Château La Gaffelière. Il a bon goût. Il a découvert ce vin chez un caviste du quartier latin. Là, un homme de son âge dispose d’un fonds de vieilles bouteilles qu’il vend à des prix abordables, ne répercutant pas bien la plus-value prise par certains de ses trésors. Il est donc revenu un jour avec deux de ces bonnes

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La chanson des blés d’or bouteilles qui nous ont émerveillées. Donc parfois quand je trouve ce vin on le déguste avec bonheur. Roland et Andrée m’ont fait découvrir le vin d’Alsace au début de leur mariage. J’ai eu ma première ivresse (cuite) lors d’un repas de noël chez eux, rue Raymond Losserand. Sur des huîtres, le Gewurtz-Traminer glissait merveilleusement bien. Et mon verre était rempli à chaque fois que j’avais soif… Et j’avais soif ! Si bien que j’ai dû quitter la table et aller visiter les toilettes, de l’autre côté de la cour… et je n’ai pas eu le temps d’arriver, je n’ai pas eu le temps de descendre l’escalier. Je suis revenu, pas fier de moi, et j’ai signalé « Je crois que j’ai vomi… » En fait je pouvais en être sûr ! J’ai traîné cette courte phrase très longtemps, à chaque bon repas en famille, sous forme de citation...

La fin du repas, avant le passage du Père Noël, se conclut en général par une chanson. « Papa, chante-nous les blés d’or ou la Belle épicière ! », lance l’un de nous. Et c’est parti…

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La chanson des blés d’or

Le travail à Saint-Maurice avec Suzon

Dans la bibliothèque, à l’hôpital psychiatrique de Saint-Maurice.

Après cinq ans gardien, il a maintenant 70 ans. Il a théoriquement « pris » sa retraite depuis cinq ans et il a l’âge de se reposer. Eh bien non, il va aller travailler quelques jours par semaine à SaintMaurice, dans l’hôpital psychiatrique où officie Suzon, la fille de la tante Hélène. Il y est bibliothécaire. Il aime bien ce contact avec les gens. Il a à la fois des contacts avec les malades et avec

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La chanson des blés d’or les personnels soignants – et il lui arrive d’avoir du mal à distinguer les uns des autres… Véridique !

Au « travail », à l’hôpital de Saint-Maurice avec Suzon...

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La chanson des blés d’or Une fois, avant d’être embauché, il était allé rendre visite à Suzon, en journée. Il était entré sans problème et avait passé l’après-midi avec sa nièce. Puis, au moment de repartir, la personne de garde à l’entrée avait changé, une nouvelle avait pris son service et refusait de laisser sortir papa. Il avait beau dire « Je ne suis pas d’ici, je ne suis pas malade… » le portier ne voulait rien savoir et disait « Oui, oui, on dit ça ! Allez retournez dans votre chambre sans faire d’histoires». Il avait dû faire appeler au téléphone Suzon qui avait débloqué la situation et fait entendre raison au cerbère… Papa racontait cela en complétant par « J’avoue que j’en menais pas large ». Il va faire ce travail pendant trois ans et puis, un accident en voiture dont il ne comprend pas les circonstances l’amènent à cesser la conduite automobile. Il pense avoir eu un léger malaise qui lui a fait perdre connaissance pendant quelques secondes. L’accident est un simple accrochage mais les choses auraient pu être plus graves. Il abandonne donc le travail à Saint-Maurice. Il va se consacrer totalement à la peinture et… à maman. Heureusement, il marche encore bien et peut ainsi s’échapper chaque après-midi pour faire sa promenade. Il en revient souvent avec des croissants ou des pains au chocolat pour le goûter. Le petit café au lait à quatre heures est incontournable, ils ne manquent ce moment sous aucun prétexte. Comme ils gardent Stéphanie, c’est le goûter pour tous les trois lorsqu’elle rentre de l’école. Papy est un peu gourmand… Il arrive parfois que les petits enfants découvrent par hasard, dans un tiroir de son bureau ou de sa table de nuit, une plaque de chocolat, un sachet de bonbons, un paquet de gâteaux qu’il a caché là, afin de les soustraire aux yeux de mamie. Il s’empresse alors de dire « Ne dis rien à mamie, elle ne le sait pas… » Ils n’ont plus trop l’habitude d’être ensemble toute la journée. La cohabitation est parfois difficile maintenant qu’ils sont ensemble en permanence… Mais quel exemple d’amour, de respect et d’harmonie dans ce couple.

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La chanson des blés d’or

L’atelier de peinture dans la chambre La peinture devient donc la première occupation lorsqu’il arrête totalement le travail. Sa chambre devient une remise à tableaux, l’antre d’un galeriste. Il récupère le frigo et le transforme en placard à peintures. Il y entrepose non seulement les tubes de couleurs et les pinceaux mais aussi et surtout l’essence de térébenthine et autres diluants qui sentent très fort. Le frigo est bien hermétique et c’est une bonne solution pour ne pas trop s’intoxiquer. Il a son bureau au pied du lit et son chevalet. C’est là qu’il va peindre ses plus belles toiles.

Le tableau volant, sauvé par Roland et Andrée !

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La chanson des blés d’or Maman trouve parfois que les tableaux deviennent bien encombrants, ce qui vaudra quelques séances de colère de la part de papa qui « pique un coup de sang », comme il dit. Un jour, il enverra voler les tableaux sur l’armoire pour montrer son désaccord profond dans un geste ample et décidé ! Andrée et Roland, présents lors de l’envol des œuvres d’art, tenteront de ramener tout le monde à la raison. Parce que maman, en réalité, est fière du travail qu’il réalise. Elle rappelle souvent les débuts difficiles et reconnaît qu’elle n’aurait jamais pu imaginer qu’il en arriverait là. Mais il est vrai que les tableaux sont, à la longue et par la force du nombre, un peu envahissants dans la chambre quand ils ne sont pas accrochés sur un mur. « On ne peut plus passer l’aspirateur et faire le ménage dans ta chambre. C’est un vrai capharnaüm ! »

Le voyage à Venise

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La chanson des blés d’or Au printemps, dans les années quatre-vingts, nous emmenons papa et maman à Venise. L’une des patries de la peinture et de l’art en général. Nous prenons l’avion. C’est la première fois pour maman. Nous logeons tout près de la place Saint-Marc. C’est superbe. Inégalable. En passant sous le Pont des Soupirs papa aurait pu pousser la chansonnette : la Chanson des Blés d’or… Il ne l’a pas fait par respect pour les gondoliers qui n’auraient peutêtre pas apprécié la concurrence. Papa et maman rêvaient de faire ce merveilleux voyage, comme tout le monde. C’était même une promesse qu’il lui avait faite, il y a bien longtemps... Ils se sont extasiés devant les palais, les églises, les canaux, les ponts, les tableaux dans les musées et tous ces petits détails qui font de cette ville un lieu magique. C’est le seul voyage hors de France qu’ils ont fait hormis les séjours en Espagne continentale et aux Baléares.

Papa et les magasins de chaussures De violentes crampes dans les pieds assaillent très souvent papa. Ces douleurs lui rendent les nuits difficiles. Il souffre des pieds aussi lorsqu’il marche et fatigue vite. La plante des pieds le brûle. Il a donc établi une stratégie que nous mettrons longtemps à comprendre… Lors de ses promenades, il repère les magasins de chaussures où il entre, s’assied et essaye quelques paires. Il apprécie ce moment de repos et la discussion avec la jeune vendeuse qui voit en lui un grand-père à qui elle va vendre une paire de chaussures, sans coup férir. Et ça marche en général… Ca marche pour lui qui se repose, qui devise un long moment en expliquant les douleurs que ses crampes lui imposent, qui se fait plaindre par la jeune fille et qui achète finalement une nouvelle paire de chaussures en étant persuadé qu’avec celles-ci, il n’aura plus mal. Ca marche aussi pour la vendeuse qui réussit à vendre une paire de chaussures avec, en plus la semelle qui vaut aussi cher et les produits d’entretien indispensables à la souplesse de ce modèle !

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La chanson des blés d’or En général maman lui chante Ramona, comme il dit, quand elle découvre le paquet qu’il essaye de camoufler en rentrant à la maison. « Mais tu en as déjà des chaussures comme celles-là ! Qu’est-ce qu’il est encore allé acheter ?!... Et puis tu as pris le cirage ?... On en a du cirage marron ». Il tente de se justifier en affirmant que celles-là ne lui font pas mal aux pieds, que c’est ce modèle-là qu’il cherche depuis des lustres… mais ça se termine toujours par un « Mon pauvre, je ne sais pas combien tu vas en acheter, des paires de chaussures. Que tu ne remets jamais ! » Et c’est un peu vrai. Il s’aperçoit vite qu’il a mal aux pieds, même avec ces chaussures-là et ces semelles-là. Mais il s’est reposé au cours de sa promenade. Bon, c’est un peu cher mais il n’y a pas de bancs publics partout. Un jour maman le cherchera un très long moment dans la rue piétonne, à Marennes, lors d’une visite à Suzon. Papa est allé faire un petit tour en fin d’après-midi. Ne le voyant pas revenir elle décide avec Suzon de faire le tour du quartier pour voir s’il ne lui est rien arrivé. Elles le trouveront, après un long moment et bien de l’inquiétude, assis dans un magasin en train d’essayer les paires de chaussures qui manquaient à sa collection…

Borg et le premier AVC Un dimanche de mai, c’est la finale de Roland-Garros. Papa regarde le tennis. C’est Björn Borg contre Ivan Lendl. Tout le monde est tendu. Soudain il sent sa tête tourner et s’affaisse dans son fauteuil. Il ne peut plus bouger son bras et n’arrive plus à parler. On s’aperçoit du problème et on comprend ce qui se passe. On appelle les secours. Pendant ce temps, on essaie de faire ce que l’on peut pour lui. Il ne peut pas marcher, la jambe ne répond plus. Un médecin du SAMU arrive, lui fait une piqûre pour fluidifier le sang et le fait conduire à l’hôpital de la Salpêtrière à Paris. Il aura une opération qui prendra un morceau d’artère dans l’aine pour le placer dans le cou. Il va retrouver rapidement l’usage de son côté gauche, une fois tout cela débouché mais ne retrouvera pas complètement la finesse de ses doigts. C’est reparti pour plusieurs années, quand même.

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La chanson des blés d’or Il avouera avoir fait une prière à la Vierge lorsque le malaise s’est produit et avoir mis les choses en ordre dans sa tête, au cas où c’aurait été LE moment… Ce n’était pas le moment. Il va refaire un AVC dix ans plus tard, au zoo de Vincennes, devant les éléphants, mais une petite prière à la Vierge règlera le problème au bout de dix minutes… La prière est le déboucheur des artères de papa ! Mais ça marche ! Enfin pour lui. Ah, pour la finale de Roland Garros en 1981 c’est Borg qui gagne (Björn Borg (SUE) bat Ivan Lendl (TCH) 6/1, 4/6, 6/2, 3/6, 6/1).

Son premier métier, il en rêve toutes les nuits Le métier de boucher l’a toujours passionné et il en rêve la nuit… Au matin, souvent il nous raconte que pendant toute la nuit il s’est trouvé avec un train de côtes ou une macreuse à désosser. Et il s’y est mis dès que le sommeil a laissé son esprit vagabonder à sa guise. Alors là, il est allé dans le frigo, à décroché le quartier de bœuf ou d’agneau, l’a déposé sur le billot, a pris le petit couteau, l’a affûté et s’est attaqué au désossage. Il prend le couteau dans un sens, coupe, gratte, puis le prend dans l’autre alors il tranche et sépare. Il est heureux de contourner l’os, de suivre la jointure qu’il connaît par cœur et de détacher parfaitement le morceau. Lorsque l’on va rendre visite à monsieur Debenne un ami qui était concurrent à Aillant, près de Châtillon, et qui est maintenant boucher à Cusset près de Vichy, celui-ci lui demande après le repas : « Dis-donc André, ça te dirait pas de me préparer tel morceau ? Tu vas bien me désosser ça ! La boucherie, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas». Papa ne se fait pas prier… « Donne-moi un tablier, je vais me laver les mains, je vais te faire ça ». Et il regarde arriver le quartier avec jubilation, puis il s’y met. Monsieur Debenne le regarde et invariablement lui dit : « Ben, t’as pas perdu la main, tu te souviens comment que c’est fait. Tu pourrais rouvrir une boutique ! ». Papa est heureux. Voilà, il passe un très bon moment, un peu comme avec son père, lorsqu’il retournait à Gien,

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La chanson des blés d’or dans sa jeunesse, et qu’ils allaient tous deux au jardin en fin d’après-midi, l’été. Là non plus il n’a pas perdu la main.

Papa, maman et le téléphone C’est toujours la même histoire… Quand quelqu’un appelle au téléphone, c’est maman qui se précipite sur le combiné pour décrocher. Ensuite elle va profiter de l’occasion pour parler une demi-heure avec son interlocuteur. Parfois, papa entendant que c’est Roland, Andrée, Claude, Jacqueline, l’une de ses petite-fille ou l’un de ses petits-fils, il demande à parler, mais maman lui dit « Attends donc… ». Alors il dit « Je ne peux jamais parler ! » et il s’en va dans sa chambre. A la fin de sa conversation, maman vient lui dire « Tiens, vas-y, parle, j’ai fini ! » alors, en prenant le téléphone il dit « Bonjour ! Avec ta (grand) mère, c’est pas facile, je ne peux jamais avoir le téléphone ». Alors maman dit « Mais, vas-y, tu l’as le téléphone maintenant…, parle ! ». Papa a donc mis en place un stratagème. Lorsque maman sort pour faire des courses, il s’empresse de téléphoner à l’un ou l’une d’entre nous. « Avec ta mère c’est pas possible. Elle prend le téléphone… » et il nous raconte ses misères avec le téléphone. Lui aussi, il adore le téléphone. Il nous parle de ses tableaux, de ses douleurs, de ses promenades, des événements qui font sa vie au jour le jour. Et puis, il entend la clef dans la serrure alors il se dépêche de conclure et de raccrocher avant que maman ne le voie en train de téléphoner. Lorsqu’il n’a pas le temps de le faire, il dit « Tiens, il y a ta mère qui rentre. Je vais te la passer » un peu comme s’il avait fait la conversation en attendant son retour.. Elle commence par un « Bonjour ! C’est ton père qui t’a appelé ? Il profite que je suis dehors pour appeler. Il dit que sinon il ne peut par parler ». C’est toujours comme ça avec le téléphone…

Et vient le bout du chemin On est fin juillet, les blés dressent fièrement leurs épis dorés au soleil. Ils sont prêts à être fauchés. Le vent du soir fait ondoyer les collines. La chaleur a été accablante tout au long de la journée. Cet été 1995 est caniculaire et papa souffre de la chaleur. Je suis à

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La chanson des blés d’or Maubuisson où nous avons fait construire une maison de vacances. Avec Stéphanie, je finis quelques travaux d’aménagement afin d’accueillir la famille dès cet été. On est le 28 juillet, il est vingt heures, papa s’éteint après son repas du soir. Sa dernière année a été difficile, il ne pouvait plus trop se déplacer comme avant. Ses crampes dans les pieds le faisaient souffrir. Il était très dépendant et maman ne parvenait plus à gérer seule les problèmes de sa vie courante. Une maison de repos à Yerres l’a pris en charge à la fin du printemps. Il ne reviendra plus à la maison. Il repose maintenant auprès de sa sœur Hélène, de son beau-frère Maurice et de maman au cimetière de Villejuif. Maman lui a survécu cinq ans. Au cours de ces cinq années, Claude nous quittés. Ce n’est pas dans l’ordre des choses de voir mourir ses enfants. Ces années ont été pour elle très difficiles. Il y a des vides que le temps ne parvient jamais à combler.

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La chanson des blés d’or

Mes parents ont eu une vie exemplaire, une vie formidablement remplie du meilleur et du pire. Ils ont dispensé jour après jour, à ceux qui les ont côtoyés, des montagnes d’amour. J’en suis sûr, personne n’a jamais douté de leur valeur humaine. En toute simplicité, ils nous ont donné un modèle de vie, à nous leurs enfants, leurs petits enfants, leurs proches, leurs amis. Quelle chance j’ai eue d’avoir de tels parents. J’ai oublié de leur dire. J’aurais envie de le crier maintenant. C’est trop tard… Maintenant la chanson des blés dort pour toujours dans notre cœur et notre souvenir.

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La descendance est nombreuse

La vie continue… Presque tous les arrières petits-enfants d’Andrée et André. Arthur et Léonard qui manquaient sur la photo du haut.

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En juin 2011 une partie de la famille est réunie à Enghien. Il manque Stéphanie, Jochen, Arthur et Léonard qui ont manqué leur avion et Pascale, Bruno, Emma, marie et Amandine.

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Les québécois manquants… Mais c’est trop long ces photos, on veut du gâteau !

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ANNEXES I – Photo de mariage. II – Châtillon-Coligny en juillet et août 1944 par Gaston Bracquemont, curé de Châtillon. III – La Chanson des blés d’or. IV – La Belle épicière. V – La Bourrique à Thomas. VI – Photos de Châtillon. VII – Le parler de chez nous. VIII – Le Petit Journal des années 1904 et 1915. IX – Pour une généalogie des Maillot et des Salomon. X – Plaque dans le cimetière de Châtillon.

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I – PHOTO DE MARIAGE Germaine Maillot

Camille Maillot

Thérèse Maillot

Raymond Lethuillier

Thérèse Guillot

René Maillot

Simone Lethuillier

Edouard Guillot

Renée Salomon Denise Guillot Georges Salomon André Guillot

Clémence Maillot

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Robert Salomon


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II - CHATILLONCHATILLON-COLIGNY (juilletjuillet-août 1944) par Gaston Bracquemont, curé de Châtillon-Coligny Des extraits de ce texte sont parus dans le Bulletin de la Société d'Emulation N°96, 1995

Éphémérides des mois de Juillet et Août 1944 11 JUILLET

Des bruits assez vagues circulaient depuis quelques temps sur la formation de groupes de résistance, notamment dans la région du Charme et de Charny. On parlait même de jeunes gens partis rejoindre le maquis, sans donner davantage de précisions. Or le 11 Juillet vers 2h de l'après-midi, une voiture touriste et un camion, chargés de jeunes gens, armés de pistolets et de mitraillettes stoppaient dans la grande rue. Le camion se portait devant le magasin de nouveautés de M. Laurent. Les hommes pénétraient hardiment à l'intérieur et immédiatement déménageaient les marchandises. Ils arrêtaient le fils Laurent et arrachaient des mains de Mlle Laurent qui fuyait épouvantée, une valise contenant les valeurs et l'argent de la famille. De là, ils gagnaient le magasin de M. Debrie (mercier), l'arrêtaient comme collaborateur, non sans avoir vidé la caisse du magasin. Plus loin, ils arrêtaient comme espion M. Michel (marchand de chaussures). Enfin ils se rendaient chez Tissier (cordonnier) et entassaient les chaussures dans le camion chaussures d'hommes évidemment, mais aussi chaussures dames, car déclaraient-ils : "nous avons des femmes, elles leur serviront."

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La chanson des blés d’or Ils mettaient Tissier en état d'arrestation, comme collaborateur et mouchard... mais au moment de l'emmener, un incident se produisit... Une mitraillette crépite... C'est une sentinelle de garde sur le pont du Puyrault, qui a aperçu un allemand, et qui tire. Cet allemand, comme toute la population avait la garde, avec deux camarades, d'un poste d'observation sur la route de Nogent. C'était la "fine embuscade" pour ces 3 compères qui vivaient là comme des rats dans un fromage et qui s'efforçaient de passer inaperçus. Chaque jour, l'un d'eux venait aux provisions. C'est en venant au ravitaillement à Châtillon que l'homme fût surpris, blessé et achevé. Les coups de feu avaient suffi pour faire démarrer en vitesse le camion et les hommes qui étaient chez Tissier. Celui-ci fût abandonné et ne dût son salut qu'à la fuite précipitée de ses ... justiciers. Entre temps, la voiture touriste s'arrêtait rue de l'Eglise devant la grille de M. Niscard dentiste. Le chauffeur restait au volant. Un homme sonnait à la porte principale, d'autres gardaient les issues de la ruelle. Comme on ne répondait pas, 2 hommes escaladèrent la grille, pénétrèrent à l'intérieur et ramenèrent Mme Niscard qui criait et se débattait ... Finalement, ils paralysèrent la résistance de cette femme et la poussèrent dans l'auto qui démarra aussitôt. Le maquis emmenait donc 4 prisonniers dont une femme, plus le produit du pillage. Quelques jours après, une camionnette de la résistance vint de nuit embarquer le vin de M. Rahon épicier qui est le dépositaire de la maison Nicolas. Pour n'être pas reconnus certains de ces jeunes hommes, avaient mis des cagoules. La vérité nous oblige à dire que la population avait vu d'un bon œil le pillage des magasins et l'arrestation des personnes incriminées. Cependant il n'y eut pas de manifestation.

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La chanson des blés d’or Sur les 4 prisonniers, deux revinrent le 28 Juillet. Mr Debrie et Mr Robert Laurent. Ceux-ci, à leur retour, se refusèrent à faire la moindre déclaration, sans doute par peur de représailles... De Michel, on est toujours sans nouvelles. Mme Niscard à été exécutée. On a retrouvé son cadavre dans les bois de Villiers St Benoit (Yonne). Elle avait reçu deux balles dans la nuque. Le soir du 11 Juillet, après le départ de la Résistance la Gestapo vint faire une enquête et emmena le cadavre de l'Allemand tué au pont du Puyrault. On s'attendait à une réaction allemande, elle ne se produisit pas immédiatement, mais seulement 15 jours plus tard. D'ailleurs on ne perdit pas pour attendre. 29 JUILLET

Par ce clair matin de Juillet, la grande rue était pleine de promeneurs, de ménagères allant aux provisions, d'habitants des pays voisins venus à leurs affaires, quand vers 10h 1/2 deux compagnies montées allemandes, venant l'une de Saint Mauricesur-Aveyron, l'autre d'Aillant-sur-Milleron s'arrêtèrent à 2 entrées du pays. Au premier abord, personne n'y prête attention. Toutefois on remarque, non sans surprise, que près de chaque voiture, un soldat était placé prêt à tirer, et que de distance en distance on installait, en ville des postes de mitrailleuses ou de fusils mitrailleurs. Un barrage était établi au carrefour de la route de Saint Maurice et du faubourg de Montargis. Au bout de quelques minutes une Celta IV l'avant défoncé et remorquée par un camion était arrêtée à ce barrage. Le propriétaire de cette voiture, M. Eugène Brécy n'avait pas eu le moindre accident, mais ramenait son auto que la nuit précédente la résistance lui avait volée dans son garage.

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La chanson des blés d’or A 3 kilomètres de Châtillon, route de la Chapelle en face des bardeaux. Les résistants avaient abandonné la voiture qui avait dû buter puisque l'avant était déformé. Après une série d'explications, les allemands le ramenèrent chez lui pour examiner les cartes d'identité. Pendant ce temps quelques officiers allaient à la mairie protester que d'après tous les renseignements, Châtillon était sûrement un centre de la Résistance. On en était là, quand des coups éclatent. Une camionnette occupée par 11 hommes de la résistance avait forcé le barrage au carrefour du faubourg de Montargis. Les allemands avaient aussitôt ouvert le feu et poursuivaient la voiture. Un fardier qui débouchait de la place Coligny pour s'engager dans la grande rue, coupa sans le vouloir, les poursuivants de la camionnette. Sans hésiter les soldats abattirent le charretier qui fut tué. La camionnette était passée. Malheureusement pour elle il y avait des postes de distance en distance. Alertés par les premiers coups de feu, ceux ci reprirent le tir et la poursuite, si bien que devant chez M. Hamard (grainetier), la camionnette, les pneus crevés doit stopper. Sur 11 hommes, 9 sautèrent de la voiture abandonnant à l'intérieur, 1 tué et 1 blessé. De ces 9 hommes, 4 arrivaient Place Becquerel où ils se heurtèrent à la colonne allemande arrêtée à l'entrée de la route d'Aillant. Les autres se dispersèrent dans les petites rues et les maisons, puis filèrent par une rivière souterraine qui passe sous le quartier. Un moment les allemands qui avaient vu les français courir en direction de la place Becquerel crurent que ceux-ci avaient reçu un refuge à l'Hôtel du Cheval Blanc. Immédiatement, ils attaquèrent l'hôtel au fusil, à la grenade, à la mitrailleuse. Les voyageurs et le personnel affolés, fuyaient, se planquaient, croyaient leur dernière heure arrivée. Après cet assaut l'hôtel fut visité de la cave au grenier. On n'y découvrit que les domestiques et les gens paisibles.

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La chanson des blés d’or Les allemands qui avaient fait le compte des terroristes disparus, ne tardèrent à s'apercevoir qu'il fallait chercher autre part qu'au Cheval Blanc. L'un d'eux, en visitant la cave d'une maison (pharmacie L'homme) avait découvert la rivière souterraine plus 2 paires de chaussures et 2 mitraillettes. Le point d'évasion était trouvé. Immédiatement, les soldats firent évacuer toutes les maisons du quartier, laissant la liberté aux femmes et aux enfants mais retenant les hommes et les jeunes gens. Le Curé qui s'était trouvé pris à l'improviste dans l'attaque du Cheval Blanc et qui s'était réfugié dans la boulangerie fut arrêté un des premiers et conduit place du Cheval Rouge auprès du lavoir. Bientôt 150 hommes vinrent le rejoindre. C'est là près du lavoir que les allemands amenèrent 2 terroristes "faits prisonniers". Devant tout le monde, ils les rouèrent de coups. Ils avaient même trouvé, un supplice tout à fait inédit. Ils les obligeaient à prendre un arbre par les bras et par les pieds comme pour grimper et chaque fois que l'homme fatigué essayait de toucher terre, ils le forçaient à coups de pied à reprendre sa position. Au bout d'une heure, vers midi, on fit mettre les 150 hommes en file, puis les bras levés on les ramena place du Cheval Blanc pour les interroger. Le Curé en fût excepté. L'officier allemand lui fit dire par l'interprète d'aller chercher les Docteurs civils et de s'occuper des morts et des blessés, sauf ceux de la résistance. Aussi passa-t-il la soirée accompagné du Docteur Jaupitre, de M. L'homme pharmacien et de M. Valère préparateur en pharmacie à visiter les divers blessés. Vers 2 heures les allemands le rappelèrent " Venez " dit un sousofficier. Il y a sur la place une camionnette. Dedans se trouvent deux terroristes. L'un est tué ... l'autre blessé mais (il fit le geste de fusiller) ... Kaput ... Tous les Français sont catholiques ... vous êtes le Pasteur. Faites le nécessaire ! Le Curé grimpa dans la camionnette. 2 hommes étaient en effet étendus sur le ventre gisant dans le sang, à même le parquet. Ils semblaient morts tous les deux. L'un était tué, l'autre avait une balle dans le poumon et paraissait épuisé. Le prêtre s'agenouilla près de lui et lui parla.

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La chanson des blés d’or - Dis moi ... mon petit gars, n'aies pas peur, je suis le Curé de Châtillon. - Oui Mr le Curé. - D'où es-tu ? - De Rogny. - Comment t'appelles-tu ? - "Remondeau" - As tu été baptisé ? fait ta 1e Communion. - Oui. Le jeune homme prenant soudain conscience de la gravité de sa situation fit un effort pour se redresser et dire : "Mon père, faites tout ce que vous voudrez". Ce jeune homme eût la chance d'être oublié dans la voiture. Le soir à 10h on le transporta à l'hospice d'où il fut dirigé le lendemain sur l'hôpital de Montargis. Dans la soirée un nouvel incident. Un jeune réfractaire Roger Bongard, camouflé dans une ferme des environs avait entendu la fusillade qui sévissait sur Châtillon. Inquiet sur le sort de sa femme et de ses parents, il s'était faufilé jusqu'à leur maison qui se trouve à Prenant, sur la route d'Aillant. Le calme semblait revenu... Aussi comment tait-il la situation avec des voisins sur le pas de sa porte, quand plusieurs voitures allemandes débouchèrent. Pris de peur, il se sauve dans les champs mais les allemands l'ont vu. Ils tirent et l'abattent. Il n'est que blessé ... on vient chercher le Docteur qui part avec le Curé. La victime a deux blessures dont l'une grave. Le Docteur craint une hémorragie. Il faudrait que le blessé soit transporté à Montargis. Les Allemands ont déjà refusé l'évacuation des blessés. Tant pis ! On va revenir à la charge ! De retour à Châtillon on se rend sur la place du Cheval Blanc où le Commandant allemand se

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La chanson des blés d’or tient en permanence. "Mon Commandant" dit le Curé un homme vient d'être blessé gravement. Le Docteur ici présent, déclare une intervention chirurgicale très urgente "Cette intervention n'est possible qu'à Montargis. Veuillez avoir l'obligeance de nous donner un laissez-passer." "Ah ! non" répond le Commandant avec fureur. "Châtillon est un centre de terrorisme. Personne n'en doit sortir. Si vous tentez de partir en auto on tirera sur vous, sans avis préalable. Même si vous usez d'une auto de la Croix-rouge." Malgré de nouvelles supplications le Commandant reste inflexible. Sur ces entrefaites on apprend qu'à l'hôtel du Cheval Blanc 2 membres de la Gestapo en civil venus de Montargis interrogent et vérifient les identités des hommes arrêtés dans la matinée. Ces policiers sont peut-être plus humains ou bien ont-ils plus de pouvoir que les militaires ? Le Docteur et le Curé entrent à l'hôtel et frappent à la porte du salon ou se tiennent ces Messieurs. Le Curé reprend les explications ... Pas de réponse. Le Docteur prend à son tour la parole, mais dès le début de son discours, il est interrompu brusquement. - L'homme dont vous parlez a été blessé dans un champ ? - Oui Monsieur. - Il se sauvait n'est-ce pas ? - Je l'ignore répond le médecin. - Eh bien Monsieur ... c'est bon en voilà assez n'insistez pas. Tous ces refus ne présageaient rien de bon. L'interprète avait déjà dit plusieurs fois au Curé: "Grand malheur Monsieur pour votre petit pays." et voilà qu'on apprend qu'il était question de brûler le pays ou tout au moins l'Hôtel du Cheval Blanc en représailles parce que Châtillon était un centre de résistance et que les habitants avaient favorisé la fuite des terroristes... Quelqu'un se

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La chanson des blés d’or révéla alors à la hauteur de la situation devenue tragique. Ce fut Monsieur Roy, secrétaire de mairie. Il s'attacha aux Allemands, les suivit, les poursuivit, plaida, discuta, intercéda. Il fit tant et si bien qu'il obtint que pour se racheter Châtillon fournit une amende alimentaire transformée en rançon. Il était huit heures du soir. Les allemands exigeaient immédiatement : 1000 oeufs, 150 litres de lait, 20 kg de beurre, 20 livres de porc, tout le tabac des débitants. La population consciente du danger imminent s'exécuta sur le champ. Le tambour de ville n'avait pas fini la tournée que de toutes parts, on voyait se hâter vers la place Becquerel, les femmes, les enfants apportant dans des paniers des pots des sacs, le prix de la rançon. On vit de petites vieilles s'empresser à donner le quart de beurre qu'elles réservaient pour leur mois, ou le peu de lait qui devait faire leur déjeuner du lendemain. En moins d'une demi-heure, le taux de la rançon était largement dépassé ... à la grande satisfaction des allemands qui, dans cette triste affaire y gagnèrent un bon et solide repas. Châtillon était sauvé, mais avait à déplorer 4 morts et 6 blessés : 2 morts de la résistance 2 morts civils " Fernand Moret " (fardier) Madame Eliane Darchy Veuve Brossard (tuée en ouvrant sa fenêtre). 2 blessés de la résistance 4 blessés civils : M. Picard de La Chapelle-sur-Aveyron Mme Léaux bonne à la ville Bon accueil M. Bongard Pierre Perrier (6 ans). En vérité, on peut remercier Dieu qu'il n'y ait pas eu plus de victimes.

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La chanson des blés d’or Dans l'après-midi de cette journée, plusieurs voitures allemandes, se rendirent au Charme brûlèrent la ferme des Parts, en bordure de l'Yonne et tuèrent 9 hommes de la résistance. 19 AOUT

Vers 2 heures de l'après-midi, on entend des coups de feu. On a la sensation qu'on tire dans Châtillon ... C'est tout simplement une rencontre, au carrefour des routes de Rogny, d'Adon et du chemin des Toques entre un petit détachement allemand et des gars de la Résistance. Bilan : 2 morts et 10 prisonniers allemands. 21 AOUT

3 gars de la Résistance dont 2 de Montbouy sont fusillés à Pressigny. Ce sont : Daveau du hameau de la Borde-Montbouy Ligier au bourg Montbouy Beaulande Sainte-Geneviève. 22 AOUT

Vers 7h 1/4 du soir, la mitrailleuse se fait entendre du côté du faubourg St-Lazare. Un camion allemand remontant le faubourg se heurte à une reconnaissance américaine. Le détachement américain composé de quelques autos blindées ouvre le feu, tue les 2 conducteurs et brûle le camion. D'autres allemands venant par le pont du Puyrault, traversaient Châtillon à l'opposé de St Lazare et allaient prendre position sur la route d'Aillant et derrière les murs du Parc. Une batterie antichar installée sur le chemin des Cacodeaux prend sous son feu, les américains qui occupent Saint-Lazare et un autre détachement qui se défile entre la route de Nogent et Ste

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La chanson des blés d’or Geneviève. Les deux adversaires tirent par dessus la vallée mais Châtillon prend tous les coups courts. L'Eglise qui domine reçoit 7 obus antichars allemands. Dieu merci ! Ces obus ne mettent pas le feu. Il n'en est pas de même aux fermes du Bréau et de la "Grange rouge" où de graves incendies se déclarent. Les Américains, après cette petite échauffourée font demi-tour et les Allemands se réinstallent à Châtillon.

23 AOUT

Dès le matin, les Américains se présentent devant Châtillon. La fusillade recommence (on entend tirer dans toutes les directions). A neuf heures les Allemands font donner l'ordre aux habitants par le tambour de ville "de rentrer immédiatement dans leurs maisons et de fermer toutes les portes et fenêtres car on tirera sur quiconque se montrera dans la rue". Une minute après, on ne voyait plus dehors âme qui vive sauf les patrouilles qui circulent un peu partout. Le canon gronde autour de la ville. Vers 1 heure sans avertissement, les allemands se retirent en direction d'Aillant... et vers 2h 1/2 les premiers blindés américains franchissent le pont du Puyrault. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre ... Les habitants qui n'osaient sortir, se répandent dehors. Les rues vides et mortes, un instant auparavant, s'emplissent d'une foule joyeuse qui fête les Américains et clament à tous les échos de la libération. Les américains sont à Châtillon, mais les allemands résistent encore autour de la ville. Les combats continuent... C'est dans cette soirée, qu'un habitant de Châtillon nommé Coute voulut faire prisonnier 3 allemands qu'il apercevait sur la route de Rogny... Il s'avança vers eux armé d'un pistolet ... mais avant de les atteindre, un des allemands avait tiré et tué ce patriote imprudent ! Ce même jour vers 5h du soir un convoi allemand qui descendait de Chateaurenard fût surpris et arrêté à la Chapelle sur Aveyron par quelques blindés américains... Ces allemands qui appartenaient à des services d'arrière, se repliaient de Montargis. Ils étaient peu armés. Aussi

225


La chanson des blés d’or furent-ils décimés. Ils abandonnèrent 10 morts... un grand nombre de leurs voitures brûlées, brisées inutilisables restèrent sur le terrain. Le lendemain, on pouvait voir les traces du combat et des destructions sur plus d'un Kilomètre de long... Beaucoup de chevaux abandonnés furent récupérés sans bruit, par nos cultivateurs. Le village n’eut pas beaucoup à souffrir. Cependant la grange et toutes les récoltes de M. Dewilae qui habite les Moltemps furent incendiées et détruites. Un orage extrêmement violent sauva le reste du convoi en mettant fin au combat. Les Américains se retirèrent. Les Allemands en profitèrent pour traverser la Chapelle et s’engager vers Saint-Maurice et Aillant. Dans cette échauffourée la population perdit 1 tué M. Fromont qui travaillait à la batteuse, 1 blessé M. Ernest Fourgeux des Paillasses. 24 AOUT

Les allemands en retraite ont traversé la ville toute la nuit. Au matin les Américains reviennent. Ils installent leurs blindés place Becquerel face à toutes les directions. On entend la mitrailleuse et des coups de feu ; car les allemands, qui n’ont pour traverser le Canal que le pont de Châtillon. (La résistance a fait sauter les ponts de Dammarie et de Rogny) cherchent constamment à forcer le passage mais vainement. Vers midi, 3 voitures de la Gestapo débouchent en trombe de la route d’Aillant ... Ces messieurs sont envoyés en éclaireurs. Le gros du détachement attend aux Sablons. Ils viennent pour faire un exemple à Châtillon centre de la résistance, qui s’oppose au passage de leurs troupes venant de la Loire. Ils doivent prendre des otages ... On a plus tard retrouvé les ordres dont ils étaient porteurs. Heureusement une mitrailleuse américaine prend les policiers sous son feu. 5 sont blessés dont le chef. La population voudrait qu’on les achève, mais les américains s’y opposent et les transportent à l’Hospice ou le major leur donne des soins. Le chef allemand a reçu une partie de bande de mitrailleuse dans le coté. Le major lui pratique la transfusion du sang. Il s’inquiète même de sa religion et comme il apprend que le blessé est Catholique, il

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La chanson des blés d’or envoie chercher le Curé. Celui ci arrive aussitôt, et administre les derniers sacrements à ce blessé qui était de Nuremberg, marié et père de deux enfants. Il mourut dans la soirée. LES EXECUTIONS D’AILLANT

Ce même jour 24 Août il devait se passer à Aillant des scènes pénibles. Les allemands s’étaient fixés dans 2 fermes de cette commune Colandon et les Gaujards pour attendre et défendre leurs retardataires qui venaient de Châtillon. A Colandon, il y eut combat entre américains et allemands. Ceux-ci abandonnèrent la ferme avec les morts. Un domestique de la ferme, M. Jobert de Châtillon fût tué une autre domestique blessé. L’incident le plus grave se produit à Aillant. La ferme des Gaujards située à 500 m du bourg était occupée par les allemands. Ceux-ci se gardaient par des sentinelles. Or, dans la journée, une voiture de la résistance, portant au capot le drapeau français s’arrêtait à l’extrémité du pays, face aux Gaujards. La maîtresse d’école vint rejoindre l’auto et montra aux occupants la ferme ou se trouvait l’ennemi. L’auto tira quelques rafales et se retira. Aussitôt les Allemands furieux se précipitent sur Aillant, mettent le feu à la mairie et à l’école qui furent complètement détruites. L’institutrice ne dut son salut qu’à la fuite et surtout au fait d’avoir échangé chez un voisin sa blouse blanche, trop reconnaissable pour des vêtements quelconques. Les soldats se répandent dans le pays et brûlent encore 3 maisons ... puis ils se mettent en quête de trouver le maire et le Curé. Le maire était dans le pays, aidant courageusement à combattre les incendies, mais à Aillant, il n’y a que des bons français, personne ne le dénonça car tout le monde avait compris ce que l’ennemi voulait faire. Quand au Curé, comme il réside à Dammarie / Loing, les allemands n’osèrent pas s’aventurer jusque là. Alors pour se venger, ils saisirent 2 hommes au hasard qu’ils prirent chez eux en train de travailler. M. Leclerc sabotier ancien maire, M. Bizot grand blessé de guerre, retiré à Aillant. Malgré leurs protestations d’innocence, les victimes furent poussées sur la route du cimetière et fusillées au pied d’un arbre en bordure de la ferme du petit moulin.

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La chanson des blés d’or Défense fut faite d’enlever les corps avant 24 heures. Puis les allemands fouillèrent toutes les maisons du bourg, en firent sortir les habitants terrorisés qu’ils entassèrent à l’église. Beaucoup croyaient leur dernière heure arrivée car on n’ignorait pas que des civils enfermés dans les églises, y avaient été brûlés. Les soldats se contentèrent seulement de se régaler avec les provisions des ménagères et de coucher dans de bons lits. Néanmoins quand le lendemain matin, un sous officier, vint avec son plus joli sourire, affirmer aux prisonniers qu’ils étaient libres, ceux-ci n’en croyaient pas leurs oreilles. Ce fût une vraie délivrance ! Entre temps, les allemands avaient encore fusillé à la ferme des Gaujards, 2 puisatiers M. Marcus et M. François Valery de la Chapelle. Ces hommes avaient été trouvés, porteurs de tracts étrangers. LA LIBERATION

Quel soulagement quand le vendredi 25 Août on apprit que les allemands s’étaient retirés au-delà du Charme, dans la direction de Champignelle et qu’on vit les Américains s’installer à Châtillon. Sans doute, on entendait encore des coups de feu. Il y avait des allemands réfugiés dans les bois et même dans les maisons. M. Emile Imbert de St Lazare en cueillit 9 dans sa grange mais la plupart n’avait qu’un désir : "se rendre". Les Châtillonnais que l’inquiétude avait rongés pendant plusieurs jours, dans leur foi débordante sortaient déjà des drapeaux. Certains voulaient sonner les cloches. Judicieusement la mairie s’opposa à toute manifestation prématurée, déclarant qu’elle se réservait d’indiquer le jour et l’heure où l’on pourrait pavoiser sans danger. Le lendemain à 9h le drapeau français était hissé à l’Hôtel de ville et au clocher. En un instant les fenêtres se fleurirent comme par enchantement des couleurs françaises et alliées.

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La chanson des blés d’or 26 AOUT

De 9h à midi et demie, des équipes de jeunes gens se relayèrent pour sonner les cloches à toute volée. Ce samedi 26 Août fût spontanément et d’un commun accord, jour férié. Tous étaient descendus dans les rues. On s’abordait le sourire aux lèvres, on s’interpellait, on rappelait les derniers événements, on riait, on laissait éclater sa joie. On était tout au bonheur de la "Libération". Enfin c’était vrai on était délivré d’un cauchemar de quatre années ! 27 AOUT

Le 27 Août était un dimanche. La veille, tous les français sans distinction d’opinion ou de croyance avaient fêté la Délivrance officielle. Aujourd’hui, les chrétiens entendaient remercier le Ciel pour leur compte personnel. Sans qu’on eût lancé d’invitations, l’Église à 8h se trouva remplie pour la messe de Communion et à 10h 1/2 pour la Grand Messe. Au prône le Curé tira la leçon des événements, exalta la grandeur de la France qui ne doit pas périr, et invita ses paroissiens à s’unir à lui dans le chant du "De Profundis" pour les victimes de la région et dans un fervent Magnificat de Reconnaissance et d’Action de grâces. Les fidèles y mirent tout leur coeur ainsi que dans le cantique "Catholiques et français... toujours !" Comme entrée M. Maurice Raby organiste avait exécuté l’hymne anglais. A l’offertoire, il joua l’hymne américain et pour la sortie, il se lança dans une entraînante "Marseillaise" que les assistants eussent volontiers chanté à pleine voix, n’eut été la Sainteté du lieu. Châtillon était sauvé ! Joyeux prélude de la Libération prochaine et définitive de la France tout entière !

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La chanson des blés d’or

III- LA CHANSON DES BLES D’OR Camille Soubise et L. Le Maître (paroles) et Frédéric Doria (musique) créée par Marius Richard en 1882

Mignonne, quand la lune éclaire La plaine aux bruits mélodieux, Lorsque l´étoile du mystère Revient sourire aux amoureux, As-tu parfois sur la colline, Parmi les souffles caressants, Entendu la chanson divine Que chantent les blés frémissants? Mignonne, quand le soir descendra sur la terre, Et que le rossignol viendra chanter encore, Quand le vent soufflera sur la verte bruyère, Nous irons écouter la chanson des blés d´or! Nous irons écouter la chanson des blés d´or! As-tu parfois sous la ramure, A l´heure où chantent les épis, Ecouté leur joyeux murmure Au bord des vallons assoupis? Connais-tu cette voix profonde, Qui revient, au déclin du jour, Chanter parmi la moisson blonde Des refrains palpitants d´amour? Mignonne, quand le soir descendra sur la terre, Et que le rossignol viendra chanter encore, Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,

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Nous irons écouter la chanson des blés d´or! Nous irons écouter la chanson des blés d´or! Mignonne, allons à la nuit close Rêver aux chansons du printemps Pendant que des parfums de rose Viendront embaumer nos vingt ans! Aimons sous les rameaux superbes, Car la nature aura toujours Du soleil pour dorer les gerbes Et des roses pour nos amours! Mignonne, quand le soir descendra sur la terre, Et que le rossignol viendra chanter encore, Quand le vent soufflera sur la verte bruyère, Nous irons écouter la chanson des blés d´or! Nous irons écouter la chanson des blés d´or!

QUELQUES VERSIONS DE CETTE CHANSON

Par Georgetty en 1931 http://www.youtube.com/watch?v=51zmWn88lBo Par André Dassary http://www.youtube.com/watch?v=gqoP4hu8k3U Par Armand Mestral http://www.youtube.com/watch?v=eJYWaZNc7Lo Par Jack Lantier http://www.youtube.com/watch?v=SVvzIQSe0X8

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La chanson des blés d’or

IV- LA BELLE EPICIERE La belle épicière (Pierre Decourcelle, Henri Kéroul), Operette, 1895 ???

http://lafeuilleamta.fr/2012/03/02/la-belle-epiciere/ -----------------------------------------------------------------------------------

V- LA BOURRIQUE A THOMAS

http://www.youtube.com/watch?v=iw08YbG54_g -----------------------------------------------------------------------------------

VI- PHOTOS DE CHATILLON http://gatinais.histoire.pagesperso-orange.fr/images_chatilloncoligny.htm http://gatinais.histoire.pagespersoorange.fr/image_communion_chatilloncoligny.htm

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VII- LE PARLER DE CHEZ NOUS http://gatinais.histoire.pagesperso-orange.fr/index.htm

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VII VIII- LE PETIT JOURNAL 1904 - 1915 http://cent.ans.free.fr/menu1904.htm http://cent.ans.free.fr/menu1915.htm

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IX- POUR UNE GÉNÉ GÉNÉALOGIE ÉNÉALOGIE DES MAILLOT http://genealabry.voila.net/idxm0.htm Détail de ce que l’on trouve sur ce site : MAILLOT, Aimée Augustine (10 février 1870 Blancafort, 18410 - 20 avril 1925 Blancafort, 18410) MAILLOT, Alexandre Isidore (février 1827, Blancafort, 18 - 06 mars 1827 , Blancafort, 18) MAILLOT, Anne ( - ) MAILLOT, Anne (vers 1755 Belleville sur Loire, 18240 - entre 1801 et 1816 Belleville sur Loire, 18240) MAILLOT, Anne ( - ) MAILLOT, Anne (vers 1734 - 03 février 1809 Aubigny Ville, 18700) MAILLOT, Anne Thérèse (25 février 1803 , Blancafort, 18 - ) MAILLOT, Barthélémy ( - ) MAILLOT, Catherine ( - ) MAILLOT, Claude (vers 1714 - 15 janvier 1764 Beaulieu sur Loire, 45630) MAILLOT, Célestine Eléonore (08 juillet 1843 Concressault, 18260 - 17 novembre 1893 Oizon, 18700) MAILLOT, Estienne ( - ) MAILLOT, Etienne ( - ) MAILLOT, François (vers 1787 - 18 mars 1815 Vailly sur Sauldre, 18260) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François (vers 1791 - 17 décembre 1839 Argent sur Sauldre, 18140) MAILLOT, François (15 octobre 1814 Vailly sur Sauldre, 18260 - 28 janvier 1871 Concressault, 18260) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François ( - après 1732) MAILLOT, François (vers 1725 - entre 1784 et 1790 Blancafort, 18410) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François ( - ) MAILLOT, François (Maillau) (Barlieu, 18260 - ) MAILLOT, François l'Ainé (21 novembre 1760 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, François Philippe (12 mai 1817 Coullons, 45720 - ) MAILLOT, Françoise (14 avril 1756 Blancafort, 18410 - 09 août 1815 Blancafort, 18410) MAILLOT, Geneviève (24 février 1743 Aubigny, 18700 - 18 août 1829 Aubigny Ville, 18700)

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La chanson des blés d’or MAILLOT, Henri Frédéric (09 mars 1855 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, Henry ( - ) MAILLOT, Jacquette ( - ) MAILLOT, Jean ( - ) MAILLOT, Jean ( - ) MAILLOT, Jean ( - après 1804) MAILLOT, Jean Baptiste (vers 1790 Blancafort, 18410 - 15 mars 1826 Blancafort, 18410) MAILLOT, Jean Baptiste (vers 1763 - après 1814 , Blancafort, 18) MAILLOT, Jean Frédéric (vers 1831 - ) MAILLOT, Jeanne ( - ) MAILLOT, Jeanne ( - ) MAILLOT, Jeanne ( - 18 juin 1807) MAILLOT, Joseph ( - ) MAILLOT, Joseph (1792 - 06 avril 1829 , Blancafort, 18) MAILLOT, Joseph (1770 Blancafort, 18410 - 30 novembre 1829 Coullons, 45720) MAILLOT, Joseph Victor (1816 , Blancafort, 18410 - 4 avril 1829 , Blancafort) MAILLOT, Justin Victor (19 septembre 1854 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, Justine Antoinette (01 avril 1819 Coullons, 45720 - 14 avril 1890 Argent sur Sauldre, 18140) MAILLOT, Louis Alphonse (19 mai 1853 Cernoy en Berry, 45360 - ) MAILLOT, Louyse ( - ) MAILLOT, Madeleine Marguerite (15 janvier 1786 Aubigny, 18700 - ) MAILLOT, Marguerite (29 novembre 1814 Ennordres, 18380 - ) MAILLOT, Marguerite ( - 28 septembre 1834 Cernoy en Berry, 45360) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie (vers 1699 - 26 février 1725 Pierrefitte es Bois, 45360) MAILLOT, Marie ( - 31 mars 1884 Cernoy en Berry, 45360) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie ( - 18 mars 1785 Barlieu, 18260) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie ( - 1879 Cernoy en Berry, 45360) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie ( - ) MAILLOT, Marie (vers 1762 - 23 avril 1812 Cernoy en Berry, 45360) MAILLOT, Marie Anne ( - 01 janvier 1806 Cernoy en Berry, 45360) MAILLOT, Marie Blanche ( - 17 octobre 1893 Barlieu, 18260) MAILLOT, Marie Epérance ( - ) MAILLOT, Marie Jeanne ( - ) MAILLOT, Marie Louise (25 août 1856 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, Marie Madeleine (25 septembre 1815 , Blancafort, 18 - 19 décembre 1882 , Argent sur Sauldre, 18) MAILLOT, Marie Madeleine (26 avril 1823 Coullons, 45720 - )

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MAILLOT, Marie Sévère ( - après 1873) MAILLOT, Martin (vers 1712 - 17 janvier 1786 Aubigny, 18700) MAILLOT, Nicolas (vers 1753 - 19 septembre 1812 Aubigny Ville, 18700) MAILLOT, Paul Alexandre (31 mai 1884 Poilly lez Gien, 45500 - 04 septembre 1962 Poilly lez Gien, 45500) MAILLOT, Pierre (1799 - après 1852) MAILLOT, Pierre (1765 Blancafort, 18410 - 23 novembre 1830 Blancafort, 18410) MAILLOT, Pierre (28 avril 1796 domaine de l'étang, Blancafort, 18 - 22 novembre 1848 , Vailly sur Sauldre, 18) MAILLOT, Pierre (28 septembre 1822 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, Pierre Augustin (20 mai 1853 Blancafort, 18410 - ) MAILLOT, Pélagie Rose ( - ) MAILLOT, Rosalie Léonide (25 janvier 1823 Cernoy en Berry, 45360 - 23 novembre 1897 Poilly lez Gien, 45500) MAILLOT, Rose Pauline (21 octobre 1824 - ) MAILLOT, Silvain ( - ) MAILLOT, Solange (vers 1767 - ) MAILLOT, Sydonie (07 octobre 1839 Concressault, 18260 - ) MAILLOT, Thérèse Pauline Sidonie (17 juillet 1824, Blancafort, 18 - 12 décembre 1882 , Argent sur Sauldre, 18) MAILLOT, Ursin René (12 novembre 1819 Coullons, 45720 - ) MAILLOT, Victoire Julie (07 février 1833 Argent sur Sauldre, 18140 - ) MAILLOT, Véronique (28 septembre 1822, Blancafort, - 07 janvier 1823, Blancafort, 18)

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La chanson des blés d’or

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Marcelle HASBROUCQ

Arbre généalogique

MAILLOT

Agnès HASBROUCQ Michelle HASBROUCQ Marthe HASBROUCQ

Alice MAILLOT Joseph HASBROUCQ

Agnès (DCD) HASBROUCQ Louis HASBROUCQ Gérard HASBROUCQ Pierre HASBROUCQ

Irené MAILLOT 16-12-1870 + 4-10-1948

Solange HASBROUCQ Hélène MAILLOT

Clémence ANDRÉ 23-11-1876 + 25-03-1939

Maurice LACAS

Suzanne LACAS R. CHATELAIN

René MAILLOT

Thérèse MAILLOT

Thérèse

J-Luc CHATELAIN

? DACIER

Camille MAILLOT

Roland MAILLOT

Germaine VAYSSADE

Andrée FOUQUET

Yves MAILLOT Sandrine MAILLOT

J-Claude MAILLOT André MAILLOT Claude MAILLOT

Andrée SALOMON

Pascale MAILLOT

Jacqueline GUILLOU

Philippe MAILLOT Christian MAILLOT Hélène SAGNES

Stéphanie MAILLOT

Rémy MAILLOT J-Paul MAILLOT Myra SAROPHIN

Robert MAILLOT

Alain MAILLOT

Simone MOULIN

Bernard MAILLOT

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Charlotte MAILLOT

Chantal MUNIER

Clément MAILLOT


La chanson des blés d’or Arbre généalogique

SALOMON

Anna FERNANDEZ

Georges SALOMON Marie FERNANDEZ

Marie-José FERNANDEZ Dominique FERNANDEZ

Jacqueline LETHUILLIER

Michel Anna DEMOLON

Simone SALOMON Raymond LETHUILLIER

Bernard LETHUILLIER

Solange Raymonde LETHUILLIER

Roland MAILLOT Georges SALOMON

J-Claude MAILLOT Andrée SALOMON André MAILLOT Claude MAILLOT

Christian MAILLOT

Alain SALOMON Robert SALOMON Paule POISSON

Françoise SALOMON

Renée ??? Joëlle SALOMON

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Ancêtres MAILLOT Pierre MAILLOT 28-04-1796 + 22-11-1848

Rosalie MERCIER

Pierre-Clair MAILLOT 12-08-1840 + 1900

Jeanne MAILLOT

Ses six enfants

Clair MAILLOT

Léontine MAILLOT

Nini MAILLOT

Ancêtres SALOMON

Victorine MAILLOT

Irené MAILLOT 16-12-1870 + 4-10-1948

Gilbert SALOMON 1757 +

Christophe SALOMON 1789 + Cusset

Jean-Baptiste SALOMON 13-02-1814 + Cusset

Claude SALOMON 13-02-1845 + Cusset

Georges Gabriel SALOMON 239 03-02-1889 + 1970


La chanson des blés d’or

X – DANS LE CIME CIMETIERE METIERE DE CHA CHATILLONTILLON-COLIGNY

Plaque se trouvant près de l’entrée du cimetière de Châtillon-Coligny.

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La chanson des blés d’or NOTES 1

Le Laboureur et ses enfants

Travaillez, prenez de la peine. C’est le fonds qui manque le moins. Un riche Laboureur sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l’héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l’endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu’on aura fait l’Août. Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, par tout ; si bien qu’au bout de l’an Il en rapporta davantage. D’argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort, Que le travail est un trésor. Jean de La Fontaine 2

Le pont de Gien est bombardé le 15 juin 1940 par la Luftwaffe, afin de couper la retraite de l'armée française. Ce bombardement entraîne un gigantesque incendie qui ravage les vieux quartiers au pied du château. Le pont saute finalement le 16 juin 1940. Gien n’est plus qu’un amas de cendres, de maisons détruites, 422 immeubles ont été totalement détruits et 921 partiellement. Le centre-ville a brûlé pendant 3 jours et 3 nuits. Les églises Saint-Pierre et Saint-Louis sont détruites, mais le Château est épargné par un orage providentiel. Dès 1941, les giennois pensaient à la lourde tache de reconstruction. Un architecte urbaniste, Laborie, est mandaté par le Régime de Vichy pour dresser les plans de la reconstruction selon un style régionaliste.

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3

Soudain, le 10 mai 1940, le front est percé à Sedan : l'invasion commence. Les habitants s'inquiètent à cause des premiers bombardements (à Pressigny-les-pins et à Bricy). L'arrivée des réfugiés, notamment des Ardennes, annonce la défaite qui est proche. Deux à trois mille d'entre eux s'abritent dans le stade et les sous-sols du vélodrome à Montargis. Les Allemands avancent sur Dunkerque, sur la Somme, puis sur la Seine. La peur de l'ennemi provoque un affolement général. Vers le 12 juin, le flot de réfugiés grossit : les fuyards du Nord et de l'Est sont rejoints par des milliers de parisiens. C'est entre Sens, Pithiviers et la Loire que la débâcle atteint son paroxisme. Beaucoup essayent en vain de prendre un train, certains surchargent leur automobile de matelas et de linge, d'autres partent à vélo ou à pied en tirant une remorque. Quelques uns voyagent même en charrette, tirée par des chevaux. Les rues sont encombrées sur des kilomètres, surtout aux entrées de Montargis, Gien, Sully, Orléans... Malheureusement, même dans une situation aussi dramatique, certains profitent de la panique pour aller piller les maisons, les magasins abandonnés. Il ne s'agit pas de réfugiés profitant d'une maison pour s'abriter une nuit ou se nourrir un peu, mais de voleurs s'emparant de bijoux ou d'argent. Au sein des troupes françaises, c'est la débandade mais au milieu de cette cohue, quelques soldats, surtout des Africains, tiennent quelques heures défendant les derniers ponts de la Loire. Hélas, sur ces routes de l'exode, l'affolement provoquant des accidents, et la fatigue engendrent la mort de nombreuses personnes. Mais ce sont surtout les bombardements d'avions italiens (d'après la rumeur) ou allemands qui créent le plus de victimes : ils frappent du 14 au 19 juin, de Gien jusqu'à Orléans Une jeune femme montargoise est tuée en allant chercher du lait pour ses enfants. De cette bataille, résulte la destruction de tous les ponts de la Loire, sauf ceux de Beaugency et de Vierzon, ce qui rendra le ravitaillement difficile. 4

A la suite d'un attentat en Haute Savoie, le 2 septembre 1940, un premier système de garde des voies ferrées est mis en place dans ce secteur. Mais les forces armées utilisées à ces fins se révèlent peu capables et, le 26 octobre, le Secrétaire d'Etat à la guerre propose la 243


La chanson des blés d’or création de "forces de police spécialement adaptées à la garde des ouvrages d'art et à la protection des transports". La S.N.C.F. donne son accord et, le 23 janvier 1941, est signée la loi portant création d'un service de gardes-voies de communication, accompagnée d'un décret portant organisation du service. La S.N.C.F. émet, le 26 mai, un avis général au personnel au sujet de cette organisation. Les gardes-voies sont déployés en Zone Libre à partir de juin. La loi du 4 août donne aux gardes, qui deviennent assermentés, diverses prérogatives. Le 15 septembre la Société Nationale diffuse une instruction générale régissant les rapports entre le corps des gardes voies et ses propres services. La loi du 28 octobre ouvre la Zone Occupée à la surveillance des gardes voies. Le 28 mars 1942, les forces des gardes-voies sont placées sous la direction du ministère de l'Intérieur. Régulièrement, la garde des emprises de la S.N.C.F. par les gardes-voies est remise en cause. Beaucoup souhaiteraient que la Société Nationale assure elle même cette tâche. Mais ses dirigeants s'y refuseront toujours, d'une part parce que cette surveillance dépend des autorités et non de la société elle même, et d'autre part parce que la surveillance d'installations ferroviaires par des agents actifs ou retraités ne semble pas réaliste, en raison même de l'appartenance de ces agents à la même entreprise que les saboteurs potentiels. Notons également que les hommes appartenant au service des gardes-voies sont peu appréciés de la population et des cheminots. Souvent assimilés à des "collaborateurs", ils y rencontrent parfois même une franche hostilité. Source: http://rail-en-vaucluse.blog4ever.com/ 5

En 1941, avec les réquisitions opérées par les autorités allemandes et l’arrêt des échanges commerciaux, la France connaît une période de pénurie. Trouver de la nourriture est la principale préoccupation de nombreux Français. Le gouvernement mis en place le système des tickets de rationnement, qui étaient obtenus à la mairie.

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Carte de rationnement Dès la fin de l’année, tous les biens de consommation ne peuvent être acquis qu’en échange de ces tickets, attribués aux citoyens en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent (de E, les nouveaux-nés, à V, les vieillards, sans oublier les jeunes, J, ni les adultes, A…). Avec ces tickets, on pouvait échanger essentiellement du pain et des matières grasses. La viande était une denrée rarement accessible. Avec les réquisitions, certains aliments viennent à manquer. C’est ainsi que le sucre ou le café sont remplacés par des produits moins chers et plus courants. Avec la flambée des prix et la demande de plus en plus importante, le marché noir s’est vite organisé. Ce marché disparaît dès la reprise de la production des biens de consommation courante et la levée des restrictions gouvernementales. Pour continuer à se nourrir, des légumes presque oubliés sont revenus dans les assiettes à l’image des rutabagas (aussi appelés chou-navet) ou des topinambours (les artichauts de Jérusalem). Ces aliments sont maintenant souvent associés à cette guerre et souffrent d’une mauvaise image. Les plus jeunes ne les connaissent pas et souvent les associent à des légumes moyenâgeux !

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