LFC Magazine #8 - Gilles Legardinier Avril 2018

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LFC #8 NOUVEAU

AVRIL 2018 DOUBLE COVER 100% INDÉPENDANT

196 PAGES DE CULTURE

LE MAG DIGITAL

Et aussi Karine Giébel Nicolas Rey Secteur Ä - Pit Baccardi Baptiste Beaulieu Danielle Thiéry Pomme Romane Serda Daara J Family Lili Poe Sébastien Meier

GILLES LEGARDINIER L'UN DES DIX ROMANCIERS LES PLUS LUS

LAFRINGALECULTURELLE.FR



ÉDITO

LA FRINGALE CULTURELLE, LE MAGAZINE DIGITAL LFC #8

Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, Le numéro de l'annonce du Printemps 2018 propose à 80% des sujets FAIT MAISON, comme au restaurant, c'est-à-dire une rencontre authentique avec l'artiste + photographies exclusives grâce à notre partenaire LEEXTRA. Nous remercions l'implication des photographes : Patrice Normand, Julien Faure, Julien Falsimagne, Franck Beloncle, Arnaud Meyer qui signe le portrait de Gilles Legardinier et - honneur aux femmes - à Céline Nieszawer qui signe la cover de Daara J Family. Merci aussi à Ursula sigon. Un grand MERCI à Gilles Legardinier et Daara J Family (Faada Freddy et Ndongo D) de nous avoir fait confiance. Ainsi qu'à OK Coral, Romane Serda, Pomme, Lili Poe, Haylen, Charlotte & Magon, Janine Boissard, Nicolas Rey, Régina Wong, Amélie Antoine, Emelie Schepp, Haylen Beck, Baptiste Beaulieu, Danielle Thiéry, LouisStéphane Ulysse, Malin Persson Giolito, Anne Nelson, Michel Moatti et Karine Giébel. Vous êtes plus de 210 000 personnes à consulter le magazine depuis son lancement. MERCI pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. Très bonne lecture les fringants,

ET SURTOUT... LA REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TOUS LES ARTICLES, PHOTOS, ILLUSTRATIONS, PUBLIÉS DANS LFC MAGAZINE EST FORMELLEMENT INTERDITE. Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :

GILLES LEGARDINIER DAARA J FAMILY


08

Seven Seconds

10

Diane Peylin

13

Ready Player One

17

Elizabeth Brundage

20

Valérie Perrin

22

L'île aux chiens

25

Régina Wong

30

Janine Boissard

36

Louis-Stéphane Ulysse

41

Nicolas Rey

46

Sarah Ladipo Manyika

50

Anne Nelson

55

Baptiste Beaulieu

63

Amélie Antoine

68

Gilles Legardinier

75

Sébastien Meier


83

Haylen Beck

89

Danielle Thiéry

95

Malin Persson Giolito

101

Emelie Schepp

106

Michel Moatti

111

Karine Giébel

117

Secteur Ä - Pit Baccardi

123

Ok Coral

129

Pomme

135

Margaux Simone

141

Romane Serda

145

Daara J Family

152

Laura Clauzel

160

Lili Poe

166

Haylen

170

Charlotte & Magon

174

TAF MAG


L'ÉQUIPE

Fondateur et rédacteur en chef Christophe Mangelle

Journalistes Quentin Haessig Christophe Mangelle Laurent Bettoni

Coordinatrice Photographes Ursula Sigon LEEXTRA

Photographes Céline Nieszawer Patrice Normand Arnaud Meyer Julien Faure Julien Falsimagne Franck Beloncle LEEXTRA

Traducteur Quentin Haessig

Régine Wong, Janine Boissard, LouisStéphane Ulysse, Nicolas Rey, Anne Nelson, Baptiste Beaulieu, Amélie Antoine, Gilles Legardinier, Haylen Beck, Danielle Thiéry, Malin Persson Giolito, Emelie schepp, Michel Moatti, Karine Giébel, Ok Coral, Pomme, Romane Serda, Daara J Family, Lili Poe, Haylen et Charlotte & Magon sont exclusivement photographiés par les photographes de l'agence LEEXTRA, notre partenaire. Des sujets tous 100% "fait maison".

Chroniqueurs Nathalie Gendreau (Théâtre) de Prestaplume David Smadja (Cinéma) de C'est contagieux Quentin Haessig (Série TV) de La Fringale Culturelle Muriel Leroy Alexandra de Broca Clarisse Sabard


LFC MAGAZINE

AVRIL 2018 | #8

6

La sélection

de la rédaction

Livres, série TV, films...

par Christophe Mangelle, Muriel Leroy, David Smadja, Clarisse Sabard...

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SEVEN SECONDS UNE SÉRIE SOUS TENSION SÉRIE LFC MAGAZINE

01

AUTHENTIQUE, FORT ET ADDICTIF

ACTUELLEMENT SUR NETFLIX COPYRIGHT JOJO WHILDEN / NETFLIX AVRIL 2018


ABSOLUMENT GÉNIAL ! TENSIONS RACIALES, FLICS RIPOUX, JEUX DES ACTEURS BRILLANTS, TRÈS BIEN FILMÉ. UNE SÉRIE QUI S'AVALE AVEC LA PROMESSE D'UN DÉNOUEMENT À LA HAUTEUR. À VOIR AU PLUS VITE.

L'AVIS EXPRESS DE LA RÉDACTION

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS NETFLIX AVRIL 2018

ACTUELLEMENT SUR NETFLIX


DIANE PEYLIN

LIVRE LFC MAGAZINE

PAGE 10

PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR


DIANE PEYLIN L'ENT RET IEN

INÉDIT

Diane Peylin est l'invitée de notre journaliste Muriel Leroy. Elle publie La Grande Roue chez Les Escales, un roman sur les violences conjugales. Entretien.

02

LFC : Avant de commencer, nous tenions à vous féliciter

battues. Et en lisant leurs histoires, ce fut une

pour votre dernier roman La Grande Roue qui aborde le

évidence… Emma, mon personnage principal, s’est

sujet très complexe de la violence conjugale et ses

imposée. J’ai écrit ce roman en 2016 bien avant cette

conséquences. Votre roman précédent lui portait sur les

grande vague médiatique et oui, effectivement, il

relations parents-enfants. Deux thèmes complexes très

résonne parfaitement avec tout ce qui est dénoncé

bien maîtrisés qui amènent le lecteur à réfléchir. Vécu ou

aujourd’hui.

de l’imaginaire ?

LFC : Les séquelles psychologiques sont

DP : Non ce n’est pas du vécu. Mais, comme tout écrivain, je

impressionnantes dans votre récit. Avez-vous

suis une éponge et je me nourris de ma vie, mais aussi de la

consacré beaucoup de temps aux recherches ?

vie des autres. J’aime que les gens me racontent des histoires. Elles s’inscrivent en moi. Et tous ces bouts

DP : Oui, j’ai lu des témoignages, visionné des

d’histoires, tous ces témoignages, constituent une partie de

reportages, discuté avec des femmes victimes. Et les

ma matière. À côté de cela, oui il y a une grande part

traumatismes sont lourds et les séquelles terribles.

d’imaginaire. Et aussi de la documentation.

LFC : La famille est un sujet très prégnant dans vos

LFC : La Grande Roue entre dans l’ère du temps et sort

livres, puisque dans le précédent Même les

au moment où les femmes dénoncent les violences dont

pêcheurs ont le mal de mer beau jeu de mot et très

elles sont victimes. Votre héroïne principale est elle-

belle image qui met l’accent sur l’absence de mère

même victime de violence conjugale. Pour quelles

tout autant que sur les relations parentales, le

raisons avez-vous voulu abordé ce thème si difficile ?

suicide, les non- dits, la transmission. De

nombreux sujets très délicats. Comment les avez-

DP : Les violences faites aux femmes sont,

vous abordés ?

malheureusement, un thème d’actualité depuis des siècles. Au départ, je me documentais sur la perte d’identité et les

DP : La famille et les racines sont mes thèmes de

témoignages m’ont petit à petit amenée vers les femmes

prédilection. Je suis moi-même, de manière

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personnelle, très intéressée par le transgénérationnel.

sur la création littéraire en Alaska.

C’est fascinant de voir tout ce qui se transmet de

Je démarre actuellement l’écriture

génération en génération, de prendre conscience de

de mon nouveau roman, mais ce

ces vides qui nous creusent et de ces trop-pleins qui

n’est pas encore assez clair pour

nous pèsent et qui définissent les adultes que nous

que je puisse en parler. Et je

sommes. C’est passionnant et en même temps assez

poursuis l’animation d’ateliers

terrifiant. D’où ce besoin d’en parler, de décortiquer,

d’écriture. Le prochain aura lieu du

de mettre en lumière pour se libérer de tout ça.

2 au 6 avril en Belgique. Je vous invite à consulter mes sites internet

LFC : Choisir des personnages torturés, pour

pour plus d’informations :

diverses raisons, peut paraître redondant et

http://dianepeylin.wixsite.com/dia

pourtant vous avez su éviter les écueils. Cela

nepeylin https://www.ateliers-

permet ainsi au lecteur de s’identifier à l’un

ecriture.net/

d’entre eux. Quels messages souhaitiez-vous faire passer ?

LFC : On vous laisse le mot de la fin...

DP : ‘’Torturés’’ est peut-être un adjectif un peu fort. Ils ont pour beaucoup, il est vrai, une part sombre.

DP : Dessiner des mots avec son

Mais si l’on souhaite être au plus près de la réalité, il

stylo, avec sa bouche, avec ses

est impossible d’écrire des personnages lisses et sans

yeux, avec ses mains est une

aspérité. Nous sommes tous lumière et obscurité.

richesse qui ne coûte rien. Oui,

Nous portons tous des cicatrices plus ou moins

c’est parfois difficile. Oui, il faut

grandes. Donc, mes personnages aussi… Mais ils ont

parfois se dépasser pour oser. Mais

du relief et dévoilent de merveilleux sourires entre

ensuite, quel bonheur de savourer

deux larmes. Ainsi est la vie. Elle n’est pas un long

ce précieux cadeau...

fleuve tranquille. LFC : Actuellement, avez-vous d’autres projets ? Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? DP : Je viens de terminer un projet collectif Marins à l’encre. J’ai été invitée en Alaska en août 2017 avec deux autres auteurs, Pierre Crevoisier et Matthieu Berthod. Nous nous sommes immergés dans l'immensité de ses terres sauvages et ensuite chacun a écrit des nouvelles. Parutions en avril 2018 aux éditions Slatkine. Avec en parallèle un documentaire

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COMME TOUT ÉCRIVAIN, JE SUIS UNE ÉPONGE ET JE ME NOURRIS DE MA VIE, MAIS AUSSI DE LA VIE DES AUTRES. J’AIME QUE LES GENS ME RACONTENT DES HISTOIRES. ELLES S’INSCRIVENT EN MOI. ET TOUS CES BOUTS D’HISTOIRES, TOUS CES TÉMOIGNAGES, CONSTITUENT UNE PARTIE DE MA MATIÈRE.


CINÉMA LFC MAGAZINE

03 READY PLAYER ONE

PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : COPYRIGHT WARNER BROS AVRIL 2018


PHÉNOMÉNAL


PHÉNOMÉNAL - RAREMENT CE MOT AURA LA CAMÉRA DE SPIELBERG EST PUNCHY, ÉTÉ AUSSI ADAPTÉ POUR DÉCRIRE UN VIREVOLTANTE, ENTRAINANTE ET TE HAPPE FILM. CAR C’EST BIEN DE PHÉNOMÈNE DÈS LA PREMIÈRE IMAGE. UN FEU D’ARTIFICE QUI COLORE TES IRIS TANDIS QUE TU DONT IL EST QUESTION. AVEC « READY GLISSES AVEC DÉLICE DANS LA MATRICE. PLAYER ONE » SPIELBERG POSE LES Attention ça va vite, très vite ! Les références JALONS D’UNE ŒUVRE MAJEURE AU sont tellement nombreuses, et souvent furtives, qu’il faudra plusieurs visions et être sacrément NIVEAU DE SA STRUCTURE ET DE SON calé (geek ?) pour toutes les déceler. On ne va CONTENU. L'AVIS DE LA RÉDACTION LE MÉTRAGE EST DIRECTEMENT INSPIRÉ DU BOUQUIN D’ERNEST CLINE, « PLAYER ONE » (POCKET), QUE LE RÉALISATEUR S’APPROPRIE, DIGÈRE ET RÉGURGITE AVEC TALENT À UN PUBLIC AFFAMÉ ET GOURMAND.

pas énumérer ici tous les easter eggs et références en matière de films, de livres, de comics ou de jeux vidéo, beaucoup d’articles sur le net en font déjà la liste, mais ils contribuent énormément au succès du livre et du film, installant le spectateur en terrain connu, en zone de confort, procurant joie et allégresse aux enfants/ados des eighties.

AU MOINS AUSSI RÉVOLUTIONNAIRE QUE LE FURENT EN LEUR TEMPS « JURASSIC PARK » ET « AVATAR » MAIS AVEC UN P’TIT GRAIN DE FOLIE SUPPLÉMENTAIRE. Folie des images, folie du script, folie de la mise en scène, inventivité et créativité à tous les niveaux, ce film bouscule les codes habituels de films à grand spectacle pour proposer une voie où tous les sens sont mis en alerte. Un peu comme si on redécouvrait les sensations du cinéma, du pur émerveillement, les poils qui se dressent, le pouls qui accélère, la bouche qui s’ouvre béante indépendamment de notre volonté.

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


MADELEINE DE PROUST ? On ne peut cependant pas cantonner « Ready Player One » à un énorme trip nostalgique, Spielberg ne donne pas dans le contemplatif béat. Au contraire, s’il se nourrit bien des sources de la pop-culture des eighties, c’est pour souligner son influence profonde sur notre époque et l’ancrer de manière définitive dans notre imaginaire collectif. L’univers est d’une richesse et d’une profondeur rarement atteinte, jamais le mélange du réel/virtuel n’a jamais été aussi bien intégré et enchevêtré. « Ready Player One » est un film spectaculaire certes, mais il propose aussi une véritable réflexion sur les évolutions technologiques et leur poids sur nos vies.

L'AVIS DE LA RÉDACTION

VÉRITABLE TEMPLE (ODE ?) DÉDIÉ À LA GEEKITUDE, LE FILM T’EXPLOSE LES MIRETTES EN MILLIERS DE MORCEAUX DE VERRE (DE PIXEL ?) TANT LE CHOC DES IMAGES EST INTENSE. Tu pousses des « whouaaahhh » des « ohlalalalalala » des « rhoooooooo » sans discontinuer. Si l’on captait le son des spectateurs dans la salle on ne retiendrait qu’une multitude d’onomatopées qui, si on la convertissait en énergie pure, pourrait alimenter le monde jusqu’à la fin du siècle. Quand je parlais de phénomène plus haut... Le Pitch : 2045. Le monde est au bord du chaos. Les êtres humains se réfugient dans l'OASIS, univers virtuel mis au point par le brillant et excentrique James Halliday. Avant de disparaître, celui-ci a décidé de léguer son immense fortune à quiconque découvrira l'œuf de Pâques numérique qu'il a pris soin de dissimuler dans l'OASIS. L'appât du gain provoque une compétition planétaire. Mais lorsqu'un jeune garçon, Wade Watts, qui n'a pourtant pas le profil d'un héros, décide de participer à la chasse au trésor, il est plongé dans un monde parallèle à la fois mystérieux et inquiétant…

En effet, le futur de 2045 ne fera rêver personne et pourtant l’humanité semble s’y diriger les bras ouverts. Chacun y vit dans le virtuel, les véritables échanges sociaux sont réduits à leur portion congrue au détriment d’une désincarnation des rapports humains et d’un contrôle des masses. Oui, c’est assez flippant et ça mérite vraiment de se poser un peu pour y réfléchir.

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


ELIZABETH BRUNDAGE

LIVRE LFC MAGAZINE

PAGE 17

PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR TRADUCTION : LAURENT LOISON


ELIZABETH BRUNDAGE L'ENT RET IEN

INÉDIT

Elizabeth Brundage est l'invitée de notre journaliste Muriel Leroy. Elle publie Dans les angles morts chez Quai Voltaire, un roman sur la condition féminine et la quête de soi. Entretien.

04

LFC : Bonjour Elizabeth BRUNDAGE, votre roman Dans

EB : J’ai vécu dans plusieurs maisons, dont la

les angles morts porte sur la condition féminine et sur la

plupart avaient un caractère historique, et j’ai

quête de soi. Pourquoi avez-vous abordé ces thèmes ?

toujours eu ce sentiment qu’elles avaient une existence propre, interagissant avec nos vies. La

EB : Il est essentiel pour moi de réfléchir et d’écrire sur la

maison est indéniablement un protagoniste de ce

raison-même de notre existence. Quel est le but de la vie ?

roman. Regardant, évaluant, chroniquant.

J’ai bien le sentiment que cela puisse paraitre ardu, mais

L’histoire s’est révélée là. Des vies y ont été

cela constitue dès lors une bonne raison d’écrire des

vécues. Que laisse-t-on derrière nous ? Notre

romans. Essayer de se comprendre soi-même est le

propre essence, et qu’est-ce que c’est ? Nous

challenge d’une vie. C’est un processus qui évolue et

parlons alors d’esprits ou de fantômes. Nous

résulte de nos expériences ainsi que des choix qui

avons tous un esprit en nous, et qu’en faisons-

façonnent nos vies. Ce qui m’intéresse, c’est comment nous

nous ? Et ceci nous ramène à la question de la

affrontons les obstacles, et les décisions que nous prenons,

quête de soi. La maison est vivante et a son

bonnes ou mauvaises, dans nos tentatives pour les

propre jugement. Elle note la manière dont nous

surmonter. Dans ce roman, Catherine et George se marient

nous maltraitons les uns les autres, comment

pour toutes les mauvaises raisons. Leur tragique destin en

nous ignorons les gens que nous aimons,

est la résultante. Quand Catherine finit par comprendre qu’il

comment nous nous mentons aux uns aux autres,

y a quelque chose qui ne va pas du tout avec son mari, il est

comment nous trouvons l’amour ou pas. Elle

trop tard. Je me suis intéressée à montrer comment, avec le

regarde comment nous construisons nos vies, les

temps, elle finit par comprendre qu’elle a participé à tisser

joies et les peines que nous vivons.

la toile dans laquelle elle est piégée ; et quand

finalement, elle tente de s’enfuir, il est malheureusement

LFC : Vous n’abordez pas votre récit d’une

beaucoup trop tard.

façon trop manichéenne, bien au contraire… On y trouve là l’être humain tel qu’il est, et c’est

LFC : La maison, lieu où tout débute, représente à elle

ce qui rend votre récit d’autant plus juste.

seule un personnage du roman et non un simple décor.

Qu’avez-vous voulu démontrer par ce biais-là ?

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EB : J’ai vraiment souhaité véhiculer un sentiment de réalisme dans ce roman, tout en explorant la possibilité d’une autre dimension, celle du monde spirituel. La confrontation du bien contre le mal est bien moins intéressante pour moi, que la complexité et l’absence de définition précise de la réalité de la vie dans son déroulement. La trahison, aussi, et ce qui la motive est beaucoup plus intéressante pour moi qu’un acte meurtrier. Le paysage, la ferme, les moments incertains dans un quotidien ordinaire. En termes d’écriture, j’ai de manière consciente essayé de créer un sentiment de liberté au sein de la page, proche d’un chant d’une voix claire et pure. Je ne suis pas sure que ce soit très clair. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de ne pas utiliser les guillemets, parce que telles conventions semblaient artificielles dans ce contexte et je voulais que les mots, les dialogues imprègnent le roman avec l’éphémère spontanéité de la poésie. LFC : C’est votre premier ouvrage édité en France, et on n’espère pas le dernier, quel effet cela vous fait ? EB : J’aime la France et je suis ravie et reconnaissante d’être et publiée et traduite dans une des plus belles langues du monde.

J’AI VRAIMENT SOUHAITÉ VÉHICULER UN SENTIMENT DE RÉALISME DANS CE ROMAN, TOUT EN EXPLORANT LA POSSIBILITÉ D’UNE AUTRE DIMENSION, CELLE DU MONDE SPIRITUEL. LA CONFRONTATION DU BIEN CONTRE LE MAL EST BIEN MOINS INTÉRESSANTE POUR MOI, QUE LA COMPLEXITÉ ET L’ABSENCE DE DÉFINITION PRÉCISE DE LA RÉALITÉ DE LA VIE DANS SON DÉROULEMENT.

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LE LIVRE QUI FAIT DU BIEN PAR CLARISSE SABARD

ROMAN LFC MAGAZINE

05 VALÉRIE PERRIN CHANGER L'EAU DES FLEURS

CLARISSE SABARD EST ROMANCIÈRE ELLE A PUBLIÉ LE JARDIN DE L'OUBLI (CHARLESTON) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE VALÉRIE PERRIN, CHANGER L'EAU DES FLEURS (ALBIN MICHEL). AVRIL 2018


TOUS LES MOIS, CLARISSE SABARD REJOINT LA TEAM POUR VOUS PARLER DU LIVRE QUI FAIT DU BIEN. CE MOIS-CI, ELLE NOUS PARLE DU ROMAN DE VALÉRIE PERRIN, CHANGER L'EAU DES FLEURS (ALBIN MICHEL) ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE.

ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

QUI EST L'AUTEUR ?

POURQUOI ON AIME ?

Co-scénariste, romancière, photographe de plateau, Valérie Perrin est née en 1967 dans l’Est de la France. Elle alterne sa vie professionnelle entre photographie et écriture. Depuis 2011, elle a co-écrit trois films avec Claude Lelouch. 2 scénarios sont en cours d'écriture. De 2010 à 2016, elle est photographe de plateau à plusieurs reprises pour Claude Lelouch, Samuel Benchetrit Et Audrey Dana. Elle réalise un Carnet de tournage de Ces Amours-là Éditions en L ' A V aux IS D E L A France R É D AEmpire CTION 2010. Plusieurs expositions de photographies lui ont été consacrées. En 2015, elle publie son premier roman aux Éditions Albin Michel, Les oubliés du dimanche, lauréat du premier roman de Chambéry 2016 et obtenu 11 prix littéraires. Le 28 février 2018, elle publie son deuxième roman aux Editions Albin Michel, Changer l'eau des fleurs.

Valérie Perrin nous livre un second roman lumineux, à travers lequel elle poétise le quotidien de personnes simples, telles qu'on en rencontre tous les jours. Des personnages auxquels on s'attache tout au long de cette histoire de renaissance où plusieurs vies viennent se mêler les unes aux autres. Résolument feel-good et optimiste, c'est un roman d'une fluidité et d'une justesse parfaites, que l'on savoure. Il est d'ailleurs difficile de quitter les protagonistes de ce livre, on pense à eux longtemps après avoir lu la dernière page.

ÇA PARLE DE QUOI ? Violette est garde-cimetière dans une petite ville de Bourgogne. Dans sa loge, elle réconforte les gens de passage en leur offrant du café et en écoutant leurs confidences. Sa vie est minutieusement réglée, entre les tombes qu'elle bichonne, son jardin potager et les animaux errants dont elle s'occupe. Un jour, un homme vient faire basculer son quotidien en voulant exaucer les dernières volontés de sa mère. En plongeant dans le passé de cette femme, c'est aussi le sien que Violette va réveiller...


CINÉMA LFC MAGAZINE

06 L'ÎLE AUX CHIENS

PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : TWENTIETH CENTURY FOX FRANCE AVRIL 2018


PRODUCTION ATYPIQUE, OBJET OVNIESQUE ET PROTÉIFORME, « L’ÎLE AUX CHIENS » POSSÈDE UN DESIGN IMPRESSIONNANT ET PROPOSE UN VOYAGE EXOTIQUE À CEUX QUI VOUDRONT BIEN EN SILLONNER LA ROUTE. FABLE ENGAGÉE ET MILITANTE, C’EST UNE BELLE LEÇON D’HUMANITÉ QUI NOUS EST DÉLIVRÉE PAR WES ANDERSON.

UN FILM MULTI-LANGUES Pour insister sur l’incompréhension entre les humains et les chiens, les langues sont volontairement différentes, les humains parlant japonais (non traduits la majeure partie du temps) et les chiens anglais. Ce choix permet aux spectateurs de s’identifier spontanément à la gente canine et de leur dédier toute leur empathie. Les dialogues sont pinceLE PITCH L ' A V I S D E L A R É D A C T I O N sans-rire et souvent caustiques ; des Sur fond de grippe canine dans les archipels nippons, le maire de échanges ping-pong qui font naître le Megasaki décide, pour éviter le risque de contagion, d’exiler tous les rictus puis les rires à gorges chiens sur une île dépotoir, l’île poubelle, afin de préserver le reste de déployées. Il faut dire qu’Anderson a la population. Un petit garçon de douze ans à la recherche de son soigné son casting de voix (La liste compagnon de jeu préféré va débarquer sur l’île et remettre en qu’elle soit en VO ou en VF est question cette décision à l’aide d’une bande de 5 chiens qu’il va y impressionnante !). croiser.

UN FILM D’UNE BEAUTÉ VÉNÉNEUSE ET HYPNOTIQUE. Seconde incursion dans le monde de l’animation pour Wes Anderson après l’étonnant « Fantastic Mister Fox », « L’île aux chiens » est l’écrin rêvé pour l’univers déjanté du réalisateur dont la filmographie est remplie de joyaux décalés et absurdes tels que son merveilleux « La vie aquatique » et son pétillant « Grand Budapest Hotel ». La photo est sublime, les animations de marionnettes en Stop-Motion sont à couper le souffle tant le design est original et d’une beauté vénéneuse et hypnotique. ACTUELLEMENT AU CINÉMA


UN FILM D’ANIMATION RENDANT HOMMAGE À SERGIO LEONE

L’auteur a trouvé un terrain de jeu qui lui sied comme un gant et lui permet d’expérimenter de nouvelles voies au niveau de la mise en scène et de l’ambiance. Wes Anderson ne s’est d’ailleurs jamais caché de son admiration pour le cinéma japonais et c’est le fantôme de Kurosawa qui est convoqué ici. Le film transpire d’influences nippones que ce soit dans le traité du dessin ou dans la rigueur de la réalisation. On y ajoutera aussi, une certaine influence du western spaghetti. Quand on parle d’expérimentation, il est rare de voir un film d’animation rendant à ce point hommage à Sergio Leone dans la construction de sa mise en scène. Certains plans (voire certaines scènes) renvoie à un cinéma de genre, avec des profondeurs de champs sur certains plans de visages ou de partie du corps, jouant sur les hors champs pour distiller l’ambiance délétère de fin du monde ressentie par les chiens. On est ici dans l’animé inanimé tant la volonté du statique dans le mouvement vient créer un décalage savoureux dans la façon de raconter l’histoire. Et quand on sait à quel point Leone s’est inspiré de Kurosawa, on se dit que la boucle est bouclée.

L'AVIS DE LA RÉDACTION

UNE EXPÉRIENCE DE CINÉMA PARTICULIÈRE QU’ON NE RETROUVERA PAS AILLEURS AVANT LONGTEMPS.

Mention spéciale pour la musique d’Alexandre Desplat fraîchement oscarisé pour « La forme de l’eau ». Tribale et entêtante, aux airs martiaux appuyés, elle contribue indéniablement à l’atmosphère singulière qui règne.

Le film n’évite cependant pas certaines longueurs et aurait gagné à être un peu plus resserré. Mais on ne boudera pas le plaisir de vivre une expérience de cinéma particulière qu’on ne retrouvera pas ailleurs avant longtemps. Petite précision qui a son importance, de par sa complexité et son apparente austérité, ce film d’animation n’est pas destiné à un jeune public qui risquera de rester hermétique à l’ensemble. En revanche, les parents, précipitez-vous !

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

RÉGINA WONG PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : JULIEN FAURE LEEXTRA


Paris, mars 2018, nous rencontrons dans un hôtel cosy la londonienne Régina Wong, qui prône le minimalisme comme philosophie de vie. D'un blog qui cartonne à SELINA RICHARDS l'animation d'ateliers, elle publie aujourd'hui chez belfond "Faites de la place". Interview inédite et séance photos avec une auteure qui va vous aider à aller à l'essentiel.

LFC : Bonjour Regina Wong, nous nous

tourner vers ce mouvement.

rencontrons pour parler de votre livre Faites de la place - Guide moderne du minimalisme

LFC : Le livre est une sorte de manifeste.

(Belfond). Comment ce projet est-il né ?

Voulez-vous avec ce livre simplifier la vie des gens ?

RW : Plus j’entendais parler du minimalisme, plus je me disais qu’il y avait quelque chose à

RW : Une fois que j’ai eu terminé d’écrire ce

creuser. À travers ce mouvement, je trouve qu’il

livre, le processus a été très rapide et le livre a

y a une notion de partage primordial. Dans la

été publié assez rapidement. Ce qui est rare

vie, lorsque vous aimez faire quelque chose,

dans l’édition. Mais le sujet intéressait

vous continuez. C’est ce que j’ai fait en écrivant

beaucoup mes éditeurs. J’ai toujours été une

ce livre.

personne curieuse, et dès que je me suis intéressée à ce mouvement, j’ai voulu partager

LFC : Vous avez également commencé cette

ce que j’avais appris. En écrivant ce livre, je

aventure en créant un site internet que vous

souhaitais que les gens aient une vie plus

avez appelé Live well with less.

épanouie.

RW : Ce site, que l’on peut traduire en français

LFC : Vous citez beaucoup de livres, les

par Vivez mieux avec moins a tout de suite

sources de votre inspiration ?

touché les gens. Le minimalisme est devenu

26

une passion pour moi et ce site était la

RW : Oui, d’ailleurs, je conseille aux lecteurs de

plateforme idéale pour inciter les gens à se

jeter un œil à ces ouvrages s’ils ont aimé mon


livre. The hundred things challenge de Dave Bruno, Le pouvoir du moment présent de Eckhart Tolle ou Le bonheur est dans le peu de Francine Jay pour ne citer qu’eux. SELINA LFC : Comment pourriez-vous définir le minimalisme ? RW : Pour beaucoup de gens, le minimalisme

Le mouvement minimaliste ne dit pas qu’il faut se débarrasser de toutes les choses que vous possédez chez vous. Il RICHARDS s’agit simplement d’en avoir moins, mais d’être heureux de les posséder.

est un terme compliqué. Tout d’abord, c’est quelque chose de très personnel. Le plus important dans ce mouvement est de trouver

RW : Beaucoup de personnes ont un

la bonne balance. Le mouvement minimaliste

rapport à l’argent qui est mauvais,

ne dit pas qu’il faut se débarrasser de toutes

même si l’argent est quelque chose de

les choses que vous possédez chez vous. Il

fondamental dans la vie. C’est

s’agit simplement d’en avoir moins, mais

misérable d’être pauvre, que l’on soit

d’être heureux de les posséder.

minimaliste ou non. Être minimaliste vous aide à définir un budget, à

LFC : Ce que vous voulez dire, c’est que ce

dépenser de l’argent dans des choses

mouvement est propre à chacun…

utiles qui vous plaisent vraiment. Ce mouvement ne veut pas dire qu’il faut

RW : Exactement. Chacun fait comme bon lui

porter des vêtements moins chers. La

semble. Moi par exemple, j’ai beaucoup de

vie est courte. Il faut se faire plaisir,

livres et je suis très heureuse. D’autres

investir dans des choses qui vous sont

personnes vont se sentir heureuses avec des

utiles. Aller chez Primark et acheter

vêtements ou des vinyles… Pour vivre mieux,

des tas de vêtements que vous

vivons avec moins de choses sans supprimer

n’aimez plus au bout de quelques

les choses qui nous apportent de la joie.

mois, c’est absurde. Il faut que nos choix soient utiles. Je vis dans une

27

LFC : Vous parlez du confort financier dans

belle maison. Je possède une belle

votre livre. Vous dîtes que l’argent a une

voiture, mais ce sont mes choix. Je vis

importance dans la vie, que le minimalisme

avec moins, mais je vis mieux. C’est

peut nous aider à vivre sans dette.

une philosophie de vie.


R É G I N A

JE VIS AVEC MOINS, MAIS JE VIS MIEUX.

W O N G


Dans la vie, nous avons tous besoin d’avoir confiance en nous et cela passe par nos relations avec les autres. SELINA LFC : Vous dîtes que c’est la

RICHARDS LFC : Continuez-vous d’écrire ?

même chose émotionnellement. Il faut faire le tri dans notre

RW : L’écriture d’un livre est un

entourage, entre ceux qui ne

processus très douloureux. Pour le

nous apportent pas de bonheur

moment, je savoure le fait de

et ceux qui nous rendent

promouvoir ce livre. Je suis très

heureux.

heureuse de l’accueil.

RW : Absolument, c’est exactement

LFC : On vous laisse le mot de la fin…

la même chose. Le minimalisme ne concerne pas uniquement les

RW : Soyez minimaliste et soyez

choses matérielles, c’est aussi un

heureux. J’ai été touchée par une

mode de vie comme je l’ai dit.

journaliste belge il y a quelques jours

Quand vous vous débarrassez

qui me racontait qu’après avoir lu ce

d’objets qui ne vous procurent pas

livre, elle avait décidé de faire le

de bonheur, vous vous sentez

ménage chez elle. Cela fait quinze ans

mieux émotionnellement. Faire le tri

qu’elle ne s’était pas débarrassée

permet de se sentir mieux, d’avoir

d’affaires. Après l’avoir fait, elle a décidé

de la place pour réfléchir. Dans la

de changer de maison, cela lui avait

vie, nous avons tous besoin d’avoir

donné des envies d’ailleurs. Je suis

confiance en nous et cela passe par

heureuse que mon livre ait ce genre

nos relations avec les autres.

d’effet là sur les gens.

Soyez minimaliste et soyez heureux. 29


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

JANINE BOISSARD

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : LEEXTRA


Chaque année, Janine Boissard publie un nouveau roman. Cette année, "Dis, t'en souviendras-tu ?" est sur les tablettes des libraires depuis courant mars (Plon). SELINA RICHARDS Entretien inédit et photos exclusives chez la romancière, dans un quartier chic parisien.

LFC : Bonjour Janine Boissard, nous nous

LFC : Le point de départ de ce livre est donc

rencontrons pour parler de votre nouveau

très personnel…

roman Dis, t’en souviendras-tu ? (Plon). Pour quelles raisons avez-vous décidé d’écrire ce

JB : Je pense que c’est un livre qui va toucher

livre ?

beaucoup de personnes. J’ai situé l’intrigue dans la ville de Grasse. Qu’y a-t-il de mieux

JB : La perte de mémoire est un sujet qui me

qu’un parfum pour vous remémorer des

fascine et qui fascine beaucoup de gens. J’ai

souvenirs ? Cette ville s’est directement

deux exemples très différents à vous donner.

imposée à moi.

J’ai un neveu qui est devenu sourd volontairement, car il ne voulait plus entendre

LFC : Cette ville crée une atmosphère

les disputes de ses parents. Il a retrouvé l’ouïe

particulière tout au long de l’histoire.

le jour où ses parents se sont réconciliés. Pour

31

ma part, j’ai vécu une expérience semblable.

JB : Oui effectivement. C’est un livre rempli

J’ai perdu un fils que j’aimais beaucoup, et il a

d’odeurs, notamment celle du lys qui me

fallu que je revienne en arrière pour savoir si

rappelle de mauvais souvenirs. Étant petite, j’ai

j’aurais pu l’aider un petit peu plus. On se pose

grandi avec des lys, ce sont des plantes qui

toujours cette question douloureuse. J’avais

absorbent énormément d’oxygène et qui

effacé dix ans de ma mémoire et au fur et à

rejettent du CO2. Dans ce livre, les lys sont

mesure de l’écriture de ce livre, les souvenirs

mortels. Aude est la compagne d’un parfumeur

sont revenus. C’était à la fois douloureux, mais

très connu et un matin elle se réveille à

c’était également nécessaire. C’est pour ces

l’hôpital et ne se souvient de rien. Petit à petit,

raisons que j’ai voulu écrire ce livre.

on lui raconte que l’on a trouvé son corps


inanimé au-dessus d’un ravin avec la voiture de son mari, portière ouverte, et lui-même disparu. Que lui est-il arrivé ? Il faut absolument qu’elle se souvienne de ce qui s’est passé. Et grâce à l’I.R.M. qu’elleS passe, ELINA on lui dit qu’elle pourra retrouver sa mémoire. Elle s’adresse ensuite à un psychiatre qui va lui poser beaucoup des questions. Au départ, je voulais que ce soit

C’est surtout une histoire d’amour. Je n’aime pas les histoires sombres. Elle va découvrir à la faveur de cette aventure un garçon qui va changer sa vie. Je ne pas quelle fin je R I C H A Rsavais DS donnerai à cette histoire, mais je peux simplement vous dire qu’il y a une grande surprise à la fin.

uniquement un dialogue entre elle et le psychiatre. Mais finalement, il y avait beaucoup d’autres choses à raconter. Au fur

psychiatre. Car je n’avais pas le droit

et à mesure, ses souvenirs reviennent, sauf

d’écrire n’importe quoi. C’est comme mon

ces années de mariage où elle éprouve un

livre précédent La lanterne des morts, qui

blocage.

parlait de la bipolarité, je n’avais pas le droit de me tromper. Jusqu’au bout, elle

LFC : Son inconscient bloque des

m’a suivi et nous sommes devenues amies.

souvenirs volontairement…

Elle a été merveilleuse avec moi.

JB : C’est à la fois conscient et inconscient.

LFC : C’est une histoire dans l’histoire !

Elle se bloque elle-même. Elle n’a pas envie

32

de se souvenir. Elle est consciente qu’avec la

JB : J’ai vraiment de la chance d’avoir ce

disparition de son mari, il s’est passé

rapport privilégié avec mes lecteurs. Ce

quelque chose de grave.

sont mes amis désormais.

LFC : Votre public est fidèle à vos romans

LFC : C’est une histoire de mémoire. Et

depuis des décennies…

c’est également une histoire d’amour.

JB : J’ai beaucoup de chance, car j’ai un

JB : C’est surtout une histoire d’amour. Je

rapport avec mes lecteurs et mes lectrices

n’aime pas les histoires sombres. Elle va

qui est formidable. Ils me suivent depuis des

découvrir à la faveur de cette aventure un

années maintenant. D’ailleurs, j’ai rencontré

garçon qui va changer sa vie. Je ne savais

à la fête du livre de Brive une psychiatre qui

pas quelle fin je donnerai à cette histoire,

vivait à Paris. Je lui ai demandé de m’aider

mais je peux simplement vous dire qu’il y a

pour tous les chapitres concernant le

une grande surprise à la fin. J’ai appris une


J A N I N E

B O I S S A R D

ÉCRIRE M’AIDE À GARDER LA MÉMOIRE, C’EST CERTAIN. ÉCRIRE, C’EST SE PROJETER.


chose avec les polars et les romans à

je choisis le lieu, ici Grasse. Dans chacun de

suspense, c’est qu’il faut qu’à la fin du livre

mes romans, je passe du temps là-bas. C’est

les lecteurs se disent : j’aurais dû m’en

le genre de livre qui nécessite beaucoup de

douter. Il ne faut pas cacher les choses. Il

documentation. J’ai interrogé beaucoup de

faut les mettre en filigrane. Comme dans

psychiatres, beaucoup de gens de ce milieu.

chacun de mes livres, la famille tient un

Lorsque j’écrivais L’esprit de famille, ce

SELINA grand rôle. Je ne peux pas m’en empêcher.

R I Cn’était HARD S compliqué, car c’était pas

Nous sommes ce que nous sommes à

l’environnement dans lequel je vivais. Mais

cause de notre famille.Nous ne pouvons

ces deux derniers livres m’ont demandé

pas dire le contraire. Je ne peux pas effacer

beaucoup d’efforts.

la famille de mes livres. LFC : La perte de mémoire, est-ce quelque LFC : Entre le roman d’avant et celui-ci, il

chose qui vous effraie ?

y a un lien avec le psychiatre. JB : Non, cela ne m’inquiète pas. Je suis plus JB : C’est un monde qui me fascine. Je vais

fascinée par ce phénomène. Il est certain

vous raconter quelque chose. J’éprouve

que plus on avance dans le temps, plus

une grosse douleur qui vient de l’enfance,

notre mémoire se dégrade. Mais c’est la vie

c’est cela qui m’a fait écrire. On m’a

qui est faite ainsi. Tant que j’arrive à écrire,

toujours dit que je n’étais pas normale. On

cela ne fait pas peur.

m’a toujours martyrisé. Je voulais être célèbre, car je me disais qu’en étant

LFC : Écrire, c’est une façon de garder la

célèbre, j’allais être aimée. Mais ce n’est pas

mémoire. Qu’en pensez-vous ?

vrai. J’ai eu l’amitié de mes lecteurs et de mes lectrices tout au long de ces années,

JB : Écrire m’aide à garder la mémoire, c’est

c’est ce qui m’a sauvé. On m’a déjà dit

certain. Écrire, c’est se projeter. Beaucoup

plusieurs fois, notamment des psychiatres,

de mes amis ont eu la Maladie d’Alzheimer,

que je devrais me faire psychanalyser pour

mais il y a beaucoup de choses qui vous

cette douleur. Mais je ne veux pas, je veux

prédisposent à cela. Le fait d’être dépressif,

la garder en moi. Si je ne souffre plus, je

de tourner en rond, l’alcool… C’est pour cela

n’écrirai plus.

que j’y échapperais peut-être. Je vais toujours à la rencontre des gens. Je n’arrête

LFC : Qu’est-ce qui a été difficile dans

pas de bouger. Dès que vous vous

l’écriture de ce livre ?

enfermez, c’est terminé. Il faut avoir une curiosité dans la vie. Lorsque l'on est

34

JB : C’est un livre qui a été difficile à écrire.

passionné par la vie et lorsque l'on

Tout d’abord, quand je commence à écrire

s’intéresse aux autres, c’est un bonheur.


J A N I N E

B O I S S A R D


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

LOUIS-STÉPHANE ULYSSE

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


SELINA

Fin mars 2018, dans le studio photos de Céline Nieszawer qui signe les portraits de cet entretien, nous rencontrons Ulysse - de R I C HLouis-Stéphane ARDS passage en France - venu nous parler des Indiens et des Cowboys dans un très beau livre (inclus des DVD), consacré à l'histoire du Western (GM Éditions/Carlotta Films)

LFC : Nous nous rencontrons pour deux livres

effacement culturel très intéressant à creuser.

(Une histoire du Western chez GM Éditions en

Il y a une phrase indienne célèbre qui est

association avec Carlotta Films) qui retracent

devenue populaire qui dit qu’il y a pire qu’un

l’histoire du western avec d’un côté les

Indien dans un western, c’est un Indien qui

cowboys et de l’autre les Indiens.

regarde un Indien dans un western à la télévision. Cela veut tout dire.

LSU : À la base, nous voulions simplement faire un beau livre sur l’histoire du western. Et il m’est

LFC : Pourquoi avez-vous écrit ces deux

apparu assez rapidement que cela avait du sens

livres ?

aujourd’hui si l’on traitait d’un côté les cowboys et d’un autre les Indiens. Je souhaitais donner un

LSU : Au début, c’était une commande. Je

côté ludique.

pense que les éditeurs sont venus vers moi parce qu’ils pensaient que j’étais la bonne

LFC : On imagine que ce livre est parti d’un

personne pour le faire. Peut-être que j’avais

point de départ assez simple : l’enfance. Qu’en

quelque chose de différent à apporter, un

pensez-vous ?

autre angle. Je trouvais intéressant qu’un romancier qui fait de la fiction comme moi

37

LSU : Tout à fait. Dans les recherches que j’ai

donne sa vision sur un autre type de fiction

faites, j’ai eu le témoignage d’un Amérindien qui

qui est assez emblématique. Même si

me disait que lorsqu’il était petit, il jouait aux

l’époque des westerns est révolue, il y en a

cowboys et aux Indiens. Et que tous les petits

quand même encore quelques-uns qui

Indiens voulaient jouer le cowboy. Il y avait un

sortent de temps en temps. Les codes sont


restés dans la culture pop, dans les films et dans les séries. Par exemple, le film Three Billboards est un western moderne. Quand Martin Scorsese parle de Taxi Driver, il dit que c’est son adaptation de La prisonnière SELINA

Les codes du western sont restés dans la culture pop, dans les films et dans les séries. Par exemple, le film "Three Billboards" est un moderne. R I C H Awestern RDS

du désert. Tout cela a du sens. LFC : Pensez-vous que l’époque dans laquelle LFC : Le western est une source

nous vivons manque de grandeur ?

d’inspiration pour le cinéma d’aujourd’hui.

LSU : Sans doute. Peut-être est-ce dû au fait que je me suis mis à voyager et que je vis maintenant en Grèce.

LSU : C’est comme si un auteur de théâtre

Ce qui est génial en France, c’est que les distributeurs

revenait à la dramaturgie grecque. Pour le

marchent, les bus sont à l’heure, il y a un maillage

cinéma, c’est la même chose. L’homme est

social qui marche très bien. C’est une chance

dans un grand espace, il est confronté à la

incroyable de vivre en France aujourd’hui et parfois je

nature. Il a un rapport à l’altérité.

ne ressens pas cette joie chez les Français.

LFC : Vous parlez de séries télévisées. The

LFC : Pourquoi avez-vous décidé de séparer ces

Walking Dead, c’est aussi un western

deux livres ?

moderne. LSU : La vision du western n’est pas du tout là même LSU : Absolument. On retombe toujours sur

lorsque l’on se place du côté des cowboys ou des

les codes du western. Parfois cela peut

Indiens. Au-delà du livre, on peut dire que les Indiens

paraitre un peu désuet, mais pas du tout. Il y

n’en ont pas grand-chose à faire. Ils sont plus dans le

a toujours quelque chose à prendre dans le

témoignage de ce qu’ils vivent.

western. LFC : À qui adressez-vous ces deux livres ? LFC : À travers ces deux livres, vous ne ringardisez pas le western. Vous lui

LSU : J’adresse ces deux livres à des gens qui ont

donnez ses lettres de noblesse.

envie de se faire un western. Que ce soit ceux qui aiment le western ou ceux qui veulent le découvrir.

38

LSU : J’essaye de revenir au plaisir et à

De plus, l’iconographie est très belle : il comporte six

l’envie. J’aime parler des gens qui sont

DVD avec les deux livres proposant plus de 130

bigger than life, qui assument ce qu’ils font

photos inoubliables, rares et inédites. C’est un très bel

et qui vont au bout de leurs rêves.

objet, une sorte de livre d’initiation.


L O U I S - S T É P H A N E

U L Y S S E


LFC : Pensez-vous que le western est un sujet

Les oiseaux d’Alfred Hitchcock où un corbeau, qui fait partie

universel ?

du tournage, tombe amoureux de Tippi Hedren. Après le tournage du film, ils continuent d’avoir cette relation. Ce

LSU : Si l’on prend l’exemple des Nord-Américains,

livre raconte aussi la mutation importante qu’il y a eu à

l’histoire des cowboys et des Indiens est commune à

Hollywood à la fin des fifties où les studios ne savaient pas

tous. Le western démarre très peu de temps après la

comment appréhender l’arrivée de la télévision. C’est

guerre de Sécession où l’Amérique est scindée en deux également assez inédit puisque le livre ne sera pas le même parties avec le Nord et le Sud. D’ailleurs, ce n’est pas un que l’original, il comportera un chapitre en plus. hasard si le premier western s’appelle Naissance d’une nation.

SELINA

RICHARDS

LFC : Quel est votre sentiment de donner une seconde vie à cette œuvre ?

LFC : Quels sont vos projets ? LSU : J’en suis très heureux. Même si c’est rare en France, LSU : Il s’agit du livre Harold qui est sorti en 2010 (Le

c’est quelque chose qui se fait beaucoup à l’international.

Serpent à Plumes) et qui va sortir dans la collection

Je pense notamment à Hergé, Lou Reed ou Johnny Cash

L’Ombre Animale d’une nouvelle maison d’édition qui

qui ont passé leurs vies entières à retoucher leurs œuvres.

s’appelle La Bibliothèque. Ce livre a un lien avec le

J’avais envie de faire pareil. L’œuvre est mouvante. Rien

cinéma et Hollywood puisque c’est l’histoire du film

n’est figé.

40


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

NICOLAS REY SANS FILTRE

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA


Chez lui, quartier vivant de Paris, Nicolas Rey a la gentillesse de nous recevoir pour une séance photos et une interview au sujet de son "Dos au mur" (Au S E L I Nnouveau A R I C H A R livre DS Diable Vauvert). Un entretien authentique, d'une sincérité touchante pour un livre coup de poing. Absolument génial.

LFC : Ce livre, nous avons le sentiment que

la bonne nouvelle, c’est que vous avez un

c’est une parole libérée. Qu’en pensez-vous ?

livre à écrire.

NR : Ce livre m’a fait un bien fou. J’avais promis à

NR : Oui. L’éditeur me donne un à-valoir. Il me

la femme de ma vie de ne plus mentir, car j’avais

fait confiance, il me donne beaucoup d’argent,

le mensonge comme deuxième peau. C’était

sauf que je n’arrive plus à écrire. C’est un sujet

comme un réflexe chez moi. Petit à petit, elle m’a

tabou chez les écrivains. Mais il n’y a rien de

amené vers la vérité, au fait de se dire les choses.

pire que d’être entre deux livres ou entre deux

Quand je suis tombé dans cette histoire de

nouvelles. Parfois, on n’y arrive pas. Tout

plagiat, je n’ai pas réussi à lui dire. C’est pour

simplement.

cela que je me suis dit que j’allais lui écrire. C’est devenu ce roman. Sauf qu’au lieu d’écrire

LFC : C’est rare que les auteurs admettent

uniquement l’histoire du plagiat, j’ai tout

cela.

raconté. NR : J’ai pêché par ma nonchalance, par mon

42

LFC : Le plagiat est une sorte de prétexte.

côté enfantin. J’aurais pu leur dire d’emblée

Avant cela, on sent qu’il y a un problème. Le

que je n’avais fait que cent quatre-vingts

problème, c’est aussi la page blanche. Vous

pages. Nous serions restés bons amis et voilà

dîtes quelque chose qui est assez paradoxal,

tout. La suite, c’est comme si j’étais dans un

c’est qu’au début de ce livre, vous dîtes que

mauvais film, comme dans After Hours. Il y a


une accumulation de petits détails qui font que vous tombez au fond du gouffre. J’ai choisi cette nouvelle que Félix, un ami à moi, m’avait gracieusement donnée. Il m’a affirmé que cela ne le dérangeait pas du tout. Nous étions SELINA complément drogués, il était trois heures du matin et je savais que je n’avais que quelques heures pour réécrire cette nouvelle à ma sauce. LFC : Le livre sort. Que se passe t-il ensuite ?

Ce livre m’a fait un bien fou. J’avais promis à la femme de ma vie de ne plus mentir, car j’avais le RICHARDS mensonge comme deuxième peau. C’était comme un réflexe chez moi.

NR : Avant que le livre ne sorte, je reçois un

que personne n’en avait rien à foutre. Tous les

SMS de la copine de Félix qui me dit qu’il a

matins, j’allais taper mon nom sur Google en

changé d’avis et qu’il aimerait récupérer sa

étant persuadé que j’allais trouver quelque

nouvelle. Je préviens mon éditrice qu’il faut

chose. À chaque fois que je recevais un SMS,

annuler la dernière nouvelle du livre et elle me

je flippais. Je me suis dit que j’allais me

dit que ce n’est pas possible, car le livre est en

révolter contre tout cela et que j’allais écrire

cours d’impression. De plus, elle me dit qu’elle

ce livre. Très tôt, l’affaire a été étouffée. Il y a

est persuadée que ce livre va être une petite

eu un arrangement avec les Éditions de la

bombe. Ce que je lui confirme… La copine de

Martinière. Tout allait bien dans le meilleur

Félix me dit que ce n’est pas possible, qu’il a

des mondes. On m’a conseillé fortement de

déjà pris un avocat et qu’il faut que j’en prenne

ne pas faire ce livre, car cela allait nuire à mon

un également.

image. J’ai bien fait de le faire, car aucun autre livre ne m’avait tenu aux tripes comme celui-

LFC : Qu’est-ce que vous vous dîtes à ce

ci. Plus le milieu littéraire me disait de ne pas

moment-là ? Vous sentez-vous trahi ?

le faire, plus j’en avais envie.

NR : Non pas du tout. J’ai un problème, je suis

LFC : Avez-vous une appréhension de

incapable d’en vouloir aux gens très

publier ce livre ?

longtemps. J’ai beaucoup d’indulgence.

43

Comme j’ai souvent la mémoire courte, je ne

NR : Je dirais plus qu’il y a une excitation. J’ai

suis pas quelqu’un de rancunier. La chose qui

hâte d’en découdre. Je souhaite m’exprimer

m’a poussé à écrire ce livre, c’est que je suis

et en parler. J’ai voulu raconter ce que l’on

devenu parano. J’avais l’impression que tout le

ressent quand on a peur, raconter ce que

monde était au courant de cette histoire alors

c’est de se sentir trahi.


N I C O L A S

R E Y

C’EST UN ROMAN CONTRE LE MENSONGE.


LFC : Le roman est très fort. L’écriture est sans filtre. C’est un livre sur la recherche de la vérité, comme vous nous l’avez confié en début

devais vous inventer un mensonge, mais je n’ai pas eu le

d’entretien.

temps de le faire. Le vieux sage lui dit : vous ne trouvez

NR : C’est un roman contre le mensonge. Je ne veux

histoire m’a fait du bien et m’a touché.

pas qu’on se sent plus léger en disant la vérité ? Cette

pas que mon livre soit assimilé à la transparence obligatoire qu’il y a en ce moment avec des choses comme #BalanceTonPorc. Ce roman a été écrit bien

SELINA

avant. J’avais un rapport particulier avec le

mensonge qui me maintenait six pieds sous terre. Et enfin aujourd’hui, j’arrive à sortir la tête de l’eau et à respirer. LFC : En vous écoutant, on a le sentiment que votre vie est une grande fiction et qu’avec ce livre vous êtes de retour dans la réalité. NR : Désormais, je vais pouvoir regarder mon fils dans les yeux en lui disant que j’ai fait pas mal de conneries dans ma vie. J’étais plongé dans une mythomanie permanente. C’est aussi grâce à Joséphine que j’ai réussi à m’en sortir. Un jour alors que l’on se baladait à la montagne, elle me racontait une histoire sur le mensonge et la vérité. L’histoire d’un touriste américain qui prend une cuite avec un vieux sage. Le lendemain, le vieux sage lui dit qu’ils doivent se retrouver à la même heure, au même endroit le jour suivant. Il dit au touriste qu’il a seulement deux choses à faire. La première est de chercher tout ce qu’il pourra trouver sur le mot placebo. La seconde, c’est de monter à pied au sommet d’un col. Le type rentre à l’hôtel, allume son ordinateur et commence à chercher sur Google le mot placebo. Il passe la journée entière dessus et quelques heures avant de revoir le vieux sage, il se dit qu’il a oublié de franchir le col. Il se dit donc qu’il lui racontera un mensonge. Quand ils se rencontrent de nouveau, il a tellement à lui dire sur le mot placebo qu’il lui raconte tout d’un jet. À la fin, le vieux sage lui demande comment s’est 45

passée l’ascension du col et le touriste lui répond : je

LFC : La première page est très forte, vous écrivez : j’écris parce que je vais crever…

RICHARDS

NR : Je suis tombé très malade. J’ai eu une pancréatite aiguë avec une chance sur deux de m’en sortir. Pour le moment, elle s’est plutôt résorbée, mais il faut que je fasse attention à tout un tas de choses. LFC : À qui adressez-vous ce livre ? NR : À la personne qui m’a hébergé pour l’écrire, mon meilleur ami Bruno. Je l’adresse également à la personne que l’on va continuer à nommer Joséphine. Je préfère continuer de l’appeler ainsi, car je veux respecter sa vie privée. L’existence est quelque chose d’assez bizarre. Je l’ai rencontré à quarante ans et pourtant j’en avais vécu des histoires. J’ai compris de suite que j’étais tombé amoureux pour la première fois de ma vie. Plus les années passaient et plus je l’aimais, jusqu’à ce qu’elle me quitte. Lorsqu’elle m’a quitté, c’est comme si on me quittait pour la première fois. J’ai l’impression que ma vie se résume à la période entre mes quarante ans et mes quarante-quatre ans. Je suis incapable de vous dire ce qui s’est passé les quarante premières années de ma vie. LFC : Avant que l’on ne se quitte, voulez-vous ajouter quelque chose à cet entretien ? NR : Tous mes prochains livres seront dédiés à Joséphine. Je ne suis pas dupe, je sais que je ne la retrouverais peut-être jamais, j’en ai conscience. Mais je me dis que s’il y a une chance sur un milliard pour que l’on se retrouve, alors je veux continuer d’y croire.


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

SARAH LADIPO MANYIKA

INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : DR


Mars 2018, au siège des éditions Delcourt Littérature, Paris République, nous avons la chance de rencontrer Sarah Ladipo Manyika qui parle un français parfait (même si elle en doute). Elle a vécu au S E L I N A en R I France C H A R D S et en Angleterre avant Kenya, de s’établir à San Francisco. "Comme une mule qui apporte une glace au soleil", finaliste du Goldsmisth Prize, est son premier roman publié en France. Entretien inédit.

LFC : Sarah Ladipo Manyika, nous nous

souvent la connaissance de femmes plus

rencontrons pour la sortie de votre livre

âgées que moi et ces rencontres étaient

Comme une mule qui apporte une glace au

toujours très enrichissantes.

soleil (Delcourt Littérature). Est-ce le titre original ?

LFC : Pensez-vous que les femmes âgées ne sont pas assez représentées dans la

SLM : Oui. J’aime beaucoup la poésie, c’est

littérature ?

pour cela que le titre est tiré d’un poème d’une auteure américaine dans lequel elle dit que la

SLM : Oui. J’ai essayé de réparer la chose en

seule façon de profiter de la vie, c’est de faire

écrivant ce livre. (Rires)

comme si nous étions une mule qui transportait une glace au soleil.

LFC : Comment avez-vous imaginé ce personnage ? Est-ce un mélange de toutes

LFC : Les lecteurs vont faire connaissance

les femmes que vous avez rencontrées

avec un personnage qui s’appelle Morayo Da

dans votre vie ?

Silva. Pouvez-vous nous la présenter ? SLM : C’est un mélange de toutes ces

47

SLM : Morayo est une femme de soixante-

femmes. Mais cela vient aussi et surtout de

quinze ans. En tant qu’auteur, j’écris des

mon imagination. Je voulais un personnage

histoires que je voudrais lire et que je n’arrive

avec une joie de vivre très prononcée.

pas à trouver. Toni Morrison a dit un jour que si

D’ailleurs, le nom Morayo veut dire Je vois la

vous ne trouvez les histoires que vous voulez

joie en anglais. Elle a un rapport très

lire, alors il faut les écrire. Dans ma vie, je faisais

particulier avec ces livres, elle adore la


littérature. Les livres, ce sont sa vie.

SLM : Les autres personnages viennent d’un peu partout. Dawud est un commerçant palestinien très charmant, mais

LFC : Morayo est également très curieuse.

stressé par son business, Mike est un policier apprenti-

À travers elle, vous nous faites découvrir

romancier, Sunshine est une jeune voisine indienne, Rachel

toute une palette de personnage dans fan de Grateful Dead… S ElaL I N AestRune I Cjeune H A R sans-abri DS ville de San Francisco. Pourquoi avoir choisi cette ville ?

LFC : Que vouliez-vous nous montrer à travers ces personnages ?

SLM : Tout d’abord parce que je vis là-bas. Ensuite, je voulais écrire une histoire où l’on

SLM : Je voulais montrer que malgré son âge, Morayo avait

verrait le monde avec les yeux de quelqu’un

des amis de tous les âges et de tous les milieux. Souvent, on

qui ne vivait pas là-bas. Aujourd’hui, aux

vit dans nos cercles personnels et l’on a du mal à s’ouvrir

États-Unis et ailleurs, on se méfie de

aux autres, à s’intégrer dans d’autres milieux. Je trouve qu’il

quelqu’un dès lors qu’il est étranger. Je

y a un danger avec les monocultures. Par rapport aux âges,

voulais que mon protagoniste soit ouvert

aux nationalités ou à la géographie, j’ai voulu montrer que la

d’esprit et s’intéresse aux gens.

mixité pouvait fonctionner.

LFC : Ce n’est pas l’image que l’on se fait

LFC : Ce livre est un roman qui nous fait voyager et qui

de San Francisco qui semble être une ville

nous fait du bien. Il nous fait aussi penser aux fictions

assez ouverte.

d’Armistead Maupin.

SLM : Je parle de l’Amérique en général. San

SLM : Cela me flatte beaucoup. Pour la petite anecdote, il

Francisco est plus tolérante que d’autres

habitait à quelques rues de là où j’habite maintenant. Je me

endroits aux États-Unis. Lorsque l’on parle de

sens proche de lui. (Rires) J’ai lu ses livres il y a très

cette ville, on ne parle pas des sans-abris ou

longtemps, il a essayé d’introduire des personnages

des gens qui sont obligés de vivre dans leur

différents à l’époque, ce qui était assez nouveau. D’une

voiture. C’est une réalité et il y en a de plus

certaine manière, c’est ce que j’ai essayé de faire

en plus. C’est un sujet dont je voulais parler.

également. On peut le voir comme une continuité.

Il y a un fossé énorme aux États-Unis entre

48

les riches et les pauvres.

LFC : Continuez-vous d’écrire ?

LFC : Beaucoup de personnages sont

SLM : Je suis en train d’écrire mon troisième livre et j’écris

présents dans ce livre. Pouvez-vous nous

également des essais et des nouvelles. Vous en saurez plus

en parler ?

bientôt.


S A R A H

L A D I P O

M A N Y I K A


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA

ANNE NELSON


Fin mars 2018, Place d'Italie, dans les locaux de Robert laffont, nous avons rendez-vous avec Anne Américaine qui SNelson, E L I N A R Ijournaliste CHARDS publie "La vie héroïque de Suzanne Spaak" (Robert Laffont), finaliste du National Jewish Book Award. Photos exclusives et entretien inédit.

LFC : Bonjour Anne Nelson, pouvez-vous

d'elle pour la première fois ?

nous présenter l’héroïne de votre livre Suzanne Spaak ?

AN : J’avais entendu parler de ce réseau de sauvetage de la résistance dans un livre sur

AN : Suzanne Spaak est une femme résistante

l’Orchestre Rouge puis dans un article de

d’origine belge qui a vécu à Paris pendant

journal. Grâce à Google, j’ai découvert que

l’occupation nazie. Elle a participé à un grand

Suzanne avait une fille qui était professeur de

réseau de sauvetage d’enfants durant la

tricot dans le Maryland. Je l’ai rencontrée et j’ai

Seconde Guerre mondiale.

découvert beaucoup de choses sur Suzanne, une femme qui n’était ni juive ni polonaise,

LFC : Êtes-vous étonnée que l’on ne

mais qui s’est investie pour des intérêts

connaisse pas plus cette femme ?

humanitaires.

AN : Oui. Car c’est une femme moderne qui a

LFC : Cette femme était avant tout une

été très importante dans l’histoire. Ce n’est pas

humaniste.

forcément l’image que nous avons de la résistance en France alors qu’elle et d’autres

AN : Exactement. J’ai eu une trentaine de

femmes ont joué un rôle très important durant

rendez-vous avec sa fille. Elle m’a beaucoup

la Seconde Guerre mondiale. C’est le destin de

aidé ainsi que son frère qui a un peu plus de

femmes extraordinaires.

quatre-vingts ans aujourd’hui. En faisant des recherches, j’ai également trouvé des enfants

LFC : Comment avez-vous entendu parler 51

cachés. Pour écrire ce livre, il me fallait des


preuves. LFC : Avez-vous été surprise par son histoire ?

SELINA AN : Mon idée de départ était de raconter l’histoire de Suzanne Spaak. Et au fur et à mesure de mes recherches, j’ai découvert beaucoup d’autres choses. Des choses intéressantes sur la résistance, les différents

C’est une question très philosophique. Faut-il sacrifier une vie pour en sauver cinq cents ? Une chose est sûre, pour la famille Spaak, c’est une R I C Hhistoire ARDS tragique. Mais pour les enfants cachés, c’est quelque chose d’incroyable. Quelle histoire !

acteurs notamment. Robert Debré par exemple, qui a eu un destin incroyable. Je

LFC : Avez-vous voulu raconter la

suis également journaliste et je cherchais la

petite histoire des gens ordinaires

vérité, les témoins. Il y a beaucoup

mêlés à la grande Histoire ?

d’historiens qui ne parlent pas avec les gens et qui utilisent seulement les archives. Ils sont

AN : Tout à fait. Pour moi, c’est une

d’ailleurs un peu suspicieux des gens qui

manière de vaincre la dépression. Tous

parlent avec les témoins. Pour moi, les

ces gens qui ont participé à la

témoignages sont essentiels.

résistance représentent l’espoir du futur.

LFC : L’histoire de Suzanne Spaak est extraordinaire, et pourtant elle ne se

LFC : Quel écho Suzanne Spaak

termine pas très bien…

suscite-t-elle dans la société d’aujourd’hui ?

AN : Je ne sais pas. Elle a fait un sacrifice. Et

52

des enfants ont été libérés grâce à elle. Elle a

AN : Je suis américaine et aujourd’hui,

sauvé des vies. On ne sait pas combien, mais

nous avons notre catastrophe nationale

peut-être cinq cents. C’est une question très

en la personne de Donald Trump. J’ai

philosophique. Faut-il sacrifier une vie pour

étudié les mouvements de résistance

en sauver cinq cents ? Une chose est sûre,

dans beaucoup de pays. Et je remarque

pour la famille Spaak, c’est une histoire

qu’il y a une qualité en commun : les

tragique. Mais pour les enfants cachés, c’est

régimes répressifs veulent créer des

quelque chose d’incroyable. Quelle histoire !

boucs émissaires avec les migrants.


A N N E

N E L S O N


Aujourd’hui, nous avons besoin de personnes pour défendre les populations vulnérables et tenir l’opposition. Des personnes comme Suzanne Spaak. Elle était la plaque tournante entre les juifs, les catholiques, les gaullistes, les

E Lcéder INA communistes… Il ne faut absolument S pas à la division de nos jours. LFC : Pourquoi ce sujet vous a-t-il autant passionné ? AN : En tant qu’écrivain, je recherche des

Aujourd’hui, nous avons besoin de personnes pour défendre les populations vulnérables et tenir l’opposition. Des personnes comme Suzanne Spaak. Elle RICHARDS était la plaque tournante entre les juifs, les catholiques, les gaullistes, les communistes… Il ne faut absolument pas céder à la division de nos jours.

histoires de femmes. Des histoires dramatiques.

que c’est ce que Suzanne Spaak a fait.

Suzanne a eu des relations difficiles avec un

C’était instinctif. Nous avons tous une

mariage qui a été un échec. Elle a fait une

mission dans la vie que nous accomplissons

profonde dépression… Mais elle a su rebondir.

parfois malgré nous.

Ce qui m’intéressait lorsque j’ai écrit ce livre, c’était la transformation d’une femme sans

LFC : Êtes-vous admirative de ce qu’elle a

objectif en une femme dynamique, élégante et

fait ?

moderne. AN : Je le suis. Mais si j’avais été à sa place, LFC : Selon vous, Suzanne Spaak est-elle une

je ne sais pas ce que j’aurais fait. Je crois

héroïne des temps modernes ?

qu’il faut trouver une balance entre ce que l’on veut faire de sa vie et de sa famille.

AN : J’ai un problème avec le terme héroïne. Suzanne Spaak a simplement fait ce qui lui

LFC : Faut-il une tragédie pour devenir

semblait bon. Je vais vous donner un autre

une héroïne ?

exemple. Il y a une pièce de théâtre sur les

54

pompiers de New-York qui s’appelle The Guys.

AN : Peut-être. Nous n’avons pas beaucoup

Dans cette œuvre, les pompiers racontent juste

de livres qui parlent de cette histoire. J’ai

qu’être pompier, c’est simplement leur métier,

voulu m’interroger sur ce sacrifice. Mon

leur devoir. J’ai été journaliste de guerre et il y a

travail est de raconter l’histoire. Puis, c’est

des moments d’adrénaline très forts où l’on

aux lecteurs de l’interpréter comme ils le

passe beaucoup de temps à juger. Par moment,

souhaitent. Ce qu’il faut surtout retenir de ce

nous sommes dans l’action et nous ne

livre, c’est que sans actes héroïques, nous

réfléchissons plus à ce que l’on fait. Je crois

ne serions peut-être pas là aujourd’hui.


L'ENTRETIEN QUI FAIT DU BIEN

AVRIL 2018

PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Céline Nieszawer

BAPTISTE BEAULIEU INTERVIEW INÉDITE

par Christophe Mangelle et Quentin Haessig


Baptiste Beaulieu se fait connaître par son blog, "Alors voilà," dont il tire la matière de son premier recueil portant le même titre, vendu à 60 000 exemplaires et traduit dans quatorze langues où il raconte son quotidien d'interne, puis de médecin, ainsi que plus généralement les relations soignants-soignés. Depuis, il a publié plusieurs romans dont "La ballade de l'enfant gris" (Le livre de poche) évoqué dans cette interview. Séance photos pour LFC Magazine et entretien inédit avec l'écrivain-médecin. Rencontre.

LFC : Baptiste Beaulieu, nous nous rencontrons pour la première fois pour parler de vos différentes actualités. Pour commencer, comment est née votre envie d’écrire ? BB : Aujourd’hui, on voit beaucoup de belles choses dont on ne parle pas à plus grande échelle. Lorsque l’on est soignant, on voit des histoires incroyables chaque jour. Je crois que c’est important parfois d’en témoigner. Si on ne le fait pas, ces histoires sont perdues pour toujours. LFC : De cette idée est né un blog. Pouvez-vous nous en parler ? BB : C’est une plateforme qui a été créée afin qu’il y ait un dialogue entre les soignants et les soignés pour essayer de mieux comprendre le milieu hospitalier. L’élément décisif qui a permis la création de cette plateforme, c’est une intervention que j’ai faite une nuit avec le Samu. Nous étions deux équipes cette nuit-là. La première équipe a été envoyée dans un internat pour une tentative de suicide et la seconde chez une femme en centre-ville pour un accouchement qui se passait très mal et où le bébé risquait

LFC MAGAZINE #8 | 56

de décéder. Quelques heures plus tard, la jeune fille qui avait tenté de se suicider est décédée. Ce fut un moment bouleversant, car il y avait des photos de sa famille partout dans sa chambre. Alors que nous rentrions à l’hôpital, nous avons entendu à la radio les premiers cris du bébé qui venait tout juste de naître. La deuxième équipe venait de réussir sa mission. Nous nous sommes tous regardés et j’ai tout de suite saisi la portée métaphysique de ce que nous venions de vivre. C’est à ce moment-là que je me suis dit qu’il fallait raconter ce genre d’histoire. L’hôpital est le symbole de la civilisation. LFC : Le blog a eu un succès important, tout comme le livre. Vous vous êtes retrouvé sur le devant de la scène. Comment avez-vous vécu cela ? BB : J’ai tout de suite saisi l’opportunité, car je suis quelqu’un de très militant. Lorsque l’on a une audience, on en profite pour défendre les valeurs auxquelles on croit. Ma fierté, c’est également d’être un médecin que les personnes homosexuelles, lesbiennes ou transgenres viennent voir en consultation. Leur situation fait également partie de mon combat. D’ailleurs lorsque je serai mort, j’aimerais qu’il soit inscrit sur ma pierre tombale que je me suis bien occupé


d’elles. LFC : Vous vous adressez plus à cette population, car vous avez le sentiment qu’elle est moins bien prise en charge ? BB : C’est une population qui est socialement minoritaire et qui n’est pas assez bien prise en charge, c’est une évidence. Il n’y a aucune formation lors de nos études sur les personnes transgenres. C’est dingue que ce soit Twitter qui m’ait appris qu’il est mieux d’appeler une personne transgenre plutôt que transsexuel. J’aurais aimé qu’une personne vienne à la faculté de médecine et qu’elle nous explique ce que c’est de vivre aujourd’hui dans notre société avec une identité différente. LFC : Vous n’avez pas eu de formation à propos de cela ? BB : Pour vous donner une idée, nous avons eu une heure de formation sur dix ans d’études, ce qui est très peu… LFC : Animer ce blog vous demande-t-il du temps ? BB : Cela me prend du temps, mais c’est très gratifiant. Beaucoup de soignants m’ont confié leur mal-être et j’ai vraiment eu à cœur de les aider, et de partager cela avec d’autres personnes. Les témoignages de soignés sont également bouleversants. Je me souviens du témoignage d’un interne qui

LFC MAGAZINE #8 | 57

Aujourd’hui, on voit beaucoup de belles choses dont on ne parle pas à plus grande échelle. Lorsque l’on est soignant, on voit des histoires incroyables chaque jour. Je crois que c’est important parfois d’en témoigner. Si on ne le fait pas, ces histoires sont perdues pour toujours. disait que chaque corps qu’il reçoit est magnifique. Et ce que nous vend la publicité est strictement faux. J’ai d’ailleurs placardé cela dans ma salle d’attente et je suis persuadé que cela met les patients à l’aise. LFC : Vous avez eu un parcours en médecine assez classique, mais dans vos réponses, on sent que vous y mettez plus que cela. Comment l’expliquez-vous ? BB : Étant petit, j’ai été très malade. Maintenant que j’y pense, c’était une chance, car cela m’a permis de m’interroger sur le fait de comprendre l’incompréhensible. Lorsque l’on a onze ans et que vous entendez le médecin vous dire que votre maladie dermatologique n’est pas grave alors que vous n’avez qu’une seule envie, c’est plaire, c’est une situation compliquée. Tout cela m’a formé et m’a donné envie de défendre la voix des patients. Je le prends comme une chance aujourd’hui et je milite pour que les médecins soient un jour très malades et qu’ils sachent ce que cela fait de l’être ! LFC : Comment être un médecin humaniste ? BB : Certains médecins m’ont répondu que trop



d’empathie pouvait nuire à leurs relations. Personnellement, je pense que ma sensibilité m’a permis de sentir certaines choses lors de consultations que je n’aurais pas ressenties si je n’avais pas eu une telle empathie. LFC : Pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez choisi de mettre le mot "alors" dans les titres de vos deux premiers romans ? BB : C’est une phrase qui est extraite d’un très vieux livre Le Mahabharata, un des plus vieux textes de l’humanité. C’est une des histoires les plus apaisantes que l’on peut raconter lorsque vous n’allez pas bien. Le livre raconte que pour les hindous, l’épopée humaine est une succession de constructions et de destructions. Ils expliquent que lorsque la destruction totale de l’humanité aura lieu, il n’y aura plus qu’un seul survivant, un vieil homme, qui sera condamné à errer au milieu des ruines. Le Mahabharata raconte comment ce vieil homme erre au quotidien. Un jour, il tombe sur un arbre alors qu’il n’en a pas vu depuis des années. Il voit un enfant, qui en réalité est un Dieu, se balancer aux branches de cet arbre. L’enfant le regarde et lui dit qu’il le trouve fatigué. Il ouvre ensuite sa bouche et un vent magique aspire le vieil homme dans le creux de son ventre. À l’intérieur de celui-ci, le vieil homme voit la vie reprendre, les hommes s’activent à reprendre leur place dans la société et tout à coup le vent le repousse de nouveau à l’extérieur du corps de l’enfant. Ce dernier lui demande s’il a compris ce que cela signifiait, le vieil homme lui dit que oui et l’enfant lui répond : alors tu ne seras plus jamais triste. Je trouve cette phrase très rassurante. LFC : Comment la fiction s’est-elle imposée à vous ? BB : Depuis enfant, je porte la littérature en moi. J’avais toujours voulu écrire un livre et raconter les histoires que j’avais en tête. Pas seulement celles des patients. LFC : Ce premier livre a eu du succès. Quels souvenirs en gardez-vous ? BB : Cela a été un challenge. J’ai fait beaucoup d’erreurs que je ne referais pas. Mais à chaque nouveau livre, on apprend. Ce que je retiens, ce sont les messages forts des lecteurs qui m’ont dit que ce livre leur avait permis de

LFC MAGAZINE #8 | 59

relever la tête. Si en tant que médecin, je peux les soigner sans prendre la carte vitale, c’est parfait ! (rires) LFC : L’actualité du jour, c’est votre deuxième roman "La ballade de l’enfant gris". Pouvez-vous nous en dire quelques mots ? BB : Je suis passionné de mythologie et dans tous mes romans, j’aime utiliser les archétypes. La mère, la vieille dame, le jeune homme… Ce que j’aime, c’est revenir à la base des histoires, des contes. C’était une volonté de raconter le périple d’un personnage qui est poursuivi par un fantôme, qui est l’un de ses anciens

Tout cela m’a formé et m’a donné envie de défendre la voix des patients. Je le prends comme une chance aujourd’hui et je milite pour que les médecins soient un jour très malades et qu’ils sachent ce que cela fait de l’être !


Depuis enfant, je porte la littérature en moi. J’avais toujours voulu écrire un livre et raconter les histoires que j’avais en tête. Pas seulement celles des patients.


patients. C’est une histoire très personnelle, car moi aussi j’ai perdu un de mes patients. J’avais besoin de mettre du sens dans tout cela.

de cette histoire individuelle, j’essaye de faire raisonner toutes les histoires d’amour que je peux voir dans ma vie de tous les jours avec mes patients.

LFC : En tant que lecteur, nous comprenions mieux l’authenticité ressentie à la lecture de ce roman.

LFC : Vous êtes très présent sur les réseaux sociaux et nous aimerions que vous nous parliez de ce tweet il y a quelques jours à propos d’une journée… chargée !

BB : Parfois on me demande ce qui est vrai ou non dans le livre. Je réponds que tout est vrai. C’est ce que j’ai ressenti à l’époque. Ce livre est un exutoire. LFC : Le sujet du livre peut faire peur, parce que vous nous dîtes d’emblée que cet enfant de sept ans va mourir. BB : La mort de l’enfant n’est pas l’enjeu du livre. Le but, c’est de comprendre pourquoi cette mère a fait ce qu’elle a fait dans cette chambre d’hôpital. LFC : Vous continuez d’écrire. Un troisième roman est prévu pour bientôt. BB : Je me lance dans un roman historique qui se passera en 1910. C’est un challenge de taille. Je me base sur des faits réels. Je me suis inspiré des carnets de mon grandpère qui est décédé il y a trois ans. Il raconte la plus belle histoire d’amour que je n’ai jamais lue. Sauf que ce n’était pas avec ma grandmère. Je me base là-dessus pour essayer de raconter toutes les histoires d’amour du monde. C’est la vie d’un homme qui a aimé et qui est meurtri. À partir

LFC MAGAZINE #8 | 61

BB : Effectivement, durant cette journée, j’ai vu cinquante-deux patients et je suis rentré chez moi complètement dépité. J’ai juste été sincère parce que je n’en pouvais plus. J’ai déjeuné un jour avec un écrivain français qui vend beaucoup de livres. Il m’a dit qu’il ne prenait jamais parti dans quoi que ce soit, parce qu’il préfère rester neutre. De peur de perdre des lecteurs et des lectrices. La neutralité n’existe pas. Lorsque l’on a une voix, il faut s’en servir, sinon ce sont simplement des éclaboussures. Il faut défendre les valeurs auxquelles nous sommes viscéralement attachées. Et mon combat principal, c’est de défendre les personnes en difficulté. Bien sûr, j’ai beaucoup de personnes qui réagissent assez violemment, mais je crois que cela vaut le coup de donner son avis lorsque l’on en a un.

Parfois on me demande ce qui est vrai ou non dans le livre. Je réponds que tout est vrai. C’est ce que j’ai ressenti à l’époque. Ce livre est un exutoire.


Lorsque l’on a une voix, il faut s’en servir, sinon ce sont simplement des éclaboussures. Il faut défendre les valeurs auxquelles nous sommes viscéralement attachées. Et mon combat principal, c’est de défendre les personnes en difficulté.


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

AMÉLIE ANTOINE PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Mars 2018, dans le quartier du Marais, nous rencontrons Amélie Antoine pour une séance photos exclusives. Elle nous raconte ses débuts : l'auto-édition, l'édition, son S nouveau E L I N A R I C Hroman ARDS "Les secrets" et sa façon de communiquer sur Internet avec humour et dérision. Entretien inédit.

LFC : Bonjour Amélie Antoine, c’est la

particulièrement reproduit sur les romans

première fois que nous nous

suivants. On ne sait jamais ce qui va se

rencontrons. Pouvez-vous nous parler

passer. Il y a une grosse part de hasard et de

de vos débuts dans l’édition ?

chance. L’effet sur ce type de plateforme est vertueux. Plus il y a de lecteurs, plus il y a de

AA : J’ai d’abord écrit un premier roman

commentaires, plus le livre marche. Au

qui s’appelait Fidèle au poste en 2014 que

moment où je le vivais, je n’y croyais pas. Je

j’ai envoyé à un certain nombre de

me disais que cela allait s’arrêter à un

maisons d’édition. J’ai reçu, au fil des

moment donné.

mois, des lettres de refus et c’est à ce moment-là que je me suis dit que j’allais

LFC : À partir de cette aventure, les

tenter l’aventure de l’auto-édition. En mars

Éditions Michel Lafon viennent vous

2015, j’ai lancé mon livre sur Amazon. Je

chercher et vous publiez Fidèle au poste

me suis dit qu’il fallait tenter le coup et j’ai

un an après la sortie en auto-édition.

bien fait, car il a eu un succès important

Comment s’est passée cette sortie en

dès le début.

version papier ?

LFC : Ce n’est pas si évident de mettre

AA : C’était mon rêve de voir mon roman en

son texte sur ce type de plateforme, car

librairie. C’était une sorte d’aboutissement

on ne sait pas ce qui peut se passer.

alors que ce n’était que le début du chemin.

Qu’en pensez-vous ?

L’objectif était de conquérir un nouveau lectorat qui n’avait pas entendu parler de

64

AA : Il n’y a pas de recette miracle. C’est

moi. Cette nouvelle aventure s’est bien

quelque chose qui ne s’est pas

passée.


LFC : Le livre a été également traduit et est sorti aux États-Unis. AA : Le succès en numérique a été tellement fort qu’il est sorti aux États-Unis, un S anEaprès LINA la sortie sur Amazon. LFC : Malgré la sortie en version en papier, vous avez continué à sortir des livres en

Je ne savais pas si j’allais être capable d’écrire chose après R Iautre CHARDS le succès du premier roman.

auto-édition. Pourquoi avoir continué sur cette voie ? important pour vous ? AA : Je voulais garder le côté hybride. Ce sont deux terrains qui sont assez différents.

AA : Il s’agit de mon deuxième roman, mon

Je ne sais pas combien de temps cela

vrai deuxième roman, celui que j’ai écrit après

durera, mais j’avais encore des manuscrits

Fidèle au poste. Je ne savais pas si j’allais être

que je souhaitais publier en numérique. En

capable d’écrire autre chose après le succès

auto-édition, vous avez la chance de pouvoir

du premier. Aujourd’hui, j’ai ma réponse. J’ai

tout gérer.

réussi.

LFC : Pour communiquer, vous utilisez les

LFC : Vous proposez une histoire avec un

réseaux sociaux avec humour et dérision…

concept. Nous ouvrons le livre et nous nous retrouvons à la dernière page. Vous

AA : La première vidéo que j’ai faite, je l’ai fait

proposez aux lecteurs de découvrir

après un salon du livre que je n’avais pas

l’histoire à l’envers. Pourquoi ?

forcément bien vécu. Je m’étais retrouvée

65

dans des dîners mondains où les gens

AA : C’était l’idée de départ avant même

parlaient de choses que je ne connaissais

d’avoir le sujet ou la thématique. J’avais

pas. Je me suis demandé ce que je faisais là.

envie de raconter une histoire qui

De là est née cette vidéo. C’est très amusant,

commencerait par la fin. Pourquoi les

car des gens m’ont découvert grâce à cela et

personnages en sont-ils arrivés là ? C’est la

cela leur a donné envie de lire mes livres.

question que je me suis posée.

LFC : Les secrets, c’est votre nouveau

LFC : Comment les thèmes sont-ils ensuite

roman en librairie. Pourquoi ce livre est-il

venus à vous ? Pour quelles raisons


A M É L I E

A N T O I N E


Je suis vouloir les aborder ? persuadée que l’on ne AA : Il y avait une part de mon histoire personnelle et une envie de parler de destins de connait jamais personnages qui se croisent et s’entrecroisent les S E L IIlsN se A R I C H A R D vraiment S dans le livre, sans vraiment se connaître. demandent pourquoi ils se rencontrent. Le gens. destin et le hasard, je trouve cela fascinant.

LFC : Vous restez assez mystérieuse sur la

ainsi. Je n’en ai pas forcément

quatrième de couverture.

conscience lorsque j’écris. Mais j’aime travailler sur des

AA : C’est toujours la grande question avant de

personnages qui ont des failles et

publier un livre. On se demande toujours ce que

des défauts.

l’on va dire. C’était important pour moi de ne pas trop en dévoiler. Il y a vraiment eu un

LFC : Votre livre parle beaucoup

moment où je me suis dit que j’écrivais des

du mensonge.

livres dont je ne pourrais pas trop parler, car sinon cela gâcherait le plaisir. Pour mon

AA : C’est un thème récurrent dans

prochain livre par exemple, peut-être que je ne

tous mes livres. Je suis persuadée

dévoilerais même pas le thème.

que l’on ne connait jamais vraiment les gens. Je suis avec mon mari

LFC : Avant la lecture d’un roman, le mieux,

depuis quatorze ans et je sais que je

c’est de ne pas connaître le sujet du livre…

ne le connais pas. Et que je ne le connaitrais probablement jamais.

AA : Oui. Pour mon cas, il s’agit de se plonger

Nous avons chacun notre histoire.

dans le livre et de me faire confiance. La plupart

Nous changeons. Nous avons des

des lecteurs achètent mes livres sans savoir de

choses que nous gardons pour

quoi ils vont parler. Ils savent qu’ils seront

nous.

surpris. LFC : Pourquoi faut-il lire Les LFC : Le livre est très fin humainement et

secrets ?

psychologiquement. AA : Si vous voulez découvrir Les

67

AA : C’est ce qui m’intéresse le plus. Je veux

secrets, il faut y aller les yeux

arriver à comprendre pourquoi les gens sont

fermés.


L'ENTRETIEN DE LA COVER

AVRIL 2018

PHOTOS EXCLUSIVES pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Arnaud Meyer

INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig

PASCALE ET GILLES LEGARDINER


Gilles Legardinier est en tête des ventes très régulièrement avec ses romans feel-good et fait partie des dix romanciers français les plus lus en 2017, tous formats confondus. Le romancier et sa femme Pascale ont accepté l'invitation de LFC Magazine pour une séance photos avec Arnaud Meyer, et un entretien inédit dans lequel le couple nous parle du roman "Comme une ombre" (J'ai lu) écrit à quatre mains. LFC : "Comme une ombre" est un livre que vous avez écrit ensemble et qui a déjà été publié il y a quelques années. Pourquoi avoir décidé de le publier de nouveau ? GL : L’idée, c’était de donner une deuxième vision à cette histoire que l’on a vécue comme une jolie aventure imprévue, il y a une vingtaine d’années. Aujourd’hui, on nous a proposé de le refaire et nous avons tout de suite accepté, car c’est une expérience atypique. PL : Lorsque l’éditeur nous a proposé cette idée, nous nous sommes dit pourquoi pas. Nous avons pris beaucoup de plaisir à écrire cette histoire à l’époque. C’était une expérience inédite.

dois modifier certaines choses. Et vice-versa, lorsque je ne suis pas d’accord avec elle, nous en discutons. LFC : Vous expliquez au début du livre ce que vous voulez faire, à savoir une comédie sentimentale à la manière de la reine des best-sellers Barbara Cartland. GL : Cette femme est une icône de la littérature. Avant d’être une collection - la collection Harlequin - c’est avant tout les livres de Barbara Cartland. J’étais fasciné par le cliché de cette femme très excentrique, très impressionnante et qui débitait à la chaîne des romans qui se vendaient à des millions d’exemplaires. Je trouvais cela amusant d’écrire un roman de ce genre au moment où elle venait de décéder, comme une sorte de clin d’oeil. L’idée, c’était de pouvoir dire que c’était facile. Mais j’avais complètement tort. Je ne savais pas de quoi je parlais et je ne savais pas dans quoi je m’aventurais.

LFC : Vous êtes tous les deux complémentaires…

LFC : C’est à ce moment-là que vous intervenez Pascale. Gilles vous fait lire les premiers chapitres du livre…

GL : Bien sûr. Comme vous le savez, nous sommes un couple et lorsqu’il s’agit de travail, nous avons deux personnalités très fortes tous les deux. Nous sommes complémentaires. Je suis incapable de faire ce que fait Pascale. Lorsqu’elle me dit non, c’est non. Je sais que je

PL : Exactement. Gilles me les fait lire en m’expliquant que ce livre sera une comédie sentimentale et romantique destinée à un

LFC MAGAZINE #8 | 69


lectorat féminin. Je lui ai dit d’emblée qu’il n’avait pas compris les femmes et qu’il allait falloir retravailler quelques détails. GL : Elle ne l’a pas dit tout à fait de cette façon. Elle a plutôt déchiré mes pages et elle m’a dit Tu n’as rien compris aux filles ! (Rires) Plus sérieusement, j’avais axé le livre d’un point de vue masculin. Entre hommes, lorsqu’il y a quelque chose à se dire, on se le dit. Alors que pour les femmes, un non, peut être un oui, un jamais peut être dans une heure et demie… Elles ont cette capacité incroyable. PL : C’était très bon au niveau des rebondissements, mais il manquait une partie sentimentale. C’est pour cela que Gilles m’a proposé que l’on fasse ce livre ensemble. Les choses les plus intéressantes sont celles qui viennent à deux. LFC : Cela fonctionne très bien. C’est un livre très rythmé ! GL : Je suis quelqu’un qui n’aime pas s’ennuyer. Que ce soit quand on regarde un film ou quand on lit un livre, il faut avouer que la plupart du temps, c’est rasoir. N’ayant pas la prétention d’avoir du talent, je pars du principe qu’il faut que j’aille vite pour ne pas ennuyer les lecteurs qui me confient un peu de leur temps. Pascale a réussi à amener des choses surprenantes. J’écrivais la base de l’histoire et elle se

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Comme vous le savez, nous sommes un couple et lorsqu’il s’agit de travail, nous avons deux personnalités très fortes tous les deux. Nous sommes complémentaires. Je suis incapable de faire ce que fait Pascale. l’appropriait par la suite en lui donnant une dimension qui était bien supérieure à celle que j’imaginais. LFC : Une dimension plus psychologique ? PL : Pas seulement. Surtout un point de vue féminin. Les hommes sont plus dans l’action et nous les femmes plus dans la réflexion. Je lui disais de temps en temps de prendre son temps, de s’arrêter. GL : C’est un peu comme une mise en scène. Parfois la caméra prend un plan plus large ou ralentit le rythme, car il y a quelque chose de précis à capter dans le décor. LFC : À ce propos, les décors ont un rôle important dans ce livre. Pouvez-vous nous dire où l’action se situe ? PL : À plusieurs endroits. Madagascar, au Maroc… Les lecteurs voyagent beaucoup dans ce livre. GL : Mais cette fiction ne voyage pas seulement dans différents pays. Ce que nous voulions, c’étaient des décors particuliers, des ambiances diversifiées. C’est d’ailleurs ce que nous avons écrit dans la préface de ce livre. Un des clichés que je reproche à ce genre de livres, c’est que ce sont



souvent les mêmes décors qui nous sont proposés. Nous voulions faire voyager les gens et proposer des ambiances qui soient celles que l’on aime ressentir en tant qu’individu. LFC : Pouvez-nous nous parler de votre personnage féminin principal qui est constamment suivi par un garde du corps ? GL : Elle l’est parce qu’elle n’a pas le choix. Elle pourrait très bien se débrouiller toute seule. Seulement son père a les frayeurs que tout père de famille a. De plus, comme il a les moyens financiers, il lui paye des gardes du corps en permanence qu’elle s’amuse à semer et à maltraiter. C’est le jeu du chat et de la souris. Jusqu’à ce qu’elle tombe sur un ancien militaire qui lui, ne se laissera pas faire. PL : Ce militaire est un aventurier, un ancien soldat qui a beaucoup de caractère et c’est d’ailleurs pour cela qu’elle va bien s’entendre avec lui. Il va accepter de sortir de ce rôle de garde du corps pour amener une résistance à cette fille qui a besoin de rencontrer quelqu’un. LFC : Nous avons l’impression que vous aimez vraiment vos personnages. Ces personnages vous ressemblent-ils ? GL : Forcément. C’est rare qu’un vrai couple écrive sur un vrai couple. Même dans la création, ce livre a été un vrai plus pour nous parce que nous travaillions sur le même sujet, mais pas avec le même angle d’approche. C’est un peu l’histoire de la vie. Pascale m’a appris par son regard et moi je lui ai appris par le mien. C’est toute l’histoire du livre, la rencontre d’un homme et d’une femme qui apprennent à se comprendre et à travailler ensemble face à quelque chose qui leur pose problème. PL : Ce livre nous a permis d’avoir des discussions sur notre couple et sur la vie en général. Nous parlons d’un couple dans le roman et aussi d’un couple dans la vie. Ce qui leur arrive dans le livre est exceptionnel. Mais la dynamique que ce livre régit est toujours la même, peu importe la relation. Ce sont deux personnages qui agencent des compromis ou des envies personnelles pour avancer.

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LFC : Avec du recul, comment analysez-vous ce projet commun ? PL : Avec le temps, ce livre est devenu une sorte de jardin secret. À l’époque, nous avions tous les deux beaucoup de travail et nous faisions du mieux que nous pouvions avec les gens avec qui nous travaillions. Et d’un seul coup, nous nous retrouvions face à face autour de ce projet iconoclaste sur lequel il n’y avait aucune pression, à part l’envie. C’était l’idéal. LFC : Gilles, à vos débuts, vous avez surtout écrit des polars. Comment s’est passée cette expérience dans la comédie ? GL : Très bien. Mais vous savez, dans mes premiers romans, il y avait déjà cette opposition hommes/femmes. On classe mes romans en comédie

Nous travaillons tout le temps ensemble. Même si le nom de Pascale n’est pas sur tous les livres, c’est une affaire de famille. Pour nous, raconter des histoires, c’est notre vie. (...) Derrière tout homme se cache une femme. On ne s’en sort pas tout seul.


ou en thriller, mais je me méfie toujours de ces étiquettes. Ce sont toujours des gens qui sont à la croisée de leur destin et qui ont besoin de prendre ou d’apprendre quelque chose du monde pour rester en vie. Ce sont cela mes histoires. Comme une ombre est vraiment un livre à part.

LFC : L’écriture à deux, c’est un projet que vous aimeriez renouveler ?

LFC : Souhaitiez-vous toucher un autre lectorat en publiant de nouveau ce livre ?

LFC : Vous avez publié un livre avec Mimie Mathy. Que retenez-vous de cette expérience ?

PL : D’une certaine façon, oui. Nous avons cette approche assez respectueuse des gens pour qui nous travaillons, que ce soit dans le cinéma ou dans le lectorat. Ceux qui ont déjà lu ce livre à l’époque ont intérêt à le relire, car l’histoire est complètement nouvelle. Nous l’avons réécrit parce que l’époque a changé. Les technologies ont changé. Le temps passe et notre aptitude à écrire évolue. Nous voulions proposer quelque chose de nouveau à nos lecteurs. LFC : Vous entretenez un lien assez particulier avec vos lecteurs. GL : Je crois que je suis quelqu’un d’assez sincère et entier dans mes rapports. Et je crois aussi que mes histoires portent cela en elles. Nous sommes dans une époque où les gens sont sensibles à ces aspects-là. Ils ont ensuite la gentillesse de faire des kilomètres pour venir me voir et me le dire lors des salons.

LFC MAGAZINE #8 | 73

GL : Nous travaillons tout le temps ensemble. Même si le nom de Pascale n’est pas sur tous les livres, c’est une affaire de famille. Pour nous, raconter des histoires, c’est notre vie. Lorsque l’on travaille pour le cinéma, on travaille tous les deux. Lorsque j’écris un livre, et peu importe s’il y a mon nom sur la couverture, nous sommes ensemble. Derrière tout homme se cache une femme. On ne s’en sort pas tout seul.

GL : Ce projet est né uniquement parce que nous nous sommes rencontrés. Elle est la cause de ce livre et cela ne pouvait fonctionner que si nous le faisions tous les deux. Elle m’a donné l’idée de ce livre en étant elle-même. La première fois que nous avons échangé, elle m’a dit qu’elle aimait beaucoup mes livres. Et c’était pour moi la première fois qu’une personne aussi connue parlait de mes livres. Je l’avais remercié pour cela. J’ai vraiment une tendresse pour les gens qui sont censés couler, mais qui continuent de nager. J’aime les gens qui ne ploient pas sous la charge. C’était une rencontre inattendue et j’ai énormément de respect pour elle. LFC : "Comme un ombre", c’est votre actualité en ce moment en librairie. Quels sont vos projets pour la suite ? GL : Une prochaine comédie pour octobre et d’autres projets. Je m’arrêterai quand je n’aurai plus d’histoires à raconter. Le seul contrat que j’ai avec le lectorat, c’est de ne pas faire un livre juste pour faire un livre.

Je crois que je suis quelqu’un d’assez sincère et entier dans mes rapports. Et je crois aussi que mes histoires portent cela en elles.



PHOTOS ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : MELANIA AVANZATO

NOUVEAU TALENT

SÉBASTIEN MEIER LFC MAGAZINE

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AVRIL 2018


Voyageur, danseur de flamenco, auteur de théâtre, membre du collectif AJAR ("Vivre sous les tilleuls", Flammarion, 2016), serveur, veilleur de nuit dans un foyer de l’Armée du Salut, S fondateur E L I N A R I C H Ade R D Sla maison d’édition Paulette, Sébastien Meier est LA découverte polar de ce Printemps 2018 avec la parution de sa fiction "Les casseurs d'os" chez Fleuve Noir. Entretien inédit au café Les Éditeurs.

LFC : Sébastien Meier, nous nous

codes du polar. Je lisais ce genre littéraire

rencontrons pour parler du livre Les Casseurs

uniquement par plaisir sans me préoccuper de

d’os en librairie le 12 avril 2018 (Fleuve Noir).

la construction. J’aime quand il y a du rythme.

Nous vous découvrons avec ce livre. Ceci dit,

Je ne suis donc pas très doué pour écrire des

vous avez déjà publié trois livres. Que

romans contemplatifs. Je trouve cela très

retenez-vous de ces expériences ?

admirable, mais je n’y arrive pas. J’ai continué dans cette voie avec Les casseurs d’os, en

SM : L’envie d’en faire encore plus. J’ai

réinventant mon genre. Dans la première

commencé avec une trilogie policière un peu

trilogie, l’histoire se passait en Suisse

par hasard. Lorsqu’elle a reçu mon premier

Romande. Dans celui-ci, j’ai décidé d’inventer

roman, mon éditrice d'alors m’a dit qu’il y avait

un pays pour me débarrasser de l’exactitude

un policier et une enquête, et que ce livre avait

historique. Je ne voulais pas faire une quantité

tout d’un polar. J’ai décidé d’aller dans cette

de recherches phénoménale pour ce livre. En

direction.

créant la Bohème, cela était plus facile.

LFC : Ce n’était donc pas destiné à être un

LFC : C’est pour cela que dans les premières

polar ?

pages, vous nous proposez une carte du pays.

SM : Non pas du tout. Je ne suis pas un grand

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professionnel des catégories littéraires, j’ai

SM : Oui tout à fait. Je suis très fier du travail de

simplement eu envie de raconter une histoire.

la maison d’édition sur l’esthétique de ce livre.

C’est ensuite que je me suis renseigné sur les

C’est moi qui ai dessiné cette carte à la base et


elle a été ensuite reprise par une cartographe de manière très professionnelle. LFC : Lorsque nous sommes plongés dans votre livre, nous n'avons pas envie d’en sortir, et c’est en partie à cause du lieu imaginaire dans lequel

SELINA

vous nous embarquez. Il devient au fur et à mesure de l’histoire un personnage à part entière. SM : Je suis content que cela ait cet effet et que vous ayez envie de rester

dans ce pays. J’avais envie d’imaginer un pays qui n’aurait pas fait les mêmes

J’avais envie d’imaginer un pays qui n’aurait pas fait les mêmes choix qu’un pays européen, comme céder aux sirènes du néolibéralisme par exemple. Un pays qui aurait une construction politique R I C Hdifférente. ARDS Un pays dans lequel j’aurais eu envie de vivre, un pays dans lequel on ne taperait pas sur quelqu’un sous prétexte de son orientation sexuelle, ou par exemple avec beaucoup de femmes à sa tête.

choix qu’un pays européen, comme céder aux sirènes du néolibéralisme par

Ces personnages viennent-ils de

exemple. Un pays qui aurait une

votre imagination ? Sont-ils de vraies

construction politique différente. Un

personnes ?

pays dans lequel j’aurais eu envie de vivre, un pays dans lequel on ne taperait

SM : C’est un mélange de tout cela. Je

pas sur quelqu’un sous prétexte de son

ne sais pas comment me viennent ces

orientation sexuelle, ou par exemple

personnages. Ils sont inspirés de gens

avec beaucoup de femmes à sa tête.

que j’ai rencontrés, que j’admire, que je ne connais pas. Je n’aime pas du tout

LFC : Vous utilisez les pleins pouvoirs

les personnages du type héros

de l’écrivain !

incorruptible parfait. J’aime les personnages doubles, complexes, à qui

SM : Je suis Dieu ! (rires) J’avais envie

il arrive beaucoup de mésaventures. Je

de m’affranchir du réel tout en restant

crois que je n’ai jamais rencontré

réaliste. Ce n’est pas une utopie. Ce

quelqu’un qui soit simple.

n’est pas de la science-fiction. Cela reste un polar.

LFC : Vos personnages représentent le côté roman noir de ce livre, qu’en

LFC : La partie réaliste de votre fiction

pensez-vous ?

s'exprime par le propos, mais également grâce aux personnages.

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SM : J’aime être aux frontières du polar.


S É B A S T I E N

M E I E R

J’AVAIS ENVIE DE M’AFFRANCHIR DU RÉEL TOUT EN RESTANT RÉALISTE.


J’ai eu envie de faire un travail complet. Je souhaitais qu’il y ait une enquête avec plein de rebondissements, j'ai donc passé beaucoup de temps à peaufiner mon scénario et comme j’envisage une trilogie, il y a certains éléments qui vont être dévoilés dans les prochains S E tomes. LINA Je passe également beaucoup de temps à travailler sur mes personnages car il faut qu’on s’y attache, qu’on les aime. Mais je dois aussi porter une attention particulière au propos, même si je fais de la littérature, pas du documentaire - ce qui m'offre une grande liberté. LFC : Dans ce livre, il y a un double meurtre et le personnage qui enquête sur ce livre est un drôle de personnage… SM : C’est un personnage que j’adore. Élodie Fasel est capitaine de la brigade criminelle dans une petite ville au pied des Alpes. C’est elle qui se retrouve chargée de cette enquête, mais cela l’embête beaucoup, car sa vie est déjà bien compliquée. C’est une frondeuse, elle ne se laisse pas faire. Elle a un caractère très fort et n’hésite pas à tabasser les gens qui l’emmerdent. J’ai aimé construire des personnages féminins qui aient une grande gueule, qui tapent sur des mecs, qui les draguent - ce qui rendait les dialogues très amusants à écrire. Cela renverse la situation habituelle sans faire du moralisme. Dans ce livre, j’avais envie de parler de mes convictions, de ce en quoi je crois, mais sans faire une thèse. LFC : Ce qui est très étonnant dans votre style, c’est la liberté de ton...

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J’ai aimé construire des personnages féminins qui aient une grande gueule, qui tapent sur des mecs, qui les draguent - ce qui rendait les dialogues très amusants à écrire. Cela R I C H Arenverse RDS la situation habituelle sans faire du moralisme. Dans ce livre, j’avais envie de parler de mes convictions, de ce en quoi je crois, mais sans faire une thèse. SM : Je ne m’en rends pas compte. Je trouve que la langue française est sexiste en rendant invisible 50% de la population. Il y a moyen de faire mieux. Je suis pour une évolution de la langue, c’est pour cela que j’ai décidé d’écrire ce livre en français inclusif. Je l’ai fait de manière à ce que ce soit quasiment indétectable. Je ne vois pas l’intérêt de camper sur des positions de vieille garde sexiste et réactionnaire. LFC : Cela a-t-il beaucoup changé votre manière d’écrire ? SM : Oui beaucoup. Ce n’est pas tellement l’acte d’écrire en lui-même mais c’est surtout la pensée qui change. Si j’ai créé un livre dans un pays que je veux super, il faut que je sois cohérent. Il faut que je travaille la langue. Je ne pouvais pas utiliser des personnages féministes et utiliser un français standard.


S É B A S T I E N

M E I E R

LE POLAR PERMET DE FAIRE UNE PHOTOGRAPHIE ASSEZ FROIDE DU MONDE ET J’AVAIS ENVIE D’EXPLOITER CELA À FOND.


LFC : Vous proposez une histoire où il y a une enquête, mais au fur et à mesure que l’on parle avec vous, on se rend compte que ce livre est très engagé. Vous n’écrivez pas seulement pour raconter des histoires.

SELINA

SM : Ce livre est en effet très politisé. Mais je ne suis pas encarté, j’écris sur des sujets qui me touchent et qui me sensibilisent. Ma première trilogie était également engagée. Dans Les

casseurs d’os, le thème est un peu plus social et politique même si la question économique reste

Je ne veux pas prendre la parole à la place d’autres personnes. Il y a un équilibre à RICHARDS trouver entre faire exister la diversité d’une société et toujours savoir rester à sa place.

présente. Le polar permet de faire une photographie assez froide du monde et j’avais

veux même s'il arrive que tout ne se passe pas

envie d’exploiter cela à fond.

comme prévu. Mon ambition est parfois trop grande.

LFC : Les personnages sont très originaux et marqués par des différences, notamment

LFC : Comment arrivez-vous à nous

l’homosexualité. Vouliez-vous donner la parole

proposer une histoire aussi fluide dans

à des personnes qui ne la prennent pas assez ?

l’écriture et aussi digeste avec toutes les contraintes que vous avez pu vous mettre ?

SM : À celles et ceux à qui on ne la donne pas assez surtout. Même si je fais très attention à

SM : Je crois que je suis trop dedans pour

ne pas me réapproprier des propos ou des luttes.

répondre à cette question. Je fais cela vraiment

Je ne veux pas prendre la parole à la place

naturellement. Le pays que j’ai créé, je le

d’autres personnes. Il y a un équilibre à trouver

connais comme si j’y vivais. Je côtoie les

entre faire exister la diversité d’une société et

personnages depuis un moment. Ce sont de

toujours savoir rester à sa place.

bons amis. Et surtout, je m’amuse beaucoup.

LFC : Il y aura une suite à ce livre, vous parlez

LFC : Ce que vous proposez n’est pas

d’une trilogie. Où en êtes-vous dans l’écriture ?

classique, il y a un côté original que l’on peine parfois à retrouver dans certains

SM : Je suis environ à un tiers du deuxième tome

livres.

que je suis censé rendre en septembre. Cela

81

risque d’être compliqué, mais je pense être dans

SM : Cela ne m’intéresse pas de faire mieux

les temps. J’ai une idée assez claire de ce que je

que les autres. J’essaye de faire différemment.


Cela ne m’intéresse pas de faire mieux que les autres. J’essaye de faire différemment. Je veux détruire mon esprit de compétition. Je veux détruire mon esprit de compétition. Que ce soit éducatif ou par notre

SELINA environnement social, nous sommes

LFC : Comment abordez-vous la promotion de ce livre ?

RICHARDS

constamment en compétition et c’est

SM : Pour les interviews et les

quelque chose qui m’emmerde. J’essaye de

séances photos, pour le moment,

sortir de cela et de me poser les bonnes

tout se passe bien. Mais quand il va

questions. J’ai la chance d’avoir une éditrice

falloir se pointer en talons aiguilles

et une maison d’édition qui me soutiennent.

au Salon le Quai du Polar, ce sera différent. Je flippe pas mal, mais j’ai

LFC : Ce qui est intéressant, c’est que la

vraiment envie de le faire. Ce n’est

communication de ce livre vous avez

pas juste un coup de

choisi de la faire avec votre personnage et

communication pour se rendre

cela est très excitant. Cela arrive souvent

intéressant, il y a vraiment une

dans le milieu de la musique ou de

démarche qui me pousse à faire

l’entertainment, mais assez peu dans

cela. J’ai reçu mon planning pour le

l’édition. Pourquoi ce choix ?

Quai du Polar et il n’y a que des hommes autour de moi, je crois

82

SM : J’ai un peu travaillé dans les arts de la

qu’ils vont se demander ce que ce

scène et du théâtre, et dans ces milieux, ils

clown fait à côté d’eux. C’est

ont réussi à transformer la promotion en un

beaucoup plus terrifiant en

acte artistique. En tant qu’auteur, je me suis

fantasme que dans le réel, en fait,

dit pourquoi ne pas utiliser ce « statement ».

donc je suis sûr que tout va très bien

Je ne comprends pas pourquoi aujourd’hui

se passer. Mais c’est d’autant plus

les auteurs en promotion continuent de

délicat à appréhender que le milieu

jouer la carte de "l'authenticité".

du polar est réputé ne pas être un

L’authenticité n’existe plus, il ne faut pas

milieu très progressiste. Cela dit, je

déconner quand même. Avec ce type de

ne prends pas un grand risque. Ma

promotion, je voulais faire un acte politique

vie n’est pas en jeu. Si cela se passe

et artistique.

mal, je ferai autre chose.

Quand il va falloir se pointer en talons aiguilles au Salon le Quai du Polar, ce sera différent. Je flippe pas mal, mais j’ai vraiment envie de le faire.


LFC MAGAZINE

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AVRIL 2018

HAYLEN BECK

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW


Haylen Beck (pseudo de Stuart Neville), de passage à paris pour Livre Paris, nous donne rendez-vous dans un restaurant cosy près de la Porte de Versailles. Nous avons fait connaissance, parler de son Snouveau E L I N A R Ithriller C H A R D S "Silver Water" (Harper Collins Noir), d'une efficacité redoutable. Un page-turner qui ne ménage pas les protagonistes dans un Arizona sec. Séance photos avec la talentueuse Céline Nieszawer et entretien inédit.

LFC : Haylen Beck, c’est un plaisir de vous

Et vice-versa.

rencontrer. Vous avez publié beaucoup de livres et vous avez décidé de publier le

LFC : Avant d’être écrivain, vous avez fait une

tout dernier sous pseudonyme. Pourquoi ?

carrière dans la musique. Racontez-nous !

HB : Tout d’abord, car l’histoire se passe aux

HB : Quand j’étais jeune, ma première ambition

États-Unis, et également parce qu’il y avait

était de devenir écrivain. Je voulais absolument

un changement de style de ma part. Avec

écrire des livres alors que je n’avais que huit

mon ancien nom, le style était plus noir.

ans. À l’âge de treize ans, j’ai pris une guitare en

Cette fois-ci, c’est un thriller plus populaire.

main et je voulais devenir une rock-star. J’ai

Comme je changeais de style et de cadre, je

essayé pendant plusieurs années, j’ai écrit

me suis dit que c’était une bonne idée de

plusieurs musiques pour le cinéma, mais je n’ai

changer également de nom.

jamais eu l’impression d’y arriver. Parallèlement, je continuais d’écrire, et à trente-

LFC : Vouliez-vous être identifié

cinq ans, je me suis dit que la situation devenait

différemment ?

plutôt urgente et qu’il fallait que je m’y mette sérieusement. J’ai écrit trois livres à la suite

84

HB : Ce livre est susceptible d’attirer un

dont deux n’ont pas été publiés. Le troisième,

lectorat différent. Je voulais éviter toute

Les fantômes de Belfast, a été publié et

confusion. Les gens qui vont aimer celui-ci

couronné de plusieurs prix. L’aventure a

ne vont peut-être pas aimer les précédents.

commencé de cette façon !


LFC : Vous précisez que vos deux premiers livres ne sont pas publiables. N’avez-vous pas envie de les retravailler pour les ressortir plus tard ? HB : Je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Cela m’a permis de me former en tant qu’écrivain, il faut l’accepter.

SELINA

LFC : Nous allons parler de votre livre Silver Water (Éditions Harper Collins). L’histoire se passe en Arizona et nous avons le

Dès que j’ai eu l’idée de ce livre, je savais qu’il fallait que l’histoire se déroule en Arizona. J’avais besoin de placer le cadre de cette histoire dans un lieu sauvage RICHARDS avec de grands espaces. Je m’étais plusieurs fois rendu là-bas et j’y avais été très sensible.

sentiment que ce lieu est un personnage à

LFC : Les paysages sont arides et secs,

part entière.

comme vos personnages. Notamment le shérif.

HB : Dès que j’ai eu l’idée de ce livre, je savais qu’il fallait que l’histoire se déroule en

HB : Vous avez raison. Le shérif vient de cet

Arizona. J’avais besoin de placer le cadre de

endroit, il a un caractère très fort. Lors de mon

cette histoire dans un lieu sauvage avec de

road trip, je suis allé dans certaines villes où je

grands espaces. Je m’étais plusieurs fois

me demandais comment les gens faisaient

rendu là-bas et j’y avais été très sensible. J’ai

pour vivre dans des endroits si glauques. C’est

eu la chance de faire un road trip en partant

ce genre de détails qui m’ont inspiré le

de Phoenix et en allant jusqu’à Flagstaff, qui

personnage du shérif.

se trouve dans les montages de l’Arizona. J’avais un carnet et un appareil photo durant

LFC : Nous allons résumer le début du livre.

ce voyage et dès que je suis rentré chez moi,

Votre personnage Audra Kinney fonce à

je me suis mis à écrire. Tout ce que j’ai vécu et

travers les paysages accidentés de l’Arizona

ressenti est venu nourrir mon écriture.

avec ses deux enfants à bord de sa voiture, mais, par un étrange coup du sort, elle est

LFC : Le lecteur est en immersion dans

arrêtée par la police sur une route déserte et

votre univers. C’est quelque chose qui

se retrouve placée en garde à vue… Tout va

fonctionne très bien. Surtout pour nous,

très vite et nous avons l’impression que vous

lecteurs français.

n’éprouvez pas beaucoup de compassion pour votre personnage (rires).

HB : Vous savez, c’était la même chose pour

85

moi qui suis irlandais. L’Arizona est un endroit

HB : Il y a une règle élémentaire lorsque vous

fascinant où les paysages sont incroyables.

écrivez ce genre de livre, c’est qu’il faut se

On a parfois l’impression d’être sur Mars.

demander quelle est la pire chose


H A Y L E N

B E C K


Il y a une règle élémentaire lorsque vous écrivez ce genre de livre, c’est qu’il faut se demander quelle est la pire chose qui puisse arriver à votre personnage. Peu importe la réponse, S E L I Nvous A R I C H Adevez RDS c’est cela que écrire. qui puisse arriver à votre personnage. Peu

HB : Une option est posée. Mais

importe la réponse, c’est cela que vous

tout cela prend du temps. Il faut

devez écrire.

être patient.

LFC : Par la suite, vous amenez les

LFC : Quel rapport entretenez-

lecteurs dans des situations qui sont de

vous avec la télévision ?

plus en plus dramatiques.

Trouvez-vous cela sain que les livres soient adaptés au

HB : Écrire un thriller, c’est partir d’une

cinéma ou à la télévision ?

situation compliquée pour le personnage et de la faire dégringoler de manière à ce

HB : C’est quelque chose dont

que le lecteur s’accroche à cela et qu’il

je ne m’inquiète pas trop, car je

veuille absolument que le héros s’en sorte.

n’ai pas la main dessus. James Ellroy m’a demandé un jour si

LFC : Cherchiez-vous à être le plus

une option avait été posée sur

efficace possible avec cette histoire ?

mon premier livre. Je lui avais

Vouliez-vous faire de ce livre un page-

dit oui. Et il m’avait dit de but en

turner ?

blanc : prends l’argent et tire-toi ! (rires)

HB : J’aime que ce livre soit perçu de cette façon. Celui-ci a été conçu pour être

LFC : Pour quelles raisons les

haletant et tenir les lecteurs en haleine.

lecteurs devraient-ils s’intéresser à votre livre ?

LFC : Nous imaginons une adaptation de

87

votre livre en film ou série. Qu’en pensez-

HB : Pour les frissons qu’il leur

vous ?

procurera.


H A Y L E N

B E C K

ÉCRIRE UN THRILLER, C’EST PARTIR D’UNE SITUATION COMPLIQUÉE POUR LE PERSONNAGE ET DE LA FAIRE DÉGRINGOLER DE MANIÈRE À CE QUE LE LECTEUR S’ACCROCHE À CELA ET QU’IL VEUILLE ABSOLUMENT QUE LE HÉROS S’EN SORTE.


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

DANIELLE THIÉRY PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : FRANCK BELONCLE LEEXTRA


Mars 2018, Danielle Thiéry nous fait l'honneur de nous recevoir chez elle pour une séance photos et un entretien dans lequel nous évoquons son expérience de commissaire S Edivisionnaire L I N A R I C H A R D -S l'une des premières femmes de l’histoire de la police française à accéder à ce grade devenue aujourd'hui écrivain. Et bien sûr, elle nous parle aussi de son nouveau roman "Féroce" (Flammarion) actuellement en librairie. LFC : Depuis quelques jours, votre nouveau

faites aux personnes. Ces offices ont pour

livre Féroce (Flammarion) est en librairie.

vocation de travailler sur des gros dossiers. Les

Dans quel genre littéraire le classeriez-vous ?

différents services de la police judiciaire sont obligés de traiter toutes les informations qu’ils

DT : Même si chacun le définit comme il

reçoivent. Comme le dit un des personnages,

l’entend, je dirais que c’est un roman et plus

pour pouvoir suivre une affaire sans

précisément un roman policier. Le livre met en

interruption, il faudrait vitrifier l’humanité pour

scène des policiers menant des enquêtes. Mais

qu’elle ne commette plus aucun crime.

comme je suis dans la tête du méchant, je dirais

L’intérêt de ces offices, c’est qu’ils sont

que c’est aussi un roman choral. Ce qui me plait

organisés pour travailler dans le temps et dans

dans cette écriture, c’est d’explorer les

la durée.

personnages et les ressorts de leurs actes. Au fond, l’être humain est un monolithe qui est

LFC : Vous abordez un sujet dur,

sculpté par la vie, des évènements…

insoutenable. Même si ce livre ne parle pas que de pédophilie, avez-vous hésité à parler

LFC : C’est de cette manière que nous

de ce problème ?

l’avons ressenti en le lisant. Votre roman commence dans une cellule assez

DT : Je n’ai pas hésité. J’ai commencé ma

particulière…

carrière à la brigade des mineurs et vous pouvez le voir dans le livre, c’est fortement

90

DT : Cette cellule se trouve dans le service

marqué. Cela reste pour moi un immense

judiciaire de la police et plus précisément dans

mystère et une immense souffrance de voir ce

l’office central de répressions des violences

qui se passe. Je suis beaucoup sur place. Je


vais voir comment ils travaillent, quels outils ils utilisent. Je les admire énormément, car ils absorbent beaucoup de choses. La dernière fois que j’y suis allé, ils auditionnaient une petite fille de trois ans. Je ne peux même pas SELI NA imaginer ce que cela peut représenter dans la réalité. Cela brise des familles et surtout des enfants. LFC : Il existe un déni fort de la part des

Edwige Marion est mon double littéraire. Elle vieillit moins vite que moi. C’est le privilège de l’écriture, RICHARDS pouvoir faire ce que l’on veut avec les personnages ! (Rires)

familles autour de ce problème. La passion pour la lecture de polar m’a DT : Un déni que l’on ne s’explique pas.

donné le goût de ce métier que je ne

Pendant longtemps, on disait que les

m’imaginais pas faire un jour. De plus,

femmes ne disaient rien, car c’est le mari qui

j’étais éducatrice spécialisée auparavant,

travaillait et ramenait l’argent à la maison.

ce qui a quand même facilité la transition.

Mais aujourd’hui, on se rend compte que ce

Lorsque vous avez des enfants avec vous

n’est pas clair du tout. Cela reste quelque

tous les jours, vous devez gérer leurs

chose d’extrêmement violent. Il y a une

traumatismes, il y a beaucoup de

espèce de permissivité qui est favorisée par

psychologie. Je savais que ce métier était

l’anonymat du net, le fait d’être derrière son

fait pour moi.

écran. Un jour, la police a fait une descente chez un de mes collaborateurs, quelqu’un

LFC : Dans ce roman, il y a un écho par

d’insoupçonnable, qui avait plus de mille

rapport à votre expérience et

photos d’enfants à son domicile. De plus, cet

également par rapport aux femmes qui

homme avait des enfants et une famille.

sont très présentes. Elles occupent des

Hélas, tout est possible.

postes importants et sont attachantes.

LFC : Écrire vous fait-il du bien ?

DT : C’est vrai. Ces femmes, je les connais, je les ai rencontrées. Edwige Marion est

91

DT : Aujourd’hui, je ne me vois pas ne pas

mon double littéraire. Elle vieillit moins

écrire. L’exercice d’écriture est à la fois

vite que moi. C’est le privilège de

salutaire et douloureux. Ce qui me plait

l’écriture, pouvoir faire ce que l’on veut

beaucoup dans ce travail, c’est tout ce qui

avec les personnages ! (Rires) J’aime

est en amont. C’est la préparation, l’enquête.

qu’ils soient en difficulté. Il faut que ce


D A N I E L L E

T H I É R Y


soit réaliste. J’ai travaillé avec beaucoup de femmes qui sont présentes dans ce livre parce que je les admire. Tout simplement. On me dit souvent que les femmes aiment les femmes et les hommes aiment les hommes, les femmes

S E n’est LINA aiment les hommes. Vous savez, la police pas un microcosme. Il se passe ce qui se passe dans la vie de tous les jours. Tout s’est fait spontanément et naturellement. LFC : Cela n’est pas fait pour être moderne, vous l’avez fait pour être dans une certaine véracité. DT : Oui exactement. Je voulais absolument que ce livre ait des personnages qui se comportent de la même façon que dans la vie de tous les

Je voulais absolument que ce livre ait des RICHARDS personnages qui se comportent de la même façon que dans la vie de tous les jours. Je n’arrive pas à créer des choses artificielles.

jours. Je n’arrive pas à créer des choses artificielles.

d’être sur une autre planète. C’est fascinant. Il était évident que

LFC : Féroce, c’est aussi la comparaison de la

j’avais envie de mettre ce lieu en

violence des hommes avec celle des

scène.

animaux. Qu’en pensez-vous ? LFC : Pensez-vous qu’une DT : C’est une comparaison tout à fait fortuite.

adaptation de ce livre en série ou

J’aime explorer des mondes nouveaux à

en film soit possible ?

chaque livre que j’écris. Je me mets toujours

93

une sorte de pression pour que je ne sois pas

DT : Je ne peux pas trop en

tout le temps en train de raconter la même

dévoiler. Mais il y a des projets en

histoire. En visitant le domaine de Thoiry, j’ai été

cours. On se reverra pour en parler

saisie par le contraste entre ce bâtiment plein

certainement. Ce que je souhaite,

d’histoire et ces gens qui vivent là depuis treize

c’est que ce soit une belle

ou quatorze générations et qui cherchent à

adaptation comme par exemple

sauver ce château, ainsi qu’à préserver cette

celle de Au revoir là-haut de Pierre

cohabitation avec les animaux. Les animaux

Lemaitre par Albert Dupontel.

sont en semi-liberté. Nous avons l’impression

Tous les espoirs sont permis !


D A N I E L L E

T H I É R Y


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

MALIN PERSSON GIOLITO LAURÉATE DU PRIX LE POINT DU POLAR EUROPÉEN 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Fin mars 2018, dans le quartier du Marais, Malin Persson Giolito vient nous rendre visite pour une séance photos aux couleurs du drapeau suédois, née à Stockholm, capitale de Sla E L suède I N A R Iet C H nous A R D S parler de son roman "Rien de plus grand" qui est distingué "Prix du meilleur thriller scandinave 2017" et qui a déjà tapé dans l'œil de Netflix pour une future adaptation à l'écran. Entretien inédit.

LFC : Nous nous rencontrons pour la sortie

2015.

en librairie de votre livre Rien de plus grand (Presses de la Cité). Vous serez également

MPG : J’ai travaillé dans un cabinet d’avocat

présente au Festival Quais du Polar début

privé pendant dix ans, jusqu’en 2007. J’ai sorti

avril à Lyon. Tout d’abord, quelle relation

mon premier livre en 2008. Je l’ai écrit après

entretenez-vous avec la France ?

avoir été licenciée de ce cabinet. Ce livre parlait d’ailleurs d’une femme qui se faisait

MPG : Je suis mariée à un Français. Je le

licencier par un cabinet d’avocat… Pas moi,

précise sinon il va être fâché ! (Rires) J’ai

donc ! (Rires) À peu près à la même période, j’ai

également trois petites filles qui sont françaises.

passé un concours pour travailler à la

Lorsque j’ai fait mes études à l’université, j’ai

Commission Européenne, que j’ai obtenu.

étudié la littérature française avant de me

Puis, je suis restée dans cette Commission

lancer dans le droit. J’en garde un excellent

jusqu’en 2015. J’ai terminé mon quatrième

souvenir.

livre Rien de plus grand, dont on parle aujourd’hui, après avoir quitté ce travail. Pour

LFC : Vouliez-vous devenir écrivain ?

tout vous dire, je ne me sentais plus vraiment à ma place en tant que juriste, il fallait que je me

MPG : C’est le rêve que j’ai toujours poursuivi.

focalise sur une seule chose, l’écriture.

C’était ma passion. J’avais quatre ans quand j’ai commencé à écrire mes premières histoires.

LFC : Vous avez dit dans une interview que vous saviez depuis longtemps que vous

96

LFC : Finalement, vous vous êtes tournée

vouliez écrire sur ce sujet. Pour quelles

vers le droit. Vous avez été avocate jusqu’en

raisons ?


LFC : Vous avez dit dans une interview que vous saviez depuis longtemps que vous vouliez écrire sur ce sujet. Pourquoi ?

SELINA

MPG : J’ai vraiment été obsédée par cette idée de fusillade à l’école. Il y a sûrement d’autres raisons que j’ignore. Mais ce que je voulais, c’était raconter une histoire sur une tragédie. C’est une histoire où il n’y a pas d’ouverture, de soulagement ou de fin heureuse. J’ai décidé de commencer par la

Je ne voulais pas jouer avec la tragédie. Lorsque vous rentrez dans un jeu avec le il faut très vite R lecteur, ICHARDS lui faire comprendre que vous n’allez pas le manipuler et que vous allez être honnête avec lui.

tragédie, puis de construire l’intrigue autour

MPG : Justement, c’est intéressant que

de cet évènement. Je crois que c’est aussi le

vous en parliez. Je trouve que lorsque

milieu des enfants et des jeunes de manière

vous finissez mon livre, vous n’avez pas

générale qui me fascine. Ce sont des

l’impression que le point de départ était

endroits où j’emmène mes enfants chaque

une fusillade. Je le vois plutôt comme un

jour. Et cela me fait très peur quand on voit le

élément déclencheur. Le film Elephant

monde dans lequel nous vivons. On se

nous raconte l’évènement jusqu’à la

souvient tous du lycée. C’est la première fois

tragédie. Nous sommes mis dans une

que l’on se retrouve seul dans sa vie. Nous

position où l’on voit la catastrophe arriver

sommes face au monde et isolé. Au-delà de

de loin. Dans mon livre, je ne voulais

l’école, ce livre parle de la société dans

absolument pas qu’il en soit ainsi. Je ne

laquelle nous vivons. C’est quelque chose

suis pas 100% certaine que mon livre soit

qui m’intéressait beaucoup. Je trouvais que

véritablement un polar. Je ne voulais pas

c’était très efficace de choisir la voix de

jouer avec la tragédie. Lorsque vous

quelqu’un de très jeune qui se trouve à la

rentrez dans un jeu avec le lecteur, il faut

frontière entre l’enfance et la vie d’adulte.

très vite lui faire comprendre que vous n’allez pas le manipuler et que vous allez

LFC : Ce livre nous rappelle le

être honnête avec lui.

documentaire Bowling for Columbine de

97

Michael Moore et le film Elephant de Gus

LFC : Vous avez été avocate pendant

Van Sant. Que pensez-vous de ces

plusieurs années. Le livre est d’un

références ?

réalisme incroyable.


M A L I N

P E R S S O N

G I O L I T O

PRIX DU MEILLEUR THRILLER SCANDINAVE 2017


MPG : Le tribunal, c’est mon théâtre. Je n’aurais pas pu écrire ce livre si je ne connaissais pas parfaitement cet endroit. LFC : Que ce soit dans la réalité ou dans les séries télévisées, comment expliquez-vous

SELINA

que les procès fascinent autant les gens ?

MPG : Ce qui est fascinant dans ces histoires, c’est lorsqu’elles parlent des conflits humains. Plus l’histoire est réelle, plus on devient engagé.

Le tribunal, c’est mon théâtre. Je n’aurais pas pu écrire ce livre si RICHARDS je ne connaissais pas parfaitement cet endroit.

On sait très bien que les procès ont été inventés pour régler ces conflits. C’est un outil que nous

les jours. Mais nous ne pouvons rien y

avons créé et heureusement qu’il existe. Si les

faire. De plus, la dimension est encore

gens étaient jugés selon l’opinion publique,

différente avec les réseaux sociaux. Il faut

cela n’aurait aucun sens. Maja le dit au début du

être un peu modeste et peut-être plus

livre, c’est comme si les avocats transformaient

intelligent. Aujourd’hui, il y a une certaine

tout ce qui concernait la vie, la mort, le sang ou

facilité à juger les gens. Pourquoi faut-il

que sais-je, en chiffres et en choses faciles que

exprimer automatiquement ce que l’on

l’on peut manipuler. En tant qu’écrivain, il y a un

pense ? Toutes les pensées que j’ai dans

contrat à passer avec les lecteurs. Mon rôle,

ma tête, je les garde pour moi.

c’est de dire comment se finit l’histoire. Ensuite, chacun l’interprète comme il le veut. Je ne peux

LFC : Nous avons lu quelques avis sur le

pas donner toutes les réponses aux lecteurs.

livre et un d’entre eux à attirer notre

Toutes les histoires devraient être racontées

attention. Une lectrice posait cette

comme un procès.

question : les enfants ne sont-ils pas le reflet de la vie parfois détraquée de

LFC : Il y a une phrase qui revient souvent

leurs parents ? Qu’en pensez-vous ?

dans votre livre : innocent tant que je ne suis pas jugée coupable. On a le sentiment

MPG : Je suis d’accord avec elle. Non

qu’aujourd’hui les gens sont jugés sur la

seulement de leurs parents, mais aussi de

place publique ou sur les réseaux sociaux.

la société dans laquelle ils vivent. Mais vous savez, je ne dois pas dire aux

99

MPG : Le jugement public joue toujours un rôle

lecteurs comment ils doivent comprendre

très important dans mes histoires. Il y a des

mon texte. S’ils le comprennent de cette

nouvelles victimes de ce tribunal public tous

façon, j’en suis ravie.


M A L I N

P I E R S S O N

S U C C È S S U È D E

G I O L I T O

H I S T O R I Q U E A V E C

E X E M P L A I R E S

4 0 0

E N

0 0 0

V E N D U S


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

EMELIE SCHEPP

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : ARNAUD MEYER LEEXTRA

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW


Emelie Schepp nous rend visite à Paris lors du Salon du Livre de Paris en mars 2018. Après une rencontre petit-déjeuner avec les nous passons S Eblogueurs L I N A R I C H A français, RDS une heure avec la reine du thriller nordique au Café de Flore : séance photos avec le talentueux Arnaud Meyer. Entretien inédit.

LFC : Emelie Schepp, un an après notre

ES : Exactement. Dans ce premier tome, un

première interview, nous avons la joie de

homme est assassiné et la piste de ce meurtre

nous revoir aujourd’hui. Cette fois-ci pour

la mène à un jeune garçon. Plus Jana en

la sortie du deuxième volume de votre

apprend sur la vie de ce jeune garçon, plus elle

série "Sommeil Blanc" (Harper Collins

en apprend sur sa propre existence. Dans

Noir). Nous allons partir du postulat que les

Marquée à vie, elle finit par découvrir la

gens n’ont pas lu le premier tome. Pouvez-

signification de cette marque. Elle se rend

vous de nouveau nous présenter votre

compte qu’elle devient une personne qu’elle

héroïne Jana ?

n’était pas censée devenir. Dans le deuxième livre, Jana veut poursuivre sa vie et fermer la

ES : Au tout début, Jana Berzelius a neuf ans

porte de son passé. Mais par une nuit d’hiver

lorsqu’elle se réveille à l’hôpital. Elle ne sait

très froide, un train s’arrête dans une petite

pas qui elle est et ne se souvient pas de son

ville suédoise et on retrouve à son bord, le

prénom. Elle a simplement une marque sur la

cadavre d’une femme. L’ami de cette femme

nuque. Elle grandit, devient une procureur

est porté disparu. Alors que la police essaye de

très renommée, mais veut découvrir la

retrouver la trace de son ami, Jana comprend

signification de cette marque qu’elle a dans

que cet homme a le même passif qu’elle. Si elle

la nuque.

veut continuer à cacher ce passé, il faut qu’elle mette la main dessus, avant la police.

LFC : C’est pour cela que premier tome qui

102

est toujours disponible en librairie

LFC : Qu’avez-vous appris en écrivant sur ce

s’appelle Marquée à vie ?

personnage ?


ES : Je voulais écrire à propos d’une héroïne complexe et pour ce faire, il fallait que je trouve une origine à cette complexité. Cependant, je ne voulais pas que cela vienne d’un diagnostic médical, je voulais autre chose. En 2012, quand j’ai écrit Marquée à

SELIÀ NA vie, j’ai lu un article sur les enfants soldats. cette époque, le débat était très important à cause d’un documentaire sorti la même année en Suède. Quand j’ai lu cet article, j’ai remarqué que cela pouvait être le contexte

Je voulais écrire à propos d’une héroïne complexe et pour ce faire, il RICHARDS fallait que je trouve une origine à cette complexité.

de la vie de Jana. Je me suis que l’on pouvait transformer un enfant en soldat, mais pouvait-

LFC : Quand vous imaginez toutes ces histoires,

on transformer un soldat en enfant ? Là était

quelle est votre méthode de travail ?

la question. ES : Je puise mon inspiration dans les séries LFC : Au fur et à mesure des épisodes, vous

télévisées, les films et les actualités. Mais je fais

nous posez une question existentielle : on

également beaucoup marcher mon imagination.

ne sait jamais vraiment qui l’on est. LFC : C’est une très jolie recette. Est-ce la ES : C’est vrai. Parfois on devient une

recette du best-seller ?

personne que l’on ne souhaite pas être. Ce sont les évènements vécus qui nous

ES : Probablement. Lorsque j’écris, je vois mes

construisent des parties sombres.

scènes sous forme cinématographique. Tout ce que je veux, c’est divertir le plus possible mes

LFC : L’écriture, est-elle un exutoire pour

lecteurs.

vous ? Avez-vous exprimé vos parties sombres à l’intérieur de ce personnage ?

LFC : Quand on vous lit, on entend les personnages nous parler. Cette série

ES : Peut-être qu’il y a une Jana en moi.

d’enquêtes qui rencontre un franc succès en

J’aime écrire et j’aime divertir. Pour écrire des

librairie va-t-elle être adaptée à la télévision ou

polars, il faut explorer une part un peu

au cinéma ?

sombre de soi-même. Je veux savoir

103

pourquoi certaines personnes tuent d’autres

ES : Il y a un projet de série télévisée sur Jana. Je

personnes. Pourquoi et comment les gens

croise les doigts pour que cela arrive bientôt. C’est

deviennent-ils des tueurs ? Il n’y a pas qu’une

quelque chose qui prend du temps. Un film, c’est

seule réponse. Il y a tout un panel de facteurs.

cinq ans de travail. Affaire à suivre donc.


E M E L I E

S C H E P P

POUR ÉCRIRE DES POLARS, IL FAUT EXPLORER UNE PART UN PEU SOMBRE DE SOI-MÊME.


Lorsque j’écris, je vois mes scènes sous forme cinématographique. Tout ce que je veux, c’est divertir le SELINA RICHARDS plus possible mes lecteurs. LFC : Vos lecteurs sont fidèles. Vous avez

ES : Je vis mon rêve d’écrivain.

obtenu plusieurs prix. Depuis ce succès,

Je dois être très prudente et je

subissez-vous plus de pression dans votre

porte une attention particulière

travail ?

au fait de trouver du temps pour écrire. C’est pour cela que je

ES : Quand j’ai écrit mon premier livre, personne

dois refuser certains

ne savait que je l’écrivais. Je n’en ai parlé à

évènements.

personne. Personne ne pouvait me stopper. Je n’avais aucune pression. Maintenant, ce n’est

LFC : C’est une chance que

plus vraiment un secret. On vit à une époque où

l’on savoure de parler avec

les choses vont très vite. Attendre un an pour la

vous en France alors !

publication d’un livre, c’est très long pour les lecteurs. Sur Netflix par exemple, on regarde tous

ES : Paris est une ville

les épisodes en quelques jours, car nous n’avons

magnifique. J’adore passer du

plus la patience d’attendre une semaine. La

temps ici.

chose qui est très importante pour moi, c’est de satisfaire mes lecteurs en leur proposant un livre

LFC : Dernière question,

par an.

imaginez que vous rencontriez la petite fille que vous étiez à

LFC : Avec ce succès, vous voyagez beaucoup

l’âge de dix ans, qu’aimeriez-

pour aller à la rencontre de vos lecteurs. Vous

vous lui dire en la voyant ?

êtes présente dans les salons. Vous participez

105

activement à la promotion de vos livres… Vous

ES : Je lui dirais : continue à

le vivez bien ?

écrire, ma petite !


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

LAURÉAT DU PRIX COGNAC

MICHEL MOATTI PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Derniers jours de mars 2018, nous avons rendez-vous avec Michel Moatti, universitaire et journaliste de formation, qui a déjà publié plusieurs livres : "Retour à Whitechapel, La véritable histoire de Jack l’Éventreur" S E L I (2013), N A R I C H"Blackout ARDS Baby" (2014), "Alice change d’adresse" (2016) et "Tu n'auras pas peur" (2017), le prix polar 2017 du meilleur roman francophone au festival de Cognac. Séance photos et entretien inédit pour parler de son nouveau roman "Les retournants". LFC : Michel Moatti, c’est la première fois

LFC : Vous arrive-t-il d’y revenir plus tard ?

que l’on se rencontre pour parler de votre livre Les retournants (HC Éditions). Quand

MM : Ce n’est jamais arrivé. J’ai des boites à

savez-vous qu’une idée va devenir un

archives avec des débuts d’histoire. Mais je ne

roman ?

me suis encore jamais dit que j’allais aller fouiller dedans pour trouver de l’inspiration. Il y

MM : Quand j’ai l’idée et qu’elle me donne

a toujours quelque chose de mieux qui surgit.

l’envie de l’écrire. Sur les cinq livres que j’ai

Donc pour le moment, ces idées sont bien là

écrits, sauf pour Blackout Baby, ce sont des

où elles se trouvent.

idées qui arrivent et qui sont parfois imposées par le quotidien. Par exemple, mon troisième

LFC : Dans votre nouvelle fiction Les

roman Alice change d’adresse se déroule

retournants, vos deux héros sont au cœur de

dans l’univers clinique et psychiatrique parce

la Première Guerre mondiale. Pourquoi

que je l’avais écrit à l’époque où mon père

avez-vous choisi ce contexte historique ?

était très malade. Il est d’ailleurs décédé

107

pendant l’écriture de ce livre. J’avais envie de

MM : Ce livre, c’est un peu plus qu’une idée.

raconter cet univers qui m’intéressait

C’est quelque chose que j’ai en tête depuis

énormément. Les idées de romans viennent à

tout petit. Mon arrière-grand-père, qui était

moi par la lecture de journaux, de magazines.

soldat durant la Première Guerre mondiale, me

Même si parfois, il m’arrive de me tromper et

racontait souvent des histoires avant d’aller me

d’abandonner une idée.

coucher. Cela a duré un petit moment parce


qu’il est mort lorsque j’avais quatorze ans. De trois ans à dix ans, il me racontait ces histoires et je suis devenu un peu accro. Je les réclamais. Il appelait cela ses contes. Il inventait des histoires et même des chansons par rapport à ce qu’il avait vécu. Ces histoires avaient toujours la guerre comme point de départ. Puis, elles dérivaient S E L Ivers NA des histoires d’amour, d’aventure ou de fantôme. Ces histoires-là ont fermenté dans ma tête pendant longtemps, quasiment cinquante ans. Et c’est enfin sorti. Le personnage principal de ce livre a été inventé par mon arrière grand-père. C’était un personnage récurrent de ses histoires.

Au-delà de l’histoire de la Première Guerre mondiale, ce que je voulais faire, c’était raconter la guerre comme les Américains avaient raconté leur guerre du Vietnam. Je pense aux films R I C H Anotamment RDS "Apocalypse Now" ou "Voyage au bout de l’enfer" où les personnages sont traumatisés. LFC : Il y a l’influence de votre arrière-grand-père, votre imagination, mais surtout une grande

LFC : Vos deux personnages sont très bizarres,

dimension psychologique. Ces personnages

très étonnants. Sont-ils uniquement des

tiennent vraiment la route. C’est intéressant de

personnages dont vous parlait votre arrière-

nous montrer qu’il existe des traumatismes

grand-père ? Viennent-ils de votre imaginaire ?

différents.

MM : L’esquisse de Jansen, oui. Mais tout ce qui

MM : Dès que l’on rencontre les deux personnages,

lui arrive vient de mon imagination.

on se rend compte qu’ils ne s’entendent pas. Mais qu’ils sont obligés de coopérer. Ils sont dans une

LFC : Dans ce roman, vos personnages sont

guerre psychologique où ils s’interrogent sur la

marqués par la guerre. Ils sont même

liberté. La liberté est conditionnelle. À tout moment,

traumatisés à vie.

elle peut s’arrêter.

MM : Au-delà de l’histoire de la Première Guerre

LFC : C’est un roman très fort au niveau de

mondiale, ce que je voulais faire, c’était raconter

l’atmosphère. Comment avez-vous travaillé cela ?

la guerre comme les Américains avaient raconté leur guerre du Vietnam. Je pense notamment aux

MM : Je me suis beaucoup documenté. J’avais

films Apocalypse Now ou Voyage au bout de

presque envie que l’on sente l’odeur de 1918. Je n’ai

l’enfer où les personnages sont traumatisés. Les

pas été jusqu’à écrire en vieux français, mais j’ai

personnages de mon livre sont brisés

saupoudré de mots justes pour que l’on en ait

de l’intérieur. C’est le silencieux et l’invisible du

l’ambiance. J’ai lu beaucoup de choses sur la

traumatisme de la guerre qui d’un seul coup les

manière dont la gendarmerie s’occupait des

emportent. Jansen, le lecteur ne le pensera pas

déserteurs et dont elle les traitait. J’ai lu des rapports

fou : il est plutôt élégant, aimable et doux

judiciaires, des manuels de civilité et de

jusqu’au moment où tout cela disparaît.

bienveillance. Je voulais savoir tout un tas de choses.

108


M I C H E L

M O A T T I

JE VOULAIS RACONTER L’ARRIÈRE-PLAN DE CETTE PÉRIODE. LES FAILLES, LES FÊLURES, LES FRACTURES QUE CETTE GUERRE POUVAIT SUSCITER CHEZ LES GENS. CETTE HISTOIRE FAIT PARTIE DE NOTRE MÉMOIRE COLLECTIVE. QUE L’ON AIT VINGT-CINQ ANS OU SOIXANTE ANS, NOUS SOMMES TOUS CONCERNÉS.


Comment les gens s’habillaient-ils pour le deuil ?

Mais ce titre n’était plus disponible. Avec le titre Les

Comment se comportaient-ils en société ? J’avais envie

retournants, je trouvais que cela l’évoquait aussi.

qu’il y ait ce sentiment de réalisme fort. LFC : Vous êtes l’heureux lauréat du Prix Polar Cognac LFC : Vous nous plongez dans une histoire

2017 pour le livre Tu n’auras pas peur. Qu’avez-vous

captivante. Cela fait écho à tous ces survivants de la

ressenti lorsque vous avez reçu ce prix ?

guerre qui sont marqués par cette période. MM : J’étais très ému et fier. Inscrire mon nom dans une MM : Je voulais raconter l’arrière-plan de cette période.

liste qui comporte des auteurs comme Bernard Minier ou

Les failles, les fêlures, les fractures que cetteSguerre ELINA

R IMichel C H A Bussi, R D S c’est un grand bonheur. D’ailleurs, lorsque

pouvait susciter chez les gens. Cette histoire fait partie

Bernard Minier a reçu son deuxième prix, il avait décidé

de notre mémoire collective. Que l’on ait vingt-cinq ans

d’ouvrir la bouteille de champagne qu’il lui avait été

ou soixante ans, nous sommes tous concernés.

offert, car il voulait que l’on trinque à sa victoire. L’an dernier, nous étions dix-huit nommés pour ce prix et j’ai

LFC : Les Retournants ont un lien direct avec ce qui

écrit à tous mes amis écrivains en leur disant que celui

se passe dans l’actualité aujourd’hui avec Daesh.

qui gagnerait devrait faire pareil que Bernard Minier en

Des gens partent. D’autres reviennent.

ouvrant sa bouteille de champagne. J’étais loin de penser que j’allais être le vainqueur. J’ai gagné et j’ai

MM : Ce n’était pas mon intention. Je n’ai vu

donc ouvert la bouteille. Contrairement à celle de

qu’après que l’on utilisait ce terme pour les gens qui

Bernard Minier où il en restait plus de la moitié. La

revenait du Djihad. Au départ, je voulais appeler ce livre

mienne, ils me l’ont sifflée ! (Rires) J’étais également très

Les revenants parce que c’est aussi une histoire de

heureux que mon éditrice Isabelle Chopin

fantôme, un peu surnaturelle.

m’accompagne dans cette aventure.

127


LFC MAGAZINE

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#8

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AVRIL 2018

KARINE GIÉBEL PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOGRAPHIES : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Fin mars 2018, dans le quartier du Marais, nous avons rendez-vous avec la reine du thriller made in France : Karine Giébel. Séance photos, café et cigarettes, nous parlons de son nouveau page-turner d'une efficacité S E L I Nredoutable A R I C H A R D S"Toutes blessent, la dernière tue" (Belfond) qui enthousiasmera les lecteurs de la première heure, ceux qui ont aimé le thriller "Meurtres pour rédemption". Une nouveauté qui vous fera passer quelques nuits blanches. LFC : Karine Giebel, vous publiez ce mois-ci

demander pourquoi cette esclave ne s’enfuit

Toutes blessent, la dernière tue (Belfond).

pas alors qu’elle en a l’occasion. Je crois que

Notre première remarque concerne les

c’est aussi un livre sur le mécanisme de

personnages : en tant qu’auteur, vous

l’asservissement. Comment peut-on rendre

frappez fort. Ils souffrent vos personnages !

quelqu’un esclave ? C’est une situation que

(rires)

l’on ne choisit pas. Il y a des tas de mécanismes psychologiques où mon héroïne

KG : Je crois que la vie ne fait pas de cadeau

Tama va se dire qu’elle n’est rien d’autre

aux gens. Pour mes personnages, c’est la

qu’une esclave. Et que sa place est ici.

même chose. Ils affrontent tout ce qui se présente à eux avec leurs forces et leurs

LFC : Nous en sommes à plus de la moitié

faiblesses.

des sept cents pages, et pour le moment, nous avons le sentiment que c’est une anti-

LFC : Lors des premières pages de lecture, le

héroïne. Qu’en pensez-vous ?

lecteur peut être dans le jugement parce

112

qu’on se demande si les personnages

KG : Je trouve que Tama est une héroïne.

prennent les bonnes décisions. Mais comme

Évidemment, à la moitié du livre, on ne s’en

vous le dîtes, au fur et à mesure des pages,

rend pas encore compte. Mais sur l’ensemble

on comprend que la vie ne leur fait pas de

du livre, vous verrez qu’elle a tout d’une

cadeau.

héroïne.

KG : Absolument. Il y a un côté implacable.

LFC : Ce qu’il y a de passionnant dans la

Dans ce livre, c’est vrai que l’on peut se

lecture de votre livre, c’est que l’on ne sait


pas où l’on va. KG : Lorsque j’écris, je ne sais pas où je vais non plus. Dans ce livre, j’ai voulu traiter d’un thème en particulier. J’ai fait

SELINA

beaucoup de recherches sur ce thème.

Mais concernant mes personnages, c’est l’énergie de l’écriture qui me fait avancer. Tous les rebondissements du livre ne sont pas du tout prévus. Moimême, lorsque je suis à la page deux cent, je ne sais pas ce qui va se passer à

Absolument. Il y a un côté implacable. Dans ce livre, c’est vrai que l’on peut se demander pourquoi cette esclave ne s’enfuit pas alors qu’elle en a l’occasion. Je c’est aussi un livre R Icrois C H A R Dque S sur le mécanisme de l’asservissement. Comment peut-on rendre quelqu’un esclave ? C’est une situation que l’on ne choisit pas.

la page cinq cent. KG : J’avais déjà une idée sur le sujet. LFC : Vous ne saviez donc pas que

Mais au fur et à mesure de mes

vous alliez écrire autant.

recherches, j’ai été très étonné de voir ce qui se passait en France. On est plus ou

KG : Pas du tout.

moins au courant que cela existe dans les milieux diplomatiques et les beaux

LFC : La grande qualité de votre livre,

quartiers. Mais il faut savoir que cela

c’est qu’une fois qu’on le commence,

existe également dans les milieux

on ne peut plus le lâcher !

défavorisés. La présidente de l’organisme contre l’esclavage moderne m’a

KG : C’est une réaction de lecteur qui me

beaucoup aidé et m’a dit une phrase très

fait plaisir. Pour l’instant, je n’ai pas

intéressante : la misère exploite la misère.

beaucoup de retour de lecteurs. Mais les

Je voulais aussi que cela se sache.

quelques avis exprimés sont très enthousiastes et bouleversants. Ce que

LFC : Vous dîtes que c’est un sujet qui

je recherche dans l’écriture, c’est

vous touche depuis longtemps. À partir

l’émotion.

de quel moment avez-vous voulu écrire sur ce thème ?

LFC : L’esclavage est un problème que

113

l’on pensait résolu. Et pourtant, nous

KG : C’est quelque chose de très étrange.

avons du mal à se dire que c’est

Pour ce sujet, cela fait des années que j’y

encore présent, à côté de chez nous.

pense. Même si je ne peux pas vous dire


K A R I N E

G I É B E L

C’est quoi être esclave ? Je crois qu’il n’y a pas une seule façon de l’être. Être esclave ne signifie pas être menotté à un radiateur. Ce qui était intéressant, c’était de montrer que tout au long de ces expériences, mon héroïne va connaitre l’amitié, l’amour, la haine… Toutes sortes de sentiments qui ne sont pas seulement négatifs. Ce n’est pas un livre noir et désespérant.


pourquoi, il s’est imposé à moi maintenant. C’est impossible à expliquer. Je pense qu’il faut une certaine maturité avant d’écrire sur un thème comme celui-ci. Lorsque j’ai fait mon livre sur la prison, cela faisait longtemps que je voulais le faire. Il faut juste attendre le déclic. LFC : Les lecteurs qui ont aimé Meurtres pour rédemption

En tant que lectrice, je n’aime pas arrêter et faire un retour en arrière. J’essaye de proposer aux lecteurs des histoires simples. Même si cela demande énormément de travail. Ce qu’il faut, c’est que ce travail ne se voit pas. Je retravaille S E L I Nbeaucoup A R I C H A R D Sle style une fois que l’histoire est écrite.

devraient vraiment aimer celui-ci. Qu’en pensez-vous ?

LFC : Malgré sa situation, votre héroïne est quelqu’un de très optimiste.

KG : C’est certain. C’est un livre qui est dans la même veine. Toutes

KG : Il faut qu’elle le soit. C’est quelqu’un de très curieux, elle a

blessent, la dernière tue parle aussi

envie de savoir le monde, de le connaitre. Elle a conscience de

d’enfermement. Je crois qu’il y a

ne rien connaitre et elle a cette soif d’apprendre, de connaitre

beaucoup de points communs avec

les gens, de savoir comment le monde fonctionne.

Meurtres pour rédemption même si l’histoire est différente.

LFC : Votre livre est facile et agréable à lire. Signifie-t-il qu’il n’a pas été simple à écrire ?

LFC : C’est un enfermement différent parce que l’héroïne va

KG : C’est important que ce soit fluide. En tant que lectrice, je

passer d’un enfermement à un

n’aime pas arrêter et faire un retour en arrière. J’essaye de

autre.

proposer aux lecteurs des histoires simples. Même si cela demande énormément de travail. Ce qu’il faut, c’est que ce

KG : Oui, c’est vrai. Finalement, c’est

travail ne se voit pas. Je retravaille beaucoup le style une fois

aussi un livre qui pose la question :

que l’histoire est écrite.

C’est quoi être esclave ? Je crois qu’il n’y a pas une seule façon de l’être.

LFC : Votre écriture est très visuelle, très scénarisée.

Être esclave ne signifie pas être menotté à un radiateur. Ce qui était

KG : Lorsque j’écris, je vois. Avant que la phrase ne vienne, j’ai

intéressant, c’était de montrer que

une image.

tout au long de ces expériences, mon héroïne va connaitre l’amitié, l’amour,

LFC : Pour terminer, pouvez-vous nous parler de ce titre

la haine… Toutes sortes de

énigmatique : Toutes blessent, la dernière tue ?

sentiments qui ne sont pas seulement

115

négatifs. Ce n’est pas un livre noir et

KG : C’est un titre qui résume le livre. Il y a une explication que

désespérant.

vous allez découvrir dans le livre. Suspense !


K A R I N E

G I É B E L


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Musique NOS INVITÉS

Le retour du Secteur Ä Entretien inédit avec Pit Baccardi Et aussi... Pomme Romane Serda Lili Poe Margaux Simone

Charlotte & Magon Laura Clauzel Ok Coral Abi Lomby Haylen


Pit Baccardi nous annonce un retour festif du Secteur Ä Le Secteur Ä, c'est une histoire de famille avant d'être la success story musicale qu'on connaît. Printemps 2018 marque leur grand retour avec un best-of 3 CD et une tournée qui s'annonce festive avec le 22 mai Accorhotels Arena Paris et de nombreux Zénith dans toute la France. Entretien inédit avec Pit Baccardi. LFC : Pit Baccardi, comment est née l’envie de vous réunir de nouveau

LFC : Comment allez-vous

tous ensemble sur scène ?

vous organiser sur scène ?

PB : Au sein du Secteur Ä, nous sommes une famille dans le sens

PB : Nous allons chanter tous

artistique, mais également dans le sens littéral puisque certains sont

nos classiques, autant ceux

cousins, parrains… Cela fait sept ans que je vis maintenant au

qui ont marché

Cameroun. C’est là-bas que ma vie se passe maintenant. Je fais des

commercialement que ceux

évènements, de la production… Je suis très souvent au téléphone avec

que le public ont aimés. Ce

les gars du groupe pour prendre des nouvelles et l’idée trottait dans

sera un concept affaire de

nos têtes depuis un moment. Le plus simple et le moins contraignant,

famille. Ce ne sera pas un

c’était de remonter sur scène. Je ne faisais pas partie de la tournée de

concert où certains seront

L’âge d’or, mais c’est à ce moment-là que l’idée est devenue sérieuse.

isolés et où chacun chantera l’un après l’autre. Il y aura des

LFC : Quand pourra-t-on vous voir sur scène ?

duos, des trios… Cela va nous aider à faire des transitions

PB : Un best-of 3 CD du Secteur Ä va sortir le 20 avril prochain. La

logiques.

première date de la tournée aura lieu le 26 avril à Rennes et nous serons également à l’Accorhotels Arena Paris le 22 mai, au Dôme de

LFC : Quand vous parlez de ce

Marseille le 4 mai et dans plusieurs Zénith de France (voir dates p.122)

projet, le mot famille revient

LFC MAGAZINE #8 118


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS FIFOU DR

C’est la définition même du Secteur Ä. Avant d’être une affaire de business, c’est une affaire de famille. Et c’est cela qui nous permet de trouver le bon chemin lorsque nous avons des désaccords. On vit des instants intenses, en tant que famille. souvent.

PB : À l’époque - et c’est très paradoxal - le public venait du même horizon social que nous.

PB : C’est la définition même du Secteur Ä. Avant

Aujourd’hui, quand nous jouons nos concerts,

d’être une affaire de business, c’est une affaire de

nous constatons que ce sont les mêmes

famille. Et c’est cela qui nous permet de trouver le

personnes. Sauf qu’aujourd’hui, ils sont devenus

bon chemin lorsque nous avons des désaccords. On

cadres. Ils sont dans la vie active et certains ont

vit des instants intenses, en tant que famille.

des enfants. C’est une sensation spéciale.

LFC : Vous avez fait des morceaux qui ont marqué

LFC : Vous êtes aujourd’hui dans l’âge de

toute une génération. Comment l’expliquez-vous ?

l’expérience et de la maturité.

PB : On a réussi à faire quelque chose et c’est un

PB : Exactement. La maturité, on l’acquiert au fur

sentiment indescriptible. D’avoir inscrit des

et à mesure de nos différentes expériences. Ce

morceaux dans la mémoire des gens, c’est

sont des instants magiques de voir les enfants

inestimable. C’est une fierté. Ce sont des chansons

de nos fans qui découvrent et aiment nos

que nous avons écrites dans nos chambres et qui

chansons. C’est intergénérationnel.

sont encore d’actualité aujourd’hui. LFC : Le best-of du Secteur Ä sort au mois LFC : Nous pensons qu’avec cette tournée, vous

d’avril, est-ce que ce seront uniquement des

allez toucher une nouvelle génération.

titres que l’on connait ?

PB : C’est dans la même logique. Sans prétention

PB : Oui, uniquement des titres que nos fans

aucune, si l’on prend l’exemple de Michael Jackson,

connaissent.

lui aussi a touché plusieurs générations. Aujourd’hui, j’ai des nièces qui écoutent sa musique.

LFC : N’aviez-vous pas l’envie de faire de

Elles ressentent ses chansons comme nous les

nouveaux titres ensemble ?

avons ressenties.

PB : Si. Mais je pense que lorsque quelque chose

LFC : Est-ce une chance d’avoir un public familial ?

a été mythique, il faut le laisser ainsi. L’erreur

119 LFC MAGAZINE #8



INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS FIFOU DR

Ce sont des instants magiques de voir les enfants de nos fans qui découvrent et aiment nos chansons. C’est intergénérationnel. parfois, c’est de faire un énième épisode de

doutes de retrouver son public. La peur,

quelque chose qui a déjà existé. C’est comme

vous l’avez quand vous commencez ce

si demain, on me dit qu’il y a un deuxième

métier. Sans rentrer dans une confiance

Scarface qui sort. Il n’y aura pas la même

excessive, nous sommes déjà en terrain

énergie, la même intensité. Si on doit faire un

conquis. Cependant, nous sommes

album plus tard, cela se fera naturellement. Il

conscients qu’il faut que l’on donne tout

ne faut pas forcer les choses. Il faut que ce

sur scène. Bien entendu, il y a la pression

soit une décision spontanée. Pour l’instant,

de bien faire.

nous nous concentrons sur la tournée. LFC : Quel regard portez-vous LFC : Qu’allez-vous nous proposer sur scène ?

aujourd’hui sur la scène urbaine ?

PB : Je ne peux malheureusement pas trop en

PB : Ce que je pense à titre personnel,

dévoiler. Ce que je garantis, c’est qu’au sein du

c’est que les nouveaux artistes

Secteur Ä, nous avons une chance par rapport

proposent des choses qui sont

à d’autres artistes, c’est d’avoir des chansons

consistantes depuis quelques années.

qui sont plus stars que nous. Le premier

Beaucoup de gens disent que le rap

objectif de cette tournée, c’est de faire vivre

français, c’était mieux avant. Je n’ai

ces chansons, de les faire sortir des

jamais été pour ce discours. Mais c’est

plateformes de streaming. La deuxième chose,

vrai qu’à un moment donné, il y avait des

c’est que ce sera une célébration, une grande

questions à se poser. Depuis deux ou

fête. C’est la première fois depuis 1998 que

trois ans, il se passe vraiment quelque

l’on va tous se retrouver sur scène. Toutes ces

chose. Mon frère Dosseh par exemple, je

énergies seront là. Tout est fait dans l’ordre

le place dans cette nouvelle génération

des choses.

talentueuse qui ont des textes de qualité. Il y a aussi Damso, VALD ou même Eddy

LFC : Avez-vous des appréhensions ? Des

de Pretto que j’aime beaucoup. Ce sont

doutes ? Des peurs ?

des artistes qui proposent des choses, c’est dans l’air du temps. Il se passe

PB : Non. Il ne peut pas y avoir de peurs ou de

121 LFC MAGAZINE #8

quelque chose en ce moment.


LA TOURNÉE Les dates. Sont-ils dans le coin ? Le Secteur Ä seront sur les routes de France en avril et en mai 2018. Soyez nombreux au rendez-vous !

26/04 RENNES LE LIBERTE 27/04 AMNEVILLE LE GALAXIE 02/05 LYON HALLE TONY GARNIER 03/05 TOULOUSE LE ZENITH 04/05 MARSEILLE LE DOME 18/05 BORDEAUX METROPOLE ARENA 19/05 NANTES LE ZENITH 22/05 PARIS ACCORHOTELS ARENA 26/05 ROUEN LE ZENITH 27/05 LILLE LE ZENITH


OK CORAL Auteur, compositeur, interprète, OK CORAL offre ici une mise à nu profonde pour ce nouvel EP, le plus personnel depuis ses débuts. Il nous dévoile pour le Printemps"L'Odyssée", le premier extrait, en attendant la sortie de l'EP en septembre 2018. Séance photos et entretien inédit.

LFC MAGAZINE #7 135


LFC MAGAZINE #8 124

LFC : Bonjour Jim, merci d’avoir accepté notre invitation. Tout d’abord,

LFC : Vous êtes seul. Mais peut-être

pouvez-vous nous expliquer votre nom de scène Ok Coral ?

plusieurs dans votre tête ? (Rires)

OC : Il n’y a pas d’explication particulière si ce n’est que j’aimais beaucoup

OC : C’est quelque chose dont j’avais

le film et que je ne voulais pas un nom de scène du genre Jim et sa guitare.

besoin. Je ne pouvais pas m’appeler

Je trouvais que ce nom sonnait bien. C’est également un hommage au fait

Jim. Ce n’était pas possible. Il me

que j’ai toujours fait partie d’un groupe.

fallait un nom qui me permette de sortir de ma vie réelle.

LFC : Sur scène, êtes-vous seul ? LFC : Un troisième EP qui arrive en OC : Nous sommes plusieurs sur scène, mais je suis le seul membre de Ok

septembre. Où en êtes-vous dans le

Coral.

processus de création ?


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA

J’ai beaucoup de mal à mettre le dernier coup de pinceau, car je suis très perfectionniste et que je retouche beaucoup. Mais ce sera prêt dans les temps, en septembre ! OC : J’ai beaucoup de mal à mettre le dernier

pour tous ceux qui ont le désir d’entreprendre.

coup de pinceau, car je suis très perfectionniste et que je retouche beaucoup. Mais ce sera prêt

LFC : Pourquoi avez-vous décidé de chanter en

dans les temps !

anglais ?

LFC : Comme c’est la première fois que nous

OC : Tout simplement parce que mes influences

nous rencontrons, pouvez-vous revenir sur vos

sont quasiment toutes anglo-saxonnes. Ce qui

EP précédents ?

m’intéresse dans les chansons, ce sont le format pop. C’est extrêmement dur de faire sonner les

OC : Mon premier EP, je le vois comme un galop

mots en français.

d’essai. C’est la première fois que je faisais un disque, et ce, de manière très artisanale. C’est

LFC : Quelle est votre définition de la pop ?

une période où je cherchais un peu mon identité et venant de Mulhouse, ce n’était pas évident. Là-

OC : C’est le fait de tout synthétiser. Quatre

bas, tout est un peu indépendant et hardcore.

phrases en deviennent une. C’est quelque chose

Dans le deuxième EP, je suis plus rentré dans ce

de simple, mais pas simpliste, d'intéressant et de

que je voulais faire. C’est un projet plus électro.

minimaliste.

J’ai fait un duo avec Lisa Spada et cela a été comme un tournant pour moi. Je voulais que ce

LFC : Pouvez-vous nous parler du clip ?

soit plus dansant et plus entertainment. OC : Oui, uniquement avec des gens proches. La LFC : Le troisième EP s’appelle L’odyssée, un titre

chose amusante, c’est que ce clip a été réalisé

français fort de sens.

entièrement à l’iPhone par François Bigrat, l’un de mes meilleurs amis.

OC : Je ne saurais pas trop comment l’expliquer, je préfère laisser fonctionner l’imaginaire des

LFC : On remarque que vous avez une envie de

auditeurs. Quand j’ai écrit ce morceau - au-delà

créer, de partager, mais aussi une envie de ne pas

de la forme qui était très importante - je voulais

tout donner en même temps…

que ce soit ésotérique. C’est l’histoire d’un Mulhousien qui part de sa région et qui essaye de

OC : C’est juste. Il y a eu cette idée de ne mettre

réussir quelque chose. Cette chanson est faite

aucun visage sur la pochette du premier EP, et

125 LFC MAGAZINE #8



dans le deuxième de mettre un visage caché. C’est

sur la dureté et la violence d’une grande ville. Il y a toujours un

vraiment quelque chose d’impudique, comme le fait de

certain vertige et c’est pareil à New York ou à Los Angeles. On

chanter en français.

rencontre tout le temps plein de gens, il y a tout le temps de la vie. Mais la contradiction, c’est que parfois, on se sent très

LFC : C’est-à-dire…

seul.

OC : En France, il y a une sorte de pression sur les

LFC : Vous êtes auteur, compositeur, producteur… Vous faites

textes. Je remarque cela dans les interviews à la

tout !

télévision. C’est l’un des rares pays où le chroniqueur peut lire votre texte sans écouter la musique et vous dire

OC : Je crois que je fais tout moi-même, car j’ai une frustration

que c’est léger. Ce n’est pas du tout ma philosophie.

du groupe. La démocratie dans la musique m’ennuie. Il y a tout

Parfois, j’ai l’impression qu’il faut d’abord être écrivain

le temps des brainstormings sur tout et n’importe quoi. Je

avant de faire de la chanson. La chanson française, c’est

pense que dans un projet, il faut une idée directrice. Mais être

un texte que l’on met en musique, alors que moi, c’est

seul représente aussi des désavantages. Je n’ai pas de recul

complètement l’inverse. C’est une chose que les Anglais

sur ce que je fais. J’ai quelques personnes de confiance sur

arrivent parfaitement à faire. Ils sont décomplexés.

qui je peux compter. Mais c’est très frustrant, car je jette 95% de ce que je fais.

LFC : Quelles sont vos inspirations en France ? LFC : Il faut beaucoup produire pour avoir un petit miracle à un OC : J’écoutais très peu d’artistes français auparavant.

moment donné. Qu’en pensez-vous ?

Je m’y mets un peu plus aujourd’hui. J’apprécie beaucoup Étienne Daho par exemple. Il y a une certaine

OC : Pour moi, il faut que cela se passe de cette manière. C’est

élégance dans ses textes et dans ses arrangements.

uniquement une question de hasard et lorsque l’on force le

Christine and the Queens a réalisé quelque chose que je

hasard, on peut obtenir ce que l’on veut. C’est aussi une

n’avais jamais entendu auparavant. Ce sont des artistes

question de patience. À chaque fois que je termine un

qui utilisent des mots qui sonnent. Si les mots sont

morceau, j’ai l’impression que je n’en ferai plus.

mariés à la musique, cela a encore plus de sens. Ces artistes m’ont permis de franchir le pas de la langue

LFC : De quoi sera composé votre EP prévu en septembre ?

française. OC : Il y aura cinq titres. Trois en anglais et deux en français. LFC : C’est une certaine forme de liberté ? Comme un

Ce sera un disque plus cinématique et dramatique que le

film ou un livre.

précédent. Je vais essayer de le défendre au mieux sur scène.

OC : Exactement. Si l’on prend l’exemple du film Drive, un

LFC : Vous sentez-vous privilégié de faire de la musique ?

film très pop, le scénario fait deux phrases. Il y a une partie des gens qui vont s’ennuyer et l’autre partie des

OC : Complètement. C’est ce que j’ai toujours voulu même s’il

gens qui vont s’évader complètement. Dans cet

faut faire avec les ups et les downs. Parfois lorsque j’ai des

EP, j’avais également quelque chose en tête. Depuis un

downs, je me demande pourquoi je fais ce métier, tellement

moment, c’était l’idée de parler de Paris et des grandes

c’est dur. C’est la création qui m’intéresse au-delà de tout.

villes en général. Je pourrais faire quinze albums sur

L’odyssée, c’est un peu cela, on ne sait pas pourquoi on le fait,

cette ville fascinante. C’était l’occasion de faire un bilan

mais on y va à fond.



Pomme

Mars 2018, nous avons une heure de rendezvous avec Pomme, dans le Marais, à Paris. Séance photos, bavardage dans un café parisien autour d'un Perrier. L'instant idéal pour parler de son disque "À peu près", de ses envies et de ses prochaines dates sur scène dont le 20 juin à La Cigale. Rencontre rafraichissante et inédite ! LFC MAGAZINE #8 129



INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS PATRICE NORMAND LEEXTRA

Je n’ai pas eu la sensation d’être un bébé star du jour au lendemain. Il y a quelque chose que je trouve sain dans ma progression. LFC : Pomme, vous êtes une artiste très jeune,

semaines et il est en vente. Ce n’est pas le cas.

vous avez seulement vingt et un ans. Nous nous

J’ai signé chez Polydor en 2015 et j’ai sorti un

rencontrons aujourd’hui pour parler de votre

premier EP dans la foulée, que j’ai beaucoup fait

premier album "À peu près" qui contient treize

vivre sur scène. Mon premier album a été un

titres. Tout d’abord, pouvez-vous nous raconter

long processus de création. Mais tout cela s’est

vos débuts dans la musique ?

fait de façon naturelle. Je n’ai pas eu la sensation d’être un bébé star du jour au

P : J’ai suivi un cursus de solfège classique

lendemain. Il y a quelque chose que je trouve

comme pas mal de gens. Ce n’est pas quelque

sain dans ma progression.

chose de très alléchant parce qu’il y a beaucoup de théorie. Et lorsque l’on a une dizaine d’années,

LFC : Votre parcours est à l’inverse du monde

ce n’est pas forcément évident. Mais j’ai repris il y

dans lequel on vit où tout va très vite. C’est un

a quelques mois, de ma propre initiative. Car je

chemin progressif.

suis consciente que c’est nécessaire. J’ai besoin de cela pour composer et créer ma musique. J’ai

P : Très progressif. J’ai beaucoup changé entre

également fait du violoncelle pendant dix ans.

mes dix-sept ans et mes vingt ans. Je ne suis

C’est un instrument qui demande beaucoup de

plus la même personne. Même aujourd’hui, j’ai

rigueur. Il faut y consacrer du temps chaque jour.

l’impression de grandir chaque jour.

Et c’est quelque chose que je n’ai pas malheureusement.

LFC : Nous avons lu que ce premier album, vous l’assumez complètement.

LFC : Le disque est sorti à la fin de l’année 2017. Pouvez-vous nous raconter votre parcours

P : L’an dernier n’a pas été une année très

jusqu’à signer chez Universal et sortir ce premier

agréable pour moi, car je me mettais beaucoup

projet ? C’est une chance inouïe.

de pression. J’avais toujours l’impression de ne pas avoir assez temps. Il y a quelque chose de

P : Cela fait déjà trois ans que je suis chez

primordial dans ce métier, c’est qu’il faut

Universal, ce qui signifie que nous avons pris

toujours savoir où l’on va, sinon c’est la

notre temps pour sortir ce projet. Certaines

panique. Il faut être très précis, car il y a

personnes pensent parfois que vous signez dans

beaucoup de gens autour de vous. Au début, je

un label. Vous enregistrez votre disque en deux

voulais quelque chose d’assez acoustique et

131 LFC MAGAZINE #8



Je souhaite écrire entièrement mon deuxième album. Beaucoup de gens donnent leurs avis, mais il ne faut pas perdre de vue ce que je souhaite dire. POMME finalement nous avons poussé la chose un

obligée d’accepter. J’avais toutes mes

peu plus loin. On devient un peu fou à force.

preuves à faire. Cette expérience m’a un

On se pose beaucoup de questions. C’est

peu enlevé cette confiance que j’avais -

pour cela que récemment, j’ai décidé de me

surtout que j’interprétais des chansons

désintéresser de certains avis que je peux

écrites par des gens qui avaient plus de

entendre autour de moi. Cela dénature votre

trente ans. Cela a été un peu déstabilisant.

identité.

J’ai mis du temps à reprendre confiance en mon écriture. En effet, c’était important

LFC : Assumez-vous ce disque à l’instant T où

pour moi pour me recentrer avec cet album.

vous l’avez fait ?

Il est très représentatif de mon adolescence.

P : Oui tout à fait. Même s’il y a eu du changement pendant la création, il faut

LFC : Certains journalistes n’ont pas

l’accepter et c’est normal. À 98%, je suis

forcément été tendres avec vos paroliers.

contente de ce que j’ai fait.

Ils vous ont même complimentés sur vos textes. Cela vous a-t-il donné davantage

LFC : Nous ne sommes pas de la même

confiance en vous ?

génération, mais votre force, c’est de toucher des publics différents. Qu’en pensez-vous ?

P : Complètement. Pendant trois ans, on m’a dit que je ne savais pas trop écrire. On

P: C’est vrai que ce n’est pas principalement

m’a dit qu’il fallait que je me diversifie en

des adolescents qui écoutent ma musique,

travaillant avec d’autres auteurs. C’est ce

même s’il y en a. Le premier EP que j’ai sorti

que j’ai fait tout en écrivant quand même

était plus facile d’accès et plus direct, c’est

quelques titres. Et en effet, quand le projet

pour cela que des enfants pouvaient s’y

est sorti, j’ai remarqué dans la presse que

identifier. Les textes que j’ai écrits dans cet

les journalistes parlaient en bien de mes

album sont des textes d’adultes. Ce ne sont

chansons. C’est pour cela que je souhaite

pas des histoires d’enfants.

écrire entièrement mon deuxième album. Beaucoup de gens donnent leurs avis, mais

LFC : Vous avez participé à l’écriture de ce

il ne faut pas perdre de vue ce que je

disque sur quelques titres. Pourquoi avez-

souhaite dire.

vous souhaité participer à l’écriture de certaines chansons ?

LFC : Comment définiriez-vous cet album ?

P : Au début, on ne m’a pas forcément incité à

P : Je dirais que cet album est plutôt

écrire. On m’a dit que j’allais interpréter des

organique et intense dans les sonorités. Il

chansons. Comme j’avais dix-huit, j’étais

est très représentatif de l’état dans lequel


j’étais pendant trois ans. On tâtonne le

LFC : On a le sentiment en vous écoutant depuis le début

terrain. Certaines chansons sont

de l’interview qu’il y a un fort désir de vérité et de sincérité.

diamétralement opposées, mais je l’assume complètement, car c’est ce que

P : Je ne sais pas pourquoi. Mais j’ai à cœur de rester moi-

j’ai vécu. C’est surtout un album qui me

même. Il y a peu de gens qui arrivent à le faire. Je me sens

permet de viser plus juste et de rebondir au

tellement bien lorsque je le suis. Ne pas se soucier de

fur et à mesure que le temps passe. Je sais

l’avis des autres, c’est mon but. Il faut faire vivre la

de quoi j’ai envie.

création. Je n’utilise pas non plus de personnage sur scène. Je veux être sincère avec le public.

LFC : Vous êtes régulièrement sur scène : des dates de concerts en mars, en avril et

LFC : Vous n’utilisez pas de personnages, mais il y a une

après sont programmées. Comment vivez-

certaine esthétique sur l’image que vous donnez et cela

vous cette aventure scénique ?

correspond à ce que l’on entend.

P : Cela donne une autre vie au projet. Je

P : Le graphisme et les visuels sont importants. J’aime y

préfère mille fois être sur scène qu’en

inclure des choses étranges et mystérieuses, cela

studio. Sur scène, je suis libre de faire ce

m’amuse. Peut-être que j’ai l’air lugubre, car je parle de la

que je veux. Le fait de faire un guitare voix

mort et du temps qui passe, mais c’est aussi très vivant. Si

sans arrangements, sans rien du tout, ce

je parle de la mort, c’est simplement parce que j’essaye de

n’est que du bonheur.

l’apprivoiser. La mort donne du sens à tout, même s’il y a un côté angoissant. La pochette de l’album a d’ailleurs

LFC : Pourquoi êtes-vous tant attachée à

dérangé certaines personnes.

l’acoustique ? LFC : Pourtant il y a un côté très vivant. P : C’est l’honnêteté absolue. Jouer avec d’autres musiciens, c’est une expérience

P : Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel se trouvent

enrichissante, mais je n’ai pas la liberté que

les gens. La mort donne un sens à la vie, c’est comme cela

j’ai lorsque je suis seule. Je n’arrive pas à

qu’il faut le voir. Si on ne mourait pas à la fin, tout ce que

gérer quelqu’un d’autre que moi sur scène.

l’on ferait n’aurait aucun sens.

LFC : Il y a aussi une plus grosse prise de

LFC : Quelle relation entretenez-vous avec votre public ?

risques en étant seule. En êtes-vous consciente ?

P : J’adore les gens. Je vais jouer à la Cigale le 20 juin et rien que de penser que 900 personnes vont venir me voir,

P : Complètement. Et le public en est

j’ai envie de pleurer. Je trouve cela merveilleux que ma

conscient aussi. Ils remarquent que je suis

musique puisse toucher les gens. C’est pour cela que je

quelqu’un d’honnête et que je ne triche pas.

fais ce métier.

134 LFC MAGAZINE #8


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Margaux Simone L'INTERVIEW


Margaux Simone Le grand retour de Margaux Simone se manifeste avec un nouvel EP Platine de cinq titres aux sonorités pop glamour voire électro. Bikini Queen Icon est son nouveau clip qui rencontre un franc succès sur Youtube, réalisé par Joseph d'Anvers. Rencontre à Paris avec l'artiste pour un entretien inédit.

LFC MAGAZINE #8 136


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS DR

J’ai toujours voulu faire de la musique et cela a été plutôt une épreuve que de chercher à faire autre chose, de devoir gagner sa vie… LFC : Margaux Simone, pouvez-vous nous

souhaitiez être chanteuse ?

raconter vos débuts dans la musique ? MS : Oui. Même lorsque j’étais à l’université, je MS : J’ai commencé très jeune. J’avais la

savais que les études ce n’était pas pour moi.

chance d’avoir un père musicien et j’ai tout de

Cependant, j’appréciais beaucoup la littérature,

suite été éveillée musicalement. Je suis par la

l’anglais, l’histoire américaine forcément,

suite rentrée au conservatoire pour faire huit

puisqu’on y parlait de musique et de cinéma.

ans d’alto. Mais au fur et à mesure, je sentais

Cela était passionnant, mais je ne me sentais

que la musique classique n’était pas le genre

pas à ma place. Les gens étaient là, car ils

musical qui m’intéressait le plus. J’ai

voulaient faire un métier en particulier. Pas

commencé à écrire des poèmes vers dix ou

moi.

onze ans. Je jouais aussi de la guitare. Je voulais faire comme les chanteuses que

LFC : Vouliez-vous rassurer vos parents ?

j’admirais. Ce n’était pas très bien dessiné dans ma tête. Mais avec le temps, ce projet s’est

MS : Non, j’avais simplement envie d’apprendre

développé de manière naturelle. Je n’avais pas

des choses. Pour écrire des chansons, il faut

de Plan B ! (Rires)

avoir de la matière, il faut rencontrer des gens. En tant que femme, je ne voulais pas laisser de

LFC : Vous faites allusion à la phrase de

portes ouvertes aux clichés, je voulais m’armer.

Christine Angot dans l’émission On n’est pas couché.

LFC : À quel moment votre carrière a-t-elle pris un tournant ? Après l’album produit avec My

MS : Je suis le contre-exemple. J’ai toujours

Major Company ?

voulu faire de la musique et cela a été plutôt une épreuve que de chercher à faire autre

MS : J’ai vraiment commencé à enregistrer mes

chose, de devoir gagner sa vie… C’est une

chansons lorsque j’avais quinze ans. Quand j’ai

question assez flippante lorsque vous êtes

eu dix-sept ans, c’est à ce moment-là que j’ai

adolescente.

signé avec My Major Company et que les choses sont devenues sérieuses. Mon premier

LFC : Vous saviez dès le départ que vous

137 LFC MAGAZINE #8

album est sorti lorsque j’ai eu vingt ans.



On ne se débarrasse pas de la musique une fois qu’on y a goûté. MARGAUX SIMONE LFC : Que retenez-vous de cette première

artiste est parsemé d’embuche et que tout n’est pas

expérience ?

facile. À quoi vous raccrochez-vous lorsque c’est difficile ?

MS : Il y a eu du bien et du moins bien. Je suis heureuse d’avoir fait ce disque et

MS : Il y a des moments difficiles, c’est vrai. Mais un

d’avoir fédéré des gens qui me suivent

jour, il y a quelque chose qui se passe. C’est comme

depuis cette période. Je pense que c’est

de la magie. Vous vous remettez à croire en vos

bien de l’avoir fait jeune également, d’avoir

rêves et c’est reparti. On ne se débarrasse pas de la

fait des erreurs que je ne referai plus

musique une fois qu’on y a goûté.

aujourd’hui. Bien sûr, j’ai l’impression que l’on peut toujours faire mieux. Mais le plus

LFC : Après ce premier album, il y a eu la sortie d’un

important, c’était de sortir ce projet. Il y a de

autre EP.

belles choses qui se sont passées et je ne regrette rien.

MS : Exactement. Je l’ai fait lorsque je suis sorti de My Major Company. J’avais eu le sentiment d’avoir

LFC : Cette expérience vous a permis de

fait un premier disque dont j’étais très fière. Mais je

vous rendre compte que le parcours d’une

sentais que j’étais aux prémices de ce que je


Si je devais définir cet album, je dirais que c’est de la pop atmosphérique : c’est un mélange de hip-hop, de rétro-chill, c’est très climatique. Il y a des ambiances à la London Grammar. voulais vraiment. Avec cet EP, il

LFC : Avez-vous fait des rencontres sur ce projet ?

fallait que je m’investisse plus dans les arrangements, que je

MS : C’est la première fois que j’ai eu envie de

sois vraiment au centre. Je me

travailler avec d’autres gens sur ce disque. J’ai

suis orientée vers un chemin un

fait de très belles rencontres. Joseph d’Anvers

peu plus rock en étant

tout d’abord, que j’ai été voir en lui disant que je

complètement indépendante.

voulais absolument travailler avec lui. Nous avons fait pas mal de chansons. J’ai conservé la

LFC : Et aujourd’hui, un

chanson Casino sur l’album. J’ai rencontré

nouveau projet voit le jour.

également François Welgryn qui a joué un vrai rôle d’éditeur sur ce disque. Il m’a beaucoup aidé. Ce

MS : Avec cet album, je sentais

projet c’est un vrai travail d’équipe.

qu’il fallait que j’aille encore plus loin, que j’utilise un

LFC : Nous aimons beaucoup votre visuel, très

personnage qui soit inspiré de

coloré, très pop. Tout comme l’album.

moi-même, mais aussi de personnages de livres ou de

MS : Je suis très contente de ce visuel. J’aime le

gens que je rencontre. Il fallait

pop/art et on me dit souvent que j’ai l’air d’une

que j’incarne ce personnage

poupée de cire. On se demande si je suis vraiment

pour que cela se ressente dans

réelle. Je voulais prendre tous les clichés de la

ma musique. La première

blonde et de la femme et qu’on se dise en

chose que j’ai faite, c’est aller

regardant la pochette que c’est une poupée Barbie

chez le coiffeur pour changer

peroxydée. Et en écoutant l’album, je voulais

radicalement de coupe de

prendre le contre-pied. Si je devais définir cet

cheveux. Je voulais tourner une

album, je dirais que c’est de la pop atmosphérique

page. Les cheveux sont très

: c’est un mélange de hip-hop, de rétro-chill, c’est

symboliques dans toutes les

très climatique. Il y a des ambiances à la London

cultures du monde.

Grammar.

140 LFC MAGAZINE #8


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Romane Serda L ' I N T E R V I E W


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS © ARNAUD MEYER LEEXTRA

Romane Serda nous a reçu en toute simplicité dans un hôtel parisien pour une séance photos et nous parler de son nouveau disque Pour te plaire qui nous a convaincu. Entretien inédit. LFC : Nous nous rencontrons pour parler de votre

de 2011. Sur celui-ci, j’ai pris mon temps. Je me suis

nouvel album Pour te plaire qui est également le titre

occupé de mon fils en vivant à son rythme. C’est une

du single. Pour quelles raisons avez-vous choisi ce

grande chance d’avoir pu le faire. Je suis mon propre

titre ?

patron. Et cette chance, je la savoure tous les jours.

RS : J’ai hésité avec le titre En l’air, qui est le

LFC : Pour te plaire est une chanson qui parle d’amour.

deuxième single. Mais comme je ne voulais pas qu’il y ait de connotations négatives avec ce titre, j’ai

RS : Oui. Tout est question de ne pas se perdre dans

décidé en toute logique de l’appeler Pour te plaire.

une histoire d’amour. J’ai eu tendance à beaucoup le

Ce qui représente bien l’album.

faire. Et aujourd’hui, je me rends compte que je me suis beaucoup trompée. On perd du temps. Mais c’est

LFC : Vous adressez-vous directement au public en

comme cela que l’on se construit.

le tutoyant ? LFC : Nous aimons beaucoup dans l’album le morceau RS : C'est plus global que cela. Il y a un côté assez

Choisir c’est renoncer. Pouvez-vous nous en parler ?

universel dans ce titre. J’ai envie que mes chansons soient interprétées de cette manière. C’est comme

RS : C’est l’histoire de ma vie. Au bout d’un moment, on

cela que je ressens la musique. J’ai besoin que les

arrête de vouloir tout tout de suite et tout le temps. Il

paroles tapent là où cela fait mal lorsque j’écoute de

faut faire des choix. Il faut se faire confiance, savoir

la musique. Quand quelqu’un arrive à mettre des

écouter sa petite voix intérieure. Nous ne sommes pas

mots sur des émotions, c’est une sensation

toujours disposés à cela avec les nombreuses

formidable.

préoccupations que nous avons. On est sans cesse dans une sorte d’affolement par rapport aux choix que

LFC : Vous avez travaillé de A à Z sur ce titre :

nous devons faire. Il faut prendre le temps de se

écriture, réalisation, production… C’est un énorme

reconnecter de temps en temps à son étoile. C’est

boulot !

parfois difficile. Mais le fait d’en prendre conscience, c’est déjà très bien.

RS : En effet, et c’est pour cela que j’ai pris beaucoup de temps à le faire. Le précédent datait

142 LFC MAGAZINE #8

LFC : Vous l’exprimez très bien dans cette chanson.


RS : Ce n’est pas évident de dire ce que l’on a

RS : Effectivement. Rien n’est laissé au hasard. J’ai pris du recul. J’ai

sur le cœur en trois minutes. J’ai écrit de

laissé des chansons de côté qui n’étaient pas dans le contexte, qui

nombreuses pages sur cette chanson. Et cela

avaient des sonorités différentes, qui ne correspondaient pas avec le

a été très dur de condenser et d’assembler

reste. Je n’ai pas hésité à recommencer. Comme je vous l’ai dit, j’ai pris

ensuite. Choisir, c’est toute ma vie.

mon temps. Nous avons d’ailleurs eu beaucoup de mal à finir l’album à cause de cela. (Rires). Je savais exactement ce que je voulais. Et je

LFC : Vous vous posez une belle question

voulais arriver à ce résultat.

dans une de vos chansons : où vont les amours ? Comment est née cette chanson ?

LFC : Musicalement, comment définiriez-vous cet album ?

RS : C’est la seule chanson que je n’ai pas

RS : Si je devais résumer en un mot, ce serait la sincérité. L’album est

écrite dans l’album. C’est Guillaume Soulan,

intime et il y a une certaine vérité qui s’en dégage dans le sens où tout

un de mes amis, qui est compositeur et

est personnel, même si ce sont des situations que l’on peut tous vivre.

guitariste sur l’album qui me l’a fait écouter.

J’ajouterais que l’album est léger musicalement. Ce qui contre-balance

Et j’ai tout de suite adoré. J’aimais l’énergie

avec les textes.

de cette chanson. Ce qu’elle dit. Et où elle m’emmenait.

LFC : Avez-vous des envies de scène ?

LFC : Pouvez-vous nous parler du clip Pour te

RS : Absolument. J’espère faire une scène en avril et ensuite enchaîner

plaire ? Quels souvenirs en gardez-vous ?

avec d’autres dates. J’en ai très envie.

RS : Un très beau souvenir. Je voulais

LFC : Quelle ambiance imaginez-vous ?

quelque chose de fun, de pop et de drôle. C’est un clip qui ne se prend pas au sérieux.

RS : Sur la tournée précédente, il y avait seulement une guitare et une

On a tourné chez moi sur un fond vert avec un

basse. Mais je crois que sur cette tournée, j’ai envie d’une batterie, de

petit tapis roulant. C’était toute une

percussions et de plusieurs musiciens. Il y a plus de rythme dans cet

gymnastique parce qu’il fallait que je chante

album. J’ai envie que ce soit plus musical et moins intime. Parfois, on

en regardant la caméra d’un côté et que

s’ennuie un peu lorsque c’est trop intime…

je marche de l’autre. C’était très drôle. Et je suis très contente du résultat final.

LFC : Boris Bergman fait partie de l’album. Est-ce une grande joie ?

LFC : Nous n’avons pas eu l’opportunité

RS : Oui. Le grand Boris. Il était déjà là sur les albums précédents. C’est

d’écouter vos précédents projets. Nous vous

quelqu’un qui a le sens du rythme dans son écriture. Ce qui n’est pas

découvrons avec cet album qui est très beau,

donné à tout le monde. Cela a l’air inné chez lui. C’est un chouette

avec des textes travaillés et très touchants.

personnage.

L’esthétique n’est pas laissée au hasard. Nous avons le sentiment que cet un album

LFC : Pour quelles raisons nos lecteurs devraient-ils écouter cet album ?

est très abouti. Que pensez-vous de cette remarque ?

143 LFC MAGAZINE #8

RS : Ce disque est là pour les émouvoir, pour les toucher en plein cœur.


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

L ' I N T E R V I E W


AVRIL 2018

INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle et Quentin Haessig

DAARA J FAMILY FAADA FREDDY & NDONGO D

PHOTOS EXCLUSIVES

L'ENTRETIEN DE LA COVER

pour LFC Magazine avec notre partenaire l'agence LEEXTRA, photographies de Céline Nieszawer


Mars 2018, Le Marais à Paris, nous avons rendez-vous avec Daara J Family, un des groupes phares de la scène hip-hop d'Afrique de l'Ouest. 20 ans de carrière, formé au milieu des années 90 au lycée, le groupe sort 6 albums dont "Boomerang" en 2003 qui sera consacré "Best African Act Award" par la BBC. Aujourd'hui, ils travaillent sur un nouvel album et nous offre un premier single "Oyé". Séance photos pour LFC Magazine et entretien inédit avec les deux membres du groupe Daara J Family. Rencontre.

LFC : Vous avez déjà vingt ans de carrière. Comme c’est notre premier rendez-vous, pouvez-vous nous dire comment vous êtes arrivés dans le milieu de la musique et comment vous faites pour vous supporter depuis plus de vingt ans ? (Rires) Faada Freddy : (Rires)… Depuis le début, nous travaillons ensemble avec N'Dongo. Et j’ai énormément de plaisir à partager la scène avec lui. Durant les trois dernières années, j’ai beaucoup tourné en solo. Mais je sais d’où je viens et je n’oublie pas notre groupe Daara J. Family. Ce groupe, c’est l’école de la vie. Et c’est aussi une manière de me ressourcer. Nous avons commencé à l’époque où le hip-hop était marginal. Puis, nous l’avons vu se développer et devenir un genre avec des valeurs ainsi qu’avec une force politique. Nous en avons été témoins et acteurs. Aujourd’hui, nous défendons l’éducation avec le divertissement. C’est quelque chose d’important pour nous. Le hip-hop est notre mission et nous nous devons de faire passer un message. Au-delà de l’aspect du divertissement et du folklore de ce genre musical, ce message doit servir à quelque chose. À travers notre LFC MAGAZINE #8 | 146

musique, nous essayons de replacer l’humain au centre d’un monde où la technologie a pris possession de nos vies. Ndongo D : Pour ceux qui ne nous connaissent pas, nous venons du Sénégal. C’est un pays francophone qui a connu un gros mouvement urbain au début des années quatre-vingt. Et nous sommes fiers d’en être les pionniers. Quand on parle du Sénégal, les gens s’identifient aux musiques traditionnelles, mais il y a aussi la musique urbaine. Nous avons commencé par faire des groupes de danse, puis des vidéos… Nous avons touché à tout. Puis, à un moment donné, nous avons pris le micro, car comme l’a dit Faada, il fallait faire passer un message. Nous avons eu la chance de signer notre premier contrat en maison de disque en 1994. Nous avons commencé à tourner dans des petits clubs. Puis en 1997 est sorti notre premier album Daara J en 1999 notre deuxième projet Xalima et en 2003 Boomerang, qui nous a ouvert les portes de l’international. Nous sommes partis en tournée au Japon, en Inde, en Nouvelle-Zélande et dans toute l’Europe. En 2010, nous avons sorti un nouvel album School of life qui a été disque d’or en Afrique et nommé meilleur album de l’année par RFI. Entre 2010 et aujourd’hui, nous avons multiplié les projets et nous préparons un nouvel album qui devrait sortir cette année.



LFC : Faada, vivre une carrière en solo vous a-t-elle permis de prendre un peu de recul pour mieux revenir ? FF : Tout à fait. Il y avait déjà eu des propositions pour faire des albums solos, notamment aux États-Unis, mais j’avais refusé. Ndongo m’a un jour parlé d’un producteur qui avait produit Ayo et qui s’intéressait à moi. Mais je n’étais toujours pas tenté. Je préférais me consacrer au groupe. Mais après avoir bien réfléchi, nous n’avions plus rien à prouver aux gens. Nous avions gagné la confiance du public. Et je me suis dit que c’était peut-être le moment pour faire un break. LFC : Ndongo, vous avez eu une belle réaction en laissant votre partenaire voler de ses propres ailes. Ndongo D : Comme Faada le disait, cela s’est fait naturellement. Vous savez, nous passons plus de temps ensemble qu’avec nos familles. Quand ce producteur a été intéressé pour réaliser un projet solo avec Faada, je l’ai tout de suite encouragé. Je sais qu’il a un potentiel énorme. Et qu’il avait besoin de sortir du groupe pour que les gens voient à quel point il était talentueux. Lorsque le projet est sorti, les gens étaient surpris de voir que c’était un membre de Daara J. qui faisait ce projet. De plus, ce projet était assez osé, car c’était un projet a cappella. Je suis vraiment heureux qu’il l’ait fait.

LFC MAGAZINE #8 | 148

Lorsque le projet est sorti, les gens étaient surpris de voir que c’était un membre de Daara J. qui faisait ce projet. De plus, ce projet était assez osé, car c’était un projet a cappella. Je suis vraiment heureux qu’il l’ait fait. Ndongo D à propos de l'album solo de Faada Freddy LFC : Et vous Ndongo D, avez-vous une envie de faire quelque chose en solo ? FF : Il a un projet et je l’encourage à mon tour à le faire ! (Rires) C’est un projet qui va rassembler toutes les grandes couches ethniques du hip-hop. Historiquement, c’est quelque chose qui va marquer, car il est allé puiser dans les racines qui sont en train de mourir. C’est un peu comme s’il sauvait une musique en perdition. Son projet est très intéressant. Et j’ai été ravi d’y participer. Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Ndongo D : J’ai fait beaucoup de recherches sur ce projet, notamment sur un penseur qui s’appelait Kothie Barma. Tout ce projet est fait autour de ce personnage et c’est pour cela que je l’ai appelé La voix de Kothie Barma. Il était très influent de par son vocabulaire. Aujourd’hui, cela se perd. Les jeunes n’en ont plus. Il y a un gros problème d’éducation en Afrique. Il faudrait simplifier la manière de comprendre. C’est pour cela que nous défendons le langage dans nos textes.



LFC : Et vous Ndongo D, avez-vous une envie de réaliser un projet solo ? FF : Il a un projet et je l’encourage à mon tour à le faire ! (Rires) C’est un projet qui va rassembler toutes les grandes couches ethniques du hip-hop. Historiquement, c’est quelque chose qui va marquer, car il est allé puiser dans les racines qui sont en train de mourir. C’est un peu comme s’il sauvait une musique en perdition. Son projet est très intéressant. Et j’ai été ravi d’y participer. Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Ndongo D : J’ai fait beaucoup de recherches sur ce projet, notamment sur un penseur qui s’appelait Kothie Barma. Tout ce projet est fait autour de ce personnage et c’est pour cela que je l’ai appelé La voix de Kothie Barma. Il était très influent de par son vocabulaire. Aujourd’hui, cela se perd. Les jeunes n’en ont plus. Il y a un gros problème d’éducation en Afrique. Il faudrait simplifier la manière de comprendre. C’est pour cela que nous défendons le langage dans nos textes. LFC : Vous nous avez expliqué votre démarche artistique, votre engagement. Qu’en est-il de la scène ? C’est quelque chose d’important pour vous ? Ndongo D : La scène, c’est notre vécu. C’est un message que l’on essaye de passer. Contrairement au studio, c’est du direct, il n’y a pas d’effets. Pour la première fois, nous avons pris le pari avec Faada de faire des morceaux sur scène sans même les avoir enregistrés. C’est exceptionnel, car cela nous permet d’avoir le ressenti du public en direct. Nous avons passé plusieurs jours avec un groupe de musiciens. Cela nous a permis de retravailler nos placements, les rythmes, etc. FF : À chaque fois que l’on monte sur scène, on ne sait jamais à quoi s’attendre. L’image que j’ai quand je me détache de tout cela, c’est l’image de deux dragons. Les gens disent que

LFC MAGAZINE #8 | 150

nous sommes de nature assez calme. Mais souvent, il y a du feu en nous. À l’époque, les dragons étaient enfermés dans des grandes tours pour garder les châteaux. Mais à un moment donné, il fallait qu’ils crachent du feu. C’est un peu nous quand nous débarquons sur scène. (Rires). Nous aimons la scène. Cela nous permet aussi de rester en bonne santé. LFC : L’album est prévu pour 2018. Que pouvez-vous nous dire sur votre prochain album ? Ndongo D : L’album est en préparation. Nous avons beaucoup d’idées. Ce que nous voulons dans cet album, c’est montrer le rapport entre la musique et l’action. Ce sera la continuité et la synthèse de ce que nous avons fait durant toutes ces années de carrière.

Pour moi Ndongo D est l’un des plus grands poètes Wolof qui existent de nos jours. Cela donne une dimension très illustre à cet album. Faada Freddy, à propos du projet solo de Ndongo D


L’album est en préparation. Nous avons beaucoup d’idées. Ce que nous voulons dans cet album, c’est montrer le rapport entre la musique et l’action. Ce sera la continuité et la synthèse de ce que nous avons fait durant toutes ces années de carrière. Daara J Family a sorti son premier single Oyé au mois de février 2018.


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Laura Clauzel


Laura Clauzel Arts lyriques, arts graphiques et danse contemporaine, Laura Clauzel est une chanteuse multifacettes. Paris, mars 2018, nous avons rendez-vous avec l'artiste pour parler de son nouveau clip Golden Boy qu'elle interprète de sa voix dense et envoûtante. Entretien.

LFC : Laura Clauzel, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

LC : Je trouvais que le genre new soul permettait de laisser

LC : Je suis Laura Clauzel et je viens de sortir mon premier EP qui

la porte entrouverte. J’aime le

s’appelle Paria(h). Je fais de la musique que je pourrais définir comme

rapport à la voix dans ce

de la new soul, mais avec également des sonorités jazz/électro. Cet EP

genre musical. J’ai beaucoup

est sorti en novembre 2017 et il contient quatre titres dont je suis très

été influencée par Amy

fière.

Winehouse par exemple. Mais à côté de cela, j’ai besoin de

LFC : Êtes-vous seule sur ce projet ?

continuer de rêver en m’orientant vers d’autres

LC : Je travaille seule sur l’écriture de mes titres, et en duo avec Olivier

univers musicaux. Je me

Bostvironnois sur toute la partie composition. Nous passons beaucoup

laisse beaucoup de places

de temps à créer en studio avec une marge de liberté importante dans

dans ce que je veux. Je

ce que l’on fait, notamment au niveau du piano et des arrangements. Je

marche beaucoup dans

fonctionne beaucoup sur les envies et sur ce que j’entends. Nous

l’improvisation. J’aime me

sommes vraiment complémentaires.

laisser surprendre.

LFC : Lorsque l’on écoute votre EP, nous notons un certain éclectisme.

LFC : Voyager, cela vous a-t-il

Qu’en pensez-vous ?

aidé dans votre métier

LFC MAGAZINE #8 153


INTERVIEW QUENTIN HAESSIG

PHOTOS DR

Le clip est une fenêtre formidable pour inviter des gens dans son univers. d’artiste ?

difficile de la placer dans une case artistique. Je n’avais pas envie de me définir dans un

LC : Énormément. Cela m’a beaucoup appris. Mon

genre.

expérience à l’école Martha Graham m’a permis de tester plusieurs arts, que ce soit la comédie ou la

LFC : Le clip Golden Boy est sorti il y a quelques

danse. S’inspirer d’autres disciplines permet de

semaines. Le titre nous rappelle les sonorités

revenir à ce que l’on veut vraiment artistiquement.

des séries comme Peaky Blinders ou True

J’ai appris un peu plus tard que Woody Allen et

Detective. On a beaucoup aimé.

Madonna avaient fait cette école. Je trouve cela magnifique de tester plusieurs arts sans savoir

LC : Merci beaucoup. C’est un clip dont nous

réellement ce que l’on veut faire.

avons beaucoup rêvé. Nous avons mis beaucoup de temps à l’imaginer et à l’écrire

LFC : Multiplier les arts est quelque chose de très

même si nous savions l’allure qu’il devait avoir.

américain. Si on prend l’exemple de Ryan Gosling

Le tournage a été génial.

dans La La Land, il sait tout faire. LFC : Vous construire une identité visuelle très LC : Oui, tout à fait. Il y a aussi l’exemple de Hugh

tôt, dites-nous pour quelles raisons ?

Jackman qui peut jouer des rôles comme Wolverine ou comme celui de Jean Valjean dans Les

LC : C’est très important. Je voulais faire peu de

Misérables. J’aime beaucoup le côté transdiscipline.

morceaux, mais les amener au bout de ma

C’est très personnel. Mais je crois que lorsqu’on a

démarche artistique et visuelle. J’avais envie de

besoin de dire quelque chose artistiquement, il faut

quelque chose de cinématique. Très souvent,

simplement trouver la forme. Il faut se laisser de la

on veut défendre des choses avec des mots

liberté.

alors que les images en disent beaucoup plus. Je suis très heureuse de montrer ces clips

LFC : Vous sentez-vous libre dans votre art ?

aujourd’hui. Le clip est une fenêtre formidable pour inviter des gens dans son univers.

LC : J’ai envie en tout cas. Je prends souvent l’exemple de l’artiste Soko. Elle exerce son art au gré

LFC : Vous êtes très influencée par le cinéma.

des rencontres qu’elle fait. De ce fait, il est très

Quelles ont été vos influences sur ce clip ?

154 LFC MAGAZINE #8


LC : Martin Scorsese, énormément. Je crois

LFC : Avez-vous des projets au cinéma et au

que dans l’art aujourd’hui, on peut tout faire du

théâtre également ?

moment que c’est sincère. Dans Le Loup de Wall Street, Leonardo Di Caprio en est la preuve

LC : Oui absolument. J’ai beaucoup de rêve de

irréfutable. Je pense également à Louis de

cinéma et de théâtre, car c’est de cette façon que

Funès. Ce sont des artistes qui réussissent à

j’ai commencé. J’espère pouvoir continuer à

nous faire rire et à nous faire pleurer. Nous

m’exprimer dans mes prochains clips.

avons beaucoup travaillé sur des photos et des inspirations comme le doré de Yves Klein

LFC : Vous vous êtes engagée face à la situation

et le mythe de Midas.

des migrants en 2016. L’art doit-il servir à faire passer des messages ?

LFC : Quels sont vos projets pour la suite ? LC : J’ai l’impression de me considérer comme une LC : Tout d’abord, je vais faire beaucoup de

artiste engagée. Pourtant, je ne me vois pas passer

scène. Puis je vais me lancer dans la

un message particulier lorsque je me lance dans ce

conception d’un nouvel EP. J’aime ce concept

projet en 2016. Je souhaitais avant tout que ce soit

de carte de visite. Un album, c’est quelque

une belle chanson avec des mots forts de sens. Je

chose de très costaud. L’EP est une façon un

veux amener de la poésie avant de toucher les

peu plus fractionnée de faire de la musique.

gens.


Abi Lomby

Après une enfance entre les États-Unis et la France, la jeune Abi Lomby nous donne rendez-vous dans un quartier de Paris pour un entretien inédit. Nous parlons de ses débuts dans la musique, de son single Lose No Sleep qui cartonne sur NRJ, Virgin Radio et Fun Radio, et de son duo avec Amir. Rencontre.

LFC MAGAZINE #8 156


INTERVIEW QUENTIN HAESSIG

PHOTOS : ANTHONY GHNASSIA

Je suis américaine. La ville de Los Angeles m’a vu naître. Et j’ai ensuite grandi à Paris tout en continuant à faire des aller-retours aux États-Unis. J’ai toujours vécu entre ces deux pays. LFC : Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

en anglais ?

AL : Mon parcours est assez simple. J’ai toujours

AL : Absolument. Pour l’instant, la langue

voulu faire ce métier depuis mon plus jeune âge.

française ne me parle pas plus que cela.

J’ai grandi entre la France et les États-Unis. Et je

L’anglais est la langue de mes débuts et

crois que cela a développé mon envie de devenir

j’ai voulu le partager de cette manière.

une artiste complète. J’ai eu la chance de faire du chant, de la danse, de la comédie et il se trouve

LFC : Vos influences sont-elles

que le chant est l’art auquel j’ai souhaité me

majoritairement américaines ?

dédier. AL : Oui, j’écoute essentiellement du rap LFC : Vous êtes donc française et américaine ?

américain. Eminem, Notorious B.I.G ou Les Fugees pour ne citer qu’eux. J’écoute

AL : Je suis américaine. La ville de Los Angeles

les plus grands. C’est eux qui m’ont

m’a vu naître. Et j’ai ensuite grandi à Paris tout en

donné envie de faire ce que je fais

continuant à faire des aller-retours aux États-

aujourd’hui.

Unis. J’ai toujours vécu entre ces deux pays. LFC : Avez-vous des influences LFC : Comment ressentez-vous le fait d’avoir

françaises ?

grandi dans ces deux pays où la culture est diamétralement opposée ?

AL : Très peu. J’écoute du rap français de temps en temps, je trouve qu’il y a un

AL : Je le prends comme un avantage. Je suis

courant vraiment intéressant depuis

vraiment heureuse d’avoir grandi avec ces deux

quelques années. Ceci dit, le rap

cultures. Cela m’a donné l’opportunité de faire un

américain me parle beaucoup plus.

album en anglais. Je ne sais pas si j’aurais été capable de le faire en français. En tout cas pour

LFC : Vous avez grandi aux États-Unis. À

l’instant, je ne m’en sens pas capable.

quoi ressemblait votre enfance ?

LFC : C’était une évidence pour vous de chanter

AL : Depuis toute petite, que ce soit ma

157 LFC MAGAZINE #8


La musique a toujours été omniprésente dans ma vie. ABI LOMBY mère ou mon frère, tout le monde écoutait de la

d’avoir grandi dans un univers comme

musique. Naturellement quand vous êtes petite,

celui-ci et de m’être forgé une culture

vous essayez de reproduire ce que vous voyez

musicale exhaustive. J’ai également

autour de vous. Certes, au début, tout n’était pas

appris à apprécier les bonnes musiques, à

parfait. (Rires), Mais j’appréciais ces moments-

devenir exigeante artistiquement.

là. Le fait de grandir dans un pays où il y a tout le temps des concerts, des clips toute la journée

LFC : Vous vous êtes entourée de

à la télévision, ça fait rêver. La musique a

producteurs prestigieux. Comment les

toujours été omniprésente dans ma vie.

connexions se sont faites aux États-Unis ?

LFC : Avez-vous senti tout de suite que c’était ce

AL : C’est assez simple. À la fin de chaque

que vous vouliez faire ? Avez-vous eu des

année scolaire, il y a deux jours de stage

doutes ?

artistique où l’école invite une célébrité. Ce jour-là, je ne savais pas qu’ils avaient

AL : Au début, je n’avais pas vraiment confiance

invité le producteur LaShawn Daniels. Mon

en moi. C’était dur de faire comprendre aux gens

professeur me l’a présenté et lui a dit que

que vous vouliez devenir une artiste. C’est se

j’étais une grande passionnée de musique.

mettre à nu. Il faut assumer. J’ai de la chance

Il m’a demandé de chanter devant lui. Je


Je suis une jeune artiste qui doit faire ses preuves, et c’est génial que le titre ait marché tout de suite. Je remercie tous les gens qui me soutiennent. C’est une chance de dingue ! vous avoue que c’était très stressant. Mais

suite. Je remercie tous les gens qui

je l’ai fait. Je ne voulais pas laisser passer

me soutiennent. C’est une chance

ma chance. Il a tout de suite senti qu’il y

de dingue !

avait un potentiel et m’a proposé de venir travailler avec lui.

LFC : Quels sont vos projets ? Un album en préparation ?

LFC : Vous étiez jeune, comment avez-vous géré la pression ce jour-là ?

AL : Oui, tout à fait. Si tout se passe bien, l’album sortira en

AL : À l’époque, je n’avais pas confiance en

même temps que le deuxième

moi. Quand quelqu’un comme LaShawn

single.

Daniels vous demande de chanter devant lui, il ne faut pas perdre ses moyens.

LFC : Vous avez enregistré un duo

Heureusement, tout s’est bien passé. C’était

avec Amir en 2016, d’autres duos

magique.

sont-ils prévus sur ce premier album ?

LFC : Ensuite, le titre Lose No Sleep totalise plus de 35 000 vues sur YouTube. Vous

AL : Malheureusement, non. Mais

attendiez-vous à un tel succès ?

c’est uniquement par souci de timing. C’était difficile de faire

AL : C’était une belle surprise. Je suis une

coïncider les emplois du temps de

jeune artiste qui doit faire ses preuves, et

chacun. Mais c’est certain qu’il y

c’est génial que le titre ait marché tout de

en aura sur le deuxième album.

159 LFC MAGAZINE #8


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Lili Poe

L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES


Lili Poe Lili Poe, c'est la découverte de ce Printemps 2018. Son single Amour Fragile cumule déjà plus de 220 000 vues du clip. Nous avons eu la chance de rencontrer l'artiste pour une séance photos exclusives et parler de son premier album (prévu cet été) sur lequel elle partage des duos avec Soprano et Slimane. Entretien inédit et photos exclusives pour LFC Magazine.

LFC MAGAZINE #8 161


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS ARNAUD MEYER LEEXTRA

Un disque, c’est une sorte de thérapie. On guérit des choses. Dans cet album, j’ai guéri des blessures que je pensais avoir cicatrisées depuis des années. C’était un joli chemin. LFC : À quelques mois de la sortie de votre

rien n’est acquis. Il y a toujours des vagues,

premier album, dans quel état d’esprit êtes-

des creux… Et il faut tout mettre en œuvre

vous ?

pour garder le cap. Il faut trouver les bonnes raisons pour lesquelles on fait ce métier.

LP : Lorsque j’ai terminé ce premier album, c’était forcément un moment chargé

LFC : Lesquelles ?

d’émotion, car nous y avons mis du temps, du coeur et des choses personnelles. Cet album

LP : La scène, par exemple. Tout le travail en

ne m’appartient plus désormais. Il appartient

studio, je le fais pour aller sur scène. En

aux gens. J’espère qu’ils l’apprécieront et qu’ils

studio, je suis vraiment à fleur de peau, c’est

comprendront ce que j’ai souhaité transmettre.

violent. Il y a beaucoup de remise en question

C’est à la fois excitant et effrayant.

pour faire l’album le plus sincère possible.

LFC : Le morceau Ça ira est déjà disponible en

LFC : Le studio est également une zone

écoute. Est-ce une façon de préparer la sortie

d’enfermement ?

de l’album qui sortira cet été ? LP : Effectivement. Il y a un gros travail à LP : Le titre Ça ira est en quelque sorte la

faire sur soi. C’est pour cela que j’utilise

préface de l’album. C’est un morceau mémo

beaucoup les miroirs. Ce n’est pas une

que j’ai écrit pour me persuader, me motiver,

question d’être narcissique, mais plutôt de se

me dire que même si parfois c’est difficile, ça

regarder en face pour voir ce qui ne va pas.

ira ! (Rires)

Une fois qu’on est sur scène, ces chansons sont digérées et je suis prête à les chanter, à

LFC : Que trouvez-vous difficile dans ce milieu

les assumer et à les partager. Un disque,

? Le public ? La conception d’un album ?

c’est une sorte de thérapie. On guérit des choses. Dans cet album, j’ai guéri des

LP : La musique en général est quelque chose

blessures que je pensais avoir cicatrisées

de difficile. Ce serait mentir de dire que c’est

depuis des années. C’était un joli chemin.

une longue ligne droite. Tous les artistes, même ceux qui marchent, savent très bien que

162 LFC MAGAZINE #8

LFC : À la première écoute de cet album, on


Je suis partie du principe que ce n’était pas grave d’être fragile, d’avoir des failles, de douter. Le fait de l’écrire dans les chansons, c’était un moyen de l’assumer vraiment. LILI POE se dit que vous y avez mis beaucoup de vous à

cinématographie. Le cinéma m’inspire

l’intérieur. C’est un album très touchant. Vous

beaucoup. C’est pour cela que parfois je

partez d’un point de vue personnel et vous

suis inspirée par une émotion forte qui me

arrivez à en faire quelque chose d’universel.

concerne.

LP : C’est le plus beau compliment que l’on

LFC : Il faut faire de ses faiblesses, une

puisse me faire. En terme d’écriture, j’avais

force. C’est un des socles de l’album. Cela

besoin et j’avais envie de quelque chose de

vous tenait à coeur ?

direct. Je souhaitais ne pas prendre de détour. Je suis quelqu’un d’assez pudique de nature. Je

LP : Je parle d’amour désastreux, mais je

ne parle pas beaucoup des choses profondes.

ne suis pas rancunière. Je n’en veux à

C’était important d’assumer ma fragilité.

aucune des personnes qui m’ont fait souffrir, car je pense m’être aussi infligée

LFC : La musique est-elle un moyen

des choses toute seule. Je pense

d’expression plus facile ?

sincèrement que pour être heureux, il faut se rencontrer soi-même et s’accepter. Tant

LP : À la base, c’était une volonté très

qu’on ne l’a pas fait, on ne peut pas trouver

personnelle. Je suis partie du principe que ce

le bonheur. Il y a quelques temps, je me

n’était pas grave d’être fragile, d’avoir des failles,

jugeais. J’étais dure avec moi-même. Je

de douter. Le fait de l’écrire dans les chansons,

trouve que la société nous inflige cela

c’était un moyen de l’assumer vraiment. Quand

parfois. Je ne suis pas d’accord. Je pense

j’entends des gens qui me disent s’être identifiés

que l’on est plus fort lorsque l’on est

dans mes chansons, c’est encore plus génial

fragile. Je vais mieux si je vais mal. On

parce que c’était quelque chose de très

peut aller mieux quand on accepte que l’on

personnel au départ.

peut aller mal.

LFC : Pour un premier album, c’est extrêmement

LFC : On va changer de sujet et revenir sur

abouti et sincère. Souhaitiez-vous atteindre

l’album. Vous avez fait un duo avec Disiz

cette sincérité ?

la Peste sur un titre qui n’est pas sur l’album. Comment est né ce morceau ?

LP : J’ai envie d’être sincère dans ce que je raconte. Il y a beaucoup de moi, même si tout

LP : C’est le tout premier titre que j’ai sorti.

est forcément un peu fantasmé. Lorsque l’on fait

Je voulais raconter une histoire d’amour

un biopic, on fantasme aussi la vie des gens que

très toxique, par rapport à ce que l’on

l’on raconte. J’ai une écriture très visuelle et

s’inflige dans une relation. Cela devient


Ce dont j’ai envie, c’est que les gens rentrent dans une sorte de bulle hermétique et qu’ils n’en sortent pas pendant une heure. C’est ce que j’aimerais. L’idée est de rentrer dans mon territoire. presque une douleur amicale que l’on va

LP : C’était important, mais je n’ai rien forcé. C’est

nous-mêmes chercher. J’aimais bien le

avant tout des rencontres humaines. J’avais envie de

paradoxe que l’on puisse danser sur cette

partager ces titres avec des gens qui ont été d’une

chanson. Je travaille depuis mes débuts

grande aide morale et qui m’ont beaucoup soutenu.

avec un réalisateur qui s’appelle Medellin,

Au-delà de ça, ce sont des artistes très talentueux.

qui vient du rap. Il a présenté mon travail à Disiz dont je suis hyper fan depuis Poisson

LFC : Dans votre album, chaque morceau a un thème,

Rouge. Tout s’est fait naturellement, c’était

une histoire. C’est très travaillé. Et lorsqu’on écoute

une très belle aventure.

l’album d’une manière globale, il y a une cohérence entre les morceaux.

LFC : Le paradoxe, c’est aussi que vous ne faîtes pas de rap, c’est un duo assez inédit.

LP : J’espère. Quand j’écris des chansons, elles sont individuelles, mais j’ai besoin de me raconter une

LP : Je ne viens pas du rap. Mais j’en écoute

histoire. Des choix ont été faits, car au départ il y

beaucoup. Je suis fascinée par le flow, les

avait trente titres. Cet album a été réfléchi dans un

intonations, le poids des mots, la manière

concept global et visuel.

dont on va sortir chaque mot. LFC : La musique est pensée pour faire de la scène. LFC : Il y a également dans l’album des duos

Le visuel l’est-il également ?

avec Slimane, Soprano… Vous avez votre propre univers, mais vous aimez que ce soit

LP : J’aime montrer la musique. Il y a des choses qui

ouvert.

passent par le son, mais dans ma tête, j’ai un film qui défile. J’ai la chance de travailler avec une super

LP : Aujourd’hui les styles sont compliqués.

équipe de réalisateurs qui comprennent ma vision.

On a accès à beaucoup de styles musicaux,

C’est très agréable.

mais finalement on écoute tout simplement de la musique. Les duos que j’ai faits se sont

LFC : Pour quelles raisons les lecteurs devraient

faits très naturellement et je suis très fière

s’intéresser à votre album ?

de ces hommes qui partagent mes amours fragiles.

LP : Ce dont j’ai envie, c’est que les gens rentrent

dans une sorte de bulle hermétique et qu’ils n’en

LFC : Pourquoi ces collaborations sont-elles

sortent pas pendant une heure. C’est ce que

importantes pour ce premier album ?

j’aimerais. L’idée est de rentrer dans mon territoire.

164 LFC MAGAZINE #8


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Haylen L'INTERVIEW+ PHOTOS EXCLUSIVES


INTERVIEW QUENTIN HAESSIG

PHOTOS CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA

Découverte dans The Voice 5 et en endossant le premier rôle féminin du spectacle Le Rouge & le Noir, Haylen accompagnée de Simon Truxillo et Andrew Mazingue nous offre un nouvel EP sublime (20 avril). Rencontre avec les trois artistes pour une séance photos et un entretien inédit. LFC : Pouvez-vous nous raconter votre

être capable de faire ce que j’ai fait. C’était assez

rencontre tous ensemble ?

inédit. Je suis ravie de l’avoir fait.

Haylen : Nous nous sommes rencontrés par des

LFC : La transition a-t-elle été naturelle après cette

amis communs lors de Jam session à Paris.

expérience ?

C’est un évènement qui permet aux musiciens

de se rencontrer.

H : J’ai enchaîné tout de suite avec la comédie musicale Le Rouge et le Noir. L’équipe m’a proposé

Simon : Je dirais que c’est aussi le destin qui

directement le premier rôle. J’ai refusé plusieurs fois,

nous a réunis. La chose amusante, c’est que les

car je ne suis pas trop comédie musicale à la base.

amis communs qui nous ont mis en connexion,

Puis finalement, j’ai accepté. Ce qui m’a plu, c’était

je n’ai pas dû les revoir depuis ce jour-là ! (Rires)

de jouer la comédie. Je ne l’avais jamais fait auparavant.

LFC : Avez-vous senti dès le début qu’il y avait une bonne alchimie entre vous ?

LFC : Votre actualité à tous les trois, c’est la sortie de votre premier EP Out of line qui sortira le 20 avril

H : Nous recherchions la même chose tous les

2018. Comment l’avez-vous travaillé ? Combien de

trois : faire de la musique. On ne savait pas trop

temps avez-vous passé dessus ?

quel genre de musique et comment la faire. Mais nous avions la même vision des choses.

H : Nous avons quasiment mis une année entière à le réaliser. Il sera composé de cinq titres.

LFC : Haylen, vous avez participé à l’émission The Voice. Que retenez-vous de cette

Andrew : Nous l’avons fait de manières différentes.

expérience ?

Nous n’avons pas pris ce projet comme un enregistrement classique. Nous avons travaillé dans

H : Cette expérience m’a apporté de la visibilité

des lieux différents avec des personnes différentes.

au niveau du public et des professionnels, c’est

C’était une sorte de gros processus de création.

certain. Je pense qu’aujourd’hui on m’identifie dans le milieu de la musique. J’ai également

LFC : La version finale de l’album est-elle différente

beaucoup appris sur moi. Je ne pensais pas

de ce que vous aviez en tête au début ?

167 LFC MAGAZINE #8


S : Nous ne nous sommes pas mis de barrières. Nous avions la

LFC : On sent que dans votre démarche un aspect

volonté de nous épanouir artistiquement. C’était surtout cela

perfectionniste.

notre leitmotiv. Lorsque nous avons terminé le premier titre Out of line, qui est devenu le titre de l’EP par la suite, le morceau était

Simon : Le fait de prendre son temps est un luxe.

complètement différent de ce que nous imaginions au début. Le

Nous avons été plus expérimentaux sur

reste a découlé de ce premier morceau.

cet EP que nous l’avons été par le passé.

Andrew : La vraie épreuve avec ce disque, c’était de se poser

H : Même si nous avons déjà enregistré des

pour créer quelque chose ensemble sans rien s’interdire et

choses sans les sortir, c’est notre premier EP. Il

surtout en communiquant tous les trois. Chacun y a mis sa patte

était donc important de faire les choses bien.

et cela se ressent dans le résultat final. LFC : Vous avez utilisé une plateforme de Haylen : En se posant, nous avons appris qui nous étions, quels

crowdfunding pour la création de ce disque. Vous

étaient les objectifs de chacun. Il fallait que l’on se comprenne et

avez réussi et vous avez récolté plus de

que l’on sache dans quel univers nous souhaitions évoluer. La

16 000 euros. C’est assez fou d’avoir réussi ce

démarche principale, c’était de raconter une histoire.

projet !


S : Je pense que l’on peut remercier tous

H : Nous allons faire pas mal de festivals au

nos amis et nos familles. Nous sommes

printemps et en été. Nous allons repartir sur les

fiers d’avoir pu le faire.

routes. Nous n’allons pas nous mentir, c’est aussi pour cela que l’on fait ce métier. C’est notre kiffe

H : C’était vraiment un souhait de rester

ultime.

en indépendant pour pouvoir avoir la liberté de proposer ce que l’on veut.

A : Le premier objectif c’est aussi de préparer le

Aujourd’hui, nous sommes seuls à tout

concert de lancement qui aura lieu le 26 avril 2018.

faire. Mais nous savons pourquoi nous le

Nous espérons vraiment jouer ces morceaux en live

faisons.

dans le plus de lieux possible.

LFC : L’EP sortira le 20 avril 2018. Que se

S : Nous espérons aussi nous agrandir à l’avenir.

passera-t-il ensuite ? Une tournée est

Nous aimerions avoir plus de musiciens sur scène

prévue ?

avec nous.


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018

Charlotte & Magon L'INTERVIEW+PHOTOS EXCLUSIVES


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE QUENTIN HAESSIG

PHOTOS © PATRICE NORMAND LEEXTRA MERCI AU LYCÉE JULES FERRY

Fin mars 2018, nous avons rendez-vous avec Charlotte & Magon au Lycée Jules Ferry à Paris pour une séance photos et un entretien, lieu qui a rappelle les années lycées de Charlotte. Rencontre. LFC : Merci à tous les deux d’avoir accepté notre

l’esthétique semble très importante pour vous.

invitation. Nous sommes dans un lieu particulier puisqu’il s’agit de votre lycée Charlotte. Pourquoi

M : En effet, c’est très important de retranscrire

avoir choisi cet endroit ?

visuellement ce que l’on fait. C’est toujours une joie de donner vie à notre travail. Nous vivons dans un monde

Charlotte : En ce moment, nous sommes assez

qui a besoin d’images et c’est devenu aussi notre

portés sur nos souvenirs de jeunesse. Nous avons

métier. Nous travaillons avec toute une équipe de

une petite nostalgie par rapport à nos années

créatifs géniaux.

d’adolescents. Le lieu est en plus très beau. C : Nos clips aussi sont colorés. Dans Always a secret, il Magon : C’est la première fois que je viens. Je suis

y a du noir, du rouge, c’est assez mystérieux. Dans I

passé devant plusieurs fois sans pouvoir rentrer et

don’t wanna go, il y a des fumigènes multicolores. Nos

aujourd’hui c’est chose faite. C’est chouette de

clips sont pleins de vie.

savoir où Charlotte a fait ses études. LFC : Comment avez-vous travaillé musicalement ? Qui LFC : Votre album est disponible depuis le 16 mars

fait quoi au sein du groupe ?

2018. Comment pourriez-vous nous le définir ? M : Nous écrivons les chansons ensemble. Il arrive que M : C’est un album aux multiples couleurs et aux

ce soit Charlotte qui commence une chanson et que je

multiples sentiments. Nous avons essayé de

la rejoigne. Et inversement. Il n’y a pas vraiment de

proposer une symphonie version poche.

règle. Lorsque je commence à écrire une chanson, je laisse toujours une place pour Charlotte, car nous

C : La pochette de cet album est assez sombre,

avons besoin l’un de l’autre.

alors que nous sommes lumineux. C’est comme si le monde qui nous entourait était mystérieux et que

C : Cela peut partir d’une idée, d’une mélodie, d’un

nous proposions quelque chose de coloré. C’est un

concept et ensuite on travaille autour de cela.

contraste que nous trouvions intéressant. LFC : On sent qu’il y a un bel équilibre dans votre duo. LFC : C’est un très bel album. Mais au-delà de cela,

171 LFC MAGAZINE #8

Comment vous êtes-vous rencontrés ?


Dans cet album, nous avons vraiment essayé d’exprimer ce que nous ressentions au plus profond de nous. C : En 2006, nous nous sommes rencontrés sur MySpace. À l’époque, Magon travaillait sur son premier EP à Tel-Aviv et moi j’officiais dans un groupe. Nous avons fait connaissance à distance. Je lui envoyais des voix, des morceaux. J’aimais beaucoup son côté pop, passionné et autodidacte. M : En 2008, j’ai proposé à Charlotte de venir à Tel-Aviv. Je ne pensais pas qu’elle viendrait, car ce n’est pas évident quand vous ne connaissez pas la personne. Mais tout s’est bien passé. Nous sommes tombés amoureux l’un de l’autre. Et je suis venu m’installer en France quelques mois plus tard. LFC : Toutes les chansons sont chantées en anglais. Pourquoi avoir fait ce choix ? M : Le français fait partie de notre vie. Mais on se sent mieux avec l’anglais. C’est plus naturel pour nous d’écrire dans cette langue. Nous sommes à égalité avec cette langue. Cependant, nous aimons mettre quelques mots de français dans nos chansons. C : Magon fait de très bons jeux de mots en français… (Rires)

172 LFC MAGAZINE #8

LFC : Est-ce que la scène est quelque chose d’important pour vous ? C : C’est le moment où on lâche tout. On adore être en studio, surtout Magon. Il pourrait y vivre. Aller sur scène, c’est donner ce que vous avez fait pendant des mois. Vous sortez de votre solitude. M : C’est vrai que j’adore le studio. Mais je pense que sur scène c’est encore mieux. Ces dernières années, nous avons fait beaucoup de scène. Et comme je suis quelqu’un de plus réservé, j’ai appris à me lâcher en m’inspirant de Charlotte. C’est une bête de scène. LFC : Quelles sont les prochaines dates où nous pourrons vous retrouver sur scène ? C : Le 14 avril 2018, nous jouerons dans un endroit à Paris qui s’appelle Les Grands Voisins. Nous sommes aussi en train de préparer une tournée dans toute la France. Nous avons hâte de partir avec le mini-van ! M : Nous adorons ce mode de vie. Ce sont des aventures formidables à travers le monde. LFC : Pourquoi cet album est-il important pour vous ? M : Pour de nombreuses raisons. Nous avons vraiment essayé d’exprimer ce que nous ressentions au plus profond de nous. C : Je le sens comme une continuité des deux derniers EP. Cet album est plein de réflexions sur le monde, sur l’art, sur l’humanité. Nous avons tenté de nous retrouver au plus proches de ce que l’on aime et au plus proches de la vérité. Il y a eu beaucoup de révélations sur nous-mêmes.


LFC MAGAZINE #8 • AVRIL 2018


TAFMAG L'ART-BOOK

ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC

MARIE, PAULINE ET AURORE LFC MAGAZINE

- 174 -

AVRIL 2018


On adore TAFMAG et on a souhaité vous présenter la Team et le projet. Entretien inédit.

MARIE PAULINE ETAURORE

L'INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : DR

LFC : Qu’est ce que Tafmag ? Pourquoi avoir choisi la culture émergente comme sujet ? T : Tafmag, c’est d’abord un webzine culturel né il y a 5 ans. C’est comme une cartographie actuelle de projets artistiques qui nous font rêver dans le monde ! L’énergie créatrice de notre génération nous a poussé à parler de ces projets innovants, en particulier dans la culture et dans les domaines artistiques que l’on connait bien : la musique, la photographie, l’illustration, la peinture, le cinéma et la mode. LFC : Vous venez de publier un troisième art-book Blue Hawaii, les 50 artistes à l’heure bleue, pourquoi cette envie de publier un livre papier en parallèle du site ? T : Nos art-books sont des compilations artistiques des 50 projets et artistes à suivre. C’est une petite édition de 400 exemplaires seulement, qui nous permettent de laisser une trace de la créativité de notre génération. L’intemporalité du papier nous plait et en tant que témoin de notre génération d’artistes à un instant T, nous aimons ce support immuable, tangible, presque éternel ! LFC : Comment choisissez-vous ces 50 artistes présentés dans le book parmi tous ceux dont vous parlez sur Tafmag ? T : Nous veillons quotidiennement sur la scène artistique parisienne, française et internationale grâce à Internet et les

LFC MAGAZINE

- 175 -

AVRIL 2018


réseaux sociaux - Instagram étant une mine d’or comme chacun

propre directrice artistique, qui

sait ! - mais également en sortant beaucoup. On découvre des

modélise et crée elle-même toute

concerts, des expos, des projections, on discute avec de

l’identité visuelle de Tafmag . C’est la

nombreuses personnes qui nous font découvrir les artistes qu’ils

(vraie) caution créatrice et arty du

suivent. Et bien sûr, certains artistes nous contactent

groupe :)

directement. LFC : Des projets pour 2018 ? Un Nous avons des listes immenses avec des inspirations qui

nouveau livre ?

n’attendent qu’à être découvertes ! T : Oui ! Et cette année la compilation LFC : Un côté artistique en vous ?

n'hébergera plus 50, mais 100 artistes émergents à suivre. Think big!

T : En tant que DJs, on mixe régulièrement pour des soirées dans lesquelles nous sommes invitées ou lors de nos propres

LFC : Le mot de la fin ?

résidences. Ce sont des sets disco, funk, house, des sets très solaires et groovy que l’on se permet de mettre en musique à

T : Quel bien fou ces découvertes, vous

l’image de Tafmag. Et puis nous avons la chance d’avoir notre

ne trouvez pas ?

LFC MAGAZINE

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AVRIL 2018


Spectacle AVRIL 2018 • LFC #8

LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


Et pendant ce temps Simone veille

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU À la Comédie Bastille, on rit à gorge déployée dans une

La mise en scène est originale, dynamique et

salle bondée. Un public largement féminin vibre en

imaginative. On y brosse le portrait de trois épouses et

accord majeur avec les quatre comédiennes. Il y a

de leurs descendantes depuis 1940 à 2016. Une

comme une entente tacite, instinctive, une communion

fresque de quatre générations qui ne manque pas

solidaire, des expériences partagées qui résonnent de

tantôt d’ébouriffer tantôt de dépoussiérer le passé

concert entre toutes les femmes. D’où vient cette

depuis le balcon de la femme instruite et libérée du

magie ? Du thème proposé, pardi ! Et pendant ce temps,

XXIe siècle. La première génération est composée de

Simone veille est une comédie déjantée sur l’évolution

Marcelle, France et Jeanne. Des conditions de vie

de la condition féminine en France depuis les années

différentes, des aspirations différentes, mais un même

50 jusqu’à nos jours. Un vaste programme rétrospectif

destin tracé par l’histoire écrite par les hommes qui

qui peut freiner l’élan tant le sujet est rebattu. Mais

assujettissaient la femme. Intervient alors Simone, la

c’est sans compter la magnifique énergie des

narratrice. Bon chic bon genre, elle adore tomber la

comédiennes, campant une bourgeoise, une ouvrière et

façade sans se départir d’une extravagante humeur

une femme de classe moyenne. Elles outrent le trait,

contagieuse et d’une ironie toujours saillante. Elle

provoquant des situations drolatiques voisinant avec le

pointe les éléments de contexte, les textes de loi, les

burlesque, volontairement, qui laissent cependant

ratés à l’allumage des politiques, contient les

percer un certain dépit vis-à-vis des mœurs qui

débordements des trois copines qui se disputent, et

n’avancent pas aussi vite que les idées et les bonnes

s’emberlificote joyeusement la langue pour sortir des

volontés.

contrepèteries délicieusement salaces.

LFC MAGAZINE #8 178


Quatre tableaux, quatre générations. Des femmes malmenées par les aléas de la vie qui se retrouvent entre copines et parlent de ce qu’elles vivent avec la liberté de ton propre aux confidences. Certaines se résignent ou se débattent, d’autres luttent encore. Mais, finalement, toujours mal dans leur peau malgré les droits durement acquis de génération en génération (se dispenser de l’accord du mari pour travailler et avoir un compte en banque, avorter et choisir une contraception sans être hors la loi, divorcer par consentement mutuel, etc.). En cause : l’homme, celui par qui les malheurs arrivent. Le salaud qui trompe sa femme, qui viole, qui fait un bébé et se défile, qui bat, qui injurie… Le patron qui n’admet pas qu’à travail égal, salaire égal. Combien sont ces femmes enchaînées à leur carrière qui choisissent, l’horloge interne s’emballant, l’insémination artificielle pour faire un bébé toutes seules… en Espagne ! Les thèmes de société d’aujourd’hui sont traités avec la même verve satirique, comme le port du voile et le diktat de la mode.

Chapeau bas pour les quatre comédiennes de la troupe du Pompon (Hélène Serre, Vanina Sicurani, Nathalie Portal et Dominique Mérot) qui incarnent avec détermination et passion leurs différents rôles, s’amusant avec le public, dansant des pantomimes hilarantes, chantant au fil des époques des parodies de chansons très connues. Très jolis moments ces voix harmonieuses et ces textes léchés. Bref, de l’engagement incontestable pour le jeu et le sujet. Un sujet guère anodin traité avec force de conviction par l’autodérision et des réparties bien senties. Mais peut-on rire librement, avec éclats et légèreté, sur un sujet traité gravement par le divertissement et avec autant d’investissement personnel ? Il semble que oui ! Pour ma part, le rire s’émancipait par intermittence, peut-être en raison de cet entre-deux indécis entre la gravité et l’humour. « Une femme violée toutes les sept minutes en France… et ce n’est pas la même ! ». Si la plaisanterie est amusante, la sentence glace le sang. Ce voyage rétrospectif mené avec entrain et un humour virevoltant est en prolongation jusqu’au jusqu’au 2 septembre 2018. Et, il est à parier avec la même énergie libératrice et jubilatoire ! Un très bel hommage à Simone Veil.

Distribution Auteurs : Corinne Berron, Bonbon, Hélène Serres, Vanina Sicurani, Trinidad Artistes : Dominique Mérot, Hélène Serres,

A

Vanina Sicurani, Nathalie Portal

p

Metteur en scène : Gil Galliot Marilu Production et Monsieur Max Production A la Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, Paris XIe. Jusqu’au 2 septembre 2018. 1h20 LFC MAGAZINE #8 179


AVRIL 2018 • LFC #8

Ramsès II LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Ramsès II

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER

Être fou ou ne pas l’être, telle est la question que l’on se

Matthieu (Éric Elmosnino), le gendre, apparemment frappé

pose au sortir de Ramsès II, une pièce tragi-comique qui

soudainement de démence, assène une phrase au premier

se donne aux Bouffes Parisiens. La question est claire, les

acte qui pourrait être la clé de cette histoire labyrinthique

réponses sont troubles. Habitué des scénarios torturés,

qui conduit droit au tombeau pharaonique : « L’explication

d’apparence sans queue ni tête, l’auteur Sébastien Thiéry

se trouve au commencement, pas à la fin ». Le début est

s’est encore surpassé en empruntant au monde de

pourtant limpide. Jean (François Berléand) et Élisabeth

l’absurde une situation hitchcockienne perturbante. Bon

(Évelyne Buyle) sont un couple de notables qui vit retiré à

sang ! Mais qui est fou dans l’histoire ? Les personnages ?

la campagne. À la suite d’un grave accident de voiture,

L’auteur ? Ou les spectateurs ahuris, sonnés, désorientés ?

quatre ans plus tôt, Jean est condamné à se déplacer en

Ont-ils vraiment vu ce qu’ils ont vu ? Si oui, pourquoi les

fauteuil roulant. C’est un homme diminué qui a deux

personnages font-ils semblant ? Y a-t-il vraiment

passions dans la vie : l’Égypte et sa fille Bénédicte (Élise

manipulation ? La perversité qui se dévoile jusqu’à

Diamant). Pour fêter le retour de leur fille et leur gendre

l’outrance est-elle réelle ? On raisonne, on se raisonne, on

Matthieu qui reviennent justement du pays des pyramides,

veut résister à la déraison. Mais le drame familial qui

ils les ont invités à déjeuner. Seulement voilà, Matthieu

déclenche des émotions contradictoires, entre rires et

arrive seul et son comportement inquiète les parents. Mais

horreur, arraisonne les évidences, brouille la lucidité, et

où est Bénédicte ? Que lui est-il arrivé ? Ils craignent pour

finit par échouer votre raison sur une plage d’insondables

sa vie. L’aveu tombe : il l’a assassinée... Mais Bénédicte

perplexités. Un coup de génie !

surgit à ce moment-là. Confusion et renversement de la situation. Alors le trouble s’installe, s’incruste et ne lâche pas sa proie. Mais à quel jeu joue-t-on ?

LFC MAGAZINE #8 181


L’histoire est vertigineuse, interstellaire. Elle se

Quant aux comédiens, ils flottent en apesanteur, le

joue en trois actes qui montent crescendo

démentiel a l’air d’être leur élément naturel. Le

jusqu’au point de rupture de la folie. Elle est

stupéfiant Éric Elmosnino incarne un gendre à la

servie par un décor somptueux de Jacques Gabel.

perversité diabolique qui ferait pâlir d’envie Machiavel

Un haut plafond, un étage que dessert un escalier

ou le marquis de Sade. Son ton à la fois traînant et

appareillé d’un siège électrique, et des murs qui

candide, faussement étonné, à mi-chemin entre le

s’animent sous le jeu des projections tout en

benêt de service et la sainte-nitouche, provoque le

ombres et mystères. Peu à peu, la maison isolée

malaise, l’inquiétude, puis l’angoisse. François

s’apparente à un mausolée où flottent des relents

Berléand, bien que jouant assis, est imposant dans

de malédiction dans ce lieu qui vient de recueillir

son jeu de colère, d’incrédulité, puis de comploteur

une réplique du masque mortuaire de Ramsès II.

pour confondre son gendre tyrannique. Mais sa

La mise en scène de Stéphane Hillel est le

femme est sourde à sa raison, elle le croit devenu

vaisseau qui permet d’embarquer le public dans

sénile. Ou alors, ça l’arrange de le croire ! Évelyne

ce voyage de la sidération pure. Tout est réglé à

Buyle campe avec bonheur cette petite bourgeoise

l’aune de l’absurdité qui change les polarités du

effacée seulement préoccupée par l’unité de la famille,

normal et de l’anormal, où l’intrigue peut

même au prix de l’enfermement de son mari dans un

s’épanouir et s’émanciper de toute logique. Mais

asile psychiatrique. Quant à Bénédicte, quel masque

le plus impressionnant, c’est la présence

porte-t-elle ? Celui d’une complice immonde qui fait

concomitante d’émotions contradictoires.

semblant d’être trucidée pour rendre fou son père… à

L’auteur et le metteur en scène ont réussi un

moins que ce ne soit une illusion, une hallucination de

cocktail détonant, rarissime, qui a donné vie à des

Jean et donc… du public ! Oh Secours ! Ramsès II est

répliques provoquant le rire et la stupeur tout à la

une pièce irrésistiblement drôle et terriblement

fois.

dérangeante. Quelle claque !

Avec : François Berléand, Évelyne Buyle, Éric Elmosnino, Élise Diamant. Créateurs Auteur : Sébastien Thiéry Mise en scène : Stéphane Hillel Assistante mise en scène : Marjolaine Aizpiri

A

Vidéo : Léonard

p

Lumières : Dominique Borrini Son : François Peyrony Décor : Jacques Gabel Costumes : Anne Schotte Du mercredi au dimanche, selon les jours à 15h, 17h ou 21h. En prolongation du 2 mai au 3 juin 2018. Au Bouffes Parisiens, 4 rue Monsigny, Paris 75002. Durée : 1h40. LFC MAGAZINE #8 182


AVRIL 2018 • LFC #8

Nicolas Koretzky LES 5 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Nicolas Koretzky, Point de rupture

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : CHRISTINE COQUILLEAU Seul sur scène avec Point de rupture, Nicolas Koretzky

À la veille de passer son diplôme d’ébénisterie, Noé quitte

incarne, au théâtre de l’Archipel, une variété de

l’école Boulle et part de chez lui, au grand dam de sa mère

personnages qui croisent le chemin de Noé, un jeune

qui ne comprend ni sa révolte ni sa colère. Il faut pourtant

militant, pétri de colère contre la société consumériste,

bien avoir un métier pour vivre ! Noé, lui, n’est préoccupé

égoïste et inconsciente de ses mauvais choix. L’idéaliste

que par ceux qui ont faim, qui n’ont pas de toit, qui vivent

veut changer ce monde qui court à sa perte, quitte à faire

en marge de la société, dans la rue, en squat ou en

la révolution. La comédie de mœurs, satirique à souhait,

communauté. Mais sa fuite éperdue vers une voie où il

est habilement mise en scène par Thierry Harcourt, la

ferait le bien de l’Humanité se mue en parcours initiatique.

sobriété sous-tendant l’efficacité du geste et la

Il s’insurge contre son prof qui prône le marketing de

focalisation sur le texte des deux auteurs, Nicolas

l’obsolescence. C’est ce fameux point de rupture des

Koretzky et Franck Lee Joseph. Le comédien jouit ainsi de

objets que le consommateur doit racheter, passé leur délai

tout l’espace pour nous faire entrer dans son monde qu’il

de vie programmée. Il vivote avec un fumeur d’herbes qui

réduit à l’échelle de l’actualité. Ce monde est combatif et

ergote sur la dictature de la démocratie et sur le droit de

revendicatif, armé de slogans et d’indignations,

vote inutile puisque l’électeur donne tout pouvoir à un seul

volontairement caricaturé par ses contradictions, pour le

homme qui agit à sa place pour représenter ses propres

plaisir d’en sourire. Car le rire est tiraillé entre pudeur et

intérêts. C’est après un interrogatoire musclé au

réflexion, le public s’implique trop dans les

commissariat qu’il s’attache à un SDF extra-terrestre aux

questionnements et les inquiétudes de Noé pour

allures de gentil clown et à sa vision poétique qui cherche

s’esclaffer.

la beauté en toutes choses, et surtout en soi.

LFC MAGAZINE #8 184


Entre l’amour et la peur, il faut

Point de rupture est une critique qui se

choisir… Noé a fait son choix au

distingue par sa virulence intelligente et

terme d’un long périple qui le

son esprit incisif et pince-sans-rire.

délivre du conditionnement pour

L’écriture ne donne ni dans le

le hisser jusqu’à sa propre

péremptoire ni dans la facilité. Elle

lumière. Mais, pour passer de la

alterne vitriol et baume ; sans être

colère à l’amour, le chemin est

méchante, elle est tristement réaliste.

jonché d’écueils et d’illusions qui

En dénonçant les travers de notre

le révèlent à lui-même. Même les

société de consommation, le coauteur

rencontres qui semblent le dévier

et comédien Nicolas Koretzky exhausse

de ce qu’il est véritablement le

la dimension supérieure de l’être et de

ramènent sur sa voie par des

l’agir, sans s’arroger la place convoitée

détours aussi formateurs que

de donneur de leçons. Des faits, rien que

salvateurs. Noé veut changer le

des faits, du reste très actuels, sont

monde dans lequel il vit, mais il

révélés par une multitude de

finit par comprendre que c’est sa

personnages que le comédien incarne

propre révolution intérieure qui

qui avec tendresse, qui avec colère,

agira sur le monde. Cette

mais toujours avec justesse et sincérité.

nécessaire prise de conscience

Le stratagème astucieux d’une narration

lui permettra de réintégrer la

où Noé ne doit son existence que par les

société et d’y trouver un équilibre,

répliques de ses partenaires successifs

où l’amour pèsera un bon poids

lui confère une immense présence. Une

dans la balance des relations

belle démonstration que le rayonnement

interpersonnelles. La paix

d’un être est consubstantiel de ses

intérieure est à ce prix-là.

interactions avec l’autre !

Avec : Nicolas Koretzky.

A

Créateurs

p

Auteur : Nicolas Koretzky et Franck Lee Joseph Mise en scène : Thierry Harcourt Musique : Massimo Trasente Les mercredis et samedis à 19 heures , jusqu’au 28 avril 2018. Au Théâtre de l’Archipel, 17 Boulevard de Strasbourg, Paris 75010. Durée : 1 h 15.

LFC MAGAZINE #8 185


AVRIL 2018 • LFC #8

Horowitz, le pianiste du siècle LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU

Prenez deux couples d’amis en vacances d’été et une

parfois ? Il ne faut jamais partir en vacances avec un

maison isolée dans les Cévennes. Le Paradis, ce me

couple avec un enfant quand on est soi-même un

semble. Oui, mais non ! Une sombre histoire de girafe de

jeune couple de six mois qui n’aspire qu’à se

Magali Miniac, au Théâtre des Béliers parisiens, y plante

connaître mieux et profiter pleinement de la plage et

un huis clos étouffant, balançant entre confessionnal et

des coquillages. Forcément, la journée est suspendue

bagne en plein air, où l’amitié de ces deux couples va

aux horaires d’un bébé qui a besoin de couches et de

méchamment se craqueler sous le soleil implacable du

siestes, et qui est le centre de toutes les attentions et

Sud. S’il y avait une piscine encore, pour se rafraîchir

des inquiétudes. Il a une mère omniprésente et au

les névroses ou se délasser de son passé trop bien

bout du rouleau, qui a tout abandonné pour s’occuper

accroché aux basques des aigreurs ! Mais non, pas

de lui, jusqu’à son intérêt pour son mari. Lui, c’est un

d’eau, pas d’ombre, juste des discussions qui tournent

balourd attendrissant, obtus aux états d’âme

au vinaigre et des vacances au fiasco. Et deux couples

féminins, qui n’a pas sa langue maladroite dans sa

qui implosent en plein vol de girafe, sous le regard

poche, ni ses yeux affamés de sexe. Et il y a de quoi,

abasourdi et ravi des spectateurs, devenus en l’espace

la petite amie de son pote — qui est psychologue —

d’une heure vingt, les plus attentifs et reconnaissants

lui apporte une bouffée d’inconnu fort dépaysant et

des confidents !

distrayant, à défaut d’une oreille professionnelle. Quant au copain, il est animé par son envie

Quand on pense que l’argument déclencheur est un

obsessionnelle d’aller faire trempette dans la mer,

petit bout de chou de deux ans ! À quoi tient l’amitié,

assez vite contrariée par un bébé encombrant qui fait

LFC MAGAZINE #8 187


la sieste jusqu’à 17 heures… Mais si ce

rancœurs muettes, et lâchant son chariot

n’était que cela encore ! C’est que l’ami a la

fou de frustrations, de venin et de colère.

jalousie féroce qui obstrue la voie de sa

Les quatre comédiens (Magali Miniac,

raison. De fil en aiguille, de paranoïa en

Emmanuelle Bougerol, Guillaume Clérice,

vérités blessantes, le séjour qui ne

Sébastien Pierre) jouent leur partition

demandait qu’à se dérouler sous les

avec une grande justesse, tout en

auspices de la bonne humeur se met à

nuances et en gradation. Par ce jeu

sombrer corps et biens, entraînant à sa

doublé de vivacité et d’intensité, ils

suite la maison des Cévennes et ses

rendent crédible l’inexorable issue. Cette

habitants, dans les eaux noires du

issue qui bannit toute frivolité est d’autant

règlement de compte.

plus détonante qu’elle survient sous un ciel limpide qui rivalise de gaité avec la

Cette délicieuse comédie sociale qui

pelouse vert tendre du décor. La mise en

ausculte avec une cruelle efficacité les

scène soignée de Nicolas Martinez, où la

relations de couple s’enchaîne éperdument

sérénité attendue se heurte à la

au drame avec des réparties jubilatoires et

surenchère des révélations, l’une aspirant

des situations confondantes de réalisme.

la suivante dans son piège, permet de

Le texte de Magali Miniac est si percutant

rehausser ce sentiment de grand gâchis.

qu’on se projette dans sa propre histoire.

Le drame frappe à la porte, il est là, on ne

On a tous en regrets quelques disputes

veut pas y croire… Et c’est la girafe au

mémorables intervenues comme un cheveu

gros postérieur qui signe la chute de cette

sur la soupe, réveillant les non-dits et les

sombre histoire à mourir de rire.

Distribution Avec Francis Huster et Claire-Marie Le Guay au piano. Créateurs Auteur : Francis Huster Mise en scène : Steve Suissa Production : Jean-Marc Dumontet Productions En tournée en 2019 pour une soixantaine de dates. Durée : 1h30.

LFC MAGAZINE #8 188

A

p


AVRIL 2018 • LFC #8

Huis presque clos LES

5

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME Crédits photos : Nathalie Gendreau

Huis presque clos Ce soir-là, au théâtre de Dix Heures, ils étaient quatre

en scène de Vincent Ronsac qui joue sur le minimalisme,

pros de l’improvisation, prêts à relever le défi de

comptant sur la performance scénique des comédiens.

situation proposé par le public. Car, lorsque Sébastien

Seules quatre chaises servent l’histoire qui se fabrique

Barat, Romain Cadoret, Fabien Strobel et Julie Mori

sous des yeux ébahis et sonne aux oreilles de l’enfance.

montent sur scène, ils arrivent les mains dans les poches… enfin l’expression « les mots dans les

Ainsi, on est projeté dans un sex shop. Ça tombe bien !

poches » serait plus juste ! Ces mots encore inconnus

Dans le quartier de Pigalle, où se situe le théâtre, ils sont

d’eux, que l’aventure démange et qui s’impatientent

légion. Même avec très peu d’imagination, on s’y croit ! Et

de fuser. Le top départ est sur le point d’être lancé.

cette mise en situation promet en elle-même bien des

Le public a choisi. Les quatre personnages vont se

rebondissements savoureux et des débordements

retrouver dans un sex shop pour un Huis presque clos

cocasses. L’attente est au taquet ! Il y a une chaise pour la

qui entend emporter l’adhésion. Chaque mercredi soir,

charmante caissière (Julie Mori), qui est là en dépannage,

à 21 h 30, c’est le risque. Mais un risque au cordeau

dans l’attente d’une meilleure situation. Sur les deux

qui tend son fil pour offrir à ces équilibristes du

autres chaises Joël (Romain Barat) dont on comprend

théâtre en création live cette liberté dont ils ont

assez vite que c’est un habitué du lieu et son pote (Fabien

besoin pour explorer leur large palette d’expressions.

Strobel). Ils attendent leur ami et futur marié (Sébastien

La seule contrainte narrative étant de rester sur une

Cadoret), un peu gauche, introverti qui est effaré du lieu

unicité de temps et de lieu. À cela s’ajoute une mise

de rendez-vous pour sa dernière journée de célibataire. Le

LFC MAGAZINE #8 190


lendemain, il épouse une femme des pays de l’Est

suspense, de révélations et un dénouement

qui ne parle pas sa langue et avec laquelle, on

véritable. Le burlesque s’invite, les réactions des

l’apprendra, il n’a jamais couché. Dans l’espoir de

personnages se frottent aux situations épineuses.

l’émoustiller un peu, les amis lui ont offert une

Les répliques fusent, étincellent, parfois

journée d’enfer, qui commence dès neuf heures

s’évanouissent avant d’avoir fait leur effet, rarement

par le passage « initiatique » dans ce sex shop.

s’étalent sans rebond, souvent débordent du cadre

Seulement voilà, rien ne se passe comme ils

du rôle. C’est que les personnages auxquels les

l’avaient prévu. La vendeuse/caissière tombe

improvisateurs aguerris donnent vie s’évertuent à

raide dingue amoureuse du futur marié, et vont

prendre les rênes, ce qui attise les fous rires et rend

connaître pour la première fois de leur vie de

tellement vivant le spectacle. Mais il faut rester

timide l’extase d’une relation très rapprochée.

concentré, pour ne pas choir platement de ce fil

Tandis que le premier ami finit par avouer avoir

narratif si indispensable à la qualité de la

couché avec la future mariée et le second laisse

performance. Bien qu’entièrement dévoués au

planer un doute éloquent, après s’être indigné de

service du roi « Rire », les quatre mousquetaires

la trahison.

inventifs et très expressifs affûtent le fil des jeux de mots éculés pour une cause plus grande : une

L’histoire dans le sex shop démarre au quart de

histoire construite, cohérente, équilibrée et

tour avec la situation de départ et un fil narratif

efficace… et très drôle. On rit, un peu, beaucoup, aux

convenu lors d’un court conciliabule avec, on

éclats, par vagues. Au point que certains reviennent

imagine, la participation de Vincent Ronsac le

assister à la naissance « presque » miraculeuse d’un

metteur en scène resté en coulisses. Pas à pas,

autre « huis clos », et ainsi goûter à l'énergie

elle avance avec un minimum de tension, du

communicative des comédiens de l'instant.

Distribution Avec : Aurelia Ciano, Audrey Faure, Julie Mori, Elise Roth, Sébastien Barat, Thierry Bilisko, Romain Cadoret, Vincent Ronsac, Fabien Strobel, Kevin Roussel. Créateurs Mise en scène : Vincent Ronsac BAZ Productions Tous les mercredis à 21h30, jusqu'à fin juin 2018. Au Théâtre de Dix heures, 36 Boulevard de Clichy, Paris 75018. Durée : 1 heure.

LFC MAGAZINE #8 191

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LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

PAR QUENTIN HAESSIG

VOTRE PLATEAU TV

NETFLIX / HBO

NETFLIX

TAKE YOUR PILLS A

THE DEFIANT ONES D

dderall, Ritaline… Peut-être que ces noms ne vous disent rien et pourtant c’est eux qui contrôlent notre société via

ans cette série documentaire de

l’industrie pharmaceutique. À travers des témoignages

quatre épisodes, HBO s’est penché sur le

poignants et parfois surprenants de sportifs, traders et même

destin hors norme de Jimmy Iovine,

d’étudiants, la réalisatrice Alison Klayman s’est penchée sur la

producteur rock (U2, Bruce Springsteen…)

question de la prise de médicaments. Que seriez-vous prêts à

et Dr. Dre l’un des plus grands beatmakers

prendre pour devenir meilleur ? Réponse dans ce

américain.

documentaire salué par la critique disponible sur Netflix. Des débuts d’ingénieur du son de Jimmy

Take your pills de Alison Klayman disponible sur Netflix.

Iovine et de la carrière de DJ de Dr. Dre en passant par la création du label Interscope et la vente des casques Beats by Dre à Apple pour plus de trois milliards de dollars, le documentaire retrace chronologiquement le parcours de ces visionnaires. À travers les témoignages et les anecdotes parfois surréalistes de nombreuses stars comme U2, Nas, Will.i.am, Snoop Dogg, Kendrick Lamar ou encore Gwen Stefani, ce Mark Chappell (Cold Feet) et Will Arnett (qui

documentaire est un véritable modèle de réussite qui en inspirera plus d’un. Enfilez votre casque Beats et c’est parti pour plus de quatre heures de plaisir ! The Defiant Ones, tous les épisodes disponibles sur HBO et Netflix.

NETFLIX

FLAKED C

prête sa voix au cheval BoJack Horseman, dont nous vous parlions en 2017), la série compte deux saisons à son actif et ne sera malheureusement pas renouvelée pour une troisième. Dommage.

hip, ancien alcoolique et gourou autoproclamé du développement personnel, a

La série nous embarque dans le décor idyllique

du mal à gérer sa propre vie entre mensonges,

de l’état Californien, plus précisément dans le

demi-vérités et une incapacité à s'investir dans

quartier de Venice Beach en plein coeur de Los

une relation sentimentale. Une fois encore, il ne Angeles. Après quelques épisodes, vous n’aurez peut s'empêcher de séduire la fille sur laquelle

qu’une seule envie, prendre l’avion pour la Cité

son meilleur ami a des vues…

des Anges. Ce qui fait le charme de cette série, ce sont ses personnages à la fois drôles,

Nous étions passés à coté de cette production

touchants, sincères et surtout d’une profonde

Netflix et nous avons eu tort. Créée en 2016 par humanité. Une belle réussite. Flaked, les deux saisons disponibles sur Netflix. LFC MAGAZINE | #8 | 192


LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

DU MOIS DE AVRIL 2018 NETFLIX

ICARE C

ontrôles d’urine positifs, mort inexpliquée et médailles d’or olympiques, Icare met la lumière sur le système de dopage en Russie. Bryan Fogel était loin de s’imaginer dans quelle aventure il s’embarquait en

HBO / OCS

démarrant ce projet. C’est sa rencontre avec le scientifique Grigory Rodchenkov, directeur de l’un des plus grands laboratoires antidopage au monde, qui va rendre cette histoire inédite. On ne peut que se prendre d’empathie pour ce scientifique russe qui va devenir l’homme le plus recherché de Russie. C’est sans compter sur l’aide cruciale de Bryan Fogel qui va permettre au scientifique de dévoiler l’un des plus grands scandales sportifs de ces dernières années. Le documentaire vient tout juste d’être récompensé aux Oscars en gagnant la statuette du Meilleur documentaire.

WESTWORLD

ARTE

LA PRODIGIEUSE P ELENA FERRANTE

lus que quelques jours avant la suite d’une des séries les plus attendus de 2018. HBO et OCS viennent de dévoiler une nouvelle bande annonce

L

(explosive) qui nous promet une

es choses les plus difficiles à raconter

deuxième saison sous tension.

sont celles que nous n'arrivons pas nousmêmes à comprendre. Ceci est à la base de

La saison 2 de Westworld sera diffusée

chacun de mes livres. »

en simultané avec les US dès trois heures du matin sur OCS City,

C’est l’un des plus gros succès littéraires de

génération HBO. Les deux premiers

ces dix dernières années, la saga « L’amie

épisodes seront également projetés sur

prodigieuse » d’Elena Ferrante s’est écoulée à

grand-écran au Festival Séries Mania à

des millions d’exemplaires dans le monde

Lille.

entier et pourtant l’identité de l’auteur reste encore mystérieuse.

Westworld, la saison 2 disponible sur HBO et OCS Max le 22 avril 2018.

À travers les témoignages d’auteurs comme Roberto Saviano, Elizabeth Strout, Mario Martone mais également de ces éditeurs italiens Sandra Ozzola et Sandro Ferri, le réalisateur Giacomo Durzi propose un éclairage sur le phénomène. Bonne nouvelle pour les fans de la saga littéraire, une série est en préparation et sera diffusée prochainement sur HBO. Icare de Bryan Fogel disponible sur Netflix. LFC MAGAZINE | #8 | 193

La prodigieuse Elena Ferrante, disponible en replay sur Arte TV.


LFC LE MAG :

RENDEZ-VOUS ENTRE LE 2 MAI ET LE 4 MAI 2018 POUR LFC #9 Cela semble impossible jusqu'Ã ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA


DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

À NE PAS MANQUER

PHOTO : PATRICE NORMAND // LEEXTRA

MARINA DE VAN / PATRICIA MAC DONALD / AUTOMAT DANIEL COLE /COLIN HARRISON / AJ FINN / CAMILLA GREBE ET DES SURPRISES...

MAI 2018 | #9 | BIENTÔT



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