LFC #8 NOUVEAU
AVRIL 2018 DOUBLE COVER 100% INDÉPENDANT
196 PAGES DE CULTURE
LE MAG DIGITAL
Et aussi Karine Giébel Nicolas Rey Secteur Ä - Pit Baccardi Baptiste Beaulieu Danielle Thiéry Pomme Romane Serda Daara J Family Lili Poe Sébastien Meier
GILLES LEGARDINIER L'UN DES DIX ROMANCIERS LES PLUS LUS
LAFRINGALECULTURELLE.FR
ÉDITO
LA FRINGALE CULTURELLE, LE MAGAZINE DIGITAL LFC #8
Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, Le numéro de l'annonce du Printemps 2018 propose à 80% des sujets FAIT MAISON, comme au restaurant, c'est-à-dire une rencontre authentique avec l'artiste + photographies exclusives grâce à notre partenaire LEEXTRA. Nous remercions l'implication des photographes : Patrice Normand, Julien Faure, Julien Falsimagne, Franck Beloncle, Arnaud Meyer qui signe le portrait de Gilles Legardinier et - honneur aux femmes - à Céline Nieszawer qui signe la cover de Daara J Family. Merci aussi à Ursula sigon. Un grand MERCI à Gilles Legardinier et Daara J Family (Faada Freddy et Ndongo D) de nous avoir fait confiance. Ainsi qu'à OK Coral, Romane Serda, Pomme, Lili Poe, Haylen, Charlotte & Magon, Janine Boissard, Nicolas Rey, Régina Wong, Amélie Antoine, Emelie Schepp, Haylen Beck, Baptiste Beaulieu, Danielle Thiéry, LouisStéphane Ulysse, Malin Persson Giolito, Anne Nelson, Michel Moatti et Karine Giébel. Vous êtes plus de 210 000 personnes à consulter le magazine depuis son lancement. MERCI pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. Très bonne lecture les fringants,
ET SURTOUT... LA REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TOUS LES ARTICLES, PHOTOS, ILLUSTRATIONS, PUBLIÉS DANS LFC MAGAZINE EST FORMELLEMENT INTERDITE. Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :
GILLES LEGARDINIER DAARA J FAMILY
08
Seven Seconds
10
Diane Peylin
13
Ready Player One
17
Elizabeth Brundage
20
Valérie Perrin
22
L'île aux chiens
25
Régina Wong
30
Janine Boissard
36
Louis-Stéphane Ulysse
41
Nicolas Rey
46
Sarah Ladipo Manyika
50
Anne Nelson
55
Baptiste Beaulieu
63
Amélie Antoine
68
Gilles Legardinier
75
Sébastien Meier
83
Haylen Beck
89
Danielle Thiéry
95
Malin Persson Giolito
101
Emelie Schepp
106
Michel Moatti
111
Karine Giébel
117
Secteur Ä - Pit Baccardi
123
Ok Coral
129
Pomme
135
Margaux Simone
141
Romane Serda
145
Daara J Family
152
Laura Clauzel
160
Lili Poe
166
Haylen
170
Charlotte & Magon
174
TAF MAG
L'ÉQUIPE
Fondateur et rédacteur en chef Christophe Mangelle
Journalistes Quentin Haessig Christophe Mangelle Laurent Bettoni
Coordinatrice Photographes Ursula Sigon LEEXTRA
Photographes Céline Nieszawer Patrice Normand Arnaud Meyer Julien Faure Julien Falsimagne Franck Beloncle LEEXTRA
Traducteur Quentin Haessig
Régine Wong, Janine Boissard, LouisStéphane Ulysse, Nicolas Rey, Anne Nelson, Baptiste Beaulieu, Amélie Antoine, Gilles Legardinier, Haylen Beck, Danielle Thiéry, Malin Persson Giolito, Emelie schepp, Michel Moatti, Karine Giébel, Ok Coral, Pomme, Romane Serda, Daara J Family, Lili Poe, Haylen et Charlotte & Magon sont exclusivement photographiés par les photographes de l'agence LEEXTRA, notre partenaire. Des sujets tous 100% "fait maison".
Chroniqueurs Nathalie Gendreau (Théâtre) de Prestaplume David Smadja (Cinéma) de C'est contagieux Quentin Haessig (Série TV) de La Fringale Culturelle Muriel Leroy Alexandra de Broca Clarisse Sabard
LFC MAGAZINE
AVRIL 2018 | #8
6
La sélection
de la rédaction
Livres, série TV, films...
par Christophe Mangelle, Muriel Leroy, David Smadja, Clarisse Sabard...
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SEVEN SECONDS UNE SÉRIE SOUS TENSION SÉRIE LFC MAGAZINE
01
AUTHENTIQUE, FORT ET ADDICTIF
ACTUELLEMENT SUR NETFLIX COPYRIGHT JOJO WHILDEN / NETFLIX AVRIL 2018
ABSOLUMENT GÉNIAL ! TENSIONS RACIALES, FLICS RIPOUX, JEUX DES ACTEURS BRILLANTS, TRÈS BIEN FILMÉ. UNE SÉRIE QUI S'AVALE AVEC LA PROMESSE D'UN DÉNOUEMENT À LA HAUTEUR. À VOIR AU PLUS VITE.
L'AVIS EXPRESS DE LA RÉDACTION
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS NETFLIX AVRIL 2018
ACTUELLEMENT SUR NETFLIX
DIANE PEYLIN
LIVRE LFC MAGAZINE
PAGE 10
PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR
DIANE PEYLIN L'ENT RET IEN
INÉDIT
Diane Peylin est l'invitée de notre journaliste Muriel Leroy. Elle publie La Grande Roue chez Les Escales, un roman sur les violences conjugales. Entretien.
02
LFC : Avant de commencer, nous tenions à vous féliciter
battues. Et en lisant leurs histoires, ce fut une
pour votre dernier roman La Grande Roue qui aborde le
évidence… Emma, mon personnage principal, s’est
sujet très complexe de la violence conjugale et ses
imposée. J’ai écrit ce roman en 2016 bien avant cette
conséquences. Votre roman précédent lui portait sur les
grande vague médiatique et oui, effectivement, il
relations parents-enfants. Deux thèmes complexes très
résonne parfaitement avec tout ce qui est dénoncé
bien maîtrisés qui amènent le lecteur à réfléchir. Vécu ou
aujourd’hui.
de l’imaginaire ?
LFC : Les séquelles psychologiques sont
DP : Non ce n’est pas du vécu. Mais, comme tout écrivain, je
impressionnantes dans votre récit. Avez-vous
suis une éponge et je me nourris de ma vie, mais aussi de la
consacré beaucoup de temps aux recherches ?
vie des autres. J’aime que les gens me racontent des histoires. Elles s’inscrivent en moi. Et tous ces bouts
DP : Oui, j’ai lu des témoignages, visionné des
d’histoires, tous ces témoignages, constituent une partie de
reportages, discuté avec des femmes victimes. Et les
ma matière. À côté de cela, oui il y a une grande part
traumatismes sont lourds et les séquelles terribles.
d’imaginaire. Et aussi de la documentation.
LFC : La famille est un sujet très prégnant dans vos
LFC : La Grande Roue entre dans l’ère du temps et sort
livres, puisque dans le précédent Même les
au moment où les femmes dénoncent les violences dont
pêcheurs ont le mal de mer beau jeu de mot et très
elles sont victimes. Votre héroïne principale est elle-
belle image qui met l’accent sur l’absence de mère
même victime de violence conjugale. Pour quelles
tout autant que sur les relations parentales, le
raisons avez-vous voulu abordé ce thème si difficile ?
suicide, les non- dits, la transmission. De
nombreux sujets très délicats. Comment les avez-
DP : Les violences faites aux femmes sont,
vous abordés ?
malheureusement, un thème d’actualité depuis des siècles. Au départ, je me documentais sur la perte d’identité et les
DP : La famille et les racines sont mes thèmes de
témoignages m’ont petit à petit amenée vers les femmes
prédilection. Je suis moi-même, de manière
PAGE 11
personnelle, très intéressée par le transgénérationnel.
sur la création littéraire en Alaska.
C’est fascinant de voir tout ce qui se transmet de
Je démarre actuellement l’écriture
génération en génération, de prendre conscience de
de mon nouveau roman, mais ce
ces vides qui nous creusent et de ces trop-pleins qui
n’est pas encore assez clair pour
nous pèsent et qui définissent les adultes que nous
que je puisse en parler. Et je
sommes. C’est passionnant et en même temps assez
poursuis l’animation d’ateliers
terrifiant. D’où ce besoin d’en parler, de décortiquer,
d’écriture. Le prochain aura lieu du
de mettre en lumière pour se libérer de tout ça.
2 au 6 avril en Belgique. Je vous invite à consulter mes sites internet
LFC : Choisir des personnages torturés, pour
pour plus d’informations :
diverses raisons, peut paraître redondant et
http://dianepeylin.wixsite.com/dia
pourtant vous avez su éviter les écueils. Cela
nepeylin https://www.ateliers-
permet ainsi au lecteur de s’identifier à l’un
ecriture.net/
d’entre eux. Quels messages souhaitiez-vous faire passer ?
LFC : On vous laisse le mot de la fin...
DP : ‘’Torturés’’ est peut-être un adjectif un peu fort. Ils ont pour beaucoup, il est vrai, une part sombre.
DP : Dessiner des mots avec son
Mais si l’on souhaite être au plus près de la réalité, il
stylo, avec sa bouche, avec ses
est impossible d’écrire des personnages lisses et sans
yeux, avec ses mains est une
aspérité. Nous sommes tous lumière et obscurité.
richesse qui ne coûte rien. Oui,
Nous portons tous des cicatrices plus ou moins
c’est parfois difficile. Oui, il faut
grandes. Donc, mes personnages aussi… Mais ils ont
parfois se dépasser pour oser. Mais
du relief et dévoilent de merveilleux sourires entre
ensuite, quel bonheur de savourer
deux larmes. Ainsi est la vie. Elle n’est pas un long
ce précieux cadeau...
fleuve tranquille. LFC : Actuellement, avez-vous d’autres projets ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? DP : Je viens de terminer un projet collectif Marins à l’encre. J’ai été invitée en Alaska en août 2017 avec deux autres auteurs, Pierre Crevoisier et Matthieu Berthod. Nous nous sommes immergés dans l'immensité de ses terres sauvages et ensuite chacun a écrit des nouvelles. Parutions en avril 2018 aux éditions Slatkine. Avec en parallèle un documentaire
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COMME TOUT ÉCRIVAIN, JE SUIS UNE ÉPONGE ET JE ME NOURRIS DE MA VIE, MAIS AUSSI DE LA VIE DES AUTRES. J’AIME QUE LES GENS ME RACONTENT DES HISTOIRES. ELLES S’INSCRIVENT EN MOI. ET TOUS CES BOUTS D’HISTOIRES, TOUS CES TÉMOIGNAGES, CONSTITUENT UNE PARTIE DE MA MATIÈRE.
CINÉMA LFC MAGAZINE
03 READY PLAYER ONE
PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : COPYRIGHT WARNER BROS AVRIL 2018
PHÉNOMÉNAL
PHÉNOMÉNAL - RAREMENT CE MOT AURA LA CAMÉRA DE SPIELBERG EST PUNCHY, ÉTÉ AUSSI ADAPTÉ POUR DÉCRIRE UN VIREVOLTANTE, ENTRAINANTE ET TE HAPPE FILM. CAR C’EST BIEN DE PHÉNOMÈNE DÈS LA PREMIÈRE IMAGE. UN FEU D’ARTIFICE QUI COLORE TES IRIS TANDIS QUE TU DONT IL EST QUESTION. AVEC « READY GLISSES AVEC DÉLICE DANS LA MATRICE. PLAYER ONE » SPIELBERG POSE LES Attention ça va vite, très vite ! Les références JALONS D’UNE ŒUVRE MAJEURE AU sont tellement nombreuses, et souvent furtives, qu’il faudra plusieurs visions et être sacrément NIVEAU DE SA STRUCTURE ET DE SON calé (geek ?) pour toutes les déceler. On ne va CONTENU. L'AVIS DE LA RÉDACTION LE MÉTRAGE EST DIRECTEMENT INSPIRÉ DU BOUQUIN D’ERNEST CLINE, « PLAYER ONE » (POCKET), QUE LE RÉALISATEUR S’APPROPRIE, DIGÈRE ET RÉGURGITE AVEC TALENT À UN PUBLIC AFFAMÉ ET GOURMAND.
pas énumérer ici tous les easter eggs et références en matière de films, de livres, de comics ou de jeux vidéo, beaucoup d’articles sur le net en font déjà la liste, mais ils contribuent énormément au succès du livre et du film, installant le spectateur en terrain connu, en zone de confort, procurant joie et allégresse aux enfants/ados des eighties.
AU MOINS AUSSI RÉVOLUTIONNAIRE QUE LE FURENT EN LEUR TEMPS « JURASSIC PARK » ET « AVATAR » MAIS AVEC UN P’TIT GRAIN DE FOLIE SUPPLÉMENTAIRE. Folie des images, folie du script, folie de la mise en scène, inventivité et créativité à tous les niveaux, ce film bouscule les codes habituels de films à grand spectacle pour proposer une voie où tous les sens sont mis en alerte. Un peu comme si on redécouvrait les sensations du cinéma, du pur émerveillement, les poils qui se dressent, le pouls qui accélère, la bouche qui s’ouvre béante indépendamment de notre volonté.
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
MADELEINE DE PROUST ? On ne peut cependant pas cantonner « Ready Player One » à un énorme trip nostalgique, Spielberg ne donne pas dans le contemplatif béat. Au contraire, s’il se nourrit bien des sources de la pop-culture des eighties, c’est pour souligner son influence profonde sur notre époque et l’ancrer de manière définitive dans notre imaginaire collectif. L’univers est d’une richesse et d’une profondeur rarement atteinte, jamais le mélange du réel/virtuel n’a jamais été aussi bien intégré et enchevêtré. « Ready Player One » est un film spectaculaire certes, mais il propose aussi une véritable réflexion sur les évolutions technologiques et leur poids sur nos vies.
L'AVIS DE LA RÉDACTION
VÉRITABLE TEMPLE (ODE ?) DÉDIÉ À LA GEEKITUDE, LE FILM T’EXPLOSE LES MIRETTES EN MILLIERS DE MORCEAUX DE VERRE (DE PIXEL ?) TANT LE CHOC DES IMAGES EST INTENSE. Tu pousses des « whouaaahhh » des « ohlalalalalala » des « rhoooooooo » sans discontinuer. Si l’on captait le son des spectateurs dans la salle on ne retiendrait qu’une multitude d’onomatopées qui, si on la convertissait en énergie pure, pourrait alimenter le monde jusqu’à la fin du siècle. Quand je parlais de phénomène plus haut... Le Pitch : 2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l'OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday. Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l'œuf de Pâques numérique qu'il a pris soin de dissimuler dans l'OASIS. L'appât du gain provoque une compétition planétaire. Mais lorsqu'un jeune garçon, Wade Watts, qui n'a pourtant pas le profil d'un héros, décide de participer à la chasse au trésor, il est plongé dans un monde parallèle à la fois mystérieux et inquiétant…
En effet, le futur de 2045 ne fera rêver personne et pourtant l’humanité semble s’y diriger les bras ouverts. Chacun y vit dans le virtuel, les véritables échanges sociaux sont réduits à leur portion congrue au détriment d’une désincarnation des rapports humains et d’un contrôle des masses. Oui, c’est assez flippant et ça mérite vraiment de se poser un peu pour y réfléchir.
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
ELIZABETH BRUNDAGE
LIVRE LFC MAGAZINE
PAGE 17
PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR TRADUCTION : LAURENT LOISON
ELIZABETH BRUNDAGE L'ENT RET IEN
INÉDIT
Elizabeth Brundage est l'invitée de notre journaliste Muriel Leroy. Elle publie Dans les angles morts chez Quai Voltaire, un roman sur la condition féminine et la quête de soi. Entretien.
04
LFC : Bonjour Elizabeth BRUNDAGE, votre roman Dans
EB : J’ai vécu dans plusieurs maisons, dont la
les angles morts porte sur la condition féminine et sur la
plupart avaient un caractère historique, et j’ai
quête de soi. Pourquoi avez-vous abordé ces thèmes ?
toujours eu ce sentiment qu’elles avaient une existence propre, interagissant avec nos vies. La
EB : Il est essentiel pour moi de réfléchir et d’écrire sur la
maison est indéniablement un protagoniste de ce
raison-même de notre existence. Quel est le but de la vie ?
roman. Regardant, évaluant, chroniquant.
J’ai bien le sentiment que cela puisse paraitre ardu, mais
L’histoire s’est révélée là. Des vies y ont été
cela constitue dès lors une bonne raison d’écrire des
vécues. Que laisse-t-on derrière nous ? Notre
romans. Essayer de se comprendre soi-même est le
propre essence, et qu’est-ce que c’est ? Nous
challenge d’une vie. C’est un processus qui évolue et
parlons alors d’esprits ou de fantômes. Nous
résulte de nos expériences ainsi que des choix qui
avons tous un esprit en nous, et qu’en faisons-
façonnent nos vies. Ce qui m’intéresse, c’est comment nous
nous ? Et ceci nous ramène à la question de la
affrontons les obstacles, et les décisions que nous prenons,
quête de soi. La maison est vivante et a son
bonnes ou mauvaises, dans nos tentatives pour les
propre jugement. Elle note la manière dont nous
surmonter. Dans ce roman, Catherine et George se marient
nous maltraitons les uns les autres, comment
pour toutes les mauvaises raisons. Leur tragique destin en
nous ignorons les gens que nous aimons,
est la résultante. Quand Catherine finit par comprendre qu’il
comment nous nous mentons aux uns aux autres,
y a quelque chose qui ne va pas du tout avec son mari, il est
comment nous trouvons l’amour ou pas. Elle
trop tard. Je me suis intéressée à montrer comment, avec le
regarde comment nous construisons nos vies, les
temps, elle finit par comprendre qu’elle a participé à tisser
joies et les peines que nous vivons.
la toile dans laquelle elle est piégée ; et quand
finalement, elle tente de s’enfuir, il est malheureusement
LFC : Vous n’abordez pas votre récit d’une
beaucoup trop tard.
façon trop manichéenne, bien au contraire… On y trouve là l’être humain tel qu’il est, et c’est
LFC : La maison, lieu où tout débute, représente à elle
ce qui rend votre récit d’autant plus juste.
seule un personnage du roman et non un simple décor.
Qu’avez-vous voulu démontrer par ce biais-là ?
PAGE 18
EB : J’ai vraiment souhaité véhiculer un sentiment de réalisme dans ce roman, tout en explorant la possibilité d’une autre dimension, celle du monde spirituel. La confrontation du bien contre le mal est bien moins intéressante pour moi, que la complexité et l’absence de définition précise de la réalité de la vie dans son déroulement. La trahison, aussi, et ce qui la motive est beaucoup plus intéressante pour moi qu’un acte meurtrier. Le paysage, la ferme, les moments incertains dans un quotidien ordinaire. En termes d’écriture, j’ai de manière consciente essayé de créer un sentiment de liberté au sein de la page, proche d’un chant d’une voix claire et pure. Je ne suis pas sure que ce soit très clair. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de ne pas utiliser les guillemets, parce que telles conventions semblaient artificielles dans ce contexte et je voulais que les mots, les dialogues imprègnent le roman avec l’éphémère spontanéité de la poésie. LFC : C’est votre premier ouvrage édité en France, et on n’espère pas le dernier, quel effet cela vous fait ? EB : J’aime la France et je suis ravie et reconnaissante d’être et publiée et traduite dans une des plus belles langues du monde.
J’AI VRAIMENT SOUHAITÉ VÉHICULER UN SENTIMENT DE RÉALISME DANS CE ROMAN, TOUT EN EXPLORANT LA POSSIBILITÉ D’UNE AUTRE DIMENSION, CELLE DU MONDE SPIRITUEL. LA CONFRONTATION DU BIEN CONTRE LE MAL EST BIEN MOINS INTÉRESSANTE POUR MOI, QUE LA COMPLEXITÉ ET L’ABSENCE DE DÉFINITION PRÉCISE DE LA RÉALITÉ DE LA VIE DANS SON DÉROULEMENT.
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LE LIVRE QUI FAIT DU BIEN PAR CLARISSE SABARD
ROMAN LFC MAGAZINE
05 VALÉRIE PERRIN CHANGER L'EAU DES FLEURS
CLARISSE SABARD EST ROMANCIÈRE ELLE A PUBLIÉ LE JARDIN DE L'OUBLI (CHARLESTON) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE VALÉRIE PERRIN, CHANGER L'EAU DES FLEURS (ALBIN MICHEL). AVRIL 2018
TOUS LES MOIS, CLARISSE SABARD REJOINT LA TEAM POUR VOUS PARLER DU LIVRE QUI FAIT DU BIEN. CE MOIS-CI, ELLE NOUS PARLE DU ROMAN DE VALÉRIE PERRIN, CHANGER L'EAU DES FLEURS (ALBIN MICHEL) ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE.
ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE
QUI EST L'AUTEUR ?
POURQUOI ON AIME ?
Co-scénariste, romancière, photographe de plateau, Valérie Perrin est née en 1967 dans l’Est de la France. Elle alterne sa vie professionnelle entre photographie et écriture. Depuis 2011, elle a co-écrit trois films avec Claude Lelouch. 2 scénarios sont en cours d'écriture. De 2010 à 2016, elle est photographe de plateau à plusieurs reprises pour Claude Lelouch, Samuel Benchetrit Et Audrey Dana. Elle réalise un Carnet de tournage de Ces Amours-là Éditions en L ' A V aux IS D E L A France R É D AEmpire CTION 2010. Plusieurs expositions de photographies lui ont été consacrées. En 2015, elle publie son premier roman aux Éditions Albin Michel, Les oubliés du dimanche, lauréat du premier roman de Chambéry 2016 et obtenu 11 prix littéraires. Le 28 février 2018, elle publie son deuxième roman aux Editions Albin Michel, Changer l'eau des fleurs.
Valérie Perrin nous livre un second roman lumineux, à travers lequel elle poétise le quotidien de personnes simples, telles qu'on en rencontre tous les jours. Des personnages auxquels on s'attache tout au long de cette histoire de renaissance où plusieurs vies viennent se mêler les unes aux autres. Résolument feel-good et optimiste, c'est un roman d'une fluidité et d'une justesse parfaites, que l'on savoure. Il est d'ailleurs difficile de quitter les protagonistes de ce livre, on pense à eux longtemps après avoir lu la dernière page.
ÇA PARLE DE QUOI ? Violette est garde-cimetière dans une petite ville de Bourgogne. Dans sa loge, elle réconforte les gens de passage en leur offrant du café et en écoutant leurs confidences. Sa vie est minutieusement réglée, entre les tombes qu'elle bichonne, son jardin potager et les animaux errants dont elle s'occupe. Un jour, un homme vient faire basculer son quotidien en voulant exaucer les dernières volontés de sa mère. En plongeant dans le passé de cette femme, c'est aussi le sien que Violette va réveiller...
CINÉMA LFC MAGAZINE
06 L'ÎLE AUX CHIENS
PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE AVRIL 2018
PRODUCTION ATYPIQUE, OBJET OVNIESQUE ET PROTÉIFORME, « L’ÎLE AUX CHIENS » POSSÈDE UN DESIGN IMPRESSIONNANT ET PROPOSE UN VOYAGE EXOTIQUE À CEUX QUI VOUDRONT BIEN EN SILLONNER LA ROUTE. FABLE ENGAGÉE ET MILITANTE, C’EST UNE BELLE LEÇON D’HUMANITÉ QUI NOUS EST DÉLIVRÉE PAR WES ANDERSON.
UN FILM MULTI-LANGUES Pour insister sur l’incompréhension entre les humains et les chiens, les langues sont volontairement différentes, les humains parlant japonais (non traduits la majeure partie du temps) et les chiens anglais. Ce choix permet aux spectateurs de s’identifier spontanément à la gente canine et de leur dédier toute leur empathie. Les dialogues sont pinceLE PITCH L ' A V I S D E L A R É D A C T I O N sans-rire et souvent caustiques ; des Sur fond de grippe canine dans les archipels nippons, le maire de échanges ping-pong qui font naître le Megasaki décide, pour éviter le risque de contagion, d’exiler tous les rictus puis les rires à gorges chiens sur une île dépotoir, l’île poubelle, afin de préserver le reste de déployées. Il faut dire qu’Anderson a la population. Un petit garçon de douze ans à la recherche de son soigné son casting de voix (La liste compagnon de jeu préféré va débarquer sur l’île et remettre en qu’elle soit en VO ou en VF est question cette décision à l’aide d’une bande de 5 chiens qu’il va y impressionnante !). croiser.
UN FILM D’UNE BEAUTÉ VÉNÉNEUSE ET HYPNOTIQUE. Seconde incursion dans le monde de l’animation pour Wes Anderson après l’étonnant « Fantastic Mister Fox », « L’île aux chiens » est l’écrin rêvé pour l’univers déjanté du réalisateur dont la filmographie est remplie de joyaux décalés et absurdes tels que son merveilleux « La vie aquatique » et son pétillant « Grand Budapest Hotel ». La photo est sublime, les animations de marionnettes en Stop-Motion sont à couper le souffle tant le design est original et d’une beauté vénéneuse et hypnotique. ACTUELLEMENT AU CINÉMA
UN FILM D’ANIMATION RENDANT HOMMAGE À SERGIO LEONE
L’auteur a trouvé un terrain de jeu qui lui sied comme un gant et lui permet d’expérimenter de nouvelles voies au niveau de la mise en scène et de l’ambiance. Wes Anderson ne s’est d’ailleurs jamais caché de son admiration pour le cinéma japonais et c’est le fantôme de Kurosawa qui est convoqué ici. Le film transpire d’influences nippones que ce soit dans le traité du dessin ou dans la rigueur de la réalisation. On y ajoutera aussi, une certaine influence du western spaghetti. Quand on parle d’expérimentation, il est rare de voir un film d’animation rendant à ce point hommage à Sergio Leone dans la construction de sa mise en scène. Certains plans (voire certaines scènes) renvoie à un cinéma de genre, avec des profondeurs de champs sur certains plans de visages ou de partie du corps, jouant sur les hors champs pour distiller l’ambiance délétère de fin du monde ressentie par les chiens. On est ici dans l’animé inanimé tant la volonté du statique dans le mouvement vient créer un décalage savoureux dans la façon de raconter l’histoire. Et quand on sait à quel point Leone s’est inspiré de Kurosawa, on se dit que la boucle est bouclée.
L'AVIS DE LA RÉDACTION
UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA PARTICULIÈRE QU’ON NE RETROUVERA PAS AILLEURS AVANT LONGTEMPS.
Mention spéciale pour la musique d’Alexandre Desplat fraîchement oscarisé pour « La forme de l’eau ». Tribale et entêtante, aux airs martiaux appuyés, elle contribue indéniablement à l’atmosphère singulière qui règne. Le film n’évite cependant pas certaines longueurs et aurait gagné à être un peu plus resserré. Mais on ne boudera pas le plaisir de vivre une expérience de cinéma particulière qu’on ne retrouvera pas ailleurs avant longtemps. Petite précision qui a son importance, de par sa complexité et son apparente austérité, ce film d’animation n’est pas destiné à un jeune public qui risquera de rester hermétique à l’ensemble. En revanche, les parents, précipitez-vous !
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
RÉGINA WONG PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : JULIEN FAURE LEEXTRA
Paris, mars 2018, nous rencontrons dans un hôtel cosy la londonienne Régina Wong, qui prône le minimalisme comme philosophie de vie. D'un blog qui cartonne à SELINA RICHARDS l'animation d'ateliers, elle publie aujourd'hui chez belfond "Faites de la place". Interview inédite et séance photos avec une auteure qui va vous aider à aller à l'essentiel.
LFC : Bonjour Regina Wong, nous nous
tourner vers ce mouvement.
rencontrons pour parler de votre livre Faites de la place - Guide moderne du minimalisme
LFC : Le livre est une sorte de manifeste.
(Belfond). Comment ce projet est-il né ?
Voulez-vous avec ce livre simplifier la vie des gens ?
RW : Plus j’entendais parler du minimalisme, plus je me disais qu’il y avait quelque chose à
RW : Une fois que j’ai eu terminé d’écrire ce
creuser. À travers ce mouvement, je trouve qu’il
livre, le processus a été très rapide et le livre a
y a une notion de partage primordial. Dans la
été publié assez rapidement. Ce qui est rare
vie, lorsque vous aimez faire quelque chose,
dans l’édition. Mais le sujet intéressait
vous continuez. C’est ce que j’ai fait en écrivant
beaucoup mes éditeurs. J’ai toujours été une
ce livre.
personne curieuse, et dès que je me suis intéressée à ce mouvement, j’ai voulu partager
LFC : Vous avez également commencé cette
ce que j’avais appris. En écrivant ce livre, je
aventure en créant un site internet que vous
souhaitais que les gens aient une vie plus
avez appelé Live well with less.
épanouie.
RW : Ce site, que l’on peut traduire en français
LFC : Vous citez beaucoup de livres, les
par Vivez mieux avec moins a tout de suite
sources de votre inspiration ?
touché les gens. Le minimalisme est devenu
26
une passion pour moi et ce site était la
RW : Oui, d’ailleurs, je conseille aux lecteurs de
plateforme idéale pour inciter les gens à se
jeter un œil à ces ouvrages s’ils ont aimé mon
livre. The hundred things challenge de Dave Bruno, Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle ou Le bonheur est dans le peu de Francine Jay pour ne citer qu’eux. SELINA LFC : Comment pourriez-vous définir le minimalisme ? RW : Pour beaucoup de gens, le minimalisme
Le mouvement minimaliste ne dit pas qu’il faut se débarrasser de toutes les choses que vous possédez chez vous. Il RICHARDS s’agit simplement d’en avoir moins, mais d’être heureux de les posséder.
est un terme compliqué. Tout d’abord, c’est quelque chose de très personnel. Le plus important dans ce mouvement est de trouver
RW : Beaucoup de personnes ont un
la bonne balance. Le mouvement minimaliste
rapport à l’argent qui est mauvais,
ne dit pas qu’il faut se débarrasser de toutes
même si l’argent est quelque chose de
les choses que vous possédez chez vous. Il
fondamental dans la vie. C’est
s’agit simplement d’en avoir moins, mais
misérable d’être pauvre, que l’on soit
d’être heureux de les posséder.
minimaliste ou non. Être minimaliste vous aide à définir un budget, à
LFC : Ce que vous voulez dire, c’est que ce
dépenser de l’argent dans des choses
mouvement est propre à chacun…
utiles qui vous plaisent vraiment. Ce mouvement ne veut pas dire qu’il faut
RW : Exactement. Chacun fait comme bon lui
porter des vêtements moins chers. La
semble. Moi par exemple, j’ai beaucoup de
vie est courte. Il faut se faire plaisir,
livres et je suis très heureuse. D’autres
investir dans des choses qui vous sont
personnes vont se sentir heureuses avec des
utiles. Aller chez Primark et acheter
vêtements ou des vinyles… Pour vivre mieux,
des tas de vêtements que vous
vivons avec moins de choses sans supprimer
n’aimez plus au bout de quelques
les choses qui nous apportent de la joie.
mois, c’est absurde. Il faut que nos choix soient utiles. Je vis dans une
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LFC : Vous parlez du confort financier dans
belle maison. Je possède une belle
votre livre. Vous dîtes que l’argent a une
voiture, mais ce sont mes choix. Je vis
importance dans la vie, que le minimalisme
avec moins, mais je vis mieux. C’est
peut nous aider à vivre sans dette.
une philosophie de vie.
R É G I N A
JE VIS AVEC MOINS, MAIS JE VIS MIEUX.
W O N G
Dans la vie, nous avons tous besoin d’avoir confiance en nous et cela passe par nos relations avec les autres. SELINA LFC : Vous dîtes que c’est la
RICHARDS LFC : Continuez-vous d’écrire ?
même chose émotionnellement. Il faut faire le tri dans notre
RW : L’écriture d’un livre est un
entourage, entre ceux qui ne
processus très douloureux. Pour le
nous apportent pas de bonheur
moment, je savoure le fait de
et ceux qui nous rendent
promouvoir ce livre. Je suis très
heureux.
heureuse de l’accueil.
RW : Absolument, c’est exactement
LFC : On vous laisse le mot de la fin…
la même chose. Le minimalisme ne concerne pas uniquement les
RW : Soyez minimaliste et soyez
choses matérielles, c’est aussi un
heureux. J’ai été touchée par une
mode de vie comme je l’ai dit.
journaliste belge il y a quelques jours
Quand vous vous débarrassez
qui me racontait qu’après avoir lu ce
d’objets qui ne vous procurent pas
livre, elle avait décidé de faire le
de bonheur, vous vous sentez
ménage chez elle. Cela fait quinze ans
mieux émotionnellement. Faire le tri
qu’elle ne s’était pas débarrassée
permet de se sentir mieux, d’avoir
d’affaires. Après l’avoir fait, elle a décidé
de la place pour réfléchir. Dans la
de changer de maison, cela lui avait
vie, nous avons tous besoin d’avoir
donné des envies d’ailleurs. Je suis
confiance en nous et cela passe par
heureuse que mon livre ait ce genre
nos relations avec les autres.
d’effet là sur les gens.
Soyez minimaliste et soyez heureux. 29
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
JANINE BOISSARD
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : LEEXTRA
Chaque année, Janine Boissard publie un nouveau roman. Cette année, "Dis, t'en souviendras-tu ?" est sur les tablettes des libraires depuis courant mars (Plon). SELINA RICHARDS Entretien inédit et photos exclusives chez la romancière, dans un quartier chic parisien.
LFC : Bonjour Janine Boissard, nous nous
LFC : Le point de départ de ce livre est donc
rencontrons pour parler de votre nouveau
très personnel…
roman Dis, t’en souviendras-tu ? (Plon). Pour quelles raisons avez-vous décidé d’écrire ce
JB : Je pense que c’est un livre qui va toucher
livre ?
beaucoup de personnes. J’ai situé l’intrigue dans la ville de Grasse. Qu’y a-t-il de mieux
JB : La perte de mémoire est un sujet qui me
qu’un parfum pour vous remémorer des
fascine et qui fascine beaucoup de gens. J’ai
souvenirs ? Cette ville s’est directement
deux exemples très différents à vous donner.
imposée à moi.
J’ai un neveu qui est devenu sourd volontairement, car il ne voulait plus entendre
LFC : Cette ville crée une atmosphère
les disputes de ses parents. Il a retrouvé l’ouïe
particulière tout au long de l’histoire.
le jour où ses parents se sont réconciliés. Pour
31
ma part, j’ai vécu une expérience semblable.
JB : Oui effectivement. C’est un livre rempli
J’ai perdu un fils que j’aimais beaucoup, et il a
d’odeurs, notamment celle du lys qui me
fallu que je revienne en arrière pour savoir si
rappelle de mauvais souvenirs. Étant petite, j’ai
j’aurais pu l’aider un petit peu plus. On se pose
grandi avec des lys, ce sont des plantes qui
toujours cette question douloureuse. J’avais
absorbent énormément d’oxygène et qui
effacé dix ans de ma mémoire et au fur et à
rejettent du CO2. Dans ce livre, les lys sont
mesure de l’écriture de ce livre, les souvenirs
mortels. Aude est la compagne d’un parfumeur
sont revenus. C’était à la fois douloureux, mais
très connu et un matin elle se réveille à
c’était également nécessaire. C’est pour ces
l’hôpital et ne se souvient de rien. Petit à petit,
raisons que j’ai voulu écrire ce livre.
on lui raconte que l’on a trouvé son corps
inanimé au-dessus d’un ravin avec la voiture de son mari, portière ouverte, et lui-même disparu. Que lui est-il arrivé ? Il faut absolument qu’elle se souvienne de ce qui s’est passé. Et grâce à l’I.R.M. qu’elleS passe, ELINA on lui dit qu’elle pourra retrouver sa mémoire. Elle s’adresse ensuite à un psychiatre qui va lui poser beaucoup des questions. Au départ, je voulais que ce soit
C’est surtout une histoire d’amour. Je n’aime pas les histoires sombres. Elle va découvrir à la faveur de cette aventure un garçon qui va changer sa vie. Je ne pas quelle fin je R I C H A Rsavais DS donnerai à cette histoire, mais je peux simplement vous dire qu’il y a une grande surprise à la fin.
uniquement un dialogue entre elle et le psychiatre. Mais finalement, il y avait beaucoup d’autres choses à raconter. Au fur
psychiatre. Car je n’avais pas le droit
et à mesure, ses souvenirs reviennent, sauf
d’écrire n’importe quoi. C’est comme mon
ces années de mariage où elle éprouve un
livre précédent La lanterne des morts, qui
blocage.
parlait de la bipolarité, je n’avais pas le droit de me tromper. Jusqu’au bout, elle
LFC : Son inconscient bloque des
m’a suivi et nous sommes devenues amies.
souvenirs volontairement…
Elle a été merveilleuse avec moi.
JB : C’est à la fois conscient et inconscient.
LFC : C’est une histoire dans l’histoire !
Elle se bloque elle-même. Elle n’a pas envie
32
de se souvenir. Elle est consciente qu’avec la
JB : J’ai vraiment de la chance d’avoir ce
disparition de son mari, il s’est passé
rapport privilégié avec mes lecteurs. Ce
quelque chose de grave.
sont mes amis désormais.
LFC : Votre public est fidèle à vos romans
LFC : C’est une histoire de mémoire. Et
depuis des décennies…
c’est également une histoire d’amour.
JB : J’ai beaucoup de chance, car j’ai un
JB : C’est surtout une histoire d’amour. Je
rapport avec mes lecteurs et mes lectrices
n’aime pas les histoires sombres. Elle va
qui est formidable. Ils me suivent depuis des
découvrir à la faveur de cette aventure un
années maintenant. D’ailleurs, j’ai rencontré
garçon qui va changer sa vie. Je ne savais
à la fête du livre de Brive une psychiatre qui
pas quelle fin je donnerai à cette histoire,
vivait à Paris. Je lui ai demandé de m’aider
mais je peux simplement vous dire qu’il y a
pour tous les chapitres concernant le
une grande surprise à la fin. J’ai appris une
J A N I N E
B O I S S A R D
ÉCRIRE M’AIDE À GARDER LA MÉMOIRE, C’EST CERTAIN. ÉCRIRE, C’EST SE PROJETER.
chose avec les polars et les romans à
je choisis le lieu, ici Grasse. Dans chacun de
suspense, c’est qu’il faut qu’à la fin du livre
mes romans, je passe du temps là-bas. C’est
les lecteurs se disent : j’aurais dû m’en
le genre de livre qui nécessite beaucoup de
douter. Il ne faut pas cacher les choses. Il
documentation. J’ai interrogé beaucoup de
faut les mettre en filigrane. Comme dans
psychiatres, beaucoup de gens de ce milieu.
chacun de mes livres, la famille tient un
Lorsque j’écrivais L’esprit de famille, ce
SELINA grand rôle. Je ne peux pas m’en empêcher.
R I Cn’était HARD S compliqué, car c’était pas
Nous sommes ce que nous sommes à
l’environnement dans lequel je vivais. Mais
cause de notre famille.Nous ne pouvons
ces deux derniers livres m’ont demandé
pas dire le contraire. Je ne peux pas effacer
beaucoup d’efforts.
la famille de mes livres. LFC : La perte de mémoire, est-ce quelque LFC : Entre le roman d’avant et celui-ci, il
chose qui vous effraie ?
y a un lien avec le psychiatre. JB : Non, cela ne m’inquiète pas. Je suis plus JB : C’est un monde qui me fascine. Je vais
fascinée par ce phénomène. Il est certain
vous raconter quelque chose. J’éprouve
que plus on avance dans le temps, plus
une grosse douleur qui vient de l’enfance,
notre mémoire se dégrade. Mais c’est la vie
c’est cela qui m’a fait écrire. On m’a
qui est faite ainsi. Tant que j’arrive à écrire,
toujours dit que je n’étais pas normale. On
cela ne fait pas peur.
m’a toujours martyrisé. Je voulais être célèbre, car je me disais qu’en étant
LFC : Écrire, c’est une façon de garder la
célèbre, j’allais être aimée. Mais ce n’est pas
mémoire. Qu’en pensez-vous ?
vrai. J’ai eu l’amitié de mes lecteurs et de mes lectrices tout au long de ces années,
JB : Écrire m’aide à garder la mémoire, c’est
c’est ce qui m’a sauvé. On m’a déjà dit
certain. Écrire, c’est se projeter. Beaucoup
plusieurs fois, notamment des psychiatres,
de mes amis ont eu la Maladie d’Alzheimer,
que je devrais me faire psychanalyser pour
mais il y a beaucoup de choses qui vous
cette douleur. Mais je ne veux pas, je veux
prédisposent à cela. Le fait d’être dépressif,
la garder en moi. Si je ne souffre plus, je
de tourner en rond, l’alcool… C’est pour cela
n’écrirai plus.
que j’y échapperais peut-être. Je vais toujours à la rencontre des gens. Je n’arrête
LFC : Qu’est-ce qui a été difficile dans
pas de bouger. Dès que vous vous
l’écriture de ce livre ?
enfermez, c’est terminé. Il faut avoir une curiosité dans la vie. Lorsque l'on est
34
JB : C’est un livre qui a été difficile à écrire.
passionné par la vie et lorsque l'on
Tout d’abord, quand je commence à écrire
s’intéresse aux autres, c’est un bonheur.
J A N I N E
B O I S S A R D
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
LOUIS-STÉPHANE ULYSSE
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW
PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
SELINA
Fin mars 2018, dans le studio photos de Céline Nieszawer qui signe les portraits de cet entretien, nous rencontrons Ulysse - de R I C HLouis-Stéphane ARDS passage en France - venu nous parler des Indiens et des Cowboys dans un très beau livre (inclus des DVD), consacré à l'histoire du Western (GM Éditions/Carlotta Films)
LFC : Nous nous rencontrons pour deux livres
effacement culturel très intéressant à creuser.
(Une histoire du Western chez GM Éditions en
Il y a une phrase indienne célèbre qui est
association avec Carlotta Films) qui retracent
devenue populaire qui dit qu’il y a pire qu’un
l’histoire du western avec d’un côté les
Indien dans un western, c’est un Indien qui
cowboys et de l’autre les Indiens.
regarde un Indien dans un western à la télévision. Cela veut tout dire.
LSU : À la base, nous voulions simplement faire un beau livre sur l’histoire du western. Et il m’est
LFC : Pourquoi avez-vous écrit ces deux
apparu assez rapidement que cela avait du sens
livres ?
aujourd’hui si l’on traitait d’un côté les cowboys et d’un autre les Indiens. Je souhaitais donner un
LSU : Au début, c’était une commande. Je
côté ludique.
pense que les éditeurs sont venus vers moi parce qu’ils pensaient que j’étais la bonne
LFC : On imagine que ce livre est parti d’un
personne pour le faire. Peut-être que j’avais
point de départ assez simple : l’enfance. Qu’en
quelque chose de différent à apporter, un
pensez-vous ?
autre angle. Je trouvais intéressant qu’un romancier qui fait de la fiction comme moi
37
LSU : Tout à fait. Dans les recherches que j’ai
donne sa vision sur un autre type de fiction
faites, j’ai eu le témoignage d’un Amérindien qui
qui est assez emblématique. Même si
me disait que lorsqu’il était petit, il jouait aux
l’époque des westerns est révolue, il y en a
cowboys et aux Indiens. Et que tous les petits
quand même encore quelques-uns qui
Indiens voulaient jouer le cowboy. Il y avait un
sortent de temps en temps. Les codes sont
restés dans la culture pop, dans les films et dans les séries. Par exemple, le film Three Billboards est un western moderne. Quand Martin Scorsese parle de Taxi Driver, il dit que c’est son adaptation de La prisonnière SELINA
Les codes du western sont restés dans la culture pop, dans les films et dans les séries. Par exemple, le film "Three Billboards" est un moderne. R I C H Awestern RDS
du désert. Tout cela a du sens. LFC : Pensez-vous que l’époque dans laquelle LFC : Le western est une source
nous vivons manque de grandeur ?
d’inspiration pour le cinéma d’aujourd’hui.
LSU : Sans doute. Peut-être est-ce dû au fait que je me suis mis à voyager et que je vis maintenant en Grèce.
LSU : C’est comme si un auteur de théâtre
Ce qui est génial en France, c’est que les distributeurs
revenait à la dramaturgie grecque. Pour le
marchent, les bus sont à l’heure, il y a un maillage
cinéma, c’est la même chose. L’homme est
social qui marche très bien. C’est une chance
dans un grand espace, il est confronté à la
incroyable de vivre en France aujourd’hui et parfois je
nature. Il a un rapport à l’altérité.
ne ressens pas cette joie chez les Français.
LFC : Vous parlez de séries télévisées. The
LFC : Pourquoi avez-vous décidé de séparer ces
Walking Dead, c’est aussi un western
deux livres ?
moderne. LSU : La vision du western n’est pas du tout là même LSU : Absolument. On retombe toujours sur
lorsque l’on se place du côté des cowboys ou des
les codes du western. Parfois cela peut
Indiens. Au-delà du livre, on peut dire que les Indiens
paraitre un peu désuet, mais pas du tout. Il y
n’en ont pas grand-chose à faire. Ils sont plus dans le
a toujours quelque chose à prendre dans le
témoignage de ce qu’ils vivent.
western. LFC : À qui adressez-vous ces deux livres ? LFC : À travers ces deux livres, vous ne ringardisez pas le western. Vous lui
LSU : J’adresse ces deux livres à des gens qui ont
donnez ses lettres de noblesse.
envie de se faire un western. Que ce soit ceux qui aiment le western ou ceux qui veulent le découvrir.
38
LSU : J’essaye de revenir au plaisir et à
De plus, l’iconographie est très belle : il comporte six
l’envie. J’aime parler des gens qui sont
DVD avec les deux livres proposant plus de 130
bigger than life, qui assument ce qu’ils font
photos inoubliables, rares et inédites. C’est un très bel
et qui vont au bout de leurs rêves.
objet, une sorte de livre d’initiation.
L O U I S - S T É P H A N E
U L Y S S E
LFC : Pensez-vous que le western est un sujet
Les oiseaux d’Alfred Hitchcock où un corbeau, qui fait partie
universel ?
du tournage, tombe amoureux de Tippi Hedren. Après le tournage du film, ils continuent d’avoir cette relation. Ce
LSU : Si l’on prend l’exemple des Nord-Américains,
livre raconte aussi la mutation importante qu’il y a eu à
l’histoire des cowboys et des Indiens est commune à
Hollywood à la fin des fifties où les studios ne savaient pas
tous. Le western démarre très peu de temps après la
comment appréhender l’arrivée de la télévision. C’est
guerre de Sécession où l’Amérique est scindée en deux également assez inédit puisque le livre ne sera pas le même parties avec le Nord et le Sud. D’ailleurs, ce n’est pas un que l’original, il comportera un chapitre en plus. hasard si le premier western s’appelle Naissance d’une nation.
SELINA
RICHARDS
LFC : Quel est votre sentiment de donner une seconde vie à cette œuvre ?
LFC : Quels sont vos projets ? LSU : J’en suis très heureux. Même si c’est rare en France, LSU : Il s’agit du livre Harold qui est sorti en 2010 (Le
c’est quelque chose qui se fait beaucoup à l’international.
Serpent à Plumes) et qui va sortir dans la collection
Je pense notamment à Hergé, Lou Reed ou Johnny Cash
L’Ombre Animale d’une nouvelle maison d’édition qui
qui ont passé leurs vies entières à retoucher leurs œuvres.
s’appelle La Bibliothèque. Ce livre a un lien avec le
J’avais envie de faire pareil. L’œuvre est mouvante. Rien
cinéma et Hollywood puisque c’est l’histoire du film
n’est figé.
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#8
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AVRIL 2018
NICOLAS REY SANS FILTRE
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA
Chez lui, quartier vivant de Paris, Nicolas Rey a la gentillesse de nous recevoir pour une séance photos et une interview au sujet de son "Dos au mur" (Au S E L I Nnouveau A R I C H A R livre DS Diable Vauvert). Un entretien authentique, d'une sincérité touchante pour un livre coup de poing. Absolument génial.
LFC : Ce livre, nous avons le sentiment que
la bonne nouvelle, c’est que vous avez un
c’est une parole libérée. Qu’en pensez-vous ?
livre à écrire.
NR : Ce livre m’a fait un bien fou. J’avais promis à
NR : Oui. L’éditeur me donne un à-valoir. Il me
la femme de ma vie de ne plus mentir, car j’avais
fait confiance, il me donne beaucoup d’argent,
le mensonge comme deuxième peau. C’était
sauf que je n’arrive plus à écrire. C’est un sujet
comme un réflexe chez moi. Petit à petit, elle m’a
tabou chez les écrivains. Mais il n’y a rien de
amené vers la vérité, au fait de se dire les choses.
pire que d’être entre deux livres ou entre deux
Quand je suis tombé dans cette histoire de
nouvelles. Parfois, on n’y arrive pas. Tout
plagiat, je n’ai pas réussi à lui dire. C’est pour
simplement.
cela que je me suis dit que j’allais lui écrire. C’est devenu ce roman. Sauf qu’au lieu d’écrire
LFC : C’est rare que les auteurs admettent
uniquement l’histoire du plagiat, j’ai tout
cela.
raconté. NR : J’ai pêché par ma nonchalance, par mon
42
LFC : Le plagiat est une sorte de prétexte.
côté enfantin. J’aurais pu leur dire d’emblée
Avant cela, on sent qu’il y a un problème. Le
que je n’avais fait que cent quatre-vingts
problème, c’est aussi la page blanche. Vous
pages. Nous serions restés bons amis et voilà
dîtes quelque chose qui est assez paradoxal,
tout. La suite, c’est comme si j’étais dans un
c’est qu’au début de ce livre, vous dîtes que
mauvais film, comme dans After Hours. Il y a
une accumulation de petits détails qui font que vous tombez au fond du gouffre. J’ai choisi cette nouvelle que Félix, un ami à moi, m’avait gracieusement donnée. Il m’a affirmé que cela ne le dérangeait pas du tout. Nous étions SELINA complément drogués, il était trois heures du matin et je savais que je n’avais que quelques heures pour réécrire cette nouvelle à ma sauce. LFC : Le livre sort. Que se passe t-il ensuite ?
Ce livre m’a fait un bien fou. J’avais promis à la femme de ma vie de ne plus mentir, car j’avais le RICHARDS mensonge comme deuxième peau. C’était comme un réflexe chez moi.
NR : Avant que le livre ne sorte, je reçois un
que personne n’en avait rien à foutre. Tous les
SMS de la copine de Félix qui me dit qu’il a
matins, j’allais taper mon nom sur Google en
changé d’avis et qu’il aimerait récupérer sa
étant persuadé que j’allais trouver quelque
nouvelle. Je préviens mon éditrice qu’il faut
chose. À chaque fois que je recevais un SMS,
annuler la dernière nouvelle du livre et elle me
je flippais. Je me suis dit que j’allais me
dit que ce n’est pas possible, car le livre est en
révolter contre tout cela et que j’allais écrire
cours d’impression. De plus, elle me dit qu’elle
ce livre. Très tôt, l’affaire a été étouffée. Il y a
est persuadée que ce livre va être une petite
eu un arrangement avec les Éditions de la
bombe. Ce que je lui confirme… La copine de
Martinière. Tout allait bien dans le meilleur
Félix me dit que ce n’est pas possible, qu’il a
des mondes. On m’a conseillé fortement de
déjà pris un avocat et qu’il faut que j’en prenne
ne pas faire ce livre, car cela allait nuire à mon
un également.
image. J’ai bien fait de le faire, car aucun autre livre ne m’avait tenu aux tripes comme celui-
LFC : Qu’est-ce que vous vous dîtes à ce
ci. Plus le milieu littéraire me disait de ne pas
moment-là ? Vous sentez-vous trahi ?
le faire, plus j’en avais envie.
NR : Non pas du tout. J’ai un problème, je suis
LFC : Avez-vous une appréhension de
incapable d’en vouloir aux gens très
publier ce livre ?
longtemps. J’ai beaucoup d’indulgence.
43
Comme j’ai souvent la mémoire courte, je ne
NR : Je dirais plus qu’il y a une excitation. J’ai
suis pas quelqu’un de rancunier. La chose qui
hâte d’en découdre. Je souhaite m’exprimer
m’a poussé à écrire ce livre, c’est que je suis
et en parler. J’ai voulu raconter ce que l’on
devenu parano. J’avais l’impression que tout le
ressent quand on a peur, raconter ce que
monde était au courant de cette histoire alors
c’est de se sentir trahi.
N I C O L A S
R E Y
C’EST UN ROMAN CONTRE LE MENSONGE.
LFC : Le roman est très fort. L’écriture est sans filtre. C’est un livre sur la recherche de la vérité, comme vous nous l’avez confié en début
devais vous inventer un mensonge, mais je n’ai pas eu le
d’entretien.
temps de le faire. Le vieux sage lui dit : vous ne trouvez
NR : C’est un roman contre le mensonge. Je ne veux
histoire m’a fait du bien et m’a touché.
pas qu’on se sent plus léger en disant la vérité ? Cette
pas que mon livre soit assimilé à la transparence obligatoire qu’il y a en ce moment avec des choses comme #BalanceTonPorc. Ce roman a été écrit bien
SELINA
avant. J’avais un rapport particulier avec le
mensonge qui me maintenait six pieds sous terre. Et enfin aujourd’hui, j’arrive à sortir la tête de l’eau et à respirer. LFC : En vous écoutant, on a le sentiment que votre vie est une grande fiction et qu’avec ce livre vous êtes de retour dans la réalité. NR : Désormais, je vais pouvoir regarder mon fils dans les yeux en lui disant que j’ai fait pas mal de conneries dans ma vie. J’étais plongé dans une mythomanie permanente. C’est aussi grâce à Joséphine que j’ai réussi à m’en sortir. Un jour alors que l’on se baladait à la montagne, elle me racontait une histoire sur le mensonge et la vérité. L’histoire d’un touriste américain qui prend une cuite avec un vieux sage. Le lendemain, le vieux sage lui dit qu’ils doivent se retrouver à la même heure, au même endroit le jour suivant. Il dit au touriste qu’il a seulement deux choses à faire. La première est de chercher tout ce qu’il pourra trouver sur le mot placebo. La seconde, c’est de monter à pied au sommet d’un col. Le type rentre à l’hôtel, allume son ordinateur et commence à chercher sur Google le mot placebo. Il passe la journée entière dessus et quelques heures avant de revoir le vieux sage, il se dit qu’il a oublié de franchir le col. Il se dit donc qu’il lui racontera un mensonge. Quand ils se rencontrent de nouveau, il a tellement à lui dire sur le mot placebo qu’il lui raconte tout d’un jet. À la fin, le vieux sage lui demande comment s’est 45
passée l’ascension du col et le touriste lui répond : je
LFC : La première page est très forte, vous écrivez : j’écris parce que je vais crever…
RICHARDS
NR : Je suis tombé très malade. J’ai eu une pancréatite aiguë avec une chance sur deux de m’en sortir. Pour le moment, elle s’est plutôt résorbée, mais il faut que je fasse attention à tout un tas de choses. LFC : À qui adressez-vous ce livre ? NR : À la personne qui m’a hébergé pour l’écrire, mon meilleur ami Bruno. Je l’adresse également à la personne que l’on va continuer à nommer Joséphine. Je préfère continuer de l’appeler ainsi, car je veux respecter sa vie privée. L’existence est quelque chose d’assez bizarre. Je l’ai rencontré à quarante ans et pourtant j’en avais vécu des histoires. J’ai compris de suite que j’étais tombé amoureux pour la première fois de ma vie. Plus les années passaient et plus je l’aimais, jusqu’à ce qu’elle me quitte. Lorsqu’elle m’a quitté, c’est comme si on me quittait pour la première fois. J’ai l’impression que ma vie se résume à la période entre mes quarante ans et mes quarante-quatre ans. Je suis incapable de vous dire ce qui s’est passé les quarante premières années de ma vie. LFC : Avant que l’on ne se quitte, voulez-vous ajouter quelque chose à cet entretien ? NR : Tous mes prochains livres seront dédiés à Joséphine. Je ne suis pas dupe, je sais que je ne la retrouverais peut-être jamais, j’en ai conscience. Mais je me dis que s’il y a une chance sur un milliard pour que l’on se retrouve, alors je veux continuer d’y croire.
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#8
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AVRIL 2018
SARAH LADIPO MANYIKA
INTERVIEW
PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : DR
Mars 2018, au siège des éditions Delcourt Littérature, Paris République, nous avons la chance de rencontrer Sarah Ladipo Manyika qui parle un français parfait (même si elle en doute). Elle a vécu au S E L I N A en R I France C H A R D S et en Angleterre avant Kenya, de s’établir à San Francisco. "Comme une mule qui apporte une glace au soleil", finaliste du Goldsmisth Prize, est son premier roman publié en France. Entretien inédit.
LFC : Sarah Ladipo Manyika, nous nous
souvent la connaissance de femmes plus
rencontrons pour la sortie de votre livre
âgées que moi et ces rencontres étaient
Comme une mule qui apporte une glace au
toujours très enrichissantes.
soleil (Delcourt Littérature). Est-ce le titre original ?
LFC : Pensez-vous que les femmes âgées ne sont pas assez représentées dans la
SLM : Oui. J’aime beaucoup la poésie, c’est
littérature ?
pour cela que le titre est tiré d’un poème d’une auteure américaine dans lequel elle dit que la
SLM : Oui. J’ai essayé de réparer la chose en
seule façon de profiter de la vie, c’est de faire
écrivant ce livre. (Rires)
comme si nous étions une mule qui transportait une glace au soleil.
LFC : Comment avez-vous imaginé ce personnage ? Est-ce un mélange de toutes
LFC : Les lecteurs vont faire connaissance
les femmes que vous avez rencontrées
avec un personnage qui s’appelle Morayo Da
dans votre vie ?
Silva. Pouvez-vous nous la présenter ? SLM : C’est un mélange de toutes ces
47
SLM : Morayo est une femme de soixante-
femmes. Mais cela vient aussi et surtout de
quinze ans. En tant qu’auteur, j’écris des
mon imagination. Je voulais un personnage
histoires que je voudrais lire et que je n’arrive
avec une joie de vivre très prononcée.
pas à trouver. Toni Morrison a dit un jour que si
D’ailleurs, le nom Morayo veut dire Je vois la
vous ne trouvez les histoires que vous voulez
joie en anglais. Elle a un rapport très
lire, alors il faut les écrire. Dans ma vie, je faisais
particulier avec ces livres, elle adore la
littérature. Les livres, ce sont sa vie.
SLM : Les autres personnages viennent d’un peu partout. Dawud est un commerçant palestinien très charmant, mais
LFC : Morayo est également très curieuse.
stressé par son business, Mike est un policier apprenti-
À travers elle, vous nous faites découvrir
romancier, Sunshine est une jeune voisine indienne, Rachel
toute une palette de personnage dans fan de Grateful Dead… S ElaL I N AestRune I Cjeune H A R sans-abri DS ville de San Francisco. Pourquoi avoir choisi cette ville ?
LFC : Que vouliez-vous nous montrer à travers ces personnages ?
SLM : Tout d’abord parce que je vis là-bas. Ensuite, je voulais écrire une histoire où l’on
SLM : Je voulais montrer que malgré son âge, Morayo avait
verrait le monde avec les yeux de quelqu’un
des amis de tous les âges et de tous les milieux. Souvent, on
qui ne vivait pas là-bas. Aujourd’hui, aux
vit dans nos cercles personnels et l’on a du mal à s’ouvrir
États-Unis et ailleurs, on se méfie de
aux autres, à s’intégrer dans d’autres milieux. Je trouve qu’il
quelqu’un dès lors qu’il est étranger. Je
y a un danger avec les monocultures. Par rapport aux âges,
voulais que mon protagoniste soit ouvert
aux nationalités ou à la géographie, j’ai voulu montrer que la
d’esprit et s’intéresse aux gens.
mixité pouvait fonctionner.
LFC : Ce n’est pas l’image que l’on se fait
LFC : Ce livre est un roman qui nous fait voyager et qui
de San Francisco qui semble être une ville
nous fait du bien. Il nous fait aussi penser aux fictions
assez ouverte.
d’Armistead Maupin.
SLM : Je parle de l’Amérique en général. San
SLM : Cela me flatte beaucoup. Pour la petite anecdote, il
Francisco est plus tolérante que d’autres
habitait à quelques rues de là où j’habite maintenant. Je me
endroits aux États-Unis. Lorsque l’on parle de
sens proche de lui. (Rires) J’ai lu ses livres il y a très
cette ville, on ne parle pas des sans-abris ou
longtemps, il a essayé d’introduire des personnages
des gens qui sont obligés de vivre dans leur
différents à l’époque, ce qui était assez nouveau. D’une
voiture. C’est une réalité et il y en a de plus
certaine manière, c’est ce que j’ai essayé de faire
en plus. C’est un sujet dont je voulais parler.
également. On peut le voir comme une continuité.
Il y a un fossé énorme aux États-Unis entre
48
les riches et les pauvres.
LFC : Continuez-vous d’écrire ?
LFC : Beaucoup de personnages sont
SLM : Je suis en train d’écrire mon troisième livre et j’écris
présents dans ce livre. Pouvez-vous nous
également des essais et des nouvelles. Vous en saurez plus
en parler ?
bientôt.
S A R A H
L A D I P O
M A N Y I K A
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA
ANNE NELSON
Fin mars 2018, Place d'Italie, dans les locaux de Robert laffont, nous avons rendez-vous avec Anne Américaine qui SNelson, E L I N A R Ijournaliste CHARDS publie "La vie héroïque de Suzanne Spaak" (Robert Laffont), finaliste du National Jewish Book Award. Photos exclusives et entretien inédit.
LFC : Bonjour Anne Nelson, pouvez-vous
d'elle pour la première fois ?
nous présenter l’héroïne de votre livre Suzanne Spaak ?
AN : J’avais entendu parler de ce réseau de sauvetage de la résistance dans un livre sur
AN : Suzanne Spaak est une femme résistante
l’Orchestre Rouge puis dans un article de
d’origine belge qui a vécu à Paris pendant
journal. Grâce à Google, j’ai découvert que
l’occupation nazie. Elle a participé à un grand
Suzanne avait une fille qui était professeur de
réseau de sauvetage d’enfants durant la
tricot dans le Maryland. Je l’ai rencontrée et j’ai
Seconde Guerre mondiale.
découvert beaucoup de choses sur Suzanne, une femme qui n’était ni juive ni polonaise,
LFC : Êtes-vous étonnée que l’on ne
mais qui s’est investie pour des intérêts
connaisse pas plus cette femme ?
humanitaires.
AN : Oui. Car c’est une femme moderne qui a
LFC : Cette femme était avant tout une
été très importante dans l’histoire. Ce n’est pas
humaniste.
forcément l’image que nous avons de la résistance en France alors qu’elle et d’autres
AN : Exactement. J’ai eu une trentaine de
femmes ont joué un rôle très important durant
rendez-vous avec sa fille. Elle m’a beaucoup
la Seconde Guerre mondiale. C’est le destin de
aidé ainsi que son frère qui a un peu plus de
femmes extraordinaires.
quatre-vingts ans aujourd’hui. En faisant des recherches, j’ai également trouvé des enfants
LFC : Comment avez-vous entendu parler 51
cachés. Pour écrire ce livre, il me fallait des
preuves. LFC : Avez-vous été surprise par son histoire ?
SELINA AN : Mon idée de départ était de raconter l’histoire de Suzanne Spaak. Et au fur et à mesure de mes recherches, j’ai découvert beaucoup d’autres choses. Des choses intéressantes sur la résistance, les différents
C’est une question très philosophique. Faut-il sacrifier une vie pour en sauver cinq cents ? Une chose est sûre, pour la famille Spaak, c’est une R I C Hhistoire ARDS tragique. Mais pour les enfants cachés, c’est quelque chose d’incroyable. Quelle histoire !
acteurs notamment. Robert Debré par exemple, qui a eu un destin incroyable. Je
LFC : Avez-vous voulu raconter la
suis également journaliste et je cherchais la
petite histoire des gens ordinaires
vérité, les témoins. Il y a beaucoup
mêlés à la grande Histoire ?
d’historiens qui ne parlent pas avec les gens et qui utilisent seulement les archives. Ils sont
AN : Tout à fait. Pour moi, c’est une
d’ailleurs un peu suspicieux des gens qui
manière de vaincre la dépression. Tous
parlent avec les témoins. Pour moi, les
ces gens qui ont participé à la
témoignages sont essentiels.
résistance représentent l’espoir du futur.
LFC : L’histoire de Suzanne Spaak est extraordinaire, et pourtant elle ne se
LFC : Quel écho Suzanne Spaak
termine pas très bien…
suscite-t-elle dans la société d’aujourd’hui ?
AN : Je ne sais pas. Elle a fait un sacrifice. Et
52
des enfants ont été libérés grâce à elle. Elle a
AN : Je suis américaine et aujourd’hui,
sauvé des vies. On ne sait pas combien, mais
nous avons notre catastrophe nationale
peut-être cinq cents. C’est une question très
en la personne de Donald Trump. J’ai
philosophique. Faut-il sacrifier une vie pour
étudié les mouvements de résistance
en sauver cinq cents ? Une chose est sûre,
dans beaucoup de pays. Et je remarque
pour la famille Spaak, c’est une histoire
qu’il y a une qualité en commun : les
tragique. Mais pour les enfants cachés, c’est
régimes répressifs veulent créer des
quelque chose d’incroyable. Quelle histoire !
boucs émissaires avec les migrants.
A N N E
N E L S O N
Aujourd’hui, nous avons besoin de personnes pour défendre les populations vulnérables et tenir l’opposition. Des personnes comme Suzanne Spaak. Elle était la plaque tournante entre les juifs, les catholiques, les gaullistes, les
E Lcéder INA communistes… Il ne faut absolument S pas à la division de nos jours. LFC : Pourquoi ce sujet vous a-t-il autant passionné ? AN : En tant qu’écrivain, je recherche des
Aujourd’hui, nous avons besoin de personnes pour défendre les populations vulnérables et tenir l’opposition. Des personnes comme Suzanne Spaak. Elle RICHARDS était la plaque tournante entre les juifs, les catholiques, les gaullistes, les communistes… Il ne faut absolument pas céder à la division de nos jours.
histoires de femmes. Des histoires dramatiques.
que c’est ce que Suzanne Spaak a fait.
Suzanne a eu des relations difficiles avec un
C’était instinctif. Nous avons tous une
mariage qui a été un échec. Elle a fait une
mission dans la vie que nous accomplissons
profonde dépression… Mais elle a su rebondir.
parfois malgré nous.
Ce qui m’intéressait lorsque j’ai écrit ce livre, c’était la transformation d’une femme sans
LFC : Êtes-vous admirative de ce qu’elle a
objectif en une femme dynamique, élégante et
fait ?
moderne. AN : Je le suis. Mais si j’avais été à sa place, LFC : Selon vous, Suzanne Spaak est-elle une
je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je crois
héroïne des temps modernes ?
qu’il faut trouver une balance entre ce que l’on veut faire de sa vie et de sa famille.
AN : J’ai un problème avec le terme héroïne. Suzanne Spaak a simplement fait ce qui lui
LFC : Faut-il une tragédie pour devenir
semblait bon. Je vais vous donner un autre
une héroïne ?
exemple. Il y a une pièce de théâtre sur les
54
pompiers de New-York qui s’appelle The Guys.
AN : Peut-être. Nous n’avons pas beaucoup
Dans cette œuvre, les pompiers racontent juste
de livres qui parlent de cette histoire. J’ai
qu’être pompier, c’est simplement leur métier,
voulu m’interroger sur ce sacrifice. Mon
leur devoir. J’ai été journaliste de guerre et il y a
travail est de raconter l’histoire. Puis, c’est
des moments d’adrénaline très forts où l’on
aux lecteurs de l’interpréter comme ils le
passe beaucoup de temps à juger. Par moment,
souhaitent. Ce qu’il faut surtout retenir de ce
nous sommes dans l’action et nous ne
livre, c’est que sans actes héroïques, nous
réfléchissons plus à ce que l’on fait. Je crois
ne serions peut-être pas là aujourd’hui.
L'ENTRETIEN QUI FAIT DU BIEN
AVRIL 2018
PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Céline Nieszawer
BAPTISTE BEAULIEU INTERVIEW INÉDITE
par Christophe Mangelle et Quentin Haessig
Baptiste Beaulieu se fait connaître par son blog, "Alors voilà," dont il tire la matière de son premier recueil portant le même titre, vendu à 60 000 exemplaires et traduit dans quatorze langues où il raconte son quotidien d'interne, puis de médecin, ainsi que plus généralement les relations soignants-soignés. Depuis, il a publié plusieurs romans dont "La ballade de l'enfant gris" (Le livre de poche) évoqué dans cette interview. Séance photos pour LFC Magazine et entretien inédit avec l'écrivain-médecin. Rencontre.
LFC : Baptiste Beaulieu, nous nous rencontrons pour la première fois pour parler de vos différentes actualités. Pour commencer, comment est née votre envie d’écrire ? BB : Aujourd’hui, on voit beaucoup de belles choses dont on ne parle pas à plus grande échelle. Lorsque l’on est soignant, on voit des histoires incroyables chaque jour. Je crois que c’est important parfois d’en témoigner. Si on ne le fait pas, ces histoires sont perdues pour toujours. LFC : De cette idée est né un blog. Pouvez-vous nous en parler ? BB : C’est une plateforme qui a été créée afin qu’il y ait un dialogue entre les soignants et les soignés pour essayer de mieux comprendre le milieu hospitalier. L’élément décisif qui a permis la création de cette plateforme, c’est une intervention que j’ai faite une nuit avec le Samu. Nous étions deux équipes cette nuit-là. La première équipe a été envoyée dans un internat pour une tentative de suicide et la seconde chez une femme en centre-ville pour un accouchement qui se passait très mal et où le bébé risquait
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de décéder. Quelques heures plus tard, la jeune fille qui avait tenté de se suicider est décédée. Ce fut un moment bouleversant, car il y avait des photos de sa famille partout dans sa chambre. Alors que nous rentrions à l’hôpital, nous avons entendu à la radio les premiers cris du bébé qui venait tout juste de naître. La deuxième équipe venait de réussir sa mission. Nous nous sommes tous regardés et j’ai tout de suite saisi la portée métaphysique de ce que nous venions de vivre. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait raconter ce genre d’histoire. L’hôpital est le symbole de la civilisation. LFC : Le blog a eu un succès important, tout comme le livre. Vous vous êtes retrouvé sur le devant de la scène. Comment avez-vous vécu cela ? BB : J’ai tout de suite saisi l’opportunité, car je suis quelqu’un de très militant. Lorsque l’on a une audience, on en profite pour défendre les valeurs auxquelles on croit. Ma fierté, c’est également d’être un médecin que les personnes homosexuelles, lesbiennes ou transgenres viennent voir en consultation. Leur situation fait également partie de mon combat. D’ailleurs lorsque je serai mort, j’aimerais qu’il soit inscrit sur ma pierre tombale que je me suis bien occupé
d’elles. LFC : Vous vous adressez plus à cette population, car vous avez le sentiment qu’elle est moins bien prise en charge ? BB : C’est une population qui est socialement minoritaire et qui n’est pas assez bien prise en charge, c’est une évidence. Il n’y a aucune formation lors de nos études sur les personnes transgenres. C’est dingue que ce soit Twitter qui m’ait appris qu’il est mieux d’appeler une personne transgenre plutôt que transsexuel. J’aurais aimé qu’une personne vienne à la faculté de médecine et qu’elle nous explique ce que c’est de vivre aujourd’hui dans notre société avec une identité différente. LFC : Vous n’avez pas eu de formation à propos de cela ? BB : Pour vous donner une idée, nous avons eu une heure de formation sur dix ans d’études, ce qui est très peu… LFC : Animer ce blog vous demande-t-il du temps ? BB : Cela me prend du temps, mais c’est très gratifiant. Beaucoup de soignants m’ont confié leur mal-être et j’ai vraiment eu à cœur de les aider, et de partager cela avec d’autres personnes. Les témoignages de soignés sont également bouleversants. Je me souviens du témoignage d’un interne qui
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Aujourd’hui, on voit beaucoup de belles choses dont on ne parle pas à plus grande échelle. Lorsque l’on est soignant, on voit des histoires incroyables chaque jour. Je crois que c’est important parfois d’en témoigner. Si on ne le fait pas, ces histoires sont perdues pour toujours. disait que chaque corps qu’il reçoit est magnifique. Et ce que nous vend la publicité est strictement faux. J’ai d’ailleurs placardé cela dans ma salle d’attente et je suis persuadé que cela met les patients à l’aise. LFC : Vous avez eu un parcours en médecine assez classique, mais dans vos réponses, on sent que vous y mettez plus que cela. Comment l’expliquez-vous ? BB : Étant petit, j’ai été très malade. Maintenant que j’y pense, c’était une chance, car cela m’a permis de m’interroger sur le fait de comprendre l’incompréhensible. Lorsque l’on a onze ans et que vous entendez le médecin vous dire que votre maladie dermatologique n’est pas grave alors que vous n’avez qu’une seule envie, c’est plaire, c’est une situation compliquée. Tout cela m’a formé et m’a donné envie de défendre la voix des patients. Je le prends comme une chance aujourd’hui et je milite pour que les médecins soient un jour très malades et qu’ils sachent ce que cela fait de l’être ! LFC : Comment être un médecin humaniste ? BB : Certains médecins m’ont répondu que trop
d’empathie pouvait nuire à leurs relations. Personnellement, je pense que ma sensibilité m’a permis de sentir certaines choses lors de consultations que je n’aurais pas ressenties si je n’avais pas eu une telle empathie. LFC : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi de mettre le mot "alors" dans les titres de vos deux premiers romans ? BB : C’est une phrase qui est extraite d’un très vieux livre Le Mahabharata, un des plus vieux textes de l’humanité. C’est une des histoires les plus apaisantes que l’on peut raconter lorsque vous n’allez pas bien. Le livre raconte que pour les hindous, l’épopée humaine est une succession de constructions et de destructions. Ils expliquent que lorsque la destruction totale de l’humanité aura lieu, il n’y aura plus qu’un seul survivant, un vieil homme, qui sera condamné à errer au milieu des ruines. Le Mahabharata raconte comment ce vieil homme erre au quotidien. Un jour, il tombe sur un arbre alors qu’il n’en a pas vu depuis des années. Il voit un enfant, qui en réalité est un Dieu, se balancer aux branches de cet arbre. L’enfant le regarde et lui dit qu’il le trouve fatigué. Il ouvre ensuite sa bouche et un vent magique aspire le vieil homme dans le creux de son ventre. À l’intérieur de celui-ci, le vieil homme voit la vie reprendre, les hommes s’activent à reprendre leur place dans la société et tout à coup le vent le repousse de nouveau à l’extérieur du corps de l’enfant. Ce dernier lui demande s’il a compris ce que cela signifiait, le vieil homme lui dit que oui et l’enfant lui répond : alors tu ne seras plus jamais triste. Je trouve cette phrase très rassurante. LFC : Comment la fiction s’est-elle imposée à vous ? BB : Depuis enfant, je porte la littérature en moi. J’avais toujours voulu écrire un livre et raconter les histoires que j’avais en tête. Pas seulement celles des patients. LFC : Ce premier livre a eu du succès. Quels souvenirs en gardez-vous ? BB : Cela a été un challenge. J’ai fait beaucoup d’erreurs que je ne referais pas. Mais à chaque nouveau livre, on apprend. Ce que je retiens, ce sont les messages forts des lecteurs qui m’ont dit que ce livre leur avait permis de
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relever la tête. Si en tant que médecin, je peux les soigner sans prendre la carte vitale, c’est parfait ! (rires) LFC : L’actualité du jour, c’est votre deuxième roman "La ballade de l’enfant gris". Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? BB : Je suis passionné de mythologie et dans tous mes romans, j’aime utiliser les archétypes. La mère, la vieille dame, le jeune homme… Ce que j’aime, c’est revenir à la base des histoires, des contes. C’était une volonté de raconter le périple d’un personnage qui est poursuivi par un fantôme, qui est l’un de ses anciens
Tout cela m’a formé et m’a donné envie de défendre la voix des patients. Je le prends comme une chance aujourd’hui et je milite pour que les médecins soient un jour très malades et qu’ils sachent ce que cela fait de l’être !
Depuis enfant, je porte la littérature en moi. J’avais toujours voulu écrire un livre et raconter les histoires que j’avais en tête. Pas seulement celles des patients.
patients. C’est une histoire très personnelle, car moi aussi j’ai perdu un de mes patients. J’avais besoin de mettre du sens dans tout cela.
de cette histoire individuelle, j’essaye de faire raisonner toutes les histoires d’amour que je peux voir dans ma vie de tous les jours avec mes patients.
LFC : En tant que lecteur, nous comprenions mieux l’authenticité ressentie à la lecture de ce roman.
LFC : Vous êtes très présent sur les réseaux sociaux et nous aimerions que vous nous parliez de ce tweet il y a quelques jours à propos d’une journée… chargée !
BB : Parfois on me demande ce qui est vrai ou non dans le livre. Je réponds que tout est vrai. C’est ce que j’ai ressenti à l’époque. Ce livre est un exutoire. LFC : Le sujet du livre peut faire peur, parce que vous nous dîtes d’emblée que cet enfant de sept ans va mourir. BB : La mort de l’enfant n’est pas l’enjeu du livre. Le but, c’est de comprendre pourquoi cette mère a fait ce qu’elle a fait dans cette chambre d’hôpital. LFC : Vous continuez d’écrire. Un troisième roman est prévu pour bientôt. BB : Je me lance dans un roman historique qui se passera en 1910. C’est un challenge de taille. Je me base sur des faits réels. Je me suis inspiré des carnets de mon grandpère qui est décédé il y a trois ans. Il raconte la plus belle histoire d’amour que je n’ai jamais lue. Sauf que ce n’était pas avec ma grandmère. Je me base là-dessus pour essayer de raconter toutes les histoires d’amour du monde. C’est la vie d’un homme qui a aimé et qui est meurtri. À partir
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BB : Effectivement, durant cette journée, j’ai vu cinquante-deux patients et je suis rentré chez moi complètement dépité. J’ai juste été sincère parce que je n’en pouvais plus. J’ai déjeuné un jour avec un écrivain français qui vend beaucoup de livres. Il m’a dit qu’il ne prenait jamais parti dans quoi que ce soit, parce qu’il préfère rester neutre. De peur de perdre des lecteurs et des lectrices. La neutralité n’existe pas. Lorsque l’on a une voix, il faut s’en servir, sinon ce sont simplement des éclaboussures. Il faut défendre les valeurs auxquelles nous sommes viscéralement attachées. Et mon combat principal, c’est de défendre les personnes en difficulté. Bien sûr, j’ai beaucoup de personnes qui réagissent assez violemment, mais je crois que cela vaut le coup de donner son avis lorsque l’on en a un.
Parfois on me demande ce qui est vrai ou non dans le livre. Je réponds que tout est vrai. C’est ce que j’ai ressenti à l’époque. Ce livre est un exutoire.
Lorsque l’on a une voix, il faut s’en servir, sinon ce sont simplement des éclaboussures. Il faut défendre les valeurs auxquelles nous sommes viscéralement attachées. Et mon combat principal, c’est de défendre les personnes en difficulté.
LFC MAGAZINE
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AVRIL 2018
AMÉLIE ANTOINE PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : PATRICE NORMAND LEEXTRA
Mars 2018, dans le quartier du Marais, nous rencontrons Amélie Antoine pour une séance photos exclusives. Elle nous raconte ses débuts : l'auto-édition, l'édition, son S nouveau E L I N A R I C Hroman ARDS "Les secrets" et sa façon de communiquer sur Internet avec humour et dérision. Entretien inédit.
LFC : Bonjour Amélie Antoine, c’est la
particulièrement reproduit sur les romans
première fois que nous nous
suivants. On ne sait jamais ce qui va se
rencontrons. Pouvez-vous nous parler
passer. Il y a une grosse part de hasard et de
de vos débuts dans l’édition ?
chance. L’effet sur ce type de plateforme est vertueux. Plus il y a de lecteurs, plus il y a de
AA : J’ai d’abord écrit un premier roman
commentaires, plus le livre marche. Au
qui s’appelait Fidèle au poste en 2014 que
moment où je le vivais, je n’y croyais pas. Je
j’ai envoyé à un certain nombre de
me disais que cela allait s’arrêter à un
maisons d’édition. J’ai reçu, au fil des
moment donné.
mois, des lettres de refus et c’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais
LFC : À partir de cette aventure, les
tenter l’aventure de l’auto-édition. En mars
Éditions Michel Lafon viennent vous
2015, j’ai lancé mon livre sur Amazon. Je
chercher et vous publiez Fidèle au poste
me suis dit qu’il fallait tenter le coup et j’ai
un an après la sortie en auto-édition.
bien fait, car il a eu un succès important
Comment s’est passée cette sortie en
dès le début.
version papier ?
LFC : Ce n’est pas si évident de mettre
AA : C’était mon rêve de voir mon roman en
son texte sur ce type de plateforme, car
librairie. C’était une sorte d’aboutissement
on ne sait pas ce qui peut se passer.
alors que ce n’était que le début du chemin.
Qu’en pensez-vous ?
L’objectif était de conquérir un nouveau lectorat qui n’avait pas entendu parler de
64
AA : Il n’y a pas de recette miracle. C’est
moi. Cette nouvelle aventure s’est bien
quelque chose qui ne s’est pas
passée.
LFC : Le livre a été également traduit et est sorti aux États-Unis. AA : Le succès en numérique a été tellement fort qu’il est sorti aux États-Unis, un S anEaprès LINA la sortie sur Amazon. LFC : Malgré la sortie en version en papier, vous avez continué à sortir des livres en
Je ne savais pas si j’allais être capable d’écrire chose après R Iautre CHARDS le succès du premier roman.
auto-édition. Pourquoi avoir continué sur cette voie ? important pour vous ? AA : Je voulais garder le côté hybride. Ce sont deux terrains qui sont assez différents.
AA : Il s’agit de mon deuxième roman, mon
Je ne sais pas combien de temps cela
vrai deuxième roman, celui que j’ai écrit après
durera, mais j’avais encore des manuscrits
Fidèle au poste. Je ne savais pas si j’allais être
que je souhaitais publier en numérique. En
capable d’écrire autre chose après le succès
auto-édition, vous avez la chance de pouvoir
du premier. Aujourd’hui, j’ai ma réponse. J’ai
tout gérer.
réussi.
LFC : Pour communiquer, vous utilisez les
LFC : Vous proposez une histoire avec un
réseaux sociaux avec humour et dérision…
concept. Nous ouvrons le livre et nous nous retrouvons à la dernière page. Vous
AA : La première vidéo que j’ai faite, je l’ai fait
proposez aux lecteurs de découvrir
après un salon du livre que je n’avais pas
l’histoire à l’envers. Pourquoi ?
forcément bien vécu. Je m’étais retrouvée
65
dans des dîners mondains où les gens
AA : C’était l’idée de départ avant même
parlaient de choses que je ne connaissais
d’avoir le sujet ou la thématique. J’avais
pas. Je me suis demandé ce que je faisais là.
envie de raconter une histoire qui
De là est née cette vidéo. C’est très amusant,
commencerait par la fin. Pourquoi les
car des gens m’ont découvert grâce à cela et
personnages en sont-ils arrivés là ? C’est la
cela leur a donné envie de lire mes livres.
question que je me suis posée.
LFC : Les secrets, c’est votre nouveau
LFC : Comment les thèmes sont-ils ensuite
roman en librairie. Pourquoi ce livre est-il
venus à vous ? Pour quelles raisons
A M É L I E
A N T O I N E
Je suis vouloir les aborder ? persuadée que l’on ne AA : Il y avait une part de mon histoire personnelle et une envie de parler de destins de connait jamais personnages qui se croisent et s’entrecroisent les S E L IIlsN se A R I C H A R D vraiment S dans le livre, sans vraiment se connaître. demandent pourquoi ils se rencontrent. Le gens. destin et le hasard, je trouve cela fascinant.
LFC : Vous restez assez mystérieuse sur la
ainsi. Je n’en ai pas forcément
quatrième de couverture.
conscience lorsque j’écris. Mais j’aime travailler sur des
AA : C’est toujours la grande question avant de
personnages qui ont des failles et
publier un livre. On se demande toujours ce que
des défauts.
l’on va dire. C’était important pour moi de ne pas trop en dévoiler. Il y a vraiment eu un
LFC : Votre livre parle beaucoup
moment où je me suis dit que j’écrivais des
du mensonge.
livres dont je ne pourrais pas trop parler, car sinon cela gâcherait le plaisir. Pour mon
AA : C’est un thème récurrent dans
prochain livre par exemple, peut-être que je ne
tous mes livres. Je suis persuadée
dévoilerais même pas le thème.
que l’on ne connait jamais vraiment les gens. Je suis avec mon mari
LFC : Avant la lecture d’un roman, le mieux,
depuis quatorze ans et je sais que je
c’est de ne pas connaître le sujet du livre…
ne le connais pas. Et que je ne le connaitrais probablement jamais.
AA : Oui. Pour mon cas, il s’agit de se plonger
Nous avons chacun notre histoire.
dans le livre et de me faire confiance. La plupart
Nous changeons. Nous avons des
des lecteurs achètent mes livres sans savoir de
choses que nous gardons pour
quoi ils vont parler. Ils savent qu’ils seront
nous.
surpris. LFC : Pourquoi faut-il lire Les LFC : Le livre est très fin humainement et
secrets ?
psychologiquement. AA : Si vous voulez découvrir Les
67
AA : C’est ce qui m’intéresse le plus. Je veux
secrets, il faut y aller les yeux
arriver à comprendre pourquoi les gens sont
fermés.
L'ENTRETIEN DE LA COVER
AVRIL 2018
PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Arnaud Meyer
INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig
PASCALE ET GILLES LEGARDINER
Gilles Legardinier est en tête des ventes très régulièrement avec ses romans feel-good et fait partie des dix romanciers français les plus lus en 2017, tous formats confondus. Le romancier et sa femme Pascale ont accepté l'invitation de LFC Magazine pour une séance photos avec Arnaud Meyer, et un entretien inédit dans lequel le couple nous parle du roman "Comme une ombre" (J'ai lu) écrit à quatre mains. LFC : "Comme une ombre" est un livre que vous avez écrit ensemble et qui a déjà été publié il y a quelques années. Pourquoi avoir décidé de le publier de nouveau ? GL : L’idée, c’était de donner une deuxième vision à cette histoire que l’on a vécue comme une jolie aventure imprévue, il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, on nous a proposé de le refaire et nous avons tout de suite accepté, car c’est une expérience atypique. PL : Lorsque l’éditeur nous a proposé cette idée, nous nous sommes dit pourquoi pas. Nous avons pris beaucoup de plaisir à écrire cette histoire à l’époque. C’était une expérience inédite.
dois modifier certaines choses. Et vice-versa, lorsque je ne suis pas d’accord avec elle, nous en discutons. LFC : Vous expliquez au début du livre ce que vous voulez faire, à savoir une comédie sentimentale à la manière de la reine des best-sellers Barbara Cartland. GL : Cette femme est une icône de la littérature. Avant d’être une collection - la collection Harlequin - c’est avant tout les livres de Barbara Cartland. J’étais fasciné par le cliché de cette femme très excentrique, très impressionnante et qui débitait à la chaîne des romans qui se vendaient à des millions d’exemplaires. Je trouvais cela amusant d’écrire un roman de ce genre au moment où elle venait de décéder, comme une sorte de clin d’oeil. L’idée, c’était de pouvoir dire que c’était facile. Mais j’avais complètement tort. Je ne savais pas de quoi je parlais et je ne savais pas dans quoi je m’aventurais.
LFC : Vous êtes tous les deux complémentaires…
LFC : C’est à ce moment-là que vous intervenez Pascale. Gilles vous fait lire les premiers chapitres du livre…
GL : Bien sûr. Comme vous le savez, nous sommes un couple et lorsqu’il s’agit de travail, nous avons deux personnalités très fortes tous les deux. Nous sommes complémentaires. Je suis incapable de faire ce que fait Pascale. Lorsqu’elle me dit non, c’est non. Je sais que je
PL : Exactement. Gilles me les fait lire en m’expliquant que ce livre sera une comédie sentimentale et romantique destinée à un
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lectorat féminin. Je lui ai dit d’emblée qu’il n’avait pas compris les femmes et qu’il allait falloir retravailler quelques détails. GL : Elle ne l’a pas dit tout à fait de cette façon. Elle a plutôt déchiré mes pages et elle m’a dit Tu n’as rien compris aux filles ! (Rires) Plus sérieusement, j’avais axé le livre d’un point de vue masculin. Entre hommes, lorsqu’il y a quelque chose à se dire, on se le dit. Alors que pour les femmes, un non, peut être un oui, un jamais peut être dans une heure et demie… Elles ont cette capacité incroyable. PL : C’était très bon au niveau des rebondissements, mais il manquait une partie sentimentale. C’est pour cela que Gilles m’a proposé que l’on fasse ce livre ensemble. Les choses les plus intéressantes sont celles qui viennent à deux. LFC : Cela fonctionne très bien. C’est un livre très rythmé ! GL : Je suis quelqu’un qui n’aime pas s’ennuyer. Que ce soit quand on regarde un film ou quand on lit un livre, il faut avouer que la plupart du temps, c’est rasoir. N’ayant pas la prétention d’avoir du talent, je pars du principe qu’il faut que j’aille vite pour ne pas ennuyer les lecteurs qui me confient un peu de leur temps. Pascale a réussi à amener des choses surprenantes. J’écrivais la base de l’histoire et elle se
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Comme vous le savez, nous sommes un couple et lorsqu’il s’agit de travail, nous avons deux personnalités très fortes tous les deux. Nous sommes complémentaires. Je suis incapable de faire ce que fait Pascale. l’appropriait par la suite en lui donnant une dimension qui était bien supérieure à celle que j’imaginais. LFC : Une dimension plus psychologique ? PL : Pas seulement. Surtout un point de vue féminin. Les hommes sont plus dans l’action et nous les femmes plus dans la réflexion. Je lui disais de temps en temps de prendre son temps, de s’arrêter. GL : C’est un peu comme une mise en scène. Parfois la caméra prend un plan plus large ou ralentit le rythme, car il y a quelque chose de précis à capter dans le décor. LFC : À ce propos, les décors ont un rôle important dans ce livre. Pouvez-vous nous dire où l’action se situe ? PL : À plusieurs endroits. Madagascar, au Maroc… Les lecteurs voyagent beaucoup dans ce livre. GL : Mais cette fiction ne voyage pas seulement dans différents pays. Ce que nous voulions, c’étaient des décors particuliers, des ambiances diversifiées. C’est d’ailleurs ce que nous avons écrit dans la préface de ce livre. Un des clichés que je reproche à ce genre de livres, c’est que ce sont
souvent les mêmes décors qui nous sont proposés. Nous voulions faire voyager les gens et proposer des ambiances qui soient celles que l’on aime ressentir en tant qu’individu. LFC : Pouvez-nous nous parler de votre personnage féminin principal qui est constamment suivi par un garde du corps ? GL : Elle l’est parce qu’elle n’a pas le choix. Elle pourrait très bien se débrouiller toute seule. Seulement son père a les frayeurs que tout père de famille a. De plus, comme il a les moyens financiers, il lui paye des gardes du corps en permanence qu’elle s’amuse à semer et à maltraiter. C’est le jeu du chat et de la souris. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur un ancien militaire qui lui, ne se laissera pas faire. PL : Ce militaire est un aventurier, un ancien soldat qui a beaucoup de caractère et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle va bien s’entendre avec lui. Il va accepter de sortir de ce rôle de garde du corps pour amener une résistance à cette fille qui a besoin de rencontrer quelqu’un. LFC : Nous avons l’impression que vous aimez vraiment vos personnages. Ces personnages vous ressemblent-ils ? GL : Forcément. C’est rare qu’un vrai couple écrive sur un vrai couple. Même dans la création, ce livre a été un vrai plus pour nous parce que nous travaillions sur le même sujet, mais pas avec le même angle d’approche. C’est un peu l’histoire de la vie. Pascale m’a appris par son regard et moi je lui ai appris par le mien. C’est toute l’histoire du livre, la rencontre d’un homme et d’une femme qui apprennent à se comprendre et à travailler ensemble face à quelque chose qui leur pose problème. PL : Ce livre nous a permis d’avoir des discussions sur notre couple et sur la vie en général. Nous parlons d’un couple dans le roman et aussi d’un couple dans la vie. Ce qui leur arrive dans le livre est exceptionnel. Mais la dynamique que ce livre régit est toujours la même, peu importe la relation. Ce sont deux personnages qui agencent des compromis ou des envies personnelles pour avancer.
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LFC : Avec du recul, comment analysez-vous ce projet commun ? PL : Avec le temps, ce livre est devenu une sorte de jardin secret. À l’époque, nous avions tous les deux beaucoup de travail et nous faisions du mieux que nous pouvions avec les gens avec qui nous travaillions. Et d’un seul coup, nous nous retrouvions face à face autour de ce projet iconoclaste sur lequel il n’y avait aucune pression, à part l’envie. C’était l’idéal. LFC : Gilles, à vos débuts, vous avez surtout écrit des polars. Comment s’est passée cette expérience dans la comédie ? GL : Très bien. Mais vous savez, dans mes premiers romans, il y avait déjà cette opposition hommes/femmes. On classe mes romans en comédie
Nous travaillons tout le temps ensemble. Même si le nom de Pascale n’est pas sur tous les livres, c’est une affaire de famille. Pour nous, raconter des histoires, c’est notre vie. (...) Derrière tout homme se cache une femme. On ne s’en sort pas tout seul.
ou en thriller, mais je me méfie toujours de ces étiquettes. Ce sont toujours des gens qui sont à la croisée de leur destin et qui ont besoin de prendre ou d’apprendre quelque chose du monde pour rester en vie. Ce sont cela mes histoires. Comme une ombre est vraiment un livre à part.
LFC : L’écriture à deux, c’est un projet que vous aimeriez renouveler ?
LFC : Souhaitiez-vous toucher un autre lectorat en publiant de nouveau ce livre ?
LFC : Vous avez publié un livre avec Mimie Mathy. Que retenez-vous de cette expérience ?
PL : D’une certaine façon, oui. Nous avons cette approche assez respectueuse des gens pour qui nous travaillons, que ce soit dans le cinéma ou dans le lectorat. Ceux qui ont déjà lu ce livre à l’époque ont intérêt à le relire, car l’histoire est complètement nouvelle. Nous l’avons réécrit parce que l’époque a changé. Les technologies ont changé. Le temps passe et notre aptitude à écrire évolue. Nous voulions proposer quelque chose de nouveau à nos lecteurs. LFC : Vous entretenez un lien assez particulier avec vos lecteurs. GL : Je crois que je suis quelqu’un d’assez sincère et entier dans mes rapports. Et je crois aussi que mes histoires portent cela en elles. Nous sommes dans une époque où les gens sont sensibles à ces aspects-là. Ils ont ensuite la gentillesse de faire des kilomètres pour venir me voir et me le dire lors des salons.
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GL : Nous travaillons tout le temps ensemble. Même si le nom de Pascale n’est pas sur tous les livres, c’est une affaire de famille. Pour nous, raconter des histoires, c’est notre vie. Lorsque l’on travaille pour le cinéma, on travaille tous les deux. Lorsque j’écris un livre, et peu importe s’il y a mon nom sur la couverture, nous sommes ensemble. Derrière tout homme se cache une femme. On ne s’en sort pas tout seul.
GL : Ce projet est né uniquement parce que nous nous sommes rencontrés. Elle est la cause de ce livre et cela ne pouvait fonctionner que si nous le faisions tous les deux. Elle m’a donné l’idée de ce livre en étant elle-même. La première fois que nous avons échangé, elle m’a dit qu’elle aimait beaucoup mes livres. Et c’était pour moi la première fois qu’une personne aussi connue parlait de mes livres. Je l’avais remercié pour cela. J’ai vraiment une tendresse pour les gens qui sont censés couler, mais qui continuent de nager. J’aime les gens qui ne ploient pas sous la charge. C’était une rencontre inattendue et j’ai énormément de respect pour elle. LFC : "Comme un ombre", c’est votre actualité en ce moment en librairie. Quels sont vos projets pour la suite ? GL : Une prochaine comédie pour octobre et d’autres projets. Je m’arrêterai quand je n’aurai plus d’histoires à raconter. Le seul contrat que j’ai avec le lectorat, c’est de ne pas faire un livre juste pour faire un livre.
Je crois que je suis quelqu’un d’assez sincère et entier dans mes rapports. Et je crois aussi que mes histoires portent cela en elles.
PHOTOS ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : MELANIA AVANZATO
NOUVEAU TALENT
SÉBASTIEN MEIER LFC MAGAZINE
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AVRIL 2018
Voyageur, danseur de flamenco, auteur de théâtre, membre du collectif AJAR ("Vivre sous les tilleuls", Flammarion, 2016), serveur, veilleur de nuit dans un foyer de l’Armée du Salut, S fondateur E L I N A R I C H Ade R D Sla maison d’édition Paulette, Sébastien Meier est LA découverte polar de ce Printemps 2018 avec la parution de sa fiction "Les casseurs d'os" chez Fleuve Noir. Entretien inédit au café Les Éditeurs.
LFC : Sébastien Meier, nous nous
codes du polar. Je lisais ce genre littéraire
rencontrons pour parler du livre Les Casseurs
uniquement par plaisir sans me préoccuper de
d’os en librairie le 12 avril 2018 (Fleuve Noir).
la construction. J’aime quand il y a du rythme.
Nous vous découvrons avec ce livre. Ceci dit,
Je ne suis donc pas très doué pour écrire des
vous avez déjà publié trois livres. Que
romans contemplatifs. Je trouve cela très
retenez-vous de ces expériences ?
admirable, mais je n’y arrive pas. J’ai continué dans cette voie avec Les casseurs d’os, en
SM : L’envie d’en faire encore plus. J’ai
réinventant mon genre. Dans la première
commencé avec une trilogie policière un peu
trilogie, l’histoire se passait en Suisse
par hasard. Lorsqu’elle a reçu mon premier
Romande. Dans celui-ci, j’ai décidé d’inventer
roman, mon éditrice d'alors m’a dit qu’il y avait
un pays pour me débarrasser de l’exactitude
un policier et une enquête, et que ce livre avait
historique. Je ne voulais pas faire une quantité
tout d’un polar. J’ai décidé d’aller dans cette
de recherches phénoménale pour ce livre. En
direction.
créant la Bohème, cela était plus facile.
LFC : Ce n’était donc pas destiné à être un
LFC : C’est pour cela que dans les premières
polar ?
pages, vous nous proposez une carte du pays.
SM : Non pas du tout. Je ne suis pas un grand
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professionnel des catégories littéraires, j’ai
SM : Oui tout à fait. Je suis très fier du travail de
simplement eu envie de raconter une histoire.
la maison d’édition sur l’esthétique de ce livre.
C’est ensuite que je me suis renseigné sur les
C’est moi qui ai dessiné cette carte à la base et
elle a été ensuite reprise par une cartographe de manière très professionnelle. LFC : Lorsque nous sommes plongés dans votre livre, nous n'avons pas envie d’en sortir, et c’est en partie à cause du lieu imaginaire dans lequel
SELINA
vous nous embarquez. Il devient au fur et à mesure de l’histoire un personnage à part entière. SM : Je suis content que cela ait cet effet et que vous ayez envie de rester
dans ce pays. J’avais envie d’imaginer un pays qui n’aurait pas fait les mêmes
J’avais envie d’imaginer un pays qui n’aurait pas fait les mêmes choix qu’un pays européen, comme céder aux sirènes du néolibéralisme par exemple. Un pays qui aurait une construction politique R I C Hdifférente. ARDS Un pays dans lequel j’aurais eu envie de vivre, un pays dans lequel on ne taperait pas sur quelqu’un sous prétexte de son orientation sexuelle, ou par exemple avec beaucoup de femmes à sa tête.
choix qu’un pays européen, comme céder aux sirènes du néolibéralisme par
Ces personnages viennent-ils de
exemple. Un pays qui aurait une
votre imagination ? Sont-ils de vraies
construction politique différente. Un
personnes ?
pays dans lequel j’aurais eu envie de vivre, un pays dans lequel on ne taperait
SM : C’est un mélange de tout cela. Je
pas sur quelqu’un sous prétexte de son
ne sais pas comment me viennent ces
orientation sexuelle, ou par exemple
personnages. Ils sont inspirés de gens
avec beaucoup de femmes à sa tête.
que j’ai rencontrés, que j’admire, que je ne connais pas. Je n’aime pas du tout
LFC : Vous utilisez les pleins pouvoirs
les personnages du type héros
de l’écrivain !
incorruptible parfait. J’aime les personnages doubles, complexes, à qui
SM : Je suis Dieu ! (rires) J’avais envie
il arrive beaucoup de mésaventures. Je
de m’affranchir du réel tout en restant
crois que je n’ai jamais rencontré
réaliste. Ce n’est pas une utopie. Ce
quelqu’un qui soit simple.
n’est pas de la science-fiction. Cela reste un polar.
LFC : Vos personnages représentent le côté roman noir de ce livre, qu’en
LFC : La partie réaliste de votre fiction
pensez-vous ?
s'exprime par le propos, mais également grâce aux personnages.
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SM : J’aime être aux frontières du polar.
S É B A S T I E N
M E I E R
J’AVAIS ENVIE DE M’AFFRANCHIR DU RÉEL TOUT EN RESTANT RÉALISTE.
J’ai eu envie de faire un travail complet. Je souhaitais qu’il y ait une enquête avec plein de rebondissements, j'ai donc passé beaucoup de temps à peaufiner mon scénario et comme j’envisage une trilogie, il y a certains éléments qui vont être dévoilés dans les prochains S E tomes. LINA Je passe également beaucoup de temps à travailler sur mes personnages car il faut qu’on s’y attache, qu’on les aime. Mais je dois aussi porter une attention particulière au propos, même si je fais de la littérature, pas du documentaire - ce qui m'offre une grande liberté. LFC : Dans ce livre, il y a un double meurtre et le personnage qui enquête sur ce livre est un drôle de personnage… SM : C’est un personnage que j’adore. Élodie Fasel est capitaine de la brigade criminelle dans une petite ville au pied des Alpes. C’est elle qui se retrouve chargée de cette enquête, mais cela l’embête beaucoup, car sa vie est déjà bien compliquée. C’est une frondeuse, elle ne se laisse pas faire. Elle a un caractère très fort et n’hésite pas à tabasser les gens qui l’emmerdent. J’ai aimé construire des personnages féminins qui aient une grande gueule, qui tapent sur des mecs, qui les draguent - ce qui rendait les dialogues très amusants à écrire. Cela renverse la situation habituelle sans faire du moralisme. Dans ce livre, j’avais envie de parler de mes convictions, de ce en quoi je crois, mais sans faire une thèse. LFC : Ce qui est très étonnant dans votre style, c’est la liberté de ton...
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J’ai aimé construire des personnages féminins qui aient une grande gueule, qui tapent sur des mecs, qui les draguent - ce qui rendait les dialogues très amusants à écrire. Cela R I C H Arenverse RDS la situation habituelle sans faire du moralisme. Dans ce livre, j’avais envie de parler de mes convictions, de ce en quoi je crois, mais sans faire une thèse. SM : Je ne m’en rends pas compte. Je trouve que la langue française est sexiste en rendant invisible 50% de la population. Il y a moyen de faire mieux. Je suis pour une évolution de la langue, c’est pour cela que j’ai décidé d’écrire ce livre en français inclusif. Je l’ai fait de manière à ce que ce soit quasiment indétectable. Je ne vois pas l’intérêt de camper sur des positions de vieille garde sexiste et réactionnaire. LFC : Cela a-t-il beaucoup changé votre manière d’écrire ? SM : Oui beaucoup. Ce n’est pas tellement l’acte d’écrire en lui-même mais c’est surtout la pensée qui change. Si j’ai créé un livre dans un pays que je veux super, il faut que je sois cohérent. Il faut que je travaille la langue. Je ne pouvais pas utiliser des personnages féministes et utiliser un français standard.
S É B A S T I E N
M E I E R
LE POLAR PERMET DE FAIRE UNE PHOTOGRAPHIE ASSEZ FROIDE DU MONDE ET J’AVAIS ENVIE D’EXPLOITER CELA À FOND.
LFC : Vous proposez une histoire où il y a une enquête, mais au fur et à mesure que l’on parle avec vous, on se rend compte que ce livre est très engagé. Vous n’écrivez pas seulement pour raconter des histoires.
SELINA
SM : Ce livre est en effet très politisé. Mais je ne suis pas encarté, j’écris sur des sujets qui me touchent et qui me sensibilisent. Ma première trilogie était également engagée. Dans Les
casseurs d’os, le thème est un peu plus social et politique même si la question économique reste
Je ne veux pas prendre la parole à la place d’autres personnes. Il y a un équilibre à RICHARDS trouver entre faire exister la diversité d’une société et toujours savoir rester à sa place.
présente. Le polar permet de faire une photographie assez froide du monde et j’avais
veux même s'il arrive que tout ne se passe pas
envie d’exploiter cela à fond.
comme prévu. Mon ambition est parfois trop grande.
LFC : Les personnages sont très originaux et marqués par des différences, notamment
LFC : Comment arrivez-vous à nous
l’homosexualité. Vouliez-vous donner la parole
proposer une histoire aussi fluide dans
à des personnes qui ne la prennent pas assez ?
l’écriture et aussi digeste avec toutes les contraintes que vous avez pu vous mettre ?
SM : À celles et ceux à qui on ne la donne pas assez surtout. Même si je fais très attention à
SM : Je crois que je suis trop dedans pour
ne pas me réapproprier des propos ou des luttes.
répondre à cette question. Je fais cela vraiment
Je ne veux pas prendre la parole à la place
naturellement. Le pays que j’ai créé, je le
d’autres personnes. Il y a un équilibre à trouver
connais comme si j’y vivais. Je côtoie les
entre faire exister la diversité d’une société et
personnages depuis un moment. Ce sont de
toujours savoir rester à sa place.
bons amis. Et surtout, je m’amuse beaucoup.
LFC : Il y aura une suite à ce livre, vous parlez
LFC : Ce que vous proposez n’est pas
d’une trilogie. Où en êtes-vous dans l’écriture ?
classique, il y a un côté original que l’on peine parfois à retrouver dans certains
SM : Je suis environ à un tiers du deuxième tome
livres.
que je suis censé rendre en septembre. Cela
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risque d’être compliqué, mais je pense être dans
SM : Cela ne m’intéresse pas de faire mieux
les temps. J’ai une idée assez claire de ce que je
que les autres. J’essaye de faire différemment.
Cela ne m’intéresse pas de faire mieux que les autres. J’essaye de faire différemment. Je veux détruire mon esprit de compétition. Je veux détruire mon esprit de compétition. Que ce soit éducatif ou par notre
SELINA environnement social, nous sommes
LFC : Comment abordez-vous la promotion de ce livre ?
RICHARDS
constamment en compétition et c’est
SM : Pour les interviews et les
quelque chose qui m’emmerde. J’essaye de
séances photos, pour le moment,
sortir de cela et de me poser les bonnes
tout se passe bien. Mais quand il va
questions. J’ai la chance d’avoir une éditrice
falloir se pointer en talons aiguilles
et une maison d’édition qui me soutiennent.
au Salon le Quai du Polar, ce sera différent. Je flippe pas mal, mais j’ai
LFC : Ce qui est intéressant, c’est que la
vraiment envie de le faire. Ce n’est
communication de ce livre vous avez
pas juste un coup de
choisi de la faire avec votre personnage et
communication pour se rendre
cela est très excitant. Cela arrive souvent
intéressant, il y a vraiment une
dans le milieu de la musique ou de
démarche qui me pousse à faire
l’entertainment, mais assez peu dans
cela. J’ai reçu mon planning pour le
l’édition. Pourquoi ce choix ?
Quai du Polar et il n’y a que des hommes autour de moi, je crois
82
SM : J’ai un peu travaillé dans les arts de la
qu’ils vont se demander ce que ce
scène et du théâtre, et dans ces milieux, ils
clown fait à côté d’eux. C’est
ont réussi à transformer la promotion en un
beaucoup plus terrifiant en
acte artistique. En tant qu’auteur, je me suis
fantasme que dans le réel, en fait,
dit pourquoi ne pas utiliser ce « statement ».
donc je suis sûr que tout va très bien
Je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui
se passer. Mais c’est d’autant plus
les auteurs en promotion continuent de
délicat à appréhender que le milieu
jouer la carte de "l'authenticité".
du polar est réputé ne pas être un
L’authenticité n’existe plus, il ne faut pas
milieu très progressiste. Cela dit, je
déconner quand même. Avec ce type de
ne prends pas un grand risque. Ma
promotion, je voulais faire un acte politique
vie n’est pas en jeu. Si cela se passe
et artistique.
mal, je ferai autre chose.
Quand il va falloir se pointer en talons aiguilles au Salon le Quai du Polar, ce sera différent. Je flippe pas mal, mais j’ai vraiment envie de le faire.
LFC MAGAZINE
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AVRIL 2018
HAYLEN BECK
PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW
Haylen Beck (pseudo de Stuart Neville), de passage à paris pour Livre Paris, nous donne rendez-vous dans un restaurant cosy près de la Porte de Versailles. Nous avons fait connaissance, parler de son Snouveau E L I N A R Ithriller C H A R D S "Silver Water" (Harper Collins Noir), d'une efficacité redoutable. Un page-turner qui ne ménage pas les protagonistes dans un Arizona sec. Séance photos avec la talentueuse Céline Nieszawer et entretien inédit.
LFC : Haylen Beck, c’est un plaisir de vous
Et vice-versa.
rencontrer. Vous avez publié beaucoup de livres et vous avez décidé de publier le
LFC : Avant d’être écrivain, vous avez fait une
tout dernier sous pseudonyme. Pourquoi ?
carrière dans la musique. Racontez-nous !
HB : Tout d’abord, car l’histoire se passe aux
HB : Quand j’étais jeune, ma première ambition
États-Unis, et également parce qu’il y avait
était de devenir écrivain. Je voulais absolument
un changement de style de ma part. Avec
écrire des livres alors que je n’avais que huit
mon ancien nom, le style était plus noir.
ans. À l’âge de treize ans, j’ai pris une guitare en
Cette fois-ci, c’est un thriller plus populaire.
main et je voulais devenir une rock-star. J’ai
Comme je changeais de style et de cadre, je
essayé pendant plusieurs années, j’ai écrit
me suis dit que c’était une bonne idée de
plusieurs musiques pour le cinéma, mais je n’ai
changer également de nom.
jamais eu l’impression d’y arriver. Parallèlement, je continuais d’écrire, et à trente-
LFC : Vouliez-vous être identifié
cinq ans, je me suis dit que la situation devenait
différemment ?
plutôt urgente et qu’il fallait que je m’y mette sérieusement. J’ai écrit trois livres à la suite
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HB : Ce livre est susceptible d’attirer un
dont deux n’ont pas été publiés. Le troisième,
lectorat différent. Je voulais éviter toute
Les fantômes de Belfast, a été publié et
confusion. Les gens qui vont aimer celui-ci
couronné de plusieurs prix. L’aventure a
ne vont peut-être pas aimer les précédents.
commencé de cette façon !
LFC : Vous précisez que vos deux premiers livres ne sont pas publiables. N’avez-vous pas envie de les retravailler pour les ressortir plus tard ? HB : Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Cela m’a permis de me former en tant qu’écrivain, il faut l’accepter.
SELINA
LFC : Nous allons parler de votre livre Silver Water (Éditions Harper Collins). L’histoire se passe en Arizona et nous avons le
Dès que j’ai eu l’idée de ce livre, je savais qu’il fallait que l’histoire se déroule en Arizona. J’avais besoin de placer le cadre de cette histoire dans un lieu sauvage RICHARDS avec de grands espaces. Je m’étais plusieurs fois rendu là-bas et j’y avais été très sensible.
sentiment que ce lieu est un personnage à
LFC : Les paysages sont arides et secs,
part entière.
comme vos personnages. Notamment le shérif.
HB : Dès que j’ai eu l’idée de ce livre, je savais qu’il fallait que l’histoire se déroule en
HB : Vous avez raison. Le shérif vient de cet
Arizona. J’avais besoin de placer le cadre de
endroit, il a un caractère très fort. Lors de mon
cette histoire dans un lieu sauvage avec de
road trip, je suis allé dans certaines villes où je
grands espaces. Je m’étais plusieurs fois
me demandais comment les gens faisaient
rendu là-bas et j’y avais été très sensible. J’ai
pour vivre dans des endroits si glauques. C’est
eu la chance de faire un road trip en partant
ce genre de détails qui m’ont inspiré le
de Phoenix et en allant jusqu’à Flagstaff, qui
personnage du shérif.
se trouve dans les montages de l’Arizona. J’avais un carnet et un appareil photo durant
LFC : Nous allons résumer le début du livre.
ce voyage et dès que je suis rentré chez moi,
Votre personnage Audra Kinney fonce à
je me suis mis à écrire. Tout ce que j’ai vécu et
travers les paysages accidentés de l’Arizona
ressenti est venu nourrir mon écriture.
avec ses deux enfants à bord de sa voiture, mais, par un étrange coup du sort, elle est
LFC : Le lecteur est en immersion dans
arrêtée par la police sur une route déserte et
votre univers. C’est quelque chose qui
se retrouve placée en garde à vue… Tout va
fonctionne très bien. Surtout pour nous,
très vite et nous avons l’impression que vous
lecteurs français.
n’éprouvez pas beaucoup de compassion pour votre personnage (rires).
HB : Vous savez, c’était la même chose pour
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moi qui suis irlandais. L’Arizona est un endroit
HB : Il y a une règle élémentaire lorsque vous
fascinant où les paysages sont incroyables.
écrivez ce genre de livre, c’est qu’il faut se
On a parfois l’impression d’être sur Mars.
demander quelle est la pire chose
H A Y L E N
B E C K
Il y a une règle élémentaire lorsque vous écrivez ce genre de livre, c’est qu’il faut se demander quelle est la pire chose qui puisse arriver à votre personnage. Peu importe la réponse, S E L I Nvous A R I C H Adevez RDS c’est cela que écrire. qui puisse arriver à votre personnage. Peu
HB : Une option est posée. Mais
importe la réponse, c’est cela que vous
tout cela prend du temps. Il faut
devez écrire.
être patient.
LFC : Par la suite, vous amenez les
LFC : Quel rapport entretenez-
lecteurs dans des situations qui sont de
vous avec la télévision ?
plus en plus dramatiques.
Trouvez-vous cela sain que les livres soient adaptés au
HB : Écrire un thriller, c’est partir d’une
cinéma ou à la télévision ?
situation compliquée pour le personnage et de la faire dégringoler de manière à ce
HB : C’est quelque chose dont
que le lecteur s’accroche à cela et qu’il
je ne m’inquiète pas trop, car je
veuille absolument que le héros s’en sorte.
n’ai pas la main dessus. James Ellroy m’a demandé un jour si
LFC : Cherchiez-vous à être le plus
une option avait été posée sur
efficace possible avec cette histoire ?
mon premier livre. Je lui avais
Vouliez-vous faire de ce livre un page-
dit oui. Et il m’avait dit de but en
turner ?
blanc : prends l’argent et tire-toi ! (rires)
HB : J’aime que ce livre soit perçu de cette façon. Celui-ci a été conçu pour être
LFC : Pour quelles raisons les
haletant et tenir les lecteurs en haleine.
lecteurs devraient-ils s’intéresser à votre livre ?
LFC : Nous imaginons une adaptation de
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votre livre en film ou série. Qu’en pensez-
HB : Pour les frissons qu’il leur
vous ?
procurera.
H A Y L E N
B E C K
ÉCRIRE UN THRILLER, C’EST PARTIR D’UNE SITUATION COMPLIQUÉE POUR LE PERSONNAGE ET DE LA FAIRE DÉGRINGOLER DE MANIÈRE À CE QUE LE LECTEUR S’ACCROCHE À CELA ET QU’IL VEUILLE ABSOLUMENT QUE LE HÉROS S’EN SORTE.
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
DANIELLE THIÉRY PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : FRANCK BELONCLE LEEXTRA
Mars 2018, Danielle Thiéry nous fait l'honneur de nous recevoir chez elle pour une séance photos et un entretien dans lequel nous évoquons son expérience de commissaire S Edivisionnaire L I N A R I C H A R D -S l'une des premières femmes de l’histoire de la police française à accéder à ce grade devenue aujourd'hui écrivain. Et bien sûr, elle nous parle aussi de son nouveau roman "Féroce" (Flammarion) actuellement en librairie. LFC : Depuis quelques jours, votre nouveau
faites aux personnes. Ces offices ont pour
livre Féroce (Flammarion) est en librairie.
vocation de travailler sur des gros dossiers. Les
Dans quel genre littéraire le classeriez-vous ?
différents services de la police judiciaire sont obligés de traiter toutes les informations qu’ils
DT : Même si chacun le définit comme il
reçoivent. Comme le dit un des personnages,
l’entend, je dirais que c’est un roman et plus
pour pouvoir suivre une affaire sans
précisément un roman policier. Le livre met en
interruption, il faudrait vitrifier l’humanité pour
scène des policiers menant des enquêtes. Mais
qu’elle ne commette plus aucun crime.
comme je suis dans la tête du méchant, je dirais
L’intérêt de ces offices, c’est qu’ils sont
que c’est aussi un roman choral. Ce qui me plait
organisés pour travailler dans le temps et dans
dans cette écriture, c’est d’explorer les
la durée.
personnages et les ressorts de leurs actes. Au fond, l’être humain est un monolithe qui est
LFC : Vous abordez un sujet dur,
sculpté par la vie, des évènements…
insoutenable. Même si ce livre ne parle pas que de pédophilie, avez-vous hésité à parler
LFC : C’est de cette manière que nous
de ce problème ?
l’avons ressenti en le lisant. Votre roman commence dans une cellule assez
DT : Je n’ai pas hésité. J’ai commencé ma
particulière…
carrière à la brigade des mineurs et vous pouvez le voir dans le livre, c’est fortement
90
DT : Cette cellule se trouve dans le service
marqué. Cela reste pour moi un immense
judiciaire de la police et plus précisément dans
mystère et une immense souffrance de voir ce
l’office central de répressions des violences
qui se passe. Je suis beaucoup sur place. Je
vais voir comment ils travaillent, quels outils ils utilisent. Je les admire énormément, car ils absorbent beaucoup de choses. La dernière fois que j’y suis allé, ils auditionnaient une petite fille de trois ans. Je ne peux même pas SELI NA imaginer ce que cela peut représenter dans la réalité. Cela brise des familles et surtout des enfants. LFC : Il existe un déni fort de la part des
Edwige Marion est mon double littéraire. Elle vieillit moins vite que moi. C’est le privilège de l’écriture, RICHARDS pouvoir faire ce que l’on veut avec les personnages ! (Rires)
familles autour de ce problème. La passion pour la lecture de polar m’a DT : Un déni que l’on ne s’explique pas.
donné le goût de ce métier que je ne
Pendant longtemps, on disait que les
m’imaginais pas faire un jour. De plus,
femmes ne disaient rien, car c’est le mari qui
j’étais éducatrice spécialisée auparavant,
travaillait et ramenait l’argent à la maison.
ce qui a quand même facilité la transition.
Mais aujourd’hui, on se rend compte que ce
Lorsque vous avez des enfants avec vous
n’est pas clair du tout. Cela reste quelque
tous les jours, vous devez gérer leurs
chose d’extrêmement violent. Il y a une
traumatismes, il y a beaucoup de
espèce de permissivité qui est favorisée par
psychologie. Je savais que ce métier était
l’anonymat du net, le fait d’être derrière son
fait pour moi.
écran. Un jour, la police a fait une descente chez un de mes collaborateurs, quelqu’un
LFC : Dans ce roman, il y a un écho par
d’insoupçonnable, qui avait plus de mille
rapport à votre expérience et
photos d’enfants à son domicile. De plus, cet
également par rapport aux femmes qui
homme avait des enfants et une famille.
sont très présentes. Elles occupent des
Hélas, tout est possible.
postes importants et sont attachantes.
LFC : Écrire vous fait-il du bien ?
DT : C’est vrai. Ces femmes, je les connais, je les ai rencontrées. Edwige Marion est
91
DT : Aujourd’hui, je ne me vois pas ne pas
mon double littéraire. Elle vieillit moins
écrire. L’exercice d’écriture est à la fois
vite que moi. C’est le privilège de
salutaire et douloureux. Ce qui me plait
l’écriture, pouvoir faire ce que l’on veut
beaucoup dans ce travail, c’est tout ce qui
avec les personnages ! (Rires) J’aime
est en amont. C’est la préparation, l’enquête.
qu’ils soient en difficulté. Il faut que ce
D A N I E L L E
T H I É R Y
soit réaliste. J’ai travaillé avec beaucoup de femmes qui sont présentes dans ce livre parce que je les admire. Tout simplement. On me dit souvent que les femmes aiment les femmes et les hommes aiment les hommes, les femmes
S E n’est LINA aiment les hommes. Vous savez, la police pas un microcosme. Il se passe ce qui se passe dans la vie de tous les jours. Tout s’est fait spontanément et naturellement. LFC : Cela n’est pas fait pour être moderne, vous l’avez fait pour être dans une certaine véracité. DT : Oui exactement. Je voulais absolument que ce livre ait des personnages qui se comportent de la même façon que dans la vie de tous les
Je voulais absolument que ce livre ait des RICHARDS personnages qui se comportent de la même façon que dans la vie de tous les jours. Je n’arrive pas à créer des choses artificielles.
jours. Je n’arrive pas à créer des choses artificielles.
d’être sur une autre planète. C’est fascinant. Il était évident que
LFC : Féroce, c’est aussi la comparaison de la
j’avais envie de mettre ce lieu en
violence des hommes avec celle des
scène.
animaux. Qu’en pensez-vous ? LFC : Pensez-vous qu’une DT : C’est une comparaison tout à fait fortuite.
adaptation de ce livre en série ou
J’aime explorer des mondes nouveaux à
en film soit possible ?
chaque livre que j’écris. Je me mets toujours
93
une sorte de pression pour que je ne sois pas
DT : Je ne peux pas trop en
tout le temps en train de raconter la même
dévoiler. Mais il y a des projets en
histoire. En visitant le domaine de Thoiry, j’ai été
cours. On se reverra pour en parler
saisie par le contraste entre ce bâtiment plein
certainement. Ce que je souhaite,
d’histoire et ces gens qui vivent là depuis treize
c’est que ce soit une belle
ou quatorze générations et qui cherchent à
adaptation comme par exemple
sauver ce château, ainsi qu’à préserver cette
celle de Au revoir là-haut de Pierre
cohabitation avec les animaux. Les animaux
Lemaitre par Albert Dupontel.
sont en semi-liberté. Nous avons l’impression
Tous les espoirs sont permis !
D A N I E L L E
T H I É R Y
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
MALIN PERSSON GIOLITO LAURÉATE DU PRIX LE POINT DU POLAR EUROPÉEN 2018
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Fin mars 2018, dans le quartier du Marais, Malin Persson Giolito vient nous rendre visite pour une séance photos aux couleurs du drapeau suédois, née à Stockholm, capitale de Sla E L suède I N A R Iet C H nous A R D S parler de son roman "Rien de plus grand" qui est distingué "Prix du meilleur thriller scandinave 2017" et qui a déjà tapé dans l'œil de Netflix pour une future adaptation à l'écran. Entretien inédit.
LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie
2015.
en librairie de votre livre Rien de plus grand (Presses de la Cité). Vous serez également
MPG : J’ai travaillé dans un cabinet d’avocat
présente au Festival Quais du Polar début
privé pendant dix ans, jusqu’en 2007. J’ai sorti
avril à Lyon. Tout d’abord, quelle relation
mon premier livre en 2008. Je l’ai écrit après
entretenez-vous avec la France ?
avoir été licenciée de ce cabinet. Ce livre parlait d’ailleurs d’une femme qui se faisait
MPG : Je suis mariée à un Français. Je le
licencier par un cabinet d’avocat… Pas moi,
précise sinon il va être fâché ! (Rires) J’ai
donc ! (Rires) À peu près à la même période, j’ai
également trois petites filles qui sont françaises.
passé un concours pour travailler à la
Lorsque j’ai fait mes études à l’université, j’ai
Commission Européenne, que j’ai obtenu.
étudié la littérature française avant de me
Puis, je suis restée dans cette Commission
lancer dans le droit. J’en garde un excellent
jusqu’en 2015. J’ai terminé mon quatrième
souvenir.
livre Rien de plus grand, dont on parle aujourd’hui, après avoir quitté ce travail. Pour
LFC : Vouliez-vous devenir écrivain ?
tout vous dire, je ne me sentais plus vraiment à ma place en tant que juriste, il fallait que je me
MPG : C’est le rêve que j’ai toujours poursuivi.
focalise sur une seule chose, l’écriture.
C’était ma passion. J’avais quatre ans quand j’ai commencé à écrire mes premières histoires.
LFC : Vous avez dit dans une interview que vous saviez depuis longtemps que vous
96
LFC : Finalement, vous vous êtes tournée
vouliez écrire sur ce sujet. Pour quelles
vers le droit. Vous avez été avocate jusqu’en
raisons ?
LFC : Vous avez dit dans une interview que vous saviez depuis longtemps que vous vouliez écrire sur ce sujet. Pourquoi ?
SELINA
MPG : J’ai vraiment été obsédée par cette idée de fusillade à l’école. Il y a sûrement d’autres raisons que j’ignore. Mais ce que je voulais, c’était raconter une histoire sur une tragédie. C’est une histoire où il n’y a pas d’ouverture, de soulagement ou de fin heureuse. J’ai décidé de commencer par la
Je ne voulais pas jouer avec la tragédie. Lorsque vous rentrez dans un jeu avec le il faut très vite R lecteur, ICHARDS lui faire comprendre que vous n’allez pas le manipuler et que vous allez être honnête avec lui.
tragédie, puis de construire l’intrigue autour
MPG : Justement, c’est intéressant que
de cet évènement. Je crois que c’est aussi le
vous en parliez. Je trouve que lorsque
milieu des enfants et des jeunes de manière
vous finissez mon livre, vous n’avez pas
générale qui me fascine. Ce sont des
l’impression que le point de départ était
endroits où j’emmène mes enfants chaque
une fusillade. Je le vois plutôt comme un
jour. Et cela me fait très peur quand on voit le
élément déclencheur. Le film Elephant
monde dans lequel nous vivons. On se
nous raconte l’évènement jusqu’à la
souvient tous du lycée. C’est la première fois
tragédie. Nous sommes mis dans une
que l’on se retrouve seul dans sa vie. Nous
position où l’on voit la catastrophe arriver
sommes face au monde et isolé. Au-delà de
de loin. Dans mon livre, je ne voulais
l’école, ce livre parle de la société dans
absolument pas qu’il en soit ainsi. Je ne
laquelle nous vivons. C’est quelque chose
suis pas 100% certaine que mon livre soit
qui m’intéressait beaucoup. Je trouvais que
véritablement un polar. Je ne voulais pas
c’était très efficace de choisir la voix de
jouer avec la tragédie. Lorsque vous
quelqu’un de très jeune qui se trouve à la
rentrez dans un jeu avec le lecteur, il faut
frontière entre l’enfance et la vie d’adulte.
très vite lui faire comprendre que vous n’allez pas le manipuler et que vous allez
LFC : Ce livre nous rappelle le
être honnête avec lui.
documentaire Bowling for Columbine de
97
Michael Moore et le film Elephant de Gus
LFC : Vous avez été avocate pendant
Van Sant. Que pensez-vous de ces
plusieurs années. Le livre est d’un
références ?
réalisme incroyable.
M A L I N
P E R S S O N
G I O L I T O
PRIX DU MEILLEUR THRILLER SCANDINAVE 2017
MPG : Le tribunal, c’est mon théâtre. Je n’aurais pas pu écrire ce livre si je ne connaissais pas parfaitement cet endroit. LFC : Que ce soit dans la réalité ou dans les séries télévisées, comment expliquez-vous
SELINA
que les procès fascinent autant les gens ?
MPG : Ce qui est fascinant dans ces histoires, c’est lorsqu’elles parlent des conflits humains. Plus l’histoire est réelle, plus on devient engagé.
Le tribunal, c’est mon théâtre. Je n’aurais pas pu écrire ce livre si RICHARDS je ne connaissais pas parfaitement cet endroit.
On sait très bien que les procès ont été inventés pour régler ces conflits. C’est un outil que nous
les jours. Mais nous ne pouvons rien y
avons créé et heureusement qu’il existe. Si les
faire. De plus, la dimension est encore
gens étaient jugés selon l’opinion publique,
différente avec les réseaux sociaux. Il faut
cela n’aurait aucun sens. Maja le dit au début du
être un peu modeste et peut-être plus
livre, c’est comme si les avocats transformaient
intelligent. Aujourd’hui, il y a une certaine
tout ce qui concernait la vie, la mort, le sang ou
facilité à juger les gens. Pourquoi faut-il
que sais-je, en chiffres et en choses faciles que
exprimer automatiquement ce que l’on
l’on peut manipuler. En tant qu’écrivain, il y a un
pense ? Toutes les pensées que j’ai dans
contrat à passer avec les lecteurs. Mon rôle,
ma tête, je les garde pour moi.
c’est de dire comment se finit l’histoire. Ensuite, chacun l’interprète comme il le veut. Je ne peux
LFC : Nous avons lu quelques avis sur le
pas donner toutes les réponses aux lecteurs.
livre et un d’entre eux à attirer notre
Toutes les histoires devraient être racontées
attention. Une lectrice posait cette
comme un procès.
question : les enfants ne sont-ils pas le reflet de la vie parfois détraquée de
LFC : Il y a une phrase qui revient souvent
leurs parents ? Qu’en pensez-vous ?
dans votre livre : innocent tant que je ne suis pas jugée coupable. On a le sentiment
MPG : Je suis d’accord avec elle. Non
qu’aujourd’hui les gens sont jugés sur la
seulement de leurs parents, mais aussi de
place publique ou sur les réseaux sociaux.
la société dans laquelle ils vivent. Mais vous savez, je ne dois pas dire aux
99
MPG : Le jugement public joue toujours un rôle
lecteurs comment ils doivent comprendre
très important dans mes histoires. Il y a des
mon texte. S’ils le comprennent de cette
nouvelles victimes de ce tribunal public tous
façon, j’en suis ravie.
M A L I N
P I E R S S O N
S U C C È S S U È D E
G I O L I T O
H I S T O R I Q U E A V E C
E X E M P L A I R E S
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V E N D U S
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AVRIL 2018
EMELIE SCHEPP
PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA
PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW
Emelie Schepp nous rend visite à Paris lors du Salon du Livre de Paris en mars 2018. Après une rencontre petit-déjeuner avec les nous passons S Eblogueurs L I N A R I C H A français, RDS une heure avec la reine du thriller nordique au Café de Flore : séance photos avec le talentueux Arnaud Meyer. Entretien inédit.
LFC : Emelie Schepp, un an après notre
ES : Exactement. Dans ce premier tome, un
première interview, nous avons la joie de
homme est assassiné et la piste de ce meurtre
nous revoir aujourd’hui. Cette fois-ci pour
la mène à un jeune garçon. Plus Jana en
la sortie du deuxième volume de votre
apprend sur la vie de ce jeune garçon, plus elle
série "Sommeil Blanc" (Harper Collins
en apprend sur sa propre existence. Dans
Noir). Nous allons partir du postulat que les
Marquée à vie, elle finit par découvrir la
gens n’ont pas lu le premier tome. Pouvez-
signification de cette marque. Elle se rend
vous de nouveau nous présenter votre
compte qu’elle devient une personne qu’elle
héroïne Jana ?
n’était pas censée devenir. Dans le deuxième livre, Jana veut poursuivre sa vie et fermer la
ES : Au tout début, Jana Berzelius a neuf ans
porte de son passé. Mais par une nuit d’hiver
lorsqu’elle se réveille à l’hôpital. Elle ne sait
très froide, un train s’arrête dans une petite
pas qui elle est et ne se souvient pas de son
ville suédoise et on retrouve à son bord, le
prénom. Elle a simplement une marque sur la
cadavre d’une femme. L’ami de cette femme
nuque. Elle grandit, devient une procureur
est porté disparu. Alors que la police essaye de
très renommée, mais veut découvrir la
retrouver la trace de son ami, Jana comprend
signification de cette marque qu’elle a dans
que cet homme a le même passif qu’elle. Si elle
la nuque.
veut continuer à cacher ce passé, il faut qu’elle mette la main dessus, avant la police.
LFC : C’est pour cela que premier tome qui
102
est toujours disponible en librairie
LFC : Qu’avez-vous appris en écrivant sur ce
s’appelle Marquée à vie ?
personnage ?
ES : Je voulais écrire à propos d’une héroïne complexe et pour ce faire, il fallait que je trouve une origine à cette complexité. Cependant, je ne voulais pas que cela vienne d’un diagnostic médical, je voulais autre chose. En 2012, quand j’ai écrit Marquée à
SELIÀ NA vie, j’ai lu un article sur les enfants soldats. cette époque, le débat était très important à cause d’un documentaire sorti la même année en Suède. Quand j’ai lu cet article, j’ai remarqué que cela pouvait être le contexte
Je voulais écrire à propos d’une héroïne complexe et pour ce faire, il RICHARDS fallait que je trouve une origine à cette complexité.
de la vie de Jana. Je me suis que l’on pouvait transformer un enfant en soldat, mais pouvait-
LFC : Quand vous imaginez toutes ces histoires,
on transformer un soldat en enfant ? Là était
quelle est votre méthode de travail ?
la question. ES : Je puise mon inspiration dans les séries LFC : Au fur et à mesure des épisodes, vous
télévisées, les films et les actualités. Mais je fais
nous posez une question existentielle : on
également beaucoup marcher mon imagination.
ne sait jamais vraiment qui l’on est. LFC : C’est une très jolie recette. Est-ce la ES : C’est vrai. Parfois on devient une
recette du best-seller ?
personne que l’on ne souhaite pas être. Ce sont les évènements vécus qui nous
ES : Probablement. Lorsque j’écris, je vois mes
construisent des parties sombres.
scènes sous forme cinématographique. Tout ce que je veux, c’est divertir le plus possible mes
LFC : L’écriture, est-elle un exutoire pour
lecteurs.
vous ? Avez-vous exprimé vos parties sombres à l’intérieur de ce personnage ?
LFC : Quand on vous lit, on entend les personnages nous parler. Cette série
ES : Peut-être qu’il y a une Jana en moi.
d’enquêtes qui rencontre un franc succès en
J’aime écrire et j’aime divertir. Pour écrire des
librairie va-t-elle être adaptée à la télévision ou
polars, il faut explorer une part un peu
au cinéma ?
sombre de soi-même. Je veux savoir
103
pourquoi certaines personnes tuent d’autres
ES : Il y a un projet de série télévisée sur Jana. Je
personnes. Pourquoi et comment les gens
croise les doigts pour que cela arrive bientôt. C’est
deviennent-ils des tueurs ? Il n’y a pas qu’une
quelque chose qui prend du temps. Un film, c’est
seule réponse. Il y a tout un panel de facteurs.
cinq ans de travail. Affaire à suivre donc.
E M E L I E
S C H E P P
POUR ÉCRIRE DES POLARS, IL FAUT EXPLORER UNE PART UN PEU SOMBRE DE SOI-MÊME.
Lorsque j’écris, je vois mes scènes sous forme cinématographique. Tout ce que je veux, c’est divertir le SELINA RICHARDS plus possible mes lecteurs. LFC : Vos lecteurs sont fidèles. Vous avez
ES : Je vis mon rêve d’écrivain.
obtenu plusieurs prix. Depuis ce succès,
Je dois être très prudente et je
subissez-vous plus de pression dans votre
porte une attention particulière
travail ?
au fait de trouver du temps pour écrire. C’est pour cela que je
ES : Quand j’ai écrit mon premier livre, personne
dois refuser certains
ne savait que je l’écrivais. Je n’en ai parlé à
évènements.
personne. Personne ne pouvait me stopper. Je n’avais aucune pression. Maintenant, ce n’est
LFC : C’est une chance que
plus vraiment un secret. On vit à une époque où
l’on savoure de parler avec
les choses vont très vite. Attendre un an pour la
vous en France alors !
publication d’un livre, c’est très long pour les lecteurs. Sur Netflix par exemple, on regarde tous
ES : Paris est une ville
les épisodes en quelques jours, car nous n’avons
magnifique. J’adore passer du
plus la patience d’attendre une semaine. La
temps ici.
chose qui est très importante pour moi, c’est de satisfaire mes lecteurs en leur proposant un livre
LFC : Dernière question,
par an.
imaginez que vous rencontriez la petite fille que vous étiez à
LFC : Avec ce succès, vous voyagez beaucoup
l’âge de dix ans, qu’aimeriez-
pour aller à la rencontre de vos lecteurs. Vous
vous lui dire en la voyant ?
êtes présente dans les salons. Vous participez
105
activement à la promotion de vos livres… Vous
ES : Je lui dirais : continue à
le vivez bien ?
écrire, ma petite !
LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
LAURÉAT DU PRIX COGNAC
MICHEL MOATTI PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Derniers jours de mars 2018, nous avons rendez-vous avec Michel Moatti, universitaire et journaliste de formation, qui a déjà publié plusieurs livres : "Retour à Whitechapel, La véritable histoire de Jack l’Éventreur" S E L I (2013), N A R I C H"Blackout ARDS Baby" (2014), "Alice change d’adresse" (2016) et "Tu n'auras pas peur" (2017), le prix polar 2017 du meilleur roman francophone au festival de Cognac. Séance photos et entretien inédit pour parler de son nouveau roman "Les retournants". LFC : Michel Moatti, c’est la première fois
LFC : Vous arrive-t-il d’y revenir plus tard ?
que l’on se rencontre pour parler de votre livre Les retournants (HC Éditions). Quand
MM : Ce n’est jamais arrivé. J’ai des boites à
savez-vous qu’une idée va devenir un
archives avec des débuts d’histoire. Mais je ne
roman ?
me suis encore jamais dit que j’allais aller fouiller dedans pour trouver de l’inspiration. Il y
MM : Quand j’ai l’idée et qu’elle me donne
a toujours quelque chose de mieux qui surgit.
l’envie de l’écrire. Sur les cinq livres que j’ai
Donc pour le moment, ces idées sont bien là
écrits, sauf pour Blackout Baby, ce sont des
où elles se trouvent.
idées qui arrivent et qui sont parfois imposées par le quotidien. Par exemple, mon troisième
LFC : Dans votre nouvelle fiction Les
roman Alice change d’adresse se déroule
retournants, vos deux héros sont au cœur de
dans l’univers clinique et psychiatrique parce
la Première Guerre mondiale. Pourquoi
que je l’avais écrit à l’époque où mon père
avez-vous choisi ce contexte historique ?
était très malade. Il est d’ailleurs décédé
107
pendant l’écriture de ce livre. J’avais envie de
MM : Ce livre, c’est un peu plus qu’une idée.
raconter cet univers qui m’intéressait
C’est quelque chose que j’ai en tête depuis
énormément. Les idées de romans viennent à
tout petit. Mon arrière-grand-père, qui était
moi par la lecture de journaux, de magazines.
soldat durant la Première Guerre mondiale, me
Même si parfois, il m’arrive de me tromper et
racontait souvent des histoires avant d’aller me
d’abandonner une idée.
coucher. Cela a duré un petit moment parce
qu’il est mort lorsque j’avais quatorze ans. De trois ans à dix ans, il me racontait ces histoires et je suis devenu un peu accro. Je les réclamais. Il appelait cela ses contes. Il inventait des histoires et même des chansons par rapport à ce qu’il avait vécu. Ces histoires avaient toujours la guerre comme point de départ. Puis, elles dérivaient S E L Ivers NA des histoires d’amour, d’aventure ou de fantôme. Ces histoires-là ont fermenté dans ma tête pendant longtemps, quasiment cinquante ans. Et c’est enfin sorti. Le personnage principal de ce livre a été inventé par mon arrière grand-père. C’était un personnage récurrent de ses histoires.
Au-delà de l’histoire de la Première Guerre mondiale, ce que je voulais faire, c’était raconter la guerre comme les Américains avaient raconté leur guerre du Vietnam. Je pense aux films R I C H Anotamment RDS "Apocalypse Now" ou "Voyage au bout de l’enfer" où les personnages sont traumatisés. LFC : Il y a l’influence de votre arrière-grand-père, votre imagination, mais surtout une grande
LFC : Vos deux personnages sont très bizarres,
dimension psychologique. Ces personnages
très étonnants. Sont-ils uniquement des
tiennent vraiment la route. C’est intéressant de
personnages dont vous parlait votre arrière-
nous montrer qu’il existe des traumatismes
grand-père ? Viennent-ils de votre imaginaire ?
différents.
MM : L’esquisse de Jansen, oui. Mais tout ce qui
MM : Dès que l’on rencontre les deux personnages,
lui arrive vient de mon imagination.
on se rend compte qu’ils ne s’entendent pas. Mais qu’ils sont obligés de coopérer. Ils sont dans une
LFC : Dans ce roman, vos personnages sont
guerre psychologique où ils s’interrogent sur la
marqués par la guerre. Ils sont même
liberté. La liberté est conditionnelle. À tout moment,
traumatisés à vie.
elle peut s’arrêter.
MM : Au-delà de l’histoire de la Première Guerre
LFC : C’est un roman très fort au niveau de
mondiale, ce que je voulais faire, c’était raconter
l’atmosphère. Comment avez-vous travaillé cela ?
la guerre comme les Américains avaient raconté leur guerre du Vietnam. Je pense notamment aux
MM : Je me suis beaucoup documenté. J’avais
films Apocalypse Now ou Voyage au bout de
presque envie que l’on sente l’odeur de 1918. Je n’ai
l’enfer où les personnages sont traumatisés. Les
pas été jusqu’à écrire en vieux français, mais j’ai
personnages de mon livre sont brisés
saupoudré de mots justes pour que l’on en ait
de l’intérieur. C’est le silencieux et l’invisible du
l’ambiance. J’ai lu beaucoup de choses sur la
traumatisme de la guerre qui d’un seul coup les
manière dont la gendarmerie s’occupait des
emportent. Jansen, le lecteur ne le pensera pas
déserteurs et dont elle les traitait. J’ai lu des rapports
fou : il est plutôt élégant, aimable et doux
judiciaires, des manuels de civilité et de
jusqu’au moment où tout cela disparaît.
bienveillance. Je voulais savoir tout un tas de choses.
108
M I C H E L
M O A T T I
JE VOULAIS RACONTER L’ARRIÈRE-PLAN DE CETTE PÉRIODE. LES FAILLES, LES FÊLURES, LES FRACTURES QUE CETTE GUERRE POUVAIT SUSCITER CHEZ LES GENS. CETTE HISTOIRE FAIT PARTIE DE NOTRE MÉMOIRE COLLECTIVE. QUE L’ON AIT VINGT-CINQ ANS OU SOIXANTE ANS, NOUS SOMMES TOUS CONCERNÉS.
Comment les gens s’habillaient-ils pour le deuil ?
Mais ce titre n’était plus disponible. Avec le titre Les
Comment se comportaient-ils en société ? J’avais envie
retournants, je trouvais que cela l’évoquait aussi.
qu’il y ait ce sentiment de réalisme fort. LFC : Vous êtes l’heureux lauréat du Prix Polar Cognac LFC : Vous nous plongez dans une histoire
2017 pour le livre Tu n’auras pas peur. Qu’avez-vous
captivante. Cela fait écho à tous ces survivants de la
ressenti lorsque vous avez reçu ce prix ?
guerre qui sont marqués par cette période. MM : J’étais très ému et fier. Inscrire mon nom dans une MM : Je voulais raconter l’arrière-plan de cette période.
liste qui comporte des auteurs comme Bernard Minier ou
Les failles, les fêlures, les fractures que cetteSguerre ELINA
R IMichel C H A Bussi, R D S c’est un grand bonheur. D’ailleurs, lorsque
pouvait susciter chez les gens. Cette histoire fait partie
Bernard Minier a reçu son deuxième prix, il avait décidé
de notre mémoire collective. Que l’on ait vingt-cinq ans
d’ouvrir la bouteille de champagne qu’il lui avait été
ou soixante ans, nous sommes tous concernés.
offert, car il voulait que l’on trinque à sa victoire. L’an dernier, nous étions dix-huit nommés pour ce prix et j’ai
LFC : Les Retournants ont un lien direct avec ce qui
écrit à tous mes amis écrivains en leur disant que celui
se passe dans l’actualité aujourd’hui avec Daesh.
qui gagnerait devrait faire pareil que Bernard Minier en
Des gens partent. D’autres reviennent.
ouvrant sa bouteille de champagne. J’étais loin de penser que j’allais être le vainqueur. J’ai gagné et j’ai
MM : Ce n’était pas mon intention. Je n’ai vu
donc ouvert la bouteille. Contrairement à celle de
qu’après que l’on utilisait ce terme pour les gens qui
Bernard Minier où il en restait plus de la moitié. La
revenait du Djihad. Au départ, je voulais appeler ce livre
mienne, ils me l’ont sifflée ! (Rires) J’étais également très
Les revenants parce que c’est aussi une histoire de
heureux que mon éditrice Isabelle Chopin
fantôme, un peu surnaturelle.
m’accompagne dans cette aventure.
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LFC MAGAZINE
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#8
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AVRIL 2018
KARINE GIÉBEL PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Fin mars 2018, dans le quartier du Marais, nous avons rendez-vous avec la reine du thriller made in France : Karine Giébel. Séance photos, café et cigarettes, nous parlons de son nouveau page-turner d'une efficacité S E L I Nredoutable A R I C H A R D S"Toutes blessent, la dernière tue" (Belfond) qui enthousiasmera les lecteurs de la première heure, ceux qui ont aimé le thriller "Meurtres pour rédemption". Une nouveauté qui vous fera passer quelques nuits blanches. LFC : Karine Giebel, vous publiez ce mois-ci
demander pourquoi cette esclave ne s’enfuit
Toutes blessent, la dernière tue (Belfond).
pas alors qu’elle en a l’occasion. Je crois que
Notre première remarque concerne les
c’est aussi un livre sur le mécanisme de
personnages : en tant qu’auteur, vous
l’asservissement. Comment peut-on rendre
frappez fort. Ils souffrent vos personnages !
quelqu’un esclave ? C’est une situation que
(rires)
l’on ne choisit pas. Il y a des tas de mécanismes psychologiques où mon héroïne
KG : Je crois que la vie ne fait pas de cadeau
Tama va se dire qu’elle n’est rien d’autre
aux gens. Pour mes personnages, c’est la
qu’une esclave. Et que sa place est ici.
même chose. Ils affrontent tout ce qui se présente à eux avec leurs forces et leurs
LFC : Nous en sommes à plus de la moitié
faiblesses.
des sept cents pages, et pour le moment, nous avons le sentiment que c’est une anti-
LFC : Lors des premières pages de lecture, le
héroïne. Qu’en pensez-vous ?
lecteur peut être dans le jugement parce
112
qu’on se demande si les personnages
KG : Je trouve que Tama est une héroïne.
prennent les bonnes décisions. Mais comme
Évidemment, à la moitié du livre, on ne s’en
vous le dîtes, au fur et à mesure des pages,
rend pas encore compte. Mais sur l’ensemble
on comprend que la vie ne leur fait pas de
du livre, vous verrez qu’elle a tout d’une
cadeau.
héroïne.
KG : Absolument. Il y a un côté implacable.
LFC : Ce qu’il y a de passionnant dans la
Dans ce livre, c’est vrai que l’on peut se
lecture de votre livre, c’est que l’on ne sait
pas où l’on va. KG : Lorsque j’écris, je ne sais pas où je vais non plus. Dans ce livre, j’ai voulu traiter d’un thème en particulier. J’ai fait
SELINA
beaucoup de recherches sur ce thème.
Mais concernant mes personnages, c’est l’énergie de l’écriture qui me fait avancer. Tous les rebondissements du livre ne sont pas du tout prévus. Moimême, lorsque je suis à la page deux cent, je ne sais pas ce qui va se passer à
Absolument. Il y a un côté implacable. Dans ce livre, c’est vrai que l’on peut se demander pourquoi cette esclave ne s’enfuit pas alors qu’elle en a l’occasion. Je c’est aussi un livre R Icrois C H A R Dque S sur le mécanisme de l’asservissement. Comment peut-on rendre quelqu’un esclave ? C’est une situation que l’on ne choisit pas.
la page cinq cent. KG : J’avais déjà une idée sur le sujet. LFC : Vous ne saviez donc pas que
Mais au fur et à mesure de mes
vous alliez écrire autant.
recherches, j’ai été très étonné de voir ce qui se passait en France. On est plus ou
KG : Pas du tout.
moins au courant que cela existe dans les milieux diplomatiques et les beaux
LFC : La grande qualité de votre livre,
quartiers. Mais il faut savoir que cela
c’est qu’une fois qu’on le commence,
existe également dans les milieux
on ne peut plus le lâcher !
défavorisés. La présidente de l’organisme contre l’esclavage moderne m’a
KG : C’est une réaction de lecteur qui me
beaucoup aidé et m’a dit une phrase très
fait plaisir. Pour l’instant, je n’ai pas
intéressante : la misère exploite la misère.
beaucoup de retour de lecteurs. Mais les
Je voulais aussi que cela se sache.
quelques avis exprimés sont très enthousiastes et bouleversants. Ce que
LFC : Vous dîtes que c’est un sujet qui
je recherche dans l’écriture, c’est
vous touche depuis longtemps. À partir
l’émotion.
de quel moment avez-vous voulu écrire sur ce thème ?
LFC : L’esclavage est un problème que
113
l’on pensait résolu. Et pourtant, nous
KG : C’est quelque chose de très étrange.
avons du mal à se dire que c’est
Pour ce sujet, cela fait des années que j’y
encore présent, à côté de chez nous.
pense. Même si je ne peux pas vous dire
K A R I N E
G I É B E L
C’est quoi être esclave ? Je crois qu’il n’y a pas une seule façon de l’être. Être esclave ne signifie pas être menotté à un radiateur. Ce qui était intéressant, c’était de montrer que tout au long de ces expériences, mon héroïne va connaitre l’amitié, l’amour, la haine… Toutes sortes de sentiments qui ne sont pas seulement négatifs. Ce n’est pas un livre noir et désespérant.
pourquoi, il s’est imposé à moi maintenant. C’est impossible à expliquer. Je pense qu’il faut une certaine maturité avant d’écrire sur un thème comme celui-ci. Lorsque j’ai fait mon livre sur la prison, cela faisait longtemps que je voulais le faire. Il faut juste attendre le déclic. LFC : Les lecteurs qui ont aimé Meurtres pour rédemption
En tant que lectrice, je n’aime pas arrêter et faire un retour en arrière. J’essaye de proposer aux lecteurs des histoires simples. Même si cela demande énormément de travail. Ce qu’il faut, c’est que ce travail ne se voit pas. Je retravaille S E L I Nbeaucoup A R I C H A R D Sle style une fois que l’histoire est écrite.
devraient vraiment aimer celui-ci. Qu’en pensez-vous ?
LFC : Malgré sa situation, votre héroïne est quelqu’un de très optimiste.
KG : C’est certain. C’est un livre qui est dans la même veine. Toutes
KG : Il faut qu’elle le soit. C’est quelqu’un de très curieux, elle a
blessent, la dernière tue parle aussi
envie de savoir le monde, de le connaitre. Elle a conscience de
d’enfermement. Je crois qu’il y a
ne rien connaitre et elle a cette soif d’apprendre, de connaitre
beaucoup de points communs avec
les gens, de savoir comment le monde fonctionne.
Meurtres pour rédemption même si l’histoire est différente.
LFC : Votre livre est facile et agréable à lire. Signifie-t-il qu’il n’a pas été simple à écrire ?
LFC : C’est un enfermement différent parce que l’héroïne va
KG : C’est important que ce soit fluide. En tant que lectrice, je
passer d’un enfermement à un
n’aime pas arrêter et faire un retour en arrière. J’essaye de
autre.
proposer aux lecteurs des histoires simples. Même si cela demande énormément de travail. Ce qu’il faut, c’est que ce
KG : Oui, c’est vrai. Finalement, c’est
travail ne se voit pas. Je retravaille beaucoup le style une fois
aussi un livre qui pose la question :
que l’histoire est écrite.
C’est quoi être esclave ? Je crois qu’il n’y a pas une seule façon de l’être.
LFC : Votre écriture est très visuelle, très scénarisée.
Être esclave ne signifie pas être menotté à un radiateur. Ce qui était
KG : Lorsque j’écris, je vois. Avant que la phrase ne vienne, j’ai
intéressant, c’était de montrer que
une image.
tout au long de ces expériences, mon héroïne va connaitre l’amitié, l’amour,
LFC : Pour terminer, pouvez-vous nous parler de ce titre
la haine… Toutes sortes de
énigmatique : Toutes blessent, la dernière tue ?
sentiments qui ne sont pas seulement
115
négatifs. Ce n’est pas un livre noir et
KG : C’est un titre qui résume le livre. Il y a une explication que
désespérant.
vous allez découvrir dans le livre. Suspense !
K A R I N E
G I É B E L
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Musique NOS INVITÉS
Le retour du Secteur Ä Entretien inédit avec Pit Baccardi Et aussi... Pomme Romane Serda Lili Poe Margaux Simone
Charlotte & Magon Laura Clauzel Ok Coral Abi Lomby Haylen
Pit Baccardi nous annonce un retour festif du Secteur Ä Le Secteur Ä, c'est une histoire de famille avant d'être la success story musicale qu'on connaît. Printemps 2018 marque leur grand retour avec un best-of 3 CD et une tournée qui s'annonce festive avec le 22 mai Accorhotels Arena Paris et de nombreux Zénith dans toute la France. Entretien inédit avec Pit Baccardi. LFC : Pit Baccardi, comment est née l’envie de vous réunir de nouveau
LFC : Comment allez-vous
tous ensemble sur scène ?
vous organiser sur scène ?
PB : Au sein du Secteur Ä, nous sommes une famille dans le sens
PB : Nous allons chanter tous
artistique, mais également dans le sens littéral puisque certains sont
nos classiques, autant ceux
cousins, parrains… Cela fait sept ans que je vis maintenant au
qui ont marché
Cameroun. C’est là-bas que ma vie se passe maintenant. Je fais des
commercialement que ceux
évènements, de la production… Je suis très souvent au téléphone avec
que le public ont aimés. Ce
les gars du groupe pour prendre des nouvelles et l’idée trottait dans
sera un concept affaire de
nos têtes depuis un moment. Le plus simple et le moins contraignant,
famille. Ce ne sera pas un
c’était de remonter sur scène. Je ne faisais pas partie de la tournée de
concert où certains seront
L’âge d’or, mais c’est à ce moment-là que l’idée est devenue sérieuse.
isolés et où chacun chantera l’un après l’autre. Il y aura des
LFC : Quand pourra-t-on vous voir sur scène ?
duos, des trios… Cela va nous aider à faire des transitions
PB : Un best-of 3 CD du Secteur Ä va sortir le 20 avril prochain. La
logiques.
première date de la tournée aura lieu le 26 avril à Rennes et nous serons également à l’Accorhotels Arena Paris le 22 mai, au Dôme de
LFC : Quand vous parlez de ce
Marseille le 4 mai et dans plusieurs Zénith de France (voir dates p.122)
projet, le mot famille revient
LFC MAGAZINE #8 118
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS FIFOU DR
C’est la définition même du Secteur Ä. Avant d’être une affaire de business, c’est une affaire de famille. Et c’est cela qui nous permet de trouver le bon chemin lorsque nous avons des désaccords. On vit des instants intenses, en tant que famille. souvent.
PB : À l’époque - et c’est très paradoxal - le public venait du même horizon social que nous.
PB : C’est la définition même du Secteur Ä. Avant
Aujourd’hui, quand nous jouons nos concerts,
d’être une affaire de business, c’est une affaire de
nous constatons que ce sont les mêmes
famille. Et c’est cela qui nous permet de trouver le
personnes. Sauf qu’aujourd’hui, ils sont devenus
bon chemin lorsque nous avons des désaccords. On
cadres. Ils sont dans la vie active et certains ont
vit des instants intenses, en tant que famille.
des enfants. C’est une sensation spéciale.
LFC : Vous avez fait des morceaux qui ont marqué
LFC : Vous êtes aujourd’hui dans l’âge de
toute une génération. Comment l’expliquez-vous ?
l’expérience et de la maturité.
PB : On a réussi à faire quelque chose et c’est un
PB : Exactement. La maturité, on l’acquiert au fur
sentiment indescriptible. D’avoir inscrit des
et à mesure de nos différentes expériences. Ce
morceaux dans la mémoire des gens, c’est
sont des instants magiques de voir les enfants
inestimable. C’est une fierté. Ce sont des chansons
de nos fans qui découvrent et aiment nos
que nous avons écrites dans nos chambres et qui
chansons. C’est intergénérationnel.
sont encore d’actualité aujourd’hui. LFC : Le best-of du Secteur Ä sort au mois LFC : Nous pensons qu’avec cette tournée, vous
d’avril, est-ce que ce seront uniquement des
allez toucher une nouvelle génération.
titres que l’on connait ?
PB : C’est dans la même logique. Sans prétention
PB : Oui, uniquement des titres que nos fans
aucune, si l’on prend l’exemple de Michael Jackson,
connaissent.
lui aussi a touché plusieurs générations. Aujourd’hui, j’ai des nièces qui écoutent sa musique.
LFC : N’aviez-vous pas l’envie de faire de
Elles ressentent ses chansons comme nous les
nouveaux titres ensemble ?
avons ressenties.
PB : Si. Mais je pense que lorsque quelque chose
LFC : Est-ce une chance d’avoir un public familial ?
a été mythique, il faut le laisser ainsi. L’erreur
119 LFC MAGAZINE #8
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS FIFOU DR
Ce sont des instants magiques de voir les enfants de nos fans qui découvrent et aiment nos chansons. C’est intergénérationnel. parfois, c’est de faire un énième épisode de
doutes de retrouver son public. La peur,
quelque chose qui a déjà existé. C’est comme
vous l’avez quand vous commencez ce
si demain, on me dit qu’il y a un deuxième
métier. Sans rentrer dans une confiance
Scarface qui sort. Il n’y aura pas la même
excessive, nous sommes déjà en terrain
énergie, la même intensité. Si on doit faire un
conquis. Cependant, nous sommes
album plus tard, cela se fera naturellement. Il
conscients qu’il faut que l’on donne tout
ne faut pas forcer les choses. Il faut que ce
sur scène. Bien entendu, il y a la pression
soit une décision spontanée. Pour l’instant,
de bien faire.
nous nous concentrons sur la tournée. LFC : Quel regard portez-vous LFC : Qu’allez-vous nous proposer sur scène ?
aujourd’hui sur la scène urbaine ?
PB : Je ne peux malheureusement pas trop en
PB : Ce que je pense à titre personnel,
dévoiler. Ce que je garantis, c’est qu’au sein du
c’est que les nouveaux artistes
Secteur Ä, nous avons une chance par rapport
proposent des choses qui sont
à d’autres artistes, c’est d’avoir des chansons
consistantes depuis quelques années.
qui sont plus stars que nous. Le premier
Beaucoup de gens disent que le rap
objectif de cette tournée, c’est de faire vivre
français, c’était mieux avant. Je n’ai
ces chansons, de les faire sortir des
jamais été pour ce discours. Mais c’est
plateformes de streaming. La deuxième chose,
vrai qu’à un moment donné, il y avait des
c’est que ce sera une célébration, une grande
questions à se poser. Depuis deux ou
fête. C’est la première fois depuis 1998 que
trois ans, il se passe vraiment quelque
l’on va tous se retrouver sur scène. Toutes ces
chose. Mon frère Dosseh par exemple, je
énergies seront là. Tout est fait dans l’ordre
le place dans cette nouvelle génération
des choses.
talentueuse qui ont des textes de qualité. Il y a aussi Damso, VALD ou même Eddy
LFC : Avez-vous des appréhensions ? Des
de Pretto que j’aime beaucoup. Ce sont
doutes ? Des peurs ?
des artistes qui proposent des choses, c’est dans l’air du temps. Il se passe
PB : Non. Il ne peut pas y avoir de peurs ou de
121 LFC MAGAZINE #8
quelque chose en ce moment.
LA TOURNÉE Les dates. Sont-ils dans le coin ? Le Secteur Ä seront sur les routes de France en avril et en mai 2018. Soyez nombreux au rendez-vous !
26/04 RENNES LE LIBERTE 27/04 AMNEVILLE LE GALAXIE 02/05 LYON HALLE TONY GARNIER 03/05 TOULOUSE LE ZENITH 04/05 MARSEILLE LE DOME 18/05 BORDEAUX METROPOLE ARENA 19/05 NANTES LE ZENITH 22/05 PARIS ACCORHOTELS ARENA 26/05 ROUEN LE ZENITH 27/05 LILLE LE ZENITH
OK CORAL Auteur, compositeur, interprète, OK CORAL offre ici une mise à nu profonde pour ce nouvel EP, le plus personnel depuis ses débuts. Il nous dévoile pour le Printemps"L'Odyssée", le premier extrait, en attendant la sortie de l'EP en septembre 2018. Séance photos et entretien inédit.
LFC MAGAZINE #7 135
LFC MAGAZINE #8 124
LFC : Bonjour Jim, merci d’avoir accepté notre invitation. Tout d’abord,
LFC : Vous êtes seul. Mais peut-être
pouvez-vous nous expliquer votre nom de scène Ok Coral ?
plusieurs dans votre tête ? (Rires)
OC : Il n’y a pas d’explication particulière si ce n’est que j’aimais beaucoup
OC : C’est quelque chose dont j’avais
le film et que je ne voulais pas un nom de scène du genre Jim et sa guitare.
besoin. Je ne pouvais pas m’appeler
Je trouvais que ce nom sonnait bien. C’est également un hommage au fait
Jim. Ce n’était pas possible. Il me
que j’ai toujours fait partie d’un groupe.
fallait un nom qui me permette de sortir de ma vie réelle.
LFC : Sur scène, êtes-vous seul ? LFC : Un troisième EP qui arrive en OC : Nous sommes plusieurs sur scène, mais je suis le seul membre de Ok
septembre. Où en êtes-vous dans le
Coral.
processus de création ?
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
J’ai beaucoup de mal à mettre le dernier coup de pinceau, car je suis très perfectionniste et que je retouche beaucoup. Mais ce sera prêt dans les temps, en septembre ! OC : J’ai beaucoup de mal à mettre le dernier
pour tous ceux qui ont le désir d’entreprendre.
coup de pinceau, car je suis très perfectionniste et que je retouche beaucoup. Mais ce sera prêt
LFC : Pourquoi avez-vous décidé de chanter en
dans les temps !
anglais ?
LFC : Comme c’est la première fois que nous
OC : Tout simplement parce que mes influences
nous rencontrons, pouvez-vous revenir sur vos
sont quasiment toutes anglo-saxonnes. Ce qui
EP précédents ?
m’intéresse dans les chansons, ce sont le format pop. C’est extrêmement dur de faire sonner les
OC : Mon premier EP, je le vois comme un galop
mots en français.
d’essai. C’est la première fois que je faisais un disque, et ce, de manière très artisanale. C’est
LFC : Quelle est votre définition de la pop ?
une période où je cherchais un peu mon identité et venant de Mulhouse, ce n’était pas évident. Là-
OC : C’est le fait de tout synthétiser. Quatre
bas, tout est un peu indépendant et hardcore.
phrases en deviennent une. C’est quelque chose
Dans le deuxième EP, je suis plus rentré dans ce
de simple, mais pas simpliste, d'intéressant et de
que je voulais faire. C’est un projet plus électro.
minimaliste.
J’ai fait un duo avec Lisa Spada et cela a été comme un tournant pour moi. Je voulais que ce
LFC : Pouvez-vous nous parler du clip ?
soit plus dansant et plus entertainment. OC : Oui, uniquement avec des gens proches. La LFC : Le troisième EP s’appelle L’odyssée, un titre
chose amusante, c’est que ce clip a été réalisé
français fort de sens.
entièrement à l’iPhone par François Bigrat, l’un de mes meilleurs amis.
OC : Je ne saurais pas trop comment l’expliquer, je préfère laisser fonctionner l’imaginaire des
LFC : On remarque que vous avez une envie de
auditeurs. Quand j’ai écrit ce morceau - au-delà
créer, de partager, mais aussi une envie de ne pas
de la forme qui était très importante - je voulais
tout donner en même temps…
que ce soit ésotérique. C’est l’histoire d’un Mulhousien qui part de sa région et qui essaye de
OC : C’est juste. Il y a eu cette idée de ne mettre
réussir quelque chose. Cette chanson est faite
aucun visage sur la pochette du premier EP, et
125 LFC MAGAZINE #8
dans le deuxième de mettre un visage caché. C’est
sur la dureté et la violence d’une grande ville. Il y a toujours un
vraiment quelque chose d’impudique, comme le fait de
certain vertige et c’est pareil à New York ou à Los Angeles. On
chanter en français.
rencontre tout le temps plein de gens, il y a tout le temps de la vie. Mais la contradiction, c’est que parfois, on se sent très
LFC : C’est-à-dire…
seul.
OC : En France, il y a une sorte de pression sur les
LFC : Vous êtes auteur, compositeur, producteur… Vous faites
textes. Je remarque cela dans les interviews à la
tout !
télévision. C’est l’un des rares pays où le chroniqueur peut lire votre texte sans écouter la musique et vous dire
OC : Je crois que je fais tout moi-même, car j’ai une frustration
que c’est léger. Ce n’est pas du tout ma philosophie.
du groupe. La démocratie dans la musique m’ennuie. Il y a tout
Parfois, j’ai l’impression qu’il faut d’abord être écrivain
le temps des brainstormings sur tout et n’importe quoi. Je
avant de faire de la chanson. La chanson française, c’est
pense que dans un projet, il faut une idée directrice. Mais être
un texte que l’on met en musique, alors que moi, c’est
seul représente aussi des désavantages. Je n’ai pas de recul
complètement l’inverse. C’est une chose que les Anglais
sur ce que je fais. J’ai quelques personnes de confiance sur
arrivent parfaitement à faire. Ils sont décomplexés.
qui je peux compter. Mais c’est très frustrant, car je jette 95% de ce que je fais.
LFC : Quelles sont vos inspirations en France ? LFC : Il faut beaucoup produire pour avoir un petit miracle à un OC : J’écoutais très peu d’artistes français auparavant.
moment donné. Qu’en pensez-vous ?
Je m’y mets un peu plus aujourd’hui. J’apprécie beaucoup Étienne Daho par exemple. Il y a une certaine
OC : Pour moi, il faut que cela se passe de cette manière. C’est
élégance dans ses textes et dans ses arrangements.
uniquement une question de hasard et lorsque l’on force le
Christine and the Queens a réalisé quelque chose que je
hasard, on peut obtenir ce que l’on veut. C’est aussi une
n’avais jamais entendu auparavant. Ce sont des artistes
question de patience. À chaque fois que je termine un
qui utilisent des mots qui sonnent. Si les mots sont
morceau, j’ai l’impression que je n’en ferai plus.
mariés à la musique, cela a encore plus de sens. Ces artistes m’ont permis de franchir le pas de la langue
LFC : De quoi sera composé votre EP prévu en septembre ?
française. OC : Il y aura cinq titres. Trois en anglais et deux en français. LFC : C’est une certaine forme de liberté ? Comme un
Ce sera un disque plus cinématique et dramatique que le
film ou un livre.
précédent. Je vais essayer de le défendre au mieux sur scène.
OC : Exactement. Si l’on prend l’exemple du film Drive, un
LFC : Vous sentez-vous privilégié de faire de la musique ?
film très pop, le scénario fait deux phrases. Il y a une partie des gens qui vont s’ennuyer et l’autre partie des
OC : Complètement. C’est ce que j’ai toujours voulu même s’il
gens qui vont s’évader complètement. Dans cet
faut faire avec les ups et les downs. Parfois lorsque j’ai des
EP, j’avais également quelque chose en tête. Depuis un
downs, je me demande pourquoi je fais ce métier, tellement
moment, c’était l’idée de parler de Paris et des grandes
c’est dur. C’est la création qui m’intéresse au-delà de tout.
villes en général. Je pourrais faire quinze albums sur
L’odyssée, c’est un peu cela, on ne sait pas pourquoi on le fait,
cette ville fascinante. C’était l’occasion de faire un bilan
mais on y va à fond.
Pomme
Mars 2018, nous avons une heure de rendezvous avec Pomme, dans le Marais, à Paris. Séance photos, bavardage dans un café parisien autour d'un Perrier. L'instant idéal pour parler de son disque "À peu près", de ses envies et de ses prochaines dates sur scène dont le 20 juin à La Cigale. Rencontre rafraichissante et inédite ! LFC MAGAZINE #8 129
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS PATRICE NORMAND LEEXTRA
Je n’ai pas eu la sensation d’être un bébé star du jour au lendemain. Il y a quelque chose que je trouve sain dans ma progression. LFC : Pomme, vous êtes une artiste très jeune,
semaines et il est en vente. Ce n’est pas le cas.
vous avez seulement vingt et un ans. Nous nous
J’ai signé chez Polydor en 2015 et j’ai sorti un
rencontrons aujourd’hui pour parler de votre
premier EP dans la foulée, que j’ai beaucoup fait
premier album "À peu près" qui contient treize
vivre sur scène. Mon premier album a été un
titres. Tout d’abord, pouvez-vous nous raconter
long processus de création. Mais tout cela s’est
vos débuts dans la musique ?
fait de façon naturelle. Je n’ai pas eu la sensation d’être un bébé star du jour au
P : J’ai suivi un cursus de solfège classique
lendemain. Il y a quelque chose que je trouve
comme pas mal de gens. Ce n’est pas quelque
sain dans ma progression.
chose de très alléchant parce qu’il y a beaucoup de théorie. Et lorsque l’on a une dizaine d’années,
LFC : Votre parcours est à l’inverse du monde
ce n’est pas forcément évident. Mais j’ai repris il y
dans lequel on vit où tout va très vite. C’est un
a quelques mois, de ma propre initiative. Car je
chemin progressif.
suis consciente que c’est nécessaire. J’ai besoin de cela pour composer et créer ma musique. J’ai
P : Très progressif. J’ai beaucoup changé entre
également fait du violoncelle pendant dix ans.
mes dix-sept ans et mes vingt ans. Je ne suis
C’est un instrument qui demande beaucoup de
plus la même personne. Même aujourd’hui, j’ai
rigueur. Il faut y consacrer du temps chaque jour.
l’impression de grandir chaque jour.
Et c’est quelque chose que je n’ai pas malheureusement.
LFC : Nous avons lu que ce premier album, vous l’assumez complètement.
LFC : Le disque est sorti à la fin de l’année 2017. Pouvez-vous nous raconter votre parcours
P : L’an dernier n’a pas été une année très
jusqu’à signer chez Universal et sortir ce premier
agréable pour moi, car je me mettais beaucoup
projet ? C’est une chance inouïe.
de pression. J’avais toujours l’impression de ne pas avoir assez temps. Il y a quelque chose de
P : Cela fait déjà trois ans que je suis chez
primordial dans ce métier, c’est qu’il faut
Universal, ce qui signifie que nous avons pris
toujours savoir où l’on va, sinon c’est la
notre temps pour sortir ce projet. Certaines
panique. Il faut être très précis, car il y a
personnes pensent parfois que vous signez dans
beaucoup de gens autour de vous. Au début, je
un label. Vous enregistrez votre disque en deux
voulais quelque chose d’assez acoustique et
131 LFC MAGAZINE #8
Je souhaite écrire entièrement mon deuxième album. Beaucoup de gens donnent leurs avis, mais il ne faut pas perdre de vue ce que je souhaite dire. POMME finalement nous avons poussé la chose un
obligée d’accepter. J’avais toutes mes
peu plus loin. On devient un peu fou à force.
preuves à faire. Cette expérience m’a un
On se pose beaucoup de questions. C’est
peu enlevé cette confiance que j’avais -
pour cela que récemment, j’ai décidé de me
surtout que j’interprétais des chansons
désintéresser de certains avis que je peux
écrites par des gens qui avaient plus de
entendre autour de moi. Cela dénature votre
trente ans. Cela a été un peu déstabilisant.
identité.
J’ai mis du temps à reprendre confiance en mon écriture. En effet, c’était important
LFC : Assumez-vous ce disque à l’instant T où
pour moi pour me recentrer avec cet album.
vous l’avez fait ?
Il est très représentatif de mon adolescence.
P : Oui tout à fait. Même s’il y a eu du changement pendant la création, il faut
LFC : Certains journalistes n’ont pas
l’accepter et c’est normal. À 98%, je suis
forcément été tendres avec vos paroliers.
contente de ce que j’ai fait.
Ils vous ont même complimentés sur vos textes. Cela vous a-t-il donné davantage
LFC : Nous ne sommes pas de la même
confiance en vous ?
génération, mais votre force, c’est de toucher des publics différents. Qu’en pensez-vous ?
P : Complètement. Pendant trois ans, on m’a dit que je ne savais pas trop écrire. On
P: C’est vrai que ce n’est pas principalement
m’a dit qu’il fallait que je me diversifie en
des adolescents qui écoutent ma musique,
travaillant avec d’autres auteurs. C’est ce
même s’il y en a. Le premier EP que j’ai sorti
que j’ai fait tout en écrivant quand même
était plus facile d’accès et plus direct, c’est
quelques titres. Et en effet, quand le projet
pour cela que des enfants pouvaient s’y
est sorti, j’ai remarqué dans la presse que
identifier. Les textes que j’ai écrits dans cet
les journalistes parlaient en bien de mes
album sont des textes d’adultes. Ce ne sont
chansons. C’est pour cela que je souhaite
pas des histoires d’enfants.
écrire entièrement mon deuxième album. Beaucoup de gens donnent leurs avis, mais
LFC : Vous avez participé à l’écriture de ce
il ne faut pas perdre de vue ce que je
disque sur quelques titres. Pourquoi avez-
souhaite dire.
vous souhaité participer à l’écriture de certaines chansons ?
LFC : Comment définiriez-vous cet album ?
P : Au début, on ne m’a pas forcément incité à
P : Je dirais que cet album est plutôt
écrire. On m’a dit que j’allais interpréter des
organique et intense dans les sonorités. Il
chansons. Comme j’avais dix-huit, j’étais
est très représentatif de l’état dans lequel
j’étais pendant trois ans. On tâtonne le
LFC : On a le sentiment en vous écoutant depuis le début
terrain. Certaines chansons sont
de l’interview qu’il y a un fort désir de vérité et de sincérité.
diamétralement opposées, mais je l’assume complètement, car c’est ce que
P : Je ne sais pas pourquoi. Mais j’ai à cœur de rester moi-
j’ai vécu. C’est surtout un album qui me
même. Il y a peu de gens qui arrivent à le faire. Je me sens
permet de viser plus juste et de rebondir au
tellement bien lorsque je le suis. Ne pas se soucier de
fur et à mesure que le temps passe. Je sais
l’avis des autres, c’est mon but. Il faut faire vivre la
de quoi j’ai envie.
création. Je n’utilise pas non plus de personnage sur scène. Je veux être sincère avec le public.
LFC : Vous êtes régulièrement sur scène : des dates de concerts en mars, en avril et
LFC : Vous n’utilisez pas de personnages, mais il y a une
après sont programmées. Comment vivez-
certaine esthétique sur l’image que vous donnez et cela
vous cette aventure scénique ?
correspond à ce que l’on entend.
P : Cela donne une autre vie au projet. Je
P : Le graphisme et les visuels sont importants. J’aime y
préfère mille fois être sur scène qu’en
inclure des choses étranges et mystérieuses, cela
studio. Sur scène, je suis libre de faire ce
m’amuse. Peut-être que j’ai l’air lugubre, car je parle de la
que je veux. Le fait de faire un guitare voix
mort et du temps qui passe, mais c’est aussi très vivant. Si
sans arrangements, sans rien du tout, ce
je parle de la mort, c’est simplement parce que j’essaye de
n’est que du bonheur.
l’apprivoiser. La mort donne du sens à tout, même s’il y a un côté angoissant. La pochette de l’album a d’ailleurs
LFC : Pourquoi êtes-vous tant attachée à
dérangé certaines personnes.
l’acoustique ? LFC : Pourtant il y a un côté très vivant. P : C’est l’honnêteté absolue. Jouer avec d’autres musiciens, c’est une expérience
P : Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel se trouvent
enrichissante, mais je n’ai pas la liberté que
les gens. La mort donne un sens à la vie, c’est comme cela
j’ai lorsque je suis seule. Je n’arrive pas à
qu’il faut le voir. Si on ne mourait pas à la fin, tout ce que
gérer quelqu’un d’autre que moi sur scène.
l’on ferait n’aurait aucun sens.
LFC : Il y a aussi une plus grosse prise de
LFC : Quelle relation entretenez-vous avec votre public ?
risques en étant seule. En êtes-vous consciente ?
P : J’adore les gens. Je vais jouer à la Cigale le 20 juin et rien que de penser que 900 personnes vont venir me voir,
P : Complètement. Et le public en est
j’ai envie de pleurer. Je trouve cela merveilleux que ma
conscient aussi. Ils remarquent que je suis
musique puisse toucher les gens. C’est pour cela que je
quelqu’un d’honnête et que je ne triche pas.
fais ce métier.
134 LFC MAGAZINE #8
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Margaux Simone L'INTERVIEW
Margaux Simone Le grand retour de Margaux Simone se manifeste avec un nouvel EP Platine de cinq titres aux sonorités pop glamour voire électro. Bikini Queen Icon est son nouveau clip qui rencontre un franc succès sur Youtube, réalisé par Joseph d'Anvers. Rencontre à Paris avec l'artiste pour un entretien inédit.
LFC MAGAZINE #8 136
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS DR
J’ai toujours voulu faire de la musique et cela a été plutôt une épreuve que de chercher à faire autre chose, de devoir gagner sa vie… LFC : Margaux Simone, pouvez-vous nous
souhaitiez être chanteuse ?
raconter vos débuts dans la musique ? MS : Oui. Même lorsque j’étais à l’université, je MS : J’ai commencé très jeune. J’avais la
savais que les études ce n’était pas pour moi.
chance d’avoir un père musicien et j’ai tout de
Cependant, j’appréciais beaucoup la littérature,
suite été éveillée musicalement. Je suis par la
l’anglais, l’histoire américaine forcément,
suite rentrée au conservatoire pour faire huit
puisqu’on y parlait de musique et de cinéma.
ans d’alto. Mais au fur et à mesure, je sentais
Cela était passionnant, mais je ne me sentais
que la musique classique n’était pas le genre
pas à ma place. Les gens étaient là, car ils
musical qui m’intéressait le plus. J’ai
voulaient faire un métier en particulier. Pas
commencé à écrire des poèmes vers dix ou
moi.
onze ans. Je jouais aussi de la guitare. Je voulais faire comme les chanteuses que
LFC : Vouliez-vous rassurer vos parents ?
j’admirais. Ce n’était pas très bien dessiné dans ma tête. Mais avec le temps, ce projet s’est
MS : Non, j’avais simplement envie d’apprendre
développé de manière naturelle. Je n’avais pas
des choses. Pour écrire des chansons, il faut
de Plan B ! (Rires)
avoir de la matière, il faut rencontrer des gens. En tant que femme, je ne voulais pas laisser de
LFC : Vous faites allusion à la phrase de
portes ouvertes aux clichés, je voulais m’armer.
Christine Angot dans l’émission On n’est pas couché.
LFC : À quel moment votre carrière a-t-elle pris un tournant ? Après l’album produit avec My
MS : Je suis le contre-exemple. J’ai toujours
Major Company ?
voulu faire de la musique et cela a été plutôt une épreuve que de chercher à faire autre
MS : J’ai vraiment commencé à enregistrer mes
chose, de devoir gagner sa vie… C’est une
chansons lorsque j’avais quinze ans. Quand j’ai
question assez flippante lorsque vous êtes
eu dix-sept ans, c’est à ce moment-là que j’ai
adolescente.
signé avec My Major Company et que les choses sont devenues sérieuses. Mon premier
LFC : Vous saviez dès le départ que vous
137 LFC MAGAZINE #8
album est sorti lorsque j’ai eu vingt ans.
On ne se débarrasse pas de la musique une fois qu’on y a goûté. MARGAUX SIMONE LFC : Que retenez-vous de cette première
artiste est parsemé d’embuche et que tout n’est pas
expérience ?
facile. À quoi vous raccrochez-vous lorsque c’est difficile ?
MS : Il y a eu du bien et du moins bien. Je suis heureuse d’avoir fait ce disque et
MS : Il y a des moments difficiles, c’est vrai. Mais un
d’avoir fédéré des gens qui me suivent
jour, il y a quelque chose qui se passe. C’est comme
depuis cette période. Je pense que c’est
de la magie. Vous vous remettez à croire en vos
bien de l’avoir fait jeune également, d’avoir
rêves et c’est reparti. On ne se débarrasse pas de la
fait des erreurs que je ne referai plus
musique une fois qu’on y a goûté.
aujourd’hui. Bien sûr, j’ai l’impression que l’on peut toujours faire mieux. Mais le plus
LFC : Après ce premier album, il y a eu la sortie d’un
important, c’était de sortir ce projet. Il y a de
autre EP.
belles choses qui se sont passées et je ne regrette rien.
MS : Exactement. Je l’ai fait lorsque je suis sorti de My Major Company. J’avais eu le sentiment d’avoir
LFC : Cette expérience vous a permis de
fait un premier disque dont j’étais très fière. Mais je
vous rendre compte que le parcours d’une
sentais que j’étais aux prémices de ce que je
Si je devais définir cet album, je dirais que c’est de la pop atmosphérique : c’est un mélange de hip-hop, de rétro-chill, c’est très climatique. Il y a des ambiances à la London Grammar. voulais vraiment. Avec cet EP, il
LFC : Avez-vous fait des rencontres sur ce projet ?
fallait que je m’investisse plus dans les arrangements, que je
MS : C’est la première fois que j’ai eu envie de
sois vraiment au centre. Je me
travailler avec d’autres gens sur ce disque. J’ai
suis orientée vers un chemin un
fait de très belles rencontres. Joseph d’Anvers
peu plus rock en étant
tout d’abord, que j’ai été voir en lui disant que je
complètement indépendante.
voulais absolument travailler avec lui. Nous avons fait pas mal de chansons. J’ai conservé la
LFC : Et aujourd’hui, un
chanson Casino sur l’album. J’ai rencontré
nouveau projet voit le jour.
également François Welgryn qui a joué un vrai rôle d’éditeur sur ce disque. Il m’a beaucoup aidé. Ce
MS : Avec cet album, je sentais
projet c’est un vrai travail d’équipe.
qu’il fallait que j’aille encore plus loin, que j’utilise un
LFC : Nous aimons beaucoup votre visuel, très
personnage qui soit inspiré de
coloré, très pop. Tout comme l’album.
moi-même, mais aussi de personnages de livres ou de
MS : Je suis très contente de ce visuel. J’aime le
gens que je rencontre. Il fallait
pop/art et on me dit souvent que j’ai l’air d’une
que j’incarne ce personnage
poupée de cire. On se demande si je suis vraiment
pour que cela se ressente dans
réelle. Je voulais prendre tous les clichés de la
ma musique. La première
blonde et de la femme et qu’on se dise en
chose que j’ai faite, c’est aller
regardant la pochette que c’est une poupée Barbie
chez le coiffeur pour changer
peroxydée. Et en écoutant l’album, je voulais
radicalement de coupe de
prendre le contre-pied. Si je devais définir cet
cheveux. Je voulais tourner une
album, je dirais que c’est de la pop atmosphérique
page. Les cheveux sont très
: c’est un mélange de hip-hop, de rétro-chill, c’est
symboliques dans toutes les
très climatique. Il y a des ambiances à la London
cultures du monde.
Grammar.
140 LFC MAGAZINE #8
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Romane Serda L ' I N T E R V I E W
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS © ARNAUD MEYER LEEXTRA
Romane Serda nous a reçu en toute simplicité dans un hôtel parisien pour une séance photos et nous parler de son nouveau disque Pour te plaire qui nous a convaincu. Entretien inédit. LFC : Nous nous rencontrons pour parler de votre
de 2011. Sur celui-ci, j’ai pris mon temps. Je me suis
nouvel album Pour te plaire qui est également le titre
occupé de mon fils en vivant à son rythme. C’est une
du single. Pour quelles raisons avez-vous choisi ce
grande chance d’avoir pu le faire. Je suis mon propre
titre ?
patron. Et cette chance, je la savoure tous les jours.
RS : J’ai hésité avec le titre En l’air, qui est le
LFC : Pour te plaire est une chanson qui parle d’amour.
deuxième single. Mais comme je ne voulais pas qu’il y ait de connotations négatives avec ce titre, j’ai
RS : Oui. Tout est question de ne pas se perdre dans
décidé en toute logique de l’appeler Pour te plaire.
une histoire d’amour. J’ai eu tendance à beaucoup le
Ce qui représente bien l’album.
faire. Et aujourd’hui, je me rends compte que je me suis beaucoup trompée. On perd du temps. Mais c’est
LFC : Vous adressez-vous directement au public en
comme cela que l’on se construit.
le tutoyant ? LFC : Nous aimons beaucoup dans l’album le morceau RS : C'est plus global que cela. Il y a un côté assez
Choisir c’est renoncer. Pouvez-vous nous en parler ?
universel dans ce titre. J’ai envie que mes chansons soient interprétées de cette manière. C’est comme
RS : C’est l’histoire de ma vie. Au bout d’un moment, on
cela que je ressens la musique. J’ai besoin que les
arrête de vouloir tout tout de suite et tout le temps. Il
paroles tapent là où cela fait mal lorsque j’écoute de
faut faire des choix. Il faut se faire confiance, savoir
la musique. Quand quelqu’un arrive à mettre des
écouter sa petite voix intérieure. Nous ne sommes pas
mots sur des émotions, c’est une sensation
toujours disposés à cela avec les nombreuses
formidable.
préoccupations que nous avons. On est sans cesse dans une sorte d’affolement par rapport aux choix que
LFC : Vous avez travaillé de A à Z sur ce titre :
nous devons faire. Il faut prendre le temps de se
écriture, réalisation, production… C’est un énorme
reconnecter de temps en temps à son étoile. C’est
boulot !
parfois difficile. Mais le fait d’en prendre conscience, c’est déjà très bien.
RS : En effet, et c’est pour cela que j’ai pris beaucoup de temps à le faire. Le précédent datait
142 LFC MAGAZINE #8
LFC : Vous l’exprimez très bien dans cette chanson.
RS : Ce n’est pas évident de dire ce que l’on a
RS : Effectivement. Rien n’est laissé au hasard. J’ai pris du recul. J’ai
sur le cœur en trois minutes. J’ai écrit de
laissé des chansons de côté qui n’étaient pas dans le contexte, qui
nombreuses pages sur cette chanson. Et cela
avaient des sonorités différentes, qui ne correspondaient pas avec le
a été très dur de condenser et d’assembler
reste. Je n’ai pas hésité à recommencer. Comme je vous l’ai dit, j’ai pris
ensuite. Choisir, c’est toute ma vie.
mon temps. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de mal à finir l’album à cause de cela. (Rires). Je savais exactement ce que je voulais. Et je
LFC : Vous vous posez une belle question
voulais arriver à ce résultat.
dans une de vos chansons : où vont les amours ? Comment est née cette chanson ?
LFC : Musicalement, comment définiriez-vous cet album ?
RS : C’est la seule chanson que je n’ai pas
RS : Si je devais résumer en un mot, ce serait la sincérité. L’album est
écrite dans l’album. C’est Guillaume Soulan,
intime et il y a une certaine vérité qui s’en dégage dans le sens où tout
un de mes amis, qui est compositeur et
est personnel, même si ce sont des situations que l’on peut tous vivre.
guitariste sur l’album qui me l’a fait écouter.
J’ajouterais que l’album est léger musicalement. Ce qui contre-balance
Et j’ai tout de suite adoré. J’aimais l’énergie
avec les textes.
de cette chanson. Ce qu’elle dit. Et où elle m’emmenait.
LFC : Avez-vous des envies de scène ?
LFC : Pouvez-vous nous parler du clip Pour te
RS : Absolument. J’espère faire une scène en avril et ensuite enchaîner
plaire ? Quels souvenirs en gardez-vous ?
avec d’autres dates. J’en ai très envie.
RS : Un très beau souvenir. Je voulais
LFC : Quelle ambiance imaginez-vous ?
quelque chose de fun, de pop et de drôle. C’est un clip qui ne se prend pas au sérieux.
RS : Sur la tournée précédente, il y avait seulement une guitare et une
On a tourné chez moi sur un fond vert avec un
basse. Mais je crois que sur cette tournée, j’ai envie d’une batterie, de
petit tapis roulant. C’était toute une
percussions et de plusieurs musiciens. Il y a plus de rythme dans cet
gymnastique parce qu’il fallait que je chante
album. J’ai envie que ce soit plus musical et moins intime. Parfois, on
en regardant la caméra d’un côté et que
s’ennuie un peu lorsque c’est trop intime…
je marche de l’autre. C’était très drôle. Et je suis très contente du résultat final.
LFC : Boris Bergman fait partie de l’album. Est-ce une grande joie ?
LFC : Nous n’avons pas eu l’opportunité
RS : Oui. Le grand Boris. Il était déjà là sur les albums précédents. C’est
d’écouter vos précédents projets. Nous vous
quelqu’un qui a le sens du rythme dans son écriture. Ce qui n’est pas
découvrons avec cet album qui est très beau,
donné à tout le monde. Cela a l’air inné chez lui. C’est un chouette
avec des textes travaillés et très touchants.
personnage.
L’esthétique n’est pas laissée au hasard. Nous avons le sentiment que cet un album
LFC : Pour quelles raisons nos lecteurs devraient-ils écouter cet album ?
est très abouti. Que pensez-vous de cette remarque ?
143 LFC MAGAZINE #8
RS : Ce disque est là pour les émouvoir, pour les toucher en plein cœur.
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
L ' I N T E R V I E W
AVRIL 2018
INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig
DAARA J FAMILY FAADA FREDDY & NDONGO D
PHOTOS EXCLUSIVES
L'ENTRETIEN DE LA COVER
pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Céline Nieszawer
Mars 2018, Le Marais à Paris, nous avons rendez-vous avec Daara J Family, un des groupes phares de la scène hip-hop d'Afrique de l'Ouest. 20 ans de carrière, formé au milieu des années 90 au lycée, le groupe sort 6 albums dont "Boomerang" en 2003 qui sera consacré "Best African Act Award" par la BBC. Aujourd'hui, ils travaillent sur un nouvel album et nous offre un premier single "Oyé". Séance photos pour LFC Magazine et entretien inédit avec les deux membres du groupe Daara J Family. Rencontre.
LFC : Vous avez déjà vingt ans de carrière. Comme c’est notre premier rendez-vous, pouvez-vous nous dire comment vous êtes arrivés dans le milieu de la musique et comment vous faites pour vous supporter depuis plus de vingt ans ? (Rires) Faada Freddy : (Rires)… Depuis le début, nous travaillons ensemble avec N'Dongo. Et j’ai énormément de plaisir à partager la scène avec lui. Durant les trois dernières années, j’ai beaucoup tourné en solo. Mais je sais d’où je viens et je n’oublie pas notre groupe Daara J. Family. Ce groupe, c’est l’école de la vie. Et c’est aussi une manière de me ressourcer. Nous avons commencé à l’époque où le hip-hop était marginal. Puis, nous l’avons vu se développer et devenir un genre avec des valeurs ainsi qu’avec une force politique. Nous en avons été témoins et acteurs. Aujourd’hui, nous défendons l’éducation avec le divertissement. C’est quelque chose d’important pour nous. Le hip-hop est notre mission et nous nous devons de faire passer un message. Au-delà de l’aspect du divertissement et du folklore de ce genre musical, ce message doit servir à quelque chose. À travers notre LFC MAGAZINE #8 | 146
musique, nous essayons de replacer l’humain au centre d’un monde où la technologie a pris possession de nos vies. Ndongo D : Pour ceux qui ne nous connaissent pas, nous venons du Sénégal. C’est un pays francophone qui a connu un gros mouvement urbain au début des années quatre-vingt. Et nous sommes fiers d’en être les pionniers. Quand on parle du Sénégal, les gens s’identifient aux musiques traditionnelles, mais il y a aussi la musique urbaine. Nous avons commencé par faire des groupes de danse, puis des vidéos… Nous avons touché à tout. Puis, à un moment donné, nous avons pris le micro, car comme l’a dit Faada, il fallait faire passer un message. Nous avons eu la chance de signer notre premier contrat en maison de disque en 1994. Nous avons commencé à tourner dans des petits clubs. Puis en 1997 est sorti notre premier album Daara J en 1999 notre deuxième projet Xalima et en 2003 Boomerang, qui nous a ouvert les portes de l’international. Nous sommes partis en tournée au Japon, en Inde, en Nouvelle-Zélande et dans toute l’Europe. En 2010, nous avons sorti un nouvel album School of life qui a été disque d’or en Afrique et nommé meilleur album de l’année par RFI. Entre 2010 et aujourd’hui, nous avons multiplié les projets et nous préparons un nouvel album qui devrait sortir cette année.
LFC : Faada, vivre une carrière en solo vous a-t-elle permis de prendre un peu de recul pour mieux revenir ? FF : Tout à fait. Il y avait déjà eu des propositions pour faire des albums solos, notamment aux États-Unis, mais j’avais refusé. Ndongo m’a un jour parlé d’un producteur qui avait produit Ayo et qui s’intéressait à moi. Mais je n’étais toujours pas tenté. Je préférais me consacrer au groupe. Mais après avoir bien réfléchi, nous n’avions plus rien à prouver aux gens. Nous avions gagné la confiance du public. Et je me suis dit que c’était peut-être le moment pour faire un break. LFC : Ndongo, vous avez eu une belle réaction en laissant votre partenaire voler de ses propres ailes. Ndongo D : Comme Faada le disait, cela s’est fait naturellement. Vous savez, nous passons plus de temps ensemble qu’avec nos familles. Quand ce producteur a été intéressé pour réaliser un projet solo avec Faada, je l’ai tout de suite encouragé. Je sais qu’il a un potentiel énorme. Et qu’il avait besoin de sortir du groupe pour que les gens voient à quel point il était talentueux. Lorsque le projet est sorti, les gens étaient surpris de voir que c’était un membre de Daara J. qui faisait ce projet. De plus, ce projet était assez osé, car c’était un projet a cappella. Je suis vraiment heureux qu’il l’ait fait.
LFC MAGAZINE #8 | 148
Lorsque le projet est sorti, les gens étaient surpris de voir que c’était un membre de Daara J. qui faisait ce projet. De plus, ce projet était assez osé, car c’était un projet a cappella. Je suis vraiment heureux qu’il l’ait fait. Ndongo D à propos de l'album solo de Faada Freddy LFC : Et vous Ndongo D, avez-vous une envie de faire quelque chose en solo ? FF : Il a un projet et je l’encourage à mon tour à le faire ! (Rires) C’est un projet qui va rassembler toutes les grandes couches ethniques du hip-hop. Historiquement, c’est quelque chose qui va marquer, car il est allé puiser dans les racines qui sont en train de mourir. C’est un peu comme s’il sauvait une musique en perdition. Son projet est très intéressant. Et j’ai été ravi d’y participer. Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Ndongo D : J’ai fait beaucoup de recherches sur ce projet, notamment sur un penseur qui s’appelait Kothie Barma. Tout ce projet est fait autour de ce personnage et c’est pour cela que je l’ai appelé La voix de Kothie Barma. Il était très influent de par son vocabulaire. Aujourd’hui, cela se perd. Les jeunes n’en ont plus. Il y a un gros problème d’éducation en Afrique. Il faudrait simplifier la manière de comprendre. C’est pour cela que nous défendons le langage dans nos textes.
LFC : Et vous Ndongo D, avez-vous une envie de réaliser un projet solo ? FF : Il a un projet et je l’encourage à mon tour à le faire ! (Rires) C’est un projet qui va rassembler toutes les grandes couches ethniques du hip-hop. Historiquement, c’est quelque chose qui va marquer, car il est allé puiser dans les racines qui sont en train de mourir. C’est un peu comme s’il sauvait une musique en perdition. Son projet est très intéressant. Et j’ai été ravi d’y participer. Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Ndongo D : J’ai fait beaucoup de recherches sur ce projet, notamment sur un penseur qui s’appelait Kothie Barma. Tout ce projet est fait autour de ce personnage et c’est pour cela que je l’ai appelé La voix de Kothie Barma. Il était très influent de par son vocabulaire. Aujourd’hui, cela se perd. Les jeunes n’en ont plus. Il y a un gros problème d’éducation en Afrique. Il faudrait simplifier la manière de comprendre. C’est pour cela que nous défendons le langage dans nos textes. LFC : Vous nous avez expliqué votre démarche artistique, votre engagement. Qu’en est-il de la scène ? C’est quelque chose d’important pour vous ? Ndongo D : La scène, c’est notre vécu. C’est un message que l’on essaye de passer. Contrairement au studio, c’est du direct, il n’y a pas d’effets. Pour la première fois, nous avons pris le pari avec Faada de faire des morceaux sur scène sans même les avoir enregistrés. C’est exceptionnel, car cela nous permet d’avoir le ressenti du public en direct. Nous avons passé plusieurs jours avec un groupe de musiciens. Cela nous a permis de retravailler nos placements, les rythmes, etc. FF : À chaque fois que l’on monte sur scène, on ne sait jamais à quoi s’attendre. L’image que j’ai quand je me détache de tout cela, c’est l’image de deux dragons. Les gens disent que
LFC MAGAZINE #8 | 150
nous sommes de nature assez calme. Mais souvent, il y a du feu en nous. À l’époque, les dragons étaient enfermés dans des grandes tours pour garder les châteaux. Mais à un moment donné, il fallait qu’ils crachent du feu. C’est un peu nous quand nous débarquons sur scène. (Rires). Nous aimons la scène. Cela nous permet aussi de rester en bonne santé. LFC : L’album est prévu pour 2018. Que pouvez-vous nous dire sur votre prochain album ? Ndongo D : L’album est en préparation. Nous avons beaucoup d’idées. Ce que nous voulons dans cet album, c’est montrer le rapport entre la musique et l’action. Ce sera la continuité et la synthèse de ce que nous avons fait durant toutes ces années de carrière.
Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Faada Freddy, à propos du projet solo de Ndongo D
L’album est en préparation. Nous avons beaucoup d’idées. Ce que nous voulons dans cet album, c’est montrer le rapport entre la musique et l’action. Ce sera la continuité et la synthèse de ce que nous avons fait durant toutes ces années de carrière. Daara J Family a sorti son premier single Oyé au mois de février 2018.
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Laura Clauzel
Laura Clauzel Arts lyriques, arts graphiques et danse contemporaine, Laura Clauzel est une chanteuse multifacettes. Paris, mars 2018, nous avons rendez-vous avec l'artiste pour parler de son nouveau clip Golden Boy qu'elle interprète de sa voix dense et envoûtante. Entretien.
LFC : Laura Clauzel, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
LC : Je trouvais que le genre new soul permettait de laisser
LC : Je suis Laura Clauzel et je viens de sortir mon premier EP qui
la porte entrouverte. J’aime le
s’appelle Paria(h). Je fais de la musique que je pourrais définir comme
rapport à la voix dans ce
de la new soul, mais avec également des sonorités jazz/électro. Cet EP
genre musical. J’ai beaucoup
est sorti en novembre 2017 et il contient quatre titres dont je suis très
été influencée par Amy
fière.
Winehouse par exemple. Mais à côté de cela, j’ai besoin de
LFC : Êtes-vous seule sur ce projet ?
continuer de rêver en m’orientant vers d’autres
LC : Je travaille seule sur l’écriture de mes titres, et en duo avec Olivier
univers musicaux. Je me
Bostvironnois sur toute la partie composition. Nous passons beaucoup
laisse beaucoup de places
de temps à créer en studio avec une marge de liberté importante dans
dans ce que je veux. Je
ce que l’on fait, notamment au niveau du piano et des arrangements. Je
marche beaucoup dans
fonctionne beaucoup sur les envies et sur ce que j’entends. Nous
l’improvisation. J’aime me
sommes vraiment complémentaires.
laisser surprendre.
LFC : Lorsque l’on écoute votre EP, nous notons un certain éclectisme.
LFC : Voyager, cela vous a-t-il
Qu’en pensez-vous ?
aidé dans votre métier
LFC MAGAZINE #8 153
INTERVIEW QUENTIN HAESSIG
PHOTOS DR
Le clip est une fenêtre formidable pour inviter des gens dans son univers. d’artiste ?
difficile de la placer dans une case artistique. Je n’avais pas envie de me définir dans un
LC : Énormément. Cela m’a beaucoup appris. Mon
genre.
expérience à l’école Martha Graham m’a permis de tester plusieurs arts, que ce soit la comédie ou la
LFC : Le clip Golden Boy est sorti il y a quelques
danse. S’inspirer d’autres disciplines permet de
semaines. Le titre nous rappelle les sonorités
revenir à ce que l’on veut vraiment artistiquement.
des séries comme Peaky Blinders ou True
J’ai appris un peu plus tard que Woody Allen et
Detective. On a beaucoup aimé.
Madonna avaient fait cette école. Je trouve cela magnifique de tester plusieurs arts sans savoir
LC : Merci beaucoup. C’est un clip dont nous
réellement ce que l’on veut faire.
avons beaucoup rêvé. Nous avons mis beaucoup de temps à l’imaginer et à l’écrire
LFC : Multiplier les arts est quelque chose de très
même si nous savions l’allure qu’il devait avoir.
américain. Si on prend l’exemple de Ryan Gosling
Le tournage a été génial.
dans La La Land, il sait tout faire. LFC : Vous construire une identité visuelle très LC : Oui, tout à fait. Il y a aussi l’exemple de Hugh
tôt, dites-nous pour quelles raisons ?
Jackman qui peut jouer des rôles comme Wolverine ou comme celui de Jean Valjean dans Les
LC : C’est très important. Je voulais faire peu de
Misérables. J’aime beaucoup le côté transdiscipline.
morceaux, mais les amener au bout de ma
C’est très personnel. Mais je crois que lorsqu’on a
démarche artistique et visuelle. J’avais envie de
besoin de dire quelque chose artistiquement, il faut
quelque chose de cinématique. Très souvent,
simplement trouver la forme. Il faut se laisser de la
on veut défendre des choses avec des mots
liberté.
alors que les images en disent beaucoup plus. Je suis très heureuse de montrer ces clips
LFC : Vous sentez-vous libre dans votre art ?
aujourd’hui. Le clip est une fenêtre formidable pour inviter des gens dans son univers.
LC : J’ai envie en tout cas. Je prends souvent l’exemple de l’artiste Soko. Elle exerce son art au gré
LFC : Vous êtes très influencée par le cinéma.
des rencontres qu’elle fait. De ce fait, il est très
Quelles ont été vos influences sur ce clip ?
154 LFC MAGAZINE #8
LC : Martin Scorsese, énormément. Je crois
LFC : Avez-vous des projets au cinéma et au
que dans l’art aujourd’hui, on peut tout faire du
théâtre également ?
moment que c’est sincère. Dans Le Loup de Wall Street, Leonardo Di Caprio en est la preuve
LC : Oui absolument. J’ai beaucoup de rêve de
irréfutable. Je pense également à Louis de
cinéma et de théâtre, car c’est de cette façon que
Funès. Ce sont des artistes qui réussissent à
j’ai commencé. J’espère pouvoir continuer à
nous faire rire et à nous faire pleurer. Nous
m’exprimer dans mes prochains clips.
avons beaucoup travaillé sur des photos et des inspirations comme le doré de Yves Klein
LFC : Vous vous êtes engagée face à la situation
et le mythe de Midas.
des migrants en 2016. L’art doit-il servir à faire passer des messages ?
LFC : Quels sont vos projets pour la suite ? LC : J’ai l’impression de me considérer comme une LC : Tout d’abord, je vais faire beaucoup de
artiste engagée. Pourtant, je ne me vois pas passer
scène. Puis je vais me lancer dans la
un message particulier lorsque je me lance dans ce
conception d’un nouvel EP. J’aime ce concept
projet en 2016. Je souhaitais avant tout que ce soit
de carte de visite. Un album, c’est quelque
une belle chanson avec des mots forts de sens. Je
chose de très costaud. L’EP est une façon un
veux amener de la poésie avant de toucher les
peu plus fractionnée de faire de la musique.
gens.
Abi Lomby
Après une enfance entre les États-Unis et la France, la jeune Abi Lomby nous donne rendez-vous dans un quartier de Paris pour un entretien inédit. Nous parlons de ses débuts dans la musique, de son single Lose No Sleep qui cartonne sur NRJ, Virgin Radio et Fun Radio, et de son duo avec Amir. Rencontre.
LFC MAGAZINE #8 156
INTERVIEW QUENTIN HAESSIG
PHOTOS : ANTHONY GHNASSIA
Je suis américaine. La ville de Los Angeles m’a vu naître. Et j’ai ensuite grandi à Paris tout en continuant à faire des aller-retours aux États-Unis. J’ai toujours vécu entre ces deux pays. LFC : Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
en anglais ?
AL : Mon parcours est assez simple. J’ai toujours
AL : Absolument. Pour l’instant, la langue
voulu faire ce métier depuis mon plus jeune âge.
française ne me parle pas plus que cela.
J’ai grandi entre la France et les États-Unis. Et je
L’anglais est la langue de mes débuts et
crois que cela a développé mon envie de devenir
j’ai voulu le partager de cette manière.
une artiste complète. J’ai eu la chance de faire du chant, de la danse, de la comédie et il se trouve
LFC : Vos influences sont-elles
que le chant est l’art auquel j’ai souhaité me
majoritairement américaines ?
dédier. AL : Oui, j’écoute essentiellement du rap LFC : Vous êtes donc française et américaine ?
américain. Eminem, Notorious B.I.G ou Les Fugees pour ne citer qu’eux. J’écoute
AL : Je suis américaine. La ville de Los Angeles
les plus grands. C’est eux qui m’ont
m’a vu naître. Et j’ai ensuite grandi à Paris tout en
donné envie de faire ce que je fais
continuant à faire des aller-retours aux États-
aujourd’hui.
Unis. J’ai toujours vécu entre ces deux pays. LFC : Avez-vous des influences LFC : Comment ressentez-vous le fait d’avoir
françaises ?
grandi dans ces deux pays où la culture est diamétralement opposée ?
AL : Très peu. J’écoute du rap français de temps en temps, je trouve qu’il y a un
AL : Je le prends comme un avantage. Je suis
courant vraiment intéressant depuis
vraiment heureuse d’avoir grandi avec ces deux
quelques années. Ceci dit, le rap
cultures. Cela m’a donné l’opportunité de faire un
américain me parle beaucoup plus.
album en anglais. Je ne sais pas si j’aurais été capable de le faire en français. En tout cas pour
LFC : Vous avez grandi aux États-Unis. À
l’instant, je ne m’en sens pas capable.
quoi ressemblait votre enfance ?
LFC : C’était une évidence pour vous de chanter
AL : Depuis toute petite, que ce soit ma
157 LFC MAGAZINE #8
La musique a toujours été omniprésente dans ma vie. ABI LOMBY mère ou mon frère, tout le monde écoutait de la
d’avoir grandi dans un univers comme
musique. Naturellement quand vous êtes petite,
celui-ci et de m’être forgé une culture
vous essayez de reproduire ce que vous voyez
musicale exhaustive. J’ai également
autour de vous. Certes, au début, tout n’était pas
appris à apprécier les bonnes musiques, à
parfait. (Rires), Mais j’appréciais ces moments-
devenir exigeante artistiquement.
là. Le fait de grandir dans un pays où il y a tout le temps des concerts, des clips toute la journée
LFC : Vous vous êtes entourée de
à la télévision, ça fait rêver. La musique a
producteurs prestigieux. Comment les
toujours été omniprésente dans ma vie.
connexions se sont faites aux États-Unis ?
LFC : Avez-vous senti tout de suite que c’était ce
AL : C’est assez simple. À la fin de chaque
que vous vouliez faire ? Avez-vous eu des
année scolaire, il y a deux jours de stage
doutes ?
artistique où l’école invite une célébrité. Ce jour-là, je ne savais pas qu’ils avaient
AL : Au début, je n’avais pas vraiment confiance
invité le producteur LaShawn Daniels. Mon
en moi. C’était dur de faire comprendre aux gens
professeur me l’a présenté et lui a dit que
que vous vouliez devenir une artiste. C’est se
j’étais une grande passionnée de musique.
mettre à nu. Il faut assumer. J’ai de la chance
Il m’a demandé de chanter devant lui. Je
Je suis une jeune artiste qui doit faire ses preuves, et c’est génial que le titre ait marché tout de suite. Je remercie tous les gens qui me soutiennent. C’est une chance de dingue ! vous avoue que c’était très stressant. Mais
suite. Je remercie tous les gens qui
je l’ai fait. Je ne voulais pas laisser passer
me soutiennent. C’est une chance
ma chance. Il a tout de suite senti qu’il y
de dingue !
avait un potentiel et m’a proposé de venir travailler avec lui.
LFC : Quels sont vos projets ? Un album en préparation ?
LFC : Vous étiez jeune, comment avez-vous géré la pression ce jour-là ?
AL : Oui, tout à fait. Si tout se passe bien, l’album sortira en
AL : À l’époque, je n’avais pas confiance en
même temps que le deuxième
moi. Quand quelqu’un comme LaShawn
single.
Daniels vous demande de chanter devant lui, il ne faut pas perdre ses moyens.
LFC : Vous avez enregistré un duo
Heureusement, tout s’est bien passé. C’était
avec Amir en 2016, d’autres duos
magique.
sont-ils prévus sur ce premier album ?
LFC : Ensuite, le titre Lose No Sleep totalise plus de 35 000 vues sur YouTube. Vous
AL : Malheureusement, non. Mais
attendiez-vous à un tel succès ?
c’est uniquement par souci de timing. C’était difficile de faire
AL : C’était une belle surprise. Je suis une
coïncider les emplois du temps de
jeune artiste qui doit faire ses preuves, et
chacun. Mais c’est certain qu’il y
c’est génial que le titre ait marché tout de
en aura sur le deuxième album.
159 LFC MAGAZINE #8
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Lili Poe
L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES
Lili Poe Lili Poe, c'est la découverte de ce Printemps 2018. Son single Amour Fragile cumule déjà plus de 220 000 vues du clip. Nous avons eu la chance de rencontrer l'artiste pour une séance photos exclusives et parler de son premier album (prévu cet été) sur lequel elle partage des duos avec Soprano et Slimane. Entretien inédit et photos exclusives pour LFC Magazine.
LFC MAGAZINE #8 161
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS ARNAUD MEYER LEEXTRA
Un disque, c’est une sorte de thérapie. On guérit des choses. Dans cet album, j’ai guéri des blessures que je pensais avoir cicatrisées depuis des années. C’était un joli chemin. LFC : À quelques mois de la sortie de votre
rien n’est acquis. Il y a toujours des vagues,
premier album, dans quel état d’esprit êtes-
des creux… Et il faut tout mettre en œuvre
vous ?
pour garder le cap. Il faut trouver les bonnes raisons pour lesquelles on fait ce métier.
LP : Lorsque j’ai terminé ce premier album, c’était forcément un moment chargé
LFC : Lesquelles ?
d’émotion, car nous y avons mis du temps, du coeur et des choses personnelles. Cet album
LP : La scène, par exemple. Tout le travail en
ne m’appartient plus désormais. Il appartient
studio, je le fais pour aller sur scène. En
aux gens. J’espère qu’ils l’apprécieront et qu’ils
studio, je suis vraiment à fleur de peau, c’est
comprendront ce que j’ai souhaité transmettre.
violent. Il y a beaucoup de remise en question
C’est à la fois excitant et effrayant.
pour faire l’album le plus sincère possible.
LFC : Le morceau Ça ira est déjà disponible en
LFC : Le studio est également une zone
écoute. Est-ce une façon de préparer la sortie
d’enfermement ?
de l’album qui sortira cet été ? LP : Effectivement. Il y a un gros travail à LP : Le titre Ça ira est en quelque sorte la
faire sur soi. C’est pour cela que j’utilise
préface de l’album. C’est un morceau mémo
beaucoup les miroirs. Ce n’est pas une
que j’ai écrit pour me persuader, me motiver,
question d’être narcissique, mais plutôt de se
me dire que même si parfois c’est difficile, ça
regarder en face pour voir ce qui ne va pas.
ira ! (Rires)
Une fois qu’on est sur scène, ces chansons sont digérées et je suis prête à les chanter, à
LFC : Que trouvez-vous difficile dans ce milieu
les assumer et à les partager. Un disque,
? Le public ? La conception d’un album ?
c’est une sorte de thérapie. On guérit des choses. Dans cet album, j’ai guéri des
LP : La musique en général est quelque chose
blessures que je pensais avoir cicatrisées
de difficile. Ce serait mentir de dire que c’est
depuis des années. C’était un joli chemin.
une longue ligne droite. Tous les artistes, même ceux qui marchent, savent très bien que
162 LFC MAGAZINE #8
LFC : À la première écoute de cet album, on
Je suis partie du principe que ce n’était pas grave d’être fragile, d’avoir des failles, de douter. Le fait de l’écrire dans les chansons, c’était un moyen de l’assumer vraiment. LILI POE se dit que vous y avez mis beaucoup de vous à
cinématographie. Le cinéma m’inspire
l’intérieur. C’est un album très touchant. Vous
beaucoup. C’est pour cela que parfois je
partez d’un point de vue personnel et vous
suis inspirée par une émotion forte qui me
arrivez à en faire quelque chose d’universel.
concerne.
LP : C’est le plus beau compliment que l’on
LFC : Il faut faire de ses faiblesses, une
puisse me faire. En terme d’écriture, j’avais
force. C’est un des socles de l’album. Cela
besoin et j’avais envie de quelque chose de
vous tenait à coeur ?
direct. Je souhaitais ne pas prendre de détour. Je suis quelqu’un d’assez pudique de nature. Je
LP : Je parle d’amour désastreux, mais je
ne parle pas beaucoup des choses profondes.
ne suis pas rancunière. Je n’en veux à
C’était important d’assumer ma fragilité.
aucune des personnes qui m’ont fait souffrir, car je pense m’être aussi infligée
LFC : La musique est-elle un moyen
des choses toute seule. Je pense
d’expression plus facile ?
sincèrement que pour être heureux, il faut se rencontrer soi-même et s’accepter. Tant
LP : À la base, c’était une volonté très
qu’on ne l’a pas fait, on ne peut pas trouver
personnelle. Je suis partie du principe que ce
le bonheur. Il y a quelques temps, je me
n’était pas grave d’être fragile, d’avoir des failles,
jugeais. J’étais dure avec moi-même. Je
de douter. Le fait de l’écrire dans les chansons,
trouve que la société nous inflige cela
c’était un moyen de l’assumer vraiment. Quand
parfois. Je ne suis pas d’accord. Je pense
j’entends des gens qui me disent s’être identifiés
que l’on est plus fort lorsque l’on est
dans mes chansons, c’est encore plus génial
fragile. Je vais mieux si je vais mal. On
parce que c’était quelque chose de très
peut aller mieux quand on accepte que l’on
personnel au départ.
peut aller mal.
LFC : Pour un premier album, c’est extrêmement
LFC : On va changer de sujet et revenir sur
abouti et sincère. Souhaitiez-vous atteindre
l’album. Vous avez fait un duo avec Disiz
cette sincérité ?
la Peste sur un titre qui n’est pas sur l’album. Comment est né ce morceau ?
LP : J’ai envie d’être sincère dans ce que je raconte. Il y a beaucoup de moi, même si tout
LP : C’est le tout premier titre que j’ai sorti.
est forcément un peu fantasmé. Lorsque l’on fait
Je voulais raconter une histoire d’amour
un biopic, on fantasme aussi la vie des gens que
très toxique, par rapport à ce que l’on
l’on raconte. J’ai une écriture très visuelle et
s’inflige dans une relation. Cela devient
Ce dont j’ai envie, c’est que les gens rentrent dans une sorte de bulle hermétique et qu’ils n’en sortent pas pendant une heure. C’est ce que j’aimerais. L’idée est de rentrer dans mon territoire. presque une douleur amicale que l’on va
LP : C’était important, mais je n’ai rien forcé. C’est
nous-mêmes chercher. J’aimais bien le
avant tout des rencontres humaines. J’avais envie de
paradoxe que l’on puisse danser sur cette
partager ces titres avec des gens qui ont été d’une
chanson. Je travaille depuis mes débuts
grande aide morale et qui m’ont beaucoup soutenu.
avec un réalisateur qui s’appelle Medellin,
Au-delà de ça, ce sont des artistes très talentueux.
qui vient du rap. Il a présenté mon travail à Disiz dont je suis hyper fan depuis Poisson
LFC : Dans votre album, chaque morceau a un thème,
Rouge. Tout s’est fait naturellement, c’était
une histoire. C’est très travaillé. Et lorsqu’on écoute
une très belle aventure.
l’album d’une manière globale, il y a une cohérence entre les morceaux.
LFC : Le paradoxe, c’est aussi que vous ne faîtes pas de rap, c’est un duo assez inédit.
LP : J’espère. Quand j’écris des chansons, elles sont individuelles, mais j’ai besoin de me raconter une
LP : Je ne viens pas du rap. Mais j’en écoute
histoire. Des choix ont été faits, car au départ il y
beaucoup. Je suis fascinée par le flow, les
avait trente titres. Cet album a été réfléchi dans un
intonations, le poids des mots, la manière
concept global et visuel.
dont on va sortir chaque mot. LFC : La musique est pensée pour faire de la scène. LFC : Il y a également dans l’album des duos
Le visuel l’est-il également ?
avec Slimane, Soprano… Vous avez votre propre univers, mais vous aimez que ce soit
LP : J’aime montrer la musique. Il y a des choses qui
ouvert.
passent par le son, mais dans ma tête, j’ai un film qui défile. J’ai la chance de travailler avec une super
LP : Aujourd’hui les styles sont compliqués.
équipe de réalisateurs qui comprennent ma vision.
On a accès à beaucoup de styles musicaux,
C’est très agréable.
mais finalement on écoute tout simplement de la musique. Les duos que j’ai faits se sont
LFC : Pour quelles raisons les lecteurs devraient
faits très naturellement et je suis très fière
s’intéresser à votre album ?
de ces hommes qui partagent mes amours fragiles.
LP : Ce dont j’ai envie, c’est que les gens rentrent
dans une sorte de bulle hermétique et qu’ils n’en
LFC : Pourquoi ces collaborations sont-elles
sortent pas pendant une heure. C’est ce que
importantes pour ce premier album ?
j’aimerais. L’idée est de rentrer dans mon territoire.
164 LFC MAGAZINE #8
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Haylen L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES
INTERVIEW QUENTIN HAESSIG
PHOTOS CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA
Découverte dans The Voice 5 et en endossant le premier rôle féminin du spectacle Le Rouge & le Noir, Haylen accompagnée de Simon Truxillo et Andrew Mazingue nous offre un nouvel EP sublime (20 avril). Rencontre avec les trois artistes pour une séance photos et un entretien inédit. LFC : Pouvez-vous nous raconter votre
être capable de faire ce que j’ai fait. C’était assez
rencontre tous ensemble ?
inédit. Je suis ravie de l’avoir fait.
Haylen : Nous nous sommes rencontrés par des
LFC : La transition a-t-elle été naturelle après cette
amis communs lors de Jam session à Paris.
expérience ?
C’est un évènement qui permet aux musiciens
de se rencontrer.
H : J’ai enchaîné tout de suite avec la comédie musicale Le Rouge et le Noir. L’équipe m’a proposé
Simon : Je dirais que c’est aussi le destin qui
directement le premier rôle. J’ai refusé plusieurs fois,
nous a réunis. La chose amusante, c’est que les
car je ne suis pas trop comédie musicale à la base.
amis communs qui nous ont mis en connexion,
Puis finalement, j’ai accepté. Ce qui m’a plu, c’était
je n’ai pas dû les revoir depuis ce jour-là ! (Rires)
de jouer la comédie. Je ne l’avais jamais fait auparavant.
LFC : Avez-vous senti dès le début qu’il y avait une bonne alchimie entre vous ?
LFC : Votre actualité à tous les trois, c’est la sortie de votre premier EP Out of line qui sortira le 20 avril
H : Nous recherchions la même chose tous les
2018. Comment l’avez-vous travaillé ? Combien de
trois : faire de la musique. On ne savait pas trop
temps avez-vous passé dessus ?
quel genre de musique et comment la faire. Mais nous avions la même vision des choses.
H : Nous avons quasiment mis une année entière à le réaliser. Il sera composé de cinq titres.
LFC : Haylen, vous avez participé à l’émission The Voice. Que retenez-vous de cette
Andrew : Nous l’avons fait de manières différentes.
expérience ?
Nous n’avons pas pris ce projet comme un enregistrement classique. Nous avons travaillé dans
H : Cette expérience m’a apporté de la visibilité
des lieux différents avec des personnes différentes.
au niveau du public et des professionnels, c’est
C’était une sorte de gros processus de création.
certain. Je pense qu’aujourd’hui on m’identifie dans le milieu de la musique. J’ai également
LFC : La version finale de l’album est-elle différente
beaucoup appris sur moi. Je ne pensais pas
de ce que vous aviez en tête au début ?
167 LFC MAGAZINE #8
S : Nous ne nous sommes pas mis de barrières. Nous avions la
LFC : On sent que dans votre démarche un aspect
volonté de nous épanouir artistiquement. C’était surtout cela
perfectionniste.
notre leitmotiv. Lorsque nous avons terminé le premier titre Out of line, qui est devenu le titre de l’EP par la suite, le morceau était
Simon : Le fait de prendre son temps est un luxe.
complètement différent de ce que nous imaginions au début. Le
Nous avons été plus expérimentaux sur
reste a découlé de ce premier morceau.
cet EP que nous l’avons été par le passé.
Andrew : La vraie épreuve avec ce disque, c’était de se poser
H : Même si nous avons déjà enregistré des
pour créer quelque chose ensemble sans rien s’interdire et
choses sans les sortir, c’est notre premier EP. Il
surtout en communiquant tous les trois. Chacun y a mis sa patte
était donc important de faire les choses bien.
et cela se ressent dans le résultat final. LFC : Vous avez utilisé une plateforme de Haylen : En se posant, nous avons appris qui nous étions, quels
crowdfunding pour la création de ce disque. Vous
étaient les objectifs de chacun. Il fallait que l’on se comprenne et
avez réussi et vous avez récolté plus de
que l’on sache dans quel univers nous souhaitions évoluer. La
16 000 euros. C’est assez fou d’avoir réussi ce
démarche principale, c’était de raconter une histoire.
projet !
S : Je pense que l’on peut remercier tous
H : Nous allons faire pas mal de festivals au
nos amis et nos familles. Nous sommes
printemps et en été. Nous allons repartir sur les
fiers d’avoir pu le faire.
routes. Nous n’allons pas nous mentir, c’est aussi pour cela que l’on fait ce métier. C’est notre kiffe
H : C’était vraiment un souhait de rester
ultime.
en indépendant pour pouvoir avoir la liberté de proposer ce que l’on veut.
A : Le premier objectif c’est aussi de préparer le
Aujourd’hui, nous sommes seuls à tout
concert de lancement qui aura lieu le 26 avril 2018.
faire. Mais nous savons pourquoi nous le
Nous espérons vraiment jouer ces morceaux en live
faisons.
dans le plus de lieux possible.
LFC : L’EP sortira le 20 avril 2018. Que se
S : Nous espérons aussi nous agrandir à l’avenir.
passera-t-il ensuite ? Une tournée est
Nous aimerions avoir plus de musiciens sur scène
prévue ?
avec nous.
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
Charlotte & Magon L'INTERVIEW+PHOTOS EXCLUSIVES
INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG
PHOTOS © PATRICE NORMAND LEEXTRA MERCI AU LYCÉE JULES FERRY
Fin mars 2018, nous avons rendez-vous avec Charlotte & Magon au Lycée Jules Ferry à Paris pour une séance photos et un entretien, lieu qui a rappelle les années lycées de Charlotte. Rencontre. LFC : Merci à tous les deux d’avoir accepté notre
l’esthétique semble très importante pour vous.
invitation. Nous sommes dans un lieu particulier puisqu’il s’agit de votre lycée Charlotte. Pourquoi
M : En effet, c’est très important de retranscrire
avoir choisi cet endroit ?
visuellement ce que l’on fait. C’est toujours une joie de donner vie à notre travail. Nous vivons dans un monde
Charlotte : En ce moment, nous sommes assez
qui a besoin d’images et c’est devenu aussi notre
portés sur nos souvenirs de jeunesse. Nous avons
métier. Nous travaillons avec toute une équipe de
une petite nostalgie par rapport à nos années
créatifs géniaux.
d’adolescents. Le lieu est en plus très beau. C : Nos clips aussi sont colorés. Dans Always a secret, il Magon : C’est la première fois que je viens. Je suis
y a du noir, du rouge, c’est assez mystérieux. Dans I
passé devant plusieurs fois sans pouvoir rentrer et
don’t wanna go, il y a des fumigènes multicolores. Nos
aujourd’hui c’est chose faite. C’est chouette de
clips sont pleins de vie.
savoir où Charlotte a fait ses études. LFC : Comment avez-vous travaillé musicalement ? Qui LFC : Votre album est disponible depuis le 16 mars
fait quoi au sein du groupe ?
2018. Comment pourriez-vous nous le définir ? M : Nous écrivons les chansons ensemble. Il arrive que M : C’est un album aux multiples couleurs et aux
ce soit Charlotte qui commence une chanson et que je
multiples sentiments. Nous avons essayé de
la rejoigne. Et inversement. Il n’y a pas vraiment de
proposer une symphonie version poche.
règle. Lorsque je commence à écrire une chanson, je laisse toujours une place pour Charlotte, car nous
C : La pochette de cet album est assez sombre,
avons besoin l’un de l’autre.
alors que nous sommes lumineux. C’est comme si le monde qui nous entourait était mystérieux et que
C : Cela peut partir d’une idée, d’une mélodie, d’un
nous proposions quelque chose de coloré. C’est un
concept et ensuite on travaille autour de cela.
contraste que nous trouvions intéressant. LFC : On sent qu’il y a un bel équilibre dans votre duo. LFC : C’est un très bel album. Mais au-delà de cela,
171 LFC MAGAZINE #8
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Dans cet album, nous avons vraiment essayé d’exprimer ce que nous ressentions au plus profond de nous. C : En 2006, nous nous sommes rencontrés sur MySpace. À l’époque, Magon travaillait sur son premier EP à Tel-Aviv et moi j’officiais dans un groupe. Nous avons fait connaissance à distance. Je lui envoyais des voix, des morceaux. J’aimais beaucoup son côté pop, passionné et autodidacte. M : En 2008, j’ai proposé à Charlotte de venir à Tel-Aviv. Je ne pensais pas qu’elle viendrait, car ce n’est pas évident quand vous ne connaissez pas la personne. Mais tout s’est bien passé. Nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Et je suis venu m’installer en France quelques mois plus tard. LFC : Toutes les chansons sont chantées en anglais. Pourquoi avoir fait ce choix ? M : Le français fait partie de notre vie. Mais on se sent mieux avec l’anglais. C’est plus naturel pour nous d’écrire dans cette langue. Nous sommes à égalité avec cette langue. Cependant, nous aimons mettre quelques mots de français dans nos chansons. C : Magon fait de très bons jeux de mots en français… (Rires)
172 LFC MAGAZINE #8
LFC : Est-ce que la scène est quelque chose d’important pour vous ? C : C’est le moment où on lâche tout. On adore être en studio, surtout Magon. Il pourrait y vivre. Aller sur scène, c’est donner ce que vous avez fait pendant des mois. Vous sortez de votre solitude. M : C’est vrai que j’adore le studio. Mais je pense que sur scène c’est encore mieux. Ces dernières années, nous avons fait beaucoup de scène. Et comme je suis quelqu’un de plus réservé, j’ai appris à me lâcher en m’inspirant de Charlotte. C’est une bête de scène. LFC : Quelles sont les prochaines dates où nous pourrons vous retrouver sur scène ? C : Le 14 avril 2018, nous jouerons dans un endroit à Paris qui s’appelle Les Grands Voisins. Nous sommes aussi en train de préparer une tournée dans toute la France. Nous avons hâte de partir avec le mini-van ! M : Nous adorons ce mode de vie. Ce sont des aventures formidables à travers le monde. LFC : Pourquoi cet album est-il important pour vous ? M : Pour de nombreuses raisons. Nous avons vraiment essayé d’exprimer ce que nous ressentions au plus profond de nous. C : Je le sens comme une continuité des deux derniers EP. Cet album est plein de réflexions sur le monde, sur l’art, sur l’humanité. Nous avons tenté de nous retrouver au plus proches de ce que l’on aime et au plus proches de la vérité. Il y a eu beaucoup de révélations sur nous-mêmes.
LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018
TAFMAG L'ART-BOOK
ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC
MARIE, PAULINE ET AURORE LFC MAGAZINE
- 174 -
AVRIL 2018
On adore TAFMAG et on a souhaité vous présenter la Team et le projet. Entretien inédit.
MARIE PAULINE ETAURORE
L'INTERVIEW
PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : DR
LFC : Qu’est ce que Tafmag ? Pourquoi avoir choisi la culture émergente comme sujet ? T : Tafmag, c’est d’abord un webzine culturel né il y a 5 ans. C’est comme une cartographie actuelle de projets artistiques qui nous font rêver dans le monde ! L’énergie créatrice de notre génération nous a poussé à parler de ces projets innovants, en particulier dans la culture et dans les domaines artistiques que l’on connait bien : la musique, la photographie, l’illustration, la peinture, le cinéma et la mode. LFC : Vous venez de publier un troisième art-book Blue Hawaii, les 50 artistes à l’heure bleue, pourquoi cette envie de publier un livre papier en parallèle du site ? T : Nos art-books sont des compilations artistiques des 50 projets et artistes à suivre. C’est une petite édition de 400 exemplaires seulement, qui nous permettent de laisser une trace de la créativité de notre génération. L’intemporalité du papier nous plait et en tant que témoin de notre génération d’artistes à un instant T, nous aimons ce support immuable, tangible, presque éternel ! LFC : Comment choisissez-vous ces 50 artistes présentés dans le book parmi tous ceux dont vous parlez sur Tafmag ? T : Nous veillons quotidiennement sur la scène artistique parisienne, française et internationale grâce à Internet et les
LFC MAGAZINE
- 175 -
AVRIL 2018
réseaux sociaux - Instagram étant une mine d’or comme chacun
propre directrice artistique, qui
sait ! - mais également en sortant beaucoup. On découvre des
modélise et crée elle-même toute
concerts, des expos, des projections, on discute avec de
l’identité visuelle de Tafmag . C’est la
nombreuses personnes qui nous font découvrir les artistes qu’ils
(vraie) caution créatrice et arty du
suivent. Et bien sûr, certains artistes nous contactent
groupe :)
directement. LFC : Des projets pour 2018 ? Un Nous avons des listes immenses avec des inspirations qui
nouveau livre ?
n’attendent qu’à être découvertes ! T : Oui ! Et cette année la compilation LFC : Un côté artistique en vous ?
n'hébergera plus 50, mais 100 artistes émergents à suivre. Think big!
T : En tant que DJs, on mixe régulièrement pour des soirées dans lesquelles nous sommes invitées ou lors de nos propres
LFC : Le mot de la fin ?
résidences. Ce sont des sets disco, funk, house, des sets très solaires et groovy que l’on se permet de mettre en musique à
T : Quel bien fou ces découvertes, vous
l’image de Tafmag. Et puis nous avons la chance d’avoir notre
ne trouvez pas ?
LFC MAGAZINE
- 176 -
AVRIL 2018
Spectacle AVRIL 2018 • LFC #8
LES
5
PIÈCES
DU
MOIS
À
VOIR
Et pendant ce temps Simone veille
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU À la Comédie Bastille, on rit à gorge déployée dans une
La mise en scène est originale, dynamique et
salle bondée. Un public largement féminin vibre en
imaginative. On y brosse le portrait de trois épouses et
accord majeur avec les quatre comédiennes. Il y a
de leurs descendantes depuis 1940 à 2016. Une
comme une entente tacite, instinctive, une communion
fresque de quatre générations qui ne manque pas
solidaire, des expériences partagées qui résonnent de
tantôt d’ébouriffer tantôt de dépoussiérer le passé
concert entre toutes les femmes. D’où vient cette
depuis le balcon de la femme instruite et libérée du
magie ? Du thème proposé, pardi ! Et pendant ce temps,
XXIe siècle. La première génération est composée de
Simone veille est une comédie déjantée sur l’évolution
Marcelle, France et Jeanne. Des conditions de vie
de la condition féminine en France depuis les années
différentes, des aspirations différentes, mais un même
50 jusqu’à nos jours. Un vaste programme rétrospectif
destin tracé par l’histoire écrite par les hommes qui
qui peut freiner l’élan tant le sujet est rebattu. Mais
assujettissaient la femme. Intervient alors Simone, la
c’est sans compter la magnifique énergie des
narratrice. Bon chic bon genre, elle adore tomber la
comédiennes, campant une bourgeoise, une ouvrière et
façade sans se départir d’une extravagante humeur
une femme de classe moyenne. Elles outrent le trait,
contagieuse et d’une ironie toujours saillante. Elle
provoquant des situations drolatiques voisinant avec le
pointe les éléments de contexte, les textes de loi, les
burlesque, volontairement, qui laissent cependant
ratés à l’allumage des politiques, contient les
percer un certain dépit vis-à-vis des mœurs qui
débordements des trois copines qui se disputent, et
n’avancent pas aussi vite que les idées et les bonnes
s’emberlificote joyeusement la langue pour sortir des
volontés.
contrepèteries délicieusement salaces.
LFC MAGAZINE #8 178
Quatre tableaux, quatre générations. Des femmes malmenées par les aléas de la vie qui se retrouvent entre copines et parlent de ce qu’elles vivent avec la liberté de ton propre aux confidences. Certaines se résignent ou se débattent, d’autres luttent encore. Mais, finalement, toujours mal dans leur peau malgré les droits durement acquis de génération en génération (se dispenser de l’accord du mari pour travailler et avoir un compte en banque, avorter et choisir une contraception sans être hors la loi, divorcer par consentement mutuel, etc.). En cause : l’homme, celui par qui les malheurs arrivent. Le salaud qui trompe sa femme, qui viole, qui fait un bébé et se défile, qui bat, qui injurie… Le patron qui n’admet pas qu’à travail égal, salaire égal. Combien sont ces femmes enchaînées à leur carrière qui choisissent, l’horloge interne s’emballant, l’insémination artificielle pour faire un bébé toutes seules… en Espagne ! Les thèmes de société d’aujourd’hui sont traités avec la même verve satirique, comme le port du voile et le diktat de la mode.
Chapeau bas pour les quatre comédiennes de la troupe du Pompon (Hélène Serre, Vanina Sicurani, Nathalie Portal et Dominique Mérot) qui incarnent avec détermination et passion leurs différents rôles, s’amusant avec le public, dansant des pantomimes hilarantes, chantant au fil des époques des parodies de chansons très connues. Très jolis moments ces voix harmonieuses et ces textes léchés. Bref, de l’engagement incontestable pour le jeu et le sujet. Un sujet guère anodin traité avec force de conviction par l’autodérision et des réparties bien senties. Mais peut-on rire librement, avec éclats et légèreté, sur un sujet traité gravement par le divertissement et avec autant d’investissement personnel ? Il semble que oui ! Pour ma part, le rire s’émancipait par intermittence, peut-être en raison de cet entre-deux indécis entre la gravité et l’humour. « Une femme violée toutes les sept minutes en France… et ce n’est pas la même ! ». Si la plaisanterie est amusante, la sentence glace le sang. Ce voyage rétrospectif mené avec entrain et un humour virevoltant est en prolongation jusqu’au jusqu’au 2 septembre 2018. Et, il est à parier avec la même énergie libératrice et jubilatoire ! Un très bel hommage à Simone Veil.
Distribution Auteurs : Corinne Berron, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani, Trinidad Artistes : Dominique Mérot, Hélène Serres,
A
Vanina Sicurani, Nathalie Portal
p
Metteur en scène : Gil Galliot Marilu Production et Monsieur Max Production A la Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, Paris XIe. Jusqu’au 2 septembre 2018. 1h20 LFC MAGAZINE #8 179
AVRIL 2018 • LFC #8
Ramsès II LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR
Ramsès II
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER
Être fou ou ne pas l’être, telle est la question que l’on se
Matthieu (Éric Elmosnino), le gendre, apparemment frappé
pose au sortir de Ramsès II, une pièce tragi-comique qui
soudainement de démence, assène une phrase au premier
se donne aux Bouffes Parisiens. La question est claire, les
acte qui pourrait être la clé de cette histoire labyrinthique
réponses sont troubles. Habitué des scénarios torturés,
qui conduit droit au tombeau pharaonique : « L’explication
d’apparence sans queue ni tête, l’auteur Sébastien Thiéry
se trouve au commencement, pas à la fin ». Le début est
s’est encore surpassé en empruntant au monde de
pourtant limpide. Jean (François Berléand) et Élisabeth
l’absurde une situation hitchcockienne perturbante. Bon
(Évelyne Buyle) sont un couple de notables qui vit retiré à
sang ! Mais qui est fou dans l’histoire ? Les personnages ?
la campagne. À la suite d’un grave accident de voiture,
L’auteur ? Ou les spectateurs ahuris, sonnés, désorientés ?
quatre ans plus tôt, Jean est condamné à se déplacer en
Ont-ils vraiment vu ce qu’ils ont vu ? Si oui, pourquoi les
fauteuil roulant. C’est un homme diminué qui a deux
personnages font-ils semblant ? Y a-t-il vraiment
passions dans la vie : l’Égypte et sa fille Bénédicte (Élise
manipulation ? La perversité qui se dévoile jusqu’à
Diamant). Pour fêter le retour de leur fille et leur gendre
l’outrance est-elle réelle ? On raisonne, on se raisonne, on
Matthieu qui reviennent justement du pays des pyramides,
veut résister à la déraison. Mais le drame familial qui
ils les ont invités à déjeuner. Seulement voilà, Matthieu
déclenche des émotions contradictoires, entre rires et
arrive seul et son comportement inquiète les parents. Mais
horreur, arraisonne les évidences, brouille la lucidité, et
où est Bénédicte ? Que lui est-il arrivé ? Ils craignent pour
finit par échouer votre raison sur une plage d’insondables
sa vie. L’aveu tombe : il l’a assassinée... Mais Bénédicte
perplexités. Un coup de génie !
surgit à ce moment-là. Confusion et renversement de la situation. Alors le trouble s’installe, s’incruste et ne lâche pas sa proie. Mais à quel jeu joue-t-on ?
LFC MAGAZINE #8 181
L’histoire est vertigineuse, interstellaire. Elle se
Quant aux comédiens, ils flottent en apesanteur, le
joue en trois actes qui montent crescendo
démentiel a l’air d’être leur élément naturel. Le
jusqu’au point de rupture de la folie. Elle est
stupéfiant Éric Elmosnino incarne un gendre à la
servie par un décor somptueux de Jacques Gabel.
perversité diabolique qui ferait pâlir d’envie Machiavel
Un haut plafond, un étage que dessert un escalier
ou le marquis de Sade. Son ton à la fois traînant et
appareillé d’un siège électrique, et des murs qui
candide, faussement étonné, à mi-chemin entre le
s’animent sous le jeu des projections tout en
benêt de service et la sainte-nitouche, provoque le
ombres et mystères. Peu à peu, la maison isolée
malaise, l’inquiétude, puis l’angoisse. François
s’apparente à un mausolée où flottent des relents
Berléand, bien que jouant assis, est imposant dans
de malédiction dans ce lieu qui vient de recueillir
son jeu de colère, d’incrédulité, puis de comploteur
une réplique du masque mortuaire de Ramsès II.
pour confondre son gendre tyrannique. Mais sa
La mise en scène de Stéphane Hillel est le
femme est sourde à sa raison, elle le croit devenu
vaisseau qui permet d’embarquer le public dans
sénile. Ou alors, ça l’arrange de le croire ! Évelyne
ce voyage de la sidération pure. Tout est réglé à
Buyle campe avec bonheur cette petite bourgeoise
l’aune de l’absurdité qui change les polarités du
effacée seulement préoccupée par l’unité de la famille,
normal et de l’anormal, où l’intrigue peut
même au prix de l’enfermement de son mari dans un
s’épanouir et s’émanciper de toute logique. Mais
asile psychiatrique. Quant à Bénédicte, quel masque
le plus impressionnant, c’est la présence
porte-t-elle ? Celui d’une complice immonde qui fait
concomitante d’émotions contradictoires.
semblant d’être trucidée pour rendre fou son père… à
L’auteur et le metteur en scène ont réussi un
moins que ce ne soit une illusion, une hallucination de
cocktail détonant, rarissime, qui a donné vie à des
Jean et donc… du public ! Oh Secours ! Ramsès II est
répliques provoquant le rire et la stupeur tout à la
une pièce irrésistiblement drôle et terriblement
fois.
dérangeante. Quelle claque !
Avec : François Berléand, Évelyne Buyle, Éric Elmosnino, Élise Diamant. Créateurs Auteur : Sébastien Thiéry Mise en scène : Stéphane Hillel Assistante mise en scène : Marjolaine Aizpiri
A
Vidéo : Léonard
p
Lumières : Dominique Borrini Son : François Peyrony Décor : Jacques Gabel Costumes : Anne Schotte Du mercredi au dimanche, selon les jours à 15h, 17h ou 21h. En prolongation du 2 mai au 3 juin 2018. Au Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris 75002. Durée : 1h40. LFC MAGAZINE #8 182
AVRIL 2018 • LFC #8
Nicolas Koretzky LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR
Nicolas Koretzky, Point de rupture
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : CHRISTINE COQUILLEAU Seul sur scène avec Point de rupture, Nicolas Koretzky
À la veille de passer son diplôme d’ébénisterie, Noé quitte
incarne, au théâtre de l’Archipel, une variété de
l’école Boulle et part de chez lui, au grand dam de sa mère
personnages qui croisent le chemin de Noé, un jeune
qui ne comprend ni sa révolte ni sa colère. Il faut pourtant
militant, pétri de colère contre la société consumériste,
bien avoir un métier pour vivre ! Noé, lui, n’est préoccupé
égoïste et inconsciente de ses mauvais choix. L’idéaliste
que par ceux qui ont faim, qui n’ont pas de toit, qui vivent
veut changer ce monde qui court à sa perte, quitte à faire
en marge de la société, dans la rue, en squat ou en
la révolution. La comédie de mœurs, satirique à souhait,
communauté. Mais sa fuite éperdue vers une voie où il
est habilement mise en scène par Thierry Harcourt, la
ferait le bien de l’Humanité se mue en parcours initiatique.
sobriété sous-tendant l’efficacité du geste et la
Il s’insurge contre son prof qui prône le marketing de
focalisation sur le texte des deux auteurs, Nicolas
l’obsolescence. C’est ce fameux point de rupture des
Koretzky et Franck Lee Joseph. Le comédien jouit ainsi de
objets que le consommateur doit racheter, passé leur délai
tout l’espace pour nous faire entrer dans son monde qu’il
de vie programmée. Il vivote avec un fumeur d’herbes qui
réduit à l’échelle de l’actualité. Ce monde est combatif et
ergote sur la dictature de la démocratie et sur le droit de
revendicatif, armé de slogans et d’indignations,
vote inutile puisque l’électeur donne tout pouvoir à un seul
volontairement caricaturé par ses contradictions, pour le
homme qui agit à sa place pour représenter ses propres
plaisir d’en sourire. Car le rire est tiraillé entre pudeur et
intérêts. C’est après un interrogatoire musclé au
réflexion, le public s’implique trop dans les
commissariat qu’il s’attache à un SDF extra-terrestre aux
questionnements et les inquiétudes de Noé pour
allures de gentil clown et à sa vision poétique qui cherche
s’esclaffer.
la beauté en toutes choses, et surtout en soi.
LFC MAGAZINE #8 184
Entre l’amour et la peur, il faut
Point de rupture est une critique qui se
choisir… Noé a fait son choix au
distingue par sa virulence intelligente et
terme d’un long périple qui le
son esprit incisif et pince-sans-rire.
délivre du conditionnement pour
L’écriture ne donne ni dans le
le hisser jusqu’à sa propre
péremptoire ni dans la facilité. Elle
lumière. Mais, pour passer de la
alterne vitriol et baume ; sans être
colère à l’amour, le chemin est
méchante, elle est tristement réaliste.
jonché d’écueils et d’illusions qui
En dénonçant les travers de notre
le révèlent à lui-même. Même les
société de consommation, le coauteur
rencontres qui semblent le dévier
et comédien Nicolas Koretzky exhausse
de ce qu’il est véritablement le
la dimension supérieure de l’être et de
ramènent sur sa voie par des
l’agir, sans s’arroger la place convoitée
détours aussi formateurs que
de donneur de leçons. Des faits, rien que
salvateurs. Noé veut changer le
des faits, du reste très actuels, sont
monde dans lequel il vit, mais il
révélés par une multitude de
finit par comprendre que c’est sa
personnages que le comédien incarne
propre révolution intérieure qui
qui avec tendresse, qui avec colère,
agira sur le monde. Cette
mais toujours avec justesse et sincérité.
nécessaire prise de conscience
Le stratagème astucieux d’une narration
lui permettra de réintégrer la
où Noé ne doit son existence que par les
société et d’y trouver un équilibre,
répliques de ses partenaires successifs
où l’amour pèsera un bon poids
lui confère une immense présence. Une
dans la balance des relations
belle démonstration que le rayonnement
interpersonnelles. La paix
d’un être est consubstantiel de ses
intérieure est à ce prix-là.
interactions avec l’autre !
Avec : Nicolas Koretzky.
A
Créateurs
p
Auteur : Nicolas Koretzky et Franck Lee Joseph Mise en scène : Thierry Harcourt Musique : Massimo Trasente Les mercredis et samedis à 19 heures , jusqu’au 28 avril 2018. Au Théâtre de l’Archipel, 17 Boulevard de Strasbourg, Paris 75010. Durée : 1 h 15.
LFC MAGAZINE #8 185
AVRIL 2018 • LFC #8
Horowitz, le pianiste du siècle LES
5
PIÈCES
DU
MOIS
À
VOIR
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU
Prenez deux couples d’amis en vacances d’été et une
parfois ? Il ne faut jamais partir en vacances avec un
maison isolée dans les Cévennes. Le Paradis, ce me
couple avec un enfant quand on est soi-même un
semble. Oui, mais non ! Une sombre histoire de girafe de
jeune couple de six mois qui n’aspire qu’à se
Magali Miniac, au Théâtre des Béliers parisiens, y plante
connaître mieux et profiter pleinement de la plage et
un huis clos étouffant, balançant entre confessionnal et
des coquillages. Forcément, la journée est suspendue
bagne en plein air, où l’amitié de ces deux couples va
aux horaires d’un bébé qui a besoin de couches et de
méchamment se craqueler sous le soleil implacable du
siestes, et qui est le centre de toutes les attentions et
Sud. S’il y avait une piscine encore, pour se rafraîchir
des inquiétudes. Il a une mère omniprésente et au
les névroses ou se délasser de son passé trop bien
bout du rouleau, qui a tout abandonné pour s’occuper
accroché aux basques des aigreurs ! Mais non, pas
de lui, jusqu’à son intérêt pour son mari. Lui, c’est un
d’eau, pas d’ombre, juste des discussions qui tournent
balourd attendrissant, obtus aux états d’âme
au vinaigre et des vacances au fiasco. Et deux couples
féminins, qui n’a pas sa langue maladroite dans sa
qui implosent en plein vol de girafe, sous le regard
poche, ni ses yeux affamés de sexe. Et il y a de quoi,
abasourdi et ravi des spectateurs, devenus en l’espace
la petite amie de son pote — qui est psychologue —
d’une heure vingt, les plus attentifs et reconnaissants
lui apporte une bouffée d’inconnu fort dépaysant et
des confidents !
distrayant, à défaut d’une oreille professionnelle. Quant au copain, il est animé par son envie
Quand on pense que l’argument déclencheur est un
obsessionnelle d’aller faire trempette dans la mer,
petit bout de chou de deux ans ! À quoi tient l’amitié,
assez vite contrariée par un bébé encombrant qui fait
LFC MAGAZINE #8 187
la sieste jusqu’à 17 heures… Mais si ce
rancœurs muettes, et lâchant son chariot
n’était que cela encore ! C’est que l’ami a la
fou de frustrations, de venin et de colère.
jalousie féroce qui obstrue la voie de sa
Les quatre comédiens (Magali Miniac,
raison. De fil en aiguille, de paranoïa en
Emmanuelle Bougerol, Guillaume Clérice,
vérités blessantes, le séjour qui ne
Sébastien Pierre) jouent leur partition
demandait qu’à se dérouler sous les
avec une grande justesse, tout en
auspices de la bonne humeur se met à
nuances et en gradation. Par ce jeu
sombrer corps et biens, entraînant à sa
doublé de vivacité et d’intensité, ils
suite la maison des Cévennes et ses
rendent crédible l’inexorable issue. Cette
habitants, dans les eaux noires du
issue qui bannit toute frivolité est d’autant
règlement de compte.
plus détonante qu’elle survient sous un ciel limpide qui rivalise de gaité avec la
Cette délicieuse comédie sociale qui
pelouse vert tendre du décor. La mise en
ausculte avec une cruelle efficacité les
scène soignée de Nicolas Martinez, où la
relations de couple s’enchaîne éperdument
sérénité attendue se heurte à la
au drame avec des réparties jubilatoires et
surenchère des révélations, l’une aspirant
des situations confondantes de réalisme.
la suivante dans son piège, permet de
Le texte de Magali Miniac est si percutant
rehausser ce sentiment de grand gâchis.
qu’on se projette dans sa propre histoire.
Le drame frappe à la porte, il est là, on ne
On a tous en regrets quelques disputes
veut pas y croire… Et c’est la girafe au
mémorables intervenues comme un cheveu
gros postérieur qui signe la chute de cette
sur la soupe, réveillant les non-dits et les
sombre histoire à mourir de rire.
Distribution Avec Francis Huster et Claire-Marie Le Guay au piano. Créateurs Auteur : Francis Huster Mise en scène : Steve Suissa Production : Jean-Marc Dumontet Productions En tournée en 2019 pour une soixantaine de dates. Durée : 1h30.
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A
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AVRIL 2018 • LFC #8
Huis presque clos LES
5
PIÈCES
DU
MOIS
À
VOIR
PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME Crédits photos : Nathalie Gendreau
Huis presque clos Ce soir-là, au théâtre de Dix Heures, ils étaient quatre
en scène de Vincent Ronsac qui joue sur le minimalisme,
pros de l’improvisation, prêts à relever le défi de
comptant sur la performance scénique des comédiens.
situation proposé par le public. Car, lorsque Sébastien
Seules quatre chaises servent l’histoire qui se fabrique
Barat, Romain Cadoret, Fabien Strobel et Julie Mori
sous des yeux ébahis et sonne aux oreilles de l’enfance.
montent sur scène, ils arrivent les mains dans les poches… enfin l’expression « les mots dans les
Ainsi, on est projeté dans un sex shop. Ça tombe bien !
poches » serait plus juste ! Ces mots encore inconnus
Dans le quartier de Pigalle, où se situe le théâtre, ils sont
d’eux, que l’aventure démange et qui s’impatientent
légion. Même avec très peu d’imagination, on s’y croit ! Et
de fuser. Le top départ est sur le point d’être lancé.
cette mise en situation promet en elle-même bien des
Le public a choisi. Les quatre personnages vont se
rebondissements savoureux et des débordements
retrouver dans un sex shop pour un Huis presque clos
cocasses. L’attente est au taquet ! Il y a une chaise pour la
qui entend emporter l’adhésion. Chaque mercredi soir,
charmante caissière (Julie Mori), qui est là en dépannage,
à 21 h 30, c’est le risque. Mais un risque au cordeau
dans l’attente d’une meilleure situation. Sur les deux
qui tend son fil pour offrir à ces équilibristes du
autres chaises Joël (Romain Barat) dont on comprend
théâtre en création live cette liberté dont ils ont
assez vite que c’est un habitué du lieu et son pote (Fabien
besoin pour explorer leur large palette d’expressions.
Strobel). Ils attendent leur ami et futur marié (Sébastien
La seule contrainte narrative étant de rester sur une
Cadoret), un peu gauche, introverti qui est effaré du lieu
unicité de temps et de lieu. À cela s’ajoute une mise
de rendez-vous pour sa dernière journée de célibataire. Le
LFC MAGAZINE #8 190
lendemain, il épouse une femme des pays de l’Est
suspense, de révélations et un dénouement
qui ne parle pas sa langue et avec laquelle, on
véritable. Le burlesque s’invite, les réactions des
l’apprendra, il n’a jamais couché. Dans l’espoir de
personnages se frottent aux situations épineuses.
l’émoustiller un peu, les amis lui ont offert une
Les répliques fusent, étincellent, parfois
journée d’enfer, qui commence dès neuf heures
s’évanouissent avant d’avoir fait leur effet, rarement
par le passage « initiatique » dans ce sex shop.
s’étalent sans rebond, souvent débordent du cadre
Seulement voilà, rien ne se passe comme ils
du rôle. C’est que les personnages auxquels les
l’avaient prévu. La vendeuse/caissière tombe
improvisateurs aguerris donnent vie s’évertuent à
raide dingue amoureuse du futur marié, et vont
prendre les rênes, ce qui attise les fous rires et rend
connaître pour la première fois de leur vie de
tellement vivant le spectacle. Mais il faut rester
timide l’extase d’une relation très rapprochée.
concentré, pour ne pas choir platement de ce fil
Tandis que le premier ami finit par avouer avoir
narratif si indispensable à la qualité de la
couché avec la future mariée et le second laisse
performance. Bien qu’entièrement dévoués au
planer un doute éloquent, après s’être indigné de
service du roi « Rire », les quatre mousquetaires
la trahison.
inventifs et très expressifs affûtent le fil des jeux de mots éculés pour une cause plus grande : une
L’histoire dans le sex shop démarre au quart de
histoire construite, cohérente, équilibrée et
tour avec la situation de départ et un fil narratif
efficace… et très drôle. On rit, un peu, beaucoup, aux
convenu lors d’un court conciliabule avec, on
éclats, par vagues. Au point que certains reviennent
imagine, la participation de Vincent Ronsac le
assister à la naissance « presque » miraculeuse d’un
metteur en scène resté en coulisses. Pas à pas,
autre « huis clos », et ainsi goûter à l'énergie
elle avance avec un minimum de tension, du
communicative des comédiens de l'instant.
Distribution Avec : Aurelia Ciano, Audrey Faure, Julie Mori, Elise Roth, Sébastien Barat, Thierry Bilisko, Romain Cadoret, Vincent Ronsac, Fabien Strobel, Kevin Roussel. Créateurs Mise en scène : Vincent Ronsac BAZ Productions Tous les mercredis à 21h30, jusqu'à fin juin 2018. Au Théâtre de Dix heures, 36 Boulevard de Clichy, Paris 75018. Durée : 1 heure.
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LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE
PAR QUENTIN HAESSIG
VOTRE PLATEAU TV
NETFLIX / HBO
NETFLIX
TAKE YOUR PILLS A
THE DEFIANT ONES D
dderall, Ritaline… Peut-être que ces noms ne vous disent rien et pourtant c’est eux qui contrôlent notre société via
ans cette série documentaire de
l’industrie pharmaceutique. À travers des témoignages
quatre épisodes, HBO s’est penché sur le
poignants et parfois surprenants de sportifs, traders et même
destin hors norme de Jimmy Iovine,
d’étudiants, la réalisatrice Alison Klayman s’est penchée sur la
producteur rock (U2, Bruce Springsteen…)
question de la prise de médicaments. Que seriez-vous prêts à
et Dr. Dre l’un des plus grands beatmakers
prendre pour devenir meilleur ? Réponse dans ce
américain.
documentaire salué par la critique disponible sur Netflix. Des débuts d’ingénieur du son de Jimmy
Take your pills de Alison Klayman disponible sur Netflix.
Iovine et de la carrière de DJ de Dr. Dre en passant par la création du label Interscope et la vente des casques Beats by Dre à Apple pour plus de trois milliards de dollars, le documentaire retrace chronologiquement le parcours de ces visionnaires. À travers les témoignages et les anecdotes parfois surréalistes de nombreuses stars comme U2, Nas, Will.i.am, Snoop Dogg, Kendrick Lamar ou encore Gwen Stefani, ce Mark Chappell (Cold Feet) et Will Arnett (qui
documentaire est un véritable modèle de réussite qui en inspirera plus d’un. Enfilez votre casque Beats et c’est parti pour plus de quatre heures de plaisir ! The Defiant Ones, tous les épisodes disponibles sur HBO et Netflix.
NETFLIX
FLAKED C
prête sa voix au cheval BoJack Horseman, dont nous vous parlions en 2017), la série compte deux saisons à son actif et ne sera malheureusement pas renouvelée pour une troisième. Dommage.
hip, ancien alcoolique et gourou autoproclamé du développement personnel, a
La série nous embarque dans le décor idyllique
du mal à gérer sa propre vie entre mensonges,
de l’état Californien, plus précisément dans le
demi-vérités et une incapacité à s'investir dans
quartier de Venice Beach en plein coeur de Los
une relation sentimentale. Une fois encore, il ne Angeles. Après quelques épisodes, vous n’aurez peut s'empêcher de séduire la fille sur laquelle
qu’une seule envie, prendre l’avion pour la Cité
son meilleur ami a des vues…
des Anges. Ce qui fait le charme de cette série, ce sont ses personnages à la fois drôles,
Nous étions passés à coté de cette production
touchants, sincères et surtout d’une profonde
Netflix et nous avons eu tort. Créée en 2016 par humanité. Une belle réussite. Flaked, les deux saisons disponibles sur Netflix. LFC MAGAZINE | #8 | 192
LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE
DU MOIS DE AVRIL 2018 NETFLIX
ICARE C
ontrôles d’urine positifs, mort inexpliquée et médailles d’or olympiques, Icare met la lumière sur le système de dopage en Russie. Bryan Fogel était loin de s’imaginer dans quelle aventure il s’embarquait en
HBO / OCS
démarrant ce projet. C’est sa rencontre avec le scientifique Grigory Rodchenkov, directeur de l’un des plus grands laboratoires antidopage au monde, qui va rendre cette histoire inédite. On ne peut que se prendre d’empathie pour ce scientifique russe qui va devenir l’homme le plus recherché de Russie. C’est sans compter sur l’aide cruciale de Bryan Fogel qui va permettre au scientifique de dévoiler l’un des plus grands scandales sportifs de ces dernières années. Le documentaire vient tout juste d’être récompensé aux Oscars en gagnant la statuette du Meilleur documentaire.
WESTWORLD
ARTE
LA PRODIGIEUSE P ELENA FERRANTE
lus que quelques jours avant la suite d’une des séries les plus attendus de 2018. HBO et OCS viennent de dévoiler une nouvelle bande annonce
L
(explosive) qui nous promet une
es choses les plus difficiles à raconter
deuxième saison sous tension.
sont celles que nous n'arrivons pas nousmêmes à comprendre. Ceci est à la base de
La saison 2 de Westworld sera diffusée
chacun de mes livres. »
en simultané avec les US dès trois heures du matin sur OCS City,
C’est l’un des plus gros succès littéraires de
génération HBO. Les deux premiers
ces dix dernières années, la saga « L’amie
épisodes seront également projetés sur
prodigieuse » d’Elena Ferrante s’est écoulée à
grand-écran au Festival Séries Mania à
des millions d’exemplaires dans le monde
Lille.
entier et pourtant l’identité de l’auteur reste encore mystérieuse.
Westworld, la saison 2 disponible sur HBO et OCS Max le 22 avril 2018.
À travers les témoignages d’auteurs comme Roberto Saviano, Elizabeth Strout, Mario Martone mais également de ces éditeurs italiens Sandra Ozzola et Sandro Ferri, le réalisateur Giacomo Durzi propose un éclairage sur le phénomène. Bonne nouvelle pour les fans de la saga littéraire, une série est en préparation et sera diffusée prochainement sur HBO. Icare de Bryan Fogel disponible sur Netflix. LFC MAGAZINE | #8 | 193
La prodigieuse Elena Ferrante, disponible en replay sur Arte TV.
LFC LE MAG :
RENDEZ-VOUS ENTRE LE 2 MAI ET LE 4 MAI 2018 POUR LFC #9 Cela semble impossible jusqu'Ã ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA
DANS LE PROCHAIN NUMÉRO
À NE PAS MANQUER
PHOTO : PATRICE NORMAND // LEEXTRA
MARINA DE VAN / PATRICIA MAC DONALD / AUTOMAT DANIEL COLE /COLIN HARRISON / AJ FINN / CAMILLA GREBE ET DES SURPRISES...
MAI 2018 | #9 | BIENTÔT