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Stéphane Corréard : avant-propos
Ambroise Vollard ou Leo Castelli ou Denise René ; certaines figures de galeristes sont devenues si légendaires qu'elles demeurent figées pour l'éternité, comme des silhouettes ou des archétypes. Dans le cas de Christian Berst, premier marchand d'art brut contemporain à Paris, cette inclination prend une ampleur particulière car elle agit dans un champ où le biographique occupe une place particulièrement problématique.
Par nature, le créateur brut se définit tellement par les accidents de son existence que des profanes l'y résumeraient volontiers. Pour tel, la catastrophe est survenue dès les ténèbres de sa conception. Pour tel autre, c'est l'enfance qui aura été le théâtre d'une effroyable erreur d'aiguillage. Pour d'autres encore, l'entrée dans l'âge adulte, voire l'âge mûr, aura été marquée par un décrochage équivoque. Certains enfin, apparemment bien intégrés le jour, laissent la nuit les monstres de l'irraison les envahir. Dans le meilleur des cas, on ignore tout de la vie de l'auteur, et on se contente de fouiller dans son œuvre pour en extraire d'hypothétiques indices. Quant à Christian Berst, dont je n'ai jamais recueilli le récit biographique, c'est donc d'indices que j'ai cherché à extraire les motifs d'une passion, sa singularité, sa nécessité dans le paysage contemporain.
Reconstitution 1 : le bureau
Cette pièce essentielle du puzzle que constitue tout galeriste est réservée aux intimes, aux initiés. Entre les fondamentaux (une poignée d’œuvres dont la présence demeure immuable), les trouvailles, les raretés, le bazar sur la table de travail et les livres qu'on choisit de garder à portée de main, le bureau est une projection mentale du galeriste. La visite d'une galerie devrait débuter par là ; c'est ce que je propose, en l'hypertrophiant et l'inversant avec la salle d'exposition principale. Reconstitution 2 : la librairie
Articulation entre le travail visible et l'invisible, elle en signale l'abondante production éditoriale. Au-delà, elle est le théâtre de présentations d’œuvres en contrepoint, offrant une discrète mais tranchante conclusion à l'expo en cours. Elle témoigne surtout du cœur de la relation que Christian Berst entretient à l'art, de son goût pour le dialogue entre les champs de la création. Cet espace sera dévolu à la présentation de trois artistes contemporains, dont les oeuvres plaident, chacune à sa manière, pour un réexamen des frontières.
Reconstitution 3 : la table-ronde
Autre « spécialité » de la galerie, l'organisation de tables-rondes sert autant à définir les champs sémantiques à partir desquels la place de l'art brut peut s'entendre dans l'ensemble plus vaste de la création contemporaine, qu'à envoyer les signaux d'une « ouverture ». L'organisation d'une conférence avec Christian Boltanski en 2011 aura marqué un tournant dans la perception de la galerie. Pour cet anniversaire, le bureau de Christian Berst se transforme en tableronde métaphorique, laissant la place à une installation contemporaine d’œuvres d'Annette Messager faisant écho à ses préoccupations.
stéphane corréard. photo : Valeria Motta