Mémoire de fin de master

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Christina Vryakou & Félix Gautherot

Nos remerciements vont à Jacques Lucan et Benjamin Persitz pour le suivi de notre travail de recherche tout au long de l’année. Nous tenons également à remercier tout particulièrement nos parents pour leur soutien respectif et leur patience pour la relecture de notre mémoire. Nos remerciements vont également à Aggeliki et Vasileios pour leur aide dans la construction de notre propos.

FAIRE ENSEMBLE De la collaboration en architecture

École d’Architecture de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée Master Théorie & Projet - Janvier 2015

FAIRE ENSEMBLE

Christina Vryakou Félix Gautherot

Christina Vryakou & Félix Gautherot Sous la direction de Jacques Lucan et l’assistance de Benjamin Persitz



FAIRE ENSEMBLE De la collaboration en architecture


ÂŤWithout the energies of rationality architecture would only be an empty game with forms, without irrational energies only a kind of mechanical engeneeringÂť Mies van der Rohe


FAIRE ENSEMBLE De la collaboration en architecture

Christina Vryakou & Félix Gautherot

Sous la direction de Jacques Lucan et l’assistance de Benjamin Persitz

École d’Architecture de la Ville et des Territoires, à Marne-la-Vallée Master Théorie & Projet - Janvier 2015


AVANT - PROPOS

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INTRODUCTION

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ARTISTE & ARCHITECTE

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Herzog & de Meuron / Remy Zaugg

- L’architecture & la Ville - L’exposition - Une peinture murale

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Roger Diener / Helmut Federle

- L’ambassade suisse à Berlin - Bâtiment Novartis à Bâle

Chronologie

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INGENIEUR & ARCHITECTE

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Rem Koolhaas/ Cecil Balmond

- Projets de l’été 1989 - Kunsthal de Rotterdam - Maison Lemoine à Floirac

Toyo Ito / Mutsuro Sasaki

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- L’algorithme comme processus conceptuel - Espace continu - Interdépendance - La grille émergente

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Chronologie

CONCLUSION

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BIBLIOGRAPHIE

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AVANT - PROPOS

L’objectif de ce séminaire était d’abord pour nous d’explorer les processus mis en place par deux agences ; celle d’Herzog & de Meuron et celle de Rem Koolhaas. Notre intérêt s’était d’abord porté sur des processus de projets, c’est à dire des processus conceptuels à la base des réflexions de ces deux agences. Cependant, le danger était d’aboutir à une monographie de leurs travaux sans réellement entrer dans un sujet très précis. C’est pourquoi nous avons voulu orienter nos recherches vers des terrains plus spécifiques pour ces deux agences. Pour l’agence d’Herzog & de Meuron, nous avons étudié leur rapport à l’art et plus particulièrement leurs nombreuses collaborations avec des artistes dans la fabrique même de leur projet. Cette question de la collaboration avec des personnes venues d’un autre champ disciplinaire nous a paru importante ; ce qu’elle permet en effet d’apporter de nouveau est le point de vue que nous souhaiterions aborder. Quel est l’intérêt pour Herzog et de Meuron de collaborer avec des artistes ? Quels liens entretiennent-ils avec ce milieu et qu’est-ce que cela révèle et apporte aux projets qu’ils construisent ? 6


Avant - propos

En ce qui concerne notre regard sur l’agence OMA de Rem Koolhaas, nous avons d’abord cherché à comprendre le lien entre les travaux de l’agence et les thèmes révélés par Koolhaas dans New York Delire et plus tard dans Bigness. Nous apercevant rapidement que ces recherches ont été largement explorées, nous avons voulu nous centrer sur les moyens techniques, plus particulièrement sur les aspects structurels mis en œuvre pour parvenir à fabriquer un certain type de projet ; les Big Buildings européens issus des projets de l’été 1989. Autre aspect intéressant : pour cette série de projets, l’OMA travaillait en collaboration avec le cabinet d’ingénieur Ove Arup, tout particulièrement avec l’ingénieur Cecil Balmond, dont nous allons étudié la collaboration avec Koolhaas. L’intérêt de telles recherches montrera l’apport de différents champs disciplinaires dans la fabrique du projet, pas seulement dans la simple répartition du travail. L’ingénieur ou l’artiste ne se borneront à des ajustements après que l’architecte ait dessiné et imaginé le bâtiment. Ils vont construire le projet avec l’architecte en apportant des réflexions et des idées allant dans le sens du projet. Pour enrichir notre regard sur ces deux types de collaborations, nous avons choisi deux autres architectes ayant collaboré avec un ingénieur ou un artiste ; Roger Diener avec Helmut Federle et Toyo Ito avec Mutsuro Sasaki. Avec l’étude de ces deux types de collaborations, nous traiterons de deux approches de l’architecture, une orientée vers la science et l’ingénierie et l’autre vers l’art.

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INTRODUCTION Les trois pieds de l’architecte En intégrant une école d’architecture, le jeune élève architecte est confronté aux trois natures de l’architecture, trois pieds sur lesquels il va devoir s’équilibrer pendant toute sa vie. Le premier pied est celui de l’ingénieur, celui qui fabrique l’ossature et ses organes. Il a comme point de départ le problème, la forme finale de son produit répond à sa fonction. Il s’intéresse à des questions techniques. Le deuxième pied, peut-être le plus strict, est celui de l’artiste. Il a comme point de départ la gestion des notions de beauté et de laideur (pour l’ingénieur, la relation du beau et du laid n’est pas une base ‘morale’). L’art n’a pas une fonction précise, l’art est une activité autonome. Une œuvre d’art ne doit pas être belle, mais la beauté (ομορφιά en grec : ce qui a une forme distinguable/ reconnaissable s’oppose au laid ασχήμια, ce qui n’a pas de forme) est une des questions fondamentales de l’histoire de l’art traitant des formes, de la proportion et de la composition. La beauté est la construction d’un tout ou rien ne peut être ajouté ou enlevé sans détruire son unité. De ces questions primordiales de la beauté et de la laideur naissent d’autres questions chères à l’architecte, l’ombre et la lumière, le privé et le public, le mouvement et la pause, etc. L’architecte a comme point de départ un univers de types et de formes issu de la tradition de l’architecture et reconnu par l’histoire de sa discipline. Le troisième pied est celui du sociologue, c’est un parti qui est assez critiqué de nos jours. La capacité de l’architecture à définir la forme de la vie de gens, de l’améliorer

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Introduction

ou même de la guider a toujours passionné les architectes. Nous ne traiterons pas de cette troisième nature dans ce mémoire centré sur des collaborations concrètes.

Nicolas II de Larmessin, Costumes grotesques et métiers, gravures de l’architecte, l’artiste et l’ingénieur, vers 1700.

Architecture, Art/Science L’art est avant tout un processus de composition. L’architecture est un art, l’art de bâtir. Elle compose des données provenant de différentes sciences et domaines (beaux-arts, ingénierie, urbanisme, sciences humaines, etc.) Une discipline qui inclut la composition de plusieurs données pour en faire une synthèse et donner un résultat, s’inscrit dans la vaste définition de l’art. De cette même idée, la médecine, que l’on placerait instinctivement dans les sciences relève avant tout d’un art, celui de guérir. Le médecin synthétise les données de plusieures disciplines scientifiques en une seule réponse, diagnostique le problème du patient et donne le traitement. De cette définition, empruntée à l’épistémologie, l’architecture est un art, pas seulement du point de vue du traitement des questions liées à l’esthétique, mais aussi parce qu’elle synthétise des questions statiques, économiques, sociales, esthétiques, etc. L’architecture est faite pour être vue et vécue, elle fait partie intégrante du patrimoine culturel, elle crée des sensations élémentaires, elle nous donne à réfléchir et à percevoir et construit notre regard. Elle engage une relation proche de celle des œuvres d’art. Ainsi, peu de gens vont douter du fait que l’architecture soit un art ; elle est d’ailleurs considérée comme telle, la mère des arts. Elle n’est pas un acte objectif, mais un acte subjectif traitant de problématiques de nature formelle pouvant l’éloigner du champ de la science. Pourtant, l’architecture est aussi une science ; une science appliquée. L’ingénierie est une science, et en tant que telle, elle n’inclut pas l’élément de la composition. Elle examine

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Introduction

par exemple les nombreuses façons de porter. Mais, au moment où les colonnes deviennent concrètes et créent un espace, l’ingénierie bascule dans le champ architectural. Au début du processus du projet, à l’instant où l’architecte se retrouve face à sa feuille blanche est une phase mentale supérieure et très complexe. L’architecte cherche des connaissances, des sensations, des formes et des types dans sa mémoire. Il est un scientifique qui recherche l’objet de sa discipline. C’est une recherche dans l’espace et le temps architectural. « We try to seek our architectural images in the same way a detective searches for evidence at the scene of a crime or in the way a scientist attempts to find systems in Nature. »

À plusieurs mains Pour ce mémoire nous ne nous intéresserons pas à la nature tripolaire de l’architecte, mais, plutôt à la rencontre de ces trois natures, quand elle se concrétise entre des corps différents. Le résultat final devient un objet de collaboration entre plusieurs disciplines. Un des plus vieux exemples de collaboration datant de 450 av.J-C, n’est autre que celui de l’acropole d’Athènes. Elle a été réalisée par les architectes Iktinos et Kalikratis sous les directions du sculpteur Phidias. Cet exemple montre déjà l’intérêt d’associer plusieures disciplines pour aboutir à un résultat plus complexe. Même s’il n’existe pas suffisamment d’informations pour accorder à Phidias l’emplacement des objets sur la colline, c’est tout de même grâce à la pratique artistique que l’emplacement des bâtiments a été dessiné, répondant à des règles très strictes de perception et de géométrie. 10


Introduction

Nous nous sommes intéressés à ce moment de la collaboration entre des disciplines complémentaires à travers des exemples contemporains pour comprendre ce qui a poussé ces individus à se réunir autour de projets d’architecture. La collaboration et la place de l’architecte aujourd’hui Les sciences qui ont longtemps été isolées les unes des autres avançaient en parallèle. Depuis quelques années, les frontières de chaque discipline se sont ouvertes grâce à l’avancée de la technologie, facilitant le partage des informations. On se retrouve alors avec des sciences mixtes, beaucoup plus élaborées, qui embrassent toutes les échelles et collaborent pour trouver une vérité commune. L’architecture fait partie de ces domaines où la collaboration est nécessaire du fait de la pluralité de ces applications ; économiques, sociales, environnementales, esthétiques, statiques, etc.

Plan de l’acropole d’Athènes montrant la disposition des bâtiments selon la règle perspective de 30°.figure extraite de Constantinos A. Doxiadis, Architectural Space in Ancient Greece, MIT Press, 1977 Herzog & de Meuron in Gerhard Mack, Herzog & de Meuron 1989-1991. The Complete Works. Volume 2, Architecture & Building Press, 2010, p.180 1

Dès l’instant où il naît, l’homme est conditionné pour inclure l’autre et se développer comme un être social. Pour embrasser les vastes questions de la vie humaine, l’architecte n’a d’autre choix que de collaborer avec les autres métiers pour arriver à un résultat plus complet. Pour ce mémoire, nous avons recueilli des exemples traitant des rapports étroits entre des hommes d’horizons différents dans le but de construire un résultat plus complexe. Notre étude s’est limitée à deux aspects annoncés plus haut ; l’ingénierie et l’art. Pour chaque partie, nous avons choisi deux couples utilisant la collaboration de manière différente en abordant des questions nouvelles.

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« Il y a en effet une grande différence entre le travail de l’architecte et celui de l’artiste. L’architecte est en contact permanent avec le maître d’ouvrage, avec le public - comme le musicien. L’artiste, lui, travaille le plus souvent dans la solitude de l’atelier et montre éventuellement son travail à l’extérieur. L’architecte est exposé en permanence, l’artiste est trop seul. Voilà une des raisons possibles de notre collaboration. » 2

Rémy Zaugg in L’architecture en soi ne m’intéresse pas, Herzog & de Meuron, Histoire naturelle, Centre canadien d’architecture & Lars Müller publishers, Montréal, Baden, 2002, p.237 2

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COLLABORATION ARTISTE/ARCHITECTE

Dans cette première partie, nous traiterons des rapports engageant des architectes et des artistes. L’architecture a toujours été liée à l’art, et de nombreux exemples d’artistes/architectes existent à travers l’histoire. De Vitruve et Michel-Ange jusqu’à l’enseignement des Beaux-Arts en France, l’architecture a été considérée comme le premier des arts majeurs. Avec l’apparition du métier d’ingénieur et la fin de l’enseignement des Beaux-Arts, l’architecture s’est peu à peu différenciée du milieu artistique à proprement parler sans pour autant qu’il y ait eu rupture. L’architecture moderne a révélé plusieurs exemples d’architectes travaillant comme artiste, Le Corbusier le premier. L’école du Bauhaus a promu une certaine perméabilité entre les différentes disciplines engageant les étudiants à étendre leur pratique. Nous nous pencherons sur une période plus récente, qui verra certains architectes chercher de nouveaux outils à travers la discipline artistique. Face à la rapide évolution du métier d’architecte, ils essaieront de renouveler la discipline vers 14


Collaboration artiste/architecte

d’autres champs que celui de l’architecture. Les architectes Jacques Herzog et Pierre de Meuron sont emblématiques de cette recherche. Comme Roger Diener le souligne, la véritable hardiesse de Herzog & de Meuron me semble être d’avoir reconnu que l’architecture ne pouvait plus s’alimenter au sein de sa discipline, dans ses images du passé et même plus dans la tradition de sa réalisation artisanale ou industrielle.1 Les architectes trouveront dans le dialogue avec des artistes un moyen de répondre à des problématiques contemporaines. Mais, comme ils s’en défendent eux-mêmes, leur architecture ne se trouve pas pour autant être de l’art. Leurs associations avec des artistes sont un atout de recherche et une force dans la conception même des projets et non pas une esthétisation visant à basculer leur projet vers des sculptures ou des œuvres d’art. « These are people who are more open to research, people who are more interested in finding out something than in defending something (...) We never wanted our architectural works to be seen as artworks (...) The fact that we frequently collaborate with artists or scientists doesn’t transform our architecture into artworks either. » 2

Roger Diener à propos d’Herzog & de Meuron in Sur la dispartion du sujet, Extraits du manuscrit de Roger Diener pour son discours tenu lors de l’inauguration de l’exposition de Herzog & de Meuron au Architekturmuseum de Bâle, le 30 septembre1988, p.8 1

Jacques Herzog, Continuities, interview avec Jacques Herzog, El Croquis, n°60, 1993, p.12 2

Nous envisageons d’aborder la collaboration entre artiste et architecte à travers deux couples ayant abordé la question de manière différente. Nous allons d’abord étudier la collaboration la plus marquante dans l’œuvre d’Herzog & de Meuron ; celle avec l’artiste Rémy Zaugg. Nous nous intéresserons ensuite aux travaux de Roger Diener et Helmut Federle pour deux bâtiments ; l’ambassade suisse à Berlin et un bâtiment pour Novartis à Bâle. Selon nous, ces deux collaborations représentent un aperçu de la nouvelle forme de relation entre des architectes et des artistes aujourd’hui.

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émy Zaugg est né en 1943 à Courgenay, dans le Jura suisse. Il s’initie à l’épistémologie et à la philosophie des sciences à l’université en 1976. La découverte de Merleau-Ponty suit celle des auteurs existentialistes. En 1972, il réalise sa première exposition au Kunstmuseum de Bâle. Il reçoit une bourse et séjourne à l’Institut Suisse de Rome de 1977 à 1979. La richesse phénoménologique de son oeuvre est centrée sur la question de notre perception du monde et sur la façon dont le monde se manifeste à nous à travers cette perception (...) derrière toutes ces questions se devine une pensée rationaliste : nous ne pouvons sa-

voir comment sont les choses en soi, nous pouvons seulement savoir comment nous les percevons. Dès lors, l’intérêt se porte sur les images que nous avons du monde, sur ce qui les influence, sur notre manière de les créer et sur ce que nous en faisons. Au commencement de l’œuvre de Rémy Zaugg, il y eut donc, à la différence de la Genèse, non pas le Verbe créant le monde, mais l’image. Il s’occupe pour la première fois d’architecture en 1982 pour l’agrandissement du Kunstmuseum de Berne. Il aborde les problèmes de l’architecture et de l’urbanisme en tant que peintre ; jamais il ne perd de vue ses repères de l’atelier.


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acques Herzog est né à Bâle en 1950 et a étudié l’architecture à l’École polytechnique de Zurich de 1970 à 1975 avec Aldo Rossi et Dolf Schnebli. Il a obtenu son diplôme d’architecture en 1975. Il est devenu l’assistant de Dolf Schnebli en 1977 et a fondé sa propre agence avec Pierre de Meuron en 1978. Il a présenté ses créations artistiques dans des expositions solos en 1979, 1981, 1983 et 1986 et a réalisé des installations à la galerie Stampa, à Bâle. En 1983, il a été professeur invité à Cornell University et, en 1989, à Harvard University où il enseigne depuis 1994. Il enseigne au ETH- Studio de Bâle depuis 1999. Il a reçu le Pritzker Architecture Prize en 2001.

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ierre de Meuron est né à Bâle en 1950 et a étudié l’architecture à l’École polytechnique de Zurich de 1970 à 1975 avec Aldo Rossi et Dolf Schnebli. Il a obtenu son diplôme d’architecture en 1975. Il est devenu l’assistant de Dolf Schnebli en 1977 et a fondé sa propre agence avec Pierre de Meuron en 1978. Il a été professeur invité à Harvard University en 1989 et l’est encore, depuis 1994. Il enseigne au ETH- Studio de Bâle depuis 1999. Il enseigne au ETH Studio de Bâle depuis 1999. Il a reçu le Pritzker Architecture Prize en 2001.


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COLLABORATION ARTISTE/ARCHITECTE HERZOG & DE MEURON - REMY ZAUGG

« La véritable hardiesse de Herzog & de Meuron me semble être d’avoir reconnu que l’architecture ne pouvait plus s’alimenter au sein de sa discipline, dans ses images du passé et même plus dans la tradition de sa réalisation artisanale ou industrielle(...)Jacques Herzog & Pierre de Meuron ont trouvé un accès à l’architecture leur appartenant en propre (...) Ils refusent de limiter la «recherche» aux disciplines traditionnelles de l’architecture moderne. Au contraire: lorsqu’ils comparent et mettent leurs travaux en rapport avec d’autres productions, ils n’évoquent que rarement d’autres architectes, mais trouvent plutôt des positions semblables dans le domaine des arts plastiques. » 1

Notre regard sur l’œuvre d’Herzog & de Meuron va se nourrir du constat fait par Roger Diener. Nous suivrons l’œuvre des architectes à travers leurs collaborations, plus précisément celle avec l’artiste Rémy Zaugg. C’est en effet la personne avec qui les architectes ont sûrement le plus travaillé et partagé. En associant leur discipline au domaine artistique, Herzog & de Meuron ont étendu leurs recherches mutuelles. Le succès de ces collaborations avec des artistes tient à leurs résultats, à savoir un assemblage constitué de différents éléments difficilement 22


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg

attribuables à telle ou telle personne et qui appartient à ce seul produit. Autrement dit, un bâtiment de Herzog & de Meuron est capable d’intégrer la contribution d’un artiste; il n’est pas simplement enrichi par la collaboration artistique, ni seulement décoré ou recouvert par elle, mais c’est la nature même du bâtiment qui est imprégnée d’une recherche différente. Ils trouveront avec Rémy Zaugg un interlocuteur leur permettant d’étendre leur terrain de recherche, d’apporter une vision fraîche de l’architecture et de certains sujets qui les intéressent. C’est toujours à travers le dialogue que commencent ces collaborations. « Nous aimons cette idée d’être plusieurs personnes qui se concentrent ensemble sur un sujet, chacune y apportant ses qualités propres. Nous avons toujours pratiqué le dialogue, parfois même dès la phase initiale d’un projet, alors que rien n’est encore visible, et que le projet se résume à quelques phrases ou à une ou deux images que nous essayons de nous raconter l’un à l’autre. » 2

Roger Diener, Sur la disparition du sujet, Extraits du manuscrit de Roger Diener pour son discours tenu lors de l’inauguration de l’exposition de Herzog & de Meuron au ‘Architekturmuseum’ de Bâle, le 30 septembre. 1

Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition, Les presses du réel, Dijon, 1995, p.28 2

Les architectes ont découvert Rémy Zaugg quand ils étaient encore étudiants, il était une figure importante du milieu artistique bâlois dès les années 1970. Les expositions qu’il a organisées au Musée des Beaux-Arts de Bâle et son livre La ruse de l’innocence ont marqué les jeunes architectes. De son côté, Zaugg suivait aussi les débuts des deux architectes et c’est lui qui fera appel à eux le premier, en 1989, pour le nouveau plan directeur de l’université de Dijon. Le partage, le dialogue et la recherche en commun semblent être un des aspects très importants dans le travail des architectes et, avec Rémy Zaugg, leurs travaux seront le plus souvent marqués par l’effacement des idées de chacun au profit du résultat final.

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Collaboration artiste/architecte

« Dans nos collaborations passées et en cours, nos idées, nos contributions et nos efforts respectifs sont toujours plus ou moins mêlés, embrouillés, confondus. L’artiste entre dans les problèmes de l’architecte ou de l’urbaniste et l’architecte s’intéresse à ceux de l’artiste, si bien que les deux concepts, architecte et artistes, s’estompent. Il importe peu de savoir qui est quoi et qui fait ou fera quoi. Seul compte le projet en devenir. » 3

Cette façon de procéder n’est possible que si les architectes et l’artiste partagent un certain nombre de points de vue sur l’architecture et sur l’art, sans quoi la collaboration n’aurait pas pu atteindre un tel aboutissement. Le caractère très différent de leurs projets en commun révèlent plusieurs centres d’intérêt partagés par les trois hommes. Mais, au-delà des idées qu’ils partagent, c’est la personnalité de Zaugg qui a peut-être permis aux architectes de travailler avec lui sur plusieurs types de projets. Rémy Zaugg est peintre, mais il est aussi un théoricien et historien de l’art. Son œuvre est centrée sur la question de notre perception du monde et sur la façon dont le monde se manifeste à nous à travers cette perception. Dès lors, l’intérêt se reporte sur les images que nous avons du monde, sur ce qui les influencent, sur notre manière de les créer et sur ce que nous en faisons. Son approche est phénoménologique, descriptive; il se penche sur la question de l’œuvre d’art et sur le rôle de l’artiste. Dans La ruse de l’innocence, il consacre 300 pages sur sa seule relation avec une œuvre d’art de Donald Judd, sur sa perception et son environnement. Il cite aussi Merleau-Ponty, célèbre philosophe qui a également influencé l’approche architecturale de Herzog & de Meuron. D’autre part, Zaugg s’intéresse à la manière d’exposer les œuvres d’art dans les musées; il écrira aussi un livre centré sur ce sujet. La question de la place de

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Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg

l’art dans l’espace public est aussi une question à laquelle il a pu se confronter. L’ensemble de ces thèmes chers à l’artiste va être autant de pistes de recherches pour les architectes lorsqu’ils vont travailler avec lui. En sortant du domaine de l’architecture, Herzog & de Meuron trouvent chez Zaugg et chez les artistes en général de meilleurs interlocuteurs quant aux problématiques contemporaines. « L’artiste place les problèmes contemporains au centre de son activité, alors que ceux-ci sont, pour l’architecte, fréquemment embarrassants et incommodes, voire indésirables (...) Nous comprenons, quant à nous, notre travail comme une recherche permanente, qui vise à découvrir voies et stratégies permettant d’agir au plan de l’architecture et, surtout, au plan de l’urbanisme (...) La communication entre différents spécialistes, entre architectes et artistes notamment, s’ils sont étrangers les uns aux autres, est illusoire. De telles collaborations ne s’improvisent pas.Elles nécessitent une communication permanente, telle celle que nous essayons d’entretenir, depuis des années, avec toi (Remy Zaugg) et avec d’autres. Un contact ou une rencontre occasionnelle (pour décorer le mur d’un nouveau bâtiment par exemple) ne suffit pas. » 4

Rémy Zaugg, Une architecture de Herzog & de Meuron, Une peinture murale de Rémy Zaugg, Une œuvre pour Roche Bâle, Birkhäuser, Bâle, 2001, p.65 3

Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.24 4

Nous allons étudier la collaboration entre les trois hommes selon trois points de vue répondant aux multiples facettes de l’artiste. Nous allons d’abord nous intéresser aux études urbanistiques réalisées. Elles sont à la fois l’origine et le fondement de leurs travaux, soulevant des méthodes et des questions fondamentales pour l’artiste et les architectes. Nous étudierons ensuite les projets autour de la question de l’exposition et du musée. Nous terminerons par l’intervention picturale, collaboration plus classique, qui sera la dernière méthode analysée dans leurs travaux.

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Collaboration artiste/architecte

L’ARCHITECTURE ET LA VILLE À l’évidence, c’est dans les villes que se situent les véritables problèmes - ceux de l’avenir - qu’il convient d’aborder aujourd’hui. Et ces problèmes réclament des stratégies nouvelles qui dépassent les méthodes traditionnelles de l’urbanisme et qui impliquent nécessairement des collaborations entre urbanistes, architectes, artistes, sociologues et scientifiques. 5

La collaboration entre Herzog & de Meuron et Rémy Zaugg commence et se focalise en grande partie sur des études urbanistiques. Zaugg se préoccupe beaucoup de questions urbaines à travers son travail d’artiste et il va apporter son expérience et son point de vue sur des projets urbains avec les deux architectes. Le potentiel caché dans l’actuel L’étude pour un nouveau plan directeur du campus de Dijon sera la première collaboration entre les architectes et l’artiste. À l’origine, l’Institut d’histoire de l’art de Dijon prévoyait la construction d’un musée d’art sur le campus, mais, après réflexion, c’est un nouveau plan directeur du campus qui sera décidé. Rémy Zaugg est chargé de le définir, n’étant pas architecte, c’est lui, l’artiste, qui va faire appel aux architectes. La méthode de travail des trois hommes va être issue de l’approche de Zaugg, ils vont analyser l’existant et décrire précisément chaque élément important du site, partant du grand territoire (la région Bourgogne) jusqu’aux rues bordant le campus. C’est à travers ce processus de description et d’écriture de l’état existant qu’ils trouveront leur réponse, ils ne veulent surtout pas proposer une solution nécessitant de nouvelles constructions. Au contraire, leur réponse naît et repose sur l’état actuel du campus ; à partir d’une ‘analyse critique du campus’, ils développent un ‘état d’esprit’ qui contient en puissance les propositions qui pourraient faire de ce lieu un quartier singulier 6. Leur réponse 26


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’architecture et la ville

s’appuie sur des éléments structurant le campus actuel. « Aussi notre essai de définition d’un schéma directeur pour le campus de Dijon tente-t-il de valoriser la substance architecturale existante en trouvant le principe fondateur latent dans ce qui est déjà. » 7

Les architectes et l’artiste produiront une série de schémas retranscrivant les éléments existants qui dirigeront leur intervention. Ils s’intéressent aux axes longitudinaux du campus ainsi qu’aux grands espaces vides transversaux. À partir de là, ils vont définir leur schéma directeur pour le campus.

Page précédente, schéma illustrant l’étude pour un nouvau plan directeur du campus de Dijon. De la ville au campus, les plans analysent l’état existant.

« La singularité de ce schéma n’est qu’une forme modifiée de la critique constructive attentive aux choses existantes (...) D’ou, encore notre compréhension de l’état actuel du campus en tant qu’étape obligée d’un processus donné. Notre réflexion aura donc été voulue et dictée par ce processus, dont elle fait naturellement partie. » 8

Vue aérienne du campus de Dijon. Au premier plan, les bâtiments de la faculté de Lettre des années 1960 qui marquent l’entrée du campus.

Cette première collaboration verra ainsi une méthode de travail très engagée sur le potentiel existant dans l’état actuel de la ville.

Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.24 5

Gerhard Mack in Un schéma directeur pour l’Université de Bourgogne à Dijon, Gerhard Mack, Rémy Zaugg, une monographie, Mudam, Luxembourg, 2006, pp. 302-303 6

Rémy Zaugg in Etude de définition pour l’élaboration d’un schéma directeur du campus de Dijon, Bâle, 1989-1990, texte à paraître, p.10 7

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Ibidem., p.10

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Collaboration artiste/architecte

Les trois hommes procèdent avant tout à l’étude critique de la ville à travers sa description et à un travail d’écriture visant à comprendre de manière analytique les éléments structurants le campus et la ville de Dijon. Mais, c’est à travers leur prochain projet urbain que l’apport de l’artiste sera explicité. En effet, Zaugg expliquera qu’il utilise une méthode particulière issue de son travail d’artiste. En plus du nouveau schéma directeur, les architectes, en collaboration avec Zaugg, réaliseront une opération de logements étudiants, à l’est du campus pour marquer la limite avec la dernière zone verte du campus. Les architectes organisent leurs logements dans l’axe transversal du site ; ils disposent des blocs d’habitations autour d’une artère de circulation servant de coursives et de terrasses collectives. Encore une fois, l’artiste écrira un texte décrivant la genèse du projet en expérimentant plusieurs solutions et leurs conséquences. Cette analyse permettra une plus grande compréhension des impacts du bâtiment sur son environnement et sur le schéma directeur mis en place pour le campus. « Les points qui ont présidé à l’élaboration de la conception urbanistique et typologique ainsi qu’a celle des bâtiments qui en découlent sont: 1° La structure globale du plan directeur du campus, l’état actuel des lieux et le fait que la résidence d’étudiants sera le complexe architectural initial d’une nouvelle rue. 2°Le caractère répétitif dû à la fonction de la résidence conçue pour contenir plus de 300 cellules d’habitation. 3° Une surface d’habitation restreinte, 18 m2, valable pour 295 unités d’habitation sur 355. 4° La limitation des modes de construction et des matériaux utilisables due aux impératifs économiques. » 9

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Page suivante, vue frontale de la résidence étudiante à Dijon. Différence d’expression entre la façade sur les chambres et les coursives servant de terrasses collectives. Rémy Zaugg in Université Bourgogne, Campus de Dijon, Résidence d’étudiants: Antipodes I, Bâle, 1990-1992, texte à paraître, p.2 9

Rémy Zaugg in Etude de définition pour l’élaboration d’un schéma directeur du campus de Dijon, op.cit., p.5 10


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’architecture et la ville

« Un tel bâtiment ne fait plus front, il ne sépare plus, il laisse entrevoir ce qui se trouve de l’autre côté, il l’annonce, même, et invite à s’y rendre. Etre d’un côté du bâtiment, c’est, potentiellement, être de l’autre. Enfin, une identité des deux faces permet aux bâtiment d’échapper à l’orientation en déjouant les notions d’antériorité et de postérité, de face principale et de face seco daire. L’architecture ne privilégie plus aucun point de vue et ne hiérarchise pas l’espace environnant. Il s’agit d’un bâtiment à deux faces. » 10

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Collaboration artiste/architecte

Écrire pour voir « Nous ne ressentons pas le besoin de susciter de nouvelles fondations, mais voulons reprendre les éléments existants et compléter, pour ainsi dire, la ville. » 11

La Chambre des métiers de Bâle confie en 1991 une étude de la ville aux architectes Jacques Herzog et Pierre de Meuron. Avec Rémy Zaugg, ils vont proposer le même type d’analyse qu’ils ont faite pour le campus de Dijon. Pour Bâle, leur étude s’étend au-delà de ville et embrasse jusqu’aux frontières nationales entre la France et l’Allemagne. Dans la monographie qu’il consacre à l’artiste, Gerhard Mack rapproche la méthode utilisée à Bâle de l’analyse d’un tableau de Cézanne par Zaugg ; le procédé ne diffère guère de celui qu’avait adopté Zaugg dans son analyse de la Maison du pendu de Cezanne (...) L’étude d’urbanisme s’efforce de mettre en lumière les divers aspects susceptibles d’expliquer les hétérogénéités actuelles de la ville canton 12 . Zaugg analyse le tableau à travers ce qu’il nomme des

esquisses perspectives dans lesquelles il épuise le tableau en décrivant les couleurs, les formes ou encore les composants ; il y travaillera pendant cinq ans. Avec l’artiste, Herzog & de Meuron réalisent une analyse semblable en regardant la ville, en la décrivant, en l’écrivant. Ils comprennent ainsi certains mécanismes et étendent leur étude au-delà de ce qui était prévu. Ils épuisent de nombreuses dimensions de la ville, collectant tous les aspects

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Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’architecture et la ville

qu’ils distinguent dans le tissu urbain. Ils regardent la ville autour du Rhin, autour des chemins de fer, les périphéries ou encore l’espace public. Pour chaque situation, ils produisent des schémas et des photos-montages de leurs intentions. Au-delà des réponses données par les trois auteurs, c’est le mode opératoire qui est important. Ils regardent la ville comme l’artiste regarde un tableau, en essayant de comprendre la mécanique derrière la forme visible. Ils cherchent d’abord à comprendre avant d’intervenir. Pour cela, ils doivent étendre leur sujet d’étude et approfondir leur recherche sur certains thèmes. Ils disent regarder la ville d’abord comme des étrangers, des visiteurs, leur approche est presque phénoménologique. L’intérêt de Zaugg pour la perception est très présent dans l’étude de la ville de Bâle.

Page précédente, reproduction de la peinture de Cezanne et étude de Rémy ; esquisses perspectives. Plan ‘La ville le long du Rhin’, ‘la ville le long des voies ferrées’ Jacques Herzog, ‘Entretien Jacques Herzog & Théodora Visher’ in Herzog & de Meuron, Wiese, Bâle, p.48 11

Gerhard Mack in Eine stadt im Werben ? - Une analyse d’urbanisme de la Ville de Bâle, Gerhard Mack, Rémy Zaugg, une monographie, op.cit., pp. 309 12

Herzog & de Meuron in Gerhard Mack, Herzog & de Meuron 1989-1991. The Complete Works. Volume 2, Architecture & Building Press, 2010, p.154 13

« We have approached the urban agglomerate of Basel like strangers- observing and wondering, not considering, the building laws and zoning plans. We were interested in the physical reality of the city, which is the starting point of our thoughts and projections. We did not come up with a unified and binding plan. Our plan is actually many plans and many cities all uniting into one city, all adding to each other, with contrasting tempo, economies and cultural significance. There is no special preference given to certain areas, and no exceptional locations, whether on French, Swiss or German territory. » 13

Percevoir la ville À l’occasion de l’exposition ‘Berlin Morgen’ (Berlin demain) organisée à Francfort en 1990, Herzog & de Meuron, toujours accompagnés de Rémy Zaugg, vont exposer une vidéo se concentrant sur le centre de Berlin, autour du Tiergarten. Ils placent ainsi leur intérêt non pas sur le centre-ville dynamique de la ville mais sur une partie délaissée de la ville, un grand espace vide. Quatre

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Collaboration artiste/architecte

tours placées sur les côtés du parc viennent retenir ce vide et former un espace public en lien avec les grands immeubles. Ils sont un signal dans la ville et s’organisent selon les axes principaux du parc. La proposition des architectes semble moins en lien avec la méthode utilisée pour les deux projets précédents, cependant, elle témoigne encore d’un grand intérêt pour les structures existantes dans la ville et la recherche d’un moyen pour leur redonner leur qualité. Ici, c’est le grand espace public qui sera l’élément majeur du projet. Au lendemain de la réunification de Berlin, ce projet tente de donner un espace public faisant lien entre les deux anciennes parties de la ville. « This project is light years away from being a cynical

commentary on urbanism. It has nothing to do with Hilberseimer’s tabula rasa either, since the four buildings are located within the existing quarters of a site and link each other. Rather, the buildings express our preference for anonymous architectural quality that leaves enough space for people to express themselves. » 14

Le projet pour Berlin se place moins dans l’optique de Rémy Zaugg d’analyser complètement l’existant au moyen de textes et de schémas, peut-être en raison du temps imparti pour l’exposition. Pourtant, la volonté des architectes et de l’artiste reste toujours la même, celle de trouver une réponse dans ce qui existe et de lui redonner son caractère. « We try to find out, to ‘read,’ which way the city wants to go, where its building structure is going to be dense or loose, if there are any open spaces that can be retained or enlarged, where the body of the city is ‘hot or almost febrile ‘ and where it remains in a kind of untouched state . These things are interesting to discover and to reinforce· and work out more clearly in a project. » 15 32

Croquis et photo-montage de la proposition d’Herzog & de Meuron et Zaugg pour l’étude de la ville de Berlin. Page suivante, plan et vue aérienne de la proposition. Les quatre tours ferment la figure du parc. Jacques Herzog, Continuities, interview avec Jacques Herzog, El Croquis, n°60, 1993, p.17 14

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ibidem, p.18


Herzog & de Meuron - RÊmy Zaugg : L’architecture et la ville

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Collaboration artiste/architecte

L’EXPOSITION

L’exposition comme outil « Exposer, c’est fabriquer, c’est bâtir quelque chose, pas seulement rassembler et montrer. L’expression de l’élément est tributaire de celle de l’ensemble. » 16

L’exposition et l’acte d’exposer sont deux choses qui intéressent aussi bien les architectes Herzog et de Meuron que l’artiste Rémy Zaugg. Avant même qu’ils commencent à travailler ensemble, ils ont chacun de leur côté réfléchi à l’acte d’exposer. Pour tous les trois, l’exposition se révèle être un véritable outil de recherche et, bien plus que la simple présentation d’un travail. Pour les architectes, les expositions d’architecture sont un champ d’expérimentation très vaste. Il n’est pas question pour eux de présenter des bâtiments réalisés, ni même de restituer un processus de création. Pas question non plus de réaliser des expositions d’architectures comme des installations, ils s’intéressent avant tout à l’exposition d’architecture en tant que genre. Les expositions sont des outils permettant d’impliquer les visiteurs dans des expériences que les architectes ne pourraient pas retranscrire dans un bâtiment. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si chaque exposition d’Herzog & de Meuron figure dans leur œuvre comme tous les autres projets, avec un numéro. « Nous ne voulons pas occuper l’espace d’exposition de façon traditionnelle en le remplissant de documents liés à notre travail architectural. Ce genre d’expositions nous ennuie, car leur approche didactique n’apporte qu’un éclairage trompeur sur nos constructions. On croit pouvoir percevoir quelque chose en partant de l’esquisse et 34


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

en finissant sur la photographie du bâtiment achevé, mais en réalité on ne comprend rien, on ne fait qu’accumuler des documents illustrant une réalité architecturale. » 17

Dès leur première exposition en 1988 au musée d’architecture de Bâle, les architectes expérimentent de nouvelles techniques d’exposition. Avec Architektur Denkform [Forme de pensée architecturale] Herzog & de Meuron emploient un procédé de sérigraphie sur les fenêtres du musée. Le titre de l’exposition annonce déjà une expérience particulière de l’architecture, une expérience physique. « Notre exposition au musée d’Architecture de Bâle est exemplaire par la manière dont nous avons procédé. Ce fut un événement très important pour nous, qui nous a permis d’avancer dans notre recherche sur la relation entre la façade et l’image, sur la façade faite d’images, constituée d’images. Ce n’était donc pas la célébration du talent de jeunes architectes, mais bien un véritable instrument de travail et de recherche (...) Ainsi, le bâtiment du musée d’Architecture devint, le temps de l’exposition, presque l’un de nos propres bâtiments. » 18 Rémy Zaugg in L’architecture en soi ne m’intéresse pas, Herzog & de Meuron, Histoire naturelle, Centre canadien d’architecture & Lars Müller publishers, Montréal, Baden, 2002, p.214 16

Herzog & de Meuron in Exposer Herzog & de Meuron, Herzog & de Meuron, Histoire naturelle, op.cit., p.21 17

Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.11 18

Architektur Denkform, les images sérigraphiées se mélangent au paysage de la ville bâloise.

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Collaboration artiste/architecte

La sérigraphie représentant les projets des architectes sur les façades du musée se veut comme une couche supplémentaire au processus de perception de l’histoire de la ville suisse. L’exposition propose donc une véritable expérience visuelle et non plus un simple étalage de documents d’architectures. « We used the skin of this room in order to draw attention at it as well, to penetrate with our architecture. We try to make the exhibition infiltrate into the real space of the exhibition, in order to make it affect the observer in its changed state, so that the latter experiences our architecture as a spatial experience, on his own self, as it were. » 19

Mais, au-delà de l’expérience propre à l’exposition, la méthode utilisée représente un vrai terrain de recherche pour leur projet futur; ils utiliseront à plusieurs reprises la sérigraphie en façade. Le même désir d’apprendre et d’expérimenter à travers les expositions se retrouve chez l’artiste Rémy Zaugg. La question de l’exposition des œuvres et de l’acte d’exposer en général sont très présent dans son questionnement d’artiste. Il considère l’exposition comme une chose en soi, comme quelque chose à part, quelque chose qui mérite d’être réfléchi et surtout comme un moyen de faire passer un message ou une envie particulière. Il fait une exposition parce qu’il a quelque chose de particulier à dire et à donner. « D’autre part, l’exposition est plus qu’un moyen d’expression permettant de faire vivre une expérience précise à d’autres. Elle est également pour moi un moyen de recherche, d’investigation et d’expérimentation irremplaçable. Elle me permet de tester, elle m’aide à interroger, comme lorsque je me provoque en peignant ou en écrivant (...) Peindre un tableau est une chose; 36


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

faire une exposition est une autre chose. Le tableau est une chose en soi; l’exposition est également une chose en soi, mais une autre. » 20

L’exposition d’architecture est différente d’une exposition d’œuvre d’art. C’est autour de cette question que les architectes et l’artiste vont se rejoindre et réfléchir ensemble sur la manière d’exposer l’architecture et d’organiser une exposition rétrospective de l’œuvre d’Herzog & de Meuron. En 1995, l’occasion se présente lorsque les architectes demandent à Zaugg d’organiser leur exposition au Centre Pompidou. À cette occasion, l’artiste écrira un livre retraçant leur collaboration et leur intérêt commun ainsi que le déroulement de l’exposition.

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L’exposition d’architecture L’exposition au Centre Pompidou va être l’occasion pour les architectes et l’artiste de s’interroger sur l’exposition d’architecture et sur la manière d’exposer de l’architecture. Ils soulèvent le problème d’exposer quelque chose qui n’est jamais présent réellement dans la salle d’exposition et qui n’aura jamais pour fonction première d’être exposé. L’exposition d’architecture se traduit par la présentation de documents qui attestent d’une recherche et d’une manière d’envisager le métier. Les trois hommes questionnent et décrivent les procédés de l’exposition d’architecture pour en comprendre les enjeux et les méthodes.

Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.58

« Qu’est-ce qu’une exposition d’architecture ? Que montre une telle exposition? Quels objets? Traditionnellement, il est vrai qu’on y voit et rencontre un peu de tout - de tout, sauf de l’architecture (...) Les immeubles assument une fonction, celle pour laquelle ils ont été érigés. La fonction des tableaux, des sculptures ou autres objets d’arts présentés dans une exposition n’est, elle, pas détourné ou mise en suspens le temps

Photos de l’exposition restrospective de l’oeuve de Giacometti au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris organisé par Rémy Zaugg Herzog & de Meuron, Conversation between Jacques Herzog and Bernhard Bürgi, Bâle, 8 Novembre 1990 in Gerhard Mack, Herzog & de Meuron 1989-1991, The Complete Works, vol.2, Birkhäuser, Bâle, 1996, pp.183-188 20

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Collaboration artiste/architecte

que dure leur présentation au public. C’est quand il est exposé que le tableau assume sa fonction (...) En effet, la vocation première de l’œuvre d’art est de susciter l’explication perceptive et, donc, d’être perçue. » 21

Ils révèlent ainsi la difficulté de présenter des objets n’ayant pas pour fonction d’être exposés et la nécessité de les présenter d’une manière leur donnant du sens. La question se concentre alors sur ce que doit montrer une telle exposition, comment le montrer et comment présenter des documents très différents et ne représentant pas les mêmes choses. « L’œuvre d’art est l’œuvre d’art. Rien de plus, et rien de moins. Elle est réalité propre. En revanche, dans la salle d’exposition, le bâtiment est représenté et médiatisé par des plans, des esquisses, des maquettes, des vidéos, des photos, mais n’est pas présent lui-même (...) Existe-t-il néanmoins une manière de présenter, d’exposer et de réunir ces choses, qui permette d’obtenir plus qu’une simple accumulation de documents ? » 22

Zaugg exprime alors la nécessité de développer un concept, un projet d’exposition, pour présenter ces documents d’une manière précise, pour qu’ils prennent du sens et révèlent la démarche des architectes. « Le problème crucial de l’exposition d’architecture, c’est le matériel dont on dispose pour la faire, à savoir, les documents graphiques, photographiques ou plastiques d’une architecture réelle existant au-dehors, quelque part dans la ville (...) C’est pourquoi il faut à chaque fois élaborer un projet d’exposition qui soit au même niveau qu’un projet d’architecture, et inclure des réflexions sur le lieu, sur la lumière, sur les bâtiments qui seront présentés. » 23

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Plan de l’exposition Herzog & de Meuron au Centre Pompidou organisé par Rémy Zaugg. Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.41/42 21

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ibidem, p.42

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ibid., p.47


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

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Collaboration artiste/architecte

L’exposition de Paris cherche à créer une atmosphère homogène, susceptible d’être perçue d’un seul regard. Grâce à une série de tables et à un éclairage conçu spécialement, la salle est plongée dans une atmosphère particulière au sein de l’architecture du Centre Pompidou. L’espace est baigné d’une lumière blanche et homogène, à la façon des hypermarchés, tous les espaces sont qualifiés de la même manière, et tous les documents sont présentés de la même manière. Zaugg ne privilégie aucun support et il donne une lecture globale de l’œuvre des architectes. Il structure l’es-

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Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

pace d’exposition avec des rangées de tables parallèles, transformant la salle d’exposition en une large salle d’étude, un symbole selon lui du musée. Il réduit les moyens techniques au maximum pour s’en remettre à la fonction première de l’exposition, l’éducation des sens et de l’esprit. Bien que l’organisation des documents soit chronologique, l’artiste a aménagé des espaces entre les tables pour permettre des passages entre les rangées et permettre au public de faire sa propre expérience, sa propre exposition. « En l’absence des bâtiments réels existant quelque part dans le monde, l’exposition d’architecture ne peut guère que présenter, exprimer, inviter à vivre une recherche, un chemin, une quête, le parcours d’une pensée architecturale (...) Tous les documents sont étalés avec soin et intention didactique (...) Il faut s’approcher. Il faut se pencher. Marcher. S’arrêter à nouveau. Bref, il faut faire un effort. Un effort nécessaire. C’est au travail du visiteur que l’exposition doit d’advenir. C’est le visiteur qui fait son exposition au gré du parcours qu’il choisit tout seul. Et il y aura autant d’expositions qu’il y aura de sujet percevant. » 24

Photos de l’exposition Herzog & de Meuron au Centre Pompidou organisé par Zaugg. Herzog & de Meuron in Rémy Zaugg, Herzog & de Meuron, une exposition,op.cit., 1995, p.62/67 24

Cette exposition traduit d’une manière tout à fait concrète la relation très forte existant entre les architectes et l’artiste. Cette exposition, Herzog et de Meuron auraient pu l’organiser eux-mêmes, ils avaient déjà l’expérience nécessaire. En faisant appel à Zaugg, ils cherchent à enrichir leur approche de l’exposition d’architecture par le biais de la vision de l’artiste qui, lui, est confronté très souvent à ces questions. Par cette démarche, ils questionnent également l’acte d’exposer de l’architecture et la manière de le faire. Le dialogue entre les trois hommes permet de comprendre leur point de vue commun sur ces questions et sur la nécessité d’envisager l’exposition comme un véritable outil. Mais, l’exposition nécessite

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Collaboration artiste/architecte

un lieu spécifique pour exposer les œuvres, au Centre Pompidou, Zaugg aménage les lieux en tenant compte de la structure du bâtiment et de son usage. Le lieu de l’exposition constitue un terrain de recherche majeur pour l’artiste. Il sera le sujet d’un de ses livres ; Le musée des Beaux-Arts auquel je rêve. Ce livre et cette recherche seront à l’origine d’un autre lieu commun entre les architectes et l’artiste lorsque ce dernier va leur demander de construire son atelier.

Le lieu de l’exposition L’intérêt de Zaugg pour le lieu dans lequel est exposée l’œuvre vient du basculement progressif de l’art figuratif vers des œuvres nécessitant un lieu spécifique. Avant, le

regard était focalisé sur le rectangle de la toile (...) Le regard qui se promène dans un tableau ignore ce qui est au dehors du tableau (...) La relation à l’œuvre figurative est de l’ordre imaginaire: le tableau se réduit à une image, le regardant à une tête avec un oeil imaginant. Or, le tableau s’est simplifié peu à peu, il a perdu progressivement son caractère représentatif ou figuratif (...) La matière, la matérialité, le format, les proportions, la hauteur, la largeur, l’épaisseur du support jouèrent dès lors un rôle non plus secondaire, mais essentiel (...) Face à un tableau qui voulait n’être presque plus rien afin que le percevant devienne tout. Ce tableau qui voulait n’être presque plus rien afin que moi, le percevant, je devienne tout. Il n’avait plus une importance plus grande que la paroi sur laquelle il était accroché. La paroi était elle aussi devenue importante, aussi importante que le tableau. Chaque recoin de l’atelier était devenu important. Chaque objet visible devenait un protagoniste actif de ma rencontre avec le tableau. 25

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Plan, coupe et vues de l’atelier de Rémy Zaugg à Mulhouse. Rémy Zaugg, Rémy Zaugg, l’atelier, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°315, 1998, p.50 25

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ibidem, p.52


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

«Je veux un lieu fort, grand et dur, qui m’oblige à prendre position. Ce lieu doit m’en imposer. Me réveiller. Parfois, j’y vais et je le quitte aussitôt : je suis trop faible. L’art tient plus du béton armé que de la tapisserie à fleurs roses. Les mesures, les proportions, les contrastes entre le sol, les murs et le plafond doivent ajouter à la précision incisive rejetant compromis et compromissions.» 26

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Collaboration artiste/architecte

Cela va amener Remy Zaugg à se questionner sur le lieu de l’exposition, sa forme, ses proportions, ses couleurs , etc. Dans Le musée des Beaux-Arts auquel je rêve, Zaugg décrit chacun des éléments constituant un musée ainsi que son usage, son utilisation et sa relation à l’œuvre. Et cette question va évidemment intéresser des architectes comme Herzog et De Meuron. Lorsque Zaugg leur demande de construire son atelier, ils vont mettre en commun leur intérêt pour l’art, et l’exposition et construire un lieu adéquat pour l’artiste. L’atelier pour Zaugg sert d’espace de travail aussi bien que d’espace d’exposition; peindre n’est pour lui que la première étape du processus de constitution d’une œuvre. La perception et l’exposition de celles-ci constituent selon lui la partie la plus longue et la plus difficile. Son atelier sera l’endroit dans lequel il pourra exposer ses œuvres et expérimenter. Son atelier est donc lié à sa position théorique sur la disposition d’un musée pour exposer des œuvres ainsi qu’aux idées des architectes sur les musées. L’expression de l’atelier est réduite au minimum et entend établir un espace permettant un dialogue entre l’œuvre et le sujet percevant. Les architectes imaginent un volume simple constitué de deux espaces, différents en plan, mais de la même hauteur, chacun ayant une relation différente à l’extérieur. Herzog & de Meuron profitent également de cette occasion pour expérimenter un système d’éclairage zénithal. Les salles pourront ainsi bénéficier d’un éclairage homogène et la paroi accueillant l’œuvre ne sera pas interrompue ainsi que la relation entre l’œuvre et le percevant. Pour l’atelier, ils tiennent également compte de l’environnement et du site particulier du projet. Dans le grand jardin de la maison de 44

Croquis et vue de l’intérieur de l’atelier de Zaugg. Volume simple et éclairage zénithale.


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

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Collaboration artiste/architecte

Zaugg, ils entendent construire un atelier discret et en relation avec les éléments environnants. De la même manière qu’ils ont pu envisager leur projet urbanistique, ils cherchent une réponse renforçant l’existant, exposant l’existant. « C’est en rôdant dans les lieux que les choses se sont montrées, exprimées, fixées. Nous avons tenu compte de ce qu’il y avait : la parcelle, le vieux mur de mâchefer, la rangée d’arbres, l’usine derrière; il y avait aussi la grande maison, le beau tilleul, les dépendances. Il s’agissait d’exposer l’existant en le renforçant. Et en retour, l’existant exposerait l’atelier. C’est ainsi que celui-ci a trouvé sa forme et sa place, qu’il a pris position: par réaction positive à ce qui existait. » 27

Nous avons exploré la participation de l’artiste à des projets urbains, à l’occasion de contribution en tant que théoricien pour l’organisation d’exposition, mais, quant est-il de sa participation en tant qu’artiste ? Les architectes ont rarement fait appel à Zaugg pour contribuer à un projet via une intervention artistique, d’un point de vue esthétique. C’était pourtant la demande pour un projet en particulier : une intervention picturale de l’artiste pour le projet des laboratoires Roche à Bâle.

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Vue extérieure des laboratoires Roche à Bâle.La peinture murale de l’artiste met en valeur le mur central du projet Rémy Zaugg, Rémy Zaugg, l’atelier, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°315, 1998, p.52 27

Rémy Zaugg, Une architecture de Herzog & de Meuron, Une peinture murale de Rémy Zaugg, Une œuvre pour Roche Bâle, Birkhäuser, Bâle, 2001, p.72 28


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : L’exposition

«Ce mur, essentiel et central pour l’architecture, ce mur auprès duquel on va pour se rencontrer et communiquer, pour s’informer et échanger, ce mur qui se donne à voir et s’impose à l’intérieur comme à l’extérieur, ce mur, donc, est prédestiné à recevoir une expression artistique.» 28

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Collaboration artiste/architecte

UNE PEINTURE MURALE Quand il est question d’une collaboration artistique, elle est souvent associée à une intervention ou à l’ajout d’une œuvre dans l’architecture, quelque chose venant se rajouter une fois l’architecture terminée, comme un bijou. Pour le projet des laboratoires Roche, Zaugg a été invité à participer au projet de cette manière, via une intervention picturale. Le mur, lieu de l’œuvre « Dans cette collaboration éventuelle entre Herzog & de Meuron et Rémy Zaugg, les fonctions de chacun seraient distinctes. Les architectes feraient l’architecture, moi je ferais mon travail d’artiste. Les architectes signeraient l’architecture, le peintre signerait la peinture. » 29

Remy Zaugg est supposé intervenir une fois l’architecture terminée, son intervention doit être un acte à part de celui des architectes. Mais, il doit penser son acte en dialogue avec l’architecture, et, pour ce faire, Zaugg va décrire et reprendre les concepts du projet pour réaliser un travail cohérent vis-à-vis du projet architectural. « Nous savions que mon travail pictural ne devait pas s’ajouter mécaniquement ou sottement à l’architecture (...) À l’artiste, donc, de s’adapter et de réagir, de comprendre et d’interpréter. À lui de combler son retard et d’assimiler ce qui est déjà pour devenir un partenaire à part entière, apte à dialoguer (...) L’art sera donc intimement lié à l’architecture et paraîtra irréductiblement nécessaire. Une fois achevé, le travail du peintre donnera l’impression d’avoir été désiré, appelé et voulu par l’architecture (...) Si sa contribution est réussie, l’artiste n’aura rien fait en apparence, puisque son œuvre fut voulue et dictée par l’architecture. L’artiste disparaîtra dans l’évidence de la nécessité de l’œuvre. » 30 48

Schéma et plan des laboratoires Roche à Bâle. Le mur sépare deux volumes, privée et public. Ce mur accueillera l’œuvre de Zaugg. Coupe sur le mur avec l’intervention de l’artiste. Il propose une peinture monochrome sur l’ensemble du mur avec des phrases en certain endroit du mur. Vue du mur teinté de bleu sur toute sa hauteur. Rémy Zaugg, Une architecture de Herzog & de Meuron, Une peinture murale de Rémy Zaugg, Une œuvre pour Roche Bâle, Birkhäuser, Bâle, 2001, p.65 29

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ibidem, p.66

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ibidem, p.72


Herzog & de Meuron - Rémy Zaugg : Une peinture murale

Zaugg reprend chaque élément du projet et décrit dans un processus narratif la construction dans un journal qu’il appelle genèse de l’œuvre. Il va comprendre que son intervention doit se faire sur le mur séparant la partie privée des laboratoires de la partie semi-publique donnant sur la rue. « L’analyse fantasmagorique de l’architecture a montré que le mur est partiellement masqué par la sculpture fonctionnelle érigée dans la boîte de verre et qu’il s’impose moins aux sens et à l’esprit lorsque la boîte est occupée que lorsqu’elle est vide. Aussi l’intervention artistique se donne-t-elle pour but de compenser la perte de présence du mur. Intention logique et légitime, puisque le mur est la charnière essentielle de l’architecture. » 31

À partir de cette constatation, l’artiste va développer son œuvre en questionnant chaque intervention qu’il aurait pu faire. Il arrive à la réponse la plus adaptée par un processus de recherche analysant différentes possibilités. Encore une fois, l’artiste va influencer certaines décisions architecturales quant au placement d’escaliers, de bureaux ou de l’entrée face au mur. Ses décisions vont jouer un rôle dans la constitution du projet des architectes. Il réalisera même un travail pictural sur l’ensemble de l’étage et non plus seulement sur le mur porteur central.

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Collaboration artiste/architecte

« Les architectes m’ont invité à sortir de mon ghetto et à peindre les autres éléments de l’architecture en plus de la paroi. Pourquoi me suis-je immiscé dans une chose qui, a priori, devait ne pas être de mon ressort? Parce qu’il m’est difficile de maîtriser un élément d’un tout sans travailler avec et pour ce tout. » 32

L’intervention de Zaugg sera plus importante que celle qui était prévue. Il s’est intéressé aux questions architecturales du projet et a remis en question certains éléments fragilisant le mur sur lequel il intervenait. Il s’est d’ailleurs lui-même désigné comme l’avocat du mur. En plus de son intervention sur ce mur, il va développer un concept de couleur sur l’ensemble de l’étage pour appuyer la force de son intervention sur le mur. Son travail d’artiste s’est aussi bien concentré sur l’œuvre elle-même que sur le lieu dans lequel elle allait être exposée. C’est à travers la compréhension du projet et de ses espaces que l’artiste a pu construire son œuvre. L’ensemble des décisions qu’il prend fait sens avec ses espaces et naît avec eux. Ainsi, le fait de réaliser une peinture monochrome sur l’ensemble du mur vient de la force et du caractère de ce mur, c’est lui qui dicte ses limites à la couleur, qui en définit la forme, les dimensions et la superficie.

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ibidem, p.109



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R

oger Diener est né en 1950 à Bâle, fait ses études à l’École polytechnique de Zurich au début des années 1970, au moment où y enseignent des praticiens de renom tels qu’Aldo Rossi et Luigi Snozzi. Diplômé en 1976, il s’associe avec son père et lance l’agence Diener & Diener. Auteur de projets prestigieux à Berlin, Amsterdam, Malmö ou Rome, Roger Diener reste très actif dans sa ville natale. En 1999, il y fonde Studio Basel, avec Jacques Herzog, Marcel Meili et Pierre de Meuron, institut dans lequel il enseigne encore aujourd’hui. Il a aussi été professeur invité à Harvard University, à l’école d’architecture de Vienne et à l’académie Royal

d’architecture de Copenhague. En 1995, il publit le livre Das Haus und die Stadt / The House and the City dans lequel il engage sa vision de l’architecture en lien très fort avec la ville. Son architecture, cohérente de l’échelle du territoire à celle du détail constructif, se distingue par l’attention portée au contexte et la sereine élégance de la forme retenue. Les projets de Diener représentent un véritable champ d’expérimentation. L’attitude adoptée n’est pas celle d’un mimétisme factice ; au contraire, chaque situation demande d’être regardée dans sa spécificité, afin de ne pas venir superposer des figures sur un fond qui serait ignoré.


H

elmut Federle né en 1944 à Soleure est un artiste suisse. À l’âge de 20 ans, il s’inscrit à la Kunstgewerbeschule de Bâle. En 1969 il voyage en Inde, en Afghanistan et au Népal, un voyage qui l’a beaucoup influencé. Il séjourne à New York jusqu’en 1983 où il radicalise ses compositions et fait disparaitre toute allusion à la réalité. Il a enseigné à l’École des Beaux-Arts de Genève. Il a aussi enseigné à la Kunstakademie de Düsseldorf. En 1985 il s’installe à Vienne pour y poursuivre son travail ; à partir de 1988 il y aménage son atelier. Un des sujets qui le préoccupe le plus est la spiritualité qu’il retranscrit dans ses tableaux par des rapports entre des lignes horizontales et verticales.


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COLLABORATION ARTISTE/ARCHITECTE ROGER DIENER - HELMUT FEDERLE

Nous avons voulu analyser une autre collaboration qui nous paraissait aborder la relation entre des artistes et des architectes d’une autre façon. L’association entre l’architecte Roger Diener et l’artiste Helmut Federle, pour deux projets, traduit une façon de travailler différente de celle qui a lié Rémy Zaugg à Jacques Herzog & Pierre de Meuron. Le travail de Roger Diener s’appuie sur l’histoire de l’architecture et de la ville, elle prend ses références dans le milieu même de l’architecture quand Herzog & de Meuron cherchent au contraire à en sortir. Roger Diener fait appel à Federle lorsqu’il ne trouve pas lui-même, dans le vocabulaire architectural, les moyens de répondre à une problématique précise. Leur collaboration sera, à première vue, plus classique : l’artiste réalise son intervention et l’architecte, le bâtiment. Cependant, comme Jacques Herzog l’avait précédemment évoqué, une collaboration ne s’improvise pas, il doit y avoir une conjonction d’idées, un intérêt partagé dans le travail de chacun. « Roger Diener ne serait pas venu me voir si il ne pouvait s’ identifier avec mon état d’esprit, et, inversement, je n’aurais pas dit oui si je n’avais pas pu m’identifier à son étal d’esprit. Il y avait dès le départ un respect mutuel et nous savions qu’il y avait une entente dont les bases mêmes ont rendu cela possible. » 1 58


Roger Diener - Helmut Federle

Cependant, Helmut Federle se défend d’entrer dans les problématiques de l’architecte, il fait son travail, indépendamment de l’architecture produite par Diener. « Au début, il y a eu un accord sur les questions, puis chacun a travaillé de son côté, sans qu’ il y ait vraiment de communication, mais ce n’était pas nécessaire non plus. » 2

Helmut Federle, Rencontre avec Helmut Federle, Faces, n°50, 2002, p.67 1

Roger Diener, Rencontre avec Roger Diener, Faces, n°50, 2002, p.64 2

La disposition légale française dite « du 1 % artistique » (ou parfois « 1 % culturel » ou encore « 1 % décoratif ») institue la création d’œuvres d’artistes-plasticiens actuels associés à la création architecturale publique. 3

Helmut Federle, Rencontre avec Helmut Federle, op.cit., p.67 4

Roger Diener fait appel à l’artiste pour répondre à des questions complexes dans le rapport des bâtiments à la ville et son histoire : à Berlin, l’histoire marquante du lieu et des évènements qui s’y sont déroulés ; à Bâle, le positionnement stratégique du bâtiment à l’entrée d’un campus dédié à la firme Novartis. Chez Helmut Federle, la composition est primordiale. Le parti fondé sur le rapport de l’horizontale et de la verticale est le plus souvent retenu. Sa peinture stricte, géométrique, souvent de grand format engage une relation forte avec le spectateur. Roger Diener va créer un dialogue entre son architecture et l’œuvre de l’artiste pour construire ses deux projets. L’intervention de l’artiste ne sera pas un simple apport esthétique comme il convenu aujourd’hui d’ajouter à la fin d’un projet le 1% artistique 3. Les réalisations de Federle engageront un dialogue avec l’architecture de Diener. « Bien sûr, le concept du dialogue est intéressant, on peut dire que notre époque est celle où on ne doit pas tout faire tout seul. Il est possible de travailler en commun et cela peut donner naissance à une histoire plus intéressante. » 4

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Collaboration artiste/architecte

L’Ambassade Suisse à Berlin

Le concours pour l’Ambassade de Suisse abordait des thèmes essentiels, significatifs et particuliers à Berlin, des thèmes en rapport avec cette ville morcelée, partiellement reconstruite, qui a été vue de diverses façons pendant l’époque moderne et après-guerre, et qui implique de prendre en compte l’idée de la continuité, de la rupture, de la fragmentation d’une architecture actuelle. 5

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Roger Diener - Helmut Federle : L’ambassade Suisse à Berlin

Page précédente, Vue aérienne de l’ambassade avant l’extension de Roger Diener montrant la situation extraordinaire du bâtiment. Vue de l’ambassade lorsqu’elle appartenait encore à un îlot fermée. Seule sa façade principale est dans un style néo-classique. Plan masse de l’ambassade avant l’extension de Roger Diener.

Roger Diener, Rencontre avec Roger Diener, op.cit., p.64 5

Un lieu exposé aux vagues de l’histoire L’ambassade a d’abord été construite par Friedrich Hitzig comme résidence privée pour l’hôpital universitaire en 1870-1871. Le bâtiment va d’abord ‘survivre’ au régime nazi qui détruira de nombreux bâtiments alentour pour un projet de réaménagement et ensuite aux bombardements pendant la guerre. À l’origine, l’ambassade était intégrée dans une rue, seule sa façade sud était dans l’alignement de la rue. L’ambassade se retrouve dès lors isolée dans un paysage dévasté par la guerre, mais, située en plein cœur de la ville, elle fait figure d’objet étrange, isolée dans un vide témoin de l’histoire marquante du lieu. Depuis un projet de 1993, la ville a fait construire des bâtiments fédéraux autour de l’ambassade ; la Chancellerie et un immeuble parlementaire. L’ambassade se trouve dans une position stratégique autant par son histoire que par sa situation. L’intervention des architectes se fera en regard de l’histoire du bâtiment et avec la volonté de retranscrire les évènements qui s’y sont déroulés. Construire une extension à l’ambassade va obliger l’architecte à se positionner sur l’endroit de cette extension. L’architecte va proposer de construire un premier volume à l’est accueillant des bureaux pour l’ambassade. Le volume n’a pas la même profondeur que le bâtiment existant, mais la façade sud reste alignée. L’architecte fait référence au passé lorsque le bâtiment faisait partie d’un îlot. Pour contenir l’ambassade sur ces deux côtés, il faut un deuxième volume de l’autre côté. Ce pignon fait face au vide laissé par les violences du passé. Diener exprime alors l’incapacité d’agir selon des procédés architecturaux face à une telle situation urbaine. C’est pour cette raison qu’il va faire appel à un artiste.

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Collaboration artiste/architecte

« Nous avons recherché une collaboration avec Helmut Federle au moment où nous avons compris que la complexité était telle que les moyens traditionnels seraient insuffisants pour répondre à notre vision. » 6

Une constellation de trois parties « (...)faire une pièce unique. A Berlin, nous ne pensions pouvoir atteindre ce statut qu’au moyen de différents éléments. Non pas par une volonté de réduire le bâtiment dans son expression et de réduire les moyens, mais plutôt par une complexité qui crée finalement une forme composée de deux éléments. Car, malgré tout, ce projet n’est pas composé par des éléments individuels et autonomes, mais par différents éléments liés, l’un amenant l’autre, et finalement dans cette marge entre les différents éléments se construit une sorte d’expression pour l’ensemble. » 7

La volonté de l’architecte est de construire un ensemble agrégeant différents éléments. C’est dans l’histoire du bâtiment qu’il va trouver une réponse en construisant de part et d’autre des deux pignons de l’ambassade. De cette manière, le bâtiment est contenu de chaque côté et ne fait plus figure d’objet isolé, mais devient un véritable fragment urbain, qui dialogue avec son environnement et avec son passé.

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Roger Diener - Helmut Federle : L’ambassade Suisse à Berlin

« We took up the fundamental conditions of the palace that was to be extended, we drew conclusions from them- in a word, we expressed reality- that alarmed people. » 8

La réussite de l’extension imaginée par Roger Diener tient dans le fait qu’il n’a pas voulu effacer les points de fractures du bâtiment, mais, au contraire, leur donner une forme pour qu’ils deviennent une expérience, une idée du passé. Mais, pour cela Diener fait appel à une autre personne pour réaliser un travail à l’ouest du bâtiment. De fait, le projet sera consitué de trois éléments, le bâtiment existant réalisé en 1871, l’extension à l’est réalisée par Roger Diener et enfin le relief sur le pignon ouest réalisé par l’artiste Helmut Federle. Le projet rapproche donc trois éléments réalisés par trois personnes différentes. Mais, l’architecte ne fait pas appel à Federle par hasard, il connait le travail de l’artiste et comprend le potentiel et la force d’une intervention artistique sur ce pignon.

Page précédente, vue de l’ambassade montrant les trois parties composant le projet. Roger Diener, Rencontre avec Roger Diener, op.cit., p.64 6

7

ibidem, p.66

Roger Diener, Architecture engagée, Martin Steinmann in Diener & Diener, Phaidon, Londres, 2011, p.311 8

Roger Diener, Rencontre avec Roger Diener, op.cit., p.64 9

« Helmut avait probablement en tête une image de notre travail sur le bâtiment, de la même façon que nous en avions une sur le potentiel de son travail sur ce mur pignon. Ces deux visions un peu spéculatives nous ont encouragés mutuellement dans la voie de cette collaboration sur un déroulement, en quelque sorte parallèle, à des bouts différents du même projet. » 9

La collaboration avec l’artiste est basée sur une confiance mutuelle dans le travail de chacun. L’architecte laisse l’artiste relativement libre dans son travail, il n’y a pas de contribution de l’un dans le travail de l’autre comme ce fut le cas entre Rémy Zaugg et Herzog & de Meuron. Ici, la collaboration favorise et aide le projet à apporter une réponse plus concrète à travers une intervention de l’artiste. Pour le projet de l’ambassade, cette réponse

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Collaboration artiste/architecte

prend la forme d’un relief sur l’ensemble du pignon bâtiment. Un relief mural L’œuvre de Helmut Federle pour le pignon de l’ambassade se trouve en équilibre entre art et architecture. Son dessin rappelle autant une façade, avec un sous-bassement, une attique, un rythme d’ouvertures où la partition interne se projette vers l’extérieur, que les sculptures en béton qu’il a faites en 1992. Mais aucune de ces ouvertures n’est vraiment percée, la nature de ce mur est d’être un mur aveugle ; un pignon, qui, à l’origine était mitoyen. Maintenant que le bâtiment voisin n’existe plus, ce mur mis à nu se révèle comme un monument, témoin de la mémoire du passé. Ce mur sera un outil, un témoin, une œuvre face à la ville, il sera une partie de la composition. Il assume beaucoup de rôles sans pour autant avoir une réelle fonction. Il est simplement un relief énigmatique dialoguant avec son environnement et avec le bâtiment. « Le relief n’a pas de fonction , il n’a pas d’ouvertures, c’est une surface à laquelle j’ai donné un corps par la structuration des horizontales et des verticales. Cette grille donne un corps à cette surface. Cette corporéité implique quelque chose comme une lourdeur, une durabilité. Autrement, cela aurait eu l’effet d’un trompel’œil, une illusion. Mais je ne travaille pas sur des illusions. je travaille sur la réalité en ce sens que je donne à une certaine masse, une certaine forme, une expression formelle et psychique. » 10

Cette masse fragmentée fait directement référence à la ville fragmentée lui faisant face et ce mur cassé marque la continuité avec une partie de la ville qui n’existe plus. L’ambassade, autrefois entourée de bâtiments, est restée seule face à un passé dont l’existence persiste grâce à la

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Roger Diener - Helmut Federle : L’ambassade Suisse à Berlin

confrontation des langages et au poids de ce relief strict. Federle parle aussi de chair pour ce relief, le mur montre en quelque sorte la chair du bâtiment qui était autrefois caché par le bâtiment mitoyen. L’artiste révèle l’ossature de l’ambassade, il montre au public ce qu’il ne devrait pas voir, et fait du public le témoin des violences subies par le passé. « En se rapprochant, on verrait que l’architecture

n’a pas toujours été perçue comme on la perçoit aujourd’hui. comme une peau, mais qu’il y a aussi une chair. Cela s’est perdu dans ce sens dans l’architecture moderne, je ne crois pas que tu puisses trouver un bâtiment qui soit déterminé par cette qualité de relief. C’est une part de ma compréhension de l’art. » 11

Page précédente, Helmut Federle, Reliefs en béton, 1992, (détruits) ; vue frontale du relief réalisé par l’artiste. Vue de l’ambassade et la relation forte existant entre les trois parties du projet

Roger Diener, Rencontre avec Helmut Federle, op.cit., p.69 10

11

ibidem, p.68

L’intervention de l’artiste, bien qu’elle soit revendiquée comme étant indépendante de toute problématique architecturale, s’inscrit dans la réponse de l’architecte pour le projet. Un composition de plusieurs parties très différentes témoins d’un passé encore présent. Le relief de l’artiste fait partie intégrante du projet et répond à l’extension de l’architecte. L’intervention de l’artiste se place en relation à l’architecture tout comme l’architecture dialogue avec le relief de Federle. Il renforce le projet et lui apporte une cohérence en complétant sa composition. La méthode de travail différenciant le travail de l’artiste et de l’architecte va se retrouver dans leur seconde collaboration pour le bâtiment Novartis à Bâle, mais, encore une fois, la réalisation de l’artiste sera en relation directe avec les problématiques soulevées par le projet architectural.

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Collaboration artiste/architecte

Bâtiment Novartis à Bâle

Pour moi, la composition reste (...) un élément essentiel de la peinture parce que le tableau, dans son environnement, vit de ce dialogue, de ce rapport de force entre le tableau et l’espace, entre la masse de la couleur et la matérialité du support (...) Il n’existe pas, selon moi, de peinture absolument non référentielle. 12

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Roger Diener - Helmut Federle : Bâtiment Novartis à Bâle

Page précédente, axonométrie des panneaux de verre constituant l’intervention d’Helmut Federle

Le campus Novartis Le bâtiment Forum 3 est le premier d’une série de plusieurs bâtiments prévus sur le campus Novartis, construit sur l’ancien site de production de la firme, au nord de Bâle. La position du bâtiment est cependant particulière, Forum 3 se trouve à l’entrée du Campus ; une problématique inédite pour l’architecte se devant de construire un bâtiment doté d’une identité suffisamment forte pour donner l’image du campus, incarnant l’esprit de la firme Novartis. Le bâtiment agit donc comme une limite, une entrée, un seuil pour le campus. Ce qui rend sa conception encore plus difficile pour l’architecte. Fonctionnellement, le bâtiment devait aussi être un outil de travail fonctionnel et agréable. Pour répondre à cela, l’architecte projette une organisation des étages en open-space, une organisation relativement nouvelle pour l’époque. Les bureaux s’ouvrent du sol au plafond vers l’extérieur, mais, l’architecte recherche un vocabulaire et une relation plus complexe à l’environnement. Pour répondre à la situation urbaine, il va faire appel à Helmut Federle, lui suggérant de couvrir l’ensemble du bâtiment d’une peau lui donnant son identité, sa présence dans le campus et marquant son entrée. L’intervention de l’artiste va une nouvelle fois être un élément renforçant le projet architectural et apportant une relation à l’espace public. Federle va envelopper l’architecture de Diener d’une peau entre architecture et œuvre d’art. Il imagine une peau n’ayant pas de réelle fonction comme son relief pour l’ambassade, mais jouant un rôle à la fois architectural, urbain et perceptif.

Plan masse du Campus Novartis et plan d’étage courant du bâtiment Forum 3 réalisé par Roger Diener Helmut Federle, Une carapace colorée, D’Architectures, n°149, 2005, p.85 12

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Collaboration artiste/architecte

Une enveloppe picturale L’intervention de l’artiste pour le projet va prendre la forme d’une enveloppe constituée de panneaux de verre coloré. Sa proposition est très proche de son travail de peintre, un jeu d’à-plat de couleurs souvent ternes. Une toile peinte en 1963 par l’artiste ainsi qu’une composition qu’il avait réalisée en 1999 pour un bâtiment de Hans Kollhoff à Meiningen constituent les précédents de son travail à Bâle pour Novartis. Pour construire sa composition, Federle n’utilisera pas de règles ou de discours, il va suivre son oeil pour fabriquer la peau de verre. Par touches successives, l’artiste a élaboré la composition, en choisissant couleurs, teintes et transparence des panneaux. Il a cherché une sensation de profondeur de la même manière qu’à Berlin, ainsi, les panneaux seront disposés selon trois profondeurs différentes de 20 cm chacune. Comme à Berlin, l’artiste ne veut pas que son intervention ait une véritable fonction, sa raison d’être n’est ni technique, ni fonctionnelle, elle radicalise l’utilisation du matériau verre. « Une forme non fonctionnelle est nécessaire, ce qui signifie pour moi, une forme neutre de concentration. Elle est une composition, ni arbitraire, ni absolument objective.La forme doit toujours être spirituelle, c’està-dire posséder une logique et une concentration interne, végétative.» 13

Les panneaux, ne sont pas des fenêtres, ils sont décollés de la façade et n’assument donc aucune des fonctions habituelles du verre. La volonté de Federle est de constituer une enveloppe qui sera visible parce qu’elle est colorée, mais une enveloppe sans réelle fonction inhérente à un bâtiment. Deux actes de l’artiste lui donnent pourtant son caractère spécifique ; la couleur et la composition aléatoire. Ainsi, son intervention n’a d’autre fonction que d’être du verre et des couleurs. 68

Composition dédiée à Anni et Josef Albers réalisée en 1999 pour un bâtiment de Hans Kollhoff à Meiningen Helmut Federle, Sans titre, 1963, huile sur toile cotton, 94,5 x 55, collection de l’artiste Page suivante, dessin des panneaux de verre superposés. Helmut Federle in Helmut Federle, musée de Grenoble, Musée de Grenoble, Grenoble, 1989, p.100 13


Roger Diener - Helmut Federle : Bâtiment Novartis à Bâle

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Collaboration artiste/architecte

« This geometry is neither subject to compositional considerations nor does it seek to be spectacular. lts decorative quality, of which I am quite conscious,expresses an existential visionary grandeur. The aim is to add beauty as meaning to the form’s rationality. » 14

Pourtant l’enveloppe de Federle répond autant à des problématiques urbaines vis-à-vis de la situation du projet qu’à des considérations du projet développé par Roger Diener. Son enveloppe se place comme à Berlin entre architecture et œuvre d’art. Pour l’architecte, elle sera une transition entre le projet et la situation urbaine et permettra une certaine qualité de lumière. Une enveloppe architecturale À Berlin, Helumt Federle avait revendiqué le fait d’avoir travaillé les mains libres, en n’ayant reçu aucune indication de la part de Roger Diener. Pour le bâtiment Novartis, la même méthode de travail s’applique et l’artiste propose son intervention comme il le souhaite. Son œuvre ne se préoccupe pas de considération architecturale, pourtant, elle s’associe au bâtiment et lui donne un caractère particulier. La façade de verre donne sa volumétrie au bâtiment et le détache de sa masse. La façade dématérialise le bâtiment qui semble flotter et abstrait les angles du bâtiment. Les panneaux de verre sont installés selon trois profondeurs différentes au moyen de câbles qui assurent la cohérence statique de l’ensemble du bâtiment. Enveloppe et structure sont ainsi reliées dans un dialogue entre la simplicité du volume, des espaces intérieurs et la complexité de l’enveloppe épaisse de Federle. Diener dira que les panneaux de verre relient le bâtiment et son enveloppe en un seul système cohérent. Federle ne se préoccupe pas de questions architecturales, il revendique son intervention comme autonome. Cependant, il réalisera la façade avec Gerold Wiederin, un autre architecte qui placera les panneaux de verre selon 70


Roger Diener - Helmut Federle : Bâtiment Novartis à Bâle

le souhait de l’artiste et selon des contraintes fonctionnelles. L’enveloppe de Federle sera aussi un atout majeur du point de vue de la perception du bâtiment, il jouera un rôle cher à l’architecte.

Vue du bâtiment Forum 3 réalisé par Roger Diener. Les panneaux de verre disposés par l’artiste selon trois profondeurs différentes réagissent avec la lumière différemment selon leur position créant une multitude de perception de l’édifice. Helmut Federle in Diener & Diener, op.cit., p.237 14

Roger Diener in Diener & Diener, op.cit., p.244 15

« The building produces views that are reminiscent of a city. With each movement through the building, the scene changes. lt is as if we were walking down the streets and across the squares of a city. New vistas are always coming into view as an infinite series of distinct and yet related images. As we come to a standstill, the composition rests. » 15

Cette collaboration montre la confiance de Roger Diener dans l’intervention de Federle. L’enveloppe réalisée par l’artiste constitue la façade, la relation au public, le lien entre le bâtiment et son environnement. Même s’il n’y a pas de réel partage d’idée, cette collaboration atteste de l’importance de la relation entre les deux hommes construisant ensemble un projet cohérent.

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Remy Zaugg

1943

1963

Naissance à Courgenay, Suisse

Première exposition au Kunstmuseum de Bâle

1950

1970 1975

H & dM

Naissance à Bâle, Suisse

1940

Helmut Federle

1944

1950

1960

1964 1969

Etudes à l’ETH de Zurich avec Aldo Rossi et Dolf Schnebli

1970

1969

1982

La ruse de l’innocence, Dijon, Les presses du réel, 1997

Naissance à Bâle, Suisse

1970 1976

Etudes à ETH à Zurich avec Aldo Rossi et Luigi Snozzi

1987

Le musée des Beaux arts auquel je rêve où le lieu de l’oeuvre et de l’homme, Dijon, les presses du réel, 1995

1977

Assistants de Dolf Schnebli

1978

Création de l’agence Herzog & de Meuron

1975

1979

Voyage en Séjourne à Inscription Inde et en New York Afghanistan à la Kunstgew 1971 erbeschule 1972 de Bâle Réside à Paris, à la cité international des arts

Naissance à Soleure, Suisse

1950

Roger Diener

1972

Etude de la peinture La maison du pendu, Cezanne, Esquisses perceptives.

1976

S’associe avec son père Markus Diener

1980

1981 1982

Enseigne à l’école des Beaux-Arts de Genève 1983 Arbeit der neuen Ordung, (NSGII)

1985

1981

New Suicide Grafic, Faces and Other Pieces, Zurich, Nachbar der Welt-Verlag


1989 1990

Schéma directeur pour le campus de l’unvesité de Bourgogne à Dijon

19901991

Eine Stadt im Werden? Etude urbaine pour l’agglomération de Bâle

1990

Constrution des résidences universitaires Antipodes I sur le campus de Dijon.

1987

1990

1991

Ebauche d’une idée pour la restructuration du centre de la ville de Berlin pour l’exposition Berlin Morgen à Francfort

1992

1992

Restauration et extension du musée Semur en Auxois, non realisé

1995

Exposition Herzog & de Meuron au Centre Pompidou

1997 2003

Extension du Aargauer Kunsthaus D’Aarau

1994

1995

1998 2003

2005

Mort à Peinture Bâle, murale et Suisse concept des couleurs des nouveaux laboratoires Hoffmann La Roche S.A à Bale

2000

2000

2005

2005

Ambassade Novartis Suisse à Bâle, Berlin Suisse

1995

Das Haus und die Stadt, Roger Diener et Martin Steinmann


COLLABORATION INGENIEUR/ARCHITECTE

Nous avons déjà traité des rapports étroits qui pouvaient exister entre des architectes et des artistes, nous voulons traiter de la même manière les relations entre des ingénieurs et des architectes. Nous regardons l’architecture à travers deux spectres qui lui sont souvent associés, l’aspect artistique du métier, vestige de l’enseignement des Beaux-Arts, et le côté technique et scientifique de la discipline. Ces deux approches restent très ancrées dans la culture architecturale. Le dialogue entre architecte et ingénieur existe depuis longtemps, de fait, les architectes ont toujours eu recours à des specialistes pour certains aspects techniques des bâtiments, acoustique, structures, éclairement... Ce qui nous interesse ici, c’est une relation singulière entre deux personnes mettant en relation des idées et des concepts pour construire ensemble des projets. A travers l’histoire, plusieurs exemples attestent de la néces74


Collaboration ingénieur/architecte

sité d’une relation forte entre l’ingénieur et l’architecte, entre la structure et l’architecture. Le Corbusier produira dans cette optique plusieurs images illustrant une poignée de main entre architecte et ingénieur. Il travaillera pendant plusieurs années avec un ingénieur russe Vladimir Bodiansky qui deviendra son premier collaborateur permanent à partir de 1945. C’est peut-être avec l’association de Louis Kahn et Auguste Komendant que la collaboration entre architecte et ingénieur acquiert une nouvelle dimension avec plus de dix-huit années de travail en commun. Komendant developpera des solutions structurelles très techniques en relation permanente aux idées de l’architecte pour construire ces bâtiments. Cependant, nous regarderons une période plus récente pour comprendre certaines problématiques contemporaines. L’un des personnages les plus importants dans la théorie de l’architecture contemporaine est Rem Koolhaas avec son ‘manifeste retroactif ’ de la condition metropolitaine. Par son analyse de New York, il va comprendre l’évolution des services et de la technique dans les bâtiments et le rôle majeur des ingénieurs dans leur construction. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait entrepris une relation étroite avec un ingénieur partageant ces mêmes considérations. Cecil Balmond, de son côté, envisage de redéfinir le métier et le rôle d’ingénieur en regard des nouvelles technologies. Les deux hommes partagent donc un certain nombre de points de vue et leur association va permettre d’imaginer l’architecture et la structure d’une nouvelle manière. Dans son sillage, Toyo Ito va entreprendre le même genre de recherche, d’abord en partenariat avec Balmond et ses travaux sur les espaces fluides et non-linéaires puis avec l’ingénieur nippon Mutsuro Sasaki. Nous nous interesserons donc aux conjonctions d’idées entre ces deux couples d’ingénieurs et d’architectes pour comprendre l’intérêt de telles collaborations.

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C

ecil Balmond est né en 1945 au Sri Lanka. Il a fait ses études d’ingénieur à l’université de Colombo puis à l’université de Southampton et à l’Imperial College de Londres. Il a travaillé chez Ove Arup & Partners. Il a collaboré avec de nombreux architectes, notamment pour les pavillons Serpentine à Londres. Depuis 2010, il a sa propre agence ‘Balmond Studio’ basée à Londres. Il va renouveler le monde de l’ingénierie en proposant une démarche non cartésienne du métier. Son livre Informal, publié en 2005 va retranscrire son approche particulière.


R

em Koolhaas est né en 1944 à Rotterdam (Pays-Bas), il est architecte, urbaniste et écrivain. Après avoir été un temps journaliste et scénariste pour le cinéma, à la fin des années 1960, il fait ses études d’architecture à l’Architectural Association de Londres. Il part aux États-Unis pour suivre l’enseignement de Oswald Mathias Ungers à Cornell. En 1975 il fonde à New York l’Office of Metropolitan Architecture (OMA) avec Elia et Zoe Zenghelis, et sa femme Madelon Vriesendorp. En 1978 il écrit New York Délire : un manifeste rétroactif pour Manhattan. En 1995 il rassemble ces projets et un certain nombre de ses essais ou textes critiques en les classant par ordre de taille, dans S,M,L,XL. Il a aussi publié d’autres livres ; Mutations en 2000 ou Junkspace en 2011. Il a également fondé l’AMO dédiée à la recherche para-architecturale.


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COLLABORATION INGENIEUR/ARCHITECTE REM KOOLHAAS - CECIL BALMOND

Tout comme la relation très forte qui a pu exister entre l’artiste Rémy Zaugg et les architectes Jacques Herzog et Pierre De Meuron, celle entre Cecil Balmond et Rem Koolhaas témoigne d’un intérêt très particulier pour le travail en équipe et pour la mise en commun d’idées et de concepts. Cette collaboration, qui débute dès 1985, s’appuie sur l’approche architecturale de Rem Koolhaas à travers New York Delire et sur l’approche structurelle de Balmond qu’il développera plus tard dans Informal. Tous deux défendent des théories fortement inscrites dans une pensée traitant de problèmes contemporains, mais surtout prônent une vision moderne détachée des règles établies. Leurs pensées semblent converger sur la volonté de reconsidérer leurs disciplines respectives aux vues des conditions contemporaines. Les deux hommes vont apprendre l’un de l’autre et construire ensemble une série de projets pour lesquels leurs idées vont se rassembler. Au-delà de la complémentarité de leurs ambitions, cette association s’enrichit des recherches qu’ils mènent indépendamment et qui constituent le fondement de leurs théories, par la suite réinjectées dans un travail collectif de conception. 82


Rem Koolhaas - Cecil Balmond

« He gave us access to engineering and we gave him acces to architecture, and I think our work has benefited from that knowledge and also from the conversion between the two disciplines »1

Koolhaas dira même que leurs terrains de recherche étaient très similaires; la recherche, l’ingénierie ou l’architecture à un degré de complexité nouveau. Il souligne aussi que la participation de Balmond dans leurs premiers projets était effective dès les premiers instants du projet et qu’il développait en même temps que l’architecte les idées et concepts des bâtiments, surtout au début de leur collaboration.

Rem Koolhaas à propos de Cecil Balmond, Rem Koolhaas and Cecil Balmond with Arup: Serpentine Gallery Pavilion 2006, Walther Konig, Cologne, 2008, p.10 1

Rem Koolhaas à propos de la collaboration, Rem Koolhaas and Cecil Balmond with Arup: Serpentine Gallery Pavilion 2006, Walther Konig, Cologne, 2008, p.41. Interview donné à Julia Peyton-Jones et Hans Ulirch Obrist en Juin 2006. 2

Cecil Balmond à propos de Rem Koolhaas, Rem Koolhaas and Cecil Balmond with Arup: Serpentine Gallery Pavilion 2006, Walther Konig, Cologne, 2008, p.45. Interview donné à Julia Peyton-Jones et Hans Ulirch Obrist en Juin 2006. 3

« Our collaboration commenced in the mid 1980s (...) Our way of working was practically identical: research intensive, engineering and architecture at the same level of complexity. Very quickly we started working with his group and he, personally, was almost always there from the beginning of projects: the French library, ZKM in Karlsruhe. We’ve continued to develop this territory. » 2

Le même discours de la part de Cecil Balmond appuie le fait d’une limite assez floue entre l’apport de l’ingénieur et celui de l’architecte. Il se défend d’être un ingénieur répondant à des contraintes techniques et veut prendre part dans la conception. Il pense la structure comme un élément non dissociable du projet architectural et comme un élément vecteur d’une idée. « With Rem especially, I’d say we really come together and therefore there’s virtually no separation between architecture and structure. We’re aligning an alchemy of ideas to resources and experiments (...) We’ve got to extend beyond the reductive conception of structure becoming the skeleton. Structure, itself, is a catalyst to architecture. » 3

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Collaboration ingénieur/architecte

Mais, au-delà de l’approche formelle des structures que défend Balmond, c’est le rôle même de l’ingénieur qu’il veut replacer au centre de la conception architecturale. Selon lui, le rôle de l’ingénieur a évolué et n’est absolument plus le même que dans les années 1950, période qui voyait l’architecte seul concepteur du projet architectural. Il dit vouloir intellectualiser la profession et prendre part dans l’aspect créatif et inventif du projet et cela, au regard des nouvelles réglementations et avancées technologiques de notre temps. « Dans les années trente, quarante et cinquante, la question ne se posait pas vraiment, car les progrès technologiques étaient suffisamment lents pour que tout le monde puisse suivre. Mais les choses ont changé avec l’accélération qu’ont connue les années soixante-dix et, dans les années quatrevingt, avec le règne de l’informatique: voilà que soudain, l’éclairage, l’aération sont devenues des entités à part entière qui, de même que la structure des bâtiments, relèvent de la technique (...) De leur côté, les architectes levaient les bras au ciel et appelaient à la rescousse, car ils avaient complètement perdu pied. Ils ont compris que, comme le disait très justement Rem Koolhaas, ils étaient «limités à des bandes. »4

Koolhaas tirera les mêmes conclusions dans son texte Last Apples, il parle lui de sandwich; des zones accessibles pour l’occupation humaine et des zones inaccessibles, faites de béton, de câblages et de conduits. L’enjeu majeur du projet devient alors la coupe et ses espaces techniques et de services, un terrain de bataille constant pour l’architecte pour garder le contrôle du projet. C’est pourquoi, Koolhaas comme Balmond défendent une conceptualisation du projet architectural global, ne voulant pas limiter le rôle de l’ingénieur à celui d’un technicien qui résout les problèmes d’ordre technique ou structurel. Ils pensent que si l’ingénieur prend part au projet dès les 84


Rem Koolhaas - Cecil Balmond

premiers instants, celui-ci sera plus à même de trouver des solutions adaptées à la volonté initiale du projet. « En 1970, je me suis mis à travailler dans ce type d’optique globale, en créant avec d’autres ce que j’appelais la «conception pluridisciplinaire». C’est un bien grand mot pour pas grand-chose : en fait, il s’agissait simplement d’intégrer les structures et les équipements techniques au nom de l’architecture. Rem Koolhaas était aussi de ces gens qui cherchaient à exploiter l’ingénierie de façon novatrice, et il a trouvé en moi la personne avec qui il pouvait y parvenir sur le mode de la collaboration. » 5

Mais avant de se concentrer sur les résultats de la collaboration de l’ingénieur et de l’architecte, il est nécessaire de comprendre la vision que défend Balmond. En effet, la manière qu’il a de raisonné et d’imaginer la structure sera la clé de la collaboration entre les deux hommes.

Cecil Balmond, Entretien avec Cecil Balmond, ingénieur, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°329, 2000, p.45 4

Cecil Balmond, Entretien avec Cecil Balmond, ingénieur, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°329, 2000, p.45 5

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, Monacelli Press, New York, seconde édition, 1998, p.667 6

« En 1985, nous avons commencé à collaborer avec Cecil Balmond, un ingénieur sri-lankais, et son équipe structure et services à Ove Arup. Il était patient avec nos demandes déraisonnables, et parfois, il prit notre amateurisme au sérieux. Notre intimité grandissante entre les disciplines de chacun - en fait, une invasion mutuelle de territoire - et l’estompement correspondant des identités professionnelles spécifiques nous autorisa, à la fin des années 80 à décongeler des ambitions premières et à explorer la refonte et la démystification de l’architecture, cette fois en expérimentant sur nous-mêmes. » 6

C’est dans son livre Informal que Balmond va retranscrire une grande partie de son approche structurelle et de sa vision du métier d’ingénieur. En pratique, c’est dès 1995 lors d’une intervention à Berlin qu’il entreprend son ‘manifeste’ Informal. Balmond dit repartir toujours de la genèse des formes et, en les regardant différem-

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Collaboration ingénieur/architecte

ment, vouloir renouveler notre conception de l’espace. Il remet en question le système rationnel et cartésien et requestionne à chaque fois les bases de chaque structure. Le projet est pour lui l’occasion d’imaginer une nouvelle manière de mettre en œuvre certains principes de constructions conventionnels. Sa recherche pour une nouvelle tectonique est très fortement influencée par une approche poétique remettant en question la relation entre forme et fonction. L’approche structurelle de Cecil Balmond définit un processus de conception affranchi de la morale traditionnelle. S’il revendique la remise en question du système cartésien, c’est en faveur d’une redéfinition structurelle consciente du nouveau rôle des ingénieurs et des outils de notre époque. Et, lorsque Koolhaas préface le livre de Balmond (Informal), il le considère comme l’un des ingénieurs les plus importants de ces derniers temps, comme quelqu’un ayant révolutionné le monde de l’ingénierie. « Cecil Balmond has, almost single-handedly shifted the ground in engineering - a domain where the earth moves very rarely - and therefore enabled architecture to be imagined differently. He has destabilized and even topple a tradition of Cartesian stability - systems that had become ponderous and blatant ... Instead of solidity and certainty, his structures express doubt, arbitrariness, mystery and even mysticism. He is creating a repertoire that can engage the uncertainty and fluidity of the current moment. Through his work, engineering can now enter a more experimental and emotional territory. » 7

L’approche de Balmond est également reliée à la nature, ces processus sont souvent organiques, mais il met toujours en avant des systèmes, des algorithmes ou des logiques s’appuyant sur les mathématiques ou même encore la musique. Dans Element, il rapproche des formes

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond

naturelles (fleurs, arbres) avec des processus de croissance mathématiques, ces formes sont un véritable terrain de recherche pour l’ingénieur. Il ne s’intéresse pas à une approche structurelle rationnelle, mais cherche plutôt des rythmes, des mouvements et des événements qui font de la structure d’un bâtiment quelque chose d’extraordinaire et non plus une simple réponse technique. « La recherche de cette régularité que l’on rencontre dans le modernisme ne devrait pas nous faire oublier qu’il y a toujours eu des alternatives, d’autres façons de concevoir des structures (...) Nous devrions nous demander si les anciens codes fondés sur le concept corporel ont encore un sens pour nous. Je cherche à dépasser les limites du corps sans pour autant abandonner mes recherches sur le plan de la beauté (...) J’estime qu’un nouveau style pourrait être impulsé par des algorithmes, par une application répétitive d’opérations géométriques (...) Une façon contemporaine de concevoir l’architecture commence avec une disposition symétrique qui serait ensuite cassée sous l’action d’un autre système cohérent. » 8

Rem Koolhaas in Cecil Balmond, Informal, Prestel, Munich, 2007, preface 7

Cecil Balmond, Tresser, tisser, entrelacer : entretien avec Cecil Balmond, L’Architecture d’Aujourd’hui, n°369, 2007, p.56-61 8

L’ensemble de cette nouvelle vision de la structure et de son nouveau rôle va se répercuter dans les projets qu’il fera en collaboration avec Koolhaas selon des formes et des moyens différents. C’est à travers l’étude des projets théoriques de l’été 1989 et de quelques exemples construits que l’analyse du rapport entre les deux hommes sera menée.

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The informal is opportunistic, an approach to design that seizes a local moment and makes something of it. Ignoring preconception or formal layering and repetitive rhythm, the informal keeps one guessing. Ideas are not based on principles of rigid hierarchy but on an intense exploration of the immediate. It is not ad hocism, which is collage, but a methodology of evolving start points that, by emergence, creates its own series of orders. When we attempt to trap chaos and convert it to our preconceptions, Order ! becomes an enormous effort. We try to eliminate fault or error. We try hard but the effort turns to dullness and the heavy Formal. The more subtle approach is to seek the notion that chaos is a mix of several states of orders. What is an improvisation is in fact a kernel of stability, which in turn sets sequences that reach equilibrium. Several equilibriums coexist. Simultaneity matters; not hierarchy. The informal has three principal characteristics: local, hybrid and juxtaposition. They are active ingredients of an animate geometry that embraces the linear and non-linear. Both Cartesian and post Einsteinian geometry are encompassed by it. The informal gives rise to ambiguity. This means interpretation and experiment as a natural course of events. Berlin, June 1995

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond

Nous allons étudier la rencontre entre Cecil Balmond et Rem Koolhaas à travers une série de projet qu’ils ont fait ensemble. L’intérêt sera d’abord porté sur trois projets non réalisés effectués pendant l’été 1989. Ces trois projets représentent une base, un socle de référence pour leurs collaborations futures. C’est dans ces projets que naissent des notions et des concepts qu’ils développeront plus tard dans d’autres projets. Ensuite, nous étudierons deux projets réalisés s’appuyant sur les concepts et les méthodes étudiés pendant l’année 1989. Ces projets témoignent de l’importance de l’ingénieur à l’intérieur du processus du projet. Son rôle devient majeur dans la construction de ces projets.

Page précédente, ‘manifeste’ informal par Cecil Balmond, extrait de Cecil Balmond, Informal, Prestel, Munich, 2007, pp. 217-227

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Sea Trade Center

Sea Trade Center, Zeebrugge, 1989 The Zeebrugge terminal was an early warning about the impact that structure (and to a less visible extent, services) would have on the series of «large» buildings: Très Grande Bibliothèque, ZKM, Jussieu. Different structural concepts for each projects were elaborated in tandem by OMA and Ove Arup; each times they would result in fundamentally new buildings. Decisions in one area had radical repercussions in the other. 9

Façades latérales du Sea Trade Center Page précédente, Vue depuis la terrasse elu casino vers le bassin-écluse

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.601 9

Une structure ‘contenant’ Le projet pour le Sea Trade center dessiné en 1989 par l’OMA en collaboration avec Cecil Balmond propose intentionnellement une forme loin de toutes typologies de bâtiments identifiables. Entre le cône et la sphère, le bâtiment rassemble l’ensemble des programmes à l’intérieur d’une forme lisse et compacte. Bien que l’ambition et la majeure partie du projet soient de l’ordre de l’architecture et des recherches propres à Rem Koolhaas, Balmond et Arup vont tout de même participer à ce projet par un système structurel complexe dans son organisation spatiale. Le projet superpose l’ensemble des programmes à l’intérieur d’une même enveloppe; à chaque élément du programme, un certain type de structure sera proposé. Suivant la volonté de Koolhaas, l’organisation spatiale du projet suit une logique structurelle qui enferme des programmes très différents à l’intérieur d’un même volume. Cette congestion programmatique sera d’autant plus marquée que la coque qui renferme l’ensemble des programmes a été imaginée comme un dispositif structurel et un contenant; tout l’intérieur du projet dépend de cette façade porteuse. Le dessin de la façade va suivre cette même logique; les éléments du programme percent la façade en certains endroits et le dessin des ouvertures dépend du programme.

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Collaboration ingénieur/architecte

Hybridation et juxtaposition La structure joue donc un rôle relativement important dans la définition et l’identité de chacun des espaces du projet. Dans un schéma titré «Logique constructive», reproduit dans S,M,L,XL, Balmond imagine une stratification de plusieurs types de structures permettant la diversité programmatique du projet. Il dénombre 7 façons de mettre en œuvre des structures qui s’organise autour d’un vide central et répondent aux besoins et usages du programme. Bien qu’ils restent des systèmes structurels relativement simples quant à leur mise en œuvre, c’est dans leur juxtaposition que le projet présente un intérêt majeur. La coupe retranscrit cette juxtaposition de systèmes différents; une structure en béton sur les deux premiers étages sert de base pour le bâtiment, un système de murs porteurs radial accompagne la spirale des étages de parkings, un étage technique contrevente le système en étoile du dessous et sert de structure de transfert pour les structures légères en acier qui accueillent les bureaux sous la coque en verre; l’ensemble est enveloppé dans une coque en béton porteuse. Même si la juxtaposition et l’hybridation de différents types de structures est une approche défendue par Balmond, la tectonique globale du bâtiment renvoie directement à l’organisation programmatique envisagée par l’OMA; la structure est donc presque entièrement au service du parti pris architectural de Koolhaas. Mais à travers ce projet, Balmond apporte une cohérence structurelle vis-à-vis des ambitions des architectes et s’affirme comme un interlocuteur prêt à s’associer dans les recherches de l’architecte.

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De haut en bas : Plan d’accès des véhicules Parkings Niveau du lobby Coupe transversale


Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Sea Trade Center

Croquis du bureaux Ove Arup Construction logic 1 - Build traditional concrete - columns, beams, walls, floors, etcs. 2 - Erect steel vibs and diagonals, encased in concrete to create primary frame 3 - Build concrete clear span car park deck 4 - Build major transfer structure. This level extends to five temporary support for cladding. 5 - Concrete radial 6 - Light and metal deck 7 - Sprayed concrete finish and backing

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Très Grande Bibliothèque

Très Grande Bibliothèque de France, Paris, 1989 At the moment when the electronics revolution seems about to melt all that is solid - it seems absurd to imagine the ultimate library (...) The ambition of this project is to rid architecture of responsabilities it can no longer sustain and to explore this new freedom aggressively. 10

Une recherche structurelle au service du propos architectural « The Very Big Library is interpreted as a solid block of information, a repository of all forms of memory books, laser disks, microfiche, computers, databases. In this block, the major public spaces are defined as absences of building, voids carved out of the information solid. Floating in memory, they are multiple embryos, each with its own technological placenta (...) Since they are voids - they do not have to be «built» - individual libraries can be shaped strictly according to their own logic, independent of each other, of the external envelope, of the usual difficulties of architecture, even gravity. » 11

Schéma de l’ingénieur illustrant les trois premières propositions structurelles extrait de From the notebook of Cecil Balmond dans Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.669-71. Page précédente, vue de la maquette du projet pour la bibliothèque. Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.604/606 10

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.616 11

Le projet va se concentrer sur ces vides durant tout le processus, et ne semble pas trop se soucier de problèmes d’ordre structurels. En effet, la série d’images reproduites dans S, M, L, XL ne montre jamais le réel système structurel du projet, ne sont toujours représentés que les volumes creusés et les cages d’ascenseurs ou bien l’inverse; la superposition des étages creusés par les volumes publics. Cependant, dans le texte qui suit la présentation du projet ; Last Apples, il est question de recherches d’ordre structurel pour ce projet. L’idée était de mettre d’abord en place une structure régulière, une grille, mais, cela aurait imposé d’énormes piliers au rez-de-chaussée à cause de la très grande hauteur du bâtiment. Balmond et

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Collaboration ingénieur/architecte

Arup ont proposé ensuite que les volumes publics soient considérés comme des coques soutenant et portant le bâtiment. Ce système aurait cependant contraint les volumes publics dans leur disposition pour le transfert des charges et affublé à ces volumes un caractère trop dépendant du système global. C’est à ce stade du projet que la poutre Vierendeel va être introduite, ce système reposant sur deux éléments horizontaux reliés par des éléments verticaux permet de libérer des espaces entre la structure. Dans le cas de la bibliothèque, ces poutres seraient d’une hauteur approximative de trois étages, de fait, l’idée originale de larges pièces aux formes irrégulières contenues dans le volume régulier du bâtiment serait perdue. La solution proposée par l’ingénieur sera alors de rejoindre chacune des poutres du système Vierendeel et de construire d’énormes murs-poutres contenant les espaces de stockages en 5 bandes parallèles. Les volumes publics autonomes perceront ces murs librement sans affecter leur résistance mécanique.

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Page suivant, coupe sur le murs porteurs 2,3 et 4. Les espaces publics percent les murs en fonction de leur géométrie. Plan de magasins types et plan de la bibliothèque d’actualité. Le système structurel est ici représenté comme un vide.


Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Très Grande Bibliothèque

Un système structurel auto-suffisant « Now the plan is divided into parallel zones, 12.5 meters each, separated by walls of concrete; the walls are 100 meters high and act as ‘ deep beams’ of theoretically infinite strength. Where the voids occur, they simply punch holes in the beams [ .. . ] The building simply cannot afford to have ducts. Services must be exiled from the section. So the walls are made hollow - even stronger - and ar subdivided into vertical shaftsplenums- that supply and extract. To service the 12.5 meters in between, they merely have to be punctured. The void spaces each have their own plant rooms: five technological placentas. » 12

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.673 12

Les services vont donc être chassés de la coupe et être intégrés dans le système structurel du bâtiment, les planchers se réduisent ainsi à l’épaisseur des dalles. La structure et le concept des services renforcent la division du bâtiment entre stockage et espaces publics. Ces murs contiennent tous les services nécessaires au bâtiment, mais ils contiennent également les espaces de stockage à travers la définition de ces bandes. Le concept de structure contenant se retrouve, mais cette fois, imaginé de manière à intégrer les services du bâtiment. Les murs, creux et alvéolaires, sont conçus pour amener, extraire et faire passer les câbles dans tous les compartiments du bâtiment. Koolhaas et Balmond expérimentent donc ici une première solution pour intégrer dans un même processus structure et service, une question cruciale qui les rassemble. Ce thème va prendre encore une autre dimension avec le projet pour le Centre d’art et des techniques à Karlsruhe.

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Centre d’art et des techniques

Centre d’Art et des techniques de la communication, Karlsruhe, 1989 The vierendeel concept forms the basis for the project in Karlsruhe. Its six-meter stories are deep enough for vierendeels to span the 30-meters distance between walls; two walls and nine beams create a «rack», 58 meters tall; the alternation of structurally «marked» and liberated floors allows the sheer superposition of program and architecture - theater on top of laboratory, museum on top of theater, etc. 13

Page précédente, vue de la maquette du Centre d’art de Karlsruhe. Croquis de Balmond à propos de la poutre Vierendeel extrait de From the notebook of Cecil Balmond dans Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.679-80.

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.675 13

Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.678 14

L’optimisation d’un système structurel Les recherches structurelles menées pour le projet de la Très Grande Bibliothèque ont amené Cecil Balmond à s’interroger sur la poutre Vierendeel. À travers plusieurs schémas et une brève histoire de cette invention, il cherche à optimiser ce système pour lui permettre d’acquérir une plus grande liberté. « Column placement in a bulding follow one above the other in a conventional building. Within the storey, that a Vierendeel works, columns may be ajusted to suit, as they are only part of a beam system that can be proportioned and designed as any other structural component. Its logic of placement is only relating to that storey not the one above or below. In fact, arranging the columns in equal spacing is not the best of options. » 14

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Collaboration ingénieur/architecte

Cette façon de remettre en question un système déjà établi est très caractéristique de Balmond qui cherche souvent à optimiser ou à apporter une plus grande liberté à l’intérieur de systèmes figés. Il s’intéresse alors aux différentes solutions que peuvent permettre ce système à l’intérieur d’un étage. Il voit ce dispositif comme capable de s’adapter aux différents usages mais également permettant une variété de formes et de géométries. Ne plus espacer les éléments verticaux du même intervalle va, selon Balmond, renforcer la structure; il faut disposer plus d’éléments verticaux proches des supports. Cela va également permettre de s’adapter aux usages à l’intérieur du bâtiment. Cette recherche menée par l’ingénieur sera à la base du projet pour le ZKM, elle va constituer l’élément permettant d’organiser l’ensemble du programme et des services. La poutre Vierendeel comme vecteur de projet La grande quantité de programmes va, une fois de plus, amener Koolhaas à superposer un certain nombre de pièces aux usages très différents. Cette fois-ci, c’est l’entière organisation structurelle qui va permettre de réaliser cette superposition d’usages. Le système Vierendeel et les considérations de Balmond à propos de son adaptation vont permettre de construire le projet autour de la structure. De fait, le système est assez simple, deux grands murs sur toute la hauteur du bâtiment contiennent les espaces du centre et servent de support aux poutres Vierendeel. « East and west sides of the core are defined by huge walls of black concrete. Between the walls span seven vierendeels, each six meters deep, creating an alternation between floors completely free of structure - to exploit this literal incarnation of the free plan one of the rooms is round - and floors of inhabited structure that are «marked» by the different vierendeels, which 100


Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Centre d’art et des techniques

oscillate between structural support and architectural definer, utility and aesthetics, necessity and decor. » 15

Plan et coupe du ZKM de Karlsruhe. Le dessin de la poutre Vierendeel change en fonction des étages et des fonctions. Rem Koolhaas, S, M, L, XL, op.cit., p.695 15

Ces poutres sont donc pensées à la fois comme des éléments de structures mais également comme des éléments architecturaux en définissant des espaces et des ambiances différentes selon leurs géométries et leurs dipositions dans le plan. En effet, ces poutres de hauteur d’un étage, entrent directement dans la définition des espaces intérieurs des pièces, la structure devient habitée. Elles sont l’exemple le plus concret de l’association entre ingénierie et architecture dans la conceptualisation du projet. Ce système délimite une pièce centrale dans une seule direction; pour enclore les espaces du musée (théâtre, musée, laboratoire ...) une bande de service referme alors le système sur ces quatre côtés. Une fois de plus, la volonté était d’exclure les services de la coupe, ils auraient été en contradiction totale avec le système mis en place. Les services sont organisés en quatre bandes autour du bâtiment d’épaisseurs différentes, ils complètent le système des pièces centrales qui nécessite peu ou pas de lumière naturelle. Architecture, structure et services sont pensés dans un même système permettant une cohérence dans le projet. Balmond et Koolhaas ont intégré l’ensemble des composants techniques et technologiques dans le bâtiment, établissant leur existence en tant que contenu architectural.

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Kunsthal Rotterdam

Kunsthal, Rotterdam, 1992 Let space entertain us. Let’s see other possibilities, other configurations of how buildings may be framed and stabilised. And interruptions to ‘sameness’ do not mean heavy penalties. A specific framing with angularities, inclinations or whatever, may be cheaper. 16

Page précédente, coupes sur le musée de Rotterdam appuyant la diversité des systèmes porteurs du musée Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 62 16

Juxtaposition Le musée se présente comme un volume divisé en quatre parties autonomes créées par deux intersections qui sont des extensions de la ville environnante. La première intersection est la rue qui traverse d’est en ouest le site, alors que la seconde intersection est une large rampe piétonne qui relie le niveau de la rue à celui du parc en contre-bas. Ces intersections expriment le concept du musée comme étant une étude volumétrique plutôt qu’une stratégie en plan ou en coupe. La volumétrie engendre une composition de plusieurs espaces se lisant comme un système cohérent grâce à une juxtaposition spatiale enfermée dans un volume strict. Comme les espaces du musée sont considérablement différents, le système structurel est lui aussi différent selon les espaces. Les plans et les coupes du projet traduisent de manière très explicite la juxtaposition de différentes structures et de différents axes. Cette juxtaposition est en plus opérée dans les trois dimensions ; ainsi deux systèmes structurels différents se superposent au niveau des halls 1 et 2. Balmond et Koolhaas ont imaginé la structure du Kunsthal aussi dynamique que les espaces qu’ils supportent, les structures dessinées par Balmond sont également pensés escomme des éléments à la fois structurels mais aussi à des fins architecturales. La structure du musée n’est pas une fin en soi, mais participe au caractère dynamique des espaces des galeries et des halls.

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Collaboration ingénieur/architecte

« As one journeys through the building, structure reveals itself not as a mute skeleton but as a series of provocations; sometimes explicit, at other times ambiguous. Structure emerges with different styles (...) The varying rhythms and ad-hoc strategies yield a hybridisation that wraps around the visitor. » 17

Opérations Pour le projet du musée, Balmond va réaliser une série d’opérations qu’il décrit dans Informal. Il s’intéresse à des éléments de structure et essaye de leur donner un sens nouveau en suivant la direction du projet de Koolhaas. Chacune de ses opérations sera autant de manière de penser la structure en des considérations allant au-delà de strictes considérations techniques. Koolhaas et Balmond s’associent pleinement dans ce projet, et, lorsque l’un projette une décision, l’autre la complète. « Each times the expected answer is left behind and the informal delivers a surprise. Strange as it is exciting, raising questions about a bigger adventure, structure talks in the Kunsthal. The dialogue is with architecture; one discipline provokes the other. » 18

Quatre opérations attestent de la relation très forte entre la structure et le parti architectural, entre l’ingénieur et l’architecte; Brace, Slip, Frame, Juxtaposition. Lorsque se pose la question du contreventement dans le Hall 2, Balmond va chercher à sortir de la solution classique en croix ou en diagonale reliant deux horizontales. Il propose un système en arc entrant en conflit avec la structure principale, créant un rythme dans la salle qui répond à la dynamique globale du projet. Le glissement auquel fait référence Balmond, c’est en fait la disposition en quinconce des poteaux dans le Hall 1. Cette disposition est, selon Balmond, celle qui permet 104


Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Kunsthal Rotterdam

de préserver un espace continu et fluide pour les expositions. Ainsi, on ne lit plus une grille mais des éléments porteurs isolés. La troisième opération réside dans le système structurel de la salle de conférence pour laquelle l’inclinaison de la dalle a posé la question de l’axe des piliers. Si cet axe est perpendiculaire à la dalle, alors les poteaux, en déséquilibre, auraient besoin d’une force pour reprendre l’effort horizontalement. Balmond a imaginé que les dalles inclinées et les poteaux feraient partie d’un seul et même système. Mais là ou le système devient architectural, c’est lorsque le sol redevient plat, en effet, les poteaux restent inclinés même avec un sol plat, d’où l’indépendance du système vis-à-vis de considérations strictement techniques. Il devient alors un élément architectural participant de la perception des espaces. La dernière opération que Balmond appelle Juxtaposition est comme une mise en abyme du concept général du projet. À l’entrée du musée, l’ingénieur propose de disposer trois poteaux de trois natures différentes côte à côte. Un premier poteau de section carrée est en béton, un deuxième en acier avec une section en ‘I’ et le troisième, également en acier, est perforé. Cette opération annonce l’expérience du musée et Balmond n’aurait surement pas imaginé un tel dispositif sans être aussi impliqué dans le processus du projet dès le début. Croquis de Cecil Balmond extrait de Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 73

Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 105 17

Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 72 18

Ces quatre opérations que réalise l’ingénieur sont donc des exemples très concrets du dialogue et du partage de concept entre l’architecte et l’ingénieur. Les décisions de l’un vont se répercuter dans le travail de l’autre, et les dispositifs structurels de l’ingénieur dépassent largement le cadre du strict besoin d’équilibre du bâtiment. Il est engagé dans le projet au même titre que l’architecte dans certaines décisions cruciales.

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Maison Lemoine

Maison Lemoine, Floirac, 1998 A family house for husband and wife, plus two children. The design must give access to the disabled person, to release the full potential of the house. The principle tectonic is to be a box, up in the air, where the bedrooms will be located. The glass may open out onto the landscape and vanish; below the living space is a partial basement, cut into the earth on one side but open to an entry courtyard on the other. There is to be a special lift, a moving part of the house really to reach all levels 19

Page précédente, photo du site dominant le paysage bordelais. Schéma de Cecil Balmond extrait de Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 28 Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 23 18

Instabillité A box, up in the air, pour répondre à cette question Balmond va opposer deux manières d’envisager le projet. Une réponse pragmatique, ancrée dans la tradition, connue et expérimentée. Il l’illustre par le schéma d’une balle au fond d’une vallée; en physique, l’équilibre stable. Si une force est appliquée, la balle reviendra dans sa position initiale. Cette solution ne peut se défaire de son origine. La seconde approche, celle défendue par Balmond, est celle de l’équilibre instable, le moindre mouvement déséquilibre l’ensemble. C’est la solution d’instabilité, de l’imprévisible. Il n’y a pas de retour possible à l’origine, pas de sécurité ou de référence. Il imagine la maison dans cette catégorie. La première réponse, Balmond l’associe au paradigme de la table, symétrique et ordonnée. Si l’idée est celle d’une boîte qui flotte, l’exemple associé est celui de la villa Savoye avec ses pilotis régulièrement espacés. Balmond va chercher une solution s’éloignant des standards établis tout en tenant en compte des éléments mis en place par l’OMA.

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Collaboration ingénieur/architecte

If a weight suspended above the earth should somehow levitate, the risk-answer must lie in the breaking of symmetry. I sketeched out various solutions, trying to set the mass «free». 19

Cette recherche appuie la dépendance du projet à des questions structurelles. Koolhaas formule une idée et c’est ici Balmond qui conçoit le projet avec l’appui des architectes. Il va formuler encore une fois des opérations qui seront cette fois primordiales pour le projet. Comme pour le Kunsthal, ces opérations ne sont pas simplement d’ordre technique mais également architectural. Elles définissent et révèlent le projet dans ses grandes lignes. Opérations

« The idea of lauch came to mind, to energise the building as momentum. Two lateral moves broke with symmetry. move one : what if the support in plan are displace beyond the the boundary, well outside the box ? move two -> what if the support flip in elevation, one on top hung, one bottom fixed ? » 20

Schéma de Cecil Balmond des différentes possibilités examinées, extrait de Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 25 Schéma illustrant les deux mouvements permettant de consruire le projet et de casser la symétrie, extrait de Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 26 Page suivante, schéma de Cecil Balmond de la manière de percer le ‘mur-poutre’, extrait de Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 36 Plans et coupe de la maison illustrant l’étage libre pour les parties publics et l’étage privé enfermé dans la boîte. Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 25 19

Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 26 20

Cecil Balmond, Informal, op.cit., p. 36 20

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Rem Koolhaas - Cecil Balmond : Maison Lemoine

Ces deux opérations vont construire l’ensemble du projet, elles sont la base conceptuelle de la maison. Elle se construit sur ces décisions qui permettent de formuler un processus irréversible, et chaque élément du projet participera à sa constitution. Et, lorsque pour des raisons techniques, il est envisagé de relier les deux murspoutres par des éléments pour reprendre les efforts, l’ingénieur explore divers systèmes, dont celui des poutres vierendeel. Représentée dans une axonométrie, cette solution sera abandonnée car elle s’oppose au système initial et rivalise avec celui-ci. De la même manière, lorsque des ouvertures doivent être aménagées dans les murs-poutres, celles-ci suivent la logique structurelle et ne perturbent pas le système global. « On the wall beams, lines of principal stress were marked so that holes could be cut out without complications to the structural action. Keep it simple - that was the aim. » 21

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utsuro Sasaki, né au Japon en 1946, est un ingénieur innovateur japonais des ponts et chaussées qui a aidé à façonner l´architecture contemporaine japonaise. Expert des structures en coque et un pionnier de la morphogenèse de calcul dans le domaine de l’architecture et de génie civil. Il est également l’un des fondateurs de «Sasaki Structural Consultants» depuis 1980 ainsi que SAPS / Sasaki and Partners depuis 2002. Dans le prolongement des travaux de recherche d’Antoni Gaudi, Heinz Isler, et Frei Otto, les travaux de Sasaki contribuent à façonner l’ar-

chitecture contemporaine au Japon et à l’étranger. Mutsuro Sasaki est un collaborateur de longue durée de Toyo Ito, Sejima et Nishizawa de SANAA, et Arata Isozaki. Il enseigna à l’Université de Nagoya et occupe désormais un poste de professeur à l’Université Hosei de Tokyo. Il oriente ses recherches vers le développement d’outils informatiques visant à rationaliser l’enveloppe et les structures des bâtiments à coque notamment. Il souhaite utiliser ces méthodes comme une méthode intégrée au dessin des projets.


T

oyo Ito est né à Séoul de parents japonais en 1941, il est une des figures majeures de l’architecture japonaise contemporaine. Il sera diplômé en architecture à l’université de Tokyo en 1965. Ito fonde sa propre agence en 1971, qu’il appellera URBOT (contraction de robot et de urbain). Il réalisera son premier projet en 1978, le PMT Building à Nagoya. La même compagnie lui confie d’autres projets au Japon : à Fukuoka en 1979, puis à Ōsaka. Il rebaptise son agence « Toyo Ito and Associates, Architects ». Toyo Ito a un siège de professeur à l’université pour femmes du

Japon. Il est aussi professeur honoraire à la University of North London, il a également enseigné comme invité à l’université Columbia. Il est professeur invité à l’université des beaux-arts Tama dont il réalisera la bibliothèque en 2007. La médiathèque de Sendai construite en 2001 est l’une de ses œuvres les plus représentatives et qui a marqué les architectes de la jeune génération à travers le monde. Plusieurs de ses réalisations ont reçu des distinctions nationales et internationales. Son travail a été publié et largement exposé dans le monde entier.


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COLLABORATION INGENIEUR/ARCHITECTE TOYO ITO - MUTSURO SASAKI

La seconde collaboration qui nous intéresse s’inscrit dans la continuité de celle qui a pu exister entre Rem Koolhaas et Cecil Balmond. L’architecte Toyo Ito va en effet trouver dans le travail de Balmond un terrain de recherche qui l’intéresse également. A l’occasion d’une discussion entre l’architecte et l’ingénieur, il en ressort un intérêt partagé pour la question de la fluidité des espaces mais aussi pour l’exploration de situations imprévisibles, d’un développement de processus dans lesquels le chemin n’est pas tracé. « It started when I asked Cecil for structural advice about a project for the 1996 World City Expo in Tokyo. I already knew, for example from our lectures at the Weimar Bauhaus in 1995, that we were both were interested in fluid spaces. » 1

Ito semble aussi intéressé par la remise en cause du modèle architectural existant; il rejoint Balmond sur la question de dépasser le modèle cartésien. Il est dans la recherche de nouveaux systèmes permettant à l’archi116


Toyo Ito - Mutsuro Sasaki

tecture de trouver un sens contemporain. C’est dans cette logique qu’il développera pour plusieurs de ses projets récents des systèmes générateurs construisant le projet presque librement sans intervention humaine ou presque. « In fields other than architecture, mathematicians and physicists have been speaking for some time about nonlinear geometries, geometries that surpass Euclidian geometry. Conceptually we can imagine that. But architecture is a realm where we think in terms that go back to the 19th century, or in a sense all the way back to the Renaissance. Cecil is probably the first to bring that kind of conceptual dynamism into architecture in a form that we can imagine. » 2

Ito cherche donc des règles menant à des effets imprévisibles dans un processus de conceptualisation s’appuyant sur le rapport entre contraintes et libertés. Ces règles fournissent des réponses non formalisables au début du projet, elles proposent de nouvelles expériences, un nouveau regard sur le projet et de son processus de définition. Il semble que l’outil permettant cette nouvelle formalisation du projet soit l’outil informatique. Il permet en effet de parvenir à des formes d’une grande complexité qui ne pourraient pas être décrites avec les moyens traditionnels de représentation. Toyo Ito, A look forward, interview with Toyo Ito, Cecil Balmond, Architecture Liberated by Geometry, A+U, Special Issue, 2006, p.172 1

Toyo Ito, A look forward, op.cit, p.173 2

Toyo Ito, A look forward, op.cit., p.173 2

« Today it is easier than it used to be to analyze complex, network-like structures. In a real sense, it is becoming possible to realize the architecture of the age of the computer. Le Corbusier regarded machines as symbolic of his age, but Cecil’s vision of architecture as electronism by means of the computer is appropriate to a more complex era. Machines were extensions of our arms and legs, but today it bas become possible to build things that are extensions of our minds. » 3

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Collaboration ingénieur/architecte

Mais, ce qui semble le plus important pour les deux hommes, c’est la nécessité d’une règle permettant d’adapter ce nouvel outil et de lui trouver un ordre et une logique permettant d’établir certaines règles. L’outil informatique peut produire toutes sortes de formes et de volumes, mais, ces formes doivent, selon les deux hommes, répondre à un certain nombre de critères permettant de les engendrer. Pour Balmond, la réponse se trouve dans la constitution d’un projet à travers un seul et même algorithme qui régit tout le système du projet. « L’architecture est perdue. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à des formes dessinées à l’aide de logiciels de 3D. Si vous souhaitez réellement construire ces formes extravagantes, il vous faut tout de même un autre logiciel. Mais tout cela ne va pas induire un nouveau style des constructions car il n’y a aucun lien de parenté entre ces objets singuliers. La personnalisation des modes constructifs se résume à un phénomène passager qui n’a rien à voir avec les contraintes durables. Nous devrions faire attention à ne pas mélanger les ambitions et les désirs formels d’une architecture blob avec le pouvoir des pensées mathématiques. J’estime qu’un nouveau style pourrait être impulsé par des algorithmes, par une application répétitive d’opérations géométriques. » 4

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Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : L’algorithme comme processus conceptuel

L’algorithme comme processus conceptuel « He applies algorithms to produce rules, such as the rules for the spiralling square at the Serpentine or for the columns at Selfridges, which all lean in different directions. An approach based on algorithms offers greater freedom. It enables you to create unpredictable complexity and hybrid situations. This point of view is characteristic of Cecil Balmond’s approach to architecture, space, and mathematics, as a philosopher rather than as an specialist in structures. Of course these things are related to architectural structure, but the process through which he arrives at an analysis of a structure is extremely interesting. I think that is the greatest difference between what he does and conventional engineering. » 5

Un processus basé sur l’assistance de l’ordinateur sera à la base de la première collaboration entre l’architecte Toyo Ito et l’ingénieur Cecil Balmond, pour le pavillon de la Serpentine Gallery à Londres en 2002. Pour comprendre l’intérêt de la collaboration entre les deux hommes, il est intéressant d’analyser les différentes phases qui ont mené à l’élaboration de ce projet.

Entretien avec Cecil Balmond Tresser, tisser, entrelacer, L’Architecte d’Aujourd’hui, n°369, 2007, p.57 4

Toyo Ito, A look forward, op.cit, p.172 5

Au tout début du projet, Ito a imaginé le pavillon de deux manières différentes sous la forme de deux questions. La première ‘How to float a slab’ et la seconde sous la forme ‘How to make a column-less box?’. L’idée générale du projet était de réinterpréter la typologie de la boîte. Ito va réaliser plusieurs schémas qu’il soumettra à l’ingénieur.

Croquis illustrant les premières intentions de l’architecte. Figures extraites de Serpentine Gallery Pavilion 2002: Toyo Ito with ARUP, Verlag der Buchhandlung Walther Konig, Londres, 1999.

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Collaboration ingénieur/architecte

À partir de ces deux idées, l’ingénieur va lui-même réaliser une série de croquis pour les deux idées émises par l’architecte. C’est à partir d’un schéma de l’architecte que Balmond va trouver une réponse satisfaisante pour le projet. « The first idea was to float a slab, with random lines over it, supported by a row of perimeter columns. But that gave two languages - one of the random and the other of order. But what if we had the ordered random as a strategy? And there were no two parts but one language of criss-cross all over ? » 6

Il va donc imaginer un algorithme par la rotation d’un carré rejoignant la moitié d’un côté du carré à 1/3 du côté adjacent. De cette manière, Balmond crée un processus permettant d’engendrer un système qu’il va étendre à tout le pavillon. Le dialogue entre structure et architecture est total, la structure devient l’élément déclencheur du projet. Ce processus d’imagination d’un système générateur révèle toute la force de la collaboration entre les deux hommes. Au-delà de leur intérêt commun pour certaines considérations sur l’architecture ou l’ingénierie, c’est le développement même du projet qui a été permis grâce aux idées communes de l’architecte puis de l’ingénieur. L’un permettant à l’autre de créer des solutions adaptées au parti pris architectural. Si le résultat peut avoir l’air complexe, il est intéressant de savoir que toutes ces lignes emmêlées sont engendrées par un seul algorithme.

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Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : L’algorithme comme processus conceptuel

Croquis de Balmond illustrant l’algoritme et étapes de l’algoritme représenté par ordinateur. Figures extraites de Cecil Balmond, Crossover, Prestel, Munich, 2013, p.99

Mais c’est avec un autre ingénieur que Toyo Ito va entretenir une collaboration plus centrée sur la recherche d’espaces fluides et de formes générées par un système informatique. C’est avec l’ingénieur japonais Mutsuro Sasaki que Toyo Ito va entreprendre une série de projets traitant de questions d’interconnexions, d’effacement des parties. Ces sujets font partie de l’intention d’Ito d’en finir avec le modernisme et ses codes. Il pense que l’architecture doit s’adapter aux évolutions technologiques et ne pas rester figée. Il se tourne alors vers les nouvelles technologies et l’électronique et notamment vers Sasaki en qui il trouvera un interlocuteur partageant cet intérêt pour le développement. « Here in the 21st century, against the background of amazing developments in information technology, the new ways of thinking in an information society allow architectural design to take place in the virtual spaces of computer technology. » 7

Cecil Balmond, Crossover, Prestel, Munich, 2013, p.99 6

Mutsuro Sasaki, Flux structure, Toto Publishers, Tokyo, 2005, p.??? 7

Sasaki pense que l’architecture doit maintenant être vue à travers le spectre de l’ordinateur et d’espaces virtuels. Mais, comme Balmond, qui avait mis l’accent sur

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Collaboration ingénieur/architecte

la nécessité de trouver une façon d’utiliser ce ‘nouveau’ média, Sasaki pense qu’il faut considérer cet outil de manière très spécifique. Tout comme Balmond, il s’intéresse à la nature et à des processus imprévisibles ou automatiques. Il cherche à trouver une rationalité à l’outil informatique. « The current focus of international structural design is the creation of new three-dimensional architectural structures that possess free, complex, mutable, fluid and organic characteristics, liberating architecture from the spell of Modernism and expanding its range. However, in order to implement these structures in a truly rational way, it is necessary to replace traditional empirically based structural design methods with mathematically based shape design methods that unify mechanics (rationality) and aesthetics (sensibility). » 8

Il va alors développer deux méthodes basées sur des procédés techniques et informatiques pour conceptualiser des systèmes structurels. Il associe plutôt sa première méthode; Sensitivity Analysis method, à la construction de coques (free-curved surface shell) et à leur optimisation structurelle. La seconde méthode, 3D Extended Evolutionary Structural Optimisation, s’apparente à ce que Sasaki appelle les ‘flux’ structures. Des espaces fluides, continus qu’il développera surtout avec Ito. « The shape design thechniques I have been practising are the Sensitivity Analysis method and the 3D Extended Evolutionary Structural Optimisation (ESO) method. These involve using the principles of evolution and self-organisation of living creatures, adapted from an engineering standpoint, to generate rational structural shapes within a computer. » 9

La collaboration entre l’architecte et l’ingénieur va leur permettre de mettre en application leurs intérêts 122


Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : Espace continu

communs avec la question d’espaces fluides et d’interconnexions. Le projet de la médiathèque de Sendai va faire apparaître cette recherche chez Ito et Sasaki. Espace continu Pour le projet de la médiathèque de Sendai, Ito a cherché à sortir du modèle de composition de l’architecture moderne: modèle qui assemble plusieurs parties pour fabriquer un tout, modèle qui fabrique des pièces. Au contraire, chez Ito le désir est de créer des plans et des espaces continus et ininterrompus. Il va alors définir une règle pour construire le projet. « 1. Un désir de ne pas créer de joints. 2. Un désir de ne pas créer de poutres. 3. Un désir de ne pas créer de murs. 4. Un désir de ne pas créer de pièces. 5. Un désir de ne pas créer d’architectures. » 10

Mutsuro Sasaki, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2011, preface 8

Mutsuro Sasaki, Flux structure, op.cit., preface 9

Toyo Ito, «Dividing Versus Making Continuous», Global Architecture Detail, Sendai Mediatheque, Migayi, Japan, 1995-2000, ADA Edita, Tokyo; 2001, p.5 10

Pour la bibliothèque, les treize colonnes sont soudées aux planchers pour éviter les joints, synonymes de composition d’éléments et de parties. Comme le fait remarquer Sasaki à l’occasion d’une discussion avec l’architecte, la médiathèque présente en fait la rencontre de deux types d’espaces; celui des colonnes irrégulières dilatant et comprimant l’espace et celui des plateaux abstraits, ‘miesien’. Selon Sasaki, la structure de la médiathèque découle de Mies Van der Rohe et de Antonio Gaudi, les deux personnes les plus importantes du point de vue structurel. Il va alors interpréter et envisager la structure de la médiathèque suivant cet axe et suivant la volonté initiale du projet proposé par Ito. Encore une fois la structure et sa mise en œuvre par l’ingénieur renforcent le concept du projet rendant l’espace des plateaux très abstraits, mais surtout continus et fluides. La où une structure régulière aurait découpé l’espace en pièces, les colonnes irrégulières donnent l’idée d’un espace continu.

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Collaboration ingénieur/architecte

« Au lieu d’être limitées à certains usages spécifiques dans des ‘pièces’ clairement définies, les personnes sont libres de choisir des ‘lieux’ dans un espace continu. » 11

Le projet pour la médiathèque marque une période de recherche vers de nouveaux types de structures pour l’architecte et l’ingénieur, ce que Sasaki nomme des ‘flux’ structures. Chez Ito, elles vont se décliner en deux sortes de systèmes, à travers les exemples du crématorium de Kakamigahara et celui de la bibliothèque de la Tama Art University. Interdépendance Le projet pour le crématorium de Kakamigahara s’inscrit dans la continuité des projets pour la Serpentine et la médiathèque. Il révèle les mêmes intentions préliminaires : le souhait de l’architecte de dématérialiser la structure formelle du bâtiment en créant une coque flottant dans le paysage qui abriterait les fonctions du crématorium. Ito recherche une surface uniforme qui ferait de tout le projet un seul et même élément continu. Comme pour la médiathèque, il ne doit pas y avoir de joints. Pour cela, Ito imagine d’abord des premières esquisses dans lesquelles la coque se déforme en fonction des programmes qu’elle contient et des différentes hauteurs sous plafond nécessaires. Mais, c’est encore grâce à l’ingénieur que le projet va pouvoir acquérir son aspect final, techniquement et esthétiquement meilleur. À partir des premiers dessins de l’architecte et d’un modèle en trois dimensions de la forme de la coque, l’ingénieur va appliquer son système Sensitivity Analysis method. Il procède par évolution continue de la forme vers le modèle le plus rationnel possible vis-à-vis des contraintes, du programme et également vis-à-vis de considérations plus esthétiques. Cette méthode procède par étapes successives, evolving and testing, presque par 124


Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : Interdépendance

tâtonnements pour arriver à la forme optimisée. Ito rapprochera ce système de la croissance des plantes à travers un processus très complexe, évoluant en plusieurs cycles pour arriver à leur aspect définitif. Bien que s’inspirant de systèmes naturels, la méthode développée par les deux hommes se révèle entièrement dépendante de l’outil informatique. Il a permis la conception finale du projet qui n’aurait pu être décrit avec d’autres moyens, tant du point de vue de la représentation que de celle des contraintes. En effet, la nappe n’est pas assimilable à une équation de surface simple et donc pas descriptible par les moyens traditionnels. Le système se révèle très efficace mais extrêmement compliqué à mettre en œuvre. La coque sera construite en béton mais nécessitera un système de coffrage très compliqué pour assurer une surface parfaitement continue. Autre point crucial du projet : les piliers porteurs qui, de fait, ne sont plus des piliers mais simplement le prolongement de la surface jusqu’au sol. Ainsi, la lecture n’est plus celle de points porteurs soutenant une nappe mais bien celle d’une surface unique. Il y a une cohésion gloDéformation de la toiture par étapes successives via un logiciel informatique. Plan de toiture et coupe transversale. La toiture est dessiné comme un sol naturel avec des courbes de niveaux. Figures extraites de Crematorio en Kakamigahara, Toyo lto, Tectonica, n°25, 2007, pp. 26-37

Toyo Ito, «Dividing Versus Making Continuous», op.cit., p.20 11

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Collaboration ingénieur/architecte

bale de l’ensemble du projet à travers l’application d’une idée et d’un système générateur optimisant la forme. Ce projet va inspirer le projet pour la bibliothèque de l’université d’art de Tama. Ito voulait réutiliser le concept des poteaux s’évasant pour la bibliothèque. Cependant, le coût trop élevé et leur représentation compliquée en trois dimensions a poussé l’architecte à simplifier leur section en une croix qui deviendra l’intersection des arcs. À travers ce projet, Ito questionne la réinterprétation de la grille des modernes, ce qu’il nomme la grille émergente.

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Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : La grille émergente

La grille émergente « The natural world is extremely complicated and variable, and its systems are fluid, it is build on a fluid world. In contrast to this, architecture has always tried to establish a more stable system. To be very simplistic, one could say that the system of the grid was established in the twentieth century (...) In response to that, over the last ten years, by modifying the grid slightly I have been attempting to find a way of creating relationships that bring buildings closer to their surrondings and environment. » 12

Jessie Turnbull, Toyo Ito: Forces of Nature, Princeton Architectural Press, Princeton, 2012 p.33 12

L’ambition de Ito est donc une réinterprétation de la grille, mais dans un système permettant des relations à son environnement. Pour lui, la grille moderne est restée un système figé, homogène et surtout reproductible sans rapport à son contexte. Pour le projet de Tama, Ito déforme la grille et casse la perpendicularité du système. Il assouplit toutes les lignes en leur donnant une légère courbe, le rez de chaussé ainsi que le toit seront aussi inclinés pour casser l’orthogonalité. Certains espaces de la bibliothèque sont projetés vers l’extérieur grâce à leur géométrie. La mise en œuvre du système constructif va rendre l’espace de la bibliothèque très fluide et ouvert.

Page précédente, Vue du crématorium. Continuité et fluidité. La toiture se déforme pour prendre appui au sol. Plan de la bibliothèque Tama. Une grille déformée, souple et légère.

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Collaboration ingénieur/architecte

« Here, using crisscrossing lines of arches to gently describe curves, we created another king of grid (...) We designed a double-layered building. Again Mr. Sasaki worked with us on the structure, which consists of interlocking arches with spans ranging from roughly sis to sixty feet. Almost all the walls describes a gentle curve in plan. » 13

Le système d’arcs issu du projet du crématorium sera le générateur. L’ensemble du projet est généré à partir de ces arcs et rien ne viendra perturber le système. Une règle simple va encore permettre la création de tout le dispositif du projet, et, le rôle de l’ingénieur sera crucial. Il va permettre de construire des murs très fins et une impression de légéreté très grande à l’intérieur du bâtiment. Les arcs ne sont pas semi-circulaires mais elliptiques, aplatis, donnant un caractère encore plus aérien à l’ensemble. Le coeur de arcs est en acier, ce qui permet l’extrême finesse des murs et surtout une empreinte au sol très réduite, différente pour chaque poteau.

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Toyo Ito - Mutsuro Sasaki : La grille émergente

D’autre part, ce projet est aussi l’occasion pour Ito d’affirmer sa position vis-à-vis des façades. Il pense que les façades peuvent être dessinées en suivant les questions structurelles du projet. Cette réflexion était déjà présente pour le pavillon de la Serpentine, dans lequel la façade et le système porteur ne font qu’un. Pour la bibliothèque la façade se résume au système d’arc, elle n’est ni plus ni moins que l’expression de la structure du projet.

Jessie Turnbull, Toyo Ito: Forces of Nature, Princeton Architectural Press, Princeton, 2012 pp.34-35 13

Jessie Turnbull, op.cit., p.123 14

« Until recently the facade was a system that was cut off from the structure. But combining structure with facade again, we are able to render visible the flow of forces (...) it enables ‘flowing space’ or expresses ‘organic symbolism’ in a new sense (...) Of course, we are inspired by structural engineers such as Cecil Balmond and Mutsuro Sasaki : when we work with these structural engineers, we are able to make a significant change to the landscape of the city. This operates differenly from previous forms of architectural symbolism - in this approach, people can ‘feel’ nature. » 14

Page précédente, système structurel des arcs avec un élément en acier au centre de l’intersection permettant la finesse des voile et vue intérieure de la bibliothèque montrant la grande fluidité des espaces et l’ouverture vers l’extérieur. Facade de la bibliohèque. Le système d’arc est identique en facade.

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Rem Koolhaas

1968

1944

Cecil Balmond

1945

Naissance au Sri Lanka

1940

1941

1950

Naissance à Séoul, Corée du Sud

Etudes au Trinity College, Kandy, Université de Colombo

1960

1960 1965

1975

Fonde l’Office for Metropolitan Architecture

1978

1980

Biennale de Venise «Presence of the past»

New York Délire

Etudes à l’université de Southampton Imperial College, Londres

1970

1971

1975

1976

1980

Fonde son Maison U Etudes à agence, l’Université URBOT à 1978 d’archiTokyo PMT tecture de building, Tokyo Nagoya

Toyo Ito Sasaki Mutsuro

1972

Etudes de Etudes à journalisme Cornell, 1968 Ithaca, 1972 New York Etudes à la auprès de AA school Oswald à Londres Mathias Ungers

Naissance à Rotterdam, Pays-Bas

1946

Naissance au Japon

1980

Fonde, Sasaki structural consultants

1985


1989

Pavillon Projet de la TGB et serpentine Zeebrugge

1989

1991 Pavillon ZKM, serpentine Karlsruhe

1992

1994

2006

Kunsthalser Pavillon S,M,L,XL Pavillon II, serpentine pentine Rotterdam

Pavillon Pavillon Serpentine serpentine

1994 1998

Maison à Bordeaux

1995

2002

Informal, Informal conférence à Berlin

1987

1990

1992

1994

1995

1995 2000

Médiatheque de Sendai, Japon

2000

2002

Pavillon serpentine, Londres avec Cecil Balmond

2005

2006

Meiso no Mori crematorium Gifu, Japon

2007

Tama Art University Library, Japon

2005

Flux structure, Toto, Tokyo, 2005

2007

Morphogenesis of flux structure, AA publications, Londres,2007


Conclusion

CONCLUSION

La collaboration, c’est d’abord celle entre les deux auteurs de ce mémoire. Ce résultat est l’oeuvre d’une mise en commun d’idées et de réflexions autour d’un sujet. Mener un exercice de recherche s’effectue souvent seul, or, collaborer nous a aidé à développer notre propos et à élargir nos recherches selon nos personnalités respectives. Le dialogue nous a permis d’organiser notre propos et de mettre en avant les problématiques que l’on partageait. Pratiquer nous-mêmes la collaboration nous a, d’une certaine manière, rapprochés de notre sujet d’étude et de ses acteurs. De cet exercice, nous retenons plusieurs aspects. Rédiger ce mémoire nous a permis de prendre conscience de l’architecture ou plutôt des architectures ; des nombreuses manières de l’aborder. Se concentrer sur la collaboration via l’approche de l’ingénieur et de l’artiste nous a permis de nous questionner sur la nature même du métier d’architecte et des nombreuses questions qu’il traite. Les acteurs que nous avons choisis pour étayer notre propos mettent tous en avant l’importance de la diversité du métier d’architecte. Ils ont conscience que le projet architectural fait appel à beaucoup d’aspects techniques ou artistiques. S’intéresser à des collaborations avec des artistes ou des ingénieurs nous a poussé à nous intéresser à ces disciplines, d’abord à l’intérieur du métier de l’architecte et ensuite comme atout pour le projet architectural. 132


Conclusion

Nous avons choisi des architectes ayant volontairement fait appel à une tierce personne pour construire un projet à plusieurs mains. Comme nous l’avions annoncé, ces collaborations représentent beaucoup plus qu’un travail à deux autour d’un projet, elles sont basées autour d’un dialogue, d’un partage et d’une conjonction d’idées fortes. Ces associations représentent pour nous un véritable intérêt et nous ont fait prendre conscience de la nécessité du dialogue et de l’apport d’autres compétences dans la construction d’un projet architectural. Aujourd’hui, le projet d’architecture rassemble une multitude d’aspects, de plus en plus techniques et faisant appel à toujours plus de disciplines. Les architectes présents dans ce mémoire vantent tous les mérites du dialogue avec un professionnel venu d’une autre discipline. L’ingénieur ou l’artiste apporte une vision, sa vision de l’architecture issue de son métier et de son expérience. Cela va permettre aux architectes d’engager de nouvelles manières de construire un projet. L’étape de la constitution d’un parti, d’une forme représente une étape cruciale pour l’architecte, une étape qui a longtemps fait partie de son propre univers. Voir une personne qui n’est pas du métier intervenir et construire le projet avec l’architecte atteste du caractère interdisciplinaire de l’architecture de nos jours. La collaboration facilite l’échange et le partage d’idées et permet de faire progresser le projet, en lui apportant une plus grande complexité. Lorsqu’un artiste intervient, son apport va au-delà des questions esthétiques, il apporte sa vision d’artiste, sa relation à l’oeuvre construite. Le changement d’échelle de l’oeuvre d’art au bâtiment représente une étape importante dans ce processus. D’autre part, l’artiste montre des oeuvres qui sont faites pour être perçues et pour nous procurer des sensations. Pour les projets développés dans ce mémoire,

133


Conclusion

les artistes ont à chaque fois apporté leurs expériences d’artistes pour favoriser le projet, aussi bien dans son aspect formel que dans le processus de sa création. En ce qui concerne la collaboration avec des ingénieurs, elle se trouve de nouveau au-delà de la simple résolution de problèmes techniques. Les ingénieurs, Balmond comme Sasaki, ont partagé leur vision et leur idée des structures pour améliorer et construire la base des projets des architectes. Parfois, le projet est presque entièrement confié à l’ingénieur. Quelle que soit la discipline de l’intervenant, nous avons pu constater, à travers ce mémoire, que le processus de collaboration, lorsqu’il rapproche deux hommes prêts à dialoguer, amène le projet vers de nouveaux territoires. En tant qu’étudiants, nous avons été confrontés au travail à plusieurs autour d’un projet. Cependant, ces exercices rassemblaient toujours des étudiants en architecture, or, il nous semble intéressant à la suite de cette étude d’élargir les horizons des étudiants vers d’autres disciplines. D’ailleurs, l’enseignement du projet se dit en grec σύνθεση (syntesis) signifiant composition ; le projet est donc la synthèse d’un certain nombre de paramètres allant au-delà du champ strict de l’architecture. Ainsi, ne serait-il pas formateur pour de jeunes architectes de travailler avec des étudiants en histoire, en art, en ingénierie, etc. ?

134



Bibliographie HERZOG & DE MEURON / RÉMY ZAUGG

Ouvrage

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Ouvrage

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Revues

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REM KOOLHAAS / CECIL BALMOND

Ouvrage

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TOYO ITO/ MUTSURO SASAKI

Ouvrage

SASAKI Mutsuro, Flux Structure, Toto, Tokyo, 2005 SASAKI Mutsuro, Morphogenesis of Flux Structure, AA Publications, Londres, 2007 TURNBULL Jessie, Toyo Ito: Forces of Nature, Princeton Architectural Press, Princeton, 2012

Revues

Toyo Ito, «Toyo Ito - a look forward, interview with Toyo Ito, Cecil Balmond, Architecture Liberated Geometry», A+U special issue, 2006, pp. 172-173 Alvaro Varela, «Crematorio en Kakamigahara, Toyo Ito», Tectonica, n°25, 2007, pp. 26-37

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Christina Vryakou & FĂŠlix Gautherot


Christina Vryakou & Félix Gautherot

Nos remerciements vont à Jacques Lucan et Benjamin Persitz pour le suivi de notre travail de recherche tout au long de l’année. Nous tenons également à remercier tout particulièrement nos parents pour leur soutien respectif et leur patience pour la relecture de notre mémoire. Nos remerciements vont également à Aggeliki et Vasileios pour leur aide dans la construction de notre propos.

FAIRE ENSEMBLE De la collaboration en architecture

École d’Architecture de la Ville et des Territoires à Marne-la-Vallée Master Théorie & Projet - Janvier 2015

FAIRE ENSEMBLE

Christina Vryakou Félix Gautherot

Christina Vryakou & Félix Gautherot Sous la direction de Jacques Lucan et l’assistance de Benjamin Persitz


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