LFC Magazine #11 - Hyphen Hyphen été 2018

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LFC #11 NOUVEAU

ÉTÉ2018 DOUBLE COVER

LE

MAGAZINE DIGITAL

100% INDÉPENDANT

258 PAGES DE CULTURE

HYPHEN HYPHEN RENCONTRE EXCLUSIVE

LAFRINGALECULTURELLE.FR


Les photos de nos covers

LFC MAGAZINE DE JANVIER À AOÛT 2018

DÉJÀ UN AN à la rentrée


ÉDITO

LA FRINGALE CULTURELLE, LE MAGAZINE DIGITAL LFC #11

Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, C'est l'été, il fait chaud ! Enfin, on lâche prise, on se détend, le meilleur moment pour découvrir LFC Magazine #11, numéro d'été - double - avec 258 pages de culture, 100% gratuit ! Au programme : Marc Levy en cover à qui nous consacrons un entretien-fleuve de 11 pages, mais aussi au rayon polar : Bernard Minier qui cartonne avec "Sœurs" en librairie, la talentueuse Barbara Abel avec "Je t'aime", Patrick Bauwen avec "La nuit de l'ogre" ou encore la révélation polar Nicolas Beuglet qui confirme son statut avec "Complot". N'oublions pas Douglas Kennedy, Andrea de Carlo, Catherine Banner ou encore Mary Lynn Bracht. Et de nombreux auteurs... Du côté des célébrités, Danielle Moreau, Magali Berdah, Héloïse Martin, Bernie Bonvoisin et Guillaume de Tonquédec sont également dans nos pages. Et côté musique, Hyphen Hyphen est en cover pour "HH", l'album de l'année. On a surkiffé ! Ainsi que l'invité prestige : Cerrone. Sans oublier Hollydays, Barbara Carlotti et Kamaleon. MERCI chers lecteurs pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. Toute la rédaction vous souhaite un bel été !

ET SURTOUT...

LA REPRODUCTION, MÊME PARTIELLE, DE TOUS LES ARTICLES, PHOTOS, ILLUSTRATIONS, PUBLIÉS DANS LFC MAGAZINE EST FORMELLEMENT INTERDITE. Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :

MARC LEVY HYPHEN HYPHEN MERCI À ROBERT LAFFONT pour l'autorisation accordée de diffuser la photo libre de droit de marc levy en cover de NIKOS ALIAGAS. MERCI À NIKOS ALIAGAS.


07

La sélection : livres, ciné...

10

Carène Ponte

14

Patrick Bauwen

18

Stanislas Pétrosky

22

Anne de Caumont la Force

29

Marie-France Mignal

32

Marianne Guillermin

33

Vincent Hauuy

42

Nadir Dendoune

47

Françoise d'Origny

55

Samuel Dock

63

Les violences conjugales

69

Emmanuelle Lambert

76

Carine Chichereau

83

Barbara Carlotti

86

Matthew Neill Null

89

Danielle Moreau

96

Magali Berdah


102

Héloïse Martin

109

Guillaume de Tonquédec

118

Bernie Bonvoisin

127

Bernard Minier

136

Barbara Abel

144

Nicolas Beuglet

154

Gilly Macmillan

161

Catherine Banner

168

Andrea de Carlo

174

Pascal Grégoire

181

Alia Cardyn

188

Mireille Calmel

195

Douglas Kennedy

201

Mary Lynn Bracht

208

Marc Levy

219

Cerrone

226

Hyphen Hyphen

235

Hollydays

240

Kamaleon

244

Sélection théâtre


L'ÉQUIPE Fondateur et rédacteur en chef Christophe Mangelle

Journalistes Guillaume Richez Christophe Mangelle Laurent Bettoni David Smadja Muriel Leroy Marie Vindy Jean-Philippe Marguerite

Coordinatrice des photographes Ursula Sigon LEEXTRA

Photographes Franck Beloncle Raphaël Demaret Julien Falsimagne Julien Faure Arnaud Meyer Céline Nieszawer Patrice Normand LEEXTRA Mathieu Génon Philippe Matsas LEEMAGE

Françoise d'Origny, Samuel Dock, Barbara Charlotte, Matthew Neill Null, Danielle Moreau, Magali Berdah, Héloïse Martin, Guillaume de Tonquédec, Barbara Abel, Nicolas Beuglet, Gilly Macmillan, Catherine Banner, Andréa de Carlo, Pascal Grégoire, Mary Lynn Bracht, Alia Cardyn, Mireille Calmel, Douglas Kennedy, Cerrone, Hyphen Hyphen, Hollydays et kamaleon sont exclusivement photographiés par les photographes de l'agence LEEXTRA, notre partenaire. Des sujets tous 100% "fait maison".

Chroniqueurs Nathalie Gendreau (Théâtre) de Prestaplume David Smadja (Cinéma) de C'est contagieux Muriel Leroy


LFC MAGAZINE

JUILLET AOÛT 2018 | #11

12 La sélection

de la rédaction

Livres, série TV, films...

par Christophe Mangelle, David Smadja, Muriel Leroy, Jean-Philippe Marguerite...

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GOOD GIRLS, LE BREAKING BAD VERSION GIRL POWER ! SÉRIE LFC MAGAZINE

01

SAVOUREUX, DINGUE, ENTRE DRAME ET COMÉDIE

ACTUELLEMENT SUR NETFLIX COPYRIGHT NETFLIX JUILLET AOÜT 2018

PAGE 08


L'AVIS EXPRESS DE LA RÉDACTION LA NOUVELLE SÉRIE NBC NETFLIX PLONGE LE TÉLÉSPECTATEUR AU CŒUR DES TRIBULATIONS DE TROIS MÈRES DE FAMILLE QUI N'ONT PAS FROID AUX YEUX ET QUI RECULENT DEVANT RIEN POUR GAGNER DE L'ARGENT. HUMOUR, REBONDISSEMENTS, PERSONNAGES ATTACHANTS, UNE PREMIÈRE SAISON QUI SE DÉVORE AVEC GOURMANDISE. VIVEMENT LA SAISON 2 !

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ACTUELLEMENT SUR NETFLIX

PAR CHRIS PHO J


CARÈNE PONTE LIVRE LFC MAGAZINE

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PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR CARENE PONTE AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.


CARÈNE PONTE L ’ I N T E R V I E W

F E E L

G O O D

D E

C H R I S T O P H E

M A N G E L L E

Carène Ponte, on adore ! Sa personnalité, sa bonne humeur, son humour, sa fraîcheur... La lire, c'est l'adopter ! Déjà trois romans en librairie, et encore de nombreuses histoires en tête à nous raconter. Profitez de l'été pour lire cet entretien inédit et surtout la lire. Un merci de trop et Tu as promis que tu vivrais pour moi sont chez Pocket. Et le tout nouveau roman, Avec des si et des peut-être chez Michel Lafon. Rencontre avec une romancière feel good dans l'air du temps.

02

du grand format de l’époque Tu a promis que tu vivrais pour moi. Les

équipes de Pocket ont initié de nouvelles couvertures

LFC : Bonjour Carene Ponte ! Vous avez publié trois romans : Un merci de trop, Tu as

promis que tu vivrais pour moi et le nouveau Avec des si et des peut-être (Michel Lafon). Pensiez-vous écrire et publier trois romans ?

CP : J’avais espoir de pouvoir le faire. Un par an, je suis très heureuse de pouvoir tenir le

rythme. Une fois qu’un roman est écrit, je me suis dit : cool, je peux le faire ! La peur de ne

pas réussir à l’écrire se dissipe. Une autre apparaît : qu’il soit moins bon. Il me faut six mois pour écrire le livre sans correction. Comme je travaille, je dois écrire le midi, le week-end,

Il me faut six mois pour écrire le livre sans correction.

pendant les vacances. C’est parfois compliqué de tout mener de front. J’espère atteindre le

de livres feel good, vintage,

point de bascule qui pourrait me permettre de me poser la question : dois-je encore

qui ont séduit de nombreux

cumuler mon activité professionnelle avec l’écriture ? Puis-je vivre seulement de l’écriture ?

lecteurs.

Ce qui est risqué financièrement. Seulement, pour défendre les livres au maximum, il faut du temps pour l’écriture, les salons, les dédicaces et la promotion.

LFC : Avec des si et des

peut-être, ton héroïne

LFC : Vos livres sont aussi disponibles chez Pocket en version poche. C’est une

Maxine hésite en

opportunité pour vous de séduire un lectorat plus large.

permanence lorsqu’elle doit faire des choix.

CP : Absolument. Un merci de trop est en librairie depuis juin 2017. Il a très bien marché.

Nous sommes très heureux. Et Tu as promis que tu vivrais pour moi est lui aussi disponible

CP : Comme Maxine, je fais

en librairie depuis le 7 juin, ce qui est bien plus récent. J’ai une chance inouïe d’être

comme elle très souvent.

soutenue par Pocket, une équipe dynamique que j’adore. Un merci de trop a rencontré

Dans ma voiture, je me dis :

bien plus de lecteurs en poche qu’en grand format, simplement parce que le prix du livre

et si aujourd’hui, j’allais

est plus avantageux pour découvrir un auteur. Ainsi, l’effet poche a entraîné la publication

dans ce magasin, je

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croiserais une personne. Je ferais une rencontre. Par exemple, plus jeune, j’ai hésité entre deux facultés : Amiens et Cergy-Pontoise.

MON ACTU

à ne pas manquer

CP : Ce sont des références de trentenaires ! (Rires) Je ne sais pas comment le roman va

vieillir puisque ce sont des références en effet

Je me suis toujours demandé ce qui aurait pu

qui sont liées à ma tranche d’âge. Même si j’ai

bien m’arriver si j’avais été à Cergy-Pontoise et

l’impression que cela parle à beaucoup de

non à Amiens. Évidemment, je n’aurais pas

gens. J’évoque Hugh Grant dans Love Actually.

rencontré les mêmes personnes. J’ai voulu aller

C’est bien plus large. J’écris des histoires

plus loin : aurais-je eu envie de savoir ce qui se

contemporaines. Les références ont donc

serait produit si j’avais fait d’autres choix ? Parce

toutes leurs places dans les trois romans.

qu’on peut y penser, et pour autant ne pas avoir envie de savoir. Dans le roman, j’invite les

LFC : Maxine va vivre une aventure

lecteurs au cœur de cette exploration des

extraordinaire. Elle va être dans une vie qui

autres choix. Et de ce qui pourrait en découler. LFC : Maxine vit en colocation avec sa copine…

Actuellement en librairie Avec des si et des peutêtre, Carène Ponte, Michel Lafon

n’est pas la sienne.

CP : Exactement. Un soir, elle écoute une émission de radio dans laquelle un écrivain est invité. Il a écrit un roman qui s’appelle Avec des

CP : Oui. Claudia est engagée, écolo, protection

si et des peut-être où il parle de quelqu’un à qui

des animaux, bio. C’est une femme très

on propose de vivre une vie parallèle. Elle

attachante. Elle s’implique dans la défense de la

adore cette idée géniale. Elle s’endort. Et

nature avec de la gentillesse et de la drôlerie.

lorsqu’elle se réveille, elle est dans un endroit

Elle me fait bien rire cette colocataire !

ville plutôt rigolo. J’avais fait appel aux réseaux

Je suis une grande admiratrice de Love Actually. J’aimerais tant écrire un roman qui serait dans cet esprit-là, avec plusieurs personnages, avec à la fois des moments drôles et des instants touchants.

sociaux pour que les internautes me proposent

qu’elle ne connait pas. Le roman prend une

LFC : Elle est professeur de français dans une ville qui s’appelle Savannah-sur-Seine…

CP : Oui, Savannah-sur-Seine, c’est une fantaisie de ma part. C’est bien entendu de la pure fiction. (Rires) Je voulais imaginer un nom de

des idées. Savannah, c’est une ville qui existe

ampleur étonnante avec le questionnement de

aux États-Unis. Cette consonance est très belle.

certains points qui sont mieux et nécessairement

Pour que cela fasse français, j’ai rajouté sur seine. LFC : Vous proposez des références contemporaines, de Beverly Hills avec Brandon Walsh à Maître Gims…

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d’autres qui sont moins bien, différents. Parce Actuellement en librairie Tu as promis que tu vivrais pour moi et Un merci de trop, Carène Ponte, Pocket

que forcément, quand nous faisons un choix différent, la vie bifurque. Avec elle, des choses changent. Et c’est cela qu’elle va découvrir. Finalement, est-elle plus heureuse ? Moins heureuse ? C’est toute la réflexion autour des choix que nous faisons. Nous avons l’impression


que nous n’avons pas choisi. Mais, dans les

LFC : Avez-vous encore de nombreuses histoires à nous

faits, nous avons quand même validé cette

raconter ?

décision. Elle comprend finalement qu’elle aurait dû profiter de ce qu’elle avait. Car elle

CP : Oh oui ! J’en ai quelques-unes dans ma tête. Je travaille

n’avait pas mesuré la valeur de certaines

déjà sur la rédaction de mon prochain livre qui sera un roman

belles choses.

choral. J’en ai envie depuis toujours. Je suis une grande admiratrice de Love Actually. J’aimerais tant écrire un roman

LFC : Ce roman s’appuie sur une intrigue

qui serait dans cet esprit-là, avec plusieurs personnages, avec

forte… Au fil des pages, le lecteur découvre

à la fois des moments drôles et des instants touchants. Six

les péripéties de Maxine.

femmes qui ne se connaissent pas et qui vont se retrouver au même endroit. Et, j’ai bien entendu d’autres idées.

CP : J’aime préparer des surprises pour les lecteurs. Je l’ai écrit comme un jeu, puisque

LFC : Comment vivez-vous cette folle aventure ?

c’est un jeu de vivre ce que vit Maxine. Et si cette décision m’avait conduite à cette

CP : C’est magique parce que j’en rêvais depuis que j’étais

conséquence heureuse. Ou pas. C’est

gamine. Et en même temps, c’est très flippant parce que les

excitant. Le personnage et le lecteur

gens ont tellement aimé le second. J’ai reçu tellement de

découvrent ensemble au fur et à mesure cette

messages de lecteurs qui m’ont dit : ça m’a touché, ça m’a fait

nouvelle vie. Nous allons de surprises en

rire, ça m’a ému, j’ai adoré, etc. que je n’ai pas envie de les

surprises.

décevoir. Ce troisième et nouveau roman Avec des si et des peut-être me colle une pression. J’aimerais tellement que ceux

LFC : L’humour, c’est votre signature

qui ont aimé le second puissent autant apprécier celui-ci. J’ai

éditoriale.

l’impression que je vais vivre ce tourbillon de sentiments à chaque fois. Grégoire Delacourt disait : chaque nouveau roman

CP : Même si parfois j’ai des points de départ

est comme un premier roman. C’est tellement vrai.

triste comme dans le second dont il s’agit d’un décès, mes romans restent des histoires

LFC : Avez-vous envie que l’un de vos romans soit adapté

gaies. C’est ma personnalité. La vie est parfois

au cinéma ?

moche, donc j’ai envie qu’on puisse sourire, rire, par des situations cocasses et rigolotes.

CP : J’adorerais tellement ! À chaque fois que j’écris, je rêve en

J’aime les anecdotes. Je m’amuse avec les

me disant : quel acteur imagines-tu pour interpréter tel

lecteurs avec des notes de bas de page.

personnage ? Je rêve Hollywood tout de suite. J’admire Toni

D’ailleurs, les avis sont partagés : soit les

Collette. Elle est touchante, maladroite… Voir comment un

lecteurs aiment, soit ils détestent. Pas de juste

scénariste pourrait se saisir de l’histoire et en faire quelque

milieu. C’est drôle ! Ceux qui n’aiment pas,

chose de différent, j’aimerais beaucoup. Que ce soit un

c’est parce que cela les coupe dans leur

téléfilm, un, film ou une série TV. Ce serait un joli

lecture. Et ceux qui en sont friands, ils les

aboutissement. Et puis, le roman Tu as promis que tu vivrais

attendent. Quand j’écris, je m’amuse bien. Je

pour moi se vend déjà à l’étranger, en Allemagne et en Italie.

rigole toute seule. Quand certains lecteurs me

C’est déjà une grande nouvelle. J’ai hâte de les avoir entre les

disent qu’ils ont éclaté de rire. C’est cool.

mains !

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PATRICK BAUWEN LIVRE LFC MAGAZINE

PAGE 14

PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR PATRICK BAUWEN AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.


PATRICK BAUWEN L ’ I N T E R V I E W

F R I S S O N

D E

C H R I S T O P H E

M A N G E L L E

Pour le lancement du numéro 1 de LFC Magazine, Patrick Bauwen nous avait dit oui pour un entretien. Un an plus tard, fidèle, nous parlons avec lui de son nouveau roman La nuit de l'ogre (Albin Michel). Entretien inédit.

le premier jour. Les métiers en relation avec la mort sont peu connus : le médecin légiste, l’enquêteur, le Technicien

03 impose, le sociopathe va répondre par la violence. Verbale ou mentale. Mais il n’est pas

Explorer un sujet tabou et en révéler les faces cachées au lecteur étaient forcément une expérience passionnante pour moi !

pour autant un tueur en série. Comme il s’adapte très bien, et qu’il n’a pas

en identification criminelle, le

d’hallucination, ni de traitement particulier, le sociopathe peut se révéler très difficile à

Garçon d’Amphi qui assiste le

dépister parmi les gens normaux. En réalité, un sociopathe peut devenir ... un excellent

Légiste... Or, ces métiers

chef d’entreprise, par exemple. Il peut aussi se faire rattraper par la justice pour des faits

offrent d’excellents ressorts

de petite délinquance. Maintenant, si un sociopathe INTELLIGENT développe des

dans un roman. Et je connais

envies MEURTRIERES, artistiques, et que VOUS êtes le matériau sur lequel il compte

chacun d’eux, leurs aspects

expérimenter, qui va pouvoir l’arrêter? C’est tout le problème. Et je peux vous dire que

techniques, et les émotions

LFC : Bonjour Patrick Bauwen ! Nous avons lu La nuit de l’ogre et à la rédaction,

nous avons adoré. Par le biais d’un tueur sociopathe, vous avez abordé comme

thème principal la mort et la recherche de l’esthétisme. Pourquoi avoir voulu en parler ?

PB : Bonjour et merci de m’accueillir dans vos pages ! En guise de préambule, je dirais

que ... les sociopathes sont beaucoup plus fréquents qu’on ne le croit. Un sociopathe, c’est quoi? Quelqu’un qui refuse les règles de la société. Aux contraintes qu’on lui

c’est un problème bien réel, car tous mes personnages sont inspirés de gens réels ayant qu’elles engendrent chez ceux qui les pratiquent. La commis des faits réels. Sinistre, hein? (Clin d’œil). Ouais, gravement sinistre ! Mort était donc une

LFC En tant que médecin urgentiste, vous êtes souvent confronté à la mort. Écrire,

thématique naturelle pour

est-ce une manière aussi d’aborder votre métier ?

moi. Quant aux photos postmortem, c’était un thème tout

La Mort est la compagne du médecin. Qu’on le veuille ou non, elle est là, présente dès

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simplement hypnotisant!


Explorer un sujet tabou et en révéler les faces cachées au lecteur étaient forcément une expérience passionnante pour moi !

MON ACTU

à ne pas manquer

PB : Je mets toujours beaucoup de moi-même dans mes personnages principaux. C’est ma façon de vivre l’histoire. Je procède de la même façon pour les personnages

LFC : Le récit est aussi construit de manière

secondaires, que je calque très souvent sur des

différente, il y a moins de rebondissements

personnages réels. D’ailleurs un certain

en cascade comme dans votre précédent

nombre de gens sont présents dans l’histoire

ouvrage Le jour du chien (Albin Michel) tout

sous leur vrai nom, ou sous un nom proche. Il

en reprenant les personnages à qui vous

suffit de lire les Remerciements pour découvrir

avez construit un passé, une histoire. Vous

lesquels. Je demande leur permission la

donnez ainsi plus de profondeur à l’intrigue,

plupart du temps ... mais pas toujours! Eh oui, à

pourquoi ce changement ?

côtoyer un romancier, on risque un jour ou

PB : Chaque livre possède sa rythmique propre. Le Jour du Chien se déroule dans un temps

bref, et prend la forme d’une course entre trois

Actuellement en librairie La nuit de l'Ogre, Patrick Bauwen, Albin Michel

l’autre de se retrouver à l’intérieur du roman. LFC : En parlant de part de vous-même, il y a un livre auquel vous tenez particulièrement :

personnages : un mari veuf et éploré, le

Les Fantômes d’Eden En quoi ce livre est-il si

mystérieux fantôme de sa femme, et un

important ?

redoutable tueur en série. Cette course ne PB : C’est un livre qui contient beaucoup de

pouvait que se dérouler sur un rythme rapide.

mes émotions d’enfant. Il raconte un peu l’histoire de ma bande de copains aux portes

La Nuit de l’Ogre, en revanche, s’inscrit dans le

temps et creuse le sillon des personnages. On découvre que rien n’est ni noir, ni blanc.

L’histoire prend la forme d’un thriller, bien sûr, mais c’est aussi un roman d’apprentissage, une épopée romanesque, et une histoire d’amour.

Chacun possède sa part d’ombre, et ses secrets. Les traumatismes viennent la plupart du temps de l’enfance. On ne devient pas tueur par hasard, ni flic ou médecin par hasard. Et puis, une brigade entière arrive : les flics hors norme du Groupe Evangile. Tandis que dans l’ombre, d’inquiétantes confréries se déploient ...

de l’adolescence. Certains événements sont réels. D’autres inventés. Mais tous portent la

Tous ces aspects demandaient un roman plus posé, même si La Nuit de l'Ogre demeure un page-turner comme je les aime, car je ne sais

pas écrire autrement. LFC : Quelle part de vous-même avez-vous mis dans le personnage principal ?

trace des émotions profondes que nous Et aussi en librairie Le jour du chien et Les fantômes d'eden, Patrick Bauwen, Albin Michel

éprouvions à cette époque. Nos peurs, en particulier. L’histoire prend la forme d’un thriller, bien sûr, mais c’est aussi un roman d’apprentissage, une épopée romanesque, et une histoire d’amour. Plusieurs histoires d’amour, en fait. Surtout ça, d’ailleurs, quand j’y songe.

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Je ne m’arrête jamais de travailler. C’est une vraie drogue, et ça ne s’arrange pas avec l’âge. J’adore vous empêcher de dormir. J’écris actuellement la suite du Jour du Chien et La Nuit de l’Ogre. Je vous emmènerai dans une nouvelle intrigue, avec une thématique assez inattendue. Les personnages vont affronter une menace exceptionnelle, et votre cerveau va devoir carburer aussi ! LFC : Il est vrai qu’il détonne totalement de

LFC : Que diriez-vous à vos lecteurs pour leurs

vos autres romans construits entre présent

donner envie de lire ce livre, qui est pour nous le

et passé. Nous suivons ainsi l’évolution des

meilleur de ceux que vous avez écrits ?

personnages de l’enfance à l’âge adulte. Il est d’une certaine façon plus poétique,

PB : Eh bien, je dirais simplement : si vous avez aimé «

mais aussi plus noir, plus dense, avec des

Ça » ou « Différentes saisons » de Stephen King, si vous

personnages bien mis en avant. Pourquoi

adorez « Stranger Things », si vous avez été l’un des «

avoir choisi de raconter cette histoire ? Et

Goonies » quand vous étiez petit, si vous vous

quelle part de vous-même avez-vous mis

accrochez encore à vos rêves, donnez sa chance aux «

dans ce livre ?

Fantôme d’Eden ». Vous ne le regretterez pas.

PB : Une GRANDE part. Mais il serait faux de

LFC : Travaillez-vous actuellement sur un autre

dire que c’est uniquement le cas dans ce

roman ?

roman. C’est toujours le cas. Simplement, dans ce livre, je ne me suis pas préoccupé de

PB : Bien sûr ! Je ne m’arrête jamais de travailler. C’est

la longueur, j’ai dit allez, on y va, on raconte

une vraie drogue, et ça ne s’arrange pas avec l’âge.

tout, no limit ! Cela donne beaucoup plus de

J’adore vous empêcher de dormir. J’écris actuellement

pages sentimentales que dans mes autres

la suite du Jour du Chien et La Nuit de l’Ogre. Je vous

bouquins... Et le sentiment, c’est ce qui crée

emmènerai dans une nouvelle intrigue, avec une

l’attachement aux personnages. Voilà

thématique assez inattendue. Les personnages vont

pourquoi, sans doute, les lecteurs trouvent-ils

affronter une menace exceptionnelle, et votre cerveau

souvent ce roman plus touchant que les

va devoir carburer aussi ! Parution l’année prochaine. À

autres.

bientôt. Et d’ici là : bons cauchemars ...

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STANISLAS PÉTROSKY LIVRE LFC MAGAZINE

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PAR MURIEL LEROY / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR STANISLAS PÉTROSKY AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.


STANISLAS PÉTROSKY L ’ I N T E R V I E W

D E

M U R I E L

L E R O Y

Rencontre inédite avec le romancier Stanislas Pétrosky qui vient de publier Un Havre de paix (French Pulp). Entretien.

ne pas faire comme les copains, prendre des risques. Car faire des romans avec des sujets sérieux, durs et les traiter

04 LFC : À la rédaction, nous avons aimé votre dernier livre Un Havre de paix (French Pulp) qui a le mérite d’être très original à de nombreux points de vue et drôle. Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

SP : Le personnage existait déjà. Nous pouvons trouver douze autres aventures par douze autres auteurs en epub. L’histoire, quant à elle, a vu le jour à la suite de deux discussions sur l’impossibilité de s’évader d’une prison moderne, le fait que ce soit extrêmement compliqué, mais parfois réalisable… Ne m’inculpons pas, c’est de la

fiction… Quant à la drogue dont je parle dans ce roman, malheureusement elle existe.

J’aime travailler les dialogues. C’est ce que je préfère dans l’écriture, un peu comme Audiard, Blondin, et tant d’autre.

Dire que je mets en garde le lecteur serait prétentieux. Je voulais juste m’exprimer sur

avec des personnages barrés et

ce sujet… Et pour le décor, Le Havre est une ville magnifique : son port, etc. Alors, autant

sous forme d’humour, c’est ce

la mettre en scène. Qu’en pensez-vous ?

que l’on pourrait appeler cassegueule. Mais j’aime l’aventure, et

LFC : San Antonio est un modèle pour vous grâce à la légèreté qu’il insuffle, ainsi

je ne regrette pas. Le public est

que les clins d’œil à vos amis auteurs permettent de rendre les sujets abordés

au rendez-vous. J’ai mes

moins glauques. Est-ce un parti pris important pour vous ? Que représente

lecteurs. Et j’en suis assez fier,

Frédéric Dard dans la littérature selon vous ?

pourvu que ça dure… Et puis surtout, j’aime travailler les

SP : Pour la première question, mes premiers romans : Ravensbrück mon amour et

dialogues. C’est ce que je préfère

L’amante d’Étretat étaient sérieux à 100%... Pour le premier, deux ans de recherches

dans l’écriture, un peu comme

avant l’écriture, un travail très lourd, que beaucoup de mes collègues font à longueur

Audiard, Blondin, et tant

d’année… Alors j’ai décidé de sortir de ce que l’on pourrait appeler une zone de confort,

d’autres,

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cette langue verte, fleurie, imagée et populaire qui me fascine et que j’aime. Quant à San Antonio, je pourrais dire que Frédéric Dard m’a

MON ACTU

l’autoédition et Amazon plus particulièrement. Qu’en pensez-vous ?

à ne pas manquer

appris à lire, à vivre, à garder le moral… J’aime

SP : Voilà une question avec laquelle je vais

les personnages politiquement incorrects.

perdre des amis, pire me faire des ennemis…

Provocateur, agitateur, souvent grossier, mais

Auteur est un métier, éditeur aussi, l’un ne va

jamais vulgaire. Je me sens, sans aucune

pas sans l’autre… Si on me refuse un manuscrit,

prétention, de cette lignée-là. C’est ça que

c’est qu’il n’est pas abouti, que je dois le

j’aime écrire, en mode « JE » et en discutant

retravailler, ou même l’oublier s’il est mauvais…

avec mon lecteur. Je suis un aficionado du

Essuyer des refus et décider de se lancer seul

Fleuve Noir des années 50-70, les Dard,

dans l’aventure est une hérésie. De plus, il se

Audiard, Ryck, Arnaud, Malet et consorts…

pose un gros problème. Comme je suis un

Requiem c’est un peu mon costume de super

garçon curieux, j’ai regardé le contrat d’édition

héros, sauf que je n’enfile pas un slip par-dessus

proposé par la firme citée... Il ne dépend pas du

mon jean, mais je tripote un clavier… LFC : Il s’agit là d’une série dont le héros est embaumeur et dans la seconde trilogie,

Actuellement en librairie Un Havre de paix,Stanislas Pétrosky, French Pulp

droit français, mais américain… Et puis, j’avoue sourire quand je vois des auteurs défendre un petit libraire en difficulté, le soutenir et tout le toutim d’un côté, et de l’autre faire vivre le

parue aux éditions Lajouanie, Requiem, le

fossoyeur qui l’enterre… En conclusion, je suis

prêtre exorciste est un curé. Curé pas très

contre. Si nous décidons d’écrire, même si cela

orthodoxe néanmoins, puisqu’il enquête et

ne nous fait pas vivre complètement de sa

n’hésite pas à faire justice lui-même.

plume, je pense que nous devons le faire

Pourquoi ces choix de personnages

comme un professionnel, suivre la filière, faire

atypiques ?

SP : Parce que j’aime les personnages, les gens qui sortent des sentiers battus. L’uniformité je trouve cela laxatif. J’aime San Antonio, Mémé Cornemuse, Alix Karol, les héros de Dounovetz,

Si nous décidons d’écrire, même si cela ne nous fait pas vivre complètement de sa plume, je pense que nous devons le faire comme un professionnel, suivre la filière, faire vivre les métiers du livre.

vivre les métiers du livre. S’il y a des éditeurs,

etc. Et puis, il faut être honnête : combien de

des correcteurs, des maquettistes, des

bouquins polars sortent par mois ? Des

assistants éditoriaux, des graphistes, des

centaines… Alors pour essayer de se faire

libraires, c’est qu’il y a bien une raison… Ce sont

apercevoir, il faut sortir du lot. Il faut trouver ce

toutes des professions différentes, mais

qui ne se fait pas… Un curé et un thanatos, ce

indispensables pour la naissance et la

sont des héros qui ne courent pas les rues…

commercialisation d’un véritable roman. Amazon est une très grande librairie qui

LFC : Pour rebondir sur ce que vous me dites,

permet d’acheter des livres à l’international,

actuellement, nombre d’auteurs ne trouvant

mais pas un éditeur. Aucune ligne, et

pas de maison d’édition s’orientent vers

SURTOUT aucun travail éditorial. Tous les

PAGE 20


J'aime les personnages, les gens qui sortent des sentiers battus. L’uniformité je trouve cela laxatif. J’aime San Antonio, Mémé Cornemuse, Alix Karol, les héros de Dounovetz, etc. métiers s’apprennent, écrivain

SP : Requiem revient au mois de

aussi… Passer par un éditeur, c’est

novembre. J’espère que c’est une

un apprentissage. C’est l’examen

bonne nouvelle pour vous, pour

qui permet d’officier.

moi ça l’est ! Un nouveau look, sa

L’autoédition de ce style, c’est

propre collection et un nouvel

l’arrivée sur le marché de tout et

éditeur. On le retrouvera un peu

rien, du grand n’importe quoi.

plus fréquemment pour vous faire

Bien sûr, on pourra toujours sortir

partager de nouvelles aventures, et

l’exception, le livre fini, travaillé,

vous faire rire…

sans faute, le best-seller du moment. Mais ce sera un sur

LFC : On vous laisse le mot de la

combien ? Donc je suis contre,

fin.

mais je pense que vous l’aviez compris ?

SP : J’embrasse mon pote Fabrice Pichon, un auteur de talent, parti

LFC : Pour conclure, avez-vous

tutoyer les anges bien trop tôt. On

d’autres projets actuellement ?

ne t’oubliera pas l’ami….

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ANNE DE CAUMONT LA FORCE LIVRE LFC MAGAZINE

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PAR CHRISTOPHE MANGELLE / PHOTOS : © DR FOURNIE PAR ANNE DE CAUMONT LA FORCE AVEC L'AUTORISATION DE LA PUBLIER.


ANNE DE CAUMONT LA FORCE L ’ I N T E R V I E W

L I V R E

/ /

T H É Â T R E

D E

C H R I S T O P H E

Éditrice, auteure, journaliste pour la presse écrite et la télévision, et Secrétaire générale du prix Femina, Anne de Caumont La Force publie aux Éditions Dacres sa première pièce, Madame Fouquet, chez votre libraire depuis juin aux éditions Dacres et qui s'est jouée au Festival d’Avignon en juillet 2018. Entretien Inédit.

jour arrêter cette espèce de fuite en avant. Ce qu’il a fait d’incroyable, c’est d’arriver avec un tel débordement d’égo. Il a voulu en plus

05 LFC : Bonjour Anne de Caumont La Force ! Vous publiez Madame Fouquet (Dacres), une pièce de théâtre jouée au Festival d’Avignon cet été.

ADCLF : J’étais fascinée par l’histoire de Nicolas Fouquet, que je connais depuis très

longtemps. Et c’est quand même quelqu’un qui est parti, je ne dirais pas de rien… C’était à

l’époque un parlementaire. Il ne faisait pas partie de l’aristocratie. Nous savions comment il avait contribué à maintenir Mazarin et à le faire revenir après La Fronde. Nous savions

comment il avait peu à peu gravi les échelons jusqu’à devenir le Procureur général au

M A N G E L L E

J’ai toujours été fascinée par cette ascension extraordinaire, ainsi que cette déchéance tout aussi hors du commun.

parlement de Paris, et ensuite surintendant des Finances sous Louis XIV. Et j’ai toujours été fascinée par cette ascension extraordinaire, ainsi que cette déchéance tout aussi hors du commun. Souvent, quand nous sommes au plus haut. Il est bien entendu possible d’y

rester. Mais souvent, le sort qui s’emmêle peut nous faire descendre. Ce qui m’amusait,

c’est toute cette énergie, cette intelligence, le temps passé auprès des grands, cet objectif de toujours servir le Roi et son royaume. J’étais fascinée parce qu’il faut à la fois de

l’intelligence et être comme on dit aujourd’hui borderline. Il fallait trouver de l’argent pour un État en faillite, qui avait mangé deux ans d’avance de recettes. Et il fallait donner

beaucoup d’argent à Mazarin qui était très gourmand. Car ce dernier avait bien compris

que pour être célèbre, il fallait être plus riche que les autres. Fouquet, lui aussi, partageait

cette vision. Dans ce royaume, pour en imposer, il fallait être riche. Et pour l’imposer au Roi qui n’avait pas d’argent, il fallait lui fournir de l’argent pour les armées, les maîtresses, les

guerres, pour la Reine mère, pour les œuvres, pour paraître. Où Fouquet a été très fort, c’est qu’il a su en trouver. Je ne m’étendrais pas sur ses méthodes qui étaient contestables, et

qui étaient celles de toute la gent financière de l’époque. Cela a conduit le Roi à vouloir un

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de l'épater, lui montrer qu’il était plus riche, plus intelligent, plus doué… Il met en place un salon littéraire. Il reçoit les meilleurs artistes oubliant que quand nous sommes face à un Roi, nous nous devons d’être modestes. Il ne faut jamais essayer de le dépasser. N’oublions pas qu’à l’époque, tout appartenait au Roi. Même si nous voulions lui donner quelque chose, le Roi


n’accepte pas de cadeaux de la part des subordonnés. LFC : C’est fascinant son évolution…

ADCLF : Vingt ans avant, il a commencé à acheter des terres. Il voulait un domaine avec un titre pour rentrer dans cette classe, celle des grands, des aristocrates. Sans oublier ce détail, si vous étiez de la noblesse, vous ne payez plus d’impôts. Il voulait ne pas être trop loin de Fontainebleau. Jusqu’à la mort de Mazarin, le Roi était un jeune homme de vingtdeux ans très à l’écoute de Mazarin. Le Roi ne voulait pas gouverner. Il écoutait aussi beaucoup sa mère en Autriche. Et surtout il ne montrait aucune capacité à gouverner. Le Roi aimait danser. C’est un grand danseur qui aimait les femmes et les grandes histoires d’amour. Fouquet ne s’est pas rendu compte que ce jeune Roi allait devenir un jour quelqu’un qui prendrait le pouvoir. Ne jamais mettre en difficulté un Roi. Il a voulu faire mieux. Quand Louis XIV, accompagné de sa mère, a vu cette fête. Lui qui n’avait pas un sou pour Versailles en train de regarder cette débauche de luxe, d’objets, de tapisseries, etc. Il s’est dit que c’était trop. Le Roi est rentrait dans son carrosse avec sa mère et il a dit : quand ferons-nous rendre gorge à ces gens-là ? Le Roi a ravalé sa rancœur tout en gardant

l’idée en tête de se débarrasser de Fouquet. Il le trouvait trop intelligent, trop écrasant… Parfois, nous avons des collaborateurs qui sont bons et que vous ne voulez plus. C’était le cas. LFC : Fouquet avait un réseau conséquent…

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ADCLAF : Absolument. Il était très coureur. Il tenait grâce à l’argent de ses réseaux de financiers, de femmes, d’artistes… Ce qui ne l’a pas empêché de commettre une imprudence majeure. Louis XIV était tombé amoureux de la ravissante Louise de La Vallière. Fouquet a essayé de la séduire en lui proposant de l’argent. Mais pas tellement parce qu’il voulait la séduire, il voyait surtout en elle une excellente espionne. Il lui a proposé des sommes astronomiques. Elle l’a

Madame Fouquet a joué un rôle non négligeable auprès de son mari qui était très régulièrement malade. (...) Elle avait cette intuition qu’ont les femmes.

très mal pris. Et elle lui a répondu : pour 250 000 livres, jamais je n’accepterais quoi que ce soit. Intègre, elle est allée

le répéter au Roi. Passionné, fol amoureux, le Roi en a pris ombrage.

MON ACTU

à ne pas manquer

des traitants auquel l'État est assujetti. Au début du mois d’août 1661, Fouquet vend sa charge de procureur général, qui le rendait justiciable du seul parlement. C’est donc une bêtise, car il est plus

Fouquet est dans le collimateur du Roi

facile à abattre. Sa femme, quant à elle est bien plus

parce qu’il est trop riche, qu’il en fait

intelligente, puisqu’elle écoutait les ragots et

trop et trop présent. Pour le Roi, non

comprenait bien qu’il se mettait en danger.

seulement, un châtiment s’impose, LFC : Quel rôle madame Bouquet a-t-elle joué vis-

mais surtout il veut se débarrasser de

à-vis de son mari ?

cet homme. Ce projet a mûri. Colbert voulait la place de Fouquet puisqu’il était son numéro 2 et qu’il était très compétent. Et surtout, il était au courant de toutes les affaires borderline. Il pouvait orienter le Roi vers la bonne direction pour se séparer de Fouquet. Il fallait réagir, rendre cet État dilapidateur en un État honnêtement géré. Colbert lui proposa de remettre les finances en ordre que le surintendant Fouquet dépense à outrance. Colbert dénonce au roi les malversations et les dilapidations du surintendant, et stigmatise le système

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Actuellement en librairie Madame Fouquet, Anne de Caumont La Force (Dacres Éditions)

ADCLF : Elle a joué un rôle non négligeable auprès de son mari qui était très régulièrement malade. Il était très fragile avec des accidents de santé, des dépressions. Elle a essayé de l’aider. Elle a apporté une très grande fortune. Elle a accepté que cet argent serve de caution pour trouver de l’argent pour le Roi qui en avait besoin pour Mazarin. Elle avait cette intuition qu’ont les femmes. Tout le monde parlait ! La seule chose qu’elle n’avait pas anticipée, ce sont les conséquences de cette réception fastueuse qui humilie le jeune monarque : deux feux d’artifice, une pièce inédite de Molière, etc.


AOÛT 2018

06

DETECTIVE DEE

CINÉMA LFC MAGAZINE

LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES

AVENGERS INFINTY WAR

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PAR DAVID SMADJA DE C'EST CONTAGIEUX PHOTOS : COPYRIGHT LES BOOKMAKERS / THE JOKERS JUILLET AOÛT 2018


LE PITCH Une vague de crimes perpétrée par des guerriers masqués terrifie l’Empire de la dynastie des Tang. Alors que l’impératrice Wu est placée sous protection, le Détective Dee part sur les traces de ces mystérieux criminels. Sur le point de découvrir une conspiration sans précédent, Dee et ses compagnons vont se retrouver au cœur d’un conflit mortel où magie et complots s’allient pour faire tomber l’Empire…

LA SÉRIE DES "DÉTECTIVE DEE", DONT C’EST ICI LE TROISIÈME VOLET, A TOUJOURS EU UN GOÛT SPÉCIAL. COMME SI LE CHEF TSUI HARK LAISSAIT MIJOTER CHAQUE ÉPISODE SUR UN LIT D’ÉPICES PARFUMÉS. ON LE SENT Y METTRE SON CŒUR, SA PASSION ET TOUTE SA GÉNÉROSITÉ DE RÉALISATEUR. IL A SOUVENT ÉTÉ COMPARÉ À SPIELBERG POUR L’HUMANISME DE SES ŒUVRES ET SON ÂME DE GAMIN MALICIEUX. ET À CHAQUE NOUVEAU FILM, CET ADAGE SE VÉRIFIE.

Cette légende des rois célestes n’échappe pas à la règle : imaginez un Sherlock Holmes asiatique confronté à un maître des illusions type Houdini (ou Mysterio si vous êtes un fan des aventures de Spiderman) puissance L ' Amais VIS D E L A R É1000 D A C!T I O N Voilà de quoi émerveiller ! PLUS D’ACTIONS ET MOINS D’ENQUÊTES QUE DANS LE PREMIER OPUS

Plus d’actions et moins d’enquêtes que dans le premier opus – Il faut signaler que le deuxième et ce troisième volet sont des préquels du premier film, mettant en scène un Dee plus jeune - néanmoins le grand cerveau du brillant détective sera mis à rude épreuve dans ce déferlement de faux-semblants et de manipulations.

Les personnages principaux sont travaillés comme des figures héroïques, des archétypes épiques. Flamboyants et charismatiques. Pour la petite histoire, le personnage du Détective Dee est un personnage célèbre ayant réellement existé, une figure tutélaire et bienveillante de la Chine du VIIème siècle.

C’EST DONC DU GRAND SPECTACLE QUI VOUS ATTEND. DU CINÉMA PÉTILLANT COMME UNE EXPLOSION DE BULLES À L’OUVERTURE D’UNE BOUTEILLE DE CHAMPAGNE.

Car quelles envolées mes ami(e)s ! Quelles cascades, quelles chorégraphies, toutes plus folles et ahurissantes les unes que les autres. Niveau action, Tsui Hark nous régale et nous chatouille les mirettes. Il ne mégote vraiment pas : les couleurs, les costumes, les effets spéciaux sont dignes des plus grands blockbusters ricains. PAGE 27

ACTUELLEMENT AU CINÉMA


Puisqu'on parle de générosité, Tsui Hark nous gâte avec une captation en 3D rendant le métrage encore plus aérien et dynamique. Il fait le choix de la 3D explosive et non immersive, contrairement à beaucoup de ses confrères américains, donnant plus d’ampleur à son métrage et surtout plus de sensations aux spectateurs qui auront le L'AVIS DE LA RÉDACTION sentiment que les images leur déferlent dessus. Après, le film n’est pas exempt de défauts et souffre d’un ventre mou. On lui reprochera un manque de rythme dans son dernier tiers, heureusement rehaussé par un final qui crépite dans tous les sens. Le film dure 2h15 et il aurait gagné à être un peu dégraissé et à se contenter d’une demi-heure de moins pour être plus efficace. L’autre défaut plus culturel, mais intrinsèque à une grosse partie de la production asiatique, reste l’emphase philosophique et surtout le traitement des personnages secondaires, souvent naïfs à l’excès (parfois plus difficilement acceptables pour le public français) mais si on passe ces défauts et qu’on ouvre ses chakras alors ce n’est que merveille, joie, délices et félicité. Restez jusqu’à la fin surtout. Les scènes post-génériques enrichissent le film et nous préparent doucement à sa suite ! Quand je vous disais que Tsui Hark est généreux ! Sortie cinéma : Le 8 août 2018

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ACTUELLEMENT AU CINÉMA


Entretien par Christophe Mangelle

MARIE-FRANCE MIGNAL Actrice de théâtre, de cinéma et de télévision, mais aussi directrice du théâtre Saint-Georges, Marie-France Mignal raconte dans le récit "À tout à l'heure" (Dacres) l'amour porté à son mari Alain Derobe, directeur de la photographie, disparu brusquement en 2012. Rencontre inédite et émouvante.

MON ACTU

à ne pas manquer

VOUS PUBLIEZ UN PREMIER LIVRE "À TOUT À L’HEURE" (DACRES), UN RÉCIT INTIME ET BREF D’ENVIRON QUATREVINGTS PAGES. À QUEL MOMENT VOUS ÊTESVOUS MISE À ÉCRIRE SUR CET INSTANT INTIME ?

Très vite. Seulement, je ne Absolument. savais pas très bien comment Pour moi. faire. J’avais un bloc-notes Pour près de mon lit avec un feutre. CE LIVRE, m’apaiser. Je m’y suis mise sans ordre L’AVEZ-VOUS Pour ressentir particulier. Ce n’est pas un ÉCRIT POUR des émotions roman ni un essai. Je ne sais VOUS ? fortes. Et pas très bien définir ce texte. pour me Je peux juste vous dire que remémorer cela sort de mon cœur et que des moments cela m’a fait du bien. L'AVIS DE LA RÉDACTIO intenses. N

DES MOMENTS PUISSANTS QUE VOUS PARTAGEZ AVEC LES AUTRES AUJOURD’HUI. Ma zone de confort, c’est le théâtre. J’étais comédienne. Avec ce livre, j’ai perdu ma zone de confort. Je suis allée sur un terrain nouveau. L’écriture m’oblige à assumer un autre comportement. Ce n’est pas mal du tout que cela m’arrive. (Sourire)

07

DANS CE LIVRE, VOUS PARLEZ DE LA PERTE DE VOTRE ÉPOUX QUI A EU LIEU IL Y A SIX ANS. LA DISTANCE EST-ELLE NÉCESSAIRE POUR POUVOIR ÉCRIRE ? Pas tellement. Non. J’ai commencé à écrire le premier feuillet après une petite année, une fois que toutes les démarches administratives étaient réglées. J’ai cru d’ailleurs que j’étais dans un autre axe de vie. Et en fait, pas du tout, j’étais dans le même axe. Et il a fallu que je le sorte.

L’ÉCRITURE EST UNE MISE À NUE. VOUS N’AVEZ DONC PAS TRICHÉ.

PAGE 29

Non, je n’ai pas triché parce que ce qui me paraissait beau, c’était pouvoir dire les choses comme je les ai vécues. Quelle que soit d’ailleurs l’impudeur de cela. Quand vous écrivez avec votre feutre et un bloc, bien sûr, il y a une impudeur, mais il y a aussi une vérité. J’avais sans doute besoin de cela.

CE TEXTE COMPORTE DE Je vous remercie. L’IMPUDEUR PUDIQUE… Je le prends. Je le reçois.

VOTRE TEXTE VA À L’ESSENTIEL. Absolument. Je crois bien. Je suis restée au moins un an sans avoir écrit l’épilogue. Et les choses sont venues naturellement. Je n’ai pas rencontré de difficultés.


Entretien par Christophe Mangelle

MARIE-FRANCE MIGNAL Je lui dis que je regrette que nous n’ayons pas réglé ça. Maintenant, c’est bien plus difficile. (Sourire) Il nous reste le ciel. MON ACTU

à ne pas manquer

VOUS PARTEZ D’UN POINT PERSONNEL ET VOUS TRANSFORMEZ CELA EN UNE DIMENSION UNIVERSELLE. VOTRE TEXTE PEUT AIDER DES LECTEURS QUI SONT EUX-MÊMES EN TRAIN DE VIVRE UNE PÉRIODE DE DEUIL. QU’EN PENSEZ-VOUS ?

Je l’espère. Nous vivons tous à la fois la même chose et des choses différentes. Si ce texte peut aider quelqu’un, c’est une joie, bien sûr. Je constate plusieurs lectures différentes de la part des lecteurs. J’ai un ami qui m’a appelé en me disant qu’il a été bouleversé et qu’en plus je donnais de l’espoir. Je ne sais même pas si au moment de l’écriture, j’ai pensé à donner de l’espoir. C’est juste que À tout à l’heure : je ne sais pas ni quand ni comment, mais je retrouverais homme-là, L ' Acet VIS D E L A sûrement. R É D A C T I O N

NOUS SOMMES TOUS SUR LE MÊME CHEMIN QUI NOUS CONDUIRA À CETTE FINALITÉ INÉVITABLE.

Exactement. Avec du mysticisme, une façon spirituelle et religieuse d’envisager les choses.

AU DÉBUT DU LIVRE, VOUS EXPRIMEZ LE MANQUE. ET ENSUITE, VOUS ÉVOQUEZ UNE CERTAINE JOIE QUI REVIENT. POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE PLUS ? C’est vrai, à ma grande surprise. (Rires) Même dans ma vieille maison qui demeure un fardeau, il est encore très présent. Et c’est très bien comme ça. Je me sens dans la paix avec moi-même. Mon cœur est en paix. Quelque chose comme ça. Mais il a fallu que j’accepte tout ça. VOUS Non. C’était pour être dans l’axe des choses. Ce que N’AVEZ PAS nous avons vécu de difficile et de facile est DANS Je lui dis que je CHERCHÉ À intéressant parce que c’est authentique. Je n’ai pas VOTRE regrette que nous ENJOLIVER besoin d’ajouter du rose ou du bleu. Les couleurs sont LIVRE, VOUS n’ayons pas réglé VOTRE déjà là. J’étais contente d’écrire les pages sur le fait VOUS ça. Maintenant, RELATION que je me sentais libre. En effet, les couples peuvent ADRESSEZ À c’est bien plus AVEC VOTRE aussi fonctionner comme ça. Nous ne sommes pas ALAIN, difficile. (Sourire) Il MARI. rayés de la carte parce que nous pensons VOTRE MARI. nous reste le ciel. différemment. C’est difficile aussi de vivre longtemps ensemble. Et encore plus dur de se dire : oh mon dieu, j’aime quelqu’un d’autre ou j’ai rencontré quelqu’un PAGE 30 d’autre. C’était très difficile à gérer.


Entretien par Christophe Mangelle

MARIE-FRANCE MIGNAL Ce livre est paru grâce à la nécessité qui brûlait en moi de coucher ces mots sur le papier. Je continue d’écrire MON avec ce même sentiment ACTU d’urgence. à ne pas manquer THÈME SECONDAIRE DU LIVRE : LA JALOUSIE. VOUS DITES QUE VOUS N’AVEZ JAMAIS ÉTÉ UNE FEMME JALOUSE ET PUIS D’UN SEUL COUP, ÇA VOUS TOMBE DESSUS !

Je trouvais les femmes jalouses dégradantes. Quelle horreur ! Je me croyais très au-dessus. Et puis, un beau jour, le cauchemar commence le jour où cela m’arrive. Un tsunami. Une folie. J’avais envie de tuer. (Rires) Nous en rions ensemble maintenant. Mais je vous assure que je n’ai pas du tout ri quand j’ai vécu cela. Lui-même m’a fait remarquer : mais, dis-moi, finalement, tu es jalouse. D’ailleurs, je balaie devant ma porte. J’ai souvent provoqué cela chez les hommes qui m’ont aimé. Cela vient certainement de quelque chose de très ancien et de très personnel. Je ne suis pas heureuse de les rendre jaloux.

L'AVIS DE LA RÉDACTION VOUS VOUS DÉVOILEZ DANS CE LIVRE. QUELS SONT LES PREMIERS AVIS DU LIVRE ? Avec surprise, je constate que certaines personnes le lisent et me regardent étrangement. Apparemment, j’ai beaucoup de joie de vivre. Et pourtant, avec ce livre, on me regarde parfois différemment. Les gens ne pensaient pas que je pouvais être à ce point troublée ou malheureuse. Il ne pensait pas que la perte d’Alain était si forte. Nous ne sommes pas à l’intérieur des gens. Nous ne savons pas. Cela ne me gène pas. Je suis un peu intimidé. Mais après tout, je l’ai écrit, j’assume.

À TOUT À L’HEURE, C’EST UN TITRE OPTIMISTE, À VOTRE IMAGE !

PAGE 31

Sûrement. C’est une certitude pour moi.

CONTINUEZ- Oui, j’aime bien cela. Ce livre est VOUS paru grâce à la nécessité qui D’ÉCRIRE ? brûlait en moi de coucher ces mots sur le papier. Je continue d’écrire avec ce même sentiment d’urgence.


Entretien par Muriel Leroy

MARIANNE GUILLEMIN Marianne Guillemin a joué le jeu de l'entretien pour la première fois. Elle évoque "L'envers du décor, la violence sans les coups" et "L'Estivant", tous les deux chez Edilivre. Rencontre.

MON ACTU

BONJOUR MARIANNE GUILLEMIN ! NOUS SOMMES RAVIS D’AVOIR PU DÉCOUVRIR VOTRE NOUVEAU ROMAN, L'AYANT BEAUCOUP AIMÉ "L’ENVERS DU DÉCOR, LA VIOLENCE SANS LES COUPS". POURRIEZ-VOUS NOUS EN DIRE DAVANTAGE ?

08 à ne pas manquer

POURQUOI CE BESOIN D’ÉCRIRE DES ROMANS SUR LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES ?

Il s’agit d’une relation d’emprise, dans un couple. Mais l’histoire commence quand Elvira, la femme, a mis un terme à cette relation. Elle commence par un acte de violence puisqu’elle tue son mari et, à partir de là, elle commence à comprendre et à s’en sortir. J’ai voulu montrer la solitude de ces femmes incomprises de tous, y compris de leurs proches, mais aussi d’elles-mêmes. Car l’émergence de la compréhension se fait en détricotant les faits, la relation. Elle y parviendra en prison…

J’ai d’abord raconté mon histoire personnelle, c’était une évidence, je voulais aider les femmes qui vivaient la même chose, et, en passant du témoignage au roman, j’ai senti qu’il y avait tellement de points d’entrée à partir de ces violences. Par exemple, comment AVEZ-VOUS RENCONTRÉ, AU COURS DE VOS les enfants se relevaient de cette maltraitance, RECHERCHES, BEAUCOUP DE FEMMES AYANT ÉTÉ L'AVIS DE LA RÉDACTION l’aspect si difficile du manque de compassion VICTIMES ? NE CONFOND-ON PAS SOUVENT PLUTÔT LES dont sont victimes ces femmes. Une femme qui DIVERSES PATHOLOGIES ? prend la responsabilité de partir, même si elle D’après les pys, le pervers narcissique est vraiment une construction subit des violences, doit d’abord s’en justifier mentale particulière. Ce sont des gens qui se nourrissent du conflit, et c’est une double peine. L’actualité, il est vrai, c’est leur mode de relation. Ils n’ont pas d’empathie et ils tirent donne matière à ce type de roman, même s’il jouissance du pouvoir qu’ils exercent. Ils sont assez reconnaissables, entre souvent dans la catégorie pervers justement, car même si toutes les histoires diffèrent, la chronologie narcissique, terme repris bien trop souvent, et des faits est toujours identique (séduction, emprise, destruction) qui ne veut, hélas, plus rien dire. chez le pervers comme chez la victime (qui est d’abord heureuse, puis déstabilisée, puis veut aider ou guérir l’autre et enfin se met comme je l’écris en mode survie). On est loin du simple caractériel…

VOUS AVEZ ÉCRIT UN TÉMOIGNAGE DE VOTRE PROPRE VIE "DANS LA GUEULE DU LOUP" ? COMBIEN DE TEMPS APRÈS AVEZVOUS PU ÉCRIRE VOTRE HISTOIRE ? PAGE 32

Pratiquement vingt ans… Je suis restée longtemps dans le déni, j’étais partie, j’étais libre et cela me suffisait… Il m’a fallu du temps pour prendre du recul, pour analyser.


VOUS ÊTES L’EXEMPLE DE LA PERSONNE QUI PEUT S’EN SORTIR ET ÊTRE À NOUVEAU HEUREUSE. QUE DIRIEZ-VOUS À CES FEMMES VICTIMES ?

Il faut leur dire qu’elles ne sont pas coupables. Et surtout, qu’elles ne pourront rien changer au comportement de leur conjoint. Un psy m’a dit un jour : la seule chose à faire est de mettre de la distance, physique et morale… Mais il faut être prête et cela ne vient pas au même moment pour tout le monde…

ON VOUS LAISSE LE MOT DE LA FIN… Une chose me parait importante, au-delà de la perversité et des relations toxiques, c’est le regard de la société sur le divorce et la séparation qui est encore vue et perçue comme un échec. Si on considère que la fin d’une histoire, signe juste la fin de quelque chose, les femmes ne s’accrocheraient peut-être pas tant à une relation qui les détruit. Je connais beaucoup de couples, ensemble depuis des années et qui sont fiers de cette durée de vie, alors même qu’ils sont malheureux ! Le but de la vie, à mon sens, est d’être heureux, car en étant heureux, on rend les autres heureux, on rayonne. Je ne regrette pas ma première relation, car elle m’a amenée à la personne que je suis aujourd’hui. Elle m’a permis à comprendre et à œuvrer moi-même pour rééquilibrer ma vie. Ce que je souhaite à toutes !

Entretien par Jean-Philippe Marguerite

VINCENT HAUUY

Vincent Hauuy est l'auteur du "Tricycle rouge" (Le livre de poche) plébiscité par Michel L'AVIS DE LA RÉDACTION Bussi. Il publie aujourd'hui "Le MON Brasier" chez Hugo & Cie. ACTU Éntretien inédit.

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EN ÉCRIVANT VOTRE PREMIER ROMAN, AVIEZ-VOUS ENVISAGÉ D’ÉCRIRE "LE BRASIER" ? La question est simple, mais la réponse l’est moins. Disons que j’ai dû couper ou occulter quelques pans de l’intrigue du Tricycle Rouge pour gagner en fluidité et ne pas trop alourdir l’intrigue (j’évoquais notamment Genetech et l’histoire de la famille de Sophie). Mais tout en les mettant de côté, je me suis dit que j’allais les exploiter dans un second opus. En revanche, l’intrigue du Brasier ainsi que certains des PAGE 33 personnages n’étaient pas du tout imaginés.

LES AVIS DES LECTEURS À PROPOS DU ROMAN « LE TRICYCLE ROUGE » VOUS ONTILS INFLUENCÉ SUR LE COURS DE L’HISTOIRE ? Sur l’intrigue proprement dite, non pas vraiment. Sur mon rythme de travail et ma motivation pour écrire : oui. Je me faisais un devoir de proposer la suite de mon histoire en fournissant un chapitre par jour. J’étais dans une sorte de transe d’écriture et le premier jet a été bouclé en quatre mois.


POURQUOI CE THÈME ? EST-CE TOTALEMENT FICTIF OU AVEZ-VOUS FAIT DES RECHERCHES ? Pour Le tricycle rouge, tout part du prologue et de mon personnage principal Noah Wallace. C’est la graine qui a fait germer le fruit de l’intrigue. L’histoire aurait pu avoir une autre trame de fond totalement fictive, mais j’ai rapidement éprouvé le besoin d’ancrer mon histoire dans une  pseudo réalité historique , de baser mon roman sur des faits réels. D’ailleurs, vous pouvez facilement vérifier sur internet les projets évoqués. Pour Le brasier, c’est ma passion de la science qui m’a poussé à écrire sur le thème abordé. Et même si je me suis autorisé quelques extrapolations, je me suis basé sur des découvertes scientifiques. POUVEZ-VOUS NOUS PARLER DES PERSONNAGES ? Noah Wallace s’est manifesté très tôt dans mon esprit. Bien avant que j’écrive le Tricycle Rouge j’avais en tête ce type un peu fêlé, brillant et obligé de compenser ses capacités intellectuelles et ses capacités de déduction par l’empathie et l’intuition. En commençant le Tricycle Rouge, j’ai saisi l’opportunité de le faire naître et décider d’en faire mon personnage principal. La création Sophie Lavallée est survenue plus tard, au moment où j’ai imaginé les prémisses de l’histoire. Je voulais qu’elle marque un contraste fort avec Noah. Un personnage solaire, enthousiaste, optimiste, mais conscient que son charme est un outil de manipulation. Dans le Tricycle, j’ai conçu son arc narratif comme une descente progressive en enfer. Dans le Brasier, elle n’est plus la même, elle a essuyé des coups et s’est endurcie. Clémence Leduc a été pensée comme le personnage miroir de mon protagoniste. Mais elle renvoie à Noah un reflet de son passé, du temps où il n’avait pas le cerveau défaillant. C’est une surdouée dans son domaine qui fait écho au brillant profiler qu’il était. Cela étant, certains personnages naissent sans que je le demande, peut-être pour répondre à des besoins spécifiques de mon intrigue. Et il arrive que certains personnages secondaires me fascinent et que je m’attarde dessus en leur donnant un rôle plus prépondérant que prévu. Dans le Tricycle c’est Bernard Tremblay, dans le Brasier, c’est Abraham Eisik.

09

LES DEUX ROMANS SONT CONSTRUITS DIFFÉREMMENT, MAIS OBÉISSENT AUX MÊMES « RÈGLES » DRAMATURGIQUES.

POUVEZ-VOUS NOUS EN DIRE Dans les deux opus, il faut L ' A V I S D E L A R É D A C T IUN O NPEU PLUS SUR imaginer l’intrigue comme une L’ÉVOLUTION DU RÉCIT ? mosaïque plongée dans l’obscurité Dans les deux cas il s’agit d’une révélée progressivement par intrigue découpée en puzzle, chaque chaque personnage en possession chapitre est supposé faire une de ces d’une lampe. Cela pourra paraître deux choses : faire progresser complexe, mais il suffit juste de se l’intrigue (indice, révélation…) ou laisser guider, car elle sera développer un personnage. entièrement dévoilée à la fin.

TRAVAILLEZ-VOUS ACTUELLEMENT SUR UNE SUITE ? Pour l’instant, j’ai mis l’histoire de Noah et ses amis sur pause. Mon prochain roman sera un one shot , un thriller psychologique qui se déroulera en France cette fois-ci. Mais si vous avez lu le Brasier, vous savez qu’il y a de la marge pour une suite. Il faudra juste être patient. PAGE 34

ON VOUS LAISSE LE MOT DE LA FIN. Dans un futur proche, je compte montrer d’autres aspects de mon écriture. Les deux premiers étaient des romans choraux et assez denses, le prochain aura déjà un casting beaucoup plus léger et une intrigue plus simple. Dans tous les cas je mettrai toujours en avant mes personnages. Bien avant l’intrigue, ils sont les éléments centraux qui créent l’empathie avec le lecteur.


10

LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA

BERNARD MINIER PASSIONNANT, INTRIGUE SOLIDE COMME UN ROC

LIVRE LFC MAGAZINE DAVID SMADJA EST BLOGUEUR POUR "C'EST CONTAGIEUX" PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE BERNARD MINIER, SŒURS (XO ÉDITIONS). JUILLET ET AOÛT 2018


LE NOUVEAU ROMAN DE BERNARD MINIER EST PASSIONNANT À PLUS D’UN TITRE. TOUT D’ABORD PARCE QUE L’INTRIGUE EST FOLLE ET, COMME À SON HABITUDE CHEZ MINIER, SOLIDE COMME UN ROC. ENSUITE, PARCE QUE RETROUVER LE PERSONNAGE DE MARTIN SERVAZ EST TOUJOURS UN DÉLICE LITTÉRAIRE, UN SORBET PÊCHE QUI FOND DANS LA BOUCHE ET RÉJOUIT LES PAPILLES, UNE RÉMINISCENCE DES PREMIERS BAISERS ÉCHANGÉS QUI RÉSONNE ENCORE DANS NOTRE PRÉSENT. RÉSONANCE ALIMENTÉE PAR LA RÉCURRENCE DES ROMANS. ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

D’AUTANT QU’À LA SOLIDE INTRIGUE, MINIER INTÈGRE UNE RÉFLEXION MÉTA SUR LA PLACE DE L’ÉCRIVAIN DANS LA SOCIÉTÉ. QUELLE EST SON INFLUENCE AINSI QUE CELLE DE SON ÉCRITURE SUR LES LECTEURS ? À QUEL POINT UNE ŒUVRE PEUT-ELLE MARQUER LES ESPRITS AU FER ROUGE ET INFLUER SUR LES COMPORTEMENTS ? ON DIT SOUVENT D’UNE ŒUVRE (UN LIVRE, UN FILM, UNE CHANSON…) « ELLE A CHANGÉ MA VIE » ET L’HISTOIRE CONTÉE DANS « SŒURS » EN PROPOSERA UNE DÉMONSTRATION. EFFRAYANTE, BIEN SÛR : VOUS ÊTES DANS UN POLAR !

L’auteur s’interroge aussi sur les groupes de lecture qui peuplent les réseaux sociaux (ça vous parle, non ?��), sur les rapprochements entre l’artiste et son public - rapprochements permis voire rendus quasiobligatoires (forcés ?) par les nouvelles technologies. Est-ce une bonne chose finalement ? Ce qu’on gagne en proximité ne risque-t-on pas de le perdre en mystère et en part de rêve ? On ne peut évidemment pas tout transposer mais l’analyse est fine, pertinente, clinique, découpée au scalpel. C’est donc une mise en abyme de l’écrivain qui est proposée par l‘auteur. De fait, Bernard Minier s’est L ' Aun V Idouble S D E maléfique L A R É Den AC créé laT I O N personne d’Erik Lang, écrivain maudit au cœur de l’enquête, et s’amuse à brouiller les pistes avec des références évidentes à ses précédentes œuvres (je vous laisse la surprise). Un pur régal ! Un tour de force virtuose. Le fameux sorbet pêche dont je vous parlais ci-dessus agrémenté d’un nappage chantilly et d’un coulis chocolat. Onctueux et addictif. Minier nous gâte donc et va encore plus loin dans le fan-service en nous croisant l’intrigue générale avec la toute première enquête de Servaz. Le cadeau Bonux sans le détergent. De 1988 à 2018, les ramifications vont s’étendre, s’enchevêtrer et nous

offrir un canevas complexe, fouillé, haletant, n’hésitant jamais à nous prendre au piège de nos certitudes pour mieux nous embobiner. Roman après roman, Bernard Minier upgrade la puissance de son propos, enrichit la mythologie de Martin Servaz (je mets « Une putain d’histoire délibérément de côté) et construit une œuvre aboutie et réfléchie sans jamais la sacrifier à l’autel de la facilité. Exemplaire !

LA 4ÈME DE COUV' Mai 1993. Deux sœurs, Alice, 20 ans et Ambre, 21 ans, sont retrouvées mortes en bordure de Garonne. Vêtues de robes de communiantes, elles se font face, attachées à deux troncs d'arbres.
Le jeune Martin Servaz, qui vient d'intégrer la PJ de Toulouse, participe à sa première enquête. Très vite, il s'intéresse à Erik Lang, célèbre auteur de romans policiers à l’œuvre aussi cruelle que dérangeante. Les deux sœurs n'étaient-elles pas ses fans ? L'un de ses plus grands succès ne s'appelle t-il pas La communiante ? L'affaire connaît un dénouement inattendu et violent, laissant Servaz rongé par le doute : dans cette enquête, estime t-il, une pièce manque, une pièce essentielle. Février 2018. Par une nuit glaciale, l'écrivain Erik Lang découvre sa femme assassinée... elle aussi vêtue en communiante. Vingt-cinq ans après le double crime, Martin Servaz est rattrapé par l'affaire. Le choc réveille ses premières craintes. Jusqu'à l'obsession. Une épouse, deux sœurs, trois communiantes... et si l'enquête de 1993 s'était trompée de coupable ? Pour Servaz, le passé, en ressurgissant, va se transformer en cauchemar. Un cauchemar écrit à l'encre noire.

Lire aussi page 127

L'INTERVIEW de Bernard Minier !


LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA AVEC UN ZESTE D'INTERVIEW Roy Braverman, hunter

CETTE CHRONIQUE SERA PONCTUÉE DE BRIBES D’INTERVIEW DE L’AUTEUR GLANÉES LORS DE L’EXCELLENTE RENCONTRE ORGANISÉE PAR LE SITE BABELIO LE LUNDI 14 MAI 2018. COMME ON A CARTE BLANCHE DANS LFC MAGAZINE... J'EN PROFITE POUR VOUS EN FAIRE PROFITER !

11 Bienvenue dans votre ciné-club du vendredi ! Prenez place ! La séance qui va débuter va décoiffer les plus sages d’entre vous. Fini la coupe au bol, c’est à l’iroquoise que vous vous baladerez désormais dans votre centre-ville. Oui, décoiffée est la sensation qui imprègnera votre esprit lorsque que vous refermerez le bouquin. Car tout est huge ici, bigger than life (NDLR : le chroniqueur veut dire « énorme » en se la pétant avec son langage de geek !), l’action, les situations, les personnages...

« Hunter » est un pur actionner, une sorte de film où les images sont remplacées par des mots. Des mots puissants, suffisants pour visualiser instantanément dans votre cerveau une série B d’action maîtrisée de main de maître.

J’ai écrit Hunter à l’américaine, de manière linéaire. Au départ, j’ai juste les personnages de Hunter et de Freeman et je me laisse porter. Crow arrive ensuite. Les personnages arrivent au fur et à mesure de l’écriture et c’est ce qui me plaît : me surprendre. Je veux prendre du plaisir à l’écriture et me surprendre. Que de superlatifs pour un premier roman et un auteur inconnu, Roy Braverman. Premier roman vraiment ? Bon, beaucoup d’entre vous le savent déjà et pour les autres, une petite précision s’impose : Roy Braverman = Ian Manook ! Soucieux de ne pas s’endormir sur les lauriers du sémillant « Yeruldelgger », Patrick Manoukian (de son vrai nom) délaisse pour quelque temps son identité mongole de Ian Manook pour endosser celle plus américaine de Roy Braverman. Et ça change tout ! La patte est plus sèche, plus abrupte, plus nerveuse ici. Bref plus resserrée.


LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA Au niveau des pseudos j’ai toujours aimé jouer avec eux. Pour Ian Manook et "Yeruldelgger" , ça vient d’un pari avec ma fille. Pendant 50 ans, j’ai écrit plein de romans sans jamais en terminer aucun. Quand ma fille est partie vivre à Buenos Aires, je lui ai dit "tu veux que je t’envoie mes écrits ? ", elle en avait marre de lire, depuis ses 13 ans, des romans jamais finis alors elle m’a lancé le défi d’écrire deux romans par sous deux pseudos différents. J'ai relevé le défi mais vu le succès rencontré par "Yeruldelgger" j’ai gardé le pseudo. Pour "Hunter", je voulais faire un polar plus linéaire, plus intense, plus amusant. Roy signifie roi en français et ça m’amusait, ça me fait aussi penser à Roy Orbison. Pour Braverman, j’explique son origine dans la préface du roman. Et ça commence dès les premiers chapitres avec une introduction cataclysmique, décrite avec une écriture cinématographique, cristallisant l’événement dans vos rétines rétives. Le ton est donné et une incroyable intrigue faite de faux-semblants, de meurtres sanguinolents et de rebondissements inattendus va débuter et vous plonger le nez dans un roman écrit à la superglue tant on n’arrive pas à se détacher des pages !

Je m’autorise toutes les violences à partir du moment où elles servent le roman.

Braverman construit des personnages comme on construit des ponts : solides, consistants, pittoresques et forts en gueule (NDLR : il faudra que le chroniqueur nous indique où il a vu de tels ponts !). D’ailleurs, l’auteur ne se donne pas la peine de nous les décrire préférant se concentrer sur leurs attitudes et les affuble de noms d’acteurs pour que nous les visualisions instantanément dans notre imaginaire. Efficacité garantie !

Oui, je me laisse porter par les images que j’ai dans la tête. J’aime donner une vraie consistance à mes personnages, même les secondaires. Ils se construisent avec le dialogue et les expressions. J’essaie d’éviter les descriptions de mes personnages. Je n’ai jamais décrit "Yeruldelgger" à part dire qu'il a de grosses mains. Tout est dans l’intrigue et les dialogues. Donner un nom d’acteur aux personnages m’aide à les visualiser. Freeman pour Morgan Freeman, Hackman pour Gene Hackman... Je pense que les personnages peuvent se passer de descriptions ce qui n’est pas le cas pour les paysages. ROY BRAVERMAN - HUNTER ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE


LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA AVEC UN ZESTE D'INTERVIEW PLUS GRIVOIS QU’À SON HABITUDE, L’AUTEUR A TREMPÉ SA PLUME DANS L’ENCRE D’EROS TANT IL RÈGNE, DANS CET UNIVERS BADASS ET BRUTAL, UN PARFUM DE SENSUALITÉ LÉGER COMME UNE FRAGRANCE EMPREINT D'UN MAGNÉTISME ANIMAL. « Hunter » affiche un côté outrancier à la Bourbon Kid pas déplaisant dans la description graphique de ses meurtres et de ses personnages. Ce brave Braverman (NDLR : nous présentons toutes nos excuses aux lecteurs pour le style redondant qui redondit du chroniqueur - rassurez-vous, on ne le paie pas !) nous nourrit avec la générosité d’un papa poule donnant la becquée à ses oisillons affamés. Comme toujours, lire un roman de Patrick Manoukian (Ian Manook, Roy Braverman...) est une promesse de voyage et de dépaysement. « Hunter » n’échappe pas à la règle. Bonne nouvelle, il s'avère que les suivants le seront aussi !

J’ai de la facilité à écrire, je n’ai pas le syndrome de la page blanche. J’écris plusieurs romans en même temps. Hugo Thriller m’a acheté une trilogie pour "Hunter". La seule chose que je sais est que le deuxième (Crow) se passera en Alaska et le troisième (Freeman) en Louisiane. Parallèlement, sous le pseudo Ian Manook, mon prochain roman qui sortira à la rentrée chez Albin Michel se passera en Islande et je suis déjà en train de travailler (pour une sortie fin 2019) sur une saga arménienne qui se déroulera sur 100 ans entre 1915 et 2015. Je vais m’inspirer du destin de ma grand-mère qui a été vendue jeune en tant qu’esclave et l’action se déroulera sur 3 continents.


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LES CHRONIQUES LIVRE DE DAVID SMADJA

LIVRE LFC MAGAZINE

J.R. DOS SANTOS HYPNOTIQUE, FASCINANT, RICHE

DAVID SMADJA EST BLOGUEUR POUR "C'EST CONTAGIEUX" PHOTO : COUVERTURE DU LIVRE DE J.R.DOS SANTOS, SIGNE DE VIE (HC ÉDITIONS). JUILLET ET AOÛT 2018


AAAH LES EXTRA-TERRESTRES, LEUR PETITE BOUILLE ATYPIQUE LÉGÈREMENT DÉFORMÉE, LEURS YEUX EN FORME DE BILLE NOIRE, LEUR COULEUR DE PEAU VERT DE GRIS PHOSPHORESCENT TELLEMENT TENDANCE SUR LES ROOFTOPS PARISIENS, LEURS LONGS DOIGTS EFFILÉS QUI T’AGRIPPENT LE COU… OUI, JE LES DÉJÀ AI RENCONTRÉS. POUR MOI, TOUT A COMMENCÉ PAR UNE NUIT SOMBRE, LE LONG D’UNE ROUTE SOLITAIRE DE CAMPAGNE ALORS QUE JE CHERCHAIS UN RACCOURCI QUE JAMAIS JE N’AI TROUVÉ... MAIS POUR CÉLÉBRER LEUR RETOUR ET BIEN LES ACCUEILLIR, JE LEUR AI PRÉPARÉ UNE CHANSON : « LES ALIENS SONT NOS AMIS, IL FAUT LES AIMER AUSSI, COMME NOUS ILS ONT UNE ÂME, COMME MORBAC ET MOUCHAM ! » ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE

Le postulat de « Signe de vie » est de répondre à la question « Sommesnous vraiment seuls dans l’univers ?» de manière romanesque certes, mais étayé. Étayé car nous sommes dans un livre de José Rodriguez Dos Santos et que c’est sa marque de fabrique. Vulgariser les sciences et l’Histoire de l’humanité, se les approprier pour construire son œuvre, défendre ses thèses et nous raconter des histoires extraordinaires. Une fois de plus, Dos Santos met en scène son personnage fétiche Tomás Noronha, le cryptanalyste surdoué, son Robert Langdon à lui. Un candide lettré qui sert de passe-partout pour crocheter la serrure des secrets de l’univers.

Sauf que la vulgarisation est un peu en panne ici. On sent bien que l’auteur fait de son mieux mais même si le sujet est passionnant, il faut un doctorat en physique quantique, en mathématiques appliqués et en biologie pour comprendre vraiment les détails des discussions entre scientifiques. C’est le plus grand défaut du roman, d’autant qu’elles occupent quasiment 500 des 650 pages du livre. De fait, l’auteur réserve une portion congrue au voyage dans l’espace alors que le lecteur s’impatiente de l’expectative de la rencontre (ou pas, il faudra lire le livre pour le savoir) avec l’inconnu. Mais plus qu’un roman c’est un essai, L ' Aréflexion V I S D EsurL A RÉDAC TION une le mystère (toujours pas résolu d’ailleurs) de l’apparition de la vie sur terre et au-delà. La mécanique de création de la vie est-il divin ou le fruit du hasard ? Eternelle question dont la réponse reste en suspens au-dessus de nos têtes. De toutes façons, comme dans chacun de ses livres, la réponse est toujours question de sensibilité et de convictions profondes. L’auteur déroule ses arguments mais chacun y puisera ce qu’il veut bien y trouver. C’est ce qui fait le charme de l’auteur de « L’ultime secret du Christ » et de « La formule de Dieu » : de quoi alimenter ses thématiques ne s’estompent pas après la lecture du bouquin mais nous hantent, nous

poussant à nous questionner. Néanmoins, ce roman est hypnotique et la fascination dégagée par les thèses et les faits émis possède un caractère magnétique. Même si les néophytes (je m’inclus dedans) n’en comprendront pas tous les détails et les exigences, cela reste suffisamment passionnant pour avoir envie d’aller aux confins de l’intrigue tout comme l’équipage ira aux confins de sa destinée.

LA 4ÈME DE COUV' Les immenses radiotélescopes de l'institut SETI en Californie viennent de capter un signal inhabituel venu de l'espace sur la fréquence 1,42 GHz. Un signe de vie. La NASA, l'Agence spatiale européenne et la CNSA en Chine, préparent une mission internationale pour découvrir qui émet ce signal. En tant que cryptanalyste reconnu dans le monde entier, Tomás Norhona est recruté pour faire partie de l'équipe des astronautes qui seront à bord de la navette Atlantis. Loin de s'imaginer ce qu'ont déjà découvert les scientifiques sur ma vie extra-terrestre, il plonge alors au cœur du plus grand mystère de l'univers. Le mystère de la vie.

Lire aussi dans LFC #10 JUIN 2018

L'INTERVIEW de J.R. DOS SANTOS


PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : POCKET

LFC MAGAZINE - #11 - JUILLET-AOÛT 2018

NADIR DENDOUNE


Place d'Italie, nous déjeunons avec Nadir Dendoune, journaliste, écrivain et réalisateur du film "Des figues en avril" dans lequel il met en scène le quotidien tendre et authentique de sa SELINA RICHARDS maman. Rencontre avec l'auteur de "Nos rêves de pauvres" (Pocket) pour un entretien sans filtre. Franc-parler, sincérité et bonne bouffe sont au programme. Rencontre exclusive !

LFC : Bonjour Nadir Dendoune ! Vous

Faire des films, même chose. Il y a dix ans,

publiez Nos rêves de pauvres (Pocket).

jamais je n’aurais pensé que je serais là avec

Comment avez-vous commencé ?

vous en train de répondre à vos questions. Jamais je n’aurais pensé que je sortirais un film

ND : À chaque fois que je commence un

en salles. Pour relever ce challenge, il a fallu que

projet, je commence de zéro. Après, c’est

je perde mon complexe de pauvre. Parce qu’on

peut-être aussi ma force. Je continue de me

m’a fait croire aussi qu’il fallait de l’argent, du

battre. Je ne suis pas un fils de bourgeois. Je

réseau. Alors que ce n’est pas vrai. Quiconque

n’ai pas de réseau. J’ai tout construit seul.

peut y arriver. J’ai beau avoir écrit des livres ou

Quand je réalise le film Des figues en avril,

réalisé des documentaires, je suis encore

dans lequel je parle de ma mère. Je le fais

complexé. Quand on est pauvre, on est pauvre

parce que je veux qu’il soit vu pour

pour toute la vie.

commencer par des gens qui ne vont pas au cinéma. Une des choses dont je suis le plus

LFC : C’est un moteur pour vous.

fier avec ce film, c’est ça. D’arriver à faire venir

43

des gens qui ne fréquentent pas les cinémas.

ND : Carrément. Annie Ernaux a dit qu’elle

Il existe encore des personnes en France qui

écrivait pour venger sa race de femme et de

pensent que le cinéma, ce n’est pas pour eux.

prolo. Je suis comme elle. Je n’écris pas pour

D’autres qui pensent que lire, ce n’est pas

plaire à une élite. À titre personnel, je n’en ai

pour eux. Ce sont des images que la société

même rien à foutre. De nombreux auteurs des

leur renvoie. Quand j’étais petit, j’étais

quartiers populaires, des villages, écrivent pour

persuadé qu’écrire, c’était pour les riches.

avoir la reconnaissance de cette élite.


NADIR DENDOUNE - LFC MAGAZINE #11


Sincèrement, je n’en ai rien à foutre ! Ma reconnaissance, c’est quand des gamins de mon quartier qui n’ont jamais lu un livre de leur vie lisent Un tocard sur le toit du monde ou Nos rêves de pauvres, ça me touche. Ou alors quand des mamans viennent au cinéma

E Lavril, INA pour la première fois voir Des figuesSen c’est magique ! LFC : Vous inspirez les jeunes. Vous leur donnez envie de créer.

Ma reconnaissance, c’est quand des gamins de mon quartier qui n’ont jamais lu un livre de leur vie lisent "Un tocard sur le toit du monde" ou "Nos rêves de pauvres", ça me touche. Ou alors quand RICHARDS des mamans viennent au cinéma pour la première fois voir "Des figues en avril", c’est magique !

ND : Parfois. Une jeune trentenaire m’a dit qu’elle souhaitait écrire un livre sur ses

veut, on peut. Ce qui veut dire qu’il n’existe

parents. Pendant longtemps, les hommes ont

aucune problématique sociale.

parlé à la place des femmes. Les bourgeois ont parlé aussi à la place des gens des

LFC : Dans Nos rêves de pauvres, vous évoquez

quartiers populaires. Ils franchissaient le

les difficultés de la presse en parlant d’un

périphérique. Ils s’asseyaient avec nous. Ils

quotidien. La chute est que si le journal

faisaient des films et des livres. Je pense que

disparaît, votre mère ne pourra plus utiliser le

c’est aussi à nous de raconter nos propres

papier journal pour les épluchures de ces

histoires. Ras-le-bol de se faire déposséder de

pommes de terre. C’est d’une grande lucidité et

notre vécu. Quand nous les racontons, nous

très poétique.

les exprimons avec de la nuance et avec de l’universalité. Ce que les bourgeois ne font

ND : La presse meurt. Et pourtant, le journal papier

pas ni les politiques d’ailleurs. Eux, ils y

fait partie nos vies. Je suis très content que ce

mettent du paternalisme moralisateur. Et très

passage vous ait touché.

vite, nous sommes dans le cliché, avec une vision apocalyptique : la drogue, la

LFC : Votre livre s’appelle Nos rêves de pauvres.

délinquance, l’islamisme. Franchement, il y en

Ceci dit, mettons les pieds dans le plat, ce n’est

a marre. En banlieue, dans les quartiers

pas honteux d’être pauvre.

populaires, dans les villages, dans les villes de

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province, il existe des gens normaux. C’est

ND : Absolument. Le terme pauvre est galvaudé.

même l’immense majorité. Des mères de

Avant, nous n’avions pas honte d’être pauvres

famille élèvent leurs gamins seules. Autre

parce que nous avions des valeurs. Les films

point qui me gêne avec les riches, c’est qu’ils

représentaient bien les classes modestes. Ceux

demandent aux pauvres de faire des efforts.

avec Jean Gabin. Le pourcentage des familles

Je déteste la phrase de bourgeois : quand on

modestes est bien trop important. Et pourtant,


Quiconque peut y arriver. J’ai beau avoir écrit des livres ou réalisé des documentaires, je suis encore complexé. Quand on est pauvre, SELINA RICHARDS on est pauvre pour toute la vie. nous n’en parlons plus des pauvres en

belle voiture, une belle nana, plus nous allons

France. Ce mot pauvre, il est beau. Nous

être heureux. Ma mère est dans une autre

pouvons vivre avec peu de choses et être

temporalité. Le film est lent. C’était pour

heureux. Ma mère exprime cela dans le

représenter la vitesse à laquelle elle vit. Qui

film Des figues en avril. Nous n’étions pas

prend deux heures pour boire son café ? Ma

bien habillés. Néanmoins, elle faisait tout

mère pense que nous allons trop vite. Elle est

pour que nous soyons propres. Elle nous

dans les plaisirs simples. C’est beau de préparer

badigeonnait d’eau de Cologne. Chez ma

des plats pour les servir aux gens que tu aimes.

mère, c’était propre. Tous les jours, elle

Certains verront cela comme de la soumission. Et

passait la serpillère. Souvent ceux qui

pourtant, pour ma mère, c’est de la générosité.

n’ont pas grand-chose prennent soin de leur appartement. Parce que c’est aussi

LFC : La couverture du livre est magnifique.

leur fierté. La dignité de s’en sortir en

C’est une photo que l’on peut voir sur le mur

possédant le minimum.

d’un immeuble à Paris, à Porte de Vanves.

LFC : Vous évoquez autant dans votre

ND : En 2009, un journaliste de Libération

film que dans votre livre le plaisir des

souhaitait réaliser mon portrait dans le journal.

choses simples.

Un photographe de Libération, Jérôme Bonnet est venu. Il a fait la photo qui a gagné le

46

ND : Bien sûr. Nous sommes dans une

troisième prix de la World Press Photo. Quand

société qui nous dit l’inverse, qu’il faut

mon père a vu cette photo, il l’a détesté. Parce

marcher sur son voisin pour obtenir de la

que lui, il est à l’ancienne. Quand on prend une

thune. Il faut en vouloir, créer sa boîte. À

photo, on pose bien habillé, rasé et droit. Il a dit :

quoi cela rime-t-il ? Cela se mesure-t-il à

j’ai les yeux fermés. Personnellement, j’aime

ce que tu fais et non à ce que tu es ? Plus

beaucoup cette photo qui illustre la couverture

nous avons du fric, une belle maison, une

de Nos rêves de pauvres.


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

FRANÇOISE D'ORIGNY

INTERVIEW

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PHILIPPE MATSAS LEEMAGE


Juin 2018, nous avons rendez-vous dans la demeure prestigieuse et chaleureuse de Françoise d'Origny qui nous reçoit avec enthousiasme. Comme S E L Idans N A R I C son H A R D Slivre "Ces jours qui ne sont plus" (Fauves), elle porte durant cet entretien un regard drôle, lucide et sans concession sur son existence. Rencontre exclusive.

LFC : Bonjour Françoise d’Origny ! Vous

LFC : Vous avez donc regardé votre vie dans

publiez Ces jours qui ne sont plus (Fauves

un rétroviseur.

éditions). Comment est née l’idée de ce livre ?

FDO : Absolument. La petite fille d’avant la guerre n’a plus rien à voir avec la Françoise

FDO : Je n’avais aucune idée de l’écrire. Un

d’aujourd’hui. À travers toutes les périodes de

jour, j’ai rencontré un prêtre qui m’a dit : vous

ma vie, j’ai renoué avec ce personnage de

êtes bien Françoise d’Origny ? Vous avez écrit

petite fille, d‘adolescente, de femme. J’ai été

un livre qui s’appelle Les maisons

plusieurs personnages jusqu’à devenir celui

dangereuses ? J’ai dit oui, en effet. Il m’a

que je suis aujourd’hui, en attendant de

confié qu’il était certain qu’il y avait

disparaître étant donné mon âge. (Rires) En

beaucoup plus de choses encore à savoir. Il

effet, à chaque fois, le jeu de la vie m’a fait sortir

m’a demandé si je possédais des archives. Je

un autre personnage. Il faut s’adapter. Je suis

lui ai dit oui. Il est donc venu pour les

de la génération - de celle de la guerre - qui a

consulter et les scanner. Une fois terminé, il

au moins appris quelque chose en ayant

m’a dit : maintenant que je me suis donné tout

survécu, c’est qu’il faut survivre et s’adapter. Et

ce mal, vous allez écrire vos mémoires. Cela

se dire, qu’y a-t-il en moi qui peut se démerder ?

m’est tombé dessus. Quand j’ai commencé à

Excusez-moi le terme ! (Rires)

écrire, c’était comme la sensation de regarder

48

un film. Je n’avais jamais pensé à observer

LFC : Si nous nous démerdons bien comme

ma vie ainsi. Et c’est un film que j’ai vu avec

vous dites, nous pouvons espérer passer de

émotion.

la survie à la vie.


FDO : Oui, aller vers d’autres formes de vie. Quand nous voyons la vie, elle peut être multiple. Au regard de la vie de certaines personnes, nous pouvons constater que la nôtre a été tellement pauvre, tellement limitée, que nous avons eu très peu

E Ltout INA d’expérience. Certaines personnesSont de même fait des choses extraordinaires. Je n’ai rien fait d’exceptionnel. Rien du tout.

Quand j’ai commencé à écrire, c’était comme la sensation de regarder un film. Je n’avais jamais R pensé I C H A R D S à observer ma vie ainsi. Et c’est un film que j’ai vu avec émotion.

LFC : Quel jugement portez-vous sur votre vie ? À la lecture de votre livre, c’est tout de même exceptionnel…

FDO : Dans trois ans, j’aurai quatre-vingt-dix ans. C’est un peu rude.

FDO : Je n’ai rien accompli. Je ne suis pas un génie de peinture. Il se trouve qu’avec cet œil

LFC : Vous parlez de l’exode dans votre livre.

du peintre, et à cause de mes expériences de la guerre, j’ai eu l’âge suffisant pour

FDO : Le grand changement dans ma vie a eu lieu

comprendre un certain nombre de choses.

lorsque j’étais petite fille, avec mon frère plus

Mais pas assez d’années pour m’impliquer. Je

jeune que moi de deux ans… L’exode est arrivé. Au

ne sais absolument pas si j’aurais été

bout de la grande avenue du château où nous

courageuse ou non. Je n’en sais rien du tout.

habitions, ce fut le choc. Car nous avons été

J’ai une cousine qui à l’âge de quinze ans,

confrontés à l’exode. C’était un grand choc.

trois ans de plus que moi, a été une héroïne.

Brusquement, nous nous retrouvions dans une

Je n’ai jamais eu à donner une preuve d’une

situation épouvantable auquel rien ne nous avait

qualité supérieure. Disons que c’est la

préparé. Et être face à des choses que nous

conclusion que je dresse à propos de ma vie.

n’aurions pas imaginé voir. Nous avons traversé la

Je m’en suis tirée, mais je n’ai rien fait de

France comme toute la France. Et étrangement,

fabuleux. C’est triste.

toute la France était sur les routes. Les femmes couchaient dans les fossés. Les vieillards

LFC : Il n’est jamais trop tard…

mourraient sur les matelas sur lesquels nous les

FDO : (Malicieuse) Il se fait très tard mon cher

avions mis. Les avions italiens bombardaient les

Monsieur. (Rires) Quatre-vingt-sept ans, c’est

routes. Curieusement, à cette période, il n’y avait

très très tard !

pas de soutien psychologique. Je ne sais pas comment les Français s’en sont tirés. Aujourd’hui,

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LFC : Même s’il est très tard. Un espoir

pour un rien, le soutien psychologique est

réside, la vie est encore là.

proposé. (Rires)


F R A N Ç O I S E L F C

D ' O R I G N Y

M A G A Z I N E

# 1 1


Toutes ces aides psychologiques laissent penser que les gens sont incapables de ne rien supporter. Nous infantilisons les citoyens jusqu’au bout de leur vie. Jamais, ils ne seront adultes. Malheureusement, la vie est dure. Et nous devons bien Snous aux épreuves. E L I N A confronter RICHARDS LFC : Le soutien psychologique est un

Sologne pouilleuse, au milieu des marécages.

progrès !

Ce n’était pas du tout un coin stratégique. Les Allemands ne se sont jamais pointés par là.

FDO : Je ne crois pas. Je pense que ce

Nous avons échappé pendant deux ans à la

n’est pas un problème. Toutes ces aides

guerre. C’est une grande chance, même si

psychologiques laissent penser que les

nous sentions bien qu’il se passe des choses.

gens sont incapables de ne rien supporter.

Nous étions avec nos cousins germains, cinq

Nous infantilisons les citoyens jusqu’au

enfants lâchaient dans la nature. Sans

bout de leur vie. Jamais, ils ne seront

beaucoup de contrôle, c’est donc deux

adultes. Malheureusement, la vie est dure.

années extraordinaires. Un peu de sauvagerie

Et nous devons bien nous confronter aux

que nous avons jamais eu dans un temps de

épreuves. Certains événements sont

paix. (Rires)

terribles de nos jours. Mais n’oublions pas que la guerre était bien pire. Et les gens ont survécu. Quand on a bombardé la gare

LFC : Vous parlez aussi de la brousse

de Vierzon, j’y étais. Je me cachais sous la

africaine…

table de la salle d’attente. Je n’ai pas eu de soutien psychologique. J’avais ma

FDO : Après la guerre, je voyage en Angleterre

nounou avec moi. Et nous nous sommes

et ensuite en Italie. Je me marie avec

démerdés ! (Rires)

Monsieur Harcourt qui n’aimait que l’Afrique. Quand je l’ai épousé, nous allions enregistrer

LFC : Et ensuite…

sur place les musiques des tribus africaines. Nous nous retrouvions dans une camionnette

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FDO : Nous nous sommes vite rendu

avec du matériel. Car à l’époque, les systèmes

compte avec mon frère que nos parents

d’enregistrement, c’étaient des grosses bêtes.

faisaient des choses dangereuses : la

Rien à voir avec la petite chose que nous

résistance à un point critique. Nous avons

avons aujourd’hui dans notre poche. Nous

donc été envoyés très loin en pleine

crapahutions dans toute l’Afrique, de Dakar


F R A N Ç O I S E L F C

D ' O R I G N Y

M A G A Z I N E

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jusqu’au fond du Congo belge. J’ai vu

moi : Merda ! Puta ! J’étais très vexée. Il m’a

l’Afrique vraiment africaine, pas du tout

expliqué qu’il était peintre. Et il m’a dit : pour

l’Afrique des villes. Nous assistions à des

moi, ce qui est important, ce n’est pas ma

rites, à des danses… C’était très intéressant.

peinture, c’est LA peinture. La peinture en soi, c’est extraordinaire. Il en parlait comme d’une

LFC : Votre vie, c’est un roman ?

déesse. Il m’a dit : si vous continuez comme ça à offenser la peinture, c’est une catastrophe. C’est

FDO : Je ne sais pas. J’observe juste que

SELINA

dans les moments tragiques se niche

une honte. J’étais rouge écarlate de rage. Il m’a

RICHARDS

invité à voir ce qu’il faisait et j’ai constaté que ce

toujours un détail drôle. C’est un mélange

n’était pas du tout ce que je faisais. Je l’ai donc

de tout. C’est très étrange. Avec mon

supplié de m’accepter dans ses cours. Pendant

deuxième mari, j’ai découvert un autre

un an et demi, j’allais toutes les semaines dans

milieu. De la haute aristocratie, je suis

son atelier. J’étais insultée. Jamais encouragée.

tombé dans le milieu universitaire. Avec

(Rires) On ne fera jamais rien de vous ! C’est une

des rangs, des nuances de pouvoir, des

catastrophe ! Quel temps perdu avec vous ! C’est

échelons, etc. Ces messieurs sont très

horrible ! Vous ne comprenez rien ! C’est encore

pointilleux. Les rites donnent des repères.

horrible ce que vous avez fait aujourd’hui !

S’il n’y a plus de repères, c’est l’anarchie. Et

Jamais encouragée.

ce n’est pas la liberté. L’anarchie n’est pas la liberté. C’est au contraire une contrainte

LFC : Comment avez-vous réagi ?

les uns sur les autres épouvantables, puisqu’on craint la brutalité du voisin. Le

FDO : C’est un test. Si on aime quelque chose,

rituel encadre votre brutalité humaine.

on s’y accroche. Si vous êtes anéanti par des

Nous obtenons beaucoup de liberté à

découragements, c’est que vous n’aimez pas

l’intérieur des rites. C’est mon avis.

vraiment cette activité. Si vous le souhaitez au fond de vous, vous acceptez tout ce que l’on

LFC : La peinture a été votre métier.

vous dit. Tout. J’ai donc tout accepté.

FDO : Enfants, mon frère et moi-même

LFC : Aimeriez-vous que ce livre devienne un

n’avions pas le droit de dessiner. C’était

film ?

interdit de s’exprimer en tant qu’enfant.

53

Ceci dit, très jeunes tous les deux, nous

FDO : Je suis déjà extraordinairement heureuse

avions des capacités artistiques. J’étais très

que ce livre ait déjà eu l’accueil qu’il a reçu.

contente de moi. À cet âge-là, j’étais

C’est pour moi une surprise. Je ne m’y attendais

persuadée d’être la dernière merveille du

pas du tout. En effet, je peux toujours rêver. Je

monde. J’étais sur la colline au-dessus de

serais très heureuse si ce livre avait une autre

Florence, une vue admirable, je peignais.

répercussion. De nombreux historiens m’ont dit

J’étais très contente de ce que je faisais.

que ce livre resterait parce qu’il est le témoin

J’ai entendu quelqu’un me dire, derrière

d'une époque avec un regard qui m'est propre.


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JUILLET-AOÛT 2018

SAMUEL DOCK

ENTRETIEN INÉDIT PHOTOS EXCLUSIVES

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendez-vous avec Samuel Dock pour une séance de photos exclusives au cœur de Paris. Après "Le nouveau choc des générations" (avec Marie-France SELINA RICHARDS Castarède), Samuel Dock publie "Punchlines, des ados chez le psy" (First Éditions), un florilège des meilleures phrases entendues en consultation. Entretien inédit. LFC : Bonjour Samuel Dock ! Vous publiez

peut nous arriver, ce que va être l’épreuve,

Punchlines des ados chez le psy (First

l’idée qui va nous traverser l’esprit. Finalement,

Éditions). C’est votre quotidien.

c’est vivant, créatif et fécond. Le lecteur s’amuse et réfléchit comme on le fait à

SD : C’est effectivement mon quotidien de

l’adolescence.

psychologue auprès de jeunes âgés dentre douze et vingt ans au cours de mes six années de

LFC : Votre titre Punchlines des ados chez le

pratique en libéral, dans le milieu associatif ou

psy est non mensonger, car nous avons noté

encore hospitalier. J’ai souhaité en donner un

des phrases-chocs. La vérité sort de la

aperçu dans ce livre.

bouche des enfants… Mais pas que.

LFC : Ce livre se feuillette…

SD : C’est ce que je dis dans le livre. La vérité s’exprime encore mieux dans la bouche des

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SD : Oui, j’avais vraiment envie dans la

ados. Je reprends cette idée. Je pense que

construction de l’ouvrage qu’il y ait une surprise

derrière la publication de ces punchlines, il y a

à chaque page. Le lecteur ne sait jamais qui il va

un plaidoyer pour l’adolescence. Les parents

rencontrer, sur quel thème il va tomber ! Et que ce

ont tendance à ne pas écouter leurs ados. La

dernier se laisse complètement emporter dans

société de manière générale n’écoute pas le

cet univers de transformation, que la période de

désir et le souhait des adolescents. J’avais

l’adolescence propose. C’est comme si le livre lui-

vraiment envie de rendre hommage à cette

même était une métaphore de ce que peut être

pensée vivace, vivante, pertinente,

l’adolescence. Nous ne savons jamais ce qui

impertinente, insolente, puissante et efficace,


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dans le but de la valoriser, de la sublimer, d’en faire un écrin et surtout d’en faire une leçon de vie. C’est quelque chose qui était important pour moi. Qu’on puisse accéder à cette richesse de la pensée de l’adolescent, à ce qui nous enseigne sur nous-mêmes, à ce

S Equi LINA qui nous enseigne sur cet adolescent continue de vivre en nous. C’est le projet qui se cache en Punchlines, une réconciliation entre les générations. Après avoir publié les deux livres avec Marie-France Castarède, je

La psychothérapie, ce n’est pas seulement des pleurs et des psychologues qui ne R I disent C H A R D S rien et qui restent silencieux. C’est un espace vivant. Et c’est important de le savoir.

voulais qu’on puisse être sur un esprit plus solaire, plus lumineux, plus positif. Montrer

Les adolescents, c’est aussi cela. La

qu’un dialogue est possible à condition qu’on

psychothérapie, ce n’est pas seulement des pleurs

écoute l’autre.

et des psychologues qui ne disent rien et qui restent silencieux. C’est un espace vivant. Et c’est

LFC : Le format de ce livre est plus

important de le savoir.

accessible que vos précédents livres. LFC : C’est aussi un moyen pour les adultes de

SD : Complètement. Par exemple, un de mes

mieux comprendre nos adolescents. `

patients me demande comment je vais. Il joue

58

un peu le thérapeute avec moi. Je me rends

SD : Les adolescents sont surprenants. Quand on

compte que c’est une façon pour lui d’être

prend le temps de les écouter, de grandir avec

dans ce qu’on appellerait le transfert en

eux, par ce que peut être leur socle d’occupation,

miroir. J’ai préféré plus simplement dire les

par les questions qu’ils se posent. Nous avons une

choses de manière plus directe, pour le

idée très arrêtée sur ce que sont les adolescents et

rassurer, pour tisser du lien avec cet inconnu

sur la représentation de leur préoccupation. Avec

que le psychologue était pour lui. Je pense

ce livre, j’avais envie de montrer la réalité de leur

que nous pouvons vulgariser aujourd’hui le

centre d’intérêt et faire comprendre que leurs

savoir psychanalytique. Nous pouvons être

angoisses sont vraiment ailleurs par rapport à

accessibles aussi sans dévoyer tout cet

celles que nous pensons. Ils n’ont pas seulement

héritage Freudien Lacanien. J’endosse avec

l’angoisse de quitter l’enfance pour devenir

ce livre un rôle de passeur. Passeur de la

adultes. Mais aussi, de reproduire certaines erreurs

parole de l’adolescent. Passeur de

de leurs parents. Ils s’interrogent : quel adulte vais-

l’enseignement de la psychologie clinique

je devenir ? Serais-je comme mes parents

qui est ma discipline. J’avais envie de

quelqu’un d’aigri qui a abdiqué sur ses espoirs,

vraiment m’adresser à un maximum de gens.

ses rêves, ses idéaux ? Vais-je me transformer en


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C’est quelque chose que je n’ai peut-être pas assez dit, derrière ce livre, il y a un engagement personnel. J’ai vécu une adolescence extrêmement difficile. Et quand je travaille avec mes patients, je puise dans ces blessures, dans ce vécu affectif douloureux, dans ce passé. Lorsque je les écoute, je n’oublie pas quel adolescent fragile et vulnérable, j’ai pu être. SELINA

RICHARDS

une personne que l’adolescent que je suis

valorisation de leur narcissisme, une réparation qu’on

maintenant n’aimerait pas ? Ce n’est pas seulement

leur propose et en même temps ne pas oublier de

être à l’aube d’être un adulte, d’être dans le deuil de

poser une limite qui va leur permettre d’habiter leur

son enfance. C’est aussi le deuil de l’adulte qu’on

corps et leur psyché. Nous pouvons nous sentir

pourrait être. Ce double enjeu à l’adolescence me

humain seulement quand nous habitons un espace

semble extrêmement touchant. Je le ressens avec

défini, un corps et un esprit.

eux. C’est quelque chose que je n’ai peut-être pas assez dit, derrière ce livre, il y a un engagement

LFC : Les adolescents s’interrogent sur la

personnel. J’ai vécu une adolescence extrêmement

légitimité du psy qui se trouve en face d’eux.

difficile. Et quand je travaille avec mes patients, je puise dans ces blessures, dans ce vécu affectif

SD : Il est en effet normal qu’ils s’interrogent sur

douloureux, dans ce passé. Lorsque je les écoute, je

cette personne dont ils sont censés se confier. C’est

n’oublie pas quel adolescent fragile et vulnérable,

un exercice qui ne va pas de soi. À double titre,

j’ai pu être. Surtout, je sais que j’ai face à moi une

puisque quand ils arrivent, nous avons une position

personne qui est quasiment déjà adulte, avec ses

patriarcale, tutélaire. L’adolescence, c’est le

limites, ses forces, ses faiblesses, sa personnalité et

questionnement des figures d’autorité. Comment se

son histoire. Et je la respecte. C’est pour cela que le

positionne-t-on par rapport à cela ? Sur le fait que des

vouvoiement est présent dans le livre qui peut

psys consultent des psys, sur les blessures des psys,

surprendre. Seulement, je crois que je sais parler

j’explique que nous sommes des humains. De la

leur langue. Parce que je me souviens de qui j’étais.

même manière qu’un médecin peut tomber malade,

Je pense que le psy doit sortir de sa position de tour

un psychologue a ses fragilités psychologiques. Et

d’ivoire, de posture de savant, pour rentrer dans cet

c’est avec elles qu’il compose, qu’il travaille pour

univers de l’adolescent, dans cette intimité, dans

accueillir la souffrance de l’autre. Un psychologue

cette sensibilité, et de savoir mettre de côté la

surpuissant Batman/Superman n’ira pas très loin avec

théorie, etc.

son patient. Nous travaillons avec ce que l’on appelle le contre-transfert. Tout ce ressenti que le patient

LFC : Tout en faisant attention de ne pas être le

vient réveiller chez nous. Les bons psychologues

psy-pote.

sont des êtres extrêmement sensibles, marqués par une forme de fragilité à l’égard de leurs patients,

SD : C’est un équilibre à trouver entre une 60

d’eux-mêmes, de leurs propres histoires.


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Et il faut pouvoir travailler cela pour pouvoir

LFC : Oui, mais dans cette phrase, on ressent aussi la

porter l’autre.

pression de la société. Son enjeu est d’être meilleur. La société valorise la performance.

LFC : Comment fait-on pour écouter le malheur des autres ?

SD : C’est une excellente observation, car vous êtes le premier à la faire. Ce que vous dites est vrai. Cela ressort

SD : Il faut pouvoir accueillir cette violence, cette

dans le livre. Je parle de cette société : narcissique,

part de fragilité, d’agressivité. Face au négatif de

brillance, performance, jouissance. Les adolescents la

l’individu, j’utilise l’humour qui permet une mise à

portent et ils en sont fatigués. Les adolescents

distance et un travail. La sublimation, le fait

d’aujourd’hui sont moins concernés par la génération

d’essayer de transformer cette énergie en autre

Y, qui elles avaient vu cette notion de fractures entre la

chose. Je fais écrire mes patients ou encore

société névrotique et la société narcissique. Ils ont

dessiner. Se faire représenter leur problème

conscience que c’est difficile de trouver du travail,

psychique. Il y a aussi le travail que je vais faire

l’amour… Ils ont moins l’ambition de devenir youtubeurs

avec mon propre psychanalyste. Reprendre tous

ou de faire The Voice. Ils sont très lucides par rapport à

ses affects et les retravailler, voir en quoi ils font

la précarité de l’environnement social.

SELINA

RICHARDS

écho en moi, pour que cela sédimente et que je prenne aussi une distance. Le physique aussi est

LFC : As-tu un regret dans l’exercice de ce livre ?

important. Nous sommes un organisme qui éprouve des choses. Je nage énormément. Il faut

SD : Oui, j’en ai un. Je ne parle pas de l’homosexualité.

avoir conscience que les choses nous touchent.

Pourquoi ? Parce que je n’ai pas triché. Toutes les

Et que personne n’a une armure invincible. C’est

phrases sont authentiques. Il était hors de question

d’autant plus important qu’à l’adolescence, les

d’inventer quoi que ce soit. C’est vraiment un travail

ados testent la réalité de l’autre. Face à toutes ces

fidèle de restitution. J’ai eu des patients qui

attaques que je me prends dans le livre - il y en

découvraient leur homosexualité en thérapie. Ils la

a beaucoup : un patient dit que je suis un lave-

verbalisaient. Cela n’a jamais donné lieu à des

vaisselle, l’autre dit que mon imprimante ne

punchlines parce que c’est quelque chose de fragile

marche pas, alors la thérapie ne marche pas non

pour eux, de précieux qu’ils confient. Cela aurait été

plus, je prends cher comme disent les ados - je

hors sujet par rapport au livre, qui était quand même de

tiens ! Et comme je ne craque pas, les ados

montrer cette force du langage. Or, c’est un sujet qui

pensent qu’ils n’ont pas à s’inquiéter. L’univers

peut encore aujourd’hui créer de la vulnérabilité.

résiste à leurs attaques. Et cela les

J’aimerais dire qu’à notre époque, c’est dommage.

rassure beaucoup. Et surtout, cela permet la

L’absence de punchlines dans le livre indique que c’est

transmission. La punchline : un jour, je voudrais

encore difficile d’avouer son homosexualité. Cela reste

être psychologue comme vous, mais mieux que

compliqué et fragile. Ce n’est pas un moment où ils

vous, tant qu’à faire ! Cette phrase est très dure,

peuvent être dans une emphase, dans une injonction

mais ce qui est positif, c’est la transmission qui fait

comme ils le font dans le reste du livre. Ce que

écho à cette punchline. Il veut quand même être

j’aimerais dire aux parents : il faut respecter l’altérité de

psychologue. Il emprunte quelque chose de moi.

son enfant.

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PAR MURIEL LEROY ET MARIE VINDY

LA VIOLENCE CONJUGALE DANS LES LIVRES La violence conjugale est un sujet fréquemment abordé dans les romans psychologiques, mais pas toujours de manière exacte. L’accent y est bien trop souvent mis sur le pervers narcissique, sociopathe avéré. Celui-ci cependant ne représente qu’un pourcentage très faible de la population et fait l’objet de maintes confusions dans l’esprit des gens. Les livres choisis abordent ce thème tout en finesse, et font la dissociation entre le pervers et le pervers narcissique. Même s’il s’agit surtout du pervers, il est tout aussi destructeur tout en utilisant en plus la brutalité et le châtiment corporel. Les auteures dénoncent cette cruauté. Elles nous parlent d’un sujet qu’elles maitrisent. Nous tenons ainsi des pistes afin de déceler ces prédateurs, qui ne cherchent au fond qu’à détruire ces femmes, devenues objets, comme nous le constaterons dans ce qui suit. Sachez qu’elles ne naissent pas victimes, mais le deviennent par la force des choses.


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PARLONS-EN !

LA VIOLENCE CONJUGALE PAR MURIEL LEROY

Bien sûr, certaines menacent de le quitter, mais elles demeurent persuadées que ces hommes souffrent et ont besoin d’elles, comme ils aiment à le laisser croire. Une fois la proie ferrée, il lui propose de construire un foyer, d’avoir des enfants. Elle accepte. C’est un second engrenage.

Victimes mode d’emploi Une femme rencontre un homme, séducteur, charmant, qui répond à toutes ses attentes, exauce ses désirs profonds. Elle tombe sous le charme. Commencent alors l’emprise et son calvaire. Très vite, il lui propose de vivre ensemble. Elle accepte, et entre dans un premier engrenage. Le masque tombe enfin. Dès lors dénigrement et responsabilisation alternent avec des compliments. Il souffle le chaud et le froid jusqu’à la faire douter d’elle-même et se sentir coupable. Il manipule, n’hésitant pas à la monter contre sa famille, ses amis. Une fois totalement sous sa coupe, elle subit les premiers coups. Si elle reste, sa domination est alors totale !

L’enfant bouleverse tout, devient une source supplémentaire de conflit parce que le père, en est jaloux. Il se sert de lui comme d’un moyen de pression pour la faire obéir. Elle accepte son sort, se résigne, par peur de le voir faire souffrir son bébé. Elle se mettra, par moment, en situation d’évitement, ce qui occasionnera l’effet inverse. Il en profitera pour être d’autant plus violent, qu’elle sera dans l’incapacité de réagir. Elle ne se confie pas ou très peu, s’accuse de ses blessures jusqu’à ce qu’il aille trop loin. À la violence de trop, souvent sur l’enfant, elle met son mari au pied du mur, en décidant de partir. Celui-ci voit alors son jouet lui échapper et dans un accès de rage peut en arriver à la tuer. Quand elles s’en sortent, cela n’est pas sans conséquences. Il utilisera encore l’enfant pour garder le lien et obliger sa mère à céder, allant jusqu’à se servir de la loi à son profit. Nul ne sait ce qu’elle a vraiment subi puisqu’elle n’a jamais rien dit, et n’a pas porté plainte. Si elle tue le bourreau, dans un geste de désespoir et pour sauver sa peau, cela est aussi traumatisant et peut laisser de lourdes séquelles psychologiques.


PARLONS-EN !

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DU CÔTÉ DES AUTEURES Les livres, qu’il s’agisse de témoignages ou de romans, et dont le thème traite de la violence conjugale, suivent là le même schéma, schéma qu’on retrouve aussi dans la réalité. Les auteures, par ce biais, montrent comment cette brutalité et ces meurtres surviennent. On y voit un vrai désir de mise en lumière du stratagème du pervers, qui utilise force, persuasion et séduction pour arriver à ses fins. Ces victimes sont celles du silence, leurs blessures sont invisibles aux yeux de la société et de la Justice. Les deux témoignages celui de Alexandra Lange Acquittée et de Marianne Guillemin Dans la Gueule du Loup racontent des évènements d’il y a 8 ans pour le premier et 25 ans pour le second. Peu de choses semblent avoir changé sur le plan de la reconnaissance du traumatisme. Toutes les deux étaient entourées et c’est sans doute cela qui les a aidées. Alexandra LANGE a pu être acquittée, grâce aux témoignages, Marianne GUILLEMIN a tout quitté emmenant ses enfants avec elle. Ceux-ci ont dû subir la foudre paternelle durant de nombreuses années, la justice ne les ayant pas écoutées. Dans les romans cités Grande Avenue de Joy FIELDING, Les Blessures du Silence de Natacha CALESTREME, La Grande Roue de Diane PEYLIN et Dans les Angles Morts d’Elizabeth BRUNDAGE, on retrouve aussi la même idée, la même construction.

Commencer le récit par la fin pour nous amener à ces mêmes constats : Comment et pourquoi en eston arrivé là. Les auteures incitent donc les lecteurs à réfléchir sur les causes et conséquences de la violence conjugale, afin de parler, de dénoncer et éviter ainsi la répétition. Diane PEYLIN insiste aussi sur les séquelles psychologiques de la victime, si le trauma est trop violent. Faits rarement évoqués à ce niveau. Natacha CALESTREME, elle, distingue les diverses perversions, tout en démontrant leur aspect dévastateur. Nul besoin de tomber sur un pervers narcissique, terme très galvaudé, comme elle le dit elle-même, pour devenir une femme battue, ou pire encore, mourir sous les coups de son conjoint. Quant à Elisabeth BRUNDAGE, elle démontre, à travers une des familles, que la violence peut aussi être la conséquence de fait plus banal, comme la perte de son emploi et la plongée dans l’alcoolisme. Il n’y a pas de perversion, la femme subit cette frustration. Tous ces récits et témoignages nous éclairent donc sur le comportement du pervers et de sa victime, ainsi que le processus mis en place jusqu’à son acceptation et son anéantissement. LIRE L'INTERVIEW P.33

MARIANNE GUILLEMIN À NE PAS RATER !


L'INVITÉE DE MURIEL

PARLONS-EN !

MARIE VINDY

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LE DÉBAT AU PLURIEL

Violences conjugales - Réalités et fictions consensuelles par Marie Vindy

S’en sortir devient le parcours du combattant, tant la justice reste sourde face aux séquelles bien trop souvent invisibles. Les romans, contrairement aux témoignages et aux journaux, permettent de dénoncer par le biais d’une fiction et de façon moins abrupte. Ainsi le lecteur s’attache à la victime. Ils distraient tout en donnant des pistes de réflexion. Qu’aurions nous fait à sa place ? Aujourd’hui les femmes se dressent pour parler, dénoncer, dire l’indicible de manière forte. Mais il est bien dommage que l’on ne trouve pas plus de romans écrits par des hommes, afin de dénoncer ces mêmes faits. Une prise de conscience collective s’impose pour que de telles horreurs soient plus sévèrement punies par la loi. Faire passer cela en crime passionnel, drame de la jalousie ou en faits divers banalise et permet ainsi aux tortionnaires de continuer à détruire. La partie qui suit va donc éclairer sur le réel subi par ces femmes, devenues victimes malgré elles ! LA SÉLECTION DE LA RÉDACTION > LES BLESSURES DU SILENCE DE NATACHA CALESTREME, ALBIN MICHEL > GRANDE AVENUE DE JOY FIELDING, MICHEL LAFON > DANS LES ANGLES MORTS DE ELIZABETH BRUNDAGE, EDITIONS QUAI VOLTAIRE > LA GRANDE ROUE DE DIANE PEYLIN, ÉDITIONS LES ESCALES > ACQUITTÉE DE ALEXANDRA LANGE, ÉDITIONS POCKET

130, 128, 135… ces chiffres représentent les femmes tuées par leur conjoint chaque année, chiffres qui ne prennent pas en compte les décès liés à cette même violence, mais différés, tel le développement de maladies tant physiques que psychologiques, ainsi que les suicides. Des chiffres qui devraient résonner plus fort au fur et à mesure des actions successives de nos pouvoirs publics : sept ministères ou secrétariats aux droits des femmes, jusqu’au Président de la République actuel qui en fait une grande cause nationale, pour endiguer ces meurtres et réduire les violences faites aux femmes ont, au contraire, prouvé leur inefficacité absolue. Leur échec ? N’avoir pas mis les moyens humains, financiers, structurels en face de ces belles ambitions. Résultat, le nombre de mortes ne faiblit pas, le nombre de victimes non plus… Les années passent, la problématique est sortie de l’ombre, parfois par des faits totalement étrangers à une volonté politique, comme le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat, et les constats restent inchangés. Autre exemple, depuis bientôt un an, avec l’affaire dite Weinstein, les services de police et de gendarmerie constatent une très forte augmentation des dépôts de plainte pour viols et agressions sexuelles, entre 25 et 30%. Vers qui orienter ces victimes, majoritairement des femmes, pour un accompagnement global, un soutien psychologique ? Pour mémoire, seulement 5 à 10% des victimes portent plainte et seulement 1 à 2% des agresseurs sont condamnés¹ ! À l’intolérable manque de moyen de la Justice s’ajoute un défaut de formation des policiers ou des magistrats, ainsi qu’une suspicion quasisystématique envers les victimes.

¹ Observatoire National de la Délinquance, 2007


PARLONS-EN !

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L'INVITÉE DE MURIEL

MARIE VINDY LE DÉBAT AU PLURIEL

Le constat est d’autant plus lourd que la plupart de ces femmes s’étaient manifestées avant de succomber à la volonté de destruction de leur conjoint ou ex-conjoint : soit en portant plainte contre leur agresseur, soit en se tournant vers des proches ou des associations. J’ai le souvenir de la déclaration terrible de la directrice de l’ADAVIP 21 (aujourd’hui France Victimes 21), relatant un entretien avec Céline Guillaume, le 11 septembre 2007, veille de sa mort : Il va me tuer avait-elle affirmé. Le lendemain, en effet, alors que sa famille martelait que Céline était terrorisée et qu’elle ne sortait plus de chez elle que pour aller travailler elle avait porté plainte le 5 août pour harcèlement et menaces de mort, puis le 13 août pour des violences commises chez ses propres parents -, son ex-petit ami s’est rendu dans le magasin où elle était vendeuse, à Quetigny (21), et l’a assassinée de 15 coups de couteau dans la poitrine, devant ses collègues et des clients. La vie de Céline, 24 ans, avant qu’elle n’y succombe, était déjà un enfer régi par les agissements de celui qu’elle avait eu la malchance de rencontrer. Des histoires pareilles se répètent tous les trois jours en France. Il s’agit de meurtres ou assassinats (l’assassinat suppose la préméditation) structurellement proches et dont on peut sans difficulté identifier les mécanismes : une femme subit des violences psychologiques et/ou physiques, parfois pendant de très longues années, parfois quelques semaines et lorsque le déclic se produit - souvent les victimes décrivent s’être vues mourir, ou avoir compris que rester ne protégerait pas leurs enfants - et qu’elles trouvent assez de force pour partir, l’engrenage mortel se met en place.

Le conjoint violent ne supporte pas une rupture, atteinte suprême à son narcissisme et à sa faible estime de soi, et préfère donner la mort à celle qui échappe à sa possession, parfois même en s’en prenant également à ses propres enfants. Les titres des journaux rappellent alors à l’opinion publique son aveuglement en évoquant une dispute conjugale qui aurait mal tourné - un euphémisme, ou encore un drame passionnel, drame familial - ce qui sous-entend encore que la famille entière, femme et enfants au même titre que le meurtrier, est injustement associée à sa propre destruction ou autre référence à un amour qui n’existe pas et n’a jamais existé que dans l’esprit manipulé des victimes. La fiction, comme il se doit, s’est emparée du sujet, mais là encore, rares sont les ouvrages qui ne dissimulent pas les causes et conséquences d’une domination masculine, sociétale et structurelle. L’enfer, de Claude Chabrol, décrit ainsi la paranoïa de son héros par les hallucinations dont il est sujet pour expliquer le meurtre tout en l’en dédouanant, ce qui en fait une assez courante inversion coupable/victime. Ou encore, une liste infinie de thrillers qui mettent en scène de dangereux psychopathes, tueurs de femmes, où l’on retrouve l’ombre du trop usé pervers narcissique.


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L'INVITÉE DE MURIEL

MARIE VINDY LE DÉBAT AU PLURIEL

Une vision bien loin de la récurrence et la banalité des crimes conjugaux, vision souvent fantasmée, quand elle ne produit pas des contre-sens navrants. Je pourrais citer à l’appuis l’article très complet de Nadège Séverac sur le roman de Roddy Doyle, La Femme qui se cognait dans les portes, description d’un homme pervers et d’une femme infantile ne correspondant ni aux profils de personnes réelles impliquées dans la violence, ni au sens qu’elles donnent à leur relation et, au contraire, semble accréditer la meilleur défense des auteurs de violences conjugales lorsqu’eux ou leurs avocats invoquent le spectre bienvenu du « couple pathogène », laissant entendre que la victime serait pleinement actrice de la violence qu’elle-même déclencherait, et s’en nourrirait. Tout aussi affligeant quand on l’étudie sous cet angle du contre-sens, la trilogie Cinquante nuances de Grey où la perversion est décrite comme le jeu excitant de l’amour et de la domination. Encore une fois, la sphère réelle de l’intime et du huis-clos conjugal, pourtant propice, ne génèrent que peu l’attention de nos auteurs. On se doit, dès lors, de saluer ceux qui s’y sont arrêtés, des femmes, le plus souvent - ainsi les auteures citées plus haut - et quelques hommes. Je pense ici à l’excellent La femme en vert de l’Islandais Arnaldur Indridasson, qui dénonce, par la voix d’enfants devenus adultes, la terreur que leur inspire un père tyrannique et violent. Et pour saluer ces heureuses exceptions, tout en montrant la place privilégiée des enfants comme moteur de la description de ce type de violences, le film multi-primé, Jusqu’à la Garde de Xavier Legrand.

Dans ce film, effectivement monté comme un thriller psychologique, la position du petit garçon, le fils du couple, est un élément parfaitement juste qui permet au spectateur de comprendre la limite de l’empathie qu’il peut éprouver face à la douleur d'un père, lequel instrumentalise sans limite son propre enfant pour atteindre son ex-femme, dévoilant ainsi la capacité de manipulation et le degré de perversion d’un auteur de violences conjugales. A la décharge des auteurs reste le dilemme récurrent d’avoir l’ambition d’être juste dans la description de cette réalité et de sa banalité intrinsèque, tout en dépassant ce qui pourrait vite tourner au documentaire. La fiction a cette force d’amener le lecteur à s’identifier aux personnages, à pénétrer leur intimité, et par-là même, à s’élever avec eux dans une forme de sublimation, propre d’une oeuvre littéraire. Pour réussir cet exploit, point de règle, mais au contraire, la seule chose qui ne s’apprend ni ne s’achète : le talent.

² Nadège Séverac, La part impensée de la violence conjugale - de la fiction au récit vécu - Cairn-info ³ Roddy Doyle, La Femme qui se cognait dans les portes, Robert Laffont 1997


CARTE BLANCHE À GUILLAUME RICHEZ

RENCONTRE INÉDITE AVEC EMMANUELLE LAMBERT ROMANCIÈRE CARINE CHICHEREAU TRADUCTRICE

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ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC

EMMANUELLE LAMBERT LFC MAGAZINE #11

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EMMANUELLE LAMBERT PAR GUILLAUME RICHEZ PHOTOS : MAGALI LAMBERT

Docteur ès lettres avec une thèse sur l’œuvre théâtrale de Jean Genet, Emmanuelle Lambert a travaillé pendant sept ans avec l’écrivain Alain Robbe-Grillet pour l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec). En 2016, elle est co-commissaire avec Albert Dichy de l’exposition Jean Genet, l’échappée belle au Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille. La Désertion, son dernier roman, est publié en janvier 2018 chez Stock et elle prépare actuellement une exposition sur Jean Giono au MuCEM et l’édition des romans de Genet dans la prestigieuse collection de La Pléiade chez Gallimard. Rencontre placée sous le signe de la Méditerranée en terrasse du MuCEM, avec une écrivaine brillante qui confie, avant de commencer l’entretien, qu’elle ne comprend pas le snobisme de certains critiques littéraires et romanciers français à l’encontre de la littérature populaire. Stephen King est un grand écrivain, dit-elle, ponctuant durant l’interview ses réponses d’un rire communicatif.

L'INTERVIEW La désertion, Emmanuelle Lambert, Stock

LFC : Avant de commencer mes entretiens, je présente la personne interviewée, - éditrice, traductrice -, et depuis quelques temps j’emploie le mot autrice, et je sens parfois une crispation envers ce terme. Emmanuelle Lambert, êtes-vous écrivain ou écrivaine, auteur (avec ou sans e), ou autrice ? Et cela est-il important à vos yeux ? EL : Pour moi cela n’a aucune importance. Je suis les quatre. (Rires.) Écrivaine, écrivain, autrice, auteur. Il y a plusieurs choses : quand on écrit on a cette faculté merveilleuse d’être plusieurs personnes en même temps. Et l’autre chose, c’est que la langue évolue et qu’elle évoluera dans le sens des autrice et écrivaine. Cela se fera. Moi, en attendant, je prends tout. Cela ne me gêne pas que cela évolue dans ce sens. Finalement, la langue finit toujours pas coller au réel. LFC : Vous présentez-vous en tant qu’écrivaine ou écrivain ? EL : J’aime bien dire romancière, même si ça ne recoupe pas l’ensemble de ma production. Mais au moins romancière me permet d’échapper à la difficulté que vous soulevez. Sinon, la plupart du temps, je dis écrivaine.

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LFC : J’avais envie de commencer cet entretien en faisant suite

qu’on lit à haute voix pour qu’il soit rythmé

à la rencontre qui a eu lieu à Marseille en mai dernier dans le

et celui de son inscription dans

cadre du festival Oh les beaux jours ! Vous avez parlé de ce que

l’ensemble.

vous supprimez. Vous avez dit que le travail d’écriture commence lorsqu’on supprime des choses. Pouvez-vous

LFC : Vous avez travaillé à l’Institut

expliquer ce rapport entre écriture et disparition ?

Mémoires de l’édition contemporaine (Imec). Dans un entretien accordé à

EL : Je pense que c’est différent selon les écrivains. Là je parle de

France Culture, vous avez dit : Qu’est-ce

mon cas personnel, mais je sais que l’on est un certain nombre à

qu’on peut savoir de ce qui restera : ça

l’expérimenter. Il y a un travail dans l’écriture qui est pour moi

c’est la grande question. Que deviennent

un travail de composition. Quelque chose que l’on peut

ces fragments dont on vient de parler que

rapprocher de la musique, un travail d’équilibre, où on cherche à

vous supprimez de vos romans ? Pensez-

mettre les choses en rapport. C’est une question de rythme.

vous à vos propres archives, à leur

Parfois il y a des choses, - même si l’on a travaillé longtemps et

conservation, à leur transmission ?

qu’on en est très fier -, qui manquent de rythme. C’est assez inexplicable. C’est du travail à l’oreille : il faut que ça sonne bien,

EL : La vraie réponse, - la réponse sincère

et il faut que ça sonne bien tout seul mais aussi dans l’ensemble,

- est « non ». (Rires.) Mais après, c’est

dans l’harmonie. Évidemment, ce travail de rééquilibrage, on ne

contrarié par la mauvaise conscience.

peut le faire qu’une fois qu’on a avancé. C’est là qu’on supprime.

C’est-à-dire que mon penchant naturel

Les choses qui dissonent, on les supprime. Pour moi le parallèle

c’est de jeter. C’est la poubelle. Mais mes

le plus marquant c’est vraiment avec la musique.

années de formation à l’Imec sont allées à l’encontre de ma nature. Moi je m’allège

LFC : Cela veut dire que vous relisez à haute voix le passage que

beaucoup. Je ne garde rien. Le seul acte de

vous venez d’écrire ?

conservation, et c’est grâce à l’Imec, c’est

EL : Oui, je lis toujours à haute voix. Pas tous les passages mais

l’ordinateur. Les passages supprimés

de garder les différentes versions dans

notamment les passages descriptifs qui, à mon avis, s’ils ne sont pas rythmés, sont vraiment terribles. Je regarde aussi le tempo de la séquence dans laquelle cela va s’inscrire. Parfois on ne supprime pas mais on déplace. On se rend compte que ce serait mieux de le mettre un peu plus avant ou après. Du coup le fil narratif peut aussi bouger. Il y a alors tout un travail de resserrage de boulons. Là ce n’est plus de la musique, c’est de la plomberie ! (Rires.) Il faut faire

pourront toujours être retrouvés dans la version d’avant. J’ai la version 1, version 2, et puis après Vdef, puis Vbis… Si un jour quelqu’un se penche sur les archives, je lui souhaite bien du plaisir ! (Rires.) Alors qu’il y a des écrivains qui sont déjà

attention avec ce que l’on a déplacé.

leur propre archiviste. Robbe-Grillet

Tout ce travail de combinaison m’intéresse beaucoup. On doit

avec 0, 1, 2, 3, mais il y avait aussi - 1, - 2, -

numérotait les feuilles de ses manuscrits

pouvoir repérer une histoire, quelque chose de linéaire. Il faut que cela soit ferme parce que sinon tout le monde est perdu, - et on n’est pas là pour perdre complètement le lecteur, ou alors c’est un projet esthétique qu’il faut annoncer, mais ce n’est pas le mien.

3. C’était très impressionnant. Il pensait déjà à l’archéologie parce que je pense que ça l’intéressait lui-même, sa propre archéologie. C’était pour lui un objet de

Donc on travaille sur deux niveaux : celui du passage lui-même

réflexion.

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LFC : Dans une récente interview accordée au Matricule des

suis en train d’écrire un roman et j’ai commencé une

anges Emmanuel Hocquard parlait de l’un de ses ouvrages en

pièce de théâtre. En ce moment c’est le roman qui

précisant qu’il ne savait pas s’il s’agissait d’un livre. Je ne

prend le pas mais peut-être que j’y reviendrai.

pense pas que les auteurs de littérature de genres se posent de telles questions au sujet de leur travail. Les auteurs de polar écrivent un polar, le fabriquent, parfois avec les mêmes personnages que dans leur précédent roman, comme si le livre préexistait. Vous posez-vous cette question au sujet de

C’EST TRÈS PHYSIQUE L’ÉCRITURE.

votre travail ? À quel moment savez-vous que ce sur quoi vous

LFC : Vous avez dit dans une interview accordée à

travaillez deviendra un livre ?

France Culture : La matière première c’est le temps. Cette phrase de vous est entrée en résonance

EL : Ça c’est une question très intéressante. Moi c’est l’inverse.

pour moi avec un passage d’Un privé à Tanger

C’est-à-dire que je pense toujours que ce sera un livre et

d’Emmanuel Hocquard dans lequel il rappelle que

parfois je bats en retraite. Mon goût de lectrice est quand même

tout travail d’écriture s’inscrit dans une temporalité,

très imprégné par le roman. Je suis venue à la lecture et à

– ce qu’il y a avant (les souvenirs) et ce qui est

l’écriture par le roman. Et ça m’a façonnée. Vous avez des

devant, – ce temps encore sans référence aux mots.

auteurs qui sont plutôt des lecteurs de poésie, de choses

En relisant ce passage, j’ai pensé à vous qui travaillez

fragmentaires, d’essais. Je suis une lectrice de romans. Donc au

à la fois à la transmission d’œuvres d’écrivains

départ mon horizon c’est celui du livre. Et puis parfois, je

disparus et qui êtes aussi écrivaine. Quelle part du

démembre et je me dis non, on en fera autre chose.

passé entre dans votre écriture ?

LFC : En 2015, je demandais à Mathias Enard s’il travaillait sur

EL : Il y a le terreau de mes lectures. Ça entre en

plusieurs projets en même temps. Il m’avait répondu qu’en

compte de manière consciente et inconsciente. On

effet il travaillait sur plusieurs projets et qu’à un moment un

parlait tout à l’heure du fait qu’il y avait plusieurs

texte prenait le pas sur les autres projets en cours jusqu’à

projets en même temps et on disait c’est indécidable.

devenir un roman. Travaillez-vous vous aussi sur plusieurs

Mais il y a quelque chose qui joue pour moi, en tout

projets en même temps ? Avez-vous dans vos tiroirs des

cas, c’est qu’à un moment un projet en cours me

manuscrits inachevés, des projets inaboutis, en sommeil ?

donne envie de relire un livre. Ça donne une couleur au livre à venir.

EL : Je travaille toujours sur plusieurs projets. Et à un moment donné il y en a un qui surgit. Alors ça, - je ne sais pas ce que

La lecture, c’est une sorte d’intimité de l’écriture. Je

vous a dit Mathias Enard -, mais moi je ne me l’explique pas.

pense qu’il n’y a pas d’écrivain digne de ce nom qui ne

C’est encore assez mystérieux.

soit un grand lecteur. J’ai beaucoup de mal à concevoir qu’on puisse être écrivain sans avoir lu et

LFC : Il n’a pas développé. Il ne m’a pas expliqué pourquoi tel

s’être nourri de l’œuvre des autres. Ça c’est très

projet prenait le pas sur tel autre.

important. Donc c’est le passé qui fait que l’écriture va sédimenter comme les strates géologiques. Et

EL : Je pense que c’est lié à quelque chose d’assez indécidable,

parfois on ne s’en rend pas compte, puis on relit et on

comme l’état dans lequel on est au moment où on écrit. C’est

voit à quel point ça nous a formaté comme un logiciel.

tout bête mais on fait ça avec notre chair. C’est très physique l’écriture. Il y a des questions d’énergie, de moment, d’humeur.

Ensuite, dans l’ordre du conscient, c’est surtout le

Il y a le monde autour qui peut aussi intervenir. Mais j’ai

présent qui m’intéresse. Parce qu’il est impossible à

toujours plusieurs projets en même temps. Là par exemple je

saisir. Mais dans le travail de l’écriture, on peut


essayer. Donc j’aime tout ce qui est de l’ordre de l’instant, de la bascule, du moment, que ce soit au niveau de l’histoire, tous les décrochages possibles au niveau d’une narration, qui fait qu’à un moment ça bifurque ; ou que ce soit aussi tout le bruit qu’il y a autour de la littérature, - le moment de la société.

J’AIME TOUT CE QUI EST DE L’ORDRE DE L’INSTANT, DE LA BASCULE

Et vous savez, on dit souvent que les œuvres saisissent l’air du temps. Je ne crois pas à ça : je crois qu’elles annoncent l’air du

d'une personne. Ça a été extrêmement formateur

temps. On a une sensibilité qui fait que si on réussit (parce que

et ça a achevé de me détourner de l’université

parfois on échoue) on saisit quelque chose du présent et ça

pour de bon. Une fois que j’avais goûté à cette

annonce l’avenir.

liberté-là, évidemment, j’avais envie de continuer à faire des choses comme ça.

Après, il y a d’immenses écrivains du passé. On ne va pas refaire le coup de Proust à chaque fois mais enfin c’est tellement

LFC : Vous avez dit dans une interview que c’est

extraordinaire ! Mais là, c’est vraiment un individu qui a

Benoît Peeters, directeur des Impressions

emmagasiné en lui tout le monde qui était le sien. C’est encore

Nouvelles, qui vous avait encouragée à écrire

autre chose.

votre premier roman Mon grand écrivain…

LFC : Durant sept ans vous avez travaillé avec Alain Robbe-Grillet

EL : Qui m’a demandé de l’écrire.

dans le cadre de vos fonctions à l’Imec. Comment en êtes-vous venue à cette collaboration et en quoi consistait votre travail avec

LFC : …qui vous a demandé de l’écrire. Comme

lui ?

si l’écriture romanesque n’avait pas été pour vous, à ce moment-là, une évidence. Était-ce

EL : J’y suis venue par hasard. J’avais fait un stage d’archivage à

seulement le fruit d’une rencontre, du hasard,

l’Imec pendant que je faisais mes études de lettres. Et ensuite

ou quelque chose pour vous de plus profond ?

j’étais partie passer l’agrégation pour être prof, ce que j’ai fait et je m’étais inscrite en thèse pour faire ma thèse sur Genet – ce que j’ai

EL : Je pense que c’était plus profond. Benoît

fait. Au moment j’ai commencé ma thèse, je suis retournée à l’Imec

Peeters a été le déclencheur de quelque chose

pour faire mes recherches, et le directeur de l’Imec, Olivier Corpet,

qu’il a senti, qui bougeait. J’avais beaucoup trop

m’a dit : Écoutez, on va avoir les archives d’Alain Robbe-Grillet, il faut

de respect pour la littérature pour oser écrire.

travailler avec lui, est-ce que ça vous intéresse ? Alors évidemment

J’étais confite en dévotion. (Rires.) Quand même,

j’ai dit oui ! C’était très cahin-caha tout ça : aller chercher les

j’avais le goût de l’écriture, déjà, j’écrivais des

archives chez lui, les identifier (parce qu’il était l’archiviste de lui-

petites choses pour moi. Mais j’avais tendance à

même mais il y avait quand même une montagne de trucs), voir

me dissimuler derrière les travaux universitaires.

quel classement on pourrait adopter, préparer une exposition sur

C’était pas mal, ça faisait un personnage social

lui, avec lui (ce qui n’est pas forcément la meilleure des

acceptable, et surtout une écriture très codifiée.

configurations), préparer le catalogue avec lui et avec Catherine, sa

J’étais un peu cachée derrière ça.

femme. J’ai aussi édité ses scénarios, j’ai édité ses textes parus dans La circonstance est intéressante parce le moment

la presse et ses interviews. J’ai même été son chauffeur !

où Benoît Peeters m’a dit il faudrait que tu écrives, Tout ce travail mélangeait projets d’édition, d’exposition et

c’était aux obsèques de Robbe-Grillet. On était là

d’archivage. C’était formidable comme à chaque fois que l’on fait

tous les deux, on a parlé, on a lu des extraits. À la

des choses improvisées et qui suivent le cours de la créativité

fin on a discuté, je lui racontais l’effet que me

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faisait la disparition d’Alain Robbe-Grillet qui était très

Et ensuite viendront toutes les

étrange parce que je n’avais pas de relation d’amitié avec

commémorations et les célébrations.

lui – j’ai une relation d’amitié avec Catherine Robbe-

1 200 mètres carrés d’exposition,

Grillet, mais avec lui, non. Au départ, il ne faisait pas

c’est beaucoup mais ce n’est pas trop

partie de mes écrivains préférés, c’était une commande

parce que Giono est un écrivain qui a

qui m’avait été passée. J’ai appris à le découvrir. Je

énormément produit, énormément

racontais les choses en vrac à Benoît Peeters qui m’a dit :

écrit, qui considérait que l’écriture

Il faut écrire tout ça. Et si c’est bien je le publierai.

était vraiment un métier - ce en quoi je le rejoins parfaitement -, et que

Mon grand écrivain n’est pas un roman. C’est le récit de

donc puisque c’était un métier,

la manière dont je vois Robbe-Grillet. Mais c’est un récit

c’était une chose qui

un peu déplacé, écrit depuis une place particulière dont

devait s’apprendre et se pratiquer

on a parlé tout à l’heure. Et c’était mon premier livre.

tous les jours. Il s’était imposé la contrainte d’écrire au moins une

LFC : Vous avez consacré votre thèse de doctorat à

page par jour.

l’œuvre théâtrale de Jean Genet. En 2016, vous étiez commissaire de l’exposition au MuCEM Jean Genet,

On dispose d’énormément de

l’échappée belle avec Albert Dichy. Comment est née

manuscrits tous plus beaux les uns

cette exposition ?

que les autres parce qu’il avait une écriture très plastique dont il était

EL : C’est une commande du MuCEM. Genet a un lien

fier. Dans l’exposition il y aura des

très fort avec la Méditerranée. Il est enterré à Larache au

archives personnelles, des œuvres

Maroc. Il a servi dans l’armée coloniale dans les années

d’art, du cinéma. Ce sera très varié

30. Il a toujours regardé du côté du Sud. Il y avait cette

mais avec un axe : Giono est un

thématique chez lui. Et donc Jean-François Chougnet

écrivain visuel, nourri de peintures et

[président du MuCEM] nous a demandé à Albert qui est

d’images.

le plus grand spécialiste de Genet (en plus d’être un homme délicieux) et à moi de faire cette exposition.

LFC : Une exposition consacrée à

Nous avons fait cette expo sous le signe de l’Homme qui

Giono mais aussi une future

marche [d'Alberto Giacometti]. L’œuvre de Genet

parution des romans de Jean Genet

marche vers le Sud.

dans la prestigieuse collection La Pléiade. On associe parfois

LFC : Vous travaillez actuellement au MuCEM sur une

hâtivement la muséographie (et la

exposition qui sera consacrée à Jean Giono en octobre

parution dans La Pléiade) à une

2019. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

certaine fixité, une sorte de pétrification, comme si l’œuvre était

EL : Alors je vous en dirai très peu. (Rires.) Ce sera la

désormais définitivement figée

première exposition de cette ampleur sur Giono. En

dans le passé. Comment

2020 ce sera le cinquantenaire de la mort de Giono.

appréhendez-vous votre travail de

Nous on sera - j’aime bien les décalages -, décalés. On va

commissaire et d’éditrice, entre

donner le coup d’envoi.

œuvre du passé et temps présent ?

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EL : Je pense au contraire que ce sont des opportunités formidables d’actualisation des œuvres. C’est le moment justement où on peut se défaire d’un regard univoque. Dans le cas de Giono c’est particulièrement frappant. Quand on lit son œuvre (en dehors du fait que c’est un immense styliste), on est saisi par sa noirceur totale alors qu’il a une postérité un peu débonnaire. C’est curieux. Donc c’est le moment de lui donner une nouvelle vigueur, de lui redonner du nerf. Et pour Genet on va faire pareil. C’est Gilles Philippe, un essayiste et spécialiste du style au XXème siècle qui a déjà édité plusieurs ouvrages dans La Pléiade, qui m’a proposé de faire l’édition avec lui. Albert [Dichy] nous aidera aussi. On va essayer de redonner quelque chose à Genet parce qu’on va éditer les premières éditions de ses romans, d’abord publiés clandestinement et ensuite officiellement dans la collection Blanche. Nous allons repartir du texte clandestin, si bien que le texte de La Pléiade sera différent du texte de la Blanche chez Gallimard. Ça nous permet aussi de le replonger dans son bain temporel, celui des années 40 où il a une productivité incroyable et incroyablement concentrée, et d’éviter un certain nombre d’interprétations rétrospectives qui ont eu tendance à mélanger les temporalités. Je dirais que c’est justement l’inverse de la fixité ou alors, si c’est de la fixité, c’est qu’on a mal fait les choses. LFC : Pour conclure cet entretien, la période estivale est pour de nombreux lecteurs et de nombreuses lectrices propice à la lecture. Vous travaillez en ce moment, mais allez-vous mettre quelques livres dans votre valise ou travaillez-vous à un nouveau roman (nous en avons déjà un peu parlé) ? EL : Oui, je travaille à un nouveau roman. Je ne sais pas encore ce que je vais mettre comme livres dans ma valise. En général, ce genre de décision je la prends au moment où je fais la valise parce que, comme vous, j’ai une pile de livres à lire qui fait au moins un mètre de haut. (Rires.) Donc je verrai ça au dernier moment. Entretien réalisé au MuCEM le 13 juillet 2018. Propos recueillis par Guillaume Richez. LFC MAGAZINE #11

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CARTE BLANCHE À GUILLAUME RICHEZ

RENCONTRE INÉDITE AVEC EMMANUELLE LAMBERT ROMANCIÈRE CARINE CHICHEREAU TRADUCTRICE

2

ENTRETIEN EXCLUSIF AVEC

CARINE CHICHEREAU LFC MAGAZINE #11

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CARINE CHICHEREAU PAR GUILLAUME RICHEZ PHOTOS : DR

Carine Chichereau a traduit 75 textes, dont des œuvres de Raymond Carver, Lauren Groff, Jane Smiley, Julie Otsuka, Virginia Reeves, Maria Semple, Meena Kandasamy, Fiona McFarlane ou encore l’écrivain irlandais Joseph O’Connor. Rencontre avec une traductrice qui exerce avec passion son métier depuis vingt ans sans avoir perdu son enthousiasme.

L'INTERVIEW

LFC : 1984 traduit par Josée Kamoun et Moby-Dick ou le Cachalot traduit par Philippe Jaworski chez Gallimard, L’Île au trésor traduit par Jean-Jacques Greif chez Tristram, La Chute de la maison Usher traduit par Pierre Bondil et Johanne Le Ray chez Gallmeister, - pour ne citer que les plus récentes parutions : on ne compte plus les nouvelles traductions de chefs-d’œuvre de la littérature. Quel roman déjà traduit souhaiteriez-vous (re)traduire vous-même et pour quelle raison ? CC : J’adorerais retraduire Raymond Carver. À force de le crier partout, ça finira

peut-être par arriver ! En fait, j’ai eu la chance que Nathalie Zberro, à l’époque où LES ÉCRITURES elle travaillait encore à L’Olivier, me confie la traduction de la biographie de SÈCHES, Carver. J’ai lu ou relu toute son œuvre, c’était passionnant. L’Olivier a republié BLANCHES, SONT toutes les œuvres de Carver, et cette biographie était une sorte de bonus pour les Certaines traductions sont excellentes, comme celles de Jean-Pierre Carasso, LES PLUS DIFFICILESfans. mais les plus anciennes, celles qui datent des années 1980 pourraient faire l’objet À TRADUIRE. PAS d’une nouvelle traduction, je pense, car à l’époque où les premiers livres sont QUESTION DE SE sortis, Carver était inconnu, on n’avait pas les mêmes exigences concernant son CACHER DERRIÈRE style. La difficulté avec Carver, c’est qu’il faut dire beaucoup en peu de mots, sans effets de manche. Les écritures sèches, blanches, sont les plus difficiles à traduire. UNE BELLE Pas question de se cacher derrière une belle écriture. ÉCRITURE. Paradoxalement, je rêve aussi de retraduire Jane Eyre, parce que c’est un livre que

JE RÊVE AUSSI DE RETRADUIRE JANE EYRE

j’ai étudié et littéralement adoré quand j’étais étudiante. Du point de vue de la traduction, c’est presque l’exercice inverse, le style inverse, mais c’est passionnant. J’adore la langue du XIXème siècle, tortueuse, fourmillant de détails, d’adjectifs, les longues descriptions des paysages. Carver et Brontë sont des maîtres dans leur genre, et traduire les maîtres, c’est exaltant.

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LFC : Vous est-il déjà arrivé de refuser de traduire un

mais je citerai plutôt cette fois Redemption

texte proposé par un éditeur ? Et dans l’affirmative, quelle en

Falls de Joseph O’Connor. J’ai mis des

était la raison ?

heures à traduire la première page ! Je dois avouer qu’il m’a fallu avancer de plusieurs

CC : Oui, cela m’arrive souvent, principalement parce que je n’ai

chapitres dans le roman avant de

pas le temps. Parfois parce que le texte ne me plaît pas ou ne me

commencer à vraiment y comprendre

parle pas. Je pense qu’on ne peut bien traduire que les textes

quelque chose ! En fait, il s’agit d’un roman

qu’on aime. Se forcer à passer des mois avec un texte qu’on

choral, où toutes sortes de voix

n’aime pas, ça ne peut donner qu’un piètre résultat, car on a envie

s’entremêlent, où les narrations

d’expédier la traduction, on y apporte forcément moins de soin.

s’entrecoupent. Il fallait commencer par

On est moins concerné par ce qu’on fait. En outre, je pense qu’une

comprendre la structure du livre, puis

traductrice ou un traducteur a des créneaux, des types de textes

identifier les personnages, ensuite leur

qui lui correspondent mieux que d’autres. J’ai découvert par

donner une voix en français… bref, un vrai

exemple l’an dernier en traduisant un poème d’un jeune poète, DJ

casse-tête pour moi. Mais c’est un vrai

et performer mexicain, Martin Rangel qui est un ami, que la

chef-d’œuvre ! Pour moi, ce livre est le

poésie urbaine ultra-contemporaine m’échappait complètement.

plus grand de Joseph O’Connor. C’était un

Que je ne parvenais pas à rendre un aspect déstructuré,

énorme challenge, et je suis vraiment fière

expérimental. Donc je sais qu’un certain type de littérature avant-

de l’avoir mené à bien.

gardiste, ce n’est pas pour moi. De même que la poésie, je ne pense pas que je m’aventurerai à en traduire. Je pense qu’il faut être soi-même poète pour traduire de la poésie. Cela dit, mon amie Céline Leroy, qui est une très grande traductrice sans être poétesse, a magnifiquement traduit les poèmes de Laura Kasischke du recueil Mariées rebelles. LFC : Parmi les 75 œuvres que vous avez traduites, laquelle a été la plus difficile à traduire et pour quelle raison ?

L’ACTE D’ÉCRITURE EST UNE CHOSE ÉMINEMMENT INTIME ET PERSONNELLE LFC : Ressentez-vous le besoin d’en savoir plus sur l’écrivain pour traduire

CC : Plusieurs critères peuvent rendre une œuvre difficile à

son œuvre ?

traduire. Il y a le problème des références culturelles auxquelles on se heurte, et là bien sûr, je réponds immédiatement La Colère

GR : Absolument. L’acte d’écriture est une

de Kurathi Amman, parce que l’autrice, Meena Kandasamy est

chose éminemment intime et personnelle,

originaire du Tamil Nadu, que sa culture est immensément

personne d’autre que Julie Otsuka ne

différente de la mienne car l’Inde appartient à une constellation

pourrait écrire Certaines n’avaient jamais

culturelle qui n’a rien à voir avec la nôtre, et que j’ai eu sans cesse

vu la mer. Plus on connaît l’écrivain, plus

mille questions à lui poser, ou à poser par exemple à des

on entre dans son univers, et plus on le

spécialistes de la galaxie des mouvements communistes ou

traduit avec justesse. Bien sûr, il y a des

marxistes indiens, et je ne parle pas de l’infinie complexité du

romans plus intimistes que d’autres, où

système des castes, des mille dieux et déesses et de leurs avatars…

c’est donc plus important encore, mais

Bref, vous avez compris. Ensuite, il y a la complexité du style lui-

dans l’ensemble, c’est toujours un plus de

même de l’auteur. Je pourrais à nouveau citer Meena Kandasamy,

connaître l’écrivain. Par exemple quand je

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traduis Lauren Groff et qu’elle parle de la France, je sais qu’elle dit les

Story, The Paris Review). Moi, cela m’aide

choses telles qu’elles les a vécues car elle a séjourné une année en

d’en savoir plus sur les personnages, pour

Bretagne, à l’époque du lycée, et qu’elle revient souvent en France. Le

savoir comment les faire parler ; sur le

fait de connaître Lauren m’aide énormément à la traduire. Je pense

décor, pour utiliser un vocabulaire plus

de toute façon que j’ai besoin de connaître la genèse de l’œuvre, d’où

subtil afin de mieux décrire les choses. J’ai

elle vient, de quel univers, et puis je suis curieuse, j’aime savoir à qui

eu cet honneur une fois avec Joseph

j’ai affaire. J’aurais sans doute plus de mal à traduire quelqu’un avec

O’Connor. C’était pour Muse, le deuxième

qui je n’ai aucun lien, dont je ne sais rien. J’aurais l’impression

livre que j’ai traduit de lui. C’était

d’avancer dans le brouillard. En outre, quand on connaît son auteur,

compliqué, car il y abordait l’histoire

on a envie d’une part d’être digne de lui, et d’autre part de lui faire

d’amour clandestine entre le dramaturge

plaisir, pour qu’il ou elle soit fier de son livre traduit !

John Synge et Moira O’Neill, une très jeune comédienne, or je ne connaissais pas assez

LFC : Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec des écrivains avant

la réalité sociale de l’Irlande d’avant la

ou pendant votre travail de traduction de leur œuvre ?

première guerre mondiale pour tout bien comprendre, et au niveau stylistique,

CC : Cela m’arrive constamment. Il est rare que je n’aie aucune

j’avais beaucoup de questions. Alors je suis

question à poser, que ce soit sur l’emploi d’un mot dont je ne suis pas

allée le voir. Ça a été fantastique ! Nous

sûre, ou sur une référence culturelle que je ne comprends pas.

avons épluché le roman, pendant des

L’idéal, ce serait de rencontrer l’auteur avant, pour parler avec lui ou

heures je l’ai bombardé de questions, et en

avec elle de l’œuvre, parce qu’il y a des quantités de choses qui

vrai gentleman, il a répondu à toutes, sans

n’apparaissent pas dans le texte. Un roman, c’est la partie émergée

s’énerver, avec une immense gentillesse.

d’une œuvre immense dont 90% reste dans la tête de l’auteur – en

Ensuite, il m’a emmenée sur les lieux où se

tout cas, c’est ce que disait Hemingway (Cf The Art of the Short

passait le roman. Ce furent quelques journées exceptionnelles. Quand ensuite j’ai commencé ma traduction, je suis partie comme une flèche, car j’avais déjà résolu tous mes problèmes ! Bref, c’est sans doute ma plus belle expérience professionnelle !

UN ROMAN, C’EST LA PARTIE ÉMERGÉE D’UNE ŒUVRE IMMENSE DONT 90% RESTE DANS LA TÊTE DE L’AUTEUR Récemment, à l’occasion de la venue de Janes Smiley en France, nous avons beaucoup échangé sur la trilogie (les deux premiers volumes sont parus chez Rivages). La première fois, elle m’avait posé une question sur la mort d’un des LFC MAGAZINE #11

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JUILLET AOÛT 2018


personnages principaux : était-ce un accident ou un meurtre ?

CC : Je pense que la situation évolue depuis quelques

J’avais lu le livre, mais je n’étais pas capable de répondre. C’est

années. Je suis moi-même régulièrement invitée dans

en traduisant un passage très en amont que j’ai eu la révélation :

des médiathèques ou des librairies pour parler de

je lui ai donné ma réponse, argumentée, et elle était enchantée !

mon métier. Sans doute que peu à peu nous sortons

Nous avons beaucoup parlé, a posteriori cette fois, mais cela n’a

de l’ombre, mais le processus est lent. Pour

fait que conforter ce que je pensais déjà, donc je n’ai pas modifié

reprendre ma métaphore musicale, on n’imagine pas

la traduction.

un disque de musique classique sans le nom de l’interprète. Oui, il faut nous battre pour être

LFC : De nombreux traducteurs sont également romanciers.

davantage reconnus. C’est surtout la presse qui se

Avez-vous écrit un roman ou l’envisagez-vous ?

montre indifférente : combien de fois lit-on un article sur un livre étranger, où le nom de la personne qui a

CC : J’ai beaucoup écrit, puisque j’ai commencé par ça, mais je

traduit n’est pas cité ! Au moins, dans le livre, on est

dirais que c’est après mon séjour en résidence de traduction à

nommés quelque part. Cela m’est arrivé plusieurs fois

Banff en juin 2018 que j’ai retrouvé la foi en l’écriture et que j’ai

de râler, et l’on m’a envoyé paître. Le pire : l’an

enfin adopté une attitude professionnelle, et non plus une

dernier, un organisme se disant ami des traducteurs

posture d’amatrice. Donc oui, en plus de tout ce que je citais

faisait de la publicité pour une lecture d’un texte (que

précédemment, chaque journée commence pour moi par une

j’avais traduit) en présence de l’auteur, donc une

heure de travail sur mon roman, et le premier étant terminé

lecture en deux langues. Le comédien qui lisait le

(enfin, je crois), je travaille désormais au deuxième. J’ai

français était cité, ce qui est normal. Pas la

beaucoup de projets ! Mais traduire est une forme d’écriture

traductrice, dont il prononçait les mots. J’ai protesté

sous la contrainte qui vous apprend énormément de choses.

avec une certaine véhémence : mon éditeur a été

Joseph O’Connor, Lauren Groff, Jane Smiley m’ont beaucoup,

contacté et prié de me remettre dans le droit chemin !

beaucoup appris… Quand on traduit, on décortique la

J’en ai été extrêmement choquée. L’argument selon

mécanique d’un livre, on découvre comment ça fonctionne,

lequel ils ne pouvaient citer mon nom : il n’y avait pas

quels sont les engrenages, les techniques : c’est une véritable

la place sur les posts Facebook et autre flyers… Je

école en soi. On s’imbibe des différents styles à force de les

reste encore choquée de cette manière de traiter les

imiter en les traduisant ! Donc, au bout de vingt ans de cours

gens, un an après. Et pourtant, je peux vous dire que

intensifs à l’école des maîtres, je vais tenter de voler de mes

partout où je vais parler de mon métier, que ce soit à

propres ailes.

Paris ou à Tréguier, les gens se montrent très intéressés ! Je le constate à chaque fois ! Alors oui, il

LFC : Alors qu’un livre sur six qui paraît en France aujourd’hui

faut davantage mettre notre profession en avant, tout

est une traduction (16,8 % des titres selon les chiffres de la BnF,

le monde a à y gagner.

contre 3 % aux États-Unis, - 61 % des ouvrages étant des traduction de l’anglais), il est très rare que le nom de la

LFC : Il existe quelques (trop) rares prix en France

traductrice ou du traducteur figure sur la couverture d’un

qui récompensent des traducteurs, notamment le

ouvrage. Parfois, il n’apparaît même pas sur la quatrième de

Grand Prix dela Société des gens de lettres, qui a été

couverture. Cet usage est assez répandu chez les éditeurs en

décerné cette année à Bernard Kreiss pour ses

France, qu’il s’agisse du grand format ou du format poche (et

traductions des œuvres de Thomas Bernhard et

c’est d’ailleurs une revendication portée par l’ATLF). Lors des

Martin Walser (éditions Gallimard), ainsi que le Prix

rencontres en librairies, le traducteur est également rarement

Bernard Hoepffner (ex-Prix Laure-Bataillon),

convié alors que, parallèlement, des colloques et des

décerné par le jury de la Maison des Écrivains

conférences sont consacrés à la traduction. Tout cela

Étrangers et des Traducteurs (MEET) l’an passé à

témoigne-t-il selon vous d’un manque de considération de

José Carlos Llop et son traducteur Edmond Raillard

votre travail propre à la France ?

pour Solstice (éditions Jacqueline Chambon).

LFC MAGAZINE #11

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JUILLET AOÛT 2018


Cependant la couverture médiatique de ces événements

sur le revenu, réforme de la formation

reste très confidentielle. Pensez-vous que ceci reflète un

professionnelle) ne risquent-elles de placer les

désintérêt de la part des lecteurs pour le travail des

autrices et auteurs, traductrices et traducteurs,

traducteurs ?

dans une situation de fragilité ? Êtes-vous inquiète pour l’avenir de votre profession ?

CC : Encore une fois je pense que ce ne sont pas les lecteurs les responsables. Les lecteurs sont des gens

CC : Oui bien sûr que les réformes envisagées

intelligents, sensibles et sensés. Ce sont les institutions

vont fragiliser notre profession. Nous sommes

qui nous boudent. Et les médias, pour ce qui est de la

déjà les parents pauvres du système français, sans

couverture médiatique. Si l’on nous mettait plus en avant,

quasiment aucun des avantages sociaux dont

je suis certaine que les lecteurs apprécieraient. Certains

jouissent la plupart de nos concitoyens qui

grands lecteurs m’ont déjà dit qu’ils faisaient très

travaillent pour vivre. Pas de chômage, pas de

attention au nom du traducteur ou de la traductrice, et je

congés payés, des éditeurs, y compris prestigieux,

pense que les critiques y sont souvent sensibles. À nous, à

qui souvent nous traitent comme la dernière roue

vous, à tous les acteurs du livre et les organismes qui

du carrosse … Il faudrait sans doute revoir notre

travaillent autour de faire notre possible pour changer les

statut, mais il faudrait que des gens compétents

choses. Si déjà les prix de littérature étrangère assumaient

s’y mettent, pas des fonctionnaires qui

tout simplement le fait que lorsqu’ils récompensent un

n’entendent rien à notre situation car ils vivent

bon livre étranger, ils récompensent en réalité une

dans une autre galaxie économique. Il faudrait un

traduction ! Inutile de créer d’autres prix : il suffirait déjà

minimum de concertation avec les organismes

qu’on souligne que le prix Fémina, Médicis, etc. va

qui nous représentent et connaissent notre réalité

également à la personne qui a écrit la traduction.

quotidienne à la perfection : la SGDL, l’ATLF, etc.

Plusieurs des livres que j’ai traduits ont été récompensés :

Ce sont des partenaires fiables. Pourquoi le

seul le prix de l’Héroïne Madame Figaro, décerné l’an

gouvernement les a-t-il ignorés si superbement

dernier aux Furies de Lauren Groff m’a accueillie en me

alors que nul ne connaît mieux nos

demandant de traduire puis de lire lors de la cérémonie

problématiques ? S’agit-il de nous passer à la

un texte de Lauren Groff, où elle remerciait le jury de lui

moulinette pour simplifier le système des impôts,

avoir décerné le prix. Dans ces quelques ligne, Lauren

des retraites, etc. ? Et n’est-il pas scandaleux

terminait par des propos très élogieux à mon égard.

qu’alors que notre ministre de la Culture, éditrice

Quand j’ai eu terminé de lire, devant toute

de longue date, aurait pu avoir un avis pertinent

l’assemblée, Patrick Poivre-d’Arvor m’a lancé : C’est vous

sur la question, on l’écarte sous prétexte que

qui l’avez rajouté, ça ? Je me suis demandée si j’avais

justement elle est du métier ? N’a-t-on pas déjà

mérité cette bonne blague parce que j’étais une femme ou

nommé des médecins au ministère de la santé

bien une simple traductrice…

sans que ça pose problème ? C’est grotesque. En outre, il est déjà difficile d’exercer notre métier

LFC : Aujourd’hui, 41% des auteurs gagnent moins que le

car nous sommes bien souvent seuls face à des

SMIC. Les traductrices et traducteurs sont considérés

éditeurs parfois pas très bienveillants, qui nous

comme autrices et auteurs de leurs textes. Les réformes

paient quand ça leur chante sans que nous ayons

sociales et fiscales envisagées par le Gouvernement

aucun recours, alors si l’État s’acharne sur nous

(compensation de la CSG, réforme du régime social des

au lieu de nous garantir un minimum de

auteurs, réformes des régimes de retraite, circulaire sur

protection, certains d’entre nous ne résisteront

les revenus artistiques, retenue à la source de l'impôt

pas. Donc, oui, je suis inquiète, surtout quand je

LFC MAGAZINE #11

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JUILLET AOÛT 2018


vois le nombre de jeunes gens qui entrent dans les masters

Donc oui infiniment oui aux résidences de

de traduction… Moi qui rêve d’avoir un jour droit à une

traduction ! Je vais d’ailleurs repartir fin septembre

semaine de congés payés par an, je crains bien de devoir

en Italie, à Volterra, où avec d’autres traducteurs

attendre ma retraite pour ça !

nous allons réaliser une traduction en cinq langues d’un texte de la poétesse canadienne Anne Carson,

LFC : La MEET (Saint-Nazaire) et le Collège International

Antigonick, qui sera ensuite lu lors d’une sorte de

des Traducteurs littéraires (Arles), comme d’autres

performance. Les possibilités sont infinies et d’une

structures en France, en Belgique ou en Suisse, proposent

richesse formidable. J’engage tou.te.s mes collègues

des résidences aux traductrices et traducteurs. Avez-vous

à postuler pour participer à ce genre de résidence.

déjà bénéficié d’un programme de résidence et/ou d’une

C’est vraiment une expérience unique !

bourse ? Pensez-vous que ces lieux privilégiés de travail

Pour conclure cet entretien, pouvez-vous nous

et ces aides financières sont aujourd’hui indispensables à

parler du texte sur lequel vous travaillez

l’exercice de votre profession ?

actuellement ? Je vais vous parler du texte que je viens de terminer,

CC : Oui, j’ai eu la chance, le bonheur de partir l’an dernier

My Coney Island Baby, de Billy O’Callaghan, un

en résidence à Banff, en Alberta, Canada, et je n’exagère

auteur irlandais pas encore traduit en français, dont

pas quand je dis que cela a changé ma vie. Banff est un lieu

le texte paraîtra au printemps prochain chez Grasset.

extraordinaire (Céline Leroy qui en revient pourra

Jean Mattern m’a fait l’honneur de me confier ce

témoigner !), où toutes sortes de gens se rencontrent, des

texte difficile mais magnifique, qui en résumé

traducteurs, des écrivains, des artistes plasticiens, des

raconte l’histoire d’un couple illégitime qui pendant

danseurs, des chanteurs d’opéra, mais aussi des

vingt-cinq ans se retrouve chaque premier mardi du

représentants des peuples premiers du monde entier, des

mois à Coney Island pour y passer ensemble la

scientifiques, des mathématiciens, bref, c’est un concentré

journée. Peu à peu l’auteur dévoile le passé des

de ce que notre monde contient humainement de meilleur.

amants, douloureux, fait de renoncement, leur

J’ai fait partie l’an dernier des dix-huit happy few venant

quotidien morne qu’éclaire cette liaison hors norme.

du monde entier qui ont participé au BILTC. J’imaginais me

L’écriture est magnifique. J’ai publié bien des

retirer là-bas un peu en ermite, hors du monde, dans une

extraits sur ma page Facebook car je tombais sans

nature magnifique, et travailler tranquillement dans mon

cesse sur des phrases incroyablement belles. On y

coin. C’est l’inverse qui s’est produit : j’ai rencontré des

retrouve cette mélancolie bien irlandaise, ces

gens formidables, découvert d’autres univers, d’autres

descriptions d’une nature âpre quand l’homme parle

littératures dont la littérature latino-américaine dont je

de l’île lointaine où il est né, une analyse des

commence à découvrir l’extraordinaire richesse, et surtout,

sentiments d’une finesse incroyable, où tout jusqu’au

j’ai rencontré des gens qui pratiquaient toutes les formes

moindre geste fait sens, jusqu’à la tasse de mauvais

d’écriture, pas seulement la traduction, même si c’était

café qui devient un rituel nécessaire, préservant des

notre point commun. Certains de mes collègues étaient

dangers de ce monde. Oui, j’avoue que ce fut difficile,

également romanciers, journalistes, dramaturges, poètes,

il y a même longtemps que je n’avais pas trouvé un

etc. Et c’est dans cet incroyable bouillon de culture que j’ai

texte aussi ardu, avec ses longues phrases et ses

enfin retrouvé la volonté et la confiance nécessaires pour

structures syntaxiques particulières, et j’espère m’en

écrire ! Banff a changé ma vie, et depuis que j’en suis

être bien sortie. En tout cas, c’est un livre que je

revenue, je suis dans une autre énergie, une autre

recommande absolument, car il est d’une beauté

dynamique, je vais plus à l’essentiel et j’ose enfin écrire

déchirante.

comme une professionnelle. Je ne sais pas encore quel sera le devenir de cette tentative, mais je compte bien aller

Entretien réalisé par courrier électronique en

jusqu’au bout de cette aventure.

juillet 2018. Propos recueillis par Guillaume Richez.

LFC MAGAZINE #11

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JUILLET AOÛT 2018


nouvelle rubrique NO. 11 // GRATUIT

Shooting AU-DELÀ DES CLICHÉS

TROIS IMAGES EN DISENT AUTANT QU'UN ENTRETIEN

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LFC Magazine #11

BARBARA CARLOTTI L'OVNI MUSICAL JOUE LE JEU DE LA SÉANCE INSTANTANÉE

MATTHEW NEILL NULL LA NOUVELLE VOIX DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE DIT OUI POUR UN SHOOTING FRENCH TOUCH


musique // au-delà des clichés Photographies exclusives par Arnaud Meyer Leextra

BARBARA CARLOTTI

QUELQUES INFOS Cet album a été imaginé et écrit à partir de la retranscription de ses rêves, Douze chansons comme une invitation aux songes de Barbara Carlotti, Ce cinquième album invente une musique hybride entre pop française sixties et psychédélisme synthétique,

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LFC Magazine #11


musique // au-delà des clichés

Christophe Mangelle

ALBUM ATYPIQUE

magnétique

85 | LFC Magazine #11

Texte :


nouvelle rubrique NO. 11 // GRATUIT

Shooting AU-DELÀ DES CLICHÉS

TROIS IMAGES EN DISENT AUTANT QU'UN ENTRETIEN

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LFC Magazine #11

BARBARA CARLOTTI

MATTHEW NEILL NULL

L'OVNI MUSICAL JOUE LE JEU DE LA SÉANCE INSTANTANÉE

LA NOUVELLE VOIX DE LA LITTÉRATURE AMÉRICAINE DIT OUI POUR UN SHOOTING FRENCH TOUCH


livre // au-delà des clichés MATTHEW NEILL NULL

QUELQUES INFOS Matthew Neill Null est un écrivain américain originaire de VirginieOccidentale. Il a étudié le Creative Writing à l’Iowa Writers’ Workshop et ses nouvelles ont été publiées dans plusieurs anthologies, dont la Pen/O. Henry Prize Stories.

Le miel du lion, son premier roman, l’a imposé comme une nouvelle voix des plus prometteuses dans le paysage littéraire américain.

Il est aussi l’auteur d’un recueil de nouvelles, Allegheny Front, qui paraîtra prochainement en français chez Albin Michel. Photographies exclusives par Mathieu Genon Leemage

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LFC Magazine #11


livre // au-delà des clichés

Christophe Mangelle

LA RÉVÉLATION d'une voix impressionnante

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Texte :


LFC MAGAZINE

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DANIELLE MOREAU PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA


Danielle Moreau est une enfant de la radio. D'auditrice à standardiste chez Europe 1, puis plus tard l'animation d'émission, elle publie "Les enfants de la radio" chez Hors Collection. Une très E L I N A R I Cpour H A R D S nous de la rencontrer belle Soccasion à l'Hôtel Vernet dans le très cosy 8ème arrondissement. La chroniqueuse de "Touche pas à mon poste" souhaite parler de son poste radio au plus grand nombre. Entretien inédit. LFC : Bonjour Danielle Moreau ! Vous

m’a bien fallu une vingtaine d’années. (Rires)

publiez un livre Les enfants de la radio

J’ai été persévérante. Les auditeurs ont un

(Hors collection). Comment avez-vous eu

rapport plus affectif avec leurs radios. C’est rare

l’idée d’écrire ce livre ?

d’entendre : je ne regarde que TF1, ou que France 2. Les auditeurs disent : je n’écoute que

DM : Je pense que l’idée de ce livre, je l’ai en

France Inter par exemple. Souvent, c’est parce

tête depuis l’âge de quinze ans, depuis que

que c’est la radio que nous écoutions avec nos

j’aime la radio. C’est une passion d’enfance.

parents. Cela remonte à l’enfance. Les

Je pensais être seule à la vivre. Je me suis

nouvelles générations ont un rapport différent

trompée. Nous sommes nombreux à être des

à la radio puisqu’aujourd’hui elle se consomme

enfants de la radio. Je séchais les cours pour

autrement avec la croissance du podcast, etc.

assister aux émissions de radio en public,

Je parle des auditeurs qui écoutaient la radio

celles de Pierre Bellemare sur Europe 1, qui a

avec un transistor.

d’ailleurs été mon premier patron. J’ai toujours eu envie de fréquenter ce milieu.

LFC : Dans la préface de votre livre, Jean-

Comment y parvenir ? À Europe 1, j’ai tout

Pierre Foucault parle de l’affection portée à

fait. J’étais dans le public. J’ai gagné à des

l’objet : le transistor.

jeux. J’ai été assistante, standardiste,

90

pipelette parce que j’ai réussi à faire de

DM : Oui, car tout cela a évolué. Et c’est notre

l’antenne. Le chemin a été long. Entre le

société qui change. Tous les gens de plus

moment où j’étais dans le public et le

soixante-dix ans regardaient la radio. La

moment où je suis passé derrière le micro, il

télévision n’existait pas. Le poste de radio était


énorme. Il trônait sur une table au milieu du salon. Nous regardions tous ensemble l’objet radio. Toute la famille écoutait la même émission. Ce qui est dommage aujourd’hui. Parce qu’il n’existe presque plus d’émission à la télévision ou à la radio que nous pouvons

S E L ILaN A partager en famille. C’est un autre débat. grande révolution a eu lieu dans les années soixante avec l’apparition du transistor. Johnny Hallyday et les yéyés sont nés avec la radio. Ils n’existeraient pas si les gamins et les

L’histoire de la radio, c’est aussi l’histoire de la société française.

RICHARDS

adolescents de l’époque n’avaient pas pu choisir leur musique grâce au transistor.

entre Georges Lang qui fête les 45 ans de son

Avant, ils écoutaient Édith Piaf ou Tino Rossi,

émission Les nocturnes sur RTL. Dans un temps

même à quinze ans, parce que c’était ce que

plus lointain, nous avions Macha Béranger. C’était

leurs parents écoutaient. Une fois qu’ils ont

la grande prêtresse de la nuit. Elle créait son

eu leur transistor à eux, dans leur chambre

ambiance visuelle. Elle tamisait les lumières. Elle

avec le choix d’écouter leur programme, ils

recevait les gens comme chez elle. C’était un

ont fait naître une génération de yéyé. Salut

dialogue tellement intime. La nuit participe à cet

les copains et Europe 1, c’était une véritable

esprit confessionnel. Liane Foly me l’a confirmé

révolution. La radio Europe 1 est née grâce au

récemment. C’est un nom qui revient souvent

transistor. L’histoire de la radio, c’est aussi

dans les souvenirs. L’originalité de ce livre est non

l’histoire de la société française.

seulement de raconter l’histoire de la radio, mais aussi d'évoquer les souvenirs personnels de ceux

LFC : En 2018, la radio demeure toujours

qui ont fait la radio, ceux d’hier et d’aujourd’hui.

un média fort.

J’ai eu envie de savoir comment était née leur vocation. Souvent, cela venait de l’enfance. Je

DM : Bien sûr. Les heures d’écoute, les

voulais savoir quelles étaient les voix et les

habitudes ne sont plus les mêmes. Les

émissions qui les avaient bercés. Cela me permet

auditeurs écoutent très souvent de nos jours

de raconter des anecdotes. Je parle souvent de

la radio dans la voiture. Les audiences sont

souvenirs personnels.

différentes de ceux de la télévision. Ce sont les matinales qui rencontrent un vif succès. À

LFC : Comme…

20h, les auditeurs désertent la radio. Je

91

consacre dans le livre un chapitre qui

DM : Patrick Sabatier a animé pendant quinze ans

s’appelle : c’est beau une radio la nuit. Parce

les matinées de RTL. À l’âge de quinze ans, son

qu’il se passe beaucoup de choses la nuit :

père était marchand de fruits et légumes. À 6h30


D A N I E L L E L F C

M O R E A U

M A G A Z I N E

# 1 1


L’originalité de ce livre est non seulement de raconter l’histoire de la radio, mais aussi d'évoquer les souvenirs personnels de ceux qui ont faitS la radio, ceux d’hier ELINA RICHARDS et d’aujourd’hui. du matin, il déposait le petit Patrick dans la

Zappy Max. Les nouvelles générations

rue Bayard, devant RTL. Il partait faire ses

ne le connaissent pas. Jean-Pierre

courses aux Halles. Il revenait deux heures

Foucault m’a dit : vous prenez Michel

après pour reprendre le petit Patrick pour

Drucker, Jean-Luc Reichmann, Nagui

l’amener à l’école. Pendant deux heures, il

et moi, et vous aurez une idée de la

était devant l’écran de contrôle et il

popularité de Zappy Max dans les

regardait son idole Maurice Favières qui

années 50 et 60, en ajoutant nos

faisait les fameuses matinales.

quatre popularités. C’était une star

énorme. Quand Zappy Max était sur LFC : Votre livre est disponible en

Radio Luxembourg, il n’y avait

librairie au moment où Europe 1 et RTL

personne. C’était un Dieu vivant.

déménagent… Ce sont des pages qui se tournent.

LFC : Comment avez-vous obtenu tous ces entretiens ?

DM : C’est la fin d’une époque. Le café à côté d’Europe 1 a fermé. Et je plains le café

DM : J’avais fait une grande liste de

en face de RTL parce que c’était vivant.

personnalités de la radio que j’avais

Nous pouvions croiser très souvent des

envie de rencontrer. C’était une

vedettes.

chaîne importante, tous les enfants de la radio pouvaient se donner la main.

LFC : Pour écrire ce livre Les enfants de

Chacun me disait qu’il fallait

la radio, vous avez réalisé quarante-cinq

absolument rencontrer untel ou untel.

entretiens des grandes personnalités de

Ils me communiquaient les

la radio.

coordonnées d’un autre. Jacques Pessis m’a donné les coordonnées de

DM : Je suis très fier d’avoir rencontré

93

Zappy Max.



Je voulais que ce livre s’adresse au grand public, à tous ces gens qui ont écouté "Les Grosses Têtes", "La valise RTL", toutes ces émissions mythiques… LFC : Votre livre fourmille d’anecdotes.

têtes avec Philippe Bouvard. La date du 1er avril

n’est pas un hasard. Comme ils avaient peur que

S Eque L I ce NA DM : Absolument, j’adore ça. Je voulais

R I Cl’émission H A R D S ne marche pas, ils se sont dit : nous

livre s’adresse au grand public, à tous ces gens

commençons un 1er avril, comme cela, si c’est un

qui ont écouté Les Grosses Têtes, La valise RTL,

bide, nous pourrons dire que c’est une blague. Et

toutes ces émissions mythiques… Je leur raconte

quarante ans plus tard, ça continue !

comment ces émissions ont vu le jour. Les grosses têtes, c’est une belle histoire humaine. Quand il

LFC : Que pouvez-vous nous dire sur la radio

était gamin, Laurent Ruquier demandait à sa mère

d’aujourd’hui ?

de lui enregistrer Les grosses têtes parce qu’il n’était pas encore rentré de l’école. Il lui préparait

DM : Les changements se situent dans la manière

la cassette. Seulement, il fallait qu’elle retourne la

d’écouter. Les radios libres, c’est finalement une

cassette au bon moment. Parce que les gamins

forme ancienne. Sur le ton, nous ne notons pas

d’aujourd’hui ne savent pas ce que c’est. Mais il

vraiment d’évolution. Nous sommes dans la

s’agissait d’un magnétophone cassette, au bout

continuité des programmes. En revanche, c’est la

de 30 ou 60 minutes, il fallait retourner la cassette.

consommation qui est différente.

Si la mère de Laurent Ruquier oubliait, elle se faisait engueuler. Parce qu’il était passionné par

LFC : Les femmes sont-elles bien représentées

cette émission. Trente ans plus tard, il anime Les

à la radio ?

grosses têtes. C’est une histoire formidable.

95

Réaliser ses rêves d’enfant, il n’y a rien de plus

DM : Je consacre un chapitre qui s’appelle Où

beau. Laurent Ruquier est un vrai enfant de la

sont les femmes ? Parce qu’en 1970, à la radio,

radio. Il faut savoir qu’en 1936, l’émission Les

elles n’étaient pas nombreuses. C’était un univers

grosses têtes existait déjà sous un autre nom : Les

très macho. Philippe Gildas m’a dit que quand

sept sages. Il y avait sept personnages autour

Maryse est arrivée sur Radio Luxembourg, c’était

d’une table : des humoristes et des

une révolution. Ils sont mariés maintenant. Je les

intellectuels qui répondaient à des questions

ai interviewés ensemble. Philippe Gildas disait à

d’auditeurs. Ces derniers gagnaient si les sept

Maryse : tu ne t’en es sans doute pas rendu

sages n’avaient pas répondu. C’est exactement le

compte, mais nous venions te lorgner du coin de

concept des Grosses têtes d’aujourd’hui. Après la

l’œil parce que tu étais la première femme avoir un

Guerre, l’émission s’est appelée Les incollables.

rôle un tout petit peu plus important que la

Ensuite, nous notons un moment d’interruption.

potiche qui donnait l’heure. Elle pouvait déjà

Et le 1er avril 1977, sur RTL arrive Les Grosses

annoncer les disques.


MAGALI BERDAH LFC MAGAZINE #11 JUILLET-AOÛT 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous rencontrons Magali Berdah pour parler de la publication de son premier livre "Ma vie en réalité" chez l'Archipel. Rencontre SELINA RICHARDS avec la fondatrice de l'agence Shauna Events et la chroniqueuse de "Touche pas à mon poste". Photos exclusives et entretien inédit.

LFC : Bonjour Magali Berdah ! Vous publiez

mois d’été parce que c’est une période

votre premier livre Ma vie en réalité

chargée. Je n’aurais pas pu assumer la

(L'Archipel). Comment est née l’idée de ce

promotion. C’est la rentrée. Nous sommes sur

témoignage ?

tous les fronts. C’est donc impossible. L’été, je pense que c’est bien pour que les gens le

MB : Tout a commencé lorsque j’ai vécu une

lisent, qu’ils se requinquent en vacances. Ils se

expérience professionnelle douloureuse avec un

reposent, le liront pour être en forme pour

concurrent qui m’a un peu tourmenté. J’ai rédigé

attaquer la rentrée en septembre. Avec une

un texte que j’ai publié sur Twitter. Je ne sais pas

bonne note positive.

ce qui m’est passé par la tête ce soir-là. J’en avais assez. J’ai exprimé dans ce texte une

LFC : Avez-vous écrit ce livre pour aider les

exaspération qui a été likée et retweetée

lecteurs ?

plusieurs milliers de fois. De là, je pense que les gens ont reconnu certainement leur histoire. Je

MB : Absolument. L’été, c’est le moment où

parlais de surendettement, des problèmes de la

chacun se pose. Nous avons le temps de tirer

vie, des choses courantes qui ont eu un écho

les leçons de l’année écoulée, de faire le point,

retentissant. J’ai reçu de nombreux courriers et

et de revoir nos priorités. Ce livre peut donc

messages d’encouragement sur le web. J’ai reçu

être utile à cette période pour les lecteurs.

deux propositions de la part de maison d’édition.

97

Et j’ai choisi l’Archipel parce que je voulais sortir

LFC : Nous vous avons lu. Nous comprenons

mon livre pour l’été, et non en septembre. Je ne

que vos débuts sont difficiles et pourtant

voulais pas qu’il soit en librairie après les

vous êtes allée très haut. Selon vous, êtes-


vous arrivée si haut parce que vous avez rêvé en grand ?

MB : Non, je n’ai pas rêvé. J’ai surtout encaissé beaucoup. Je n’ai jamais rêvé parce que je n’ai jamais pensé être là aujourd’hui. Même si quelqu’un me l’avait raconté, j’en SE LINA aurais rigolé. Parce que ce n’est pas possible. Surtout d’où je viens géographiquement. Je me suis créé des épaules. J’ai bien encaissé. LFC : Vous avez encaissé, mais vous avez également été attentive aux autres. Car vous avez su saisir les opportunités qui se sont présentées à vous. Vous avez rencontré des mentors-sponsors.

L’été, c’est le moment où chacun se pose. Nous avons le temps de tirer les leçons de l’année écoulée, de R I C Hfaire A R D S le point, et de revoir nos priorités. Ce livre peut donc être utile à cette période pour les lecteurs. à rattraper. Je ne laisse rien passer. Je n’attends pas. Je fonce. LFC : C’est toujours ce que vous dites : vos enfants sont votre moteur…

MB : Complètement. Je profite de l’écriture de ce livre pour les remercier. Même eux, ils

MB : Oui, mes filles, ce sont des poupées. Elles

ne savent pas. Ils ne connaissent pas

méritent que je sois aux petits soins. C’est normal.

forcément ma vie. Et ils ignorent ce qu’ils ont

Je ferais tout pour mes enfants. Le reste, je m’en

pu m’apporter. Ont-ils réalisé ce qu’ils m’ont

fiche. À partir du moment où mes filles sont

donné ? S’ils ne l’ont toujours pas compris,

protégées, tout va bien. Le reste m’importe peu.

avec ce livre, ils vont enfin savoir l’importance qu’ils ont à mes yeux.

LFC : Vos filles vous donnent toute cette énergie que vous avez en vous.

LFC : Vous êtes mère de famille. Vous avez trois enfants. Vous menez de front votre carrière et votre vie de famille. Nous vous

MB : Oui. (Émue)

avons observé, chaque minute compte,

LFC : Votre agence rencontre un vif succès et

pour quelles raisons cette voracité de la

c’est très important parce que le nom de votre

vie ?

agence porte le nom de shauna votre fille : Shauna Events.

MB : Parce que je n’ai plus de temps à perdre. J’ai trente-six ans. J’ai trois enfants. Je me

MB : Oui. (Elle pleure d’émotion)

dois de préparer leurs avenirs. Le temps passe trop vite. Et j’ai énormément de temps

98

LFC : Gilles Verdez signe votre préface. À la


MAGALI BERDAH LFC MAGAZINE #11


Gilles Verdez est paradoxal. C’est un des chroniqueurs les plus sensibles de "Touche pas à mon poste". Les gens le voient comme le plus gueulard et le plus nerveux. Et en réalité, c’est vraiment ce SELINA RICHARDS que je ressens : c’est le plus sensible. télévision, il crie beaucoup. Et là, il dit

MB : Merci. J’ai souhaité faire ce livre

des très belles choses sur vous.

parce que les internautes sur les réseaux sociaux m’ont beaucoup

MB : Gilles Verdez est paradoxal. C’est un

encouragé. Je suis devenu un modèle

des chroniqueurs les plus sensibles de

pour les gens, après avoir été

Touche pas à mon poste. Les gens le

précédemment lynché lorsque j’avais

voient comme le plus gueulard et le plus

eu mes problèmes d’argent. L’histoire

nerveux. Et en réalité, c’est vraiment ce

est folle, mais tellement belle que je

que je ressens : c’est le plus sensible. En

suis ravie de la raconter au plus grand

coulisse : il est calme, il réfléchit, il est

nombre.

discret. Gilles a su parfois m’apaiser dans l’émission. Je ne suis pas chroniqueuse

LFC : Que répondez-vous à ceux qui

professionnelle. J’ai appris directement

disent que vous défendez les

dans Touche pas à mon poste. Avant cette

candidats de télé-réalité parce que

participation, je n’avais jamais fait

c’est votre gagne-pain ?

d’émission TV. Forcément, je fais plus attention à tout. Gilles, d’un regard, il me

MB : Quand on me dit ça, cela montre

rassure. Même ce matin, il m’a dit :

que les gens ne comprennent pas ce

réponses claires, courtes, précises. C’est

que cela implique derrière. Lisez mon

un véritable coach pour moi. Sa sensibilité,

livre ! Ces gens-là ne sont pas des

je la ressens. Il est comme moi. C’est pour

animaux, des bêtes de foire, des

cette raison que je voulais qu’ils m’écrivent

gamins illettrés. Ce sont des êtres

la préface du livre Ma vie en réalité.

humains comme tout le monde qui débordent d’énergie et d’amour, qui se

100

LFC : Votre livre est touchant parce que

sont jetés eux-mêmes dans une télé-

nous vous trouvons sincère.

réalité. Ce sont des gens qui se sont


Je n’ai qu’une vie. J’aime tester de nouvelles expériences. SELINA

RICHARDS

choisi une vie, qui se sont

LFC : Vous participez à Touche

certainement sortis d’une galère.

pas à mon poste. Qu’aimez-vous

Nous savons très bien qu’en télé-

dans cette aventure

réalité, il n’y a pas de BAC+10. Ils ont

audiovisuelle ?

eu une opportunité qu’ils ont su saisir. En soi, ce sont des gens plus

MB : J’aime ce côté débat.

humains que des gens de TV que j’ai

J’adore. C’est vraiment un plaisir

rencontrés, qui ont des grandes

personnel qui m’apporte une

carrières et qui ne sont pas gentils.

crédibilité, une visibilité. Je n’aurais jamais espéré avoir tout

LFC : Votre vie de famille, l’agence,

cela. Il manquait quelqu’un pour

la télévision, le livre… Vous êtes sur

représenter la télé-réalité

tous les fronts !

française qui fait partie de notre télévision. Qu’on l’aime ou non. Ils

MB : Je n’ai qu’une vie. J’aime tester

ont une place dans la télévision.

de nouvelles expériences. Le jour où

Même pour la promotion de mon

il va m’arriver quelque chose comme

livre, des chaînes ont refusé de

tout le monde, eh bien, au moins, je

me recevoir parce que je fais trop

l’aurais fait. Si j’ai envie de le faire, je

télé-réalité ou trop Cyril Hanouna

ne vois pas pourquoi je m’en

Touche pas à mon poste.

priverais. Je m’organise. J’ai embauché du personnel : vingt-sept

LFC : Qu’aimeriez-vous faire que

salariés qui m’aident et qui me

vous n’avez pas fait ?

soutiennent. Ils organisent les choses

101

pour moi pour que je puisse

MB : Aucune idée. Proposez-moi

justement me libérer.

une idée !


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

HÉLOÏSE MARTIN PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous dans le marais avec Héloïse Martin pour une séance de photos exclusives pour LFC magazine et entretien dans lequel elle nous parle de S E L I N A 2". R I CFilm H A R D Sà l'affiche cet été, elle "Tamara donne la réplique à Rayane Bensetti, Sylvie Testud, Bruno Salomone et Blanche Gardin. Cet automne, elle participera également à la saison 9 de "Danse avec les stars" sur TF1.

LFC : Bonjour Héloïse Martin ! Pouvez-vous

Même si c’était un petit rôle, c’était incroyable

nous raconter vos débuts dans le milieu de

d’avoir la chance d’être dans les coulisses d’un

la comédie ?

tournage professionnel avec les acteurs. Tout cela ne me paraissait pas réel.

HM : Depuis toute petite, j’ai toujours voulu être comédienne. Je pensais que c’était

LFC : Comment avez-vous préparé ce casting ?

inaccessible. Et que cela n’était qu’un rêve.

103

Un jour, à l’âge de quinze ans, je me suis

HM : Depuis toute petite, avec mon papa et mon

connectée à Internet sur un site de casting.

frère, nous faisons des vidéos pour la famille, de

Avec le téléphone de maman, en cachette, j’ai

fausses publicités, des sketches. Sur un fond vert,

envoyé ma candidature à une annonce

nous nous amusions à refaire les scènes d’Harry

sérieuse pour un téléfilm qui s’appelle Qu’est-

Potter. Avec les vidéos que mon papa faisait avec

ce qu’on va faire de toi ? Et un jour, ma

nous, j’ai appris des choses. Très régulièrement,

maman vient me chercher au lycée. Et elle

avec mes copines, nous organisions des

m’annonce qu’elle a reçu un coup de

spectacles de danse et de théâtre. Le public,

téléphone pour me dire que je devais passer

c’était nos parents. Et la salle de représentation,

un casting deux jours plus tard à Paris.

notre garage ! (Rires) En CM2, nous avons

J’habitais Rennes. Ma mère était ravie. Elle

imaginé un grand spectacle dans lequel nous

m’a accompagné là-bas. Tout s’est bien

avions tous écrit nos personnages. J’ai

passé. Une semaine plus tard, ma mère me

commencé dès l’âge de quatre ans jusqu’à

récupère au lycée et elle m’annonce que j’ai

aujourd’hui. Ce mécanisme d’écrire, d’interpréter

eu le rôle. C’était une excellente nouvelle !

des personnages qui n’existent pas, de refaire


H É L O Ï S E L F C

M A R T I N

M A G A Z I N E

# 1 1


des scènes, je fais cela depuis toujours. Maintenant, de là à me dire que j’aurais pu en faire mon métier : jamais de la vie ! Pour moi, c’était impossible. LFC : Aujourd’hui, pourtant, c’est bien possible. Vous avez bien participé au

SELINA

téléfilm Qu’est-ce qu’on va faire de toi ? qui raconte l’enfance de Michel Drucker, adapté du livre de ce dernier. Quel rôle endossez-vous dans ce téléfilm ?

Les tournages me font penser à une grande colonie de vacances. Nous vivons tous ensemble.

RICHARDS

HM : J’interprète la toute première petite amie

Cela se déroulait bien. C’était difficile ensuite de ne

de Michel Drucker. (Rires) C’est drôle, car il a

pas avoir de réponses ou alors des réponses

l’âge d’être mon grand-père. Michel Drucker

négatives. Et en parallèle, j’étais régulièrement

adolescent était joué par Jérémie Duvall, qui

convoquée pour d’autres casting. La motivation était

est un ami aujourd’hui. Pour la petite

donc toujours là. Je n’ai jamais perdu espoir. Pour

anecdote, c’était la première fois de ma vie

moi, c’était le temps de la formation. Je devais

que j’embrassais un garçon. Cela s’est passé

apprendre avant de prétendre à mieux. L’échec, nous

sur ce tournage. C’est amusant. Ensuite, j’ai

y sommes forcément confrontés un jour. Je m’y suis

rencontré un agent sur Paris qui m’a

frottée tôt en passant ces nombreux casting. Tant

déclenché plusieurs casting. Je les ai tous

mieux. Ces échecs, je ne les ai pas si mal vécus. Je

ratés. Ceci dit, cela m’a apporté de

croyais en ma chance.

l’expérience : l’entraînement, la régularité d’apprendre des textes, de les travailler, etc.

LFC : Comment vivez-vous les tournages de films ?

Dès que j’ai eu mon BAC, je suis venue à Paris pour prendre des cours de théâtre, m’investir

HM : Les tournages me font penser à une grande

à fond.

colonie de vacances. Nous vivons tous ensemble. Comme j’ai principalement joué dans des comédies,

LFC : Comment avez-vous vécu les

même quand ça ne tourne plus, l’ambiance est à la

contraintes des allers et retours Paris-

bonne humeur. Pour le tournage de Tamara, en

Rennes, les échecs des casting ? Vous

Belgique à Bruxelles, nous nous levions le matin et

n’avez jamais lâché !

nous travaillions jusqu’à 19h ou 20h. Et ensuite, de 20h jusqu’à 1h du matin, nous sommes tous

105

HM : Quand je passais les casting, je

ensemble à l’hôtel à dîner. Je fréquente encore de

connaissais très bien mon texte. J’étais

nombreuses personnes de ce tournage qui sont

souriante, à l’aise dans les improvisations.

devenues de très bons amis.



J’adore Blanche Gardin. Elle est "énorme" dans le film. À chaque fois qu’elle parle, c’est à mourir de rire. Elle faisait des improvisations régulièrement. Elle nous faisait rêver. Nous en prenions les yeux. S E L I N A R I C plein HARDS C’était super de travailler avec elle ! LFC : Et aujourd’hui, vous vous êtes

Tamara 2, actuellement en salles, parle de la problématique

retrouvés, puisque Tamara 2 est à

des réseaux sociaux, des influenceurs, de l’utilisation

l’affiche tout l’été.

déviante des applications avec lesquelles nous pouvons faire du mal aux autres.

HM : Absolument. Nous ne nous sommes jamais vraiment quittés. Ceci dit, c’était

LFC : Tamara 2 est une comédie qui s’adresse à la famille.

bien de pouvoir tourner ce film. Nous étions surpris de voir le succès du film

HM : Oui. Nous parlons aux parents, aux adultes, aux

Tamara. Nous ne nous attendions pas à un

adolescents, et aussi les spectateurs vont découvrir comment

accueil si chaleureux de la part du public.

Tamara devient adulte. Elle va quitter le cocon familial pour

C’était mon premier film ainsi que le

aller vivre à Paris, pour faire ses études, pour croiser des stars

premier film aussi de Rayane Bensetti.

dans la rue, pour avoir une vie de rêve avec ses ami(e)s. Elle va vivre des dilemmes amoureux en se retrouvant en

LFC : Comment avez-vous abordé votre

colocation avec son ex. Elle va s’enflammer avec les réseaux

personnage ?

sociaux, y trouver une forme de revanche sur la vie. Tamara passe de j’étais grosse, je ne pouvais rien faire, personne ne

HM : J’étais blonde, plus mince, etc. À la

m’aimait à aujourd’hui, j’ai de nombreux fans, de followers, de

lecture du scénario, j’étais conquise. Jouer

plus en plus, les marques me sollicitent. Sauf que les limites

ce rôle me plaisait vraiment. Le soir même,

de tout cela la guettent.

je suis allée acheter les BD que j’ai lues. Je me suis reconnue dans ce personnage.

LFC : Blanche Gardin participe également au film.

Même si ce n’est pas moi, c’était mortel de pouvoir jouer ce rôle. Lors du casting, nous

HM : J’adore cette comédienne. Elle est énorme dans le film.

nous étions en accord que si je plaisais à la

À chaque fois qu’elle parle, c’est à mourir de rire. Elle faisait

production, au réalisateur, je n’hésiterais

des improvisations régulièrement. Elle nous faisait rêver.

pas à prendre du poids, à me teindre en

Nous en prenions plein les yeux. C’était super de travailler

brune. Le film a très bien marché.

avec elle !

107


SELINA

RICHARDS

LFC : Pourquoi les lecteurs de LFC Magazine doivent-ils

LFC : Avez-vous peur que ce rôle soit

aller voir Tamara 2 ?

omniprésent ?

HM : C’est un film qui fait du bien. Lorsqu’on sort de la salle, on

HM : Non, absolument pas. J’ai eu la

se sent bien dans sa peau, avec ses amis, sa famille. On

chance de jouer au théâtre avec Richard

relativise un peu. C’est un film qui fait rire sur la société

Berry et Mathilde Seigner dans la pièce La

d’aujourd’hui, sur le passage de l’adolescence à l’âge adulte.

Nouvelle au Théâtre de Paris. Et j’ai

Les personnages grandissent en même temps qu’une partie

d’autres projets.

du public. Ce n’est absolument pas un copié collé du premier. Vos lecteurs peuvent le voir sans avoir vu le premier.

LFC : Quels sont vos projets ?

LFC : Peut-on imaginer un Tamara 3 ?

HM : De janvier à avril 2019, je pars en tournée pour la pièce La Nouvelle. Et je

HM : Peut-être. Nous verrons bien quel accueil va recevoir

participe à Danse avec les stars

Tamara 2.

prochainement, le dernier trimestre 2018.

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LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

GUILLAUME DE TONQUÉDEC

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous dans un hôtel parisien très cosy, dans le quartier de SaintGermain avec Guillaume de Tonquédec pour nous parler de SELINA RICHARDS son livre "Les portes de l'imaginaire" (L'Observatoire) qui s'adresse à tous les lecteurs, avertis ou non. Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Vous publiez Les portes de mon

garder ce titre pour le livre que je trouvais très

imaginaire (L’Observatoire), que nous

joli.

avons beaucoup apprécié. À quel moment sont apparues les portes de mon

LFC : Dans ce livre, vous vous racontez à

imaginaire dans votre esprit ?

travers les livres.

GDT : C’est une très bonne question. J’ai

GDT : C’est très impudique. Je ne pensais pas

travaillé à partir de la proposition de Caroline

que cela m’arriverait. (Rires) Caroline Glorion a

Glorion qui est elle-même journaliste,

eu l’idée de cet angle. Elle souhaite interviewer

scénariste et metteur en scène. Pendant nos

des célébrités populaires pour leur faire parler

entretiens, je lui ai dit que les auteurs avec

de leur rapport à la littérature. Les éditions de

leur imaginaire avaient ouvert les portes de

l’Observatoire lancent cette nouvelle collection.

mon imaginaire. J’ai toujours été un enfant

C’est une très belle idée.

qui a eu du mal à apprendre à lire et à écrire. Ainsi, la lecture à voix haute ou silencieuse

LFC : Au début, c’est mal engagé pour vous.

était un véritable calvaire à vivre. Quand je

Vous racontez votre enfance, vos obstacles…

reçois des textes à lire pour mon métier, ce

Et quand on voit le comédien que vous êtes

n’est pas forcément une bonne nouvelle de

devenu, votre parcours distille de l’espoir

devoir lire. Non pas d’avoir à lire le contenu,

aux autres.

car très souvent, je suis sauvé par le contenu.

110

Si l’auteur a excité mon imaginaire, cela ouvre

GDT : Merci pour vos mots. C’est exactement ce

les portes de mon imaginaire. J’ai décidé de

que je voulais faire. Quand Caroline est venue


dans les coulisses de la pièce de théâtre La garçonnière que je jouais à l’époque au Théâtre

de Paris, et qu’elle m’a proposé l’idée, tous ses souvenirs d’enfance sont revenus. La douleur d’apprendre à lire, une souffrance que j’ai toujours aujourd’hui lorsqu’il s’agit de lire. Alors que j’adore ça. Je m’apprêtais à lui dire non. SE LINA Sauf que comme je n’aime pas être désagréable frontalement, je lui ai dit : envoyez-moi svp votre projet par mail, je vais l’étudier et je ferais si j’ai le temps. Arrivé chez moi, je me suis dit : comme il cherche quelqu’un de populaire, pourquoi ne pas faire un témoignage sur cette souffrance et peut-être le faire à l’intention des autres, des enfants qui pourraient connaître la même difficulté aujourd’hui. Ou alors des adultes que nous sommes et qui conservent en eux le petit enfant qu’ils étaient. Et qui ont encore peut-être les mêmes problèmes aujourd’hui. Quand j’ai

parlé du pitch du livre, j’ai rencontré de nombreuses personnes qui se sont reconnues ou qui avaient un proche dans la même situation. J’ai eu envie de faire œuvre utile

Si je peux aider quelqu’un à ouvrir un livre et lui dire que les auteurs peuvent RICHARDS changer une vie, j'aurai atteint mon objectif. C’est quelque chose qui me déclenche une grande colère. La culture appartient à tous. Elle peut changer le monde. Je le pense profondément. Prenez votre culture pour vousmême ! Prenez celle que vous voulez ! Un grand auteur, ce sera celui qui changera votre vie. Ce ne sera pas forcément le même que le mien. Ce qu’il faut, c’est d’avoir accès à la culture générale. D’ailleurs, un auteur peut être aussi un peintre, un musicien…

parce que je ne me sentais pas du tout légitime

LFC : Le point de départ de votre livre, c’est la

en tant que comédien de parler de littérature.

littérature. Mais ensuite, la littérature se

Donner mon avis savant sur Corneille, Molière,

mélange à la peinture… Tout est ouvert.

Victor Hugo, je pense que cela n’a aucun intérêt. Ceci dit, si je peux aider quelqu’un à ouvrir un livre et lui dire que les auteurs peuvent changer une vie, j'aurai atteint mon objectif. Il est nécessaire de prendre notre culture en mains, et non celle que nous voudrions nous imposer, celle qu’on a essayé de nous imposer à l’école, peut-être maladroitement. Ou même dans la vie, certains pensent détenir la culture. Et eux seuls y ont accès.

111

GDT : Je ne savais pas trop où j’allais quand nous avons commencé cette aventure. Et c’est devenu absolument passionnant. Parce que cela m’a permis de faire un point sur ce que je pense de mon métier, sur ce que je pense de la littérature, de la vie. Une plongée passionnante grâce à ce point de départ sur la littérature où finalement je suis allé beaucoup plus loin, comme de parler de mon métier, de cette passion pour le jeu.


G U I L L A U M E L F C

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M A G A Z I N E

# 1 1


Je ne souhaite pas raconter ma littérature, donner un avis savant sur "je ne sais quoi". La culture appartient à tous. C’est à chacun de la prendre au moment où il en SELINA RICHARDS a envie ou besoin. LFC : Les étapes sont progressives. L’école primaire,

GDT : Merci de comprendre aussi bien ce que je

c’est un moment de vie coincée. Au collège, les

souhaite faire. Encore une fois, je ne souhaite

choses vont mieux grâce au théâtre. La passion se

pas raconter ma littérature, donner un avis

révèle à vous grâce à des passeurs.

savant sur je ne sais quoi. La culture appartient à tous. C’est à chacun de la prendre au moment

GDT : Absolument. Je parle de ma première professeur

où il en a envie ou besoin. Et que les auteurs

de théâtre. Ma professeur de français, que j’ai eu la

puissent changer une vie, je le pense vraiment

chance d’avoir en quatrième et troisième faisait

parce que je l’ai vécu. J’ai fait ce livre avec ce

intervenir une professeur de théâtre. Je rêvais

cahier des charges en collaboration avec

secrètement d’être dans son cours. Parce que je n’avais

Caroline Glorion. Je souhaitais que ce soit un

qu’une envie, c’était de devenir comédien. J’étais

témoignage qui serve aux autres. Et non qui

tellement timide que jamais je n’aurais osé pousser la

donne un avis intellectuel. Que cela puisse peut-

porte d’un cours d’art dramatique. Donc, j’ai prié pour

être changer leurs vies. Comme moi, certains

être dans sa classe. J’ai été dans sa classe. Et elle a

auteurs ont changé ma vie.

maintenu cette discipline cette année-là. Elle a dit : il y a du théâtre au programme. Le théâtre est fait pour être

LFC : Vous dites qu’il faut cultiver sa

joué. Nous allons jouer les pièces que vous avez au

différence.

programme. Je fais venir pour cela la professeur de théâtre. Et le premier cours du théâtre de ma vie, c’était

GDT : La rencontre avec ce professeur de

donc au collège grâce à ces deux professeurs de

théâtre a fait profondément bouger les lignes.

français et de théâtre. C’était la confirmation de ma

Je suis retourné vers mon professeur de français

vocation. Je veux faire ça ! J’ai suivi ce professeur de

et je lui dis : maintenant, tu vas m’apprendre

théâtre en dehors des portes du collège.

l’orthographe et la grammaire. J’ai rencontré une

troisième femme, une psychomotricienne qui

113

LFC : Aujourd’hui vous avez acquis une notoriété.

m’a aussi aidé. Dans ma vie, il n’y a que des

Vous publiez ce livre. C’est à votre tour d’être

femmes sympas. Je lui ai dit : je ne sais pas lire à

passeur ?

voix haute. Aidez-moi ! Au secours ! Comme je


G U I L L A U M E L F C

D E

T O N Q U É D E C

M A G A Z I N E

# 1 1


La chance ne sourit qu’aux esprits préparés. Il n’y a pas que des hasards. Il faut travailler le hasard. veux être comédien, si je n’y parviens pas, comment vais-

hasard.

je arriver à mes fins ? Bien m’en a pris. Puisque depuis,

j’ai beaucoup lu à voix haute et je joue également ce roman, vous citez Sylvain S E L I N àA voix R I C H LFC A R D: Dans S haute. Elle m’a appris à lire. Je lisais comme un enfant

Tesson. Pourquoi ?

qui débute en CP en hachant les mots, sans respirer, en m’étouffant moi-même avec mon propre air, une

GDT : Cet auteur a réussi à mettre les mots

angoisse absolue. (Rires)

exacts sur une pensée que j’avais en moi. Une pensée floue peut devenir extrêmement précise

LFC : Vous parlez de chance dans votre livre. Et vous

grâce à un auteur qui va mettre des mots sur ce

dites quelque chose de précieux. Cette chance, il faut

que vous ressentez. Comme si tout d’un coup,

la travailler, savoir en faire quelque chose.

l’auteur s’adressait directement à vous, lecteur. C’est pour cela que Sylvain Tesson le fait dans

GDT : J’ai collecté dans mes agendas des phrases

son livre Les forêts de Sibérie. Et surtout, il a

d’auteurs qui me touchent. Comme des cadeaux. J’ai de

cette démarche complètement incroyable de

l’or entre les mains. Que puis-je en faire ? Il n’y a pas très

partir avec des malles remplies d’auteurs qu’ils

longtemps, j’ai noté une phrase de Jacques Brel. Ce sont

aiment pour les lire dans un endroit totalement

des mots qui me touchent, des pensées qui me

hostile, où le froid et la solitude règnent. Pouvoir

traversent comme ça. Je les note. Comme cette phrase

s’interroger avec de grands auteurs dans ce

de Louis Jouvet dans Réflexions du comédien qui dit : ne

contexte-là, je trouve l’idée absolument géniale.

pas ignorer la loi essentielle de la chance, qui veut qu'on lui sourie, qu'on l' espère et qu'on lui fasse confiance.

LFC : Seriez-vous prêt à faire comme lui ?

Cette phrase m’a beaucoup frappé. Et quand j’ai été

115

nommé avec beaucoup de joie au César pour le second

GDT : Carrément. J’adore l’idée ! Raphaël

rôle dans le film Le Prénom, j’ai préparé un

Personnaz qui est un copain a joué le rôle.

remerciement au cas où je saurais choisi par la

J’aurais adoré jouer ce personnage pour cette

profession. Ce qui m’est arrivé. Et j’ai donc cité cette

raison-là. J’aimerais le faire. En aurais-je le

phrase à la fin. Parce que je disais aux gens : quelle

courage ? Il faut être courageux ou inconscient,

chance j’ai d’être nommé ! Tous me disaient : mais non,

voire même les deux. C’est l’idée de se retrouver

ce n’est pas cela, c’est ton travail. C’est ton talent. Je

face à soi-même. Au début, c’est simple, on fait

répondais : je te remercie beaucoup pour toutes ces

ses bagages, on voyage, on arrive avec ses

gentilles paroles. Mais je pense à la phrase telle que

malles de livres et puis la première nuit tombe.

l’entend Louis Jouvet. C’est une chance qui se travaille,

Les bruits du lac qui gèle font un raffut

qui se prépare. Où la chance ne sourit qu’aux esprits

épouvantable. Les peurs commencent… Cette

préparés. Il n’y a pas que des hasards. Il faut travailler le

expérience personnelle peut être traumatisante.


G U I L L A U M E L F C

D E

T O N Q U É D E C

M A G A Z I N E

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Dans une époque où le secret n’existe plus à cause de nos portables. Se retirer du monde pour retrouver le secret, c’est quand même une très belle et forte idée. Le luxe absolu serait-il d’avoir des secrets ? Dans une époque où le secret n’existe plus à cause de

Mélanie Auffret. Le film devrait

nos portables. Se retirer du monde pour retrouver le

s’appelait Merci ma poule ! Autre

secret, c’est quand même une très belle et forte idée. Le

projet, je viens aussi de finir de

luxe absolu serait-il d’avoir des secrets ?

tourner le film de Ladislas Chollat

SELINA

RICHARDS

qui est un immense metteur en LFC : Le livre, le cinéma, la télévision et le théâtre.

scène de théâtre. Et qui se lance

Avez-vous assez de temps pour écrire un prochain

dans le cinéma avec un film sur la

livre ?

danse. Je joue un professeur de danse classique, ancien danseur

GDT : (Rires) J’ai des envies d’écriture de scénarios de

étoile qui est au bout de sa vie. Et

cinéma ou même une pièce de théâtre. J’ai commencé à

qui va retrouver le goût de vivre

travailler sur des projets. En tant que comédien, les

grâce à des jeunes qui font du hip-

propositions de collaboration sont nombreuses et

hop. Sa vie à ce personnage va être

motivantes. Je m’y investis. Du coup, je n’ai pas pris le

bouleversée dans tous les sens du

temps d’aller vers l’écriture d’un autre livre. Ceci dit,

terme. Vous verrez ; avec ce film, un

pourquoi pas un jour ! La porte est ouverte.

nouveau metteur en scène de cinéma est né en la personne de

LFC : Quels sont vos projets ?

Ladislas Chollat !

GDT : Je termine en juillet le tournage d’un film où un

LFC : Et des projets théâtre ?

agriculteur voit son exploitation en péril. Il élève des

117

poules pour fabriquer des œufs bio. Il va utiliser son don

GDT : J’ai eu beaucoup de

pour le théâtre pour sauver son exploitation. Il va réaliser

propositions pour septembre 2018,

des petites vidéos avec ses poules en leur déclamant

pour janvier 2019. J’ai dit non. Car

Cyrano, Molière, etc. Sauf qu’il prend vraiment sur lui, car

j’ai besoin d’avoir l’envie d’avoir

c’est une passion secrète qu’il a toujours cachée. Tout

envie comme disait Johnny

simplement parce que c’est la honte dans son milieu de

Hallyday. C’est un tel sacerdoce :

parler de littérature, d’auteurs… Ce personnage m’a

l’exigence du calendrier, les

beaucoup touché parce que c’est très drôle. Et très

répétitions, la présence quotidienne

poétique. Il va être obligé de faire son coming out

sur scène. Bien sûr, je referais du

culturel. Ce qui va bouleverser son monde. C’est le

théâtre, mais pas tout de suite. Je

premier film d’une jeune femme, fille d’agriculteur elle-

reste concentré sur les tournages en

même qui connaît très bien son sujet, qui s’appelle

ce moment.


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

L'INTERVIEW ORAGEUSE DE LAURENT BETTONI

BERNIE BONVOISIN PHOTOS : PINGOUIN AR, BERNIE BONVOISIN, MATNINA

LAURENT BETTONI EST ROMANCIER IL A PUBLIÉ LES REMORDS DE L’ASSASSIN (MARABOUT THRILLER) TOUJOURS DISPONIBLE EN LIBRAIRIE


L’interview que m’accorde aujourd’hui Bernie Bonvoisin, le leader absolument pas antisocial – au contraire – de Trust se révèle hautement orageuse, à bien des égards. Cela commence par la météo, qui fait régner sur le pays en général, et sur cet entretien en particulier, une ambiance de fin du monde. Les éclairs déchirent le ciel, une pluie diluvienne s’abat sur nos têtes et déverse des trombes d’eau en un S E aveuglément L I N A R I C H A Ret DS temps record, la foudre frappe n’épargne pas le réseau Internet qui nous relie, si bien que notre connexion Skype finit par rendre l’âme et que nous sommes obligés de terminer notre conversation au téléphone. Mais l’orage s’entend aussi parfois dans la voix de Bernie, lorsqu’il évoque tout ce qu’il a vu, toute l’injustice et la misère auxquelles il a été confronté et dont sont victimes les enfants, véritables héros martyrs de son livre. Dans un monde prétendument de plus en plus évolué, de plus en plus civilisé, l’horreur et la barbarie ont encore de beaux jours devant elles. Bernie Bonvoisin en témoigne avec l’énergie et l’engagement qu’on lui connaît depuis toujours. Avec courage aussi, celui de ne pas parler la langue de bois. Car il n’épargne personne, tous les responsables en prennent pour leur grade : les dictatures, les « démocrassies », les organismes humanitaires. Personne ne passe entre les gouttes. On y revient, décidément, le temps est à l’orage sur la planète, et ce sont les gamins qui en souffrent le plus, comme nous pouvons le constater dans cet ouvrage d’utilité publique, à lire de toute urgence et écrit par un vrai « rockœur » : "La Danse du chagrin", de Bernie Bonvoisin, aux éditions Don quichotte.

anglaise, à Alep, avec l’interview d’une petite fille, j’ai eu un déclic. Je ne sais pas pourquoi cela s’est produit à ce momentlà, mais je me suis senti interpellé. Alors je me suis débrouillé pour trouver un contact qui me permettrait de me rendre au Liban et d’interroger ces gosses. J’ai donc rédigé un synopsis assez succinct puis j’ai contacté l’agence

LFC : Nous avons le sentiment que ce livre apparaît comme la trace écrite

Premières lignes, fondée

d’un reportage télévisé que vous avez tourné en 2015, intitulé Paroles

par Paul Moreira. Je suis

d’enfants syriens. Un 36 minutes a été diffusé dans Envoyé spécial et un 52 minutes sur La Chaîne parlementaire. Pouvez-vous nous parler de ce

tombé sur Rachel Isolda,

projet, nous expliquer votre démarche ?

Paul. Lui était en Ukraine,

qui était l’assistante de à Kiev, au début des

BB : Je m’intéresse beaucoup à ce qu’il se passe au Moyen-Orient. J’ai suivi la

événements. Elle lui a fait

révolution arabe et le conflit syrien. Et quand j’ai vu le reportage d’une chaîne

parvenir mon synopsis

119


par mail, c’était un vendredi. Il m’a rappelé le samedi matin, vers 10 heures. Il a trouvé le projet intéressant et il a aimé l’idée que ce soit quelqu’un de ma sphère qui le réalise. Il m’a demandé de contacter son associé, Luc Hermann, et j’ai pris rendez-vous avec lui. Luc a apprécié le projet à son tour.

SELINA

Ma démarche était d’expliquer le conflit à travers le regard des enfants. Et ce qui m’a sauté au visage, dès le premier jour avec eux, en les écoutant lire les textes qu’ils écrivaient sur le sujet, c’est leur maturité. Nous avons commencé par nous en émerveiller. Mais nous avons compris, en discutant avec les psychothérapeutes qui encadraient les enfants sur place, que cette maturité était leur mal. Tout le travail consistait au contraire à les ramener à des choses de l’enfance. Le livre est une belle complémentarité du reportage. J’ai couché sur papier des émotions et des sentiments que j’ai éprouvés sur place, à des instants précis, et que je retranscrivais scrupuleusement le soir, après avoir vu à longueur de journée des gens épuisés, cramés, des enfants jouer au milieu de déchets toxiques, des familles vivre comme des bêtes dans des endroits qui puent la mort. Rien ne prépare à cela. Même si l’on sait, avant de partir, qu’on va voir des choses qui ne sont pas glamour, on reste très loin de l’horreur de cette réalité et de cette souffrance. LFC : Vous trouvez que l’on nous délivre une information aseptisée de ce qu’il se passe là-bas, dans nos journaux

120

Ma démarche était d’expliquer le conflit à travers le regard des enfants. Et ce qui m’a sauté au visage, dès le premier jour avec eux, en les écoutant lire les RICHARDS textes qu’ils écrivaient sur le sujet, c’est leur maturité. occidentaux, qu’ils soient télévisés, radiophoniques ou imprimés ? BB : Oui. Hormis dans de rares médias, nous n’avons en général aucune idée de ce qui se trame réellement. J’ai filmé des enfants âgés de 7 ans utilisés comme esclaves et qui travaillent pour 2 € par jour, alors que des hernies leur sortent du ventre. J’ai vu en vingt-huit jours ce que l’Unicef, censée bien connaître le problème, n’a pas vu en cinq ans, ce genre de chose m’étonne. Et le responsable de cet organisme à Paris me dit que je ne suis pas tendre avec eux… LFC : Il y a une charge assez virulente contre l’Unicef, à la fin du livre, qui va peut-être surprendre ou choquer certains lecteurs. Mais si vous menez cette charge, c’est que vous avez vos raisons. Quelles sont-elles ?

L’humanitaire, le vrai, c’est H24. Les gens meurent le week-end, les femmes accouchent, la misère ne s’arrête pas. Or les bureaux des ONG ferment le vendredi à 17 heures et rouvrent le lundi matin à 9 heures ou 10 heures.


B E R N I E L F C

B O N V O I S I N

M A G A Z I N E

# 1 1


BB : Je l’assume. Cette charge, en fait, je la mène

livre, du travail remarquable de deux

contre tout ce que j’appelle les marques. Ce sont

associations. La première, c’est

les grosses ONG qui entretiennent l’horreur de telles situations car cela génère beaucoup

Fraternity Association, la seconde, c’est Beyond Association. Quelles sont leurs

d’argent. Ce que je raconte, à la fin du livre, c’est

actions ?

ce deal passé entre les grosses ONG et l’État libanais. Il consiste en la chose suivante : on

BB : Fraternity Association est basée à

donne l’argent à l’État libanais, il le gère et est dirigée par Abou S E Lcomme I N A ilR I C H ABurj’l R D Barajneh S veut, et en contrepartie ces gens en souffrance

Fadi. Le camp hébergeait 20 000

ne viennent surtout pas chez nous.

Palestiniens et en a accueilli 23 000 supplémentaires, venant de Syrie. Il y a

C’est toujours déplacé de dire cela, car les ONG

donc eu un doublement de population,

ont une image de personnes avec des ailes dans

avec des problèmes de place pour loger

le dos et qui marchent sur l’eau. Heureusement, il

les gens, mais ils l’ont fait quand même. Et

y en a qui sont ainsi, mais trop peu.

il n’y a aucun communautarisme ni

Avant cela, j’ai une amie qui est une grande

idéologie politique, dans cette

psychiatre et qui a tout largué, après avoir élevé

association, elle est complètement laïque.

ses enfants, pour aller s’occuper des enfants

Les garçons sont mélangés avec les filles,

soldats – en Bosnie, au Mozambique, etc. Elle

dans les classes. Ce projet a mis trois ans à

travaillait pour une grosse ONG française. Les

voir le jour, mais aujourd’hui c’est un

membres de cette ONG lui disaient : Laisse

succès, les parents se battent pour que les

tomber, ces gamins sont perdus, qu’est-ce que tu

enfants entrent dans cette école, car les

te fais chier à perdre ton temps là-dessus ?

personnes responsables de l’éducation

Une autre amie, actrice, est allée tourner un

sont totalement dévouées aux jeunes. Ils

documentaire en Afghanistan. Elle était en

leur apprennent la tolérance, le

contact avec une autre ONG dont les membres

discernement et touts ces valeurs

vivent comme des nababs, se font servir par des

essentielles à leur âge.

loufiats et roulent dans des 4 x 4 à 60 000 €. Voilà à qui profitent ces situations horribles. L’humanitaire, le vrai, c’est H24. Les gens meurent le week-end, les femmes accouchent, la misère ne s’arrête pas. Or les bureaux des ONG ferment le vendredi à 17 heures et rouvrent le lundi matin à 9 heures ou 10 heures.

122

On fait travailler les enfants, car ils ne sont pas contrôlés, contrairement aux adultes. On fait des ces enfants des enfants esclaves, obligés de travailler pour subvenir aux besoins de toute la famille, pour 4 € par jour.

LFC : Pour mettre en lumière ceux qui

Beyond est dirigée par Maria Khayat. Il

travaillent vraiment, H24, vous parlez, dans ce

s’agit d’une association qu’elle a financée


elle-même. Par exemple, elle a monté un Samu,

Les enfants sont très difficilement acceptés

opérationnel H24. Tous les membres actifs de

dans les écoles, par exemple. On dit aussi

l’association sont bénévoles – étudiants, grands

qu’on reconnaît un Syrien à l’odeur de son

médecins américains – et répondent aux

sang, voilà le genre de blague qui circule.

urgences en temps réel, car il ne peut pas y avoir de latence dans ce que vivent les victimes. Des

LFC : Vous parlez de la double peine

enfants se font mordre par des rats, la nuit, car ils

d’avoir été d’abord Palestinien puis

vivent dans des trous en putréfaction. S EDes LINA familles de dix à quinze personnes s’entassent

dans des pièces minuscules et vivent par terre. Il

R I C H Aensuite R D S Syrien, et pour illustrer cela, vous

racontez l’histoire d’une petite fille, Iman. Quelle est cette double peine ?

n’y a pas d’évacuation des eaux, la promiscuité est terrifiante, on tue les gens à petit feu.

BB : Iman vient du camp de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, qui a subi 680 jours

Les adultes ne peuvent pas travailler. Lorsqu’ils

de siège, avec Daech d’un côté et l’armée

arrivent au Liban, ils signent une décharge,

de Bachar el-Assad de l’autre. Elle est donc

s’engageant à ne pas travailler. Donc on fait

partie de Yarmouk pour arriver au Liban et

travailler les enfants, car ils ne sont pas contrôlés,

se retrouver dans les mêmes conditions. Les

contrairement aux adultes. On fait des ces

Palestiniens n’ont pas davantage de statut

enfants des enfants esclaves, obligés de travailler

au Liban qu’en Syrie, ils sont à peine tolérés.

pour subvenir aux besoins de toute l a famille,

Et ils sont terrifiés, exploités, étouffés

pour 4 € par jour. Et sur ces 4 €, le responsable du

lentement.

camp en prélève 2. Les enfants travaillent de

racisme.

Ce sont des êtres humains comme les autres, ce sont des familles qui étaient installées, des gens qui avaient des maisons, qui étaient fermiers, cadres supérieurs, médecins, chercheurs et qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés sans rien, traités comme des bêtes.

LFC : Le racisme de qui envers qui ?

Iman, dans un premier temps, a vécu dans

6 heures du matin à 14 heures, ou 16 heures quand il fait beau. Les moments où ils ne travaillent pas, c’est quand il pleut. Ces gamins de 7 ans vont gratter la terre à longueur de journée, avec une paire de sandales et un teeshirt sur le dos, sans rien à se mettre dans le ventre. Et dans le documentaire je n’aborde pas le harcèlement sexuel, les viols, les coups, le

un camp, au Liban, avant d’aller vivre chez

123

BB : Le racisme des Libanais. Le Liban est un

sa grand-mère. Entre-temps, son père est

pays dans lequel il y a beaucoup de pauvres et

parti en Europe. Car beaucoup de ces

qui a du mal à subvenir aux besoins de cette

enfants vivent seuls, au Liban, pris en

population défavorisée. Alors, forcément, avec

charge par les associations que nous

l’arrivée des Syriens, cela crée un racisme latent.

évoquions, et leurs parents sont morts ou



Cette manière d’apporter la démocratie est crasseuse. D’où l’orthographe « démocrassie ». Cela ne peut que générer de la haine. Quand un enfant vous voit mettre son père à genoux, avec un fusil sur la tempe, ou le tabasser, cela ne conduit qu’à la violence et au dégoût. ont gagné l’Europe pour tenter de les y faire venir

de prétendre à cela, de prétendre instaurer la

dès que possible.

démocratie quelque part avant de l’appliquer

SELINA

R I Cchez HAR DS soi. Ensuite, je trouve étrange que ces gens

LFC : Que vous disent tous ces réfugiés que

apportent la démocratie avec des B52, avec des

vous avez rencontrés, quels sont leurs

hommes armés qui rentrent chez les gens en

messages, leurs rêves ?

pleine nuit pour terroriser des familles entières. Je ne comprends pas la démarche d’apporter les

BB : Ce qui m’a le plus frappé, c’est leur soif de

choses de cette façon.

retourner chez eux et cette non-envie de venir vivre en Europe. Ce sont des êtres humains

Au-delà de ça, cette vision et cette conception du

comme les autres, ce sont des familles qui étaient

monde n’intéresse pas ces peuples-là. Ce sont

installées, des gens qui avaient des maisons, qui

des gens extrêmement éduqués qui n’ont de

étaient fermiers, cadres supérieurs, médecins,

leçons à recevoir de personne, et en tout cas pas

chercheurs et qui, du jour au lendemain, se sont

de nos sociétés occidentales ; elles n’en ont pas

retrouvés sans rien, traités comme des bêtes, alors

l’étoffe ni la légitimité. Cette forme d’ingérence

que leur seule aspiration est que leurs enfants

continuelle et perpétuelle est l’une des causes

aillent à l’école, aient une éducation, un toit sur la

principales à ce cancer qui ronge cette région du

tête, mangent à leur faim et aient un travail. Ça,

monde depuis des décennies.

c’est la quête de tout un chacun, sur cette planète. Le souci premier de toutes ces personnes

Dernièrement, Trump a déclaré que le

est de rentrer chez elles. Elles sont habitées par un

gouvernement en place en Iran ne lui convenait

vrai nationalisme, un beau nationalisme d’amour

pas. Mais on s’en bat les c…, de ce qui convient

de la patrie – comparé à une mère ou à une petite

ou non à Trump ! Qu’il se préoccupe déjà de ce

fille – et non du rejet du repli sur soi ou du rejet de

qu’il se passe chez lui.

l’autre. Je trouve ça incroyable, cette capacité que nous LFC : À propos du repli sur soi et du rejet de

avons, en Occident, à dire ce qui nous convient

l’autre, vous dites que les États-Unis sont les

ou non dans le reste du monde. Il faut frôler la

plus gros fournisseurs au monde

perfection pour s’ériger en juge absolu, non ? Or

de démocrassie. Pouvez-vous expliquez le

nous en sommes loin.

concept derrière le néologisme ?

Et en vérité, nous ne sommes pas en guerre de BB : Je trouve, en premier lieu, très présomptueux

125

civilisation mais en guerre de valeurs. Nous


pensons que nos valeurs sont

qu’à un moment donné

supérieures à celles des autres. Et nous

des pays nous ouvrent

voulons les leur imposer par la force,

leurs portes pour que

reniant ainsi ce que l’on prône. Donc

puissions nous réfugier

comment ces gens-là pourraient nous

chez eux. Les réfugiés

respecter ou respecter nos valeurs ?

sont des gens qui partent parce qu’il y a la guerre.

Cette manière d’apporter la démocratie

Le petit Ali que j’ai

est crasseuse. D’où l’orthographe

rencontré, âgé de 11 ans,

démocrassie. Cela ne peut que générer

a vu son père se faire tuer

de la haine. Quand un enfant vous voit

devant lui. Voilà pourquoi,

mettre son père à genoux, avec un fusil

il a fui la Syrie. Cela n’a rien

sur la tempe, ou le tabasser, cela ne

à voir avec le fait d’être un

conduit qu’à la violence et au dégoût.

migrant, et les commentateurs

LFC : Pour finir sur un dernier point de

professionnels ne doivent

sémantique, vous distinguez les

pas commettre cette

migrants des réfugiés et cela vous

erreur de langage, ils ne

énerve que cette distinction échappe

doivent pas faire

à beaucoup.

l’amalgame, c’est insupportable. Cela laisse

VR : Un migrant part de chez lui pour des

croire que ces gens

raisons économiques, ou de sécheresse,

viennent chez nous

ou climatiques, etc., et il traverse le

prendre notre pognon et

monde en barque ou à pied, en se

nos allocs, alors qu’il n’en

faisant tabasser, voler, pour venir trouver

est rien. Ils veulent avant

du travail dans ce qu’il pense être un

tout rester chez eux, sans

eldorado.

personne qui les tue ou les

Un réfugié fuit son pays, par exemple la

viole.

Syrie, parce qu’un dingo lui jette tous les jours sur la tronche des barils de TNT ou

C’est ce que nous disaient

du gaz, qui attrape sa femme et la viole,

les gamins interrogés,

etc.

aucune famille ne devrait vivre de tels déchirements

126

Souvenons-nous que nous aussi nous

ni subir de telles

avons pris nos valises pour sillonner les

explosions. Et nous ne le

routes et que nous avons été contents

souhaitons à personne.


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

BERNARD MINIER ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : EMANUELE SCORCELLETTI XO ÉDITIONS


Juin 2018, nous avons rendezvous dans les locaux de la maison d'édition XO, perchés dans la Tour Montparnasse, pour un entretienfleuveS Eavec Minier. On lui doit L I N A RBernard ICHARDS "Glacé". Aujourd'hui, il publie "Sœurs" qui rencontre un vif succès en librairie. Entretien inédit avec l'un des poids lourds du thriller français.

LFC : Vous publiez votre sixième roman

pour le grand format et la version poche,

Sœurs (XO Éditions) qui a déjà cumulé 150

l’adaptation en série TV sur M6 jusqu’à une

000 exemplaires vendus en grand format.

diffusion à l’internationale proposée par Netflix.

Incroyable ! Je me souviens encore de notre toute première interview pour Glacé.

BM : C’est fou ! La série est diffusée dans 190 pays.

Quel parcours ! Bravo !

C’est comme cela que j’ai pris conscience de la force de diffusion de Netflix. Je ne pensais

BM : Lorsque nous regardons en arrière

absolument pas qu’il était à ce point partout. J’ai

comme vous me le proposez, c’est

même vérifié tellement je trouvais cela ahurissant.

absolument fabuleux. Tout cela a pris des

Netflix est bien diffusé dans 190 pays. Je me suis

proportions inespérées. Tout s’est emballé

même renseigné sur le nombre de pays que

depuis Glacé à une vitesse folle. Pour un

comptait notre planète. Apparemment, il y en a 193.

premier roman, il s’est passé des choses

Cela veut donc dire qu’il y a trois pays qui auraient

extraordinaires. Et depuis, de livre en livre,

échappé à Netflix. Incroyable ! On retire la Corée du

tout cela n’a pas cessé de grandir, avec des

Nord. Il n’en reste plus que deux.

lecteurs de plus en plus nombreux. Je suis comblé !

LFC : Quel regard portez-vous sur l’adaptation de votre thriller Glacé en série TV ?

LFC : Revenons sur votre premier roman

128

Glacé, votre premier succès. Vous avez

BM : C’est toujours difficile d’en parler. Je n’ai pas

tout eu : le succès des critiques, des

participé au scénario. Les droits ont été vendus à

libraires et l’engouement des lecteurs

Gaumont. C’est une aventure que j’analyse


complètement indépendante du roman. Ce sont des supports différents. Même si la série est inspirée de mon livre, je perçois cela comme un autre univers en parallèle. Mes livres sont comme mes enfants, pour utiliser un cliché éculé. J’ai donc dû mal

S E être LINA effectivement à les lâcher, à les laisser éduqué par quelqu’un d’autre. Dans la série, bien entendu, des choses me plaisent, comme le casting : Charles Berling et Pascal Greggory sont deux comédiens de théâtre et de cinéma, avant d’être de bons acteurs de

Lorsque nous regardons en arrière comme vous me le proposez, c’est absolument fabuleux. Tout cela a pris des proportions inespérées. Tout s’est emballé depuis Glacé à une vitesse folle. Pour un roman, il s’est passé R I Cpremier HARDS des choses extraordinaires. Et depuis, de livre en livre, tout cela n’a pas cessé de grandir, avec des lecteurs de plus en plus nombreux. Je suis comblé !

télévision. La réalisation est soignée, les

s’approprie le livre. Et il en fait quelque chose de

décors retranscrivent bien l’atmosphère du

très personnel. Parce que justement il existe ce

livre. Ils ont été tournés sur les lieux où mon

rapport très intime entre le livre et le lecteur dont

imagination a fait le travail. Même si dans le

il est question aussi dans Sœurs, mon nouveau

roman, la ville est imaginaire. Elle est très

roman. Chaque lecteur s’approprie le livre et le

inspirée de Bagnères-de-Luchon. Après, il y a

fait sien. Quand arrive une série TV, que les

des choix scénaristiques que j’ai moins bien

choses sont figées par les images, très souvent,

compris. Ils ont fait des choix radicaux par

le lecteur n’y trouve pas son compte. Et cela est

rapport à la proposition du roman. Parfois, les

normal. Mes lecteurs s’étaient imaginé Servaz,

choix radicaux, c’est bien. La plupart des

mon personnage récurrent, d’une certaine

adaptations sont souvent des trahisons. Je

manière. Et d’un seul coup, à la télévision, on

pense à Stanley Kubrick, qui propose des

propose un autre visage de Servaz. Sœurs est le

films qui sont souvent adaptés à partir

premier roman que j’ai écrit après avoir vu la

d’œuvres littéraires. Lolita, Shining, 2001,

série. Quand je suis dans mon univers, je suis

l’Odyssée de l’espace ou encore Orange

enfermé dedans. La série est ailleurs. Elle est

Mécanique. N’oublions pas que ce sont des

extérieure à mon monde. Elle utilise mes

livres avant d’être d’excellents films. La patte

personnages dans un autre lieu, parallèle.

créative de Kubrick passe par là. Il a

Quand je me plonge dans mon univers, je

beaucoup trahi pour notre plus grand

retrouve Martin Servaz, Vincent Espérandieu, ma

bonheur. Et à l’arrivée, cela donne des films

géographie, et tout cela m’appartient

absolument extraordinaires. La trahison, je

complètement.

l’accepte, même si quelques idées de

129

scénarios m’ont gêné. En particulier, la fin.

LFC : C’est intéressant comme conversation.

Mes lecteurs pensent la même chose.

En effet, Martin Servaz continue de vivre dans

Seulement, pour le lecteur, c’est normal, car il

vos romans, malgré son existence à l’écran.


J’ai eu la chance d’être traduit aux États-Unis avant même que la série soit diffusée. Nous sommes très peu nombreux dans ce cas-là. SELINA

RICHARDS

BM : Mon Servaz, celui des livres, c’est le mien. Ce

rare pour un auteur français.

n’est pas celui interprété par Charles Berling. C’est comme un billard à trois bandes. Car je sais aussi

BM : J’ai eu la chance d’être traduit aux États-

que mon Servaz n’est pas celui du lecteur, qui lui-

Unis avant même que la série soit diffusée.

même en fait encore un autre personnage avec

Nous sommes très peu nombreux dans ce

peut-être un autre physique, une autre approche. Le

cas-là. Je me souviens quand j’ai écrit Une

lecteur se l’approprie. J’ai donc mon Servaz, le

putain d’histoire, je me baladais dans la

lecteur a le sien et la série en a un troisième. C’est

région de Seattle, à la librairie The Mysterious

bizarre, mais c’est comme ça.

Bookshop, dans le rayon spécialisé dans le

polar. Très peu d’auteurs de polars français y LFC : La série a ouvert une porte à un plus large

figuraient : Pierre Lemaitre, Fred Vergas…

lectorat.

Nous n’étions vraiment pas nombreux.

BM : Oui et non. Non parce qu’avant la série, les

LFC : Sixième roman Sœurs, le livre se

lecteurs étaient déjà très nombreux. Entre 500 000 et

passe quand Martin Servaz est jeune dans

600 000 exemplaires vendus. Ce sont ces lecteurs

les années 90.

comme moi qui ont été parfois surpris par la fin de la série. Et puis, il est vrai que des lecteurs ont

BM : J’avais envie depuis longtemps de faire

découvert mon univers à travers la série. Et qui se

cela. C’est une idée déjà ancienne.

sont mis à lire les livres. Ils sont aussi traduits dans

Tellement de lecteurs m’ont dit qu’ils avaient

une vingtaine de langues. Des spectateurs

l’impression que Servaz n’avait jamais été

m’écrivent de Bombay, de Séoul. Ils n’ont pas

jeune. J’ai donc eu envie de leur prouver que

forcément lu les livres, mais ils ont vu la série. Ceci

ce n’était pas le cas. Il a vingt-quatre ans, les

dit, ils peuvent les lire. Car les livres sont traduits en

cheveux longs, il sort de la fac. C’est sa

anglais.

première grosse affaire après avoir réussi à rentrer dans la police deux ans avant. Et

LFC : Et vous êtes lu aux États-Unis, ce qui est très 130

quelle affaire ! Le lecteur comprend assez


vite qu’il est plutôt doué pour le métier. En revanche, il a beaucoup de mal avec le fonctionnement de l’administration policière elle-même. Je dois reconnaître que cette partie-là, c’est moi. À peu près au même âge, j’ai intégré la douane. Je supportais S E L I N A difficilement la hiérarchie. J’avais grand mal à passer sous les fourches caudines de l’administration. J’ai donc puisé dans cette expérience pour décrire ce Servaz-là. Ensuite, le lecteur le retrouve tel qu’il le connaît. La

Non seulement ce n’est pas la même police, mais ce n’est pas la même société française, ni même la même planète. Aujourd’hui, nous habitons une planète qui n’existait pas en 1993. Il n’y avait pas R I Cd’internet, HARDS de téléphone portable, pas d’ordinateur ni dans les maisons ni dans les bureaux. Ni Facebook, ni Instagram, ni Twitter.

première partie du livre se passe en 1993. Les deux autres parties se déroulent en 2018.

police qui est une des administrations qui s’est

Ainsi, je peux parler des vingt-cinq dernières

le plus réformée. Nous le constatons bien avec

années.

l’affaire Nordahl Lelandais. L’enquête s’appuie sur les caméras de surveillance du parking et

LFC : Ce n’est pas la même police dans les

dans la rue, son ADN, ainsi que la téléphonie

années 90 avec celle d’aujourd’hui…

mobile. Ces trois éléments en 1993 n’étaient pas utilisés. Le travail de la police a radicalement

BM : Non seulement ce n’est pas la même

changé. C’est aussi de cela qu’il s’agit. Les

police, mais ce n’est pas la même société

gardes à vue ont changé. Je ne dis pas qu’il n’y

française, ni même la même planète.

a pas de bavure aujourd’hui. Elles sont plus

Aujourd’hui, nous habitons une planète qui

encadrées. Nous avons le droit à la présence

n’existait pas en 1993. Il n’y avait pas

d’un avocat. Je parle de gardes à vue dans les

d’internet, de téléphone portable, pas

affaires criminelles. J’en ai parlé avec des

d’ordinateur ni dans les maisons ni dans les

policiers proches de la retraite qui m’ont fait

bureaux. Ni Facebook, ni Instagram, ni

comprendre qu’en 1993 ils avaient beaucoup

Twitter. Les gens de ma génération et toutes

plus de souplesse dans l’usage de leurs dix

les générations précédentes ont aussi connu

doigts et de leurs deux mains. (Rires)

ce monde-là. Incroyable que cela puisse paraître, ce n’est pas si vieux. C’est cela qui

LFC : Avec ce roman, vous proposez à vos

est terrible. Ce n’était pas il y a un siècle. Mais

lecteurs une réflexion sur le monde

juste, vingt-cinq ans après. Prenons les

d’aujourd’hui.

choses autrement : s’il y a vingt-cinq ans,

131

nous nous étions annoncés de telles

BM : Bien sûr. Une de mes plus grandes craintes,

évolutions, nous n’aurions jamais cru cela

c’est le monde de demain. Je reconnais que

possible. Au milieu de tout cela, il y a la

cela se traduit dans ce sixième roman. Même si


je ne parle pas directement du monde de demain, je parle clairement de celui d’hier ainsi que celui d’aujourd’hui. Quand nous observons l’accélération en vingt-cinq ans des connaissances, des technologies, des techniques et de l’influence que cela S EaLsur INA nos vies. Et que cela va de plus en plus vite. Il est légitime de se demander dans dix ans ou quinze ans, où en serons-nous ? Que vivronsnous ? Que ferons-nous ? De nombreux métiers auront disparu. Que va devenir l’architecte dans vingt ans quand

Durant les vingt-cinq dernières années, nous sommes parvenus à nous y faire. Jusqu’où allonsRICHARDS nous pouvoir nous adapter ? C’est indirectement la question du livre.

l’intelligence artificielle pourra réaliser sa

réponses sont pour les philosophes, les

maison à sa place ? Que vont devenir nos

scientifiques, les idéologues, les politiques…

médecins ? De nombreux métiers vont être

Avec mes petites histoires que j’essaye de

bouleversés. Durant les vingt-cinq dernières

rendre les plus addictives possible… Elles sont là

années, nous sommes parvenus à nous y

pour divertir et poser des questions.

faire. Jusqu’où allons-nous pouvoir nous adapter ? C’est indirectement la question du

LFC : Sur le plan de l’écriture, quelle est la

livre.

recette pour garder éveillé le lecteur ?

LFC : Auriez-vous envie d’aller plus loin à

BM : Je compare souvent l’écriture au patinage

propos de cette réflexion sur le futur dans

artistique. Je construis mes histoires avec les

votre prochain roman ?

figures imposées et les figures libres. Les figures imposées, ce sont le côté addictif, le cliffhanger,

132

BM : Absolument. Ce n’est pas exclu. Je n’en

l’énorme surprise à la fin, le suspense, prendre le

dirais pas plus. Il est vrai que les cinq

lecteur par le col dès les premières pages. Et

dernières années que nous venons de vivre

puis, les figures libres, c’est évoquer le présent,

sont vraiment étonnantes. Notre monde

la société, parler par exemple en une page du

change à vive allure. Nous vivons

dérèglement climatique. Parce qu’en 1993,

effectivement des phénomènes récents dont

c’était une notion que nous ne connaissions

j’ai vraiment envie de parler dans mon futur

même pas. J’aime bien passer des petits

livre. À propos de Sœurs, je voulais passer en

messages en contrebande. Je parle du cinéma

revue ce qui s’était passé au cours de ces

de Bergman, des salles d’art et d’essai que je

vingt-cinq dernières années. Ce roman est un

fréquentais lorsque j’étais étudiant. Ce sont des

bouquin à voyager dans le temps entre hier

éléments que j’aime bien glisser dans mes

et aujourd’hui. Je pose des questions. Les

romans sans jamais perdre de vue le lecteur. Je


Avec Internet, nous avons pensé que c’était la fin du mot écrit. Or, pas du tout. Le mot écrit n’a jamais eu autant de pouvoir depuis que les réseaux sociaux sont là. Les mots permettent aux hommes SELINA RICHARDS de s’influencer les uns aux autres. ne suis pas là pour me faire plaisir. Je ne souhaite

nous ressentons ce lien très fort lors des

absolument pas ennuyer mon lecteur.

échanges dans les salons du livre. Le lecteur fidèle qui a eu l’ensemble de nos romans

LFC : Dans ce roman, vous parlez de votre métier

considère que nous faisons partie de sa vie.

d’écrivain.

Très souvent, ils me lisent en famille. L’épouse commence à lire le livre, puis le

133

BM : Je parle en effet de ce métier qui est

mari, ensuite les enfants… Le roman circule.

récemment devenu le mien. Dans mon roman,

Et pourtant, chacun lit de son côté. Avec

l’écrivain n’est pas très sympa. Il est arrogant, assez

cette intimité. J’avais vraiment envie de

puant, cynique même s’il est certes brillant et cultivé.

parler de cela. Dans Sœurs, ce rapport est

Il se la pète. J’en ai d’ailleurs très peu croisé chez les

dévoyé parce que cet écrivain antipathique

auteurs français. En revanche, dans les étrangers,

est pervers. Il joue avec ces deux jeunes filles

certains sont plus sulfureux. Je ne donnerais pas de

qui sont des fans absolues. Je considère mes

noms. Si ce personnage avait été un gentil garçon, il

lecteurs comme des lecteurs et non comme

aurait été beaucoup moins intéressant. C’est un des

des fans. Un des thèmes du livre, c’est aussi

méchants de l’histoire. Il apparaît ainsi au début.

la fanitude. Je souhaitais parler de ce

Même si dans un thriller, il faut toujours se méfier des

phénomène des fans, quand ils deviennent

apparences. Avec ce personnage, je voulais parler

intrusifs. Quand ils essaient de s’immiscer

de ma relation entre l’auteur et le lecteur, qui est

dans la vie de celui qu’ils admirent. Et

tellement particulière, par rapport à un autre art.

surtout, je voulais parler du pouvoir des

Quand nous allons à un concert, à un opéra ou à une

mots. Avec Internet, nous avons pensé que

pièce de théâtre, nous sommes souvent

c’était la fin du mot écrit. Or, pas du tout. Le

accompagnés. Nous y allons soit en famille, soit en

mot écrit n’a jamais eu autant de pouvoir

couple, soit entre amis. En revanche, la lecture est

depuis que les réseaux sociaux sont là. Les

une activité solitaire. Nous sommes donc seuls avec

mots permettent aux hommes de

l’auteur, sa voix. Ce qui crée une intimité, un lien très

s’influencer les uns aux autres. On voit

fort entre les deux. Mes confrères et moi-même,

l’impact catastrophique que les mots ont


BERNARD MINIER LFC MAGAZINE #11


Ce roman marche très bien. L’accueil est très enthousiaste. Certains disent que c’est mon meilleur roman depuis Glacé. Je ne suis pas tout à fait en accord avec cela. Ce sont mes Je les aime S E L I N A enfants. RICHARDS tous. Pour des raisons différentes. LFC : Le livre est disponible depuis

ajoute de l’émotion, surtout à la fin du livre.

quelques mois. C’est un carton sur le

Cela se termine sur une note très

plan des ventes de livres. Quels sont

émouvante.

les premiers avis de lecteurs ? LFC : Vous avez avec Franck Thilliez (Le

BM : Oui, ce roman marche très bien.

Manuscrit inachevé) une thématique en

L’accueil est très enthousiaste.

commun : la mise en abyme de l’auteur.

Certains disent que c’est mon meilleur roman depuis Glacé. Je ne suis pas

BM : Nous nous en sommes amusés. Je me

tout à fait en accord avec cela. Ce sont

souviens, il y a six mois, nous avions discuté

mes enfants. Je les aime tous. Pour des

ensemble de nos prochains romans. Et nous

raisons différentes. J’aime autant Le

nous sommes aperçus que nous étions en

cercle qu’Une putain d’histoire ou

train d’errer vers des directions parallèles.

encore Nuit. Ils ont tous un intérêt particulier. Et aussi, parce que j’essaie

LFC : Est-il possible que d’autres romans

de ne pas écrire deux fois le même

deviennent une série ou un film ?

livre. Je pense que mes romans sont tous différents des uns des autres. Je

BM : Pour l’instant, non. Il existe la saison 1

suis très heureux que ce roman soit si

de Glacé sur Netflix. Feront-ils une saison 2 ?

bien accueilli. Martin Servaz jeune est

Je ne sais pas. Les auteurs, ce sont comme

un personnage très attachant dans cet

les cocus, ce sont toujours les derniers

opus. Et la thématique de la relation du

informés.(Rires)

père et du fils touche beaucoup les lecteurs. Le rapport avec son propre

LFC : On finit avec cette phrase. C’est

père (de Servaz) qui s’était suicidé

drôle !

dans un précédent roman (Le Cercle) ainsi que Servaz en tant que père 135

BM : Je ne sais pas. (Rires)


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT

BARBARA ABEL PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Juin 2018, Barbara Abel quitte la Belgique où elle vit et vient nous rejoindre à Paris pour nous parler de son nouveau roman, à lire absolument, "Je t'aime" (Belfond). SELINA RICHARDS Rien n'est plus proche de l'amour que de la haine, thématique fascinante. Photos exclusives dans le marais et entretien inédit dans une ambiance chaleureuse. LFC : Bonjour Barbara Abel ! Vous publiez votre

LFC : En écrivant régulièrement des romans,

douzième roman Je t’aime. Quel parcours !

avez-vous le sentiment de remettre à chaque fois votre titre en jeu ?`

BA : C’est un joli parcours. Je me souviens des émotions pour chaque livre. Quand les lecteurs

BA : De plus en plus parce que mes romans

me parlent des premières histoires durant les

rencontrent un meilleur succès qu’à mes

salons du livre et qu’ils me racontent les détails.

débuts. Bien que mes débuts aient bien

Je suis parfois étonnée, car je ne me souviens pas

fonctionné, c’est juste que j’ai une trajectoire

de tout dans les moindres recoins. Je me

inconstante. Certains romans marchent moins

surprends à oublier. Je pense même que je

bien que d’autres. C’est plus stressant

pourrais relire certains de mes romans pour me

maintenant. Je ne sais pas a très bien marché. Il

les remémorer.

a suscité de l’enthousiasme de la part des lecteurs. De ce fait, pour la rédaction de Je

LFC : Très intéressant, vous oubliez ce que

t’aime, je reconnais avoir subi une pression que

vous avez écrit.

je n’avais pas avant. Et qui s’intensifie. Bien entendu, quand un roman marche, c’est très

BA : Complètement. Le premier est sorti en 2002.

confortable. Et j’avais envie de satisfaire les

Je l’ai donc écrit en 2001. Dix-sept ans après, je

lecteurs, de les entendre me dire : j’ai adoré

ne me souviens plus. Et puis, j’ai écrit tous les

cette histoire, les personnages, l’ambiance, les

autres. Je me souviens de la globalité de

surprises. Parce que j’aime bien disséminer des

l’histoire. Mais au sujet des détails, je ne retiens

coups de théâtre, des retournements de

pas tout.

situations au fil des pages. Cet objectif nourrit

137


B A R B A R A L F C

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# 1 1


la pression. Durant l’écriture, c’est donc plus stressant. LFC : Je ne sais pas s’est vendu à 50 000 exemplaires tous formats confondus. C’est beaucoup !

SELINA BA : Ce sont de très bonnes ventes pour un auteur francophone. En tant qu’auteur belge, c’est très satisfaisant, car l’édition est plus restreinte. Les éditeurs belges ne sont pas diffusés en France. Des bonnes ventes

J’aime mettre en scène ce fameux couple qu’on appelle monsieur et madame tout le monde. Je vais leur faire subir des tragédies absolument horribles, dans un contexte que je souhaite RICHARDS crédible. Je souhaite que le lecteur se dise. Si cela m’arrivait, que ferais-je à la place du personnage ? Quelles réactions vais-je manifester ?

en Belgique, ça reste quelque chose de très

BA : J’y tiens. Absolument, ils sont comme nous.

confidentiel. Je voudrais encore gravir les

J’aime mettre en scène ce fameux couple qu’on

échelons. Ceci dit, je suis très heureuse,

appelle monsieur et madame tout le monde. Je

fière et boostée par cet accueil.

vais leur faire subir des tragédies absolument horribles, dans un contexte que je souhaite

LFC : Dans votre nouveau livre, Je t’aime,

crédible. Je souhaite que le lecteur se dise. Si cela

vous parlez de quatre femmes.

m’arrivait, que ferais-je à la place du personnage ? Quelles réactions vais-je manifester ? Les lecteurs

BA : Comme souvent dans mes romans,

me confirment cela en salon. Ils s’imaginent dans

j’aime bien mettre en scène des

la situation en se demandant s’il aurait fait comme

personnages féminins. Tout simplement

les personnages ou non. Les personnages sont

parce que j’en suis une. Parce que mes

face à des événements difficiles. Mais surtout, ce

romans ne fonctionnent que si le processus

sont des situations crédibles dans la vie de tous

d’identification marche. Je joue beaucoup

les jours.

avec l’émotion. La psychologie des personnages est essentielle. Pour être

LFC : Comment faites-vous pour rendre la

crédible, je parle de ce que je connais. Je

fiction digeste alors que la réalité est parfois si

choisis prioritairement des protagonistes

exagérée qu’elle serait caricaturale à

féminins. Ainsi, je peux développer une

retranscrire dans un roman ?

palette d’émotions et de confrontations psychologiques entre les personnages, qui

BA : Une phrase est devenue ma devise. Elle n’est

seront justes à priori.

pas de moi, mais de Mark Twain. La seule différence entre la réalité et la fiction. C’est que la

139

LFC : Vos personnages sont des gens

fiction doit être crédible. De nombreuses fois, les

comme nous.

gens me disent : il vient de m’arriver un truc fou, tu


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# 1 1


Une phrase est devenue ma devise. Elle n’est pas de moi, mais de Mark Twain. "La seule différence entre la réalité et la fiction. C’est que la S E L I Nêtre A R I C H Acrédible". RDS fiction doit devrais le mettre dans un roman. Il me

physique, mais aussi l’accident psychologique

raconte l’anecdote. Et je prends

que vivent le père et la fille.

conscience que je ne pourrais pas l’utiliser dans un roman. Personne n’y croirait. Je

BA : J’ai effectivement établi un parallèle. Je

me dois de raconter des événements qui

souhaitais que cette action se déroule avec ces deux

sont crédibles, qui ne correspondent pas

lectures. Parler d’un accident de voiture peut

forcément à la réalité. Dans Je t’aime, je

paraître banal. Malheureusement, cela arrive tous les

décris une perquisition à domicile. Nous

jours. Sauf qu’évidemment, c’est le moment où tout

entendons souvent parler de ça : dans les

va basculer. Je me devais donc de le soigner. C’est

journaux, les séries TV, etc. Nous

un moment fort du roman. Tout dérape parce qu’ils

regardons cela d’un œil distrait qui ne

sont dans des univers opposés. Comme le sont

nous touche plus. Et dans les faits, si nous

souvent les adolescents et les parents.

plaçons une perquisition à domicile dans son contexte réel, c’est très violent. Même

LFC : Votre écriture évolue.

chose lorsque je décris une garde à vue de

141

personnages ordinaires, c’est tout aussi

BA : Forcement. J’évolue aussi. Quand j’ai écrit mes

violent. Pour me documenter de manière

premiers livres, j’avais environ trente ans.

précise, j’ai été coaché par un capitaine de

Aujourd’hui, j’ai quarante-huit ans. Je mûris. Ma

police qui m’a expliqué comment cela se

vision des choses a changé. Une histoire, c’est une

passe. Il a relu mes chapitres. Il les a

mise en scène, c’est un point de vue proposé aux

corrigés. Les lecteurs me disent qu’ils ont

lecteurs. Si je devais réécrire le roman L’instinct

été bouleversés par ces scènes parce que

maternel, je ne le ferais pas comme je l’ai fait à cette

je les ai remises dans un contexte

époque-là puisque j’étais plus jeune. J’avais d’autres

quotidien. C’est le moment où l’ordinaire

centres d’intérêt, une autre vision des choses et

bascule dans l’horreur.

donc un autre point de vue.

LFC : La scène de l’accident est très bien

LFC : Les destins de ces quatre femmes vont se

écrite. Vous décrivez l’accident

croiser.


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# 1 1


La haine découle de l’amour. Quand nous haïssons vraiment quelqu’un, ce n’est pas pour rien. C’est bien parce que nous l’avons beaucoup aimé avant. SELINA RICHARDS BA : L’idée de départ qui a encouragé

intéressant d’avoir pour thème principal d’un thriller

l’écriture de ce roman arrive assez tard

l’amour, le vrai amour, pas un amour bizarre, psychopathe.

dans le livre, quasiment à la page

Nous avons dans cette fiction l’amour du couple. Puisque

250/300. Tout le début, c’est juste une

c’est l’histoire d’une famille recomposée, donc c’est un

mise en scène pour converger vers cette

couple qui fonctionne bien, Maude et Simon s’aiment

situation-là. C’est très gai pour quelqu’un

vraiment. Nous avons aussi l’amour maternel, l’amour

qui aime raconter des histoires, qui aime

paternel, une femme seule, une femme divorcée… Je

poser ses pions et les faire avancer. En

souhaitais aborder le thème de l’amour sous plusieurs

sachant très bien vers où je souhaite

facettes. En écrivant, je me suis rendu compte qu’en

aller.

abordant la partie haine que l’amour et la haine étaient très proches. Quand nous haïssons quelqu’un, nous y pensons

LFC : Parlons de votre thématique :

souvent. Nous avons un nœud dans le ventre. C’est

l’amour, la haine.

obsessionnel. C’est un sentiment très proche de l’amour. La haine découle de l’amour. Quand nous haïssons

BA : Lors de la sortie de mon précédent

vraiment quelqu’un, ce n’est pas pour rien. C’est bien

roman Je ne sais pas, les lecteurs m’ont

parce que nous l’avons beaucoup aimé avant.

dit à propos des personnages qu’ils n’y en avaient pas un pour rattraper l’autre.

LFC : Vous rencontrez vos lecteurs lors de salons du

Ils étaient tous sujets à des

livre. Pourquoi ?

problématiques complexes : un pervers narcissique, une gamine insupportable,

BA : Parce que j’adore cela. Avec ma vie de famille, c’est

une femme adultère, une institutrice

une question d’organisation pour jongler avec les deux.

diabétique très désagréable. Les lecteurs

J’aime bien rencontrer les lecteurs.

adorent le livre. Néanmoins, ils n’aiment pas les personnages. C’est important

LFC : Un de vos romans va être adapté au cinéma ?

pour moi que les lecteurs ressentent de l’empathie pour les protagonistes de

BA : Derrière la haine va en effet être adapté au cinéma

l’histoire. J’ai donc eu envie d’écrire un

grâce à une production belge française. C’est une très

thriller avec cette fois-ci uniquement des

belle aventure. Nous le verrons prochainement en salles.

gentils qui parlent d'amour. Ce n'est

J’ai fait de la figuration dedans. C’était amusant.

143


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

NICOLAS BEUGLET

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier vivant au cœur de Paris avec Nicolas Beuglet pour nous parler de son livre "Complot" (XO SELINA RICHARDS Éditions). Après l'accueil tonitruant du thriller "Le Cri', nous sommes très heureux de le retrouver. Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Nicolas Beuglet ! Septembre

Avec Le Cri, cela n’a fait que grandir. J’ai

2016, vous avez publié Le Cri (XO Éditions)

aujourd’hui la vie que je rêvais d’avoir.

qui rencontre un lectorat puissant : plus de 200 000 exemplaires vendus (grand

LFC : Un rêve de gamin ?

format et poche). Vos impressions ?

NB : Oui, depuis le CM2. Je me souviens que NB : Je vais vous dire quelque chose de très

c’était le moment de mes premières rédactions.

étrange. Au fur et à mesure des jours, je ne

Nous avions le droit d’injecter dans nos écrits

m’en suis pas rendu compte. La seule chose

notre imagination. Je me souviens avoir

que j’ai vue, c’est que financièrement j’ai

demandé à ma professeur de français, le jour où

gagné ma liberté. Créativement aussi. C’était

elle rendait les copies, la rédaction vous a-t-elle

les deux buts que je poursuivais dans ma vie.

plu ? J’ai posé cette question non pour savoir si

Aujourd’hui, ils sont atteints. Pour combien

j’allais avoir une bonne note. J’ai demandé cela

de temps ? Je ne sais pas. Je suis donc très

parce que je me faisais du souci sur le fait de

heureux. Avec prudence.

savoir si elle avait pris du plaisir à la lecture de cette histoire que j’avais eu envie de lui

LFC : Sur les réseaux sociaux, les lecteurs

raconter. Je n’ai pas eu la réponse que

sont très enthousiastes.

j’espérais. Elle a fini par convoquer ma mère pour lui dire qu’elle était inquiète de mon

145

NB : Depuis mes débuts, les lecteurs sur les

imagination débordante. Elle voulait s’assurer

réseaux sociaux étaient là. Ils aiment me dire

que j’allais bien, que je ne partais pas sur une

ce qu’ils ressentent à la lecture des livres.

voie obscure, à savoir si j’avais bien les pieds


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M A G A Z I N E

# 1 1


Je commence l’écriture sur terre. Ma mère lui a répondu : ne vous d’un thriller le jour où je inquiétez pas, certes, il a de l’imagination. Mais il tombe amoureux de la a bien la tête sur les épaules. Vous pouvez le laisser continuer. Tout cela me va très bien. Je fin. Pourquoi ? Je ne me souviens de cette période-là parce que supporte pas les livres j’avais envie d’écrire pour faire plaisir à des qui posent des grandes SELINA RICHARDS gens. questions avec une fin LFC : Et aujourd’hui, cette notion de plaisir du genre la réponse est est toujours là. en toi. Cela me désole. NB : C’est la seule obsession que j’ai. Je me fais plaisir. Seulement, j’ai entendu trop de gens

roman, du mystère… Je me dois de leur offrir une

dire qu’ils écrivaient pour eux-mêmes. Ce n’est

réponse, en prenant le risque qu’ils ne l’aiment

pas vrai pour moi. C’est un jeu d’échecs contre

peut-être pas. Il faut que ce temps soit accompli,

moi-même l’écriture. J’avance mes pièces en

qu’ils se disent qu’ils ont gagné un moment de

tant qu’auteur. Tout de suite, je me mets à la

divertissement et d’enrichissement. Comme moi

place du lecteur de l’autre côté de l’échiquier

j’ai pris un plaisir immense à réaliser ces

en me disant : et si je lisais ce roman, pourrait-il

recherches qui m’ont mené à l’écriture du livre.

me plaire ? L’histoire fonctionne-t-elle ? Le

Avec ces romans, c’est ce que j’ai eu envie de

suspense est-il addictif ? Ces questions-là sont

transmettre.

présentes en permanence. LFC : Dans Complot, l’action se situe dans un LFC : Le Cri comme Complot sont des livres

archipel isolé au nord de la Norvège.

où le dénouement est une véritable promesse. Avant la rédaction de ces

NB : Le lieu doit me faire fantasmer. Et qu’il offre à

histoires, connaissiez-vous la fin ?

ma créativité l’envie d’y être et que surtout le lecteur y soit lui-même lors de la lecture de

147

NB : Je commence l’écriture d’un thriller le jour

l’histoire. Plus le lieu est différent de mon

où je tombe amoureux de la fin. Pourquoi ? Je

quotidien, plus cela me stimule pour en parler. Je

ne supporte pas les livres qui posent des

cherche pour chaque roman un décor intéressant.

grandes questions avec une fin du genre la

La raison pour laquelle j’ai choisi la Norvège, c’est

réponse est en toi. Cela me désole. Je prends

parce que dans Le Cri, j’avais réalisé une enquête

du temps pour écrire le livre. En face, les

autour du projet MK-Ultra qui est au cœur de

lecteurs vont m’offrir ce qu’ils ont de plus

l’intrigue. J’avais trouvé que dans l’hôpital

précieux : du temps. Ils vont investir de l’espoir,

psychiatrique Gaustad, à Oslo en Norvège, il y

de l’attention sur les questionnements du

avait eu réellement des expériences menées dans


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# 1 1


En revanche, j’aime aussi prendre mes lecteurs à contre-pied. Je trouve cela assez séduisant qu’ils se rendent compte qu’en fait ce qu’ils ont cru être un complot "classique" n’est pas ce qu’ils croient. Et qu’ils se rendent compte que ce complot-là a certainement plus de sources véridiques ceux dont on S E L I N A Rque I C H A Rtous DS entend parler au jour le jour. ce cadre totalement clandestin.

assez séduisant qu’ils se rendent compte qu’en fait

Aujourd’hui, l’hôpital est respectable.

ce qu’ils ont cru être un complot classique n’est pas

J’avais choisi d’ancrer mon histoire en

ce qu’ils croient. Et qu’ils se rendent compte que ce

Norvège parce que c’était cohérent avec

complot-là a certainement plus de sources

mes recherches. Après, comme c’est la

véridiques que tous ceux dont on entend parler au

suite en termes de personnages, il était

jour le jour.

logique que je continue en Norvège. Mais comme la Norvège, nous y sommes

LFC : La thématique du livre est la condition des

habitués, il fallait pousser encore plus loin,

femmes. Vous étiez gêné devant vos enfants

et trouver ce lieu, la dernière ville habitée

pour leur expliquer que notre société a des

avant le cercle arctique. Et surtout un lieu

carences à propos de la condition des femmes.

qui a une histoire liée à la sorcellerie. D’où les dizaines de femmes accusées de

NB : Ce qui m’ennuie, c’est de ne pas avoir été

sorcellerie qui avaient été jetées et noyées

ennuyé avant, de ne pas avoir été agacé avant au

à cet endroit-là. Quand on connait la

point de me poser des questions. De ne pas avoir

thématique du livre sur les femmes,

été capable de répondre à mes filles, de ne pas avoir

commencer là-bas a du sens.

anticipé. Pourquoi existe-t-il cette domination des hommes sur les femmes ? Pourquoi est-ce mal ? Je

LFC : Complot, c’est le titre de votre

n’avais pas anticipé cela. Et cela m’a mis en colère.

nouveau roman. Tout est complot

Ce que j’essaye de mettre dans la bouche de mon

aujourd’hui…

personnage Christopher, nous sommes tous conscients de cette misogynie latente. En tant

149

NB : J’ai eu cette crainte que le titre

qu’homme, nous nous y habituons très bien. Nous

renvoie vers une mauvaise route, à savoir

finissons par considérer que cela fait partie du

la mauvaise interprétation de l’information

décor. C’est ennuyant. Nous en sommes conscients.

quotidienne et de voir le complot partout.

Nous ne trouvons pas cela bien. Mais nous n’allons

En revanche, j’aime aussi prendre mes

pas pour autant réagir. Quand mes enfants avec

lecteurs à contre-pied. Je trouve cela

leurs grands yeux ouverts me disent :


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# 1 1


J’ai fait toutes ces recherches sur l’origine de la misogynie. Et toutes les réponses sont dans "Complot". Je me suis rendu compte que la misogynie était partout, même là où nous ne nous y attendons pas. Partout dans notre inconscient collectif. Et même ceux qui pensent SELINA RICHARDS être moins misogynes, ils le sont malgré eux. papa, pourquoi ce sont toujours les

bière. Et ils ont jalousé ce savoir plutôt que de le

garçons qui deviennent rois, jamais les filles

valoriser. Ils n’ont pas attribué l’intelligence à la

? Pourquoi les femmes sont-elles moins

culture des femmes, mais à une sorte de lien avec

bien payées ? Et moi, serais-je moins bien

des puissances maléfiques. Nous en faisons des

payée ? Pourquoi dans certains pays les

sorcières. Et que leur donnons-nous comme

petites filles sont-elles tuées ? Parce que

attribut ? Un balai ! Le balai, cela veut dire : reste

c’est comme ça et que si tu n’es pas

une ménagère et fais le ménage ! Quand nous

contente, ce sera toujours pareil. Nous ne

racontons des histoires à nos enfants, nous

pouvons pas répondre cela. Je me dois de

sommes misogynes. Nous entretenons cette

leur donner une réponse, et surtout une

culture. Autre exemple, la mythologie grecque a

réponse qui va leur permettre de faire

la côte en ce moment. Passionnant. Mais raconter

évoluer les choses. J’ai fait toutes ces

les histoires de Zeus, de Poseïdon et autres, ce

recherches sur l’origine de la misogynie. Et

n’est rien d’autre que d’entretenir la culture du

toutes les réponses sont dans Complot. Je

viol. Ces hommes-là, aussi dieux soient-ils,

me suis rendu compte que la misogynie

passent leur temps à capturer des femmes, à les

était partout, même là où nous ne nous y

séquestrer, à se prendre l’apparence des maris

attendons pas. Partout dans notre

pour coucher avec elles, etc. Nous n’avons pas le

inconscient collectif. Et même ceux qui

droit de le raconter comme si c’était normal.

pensent être moins misogynes, ils le sont

Toutes ces recherches m’ont passionné. Nous

malgré eux. Autre exemple, quand nous

sommes tous misogynes sans nous en rendre

racontons des histoires à nos enfants. La

compte. Nous sommes sous l’influence de tous

méchante est une méchante sorcière ou

ces symboles qui ont été transformés et

une belle-mère. Il n’existe pas de sorciers.

manipulés.

Les sorcières, dans le passé, c’étaient des

151

femmes qui maitrisaient l’art des plantes,

LFC : Hormis vos enfants, avez-vous eu

l’art de la médecine que les hommes ne

d’autres éléments déclencheurs de prise de

connaissaient pas puisqu’ils étaient

conscience à propos de la condition des

occupés à autre chose, probablement la

femmes ?


Une fois que nous aurons éculé tous les thèmes classiques, il sera bon de revenir aux origines. Si nous ne nous posons pas les questions sur les origines, nous ne pourrons jamais reconstruireS Equelque de neuf. L I N A R I C H A R chose DS Cela nous tirera toujours vers le bas. NB : Deux déclenchements chez moi m’ont

revenir aux origines de tout cela. En ce sens,

poussé à écrire sur la condition des femmes

j’étais content de continuer à poser ma plume

: mes enfants et une collègue qui un jour

dans cette histoire. Le livre arrive en librairie au

m’a dit : je pense que tous les hommes sont

bon moment. Une fois que nous aurons éculé

misogynes et sexistes, même ceux qui ne le

tous les thèmes classiques, il sera bon de revenir

pensent pas. Si nous écoutons bien autour

aux origines. Si nous ne nous posons pas les

de nous, nous nous rendons compte que

questions sur les origines, nous ne pourrons

nous avons fait de nombreuses fois les

jamais reconstruire quelque chose de neuf. Cela

remarques. Les blagues sur les blondes par

nous tirera toujours vers le bas.

exemple sont un moyen de parler de toutes les femmes. Face à cela, nous pensons que

LFC : Très intéressant. Surtout que les débats

ce n’est pas grave, que c’est de l’humour.

ont lieu et que personne n’évoque les origines.

Pourtant, c’est absurde, car l’humour n’a pas

Vous êtes le premier à nous en parler.

toujours raison. Mais nous ne faisons pas l’effort parce que c’est confortable de

NB : C’est quelque chose que nous ignorons. Ma

continuer comme ça. Le déclencheur final,

passion, en tant que journaliste avant et

ce sont mes enfants qui me mettent au pied

romancier aujourd’hui, c’est de trouver ce qu’on

du mur.

ne voit pas : le dénoncer et l’analyser. Je pense que c’est très important. Je me suis exprimé non

LFC : Pensiez-vous que votre thématique

pas sous forme d’essai, mais bien sous forme de

allait être autant d’actualité ?

thriller, parce que j’employais les mêmes armes que je dénonce dans Complot. Pourquoi la

152

NB : Je ne sais pas s’il y avait quelque chose

religion, les mythologies et les grandes idéologies

dans l’air du temps. Je n’en sais rien. J’étais

ne se racontent-elles pas à travers des essais, mais

au deux tiers du livre quand l’affaire

bien à travers des histoires ? La Bible, ce n’est rien

Weinstein a éclaté. Je me suis dit une chose

d’autre qu’une grande histoire. La mythologie

importante : nous allons parler de beaucoup

grecque, c’est de la philosophie. C’est une forme

de choses. Seulement, nous n’allons pas

d’histoire. Les contes, c’est de la sociologie sous


Notre cerveau humain est constitué pour recevoir les histoires et intégrer les informations sous forme d’histoire. Si nous voulons faire passer une idée, la meilleure façon de la transmettre, c’est SELINA RICHARDS par le prisme d’une histoire. forme d’histoire. Notre cerveau humain

d’installer dans le temps

est constitué pour recevoir les histoires et

pour être exploré dans le

intégrer les informations sous forme

troisième livre. Je vais vous

d’histoire. Si nous voulons faire passer

raconter une anecdote

une idée, la meilleure façon de la

amusante : il y a quelques

transmettre, c’est par le prisme d’une

mois, j’écoutais les

histoire.

informations. Ils évoquaient une grande

LFC : Les lecteurs retrouvent Sarah

vague de froid dans le nord

Geringën dans Complot.

de l’Europe. Le journaliste égrenait les températures

153

NB : C’est une femme qui ne dit pas tout.

dans les différents pays qui

Elle a peut-être parfois peur de décevoir

descendaient à des moins

certaines personnes, comme son

je ne sais pas combien en

compagnon Christopher. Elle est liée à

Norvège. L’espace de

des informations sensibles qu’elle ne doit

quatre secondes, quand il

pas garder. Surtout, ce qui m’intéresse le

a annoncé les

plus, ce n’est pas tellement ce qu’elle

températures en Norvège,

cache, mais bien ce qu’elle ignore sur

je me suis dit, Sarah va

elle-même. Moi, je sais. Elle, elle ne le sait

avoir froid. Après, je me suis

pas. Ce n’est pas parce qu’elle a perdu la

repris… Pendant ces

mémoire, encore moins qu’elle a fait du

quelques secondes, elle

refoulement. Elle est liée à des choses qui

avait froid en Norvège. Et

n’appartiennent pas à sa propre histoire,

elle attendait la suite de

mais à ses secrets de famille et autres…

l’histoire. Cela m’a fait

C’est quelque chose que j’ai besoin

plaisir.


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT

GILLY MACMILLAN PAR CHRISTOPHE MANGELLE TRADUCTION : CAMILLE POCKET PHOTOS : CELINE NIESZAWER LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier parisien très cosy, avec Gilly Macmillan pour nous parler de S E L I N livre A R I C H A"La RDS son fille idéale" (Pocket) et de sa dernière nouveauté "Les meilleurs amis du monde" (Les escales). Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Gilly Macmillan, après un

quand une idée vous colle à la peau, vous

premier roman Ne pars pas sans moi, votre

savez qu’elle est peut-être suffisamment forte

actualité est la publication en version

pour être un roman. J’ai alors pensé aux

poche chez Pocket de La Fille idéale.

différentes façons de faire monter le suspense

Comment est née l’idée d’écrire sur cette

dans le livre et c’est à ce moment là que l’idée

jeune prodige de 17ans qui commet un

de l’adolescente prodige m’est venue. J’ai

acte irréparable ?

pensé que cela pouvait être intéressant, d’autant que cela fait écho à la façon dont on

GM : Il y a quelques années, un ami avocat en

élève nos enfants. La musique était un choix

droit criminel a mentionné un dossier dont il

évident, car mon fils est un très bon pianiste,

avait entendu parlé, celui d’une adolescente

donc je connais le monde de la compétition et

et de ses démêlés avec la justice. Cette

des représentations chez les adolescents.

dernière avait commis une erreur comparable au personnage de La Fille idéale. Elle avait été

LFC : Votre personnage dans le roman a le

responsable du décès de plusieurs de ses

droit a une seconde chance. Et pourtant, ce

amis et condamnée à une peine de prison. Au

n’est pas simple… Croyez-vous à la seconde

cours de son incarcération, cette adolescente

chance ?

est devenue dépendante à la drogue et

155

quand elle a été libérée, malgré le soutien de

GM : D’une manière générale, je crois aux

sa famille, elle n’a pas pu surmonter son

secondes chances, mais je pense

addiction. Sa vie était détruite. J’ai été hantée

qu’intrinsèquement cela est difficile, car cela

par cette histoire pendant très longtemps et

nécessite de la sagesse et de l’expérience : en


particulier tout ce que l’on apprend lorsque tout s’est mal passé et les conséquences. C’est essentiel, d’une part pour donner la possibilité d’un nouveau départ et par respect pour toutes les personnes qui ont été des victimes. Je crois beaucoup àSlaE L I N A seconde chance lorsque l’erreur qui a été commise l’a été à un jeune âge. Nous avons tous été des adolescents insouciants et nous avons tous fait de mauvais choix, sans

Je crois beaucoup à la seconde chance lorsque l’erreur qui a été commise l’a été à un jeune âge. Nous avons tous été des adolescents insouciants et nous avons tous fait de mauvais choix, forcément être de RI C H A R D sans S mauvaises personnes. L’idée de savoir qu’une erreur de jeunesse peut ruiner le reste votre vie est coriace.

forcément être de mauvaises personnes.

LFC : La force de ce thriller : le suspense et

L’idée de savoir qu’une erreur de jeunesse

quelques twists surprenants. Au cours de

peut ruiner le reste votre vie est coriace.

l’écriture, vous êtes-vous surprise vous-même ?

LFC : Vos personnages sont parfois

GM : Il m’arrive de me surprendre ! Je ne planifie

ambigus, entre le bien et le mal. Les

pas mes romans dans le détail ; je suis plutôt mes

lecteurs vont être confrontés à des

personnages et ce qu’ils ressentent tout comme

dilemmes moraux. Vouliez-vous

les péripéties de l’intrigue. Il m’arrive parfois

provoquer le lecteur ? Dans quel but ?

d’avoir une idée tout à fait surprenante lorsque j’approche de la fin ce qui ajoute un twist très

GM : Je voudrais exprimer une idée à

plaisant ! C’est formidable lorsque cela se produit.

laquelle je crois, celle de la dualité qui réside en chacun de nous : le bien et le mal.

LFC : Aujourd’hui, vous publiez également en

Je suppose que nous sommes tous, au-delà

grand format Les meilleurs amis du monde (Les

de nos aspirations, prêts à admettre les

escales). L’histoire place encore une fois vos

erreurs du passé et disposés à tout faire

personnages dans des situations d’extrêmes

pour les effacer. Nous sommes tous

tensions. Racontez-nous, vous, quand vous

capables du meilleur comme du pire et

écrivez, êtes-vous sous tension ou détendue ?

j’espère apporter de l’honnêteté à mon livre

156

en laissant mes personnages être le reflet

GM : Je suis crispée quand j’écris car j’essaie de

de cette pensée (même si les personnages

me mettre dans la peau de mes personnages, de

n’agissent pas mal, mais qu’ils sont tentés

ressentir ce qu’ils éprouvent. Je m’imagine à leur

ou encore qu’ils analysent leur part de mal).

place et j’écris ce que j’imagine être leur réaction.

C’est ce que j’aime trouver chez des

C’est assez fatiguant et stressant comme méthode,

personnages en tant que lectrice. Cela me

mais cela vaut le coup si ça permet de donner à

semble percutant parce que très réaliste.

mes personnages plus de véracité.


G I L L Y L F C

M A C M I L L A N

M A G A Z I N E

# 1 1


Je suis fascinée par les histoires d’amitié, surtout celles de l’adolescence parce qu’elles sont très intenses. SELINA

RICHARDS

LFC : Tout commence par une histoire d’amitié.

l’enquête. Comment avez-vous

Seulement dans cette histoire, l’amitié est mise

travaillé cette excellente construction ?

à rude épreuve. Pour quelles raisons vouliezvous parler de cette thématique ?

GM : Merci ! Je suis fascinée par les histoires d’amitié, surtout celles de

GM : Les meilleurs amis du monde raconte

l’adolescence parce qu’elles sont très

l’histoire de Abi et Noah, deux adolescents de

intenses. Le point de départ de ce livre

quinze ans. Ils se sont rencontrés à l’école et sont

était l’incident de Noah et Abdi. J’ai

devenus amis car ils étaient différents, chacun à

ensuite construit l’intrigue petit à petit et

leur manière : Noah vient d’une famille

minutieusement à partir de cet

bourgeoise, mais il a passé son enfance à se battre

événement. L’idée a évolué au fil du

contre un cancer ; et Abdi est un réfugié Somalien.

temps que je passais avec mes

Leur monde est bouleversé le soir où une

personnages, au cours du temps de

ambulance se rend sur les bords d’un canal

l’écriture et aussi à travers mes

miteux de Bristol. Noah est repêché in extremis,

recherches sur les réfugiés. L’histoire

mourant et transporté en urgence à l’hôpital. Abdi

devait également être un cas intéressant

ne peut pas ou ne veut pas parler de ce qui s’est

pour l’inspecteur Clemo après son

passé. Le roman explore les répercussions de

expérience difficile dans Ne pars pas sans

l’événement et fait apparaître l’inspecteur Jim

moi.

Clemo qui était déjà présent dans mon premier roman Ne pars pas sans moi. Il suit les deux

LFC : Il s’agit également de la

adolescents, leur famille et les recherches de la

confrontation entre une famille aisée,

police dans un contexte de tension sociale qui

blanche et une famille de réfugiés

règne dans la ville.

somaliens. Vouliez-vous apporter votre point de vue à travers une histoire de

158

LFC : Dans votre roman, nous sommes au cœur

fiction sur la lutte des classes ? Que

d’une enquête, tout l’enjeu est de démêler

vouliez-vous exprimer ?



J’ai essayé d’écrire un roman qui serait à la fois pertinent, haletant et palpitant, mais aussi personnel, empreint d’humanité et d’empathie envers tous ces personnages. Exactement. La problématique des réfugiés et de

meilleurs amis, un crime qui le hante

l’immigration est très importante au Royaume-Uni,

depuis son enfance. Il revient pour rouvrir

comme partout dans le monde. J’ai pensé que

l’enquête après que celle-ci a échouée

SELINA

RICHARDS

cela pourrait ajouter quelque chose d’intéressant

faute de preuves. Il commence alors un

si l’un des garçons était un réfugié arrivé au

podcast pour enregistrer ses

Royaume-Uni à dix ans et l’autre, un natif venant

découvertes. Mais il y a plusieurs

d’une famille aisée. Je crois que l’un des rôles les

personnes qui ne souhaitent pas que

plus important de la fiction est de nous faire

l’enquête soit rouverte, notamment la

comprendre les raisonnements des autres d’une

mère de l’un des garçons, qui prend les

manière intime et révélatrice. C’est pour cela qu’il

choses en main et à sa façon… Lorsque

m’a semblé judicieux d’écrire l’histoire d’une

qu’un nouveau corps est découvert à

famille de réfugiés à un moment où les médias (du

proximité de l’endroit où les deux

moins les médias anglais) traitaient des

garçons ont été tués, l’inspecteur chargé

problématiques des réfugiés dans les grandes

de l’enquête n’a d’autre choix que de

lignes avec parfois l’intention d’être alarmiste. J’ai

rouvrir le dossier pour décider si les

essayé d’écrire un roman qui serait à la fois

meurtres sont liés. Sa carrière est

pertinent, haletant et palpitant, mais aussi

menacée, l’heure tourne, et certaines vies

personnel, empreint d’humanité et d’empathie

sont en danger…

envers tous ces personnages.

Je termine également mon cinquième roman The Nanny qui est une histoire à

LFC : Vos romans seront-ils un jour adaptés à

glacer le sang… Il s’agit d’une jeune

l’écran ?

femme qui revient chez elle, veuve, vulnérable et avec son enfant. Son

GM : Je n’ai pas d’annonce à vous faire, mais je

existence est bouleversée lorsque sa

m’en réjouirais si cela devait arriver !

nourrice, Aggie réapparaît trente ans plus tard. Est-ce bien Aggie ? Que signifie son

LFC : Travaillez-vous sur le prochain ? Si oui,

retour et que veut-elle ?

quel thème allez-vous aborder ?

J’espère que les lecteurs apprécieront GM : Mon quatrième roman, I know you know

autant ces livres que les premiers déjà

sortira à l’automne au Royaume-Uni. C’est

publiés !

l’histoire de Cody Swift, un homme qui revient à Bristol vingt ans après le meurtre de ses deux 160

Un grand merci pour cette interview.


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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

CATHERINE BANNER

PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous avec Catherine Banner à Paris pour parler de son SELINA RICHARDS roman "La maison au bord de la nuit" (Pocket). Photos exclusives et entretien inédit.

LFC : Bonjour Catherine Banner ! Comment

naturellement à un public adolescent parce

êtes-vous venue à l’écriture de romans ?

que j’étais moi-même une adolescente. Lors de l’écriture du suivant, je me suis adressé à un

CB : Quand j’ai commencé à écrire très jeune,

public plus adulte. Parce que j’ai grandi et que

je me souviens que je voulais raconter des

je suis devenue une adulte.

histoires. C’est à l’adolescence que l’écriture s’est transformée en une activité sérieuse.

LFC : Comment expliquez-vous que vous

J’écrivais beaucoup. Et au fur à mesure, j’ai

avez commencé à écrire si jeune ? Avez-vous

évolué vers un projet de roman, qui

toujours beaucoup lu ?

aujourd’hui est une trilogie disponible en librairie (The Last Descendants) et qui

CB : Oui, j’ai lu dès que j’ai su lire. J’ai toujours

s’adresse aux adolescents. Ces premiers

aimé les histoires. Elles ont toujours fait partie

livres ont reçu un bel accueil de la part des

de moi. Ce sont elles qui m’ont aidée à me

lecteurs.

représenter le monde dans lequel nous vivons.

LFC : Écrire pour les adolescents, pour

LFC : Vous publiez La maison au bord de la

quelles raisons ?

nuit (Pocket), votre premier roman pour les adultes. C’est un projet ambitieux. Vous

CB : J’ai commencé à écrire à l’âge de seize

traversez le temps.

ans. J’étais donc très jeune. Je me suis

162

exprimée de la façon dont j’aurais souhaité

CB : Ce projet m’a dépassé. En effet, c’est un

qu’on me parle. Je me suis adressée plus

roman bien plus ambitieux que je l’avais


CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11


Le point de départ de ce roman, c’est la crise financière de 2008. C’est le Le point de départ de ce roman, c’est la premier événement mondial que j’ai crise financière de 2008. C’est le premier vécu. J’avais dix-huit ans à cette événement mondial que j’ai vécu. J’avais période. Et j’ai voulu que ce soit le dix-huit ans à cette période. Et j’ai voulu point final de La maison au bord de que ce soit le point final de La maison au la nuit. J’ai réalisé des recherches S E L I N A R précises I C H A R D Ssur la crise financière. Je bord de la nuit. J’ai réalisé des recherches précises sur la crise financière. Je cherchais à répondre à cette question : comment des gens ordinaires cherchais à répondre à cette question : vivent-ils des événements mondiaux comment des gens ordinaires vivent-ils et historiques aussi complexes ? des événements mondiaux et historiques imaginé lors des premiers jours d’écriture.

aussi complexes ? LFC : Amadeo Esposito est un jeune médecin LFC : La crise financière de 2008 est

que le lecteur va découvrir tout le long de sa

votre point d’arrivée du roman.

vie.

L’histoire commence en Italie en 1914…

CB : Ce personnage est la porte d’entrée de ce CB : Je voulais comprendre quel était le

roman. Il est basé sur un personnage réel puisqu’il

chemin emprunté pour nous amener à ce

existe un médecin qui vivait en Sicile à la fin du

moment que j’ai vécu : la crise financière

XIXe siècle. J’ai fait des recherches sur ce fameux

de 2008. Je ne pensais pas commencer

médecin qui allait sur les routes et qui récoltait de

ainsi, et c’est la guerre de 1914 qui est

nombreuses histoires sur le folklore de la Sicile :

devenue le début du roman, avec toute la

les légendes, les histoires populaires ou

période moderne qui nous a conduits à

religieuses. Cela m’a donné envie de donner vie à

cette fameuse crise financière.

un personnage de fiction inspiré de cet homme qui avait vraiment existé.

LFC : Avez-vous rencontré des difficultés au cours de l’écriture de ce roman ?

LFC : Pourquoi ce médecin vous a-t-il tant fasciné au point de devenir un personnage de

CB : J’ai eu quelques doutes lors de

fiction ?

l’écriture. Moi-même, je me suis dit que je

164

n’allais pas y arriver, que ce roman était

CB : C’était quelqu’un de très rationnel et de

trop ambitieux. J’ai consacré quatre mois

scientifique. Il était passionné par toutes ces

aux recherches. En tant que jeune

histoires folles, ces légendes, etc. Il avait peur

romancière, j’ai eu quelques sueurs

qu’elles se perdent, qu’elles tombent dans l’oubli.

froides. Et finalement, avec persévérance,

En lui prêtant les traits de ce personnage, j’avais

j’ai réussi à terminer ce roman.

envie de perpétuer cette mémoire.


CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11


Je voudrais que les lecteurs voyagent grâce à la puissance des personnages. Les êtres humains que nous sommes, nous sommes faits pour raconter des histoires. Et que grâce à elles, nous pouvons rendre nos vies meilleures et surtout rester en contact avec les autres. LFC : Dans ce roman, vous abordez l’amour, la

LFC : Ce roman est traduit en français.

S E L I Nune A R I C H A RQuelles DS famille… Tous ces thèmes ont en commun sont vos impressions ? chose : l’humanité.

CB : C’est une grande surprise. Lorsque CB : Je suis contente d’entendre cela. Car c’est ce

j’ai commencé à l’écrire, j’étais vraiment

que j’espérais lors de la rédaction de ce livre. J’ai une

très seule. Je n’étais même pas dans le

grande admiration pour tous ces romanciers qui ont

milieu des écrivains. En l’écrivant, j’avais

pour but d’apporter de l’humanité dans des histoires

conscience que c’était différent de ce

au contexte historique difficile. Je me souviens d’une

qu’on peut lire en librairie. Je savais qu’il

citation de Milan Kundera qui disait : la vérité

fallait que je raconte cette histoire. J’en

n’appartient à personne, chaque personne a le droit

avais viscéralement envie. Même si je ne

d’être entendue. Pour moi, c’est très important. Quand

savais pas quel accueil cette histoire

je m’installe à mon bureau le matin, j’essaie de

recevrait. Aujourd’hui, c’est une joie

travailler dans cet état d’esprit. C’est fondamental

immense d’être en France pour

pour le livre.

rencontrer les lecteurs et en parler avec les journalistes. Je suis très heureuse de

LFC : Vous mélangez dans ce roman la grande

cet accueil chaleureux complètement

Histoire avec celles de vos personnages

inattendu. Ces réactions me confirment

ordinaires.

que j’avais raison de croire en cette histoire, une histoire très personnelle.

CB : Absolument. Je suis très heureuse que cela fonctionne, car c’était le plus difficile pour moi à

LFC : Qu’aimeriez-vous que les

rédiger et à construire. Je souhaite que toutes les voix

lecteurs retiennent de la lecture de La

soient entendues, surtout celles des gens ordinaires.

maison au bord de la nuit ?

LFC : Vous parlez de la famille.

CB : Question intéressante. Je voudrais que les lecteurs voyagent grâce à la

166

CB : Quand j’ai écrit ce roman, j’habitais dans un petit

puissance des personnages. Les êtres

village au nord de l’Angleterre. Et j’allais en vacances

humains que nous sommes, nous

dans la famille de mon mari dans un tout petit village

sommes faits pour raconter des

en Sicile. J’ai observé des similitudes entre les

histoires. Et que grâce à elles, nous

villages. J’ai capturé ces instants. Cela m’a été utile

pouvons rendre nos vies meilleures et

pour parler de la famille.

surtout rester en contact avec les autres.


CATHERINE BANNER LFC MAGAZINE #11


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA

ANDREA DE CARLO

PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT


Juin 2018, nous avons la chance de revoir Andrea de Carlo en visite à Paris. J-1 de son départ en Italie, il vient prendre un peu E L I N A R Iavec C H A R D Sla rédaction pour de Stemps une séance de photos exclusives et un entretien inédit à propos de son roman "Deux sur deux" enfin traduit en France. Rencontre.

LFC : Bonjour Andrea de Carlo ! Vous

ADC : C’est une coïncidence. Néanmoins, peut-

publiez un nouveau roman Deux sur deux

être que ce n’est pas une coïncidence. C’est le

(HC Éditions). Ce roman a connu un succès

destin ! C’est amusant. Quand j’étais en train

incroyable en Italie. Et il est enfin publié en

d’écrire le roman, je pensais qu’il serait lu par

France.

très peu de lecteurs. Que ce livre intéresserait uniquement les gens qui ont vécu les mêmes

ADC : Ce roman a été traduit dans de

choses que j’ai vécues. Génération après

nombreuses langues. Et en effet, il a

génération, le roman a touché de nombreuses

rencontré un franc succès en Italie. Je suis

personnes. Et ce livre passionne toujours les

très content qu’il soit enfin disponible en

lecteurs. C’est un livre qui dure dans le temps.

version française dans les librairies, avec une

Hier, j’ai posté sur les réseaux sociaux une

aussi belle traduction. Chantal Moiroud a

photo dans l’avion en indiquant que j’allais à

réalisé un travail d’une grande qualité.

Paris pour l’édition française du roman Deux sur

Maintenant, j’espère que les lecteurs vont

deux. Immédiatement, j’ai reçu une centaine de

découvrir ce roman. De tous les romans que

messages. Ils me disaient : Super ! Bonne

j’ai écrits, c’est celui qui a suscité le plus

nouvelle ! Je suis très heureux pour vous ! Les

d’enthousiasme de la part des lecteurs.

lecteurs participent beaucoup.

LFC : Votre roman paraît lors des cinquante

LFC : Selon vous, pourquoi ce roman a-t-il été

ans de mai 68. Ce n’est pas anodin puisque

si bien compris par les lecteurs ?

vous évoquez cette période dans Deux sur

deux. 169

ADC : Je crois que mai 1968, c’est le décor


A N D R E A L F C

D E

C A R L O

M A G A Z I N E

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dans lequel les deux personnages existent. Ce roman parle d’une amitié entre eux. Cette rencontre de deux natures de garçons très différents, dans la période de l’adolescence, un moment où nous ne savons pas qui nous sommes. C’est une étape de la vie qui est très

S E LNous INA difficile. Ensuite, chacun d’eux grandit. pouvons voir les virages différents qu’ils empruntent. LFC : Vous parlez de deux garçons, d’une forte amitié. L’un est très beau. L’autre est dans l’ombre du premier.

Ce roman parle d’une amitié entre eux. Cette rencontre de deux natures de garçons très différents, dans la période de l’adolescence, un moment où nous ne savons pas qui nous RICHARDS sommes. C’est une étape de la vie qui est très difficile. Ensuite, chacun d’eux grandit. Nous pouvons voir les virages différents qu’ils empruntent. ADC : C’était une image. C’était l’image des jeunes étudiants qui sortaient du lycée. Cette

ADC : Mario est très prudent. Il ne prend

dernière se répétait régulièrement. Chez moi,

aucun risque. Quand il rencontre Guido, c’est

le début d’un roman commence toujours par

comme rencontrer sa partie créative. C’est

une image que j’ai en tête. C’est un moment

une combinaison de nature très différente,

de vie qui m’obsède et qui devient une fiction.

mais complémentaire. Mai 1968 en Italie, c’est une révolution culturelle des coutumes. C’est

LFC : En écrivant ce livre, vous êtes-vous

aussi une période où les deux protagonistes

replongé dans votre propre adolescence ?

peuvent se révéler. Ils peuvent s’ouvrir et se découvrir. En parallèle, la société se révèle à

ADC : Oui, complètement. C’était une façon

elle-même avec mai 68. La grande Histoire fait

de voyager dans le temps, de m’offrir un

écho à la petite histoire des deux adolescents

retour en arrière. Cette réflexion était

ordinaires. Et vice-versa. C’est pour cela que

intéressante et instructive.

je rencontre des lecteurs très jeunes qui s’identifient à Mario et Guido, simplement

LFC : Quand on s’offre une seconde chance

parce qu’ils vivent des situations identiques,

de revivre son adolescence à travers la

celles de l’adolescent qui n’a pas de pouvoir

fiction. Fait-on moins d’erreurs ?

sur sa vie. Durant l’adolescence, nous sommes traversés par de nombreux rêves que

ADC : (Rires). C’est une bonne remarque !

nous traduisons avec grande difficulté dans la

Naturellement, j’ai constaté toutes mes

réalité.

erreurs, celles qu’évidemment je ne souhaite plus reproduire. Et puis, je me suis souvenu

171

LFC : Quel était l’élément déclencheur pour

des choses que je n’ai pas osé faire, que

écrire cette histoire ?

j’aurais pu faire.


A N D R E A L F C

D E

C A R L O

M A G A Z I N E

# 1 1


LFC : Dans votre roman, à travers vos personnages,

huit ans. C’était la découverte de la passion, de l’amitié,

les lecteurs peuvent trouver une certaine motivation

de la peinture, de l’aventure. Avec ce livre, j’ai découvert

à oser bousculer leur destin !

la passion de vivre dans un roman, le plaisir joyeux de ressentir une telle fiction.

ADC : Quel plaisir d’entendre cela ! Si je parviens à encourager le lecteur à la suite de la lecture de cette

LFC : Comment êtes-vous parvenu à si bien dessiner

histoire, c’est une belle récompense pour moi. Cela

la psychologie de Mario et Guido ?

signifie que le propos du livre a été compris. S Très ELINA

RICHARDS

souvent, de nombreux lecteurs me disent qu’ils ont

ADC : Je vais être sincère. C’est très autobiographique.

changé la direction de leur vie. Je me rappelle, l’année

Les histoires racontées sont celles que j’ai vécues. Je

dernière, un jeune homme m’a dit : j’étudie pour devenir

parle du même lycée que j’ai fréquenté. J’ai vécu la

avocat. Seulement, ma vraie passion, c’est de construire

même aventure. Je me suis découpé en deux

des instruments de musique, d’être luthier. Après la

personnages : parfois, je suis Mario, parfois, je suis

lecture du roman, il a décidé de mettre tout en œuvre. Il

Guido. Pour écrire ce roman, je me suis isolé à la

est devenu luthier. C’est fantastique !

campagne. J’étais seul face à moi-même avec l’histoire et les deux personnages. Je dialoguais avec eux.

LFC : Quand un livre peut déclencher de telles conséquences, cela démontre à quel point les mots

LFC : Ce roman pourrait être un film.

sont une arme absolue.

ADC : Des projets étaient en cours. Seulement, ils n’ont ADC : Mon métier d’écrivain n’est pas si inoffensif qu’il

jamais abouti. Peut-être un jour… J’aime l’idée avec le

peut paraître. Le pouvoir des mots est puissant. Quand

roman que chaque lecteur peut s’imaginer son propre

j’ai écrit cette histoire que je pensais être très

film. Chaque lecteur, c’est un film différent. Je crois que

personnelle, je n’en avais pas autant conscience.

le rôle du lecteur, c’est d’être très actif durant sa lecture.

Quand ce roman a rencontré cet extraordinaire succès,

Il n’absorbe pas l’histoire comme pour un film. Il imagine

j’ai commencé à comprendre que j’avais une

sa lecture avec des images qu’il construit lui-même

responsabilité forte. Que je m’adressais à des gens que

dans son propre imaginaire.

je ne connaissais pas ! Que je ne rencontrerais certainement jamais ! Et pourtant, de manière

LFC : Quels sont vos projets ?

absolument pas intentionnelle, je peux avoir une influence sur eux grâce à cette histoire. C’est

ADC : Je suis en train d’écrire un nouveau livre, une

extraordinaire.

histoire qui me passionne. C’est raconté du point de vue d’une femme. Elle est chef cuisinier. L’action se situe à la

LFC : Les livres sont formidables. Nous construisons

fois à Venise et dans un studio TV à Milan. Ce n’est pas

notre identité sous influence culturelle.

facile d’écrire ce livre, car je me glisse dans la peau des femmes. Pour réussir ce challenge, j’observe toutes les

ADC : Je partage votre pensée. La première fois que j’ai

femmes que je connais. Je parle avec elles. Cela

lu Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, j’avais

nécessite beaucoup de temps.

173


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JUILLET-AOÛT 2018

PASCAL GRÉGOIRE

PHOTOS EXCLUSIVES ET INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PATRICE NORMAND, LEEXTRA

PHOTOS EXCLUSIVES DE JULIEN FALSIMAGNE LEEXTRA ENTRETIEN INÉDIT DE CHRISTOPHE MANGELLE


Juin 2018, Pascal Grégoire nous propose de le rejoindre à l'Hôtel Vernet pour nous parler de son premier roman, "Goldman sucks" que nous avons dévoré avec enthousiasme. Le lecteur est au cœur de la crise de 2008 et d'une S E Ldéjantée. I N A R I C H AMême RDS famille si le divertissement fonctionne à plein régime, l'auteur nous offre une critique acerbe sur le monde de la finance et prévient des dangers d'une société de spéculations à outrance. Photos exclusives. Et entretien inédit et captivant.

LFC : Vous publiez un premier roman

crève demain, je n’aurais toujours pas fait le

Goldman sucks (Cherche Midi Éditeur) et

bouquin que je voulais écrire. De là, j’ai cherché

vous parlez de Corentin Pontchardin qui

des sujets qui m’inspirent. Ce roman est né

traverse deux crises : une financière et une

quand j’ai pensé à trois faits divers que j’ai

plus personnelle.

entendus. En 2008, trois jours de suite, ces événements m’ont marqué à vie, enfin

175

PG : J’ai une longue carrière dans la publicité.

suffisamment pour que j’en fasse un livre

Ce sont mes premiers pas en tant qu’écrivain

quelques années après. Il s’agit d’une petite

avec ce roman. Je voulais écrire à l’âge de

fille arrêtée à la cantine. Le lendemain, une

vingt-cinq ans. Je devais être édité aux

grand-mère virée de sa maison de retraite,

Éditions du Seuil. J’étais comme un fou. Je

certainement parce que les honoraires n’ont

retravaillais mon texte avec passion jusqu’au

pas été réglés. Et le troisième jour, j’entends

jour où je reçois un coup de fil. On m’explique

qu’un papi de 82 ans fait un hold-up dans un

que c’est la crise. Et qu’ils prennent la

casino, parce qu’il n’arrive plus à subvenir à ses

décision d’éditer un seul roman et non cinq.

besoins. Et là, je me dis que nous sommes face

Ainsi, je me suis retrouvé sans livre édité. Je

à un énorme problème. Dans quelle société vit-

me suis donc lancé en parallèle dans

on ? Et puis 2008, c’est l’année, où nous avons

l’entrepreneuriat. Les années sont passées

tous compris que les États et les gens que nous

vite. Très vite. Il y a deux ans, j’ai perdu mon

sommes, nous étions tous pris en otage par les

père. Et à ce moment-là, j’ai ressenti le besoin

banques. C’était la catastrophe. J’ai voulu me

de faire quelque chose que je souhaite

servir du roman pour raconter quelque chose

depuis très longtemps. Je me suis dit : si je

de très compliqué. Pourquoi ces gens-là


prospèrent-ils ? Le sujet est très complexe. Des livres économiques, il en existe déjà de nombreux et de très bons. Je souhaitais que ce roman soit compréhensif des gens populaires et non des spécialistes économiques. La forme de ce roman le

S E nous LINA permet. On comprend les choses que ne comprenions pas avant. Mais surtout, le lecteur est en immersion au cœur de cette famille française, touchée par la crise. Mon idée était de réunir les trois faits divers dans

Nous avons dix ans de recul sur la crise. Et quand nous regardons ce qui s’est nous ne R I C H A R Dpassé, S pouvons constater que très peu de choses ont été faites.

cette même famille : la petite fille et les grands-parents. Le grand-père qui fait le hold-

des romans d’Armistead Maupin Les chroniques

up et la grand-mère qui revient de la maison

de San Francisco. J’aime beaucoup ces romans.

de retraite. Et au milieu de cette famille, il y a

Ainsi, le lecteur arrive à être happé par le livre et

ce couple effectivement avec Corentin

l’histoire. J’aimais bien l’idée qu’il y ait un côté un

Pontchardin. Il est fils de fonctionnaire et

peu thriller, que le lecteur ne s’ennuie jamais, avec

ulcéré de voir que nous devons donner de

peu de digression… Même si nous aimons tous La

l’argent aux banques et qu’elles nous

Serpe de Philippe Jaenada. (Rires). Lui, il est

tiennent en otage. Et il tombe amoureux

formidable dans ce registre. Je ne voulais pas me

d’une journaliste du quotidien Le Figaro âgée

lancer dans un projet littéraire dans lequel j’aurais

de vingt-cinq ans. Tout cela se mélange. À un

pu me perdre sur un premier roman. J’ai tenu à ce

moment donné, quand tout a explosé, il

que l’histoire soit rythmée. Qu’on vive le voyage,

décide de réunir sa petite famille et de

qu’on ait l’impression d’être avec eux chaque

prendre l’avion pour abattre le dragon, en

seconde et que les lecteurs découvrent des

allant aux États-Unis. C’est une véritable fable

univers qu’ils ne connaissaient pas.

sociale, un road movie drôle et touchant d’une famille pas tout à fait ordinaire lancée à

LFC : Vous parlez de 2008. Ce roman est publié

l’assaut de la finance mondiale.

en 2018, dix ans après, au bon moment, parce que la crise économique nous nargue encore.

LFC : C’est un roman bref qui va à

176

l’essentiel.

PG : Complètement. Nous avons dix ans de recul

PG : Ce format effectivement, c’est un choix.

sur la crise. Et quand nous regardons ce qui s’est

Je souhaitais que cela soit très rapide à lire.

passé, nous ne pouvons constater que très peu de

Les chapitres courts et efficaces doivent

choses ont été faites. Sans dévoiler la fin du livre,

inviter le lecteur à se demander ce qui se

cette crise recommence de manière encore plus

cache dans le suivant. Un peu dans l’esprit

dangereuse. Les subprimes vont revenir par le prêt



Je ne suis pas anti-capitaliste ni contre notre système. Je suis pour une forme où la possibilité d’entreprendre existe, où les banques aident les gens à lancer des entreprises, à acheter des produits, etc. Mais tout cela doit se faire dans ce sens-là. Alors ELINA RICHARDS qu’aujourd’hui, Snous sommes tous au service de la finance. C’est extrêmement grave. des étudiants américains, mais aussi par les

nous arrêtions cela. C’est un peu politique,

assurances automobiles. Nous sommes face à

certes. Je trouve qu’il existe une démission très

des comportements financiers dangereux. Ils

grave des hommes politiques. Quand on regarde

inventent des produits financiers qui sont de

Obama qui a dit après 2008 qu’il fallait prendre

plus en plus dingues. Par rapport aux lasagnes

des mesures et que finalement rien ne s’est

qui sont faites avec du cheval, c’est du pipi de

passé. Les gens de Goldman Sachs sont partout.

chat. Nous sommes face à des gens qui nous

Ils sont dans tous les gouvernements. C’est une

vendent du poison. Du poison qui nous tue et

toile d’araignée mondiale. Ils avancent purement,

qui tue les autres. Et surtout qui flingue le

tranquillement. Là où j’alerte les gens, Goldman

système. Je ne suis pas anti-capitaliste ni contre

Sachs va se lancer dans le bitcoin. C’est un

notre système. Je suis pour une forme où la

économiste sérieux qui me l’a confirmé. On se

possibilité d’entreprendre existe, où les banques

retrouve encore dans un autre phénomène. S’ils

aident les gens à lancer des entreprises, à

commencent à contrôler eux-mêmes la monnaie,

acheter des produits, etc. Mais tout cela doit se

l’emprise est totale. Et personne n’en parle. Sans

faire dans ce sens-là. Alors qu’aujourd’hui, nous

oublier que ce sont eux qui font les placements

sommes tous au service de la finance. C’est

des gens, les notations des pays… À travers ce

extrêmement grave. Ce sont des gens qui n’ont

roman, je n’écris pas un livre économique, mais je

aucun état d’âme et qui peuvent nous amener

raconte la souffrance de cette famille qui peut

dans le mur. Il faut absolument que l’opinion

être celle des familles grecques. Il faut créer une

publique soit au courant. C’est aussi important

vie où les gens peuvent vivre dignement. Et là,

que le dérèglement climatique. Chaque tempête

nous sommes concrètement dans quelque chose

est plus importante parce que la température de

de profondément indigne.

l’océan augmente. Là, toutes les crises qui vont

178

arriver vont être de plus en plus importantes

LFC : Sommes-nous inconscients ? Nous avons

parce que tout simplement les comportements

beau le savoir, nous continuons de vivre

sont de pire en pire. Il faut absolument que

quand même…


P A S C A L L F C

G R É G O I R E

M A G A Z I N E

# 1 1


C’est aussi un livre sur la volonté et sur le fait que les choses sont possibles. Tout est possible. Toujours. PG : Exactement. Nous sommes totalement

LFC : Votre rêve de gamin est réalisé !

inconscients et irresponsables. Nous le voyons bien avec le réchauffement climatique. C’est la

PG : Oui ! (Rires) Je n’ai pas écrit du tout pendant trente

même dynamique en terme problématique. Nous

ans. Ce premier roman me donne envie d’écrire le

nous étions incapables d’anticiper. Seulement, si

avec une dimension plus grande, à condition que

la planète ne fonctionne plus, nous allons mourir.

celui-ci marche. Ceci dit, les débuts sont prometteurs,

Et si l’économie s’écroule vraiment, ça peut tuer

car il se vend bien. De nombreux libraires soutiennent

vraiment beaucoup de gens. Il existe une prise de

le livre. Je vais d’ailleurs rencontrer mes lecteurs dans

conscience qui est loin d’être suffisante. Au sujet

quelques librairies.

E L I N si A Rsuivant. I C H AJe R Dmettrais S le savons, nous allons droit dans le mur.SComme le temps qu’il faut pour l’écrire,

du réchauffement climatique, tout le monde comprend. La crise économique, elle a beau nous

LFC : Le temps de l’entretien, nous avons parlé de la

péter à la gueule à chaque fois, nous nous disons

crise, mais votre bouquin, c’est aussi un bon

que nous allons agir et rien. En 2008, nous

moment de lecture pour les lecteurs.

sommes passés d’un cheveu d’une catastrophe gigantesque. Nous n’en tirons aucune leçon.

PG : Oui, c’est vrai. L’idée de ce roman, c’est de sourire,

Nous ne savons même pas dire comment nous

de rire. L’humour est omniprésent. Des détails de la vie

avons évité le pire. Cela n’a pas suffi. Ce qui veut

de tous les jours font que nous sommes avec eux. C’est

dire qu’il en faudra encore une plus grave pour

vraiment ce que j’ai voulu faire. Et surtout pas un roman

que les gens réagissent.

ennuyeux, voire rébarbatif. C’est un roman léger et vif. On a envie d’être derrière Corentin et de lui dire : Vas-y !

LFC : L’éditeur, a-t-il validé votre titre de livre

On est avec toi, Corentin ! Ce roman ne va pas vous

facilement ?

redonner la foi dans la finance, mais cela va vous redonner foi en l’humanité. C’est un livre qui met en

180

PG : J’ai un éditeur qui a vraiment suivi le projet.

scène le collectif. Ce sont des gens qui ensemble font

Ce sont les vrais noms dans le livre. J’assume. J’y

quelque chose. Dans une époque où les familles font

vais ! (Rires) L’éditeur a été incroyablement

de moins en moins de choses ensemble. Nous sommes

compréhensif. C’est ma première expérience dans

tous avec l’iphone à table. Nous avons très peu de

l’édition et j’ai vu des gens motivés, qui se

moments tous ensemble. Regarder une merde en

marraient. Quand je leur ai parlé de la couverture,

famille à la télévision, je trouve cela cool. Parce que

ils m’ont dit ok. J’ai donc travaillé avec un créatif

nous partageons un moment. Avec ce roman, certains

de mon agence Alexandre Faure. Quand vous

lecteurs m’ont dit qu’ils aimaient retrouver cet esprit de

avez un éditeur derrière vous sur un premier

famille. Les gens sont en manque de cela. C’est aussi

roman, je dois bien reconnaître que c’est très

un livre sur la volonté et sur le fait que les choses sont

confortable.

possibles. Tout est possible. Toujours.


ALIA CARDYN LFC MAGAZINE | #11 | JUILLET-AOÛT 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un hôtel parisien très cosy, l'hôtel Vernet avec Alia Cardyn pour nous parler de son livre "Le choix d'une vie" (Charleston) SELINA RICHARDS dans lequel elle aborde la législation sur la procréation médicalement assistée. Photos exclusives et entretien inédit avec une écrivaine belge bien sympathique. LFC : Bonjour Alia Cardyn ! Comment êtes-

Quelques mois plus tard, j’ai commencé à écrire

vous venue à l’écriture de romans ?

le prologue, qui devait être un accouchement. Je ne sais pas pourquoi. Le premier chapitre, je

AC : J’ai toujours eu envie d’écrire. Même si je

ne savais pas quoi écrire. Brusquement, j’ai été

ne pensais pas que j’étais faite pour cela.

propulsé dans cette maison. Je suis dans le

Dans ma famille, nous faisons des études. J’ai

grand hall. Je monte les escaliers. À l’étage, il y

donc fait du droit à l'université. Et je suis

a une vue magnifique sur toute la vallée. Et se

devenue avocate. Un monde fascinant dans

trouve cette petite fille de six ans, qui est toute

lequel je sentais qu’il me manquait quelque

seule entre des policiers. Ses parents ont

chose. J’avais davantage envie de liens

disparu. C’est ainsi que commence l’écriture de

humains dans mon métier. Et surtout moins

mon premier roman… J’ai vraiment été portée

de conflits. J’ai eu la chance de rencontrer

par cette image que je vois tous les jours en

mon mari. J’ai commencé à écrire des livres

allant accompagner mes enfants à l’école. Il

de développement personnel. Même si j’avais

s’agit du roman Une vie à t’attendre maintenant

toujours ce rêve d’écrire un roman. Je ne

disponible en version poche chez Charleston.

pensais pas en être capable. Cela me faisait peur de devoir rédiger trois cents ou quatre

LFC : Vous ne pensiez pas être capable

cents pages avec une même intrigue. Un jour,

d’écrire Une vie à t’attendre. Comment avez-

nous étions en voiture. Et j’ai vu une maison

vous fait pour rendre cela possible puisque

sur une colline. J’ai dit à mon mari : le jour où

ce roman est publié aujourd’hui ?

je m’autorise à écrire un roman, je souhaite qu’il commence là, dans cette maison. 182

AC : Mon mari m’a dit que j’avais le droit de


L’intrigue du roman "Le choix m’indiquait que je trouverais un éditeur. d'une vie" est inspirée d’une copine Donc c’était un pari. J’ai rédigé vingt pages qui avait une amie à elle qui a fait et l’intrigue de départ était bonne. Quand un enfant toute seule. Elle a eu j’étais à la foire du livre de Bruxelles, j’ai recours à un don de sperme non rencontré Karine Bailly. Et elle a lu un peu anonyme. J’ai trouvé cette histoire plus tard à Paris les vingt pages. Elle aSété E L I N A fabuleuse. R I C H A R D S L’identité du donneur convaincue en me disant qu’elle était prête peut être connue aux dix-huit ans à signer. Je me suis engagée dans cette de l’enfant. Avant ce n’était pas aventure avec la certitude d’un contrat à la possible de savoir. Cette nouvelle clé. Mon envie profonde avec ce premier donne m’a inspiré cette histoire. prendre six mois de loisirs. Rien ne

roman, c’était de raconter une belle histoire,

183

une qui serait en phase avec mes envies,

trouvé cela génial ! (Rires) Quelques mois après,

pas forcément avec celles de tout le monde.

j’ai eu la chance que ce roman soit sélectionné

Le fait de ne pas savoir où sont les parents

pour le prix des lecteurs des magasins belges. Le

et pourquoi ils ont disparu, cela m’a

prix a été remis le jour de la fête du droit

passionné et happé dans cet univers. Un

international de la femme. Ce prix est un coup de

premier roman, ce n’est pas simple. J’ai

pouce extraordinaire. Car c’est une quarantaine de

conscience qu'il comporte de nombreuses

magasins. Je me suis retrouvée en cinquième

maladresses puisque c’était la première fois

position des meilleures ventes devant Stephen

que j’écrivais. Au fur et à mesure des livres,

King. Après huit mois que le livre était en rayon.

je pense que je m'améliorerais. Cette

Sans ce prix, je n’aurais pas été aussi haut. Ce

énergie m’a vraiment portée. Et c’est

roman a donc eu un second souffle. C’est une jolie

comme cela que j’ai réussi à écrire mon

histoire. Aujourd’hui, le livre est disponible en

premier roman Une vie à t’attendre.

version poche.

LFC : Comment avez-vous vécu l’accueil

LFC : Le choix d’une vie, c’est votre deuxième

de ce premier roman ?

roman.

AC : C’était très particulier. J’étais une

AC : Comme je suis passionnée, ça me porte. Ceci

romancière très naïve. Je le suis d’ailleurs

dit, je suis une personne qui se remet toujours en

encore pour de nombreuses choses. J’ai

cause. J’ai lu une trentaine de fois le manuscrit Le

découvert que chaque lecteur pouvait

choix d’une vie. Je ne le trouvais jamais assez bon.

comprendre une intrigue de manière

Je ne pense jamais que mon texte est génial. Pour

différente de celle que j’ai proposée.

écrire le second, je me suis appuyée sur

Certains lecteurs ont vu des intrigues là où

l’expérience du premier. Ainsi, je me suis sentie

je n’ai même pas voulu en mettre. J’ai

plus à l’aise. J’ai tiré les leçons du premier en


ALIA CARDYN

LFC MAGAZINE #11


Ce qui est complexe dans l’écriture d’un roman, c’est de construire les personnages et surtout de les incarner. J’aime que le lecteur soit en immersion, qu’il ressente les émotions de chacun. Ainsi, une fois la charge émotionnelle communiquée,Sle moins dans le E L Ilecteur N A R I C H A sera RDS jugement et davantage dans la bienveillance. écoutant les avis de la maison d’édition et

enfant toute seule. Elle a eu recours à un don

ceux des lecteurs dans l’idée de proposer

de sperme non anonyme. J’ai trouvé cette

un meilleur roman.

histoire fabuleuse. L’identité du donneur peut être connue aux dix-huit ans de l’enfant. Avant

LFC : Vous parlez dans ce roman de la

ce n’était pas possible de savoir. Cette

maternité, du désir d’enfant…

nouvelle donne m’a inspiré cette histoire.

AC : J’ai voulu aborder la législation sur la

LFC : Comment votre roman a-t-il été

procréation médicalement assistée. C’est

compris par les lecteurs ?

le thème le plus important pour moi en tant qu’ancienne avocate. En Belgique,

AC : C’est un roman engagé. Toute la presse

cela fait partie de notre vie. Un couple

belge aime. En France, c’est plus compliqué.

hétérosexuel, un couple homosexuel ou

Vous êtes peu nombreux à me donner la

un célibataire… J’ai mené une enquête par

parole. Le roman a été publié au moment où

le biais d’entretiens. Et je me suis très vite

les états généraux ont débuté sur la question.

rendu compte qu’en France, ce n’était pas

C’est un outil pédagogique qui permet

la même chose. J’ai été choquée. J’ai

d’aborder la question sans être choqué, tout

souhaité construire une intrigue dans

en se divertissant. Les lecteurs français sont au

laquelle le lecteur pourrait la vivre. L’idée,

rendez-vous malgré le sujet tabou. Les

c’était de se mettre dans les chaussures de

blogueurs ont noté des progrès rédactionnels.

quelqu’un qui n’a pas le contexte qu’il faut

Ce qui m’a fait plaisir.

pour pouvoir concevoir un enfant naturellement. J’ai choisi Marie qui a vingt-

LFC : Vous proposez des romans féminins

quatre ans qui a la réserve ovarienne

qui ont beaucoup de fond.

faible. L’intrigue est inspirée d’une copine qui avait une amie à elle qui a fait un

185

AC : Je fais des recherches. Je réalise des


entretiens avec des médecins, des

LFC : Vous invitez le lecteur à vivre

psychologues, une femme politique belge

la problématique de Marie, celle

qui a fait un enfant toute seule. J’ai eu

d’être dans la difficulté d’essayer

l’honneur qu’elle me donne accès à un

d’être enceinte…

univers intime qui m’a passionné. Je ne voulais ni écrire un documentaire ni être

SELINA donneuse de leçons. C’est une chance

AC : C’est compliqué d’essayer

R I C Hd’ouvrir A R D S les esprits en disant que tout

fabuleuse d’avoir pu mener ces entretiens.

le monde a le droit au même droit.

Pour chaque roman, je ferais la même

C’est une évidence. Les gens ont

chose. Je réaliserais des interviews. Nous

souvent besoin de l’émotion pour que

croyons tout savoir. Mais dans les faits,

leur esprit s’ouvre. Ils ont besoin de

nous en savons très peu.

s’identifier pour mieux comprendre. Assimiler que Marie n’a pas d’autre

LFC : Au cours de l’écriture, quel est le

choix que d’avoir recours à la

plus difficile ?

procréation médicalement assistée. Le lecteur est au cœur de son combat

AC : Ce qui est complexe dans l’écriture

et aux premières loges de son

d’un roman, c’est de construire les

parcours du combattant.

personnages et surtout de les incarner. J’aime que le lecteur soit en immersion,

LFC : Quand pourra-t-on espérer lire

qu’il ressente les émotions de chacun.

votre troisième roman ?

Ainsi, une fois la charge émotionnelle communiquée, le lecteur sera moins dans

AC : Je vous annonce qu’on pourra le

le jugement et davantage dans la

lire début février 2019. Il est écrit. Je

bienveillance.

peux vous dire que ça parle d’amour.

Les gens ont souvent besoin de l’émotion pour que leur esprit s’ouvre. Ils ont besoin de s’identifier pour mieux comprendre. Assimiler que Marie n’a pas d’autre choix que d’avoir recours à la procréation médicalement assistée. Le lecteur est au cœur de son combat et aux premières loges de son parcours du combattant. 186


ALIA CARDYN

LFC MAGAZINE #11


MIREILLE CALMEL LFC MAGAZINE | #11 | JUILLET-AOÛT 2018

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : PATRICE NORMAND LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un café parisien chic et sympathique, dans le quartier du Marais avec la pétillante Mireille Calmel pour nous parler de son vingtième livre "La fille des templiers" SELINA RICHARDS (XO Éditions). Au programme : aventure, suspense sous une plume alerte. Très bon livre pour l'été en attendant la suite cet automne... Photos exclusives et entretien inédit.

LFC : Bonjour Mireille Calmel ! Pourquoi

ne voyais pas ce que je pouvais apporter de

publiez-vous autant ?

plus à l’histoire. J’ai lu une quantité d’ouvrages sur les templiers. Et franchement, je n’avais rien

MC : J’ai beaucoup d’histoires à raconter à

de plus à proposer comme valeur ajoutée. Si

mes lecteurs. Et en même temps, j’ai retrouvé

c’est juste pour faire un énième livre sur les

mon rythme d’écriture d’avant. J’ai eu des

templiers, cela n’a aucun intérêt pour moi et

années noires, difficiles, avec des problèmes

encore moins pour les lecteurs. J’aime bien

de santé, un parcours médical délicat.

sortir des sentiers battus. Il y a un an et demi, j’ai

Effectivement, par la faiblesse du contexte,

une lectrice qui avait lu Aliénor et qui m’a

j’écrivais moins. Seulement, mon rythme

contacté. Je savais que son rêve était d‘acheter

d’écriture, c’est celui-là. Je me sens bien

un bien qui avait appartenu aux templiers.

dedans. L’enjeu, c’est d’avoir suffisamment

C’était un rêve de gosse. Elle m’a contacté par

de matériels sur lesquels écrire, de

le biais de Messenger en m’expliquant qu’elle

documentations pour poursuivre. J’ai eu une

avait réalisé son rêve d’achat, qu’elle avait

chance extraordinaire que ce soit sur Les

acheté une vieille ferme templière avec une

lionnes de Venise ou sur La fille des templiers.

tour en pierre à côté, près de la ville de Troyes. Et en rénovant l’intérieur de la tour, elle a trouvé

LFC : De quelle chance nous parlez-vous ?

des documents signés par le premier grand

Expliquez-nous !

maître de l’ordre des templiers Hugues de Payns. Elle découvre cela. Et elle ne sait pas

189

MC : J’avais dit : jamais, je n’écrirais sur les

quoi faire. C’est écrit en latin. Elle n’y comprend

templiers. Tout a déjà été dit. À partir de là, je

rien. Nous nous rencontrons, et je découvre


quelque chose de particulier sur les templiers, une approche que personne n’avait faite : un lien entre les templiers, la Saint Ampoule et le sacre des Rois de France. LFC : C’est génial…

SELINA

MC : Oui, car j’ai enfin de la matière brute. Ceci dit, il a fallu faire authentifier le document. C’est en cours et cela va prendre

"La fille des templiers" est vraiment née de la rencontre entre une lectrice passionnée et RICHARDS une romancière que je suis. C’est au-delà de l’histoire du livre.

un certain temps. Et ensuite, qu’est-ce que j’en fais ? Je construis une histoire en

LFC : Pouvez-vous nous parler de Flore ?

cherchant à vérifier toute l’histoire du temple et tout le reste, pour savoir si nous sommes

MC : Flore est une jeune femme, la fille d’un

vraiment passés à côté de quelque chose.

couple de fermiers d’un petit village à priori sans

C’est ce que je propose dans le tableau

histoire. Elle est fiancée au fils du meunier et

chronologique placé en fin de roman, où

amoureuse d’un rémouleur itinérant qui est un

effectivement nous nous apercevons que

amour sans issue. Un jour, elle rentre chez elle,

tout colle. À partir de cette information, nous

tranquillement. Au moment d’arriver chez elle, elle

pouvons recouper toutes les autres. La fille

entend un bruit de cavalcade. Le rémouleur dont

des templiers est vraiment née de la

elle est amoureuse la tire par le bras et la protège

rencontre entre une lectrice passionnée et

en lui disant de ne pas rentrer chez elle. C’est trop

une romancière que je suis. C’est au-delà de

tard pour ses parents. Elle ne peut pas rentrer chez

l’histoire du livre.

elle parce que le Roi avant de mourir a prononcé son nom. C’est le départ de l’histoire pour elle qui

LFC : Vous avez un lien très fort avec vos

va être traquée par l’inquisition et par le Roi de

lecteurs depuis toujours.

France. Le rémouleur va essayer de la soustraire à tous ces gens qui lui veulent du mal. Alors qu’elle

MC : Bien sûr. Je rencontre mes lecteurs très

ignore pourquoi. L’ambiguïté est là. Son nom est

régulièrement pendant les salons du livre.

lié à une malédiction qui petit à petit tue les Rois

D’ailleurs, très régulièrement, les lecteurs me

de France, les uns après les autres. Elle n’en sait

proposent des idées. Mais cette fois-ci,

pas davantage.

c’était inédit ce document. En travaillant sur ce roman, j’ai même de la matière pour une

LFC : Pouvez-vous nous parler de Jeanne ?

autre série. C’est magique ! Plus j’ai de la matière, plus mon imaginaire s’active. 190

MC : Jeanne de Dampierre est une béguine. Le


M I R E I L L E L F C

C A L M E L

M A G A Z I N E

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Ces héroïnes sont captivantes. J’essaye de leur insuffler cette énergie parce qu’elles font partie de moi. Je me rends compte que cela aide les lecteurs à surmonter de nombreux problèmes du LINA RICHARDS quotidien etS Ede s’évader vraiment. béguinage était un ordre qui accueillait les

Tout le monde imagine une fortune colossale.

femmes qui étaient veuves ou mères

Sauf que la fortune n’est pas nécessairement

célibataires. Il n’y avait pas la rigidité de

que de pièces d’or. Là, nous allons chercher

l’esprit monastique. Mais au moment où

très loin parce que le trésor caché est un trésor

commence le livre en 1322, l’ordre a été

roumain, qui a sa raison d’être, à cause du lien

dissout. Charles IV, le roi en place, redonne

avec le mystère de la Sainte Ampoule. Tout est

vie au grand béguinage de France, pour

lié. Cela se lit comme un thriller, avec une

lui maintenir sa maîtresse Jeanne de

enquête, une course-poursuite… Les

Dampierre, qui est la fille de la comtesse

sentiments sont forts. Les personnages sont

du village où était Flore. Jeanne vient de

toniques. Constamment mis en danger, devant

découvrir un secret lié à sa mère et à sa

l’épreuve, ils se relèvent. Ce sont des héroïnes

famille qui l’oblige à prendre des décisions

qui me ressemblent. Plus on les enterre, plus

radicales qui impliquent la destinée du Roi

elle relève la tête.

de France, lui-même. Elle va faire des choses qui vont à l’encontre de ses

LFC : Ces héroïnes, qu’apportent-elles aux

sentiments pour le Roi. Les deux destins

lecteurs ?

de Jeanne et Flore sont mêlés. Ils vont les entraîner malgré elles dans une histoire

MC : Une énergie. Elles sont captivantes.

rocambolesque.

J’essaye de leur insuffler cette énergie parce qu’elles font partie de moi. Je me rends

LFC : Avec une histoire de trésors

compte que cela aide les lecteurs à surmonter

cachés…

de nombreux problèmes du quotidien et de s’évader vraiment. Ce qui marque le succès

192

MC : Un trésor caché qu’on ne peut

des romans légers, young adult et autres, c’est

absolument pas imaginer. Nous cherchons

que les lecteurs ont besoin à la fois d’être

depuis des siècles le trésor du temple.

confrontés à de la légèreté et à de la peur de


manière viscérale. Je vais lire un livre qui

du procès de l’ordre du Temple, les livres, etc.

va réveiller mon instinct de survie sans me

J’ai approfondi un travail de recherches

mettre en danger. C’est là-dessus que

minutieux. J’ai rencontré des historiens. Je vérifie

repose le succès des polars, des thrillers,

tout ce que je dis.

etc. C’est une montée d’adrénaline qui va nous faire palpiter et qui nourrit notre

LFC : Quand est prévu le tome 2 ?

instinct de survie, qui nous donne cette

SELINA énergie du quotidien pour nous battre.

R I MC C H :ASuite R D Sà la fin brutale du premier tome, je peux annoncer la sortie du tome 2 pour octobre

LFC : Vos romans historiques sont

2018. Je souhaitais que les lecteurs n’attendent

proches des séries TV.

pas trop entre la sortie du tome 1 et 2. Le deuxième tome démarre très fort aussi.

MC : Aujourd’hui, de plus en plus de lecteurs sont des amateurs de série TV. Ils

LFC : La fille du Templier, c’est votre 20e

ont l’habitude des cliffhangers réguliers.

roman. Vos impressions ?

Très souvent, après la saison 1, ils veulent regarder la saison 2 tout de suite. D’où la

MC : Vingt romans en dix-huit ans. C’est une

raison pour laquelle quand je propose une

aventure extraordinaire.

série, c’est de la publier au cours de l’année, pour éviter aux lecteurs d’attendre

LFC : Aimeriez-vous voir l’un de vos romans

trop longtemps. Sans que cela nuise à la

adaptés au cinéma ?

qualité de l’écriture et à la profondeur des personnages, j’aime bien l’idée que mes

MC : Oh oui, j’en rêve toujours ! Seulement mes

romans soient lus et appréciés comme des

histoires à adapter à l’écran exigent des budgets

séries TV. Plus le personnage est fouillé et

importants. Un jour peut-être… La fille du templier

dense, plus le lecteur va s’y attacher. Je

est le roman selon moi le plus facile à adapter.

veille à ne pas sacrifier l’écriture. Car un

Les lieux sont accessibles. Et surtout très simple

lecteur reste un lecteur. Et puis, moi, je suis

à mettre en scène, car peu de personnages sont

une romancière, pas une scénariste. Cette

dans le livre. J’espère un jour que cela puisse se

écriture visuelle me correspond

faire. Car il y a une très bonne histoire à raconter

complètement.

aux futurs spectateurs.

LFC : Quelles sont les autres sources

LFC : On vous offre le mot de la fin…

utilisées pour écrire La fille des

Templiers ?

MC : J’embrasse très fort les lecteurs. Et surtout qu’ils viennent me raconter de belles histoires.

MC : Les autres sources sont les minutes

193

Car je n’ai pas fini d’en écrire.


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JUILLET-AOÛT 2018

DOUGLAS KENNEDY

PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : JULIEN FAURE LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendez-vous dans un café parisien où Douglas Kennedy à l'habitude d'écrire. D'ailleurs, il a rédigé quelques pages de sa grande saga "La symphonie du S E L I N A R Iici C H Amême. RDS hasard" Trois romans fascinants sur l'Amérique qui font une fresque haletante mêlant petite et grande histoire. Photos exclusives et entretien inédit.

LFC : Bonjour Douglas Kennedy ! À quel

en imaginant une grande saga comme Balzac.

rythme écrivez-vous ?

C’est pour moi un modèle avec La comédie humaine, la famille, les secrets… J’ai pensé tout

DK : J’ai une discipline immense. Je pense

cela, mais pas d’une manière balzacienne et

que je peux écrire partout, dans des lieux

globale. C’est juste dans l’idée des trois livres.

calmes comme dans des lieux bruyants.

Après le reste, c’est ma personnalité. Balzac

D’ailleurs, dans le café où nous sommes, j’ai

parlait de la famille et de l’argent. Pour lui,

écrit quelques pages de La symphonie du

c’étaient des thèmes immenses. J’ai voulu

hasard. L’écriture, c’est un acte quotidien

parler de la famille comme miroir de la société.

chez moi. C’est au milieu de la vie. J’ai des

Ça, c’est balzacien.

enfants. Je me souviens très bien lorsqu’ils étaient jeunes et bruyants. Je travaillais

LFC : Vous dites que c’est une période où

malgré les nuisances. Ce qui m’a aidé, c’est

l’espoir est permis.

que j’ai beaucoup de mémoire. Et puis, j’utilise les écouteurs pour m’isoler. Parfois,

DK : Pas comme aujourd’hui. (Rires) Il n’y a pas

d’ailleurs, j’aime bien écrire avec de la

d’espoir aujourd’hui. C’est horrible. Je me

musique.

souviens très bien parce que ce sont mes dates. Au début des années 70, nous assistons aux

LFC : Vous publiez trois romans La

bouleversements politiques, non seulement aux

symphonie du hasard (Belfond)…

États-Unis (Guerre du Vietnam, arrivée de Nixon au pouvoir puis Watergate), mais aussi en

DK : J’ai écrit ces trois romans en quinze mois 196

Irlande (attentats terroristes) et au Chili (coup


DOUGLAS KENNEDY - LFC MAGAZINE #11


d’État contre Allende). J’entremêle la petite et la grande histoire, par effet de miroir : conflits internationaux versus conflits familiaux. LFC : Quel est votre film préféré ?

E L I Net A DK : Un de mes films préférés est LaSMaman la Putain de Jean Eustache. C’est

extraordinaire ! Le film est sorti en 1973 et c’est le Paris que j’aime, celui de l’époque.

Un de mes films préférés est "La Maman et la Putain" de Jean Eustache. C’est ! Le film R I Cextraordinaire HARDS est sorti en 1973 et c’est le Paris que j’aime, celui de l’époque.

LFC : Vous évoquez les années SIDA dans La symphonie du hasard. Vous en parlez

eurs droits et ont fait bouger les lignes aujourd’hui.

avec beaucoup d’émotion…

La tragédie du SIDA a créé un sursaut, des réactions pour améliorer la vie des homosexuels.

DK : Je me souviens très bien à la fin des

Même si le mariage gay est passé aujourd’hui, ce

années 70, avant mon départ à Dublin, j’ai

n’est pas acquis. J’ai peur que Trump touche au

passé huit mois à New York. J’ai fréquenté de

mariage gay, car il a les chrétiens dans la poche.

nombreux homosexuels. Tous mes amis de l’époque sont décédés du SIDA. Un de mes

LFC : Vous parlez de guerre culturelle.

meilleurs copains de l’Université, qui était dans le placard, puisqu’à l’époque c’était

DK : Dans le livre, je parle du début de la guerre

difficile de le dire, lui aussi est mort du SIDA.

culturelle qui maintenant est omniprésente. C’est

Je l’ai vu au restaurant à New York. Il avait

horrible. Les États-Unis vivent le pire aujourd’hui.

perdu vingt-cinq kilos. Des stigmates

Peut-être qu’un grand changement viendra.

abîmaient sa peau fragile. Il m’a dit qu’il avait

Seulement, j’en doute. De plus en plus, j’ai peur.

plus que six semaines à vivre. Il est mort la

Parce que les extrêmes sont partout : Trump, Le

quatrième semaine. C’est un ami qui me

Pen, Le Brexit… Aujourd’hui, le résultat, c’est la

manque beaucoup. J’ai été très marqué.

condition humaine. Depuis de nombreuses

J’avais trente-quatre ans et c’était avant la

années, nous avons vécu dans une stabilité, sans

naissance de ma fille. Ce drame m’a renvoyé

guerre mondiale. Mais en ce moment, nous

à des interrogations : et si je mourrais à cet

sommes sur le début de quelque chose de

âge-là ? J’ai eu peur. Mon ami était au début

différent et d’inquiétant pour la paix.

de sa vie. Et c’était sans espoir. Et

198

étrangement, le SIDA a eu un impact

LFC : Ces trois romans sont un voyage dans les

important pour les homosexuels. Ils étaient

décennies passées pour mieux comprendre le

très militants et grâce à cela, ils ont défendu

monde d’aujourd’hui. Vous nous parlez de la


D O U G L A S L F C

K E N N E D Y

M A G A Z I N E

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Je suis très pessimiste. Les gens des extrêmes ont trop de pouvoir dans les quatre coins du monde. Je pense que Trump est très bien installé aux États-Unis et qu’il a toutes ses chances de gagner les prochaines élections. SELINA RICHARDS Trump profite et tout va chuter. part d’ombre du passé pour mieux

DK : Je suis très pessimiste.

appréhender notre époque.

Les gens des extrêmes ont trop de pouvoir dans les

DK : C’est l’idée de ces trois romans

quatre coins du monde. Je

pour comprendre notre époque. Le

pense que Trump est très

passé est toujours dans notre présent.

bien installé aux États-Unis

On comprend pourquoi nous sommes

et qu’il a toutes ses chances

ici.

de gagner les prochaines élections. Trump profite et

LFC : Vous mélangez l’histoire de

tout va chuter.

vos personnages avec l’Histoire du monde.

LFC : Aimeriez-vous écrire encore sur Trump ?

DK : Oui, j’aime cela. Parler des personnages, les faire aimer du

DK : J’en parle dans le livre.

lecteur pour qu’ils comprennent sans

Mais bien sûr, j’ai encore des

jugement les conséquences des

choses à dire sur lui.

événements connus de tous dans le passé. Derrière des dates importantes,

LFC : L’écriture, est-ce une

il y a la vie des anonymes. Et ces

arme ?

inconnus peuvent être nous, un ami, un membre de votre famille, un voisin,

DK : Une arme redoutable.

n’importe qui.

Absolument. J’écris pour me défendre. La culture est

200

LFC : Êtes-vous optimiste ou

essentielle. Il faut lutter

pessimiste pour notre avenir ?

contre les écrans.


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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

MARY LYNN BRACHT PHOTOS EXCLUSIVES ENTRETIEN INÉDIT

PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendezvous dans un quartier parisien très cosy pour rencontrer Mary Lynn Bracht. Elle nous SELINA RICHARDS parle de premier roman, un bijou, "Filles de la mer" (Robert Laffont). Photos exclusives et entretien inédit. LFC : Bonjour Mary Lynn Bracht ! Comment

les pays en guerre, les militaires, tout cela font

est née l’écriture de ce roman Filles de la

partie de mon histoire.

mer ? Paraît-il que dans son premier roman, on parle beaucoup de soi ? Qu’en dites-

LFC : Pour écrire ce roman, vous avez fait des

vous ?

recherches. Quelles sont vos sources ?

MLB : Vous avez bien raison. Dans un premier

MLB : Pour écrire Filles de la mer, j’ai lu de

roman, on puise beaucoup de soi. Je voulais

nombreux livres. J’évoque à la fin du roman tous

écrire sur la condition des femmes, celles qui

ces ouvrages. Ces œuvres sont la base de la

ont été soumises à l’esclavage au XXe siècle.

documentation. Grâce à ces écrits, j’ai pu

J’étais indignée par la situation que certaines

raconter mon histoire avec précision. D’autres

femmes ont vécue. Ce fort sentiment ressenti,

sources primaires proviennent également

je n’ai eu d’autres choix que d’écrire. Pour

d’internet. J’ai trouvé des éléments constructifs

elles.

en ligne sur les Nations Unies.

LFC : Cette histoire a-t-elle un lien avec

LFC : Vous parlez de l’histoire de la Seconde

votre mère ?

Guerre mondiale en Asie. Et vous évoquez deux personnages féminins, deux sœurs. Nous

MLB : Ma mère est née le jour où la guerre

avons entendu le point de vue des hommes.

avec la Corée s’est terminée. Mon père était

Peu celui des femmes…

militaire dans l’armée. C’est pour cela que j’ai voyagé dans plusieurs pays. Effectivement, 202

MLB : C’était important de bien souligner ce qui


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B R A C H T

M A G A Z I N E

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arrive aux femmes pendant la guerre. J’ai grandi dans le milieu militaire. Et ce sont surtout les soldats hommes qui disaient que c’était un peu facile pour les femmes, qu’elles n’ont pas à se battre, qu’elles étaient en retrait. Dans cette histoire, les femmes ne

S dit, E Lcela INA peuvent pas être dans l’armée. Ceci ne les empêche pas pour autant de souffrir énormément. LFC : Dans ce roman, vous racontez le récit d’Hana en 1943 et celui d’Emi en 2011.

Quand j’ai dû écrire toutes les scènes sur la violence, la brutalité, le viol, ces moments extrêmement difficiles et douloureux, j’ai eu beaucoup de mal émotionnellement. RICHARDS Alors quand le matin, j’étais face à ce monde sordide, j’avais plutôt envie d’exprimer autre chose, voire de procrastiner. écrit cette histoire, je craignais de ne pas être

MLB : J’ai commencé à écrire le récit d’Hana

lu. Je pensais que cette fiction était très

en 1943. Quand j’ai dû écrire toutes les

déprimante pour que les lecteurs s’y

scènes sur la violence, la brutalité, le viol, ces

intéressent. Qui souhaite lire des histoires

moments extrêmement difficiles et

sombres qui se passent en Corée ? Quand j’ai

douloureux, j’ai eu beaucoup de mal

su que le livre serait publié en France, je

émotionnellement. Alors quand le matin,

n’avais aucune idée de l’accueil que le

j’étais face à ce monde sordide, j’avais plutôt

lectorat français ferait à Filles de la mer. Je

envie d’exprimer autre chose, voire de

suis donc soulagée et très heureuse que ce

procrastiner. J’ai donc eu l’idée d’écrire le

roman touche les gens. Je reçois beaucoup

personnage d’Emi. À ce moment-là, Emi a pris

de messages de lecteurs. Ils sont

de l’ampleur et son envol. Ensuite, cela a été

bouleversés. C’est merveilleux !

plus facile pour écrire les scènes avec Hana. La double narration s’est mise en place ainsi

LFC : Ce roman est sombre avec de l’espoir.

et s’est construite de manière naturelle. MLB : J’ai été inspiré par le roman Beloved de LFC : L’émotion de ce roman déclenche

Toni Morrison. C’est un livre à la fois horrible

des réactions incroyables. La blogosphère

et magnifique. J’ai essayé de faire la même

s’agite et les libraires, dont Gérard Collard

chose avec Hana qui vit une situation difficile.

font du bruit à propos de votre roman.

Et puis, parfois, le lecteur vit des moments de

Comment vivez-vous cet accueil ?

lumière, quand elle se rappelle comment elle se sent dans l’eau. Dans les pages, par

204

MLB : C’est un grand bonheur ! Ces réactions

touche, des instants de grâce viennent

sont surprenantes. Bien sûr, je suis très

s’opposer à la noirceur de l’histoire. Ainsi,

touchée de cet engouement. Lorsque j’ai

l’espoir réside.


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Ce roman a changé des choses dans ma vie. Pendant que je l’écrivais, dans ma vie personnelle, je vivais des moments sombres. J’ai dû apprendre à trouver un équilibre entre ma vie et les émotions causées par l’écriture de S E L I NJe A Rme I C H Adevais RDS "Filles de la mer". de faire la différence entre les deux formes d’émotion. LFC : Les lecteurs sont partout, au-delà de

MLB : Très bonne question.

votre pays. Quelles sont vos impressions ?

Ce roman a changé des choses dans ma vie. Pendant

MLB : Je suis très surprise. Et effectivement,

que je l’écrivais, dans ma vie

je suis très reconnaissante. Les lecteurs me

personnelle, je vivais des

confient qu’ils ne connaissaient pas cette

moments sombres. J’ai dû

partie de l’Histoire. Au-delà d’apprendre

apprendre à trouver un

quelque chose, ils sont très émus.

équilibre entre ma vie et les émotions causées par

LFC : Écrivez-vous un autre roman ?

l’écriture de Filles de la mer. Je me devais de faire la

MLB : Je suis en train d’écrire. Je n’ai pas

différence entre les deux

encore terminé. Autant avec ce premier

formes d’émotion.

roman, le temps d’écriture était rapide. J’ai consacré six mois pour la rédaction du

LFC : On vous laisse le mot

manuscrit. Pour le second roman, c’est bien

de la fin…

plus long. Cela fait déjà plus de deux ans que j’y pense, que je travaille dessus. Cela

MLB : Je suis très heureuse de

me demande plus de temps pour mûrir ce

l’accueil de ce roman en

second livre.

France, d’être là pour en parler avec les lecteurs. Je

206

LFC : Ce roman Filles de la mer a

vous remercie de l’intérêt

bouleversé les lecteurs. Et vous, qu’a-t-il

adressé à Filles de la mer que

bouleversé en vous ?

j’affectionne particulièrement.


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LFC MAGAZINE #11 - JUILLET AOÛT 2018

PHOTOS d'Antoine Verglas Studio et Nikos Aliagas (cover + page intérieur)

INTERVIEW INÉDITE par Christophe Mangelle

MARC LEVY SOUS L'INFLUENCE D'ARMISTEAD MAUPIN


Marc Levy est l'auteur français le plus lu dans le monde avec 19 romans publiés dont les 18 précédents, traduits en 49 langues et publiés à plus de 42 millions d'exemplaires (source site internet de l'auteur). Parcours impressionnant, hors norme, l'écrivain continue son chemin en honorant son rendez-vous annuel avec les lecteurs en publiant "Une fille comme elle" (Robert laffont/Versilio) uniquement parce qu'il a une histoire à raconter et non par obligation de sortir un roman, nous confie-t-il. Rencontre dans un palace parisien pour un entretien matinal. LFC : Bonjour Marc Levy ! Vous publiez "Une fille comme elle" (Robert Laffont/Versilio), c’est votre dix-neuvième roman. ML : Déjà ! LFC : Pensiez-vous en écrire autant quand vous avez commencé ? ML : Non, vraiment pas. Je n’avais aucun calcul en tête quand j’ai commencé. Ni même d’ailleurs le fait d’avoir commencé, si je peux être précis. J’ai toujours écrit par plaisir, par désir. Les romans se sont toujours enchaînés parce que j’aime raconter des histoires à voix basse dans mes livres. Je n’ai jamais été poussé que par cela. C’est uniquement cette joie, ce bonheur, cette immersion que me procure l’écriture. Commencer un roman, c’est une LFC MAGAZINE #11 | 209

plongée en apnée vers un univers très différent du vôtre. Quand je plonge dans ce grand bleu, je ressens à la fois une inquiétude professionnelle qui est d’ailleurs liée à tous les métiers d’artisanat, qu’on exerce avec passion… Nous nous demandons toujours : vais-je y arriver ? Mais audelà de cela, une magie opère sur celui qui est aux commandes du mini sousmarin, si vous me permettez cette image. C’est la rencontre avec ses personnages, la découverte avec l’univers dans lequel ces derniers vont évoluer. J’ai toujours agi par amour pour ce travail, avec cette envie indéfectible de faire. LFC : Ces personnages font vos romans. Et vos romans vous font voyager à travers le monde. Comment vivezvous cet accueil des lecteurs en dehors de nos frontières ? ML : C’est à la fois un grand bonheur et un grand mystère. Quand j’ai écrit Le voleur d’ombres, un roman plus personnel, sans m’en rendre compte, j’ai parlé de mon enfance. Toute une partie du roman, le lecteur voit grandir un enfant dans


une petite école de province française. Et c’est probablement, le plus français de mes romans. Une seule seconde, je n’imaginais pas que les états d’âme de ce petit écolier français puissent avoir de l’intérêt au-delà de nos frontières. C’est un livre qui s’est vendu à plusieurs millions d’exemplaires en Chine, qui a reçu un très bel accueil en Russie, au Vietnam. Si bien que les Chinois n’arrêtent pas de me demander d’en écrire la suite. C’est donc un mystère que nous ne pouvons absolument pas anticiper. Même chose pour le roman Elle & lui, pourquoi s’est-il vendu à plus de 500 000 exemplaires aux États-Unis ? Je n’en sais rien. C’est donc un énorme bonheur d’être lu. C’est extrêmement joyeux par exemple de voir sur Instagram la photo d’un lecteur qui a photographié l’un de mes bouquins dans une bibliothèque au Népal. Quand on aime la diversité du monde et les voyages, imaginez que mes bouquins sont aux quatre coins du monde, c’est un réel bonheur ! Pas au sens fierté, gloire, égo ou encore prétention, juste dans cet amour du livre et de voir le livre voyager. LFC : Vous êtes un des rares romanciers français à être lu aux États-Unis. ML : C’est un privilège. Cela me

LFC MAGAZINE #11 | 210

C’est extrêmement joyeux par exemple de voir sur Instagram la photo d’un lecteur qui a photographié l’un de mes bouquins dans une bibliothèque au Népal. rend très heureux. LFC : Quels sont les moments qui vous ont ému durant votre parcours ? ML : Le jour où mon éditeur Chinois m’a appelé pour me dire que j’étais dans le top 3 de la liste des best-sellers en Chine. Là, je me suis pincé. Cette nouvelle m’a vraiment touché. C’est idiot, mais c’était pour moi tellement improbable. J’ai d’ailleurs repensé à ma grand-mère qui disait : on peut se régaler d’un gâteau sans avoir besoin de savoir comment il a été fait. LFC : Votre dix-neuvième roman, "Une fille comme elle", propose une palette de personnages. New York est un personnage à part entière dans ce roman. ML : Dans ce roman, trois lecteurs peuvent voir trois personnages principaux et différents dans cette histoire. Pour l’un, ce sera New York. Pour le deuxième, ce sera Chloé. Et pour le troisième, ce sera Sanji, voire un quatrième Deepak. C’est vraiment ce que j’avais envie de faire. La couverture du roman correspond complètement à l’intention que j’ai eue en écrivant ce roman. Lorsque j’étais gosse - je ne sais pas si vous partagez cela avec moi - j’étais



habité par cette curiosité en me promenant dans les rues. Et je me demandais ce qui se passait derrière les façades d’immeubles. Cette curiosité m’a donné envie de pousser la porte avec le lecteur en bandoulière. Ensemble, nous allons nous faufiler dans la cage d’escalier. Et nous allons épier ce qui se passe dans cet immeuble. Une fois que nous avons franchi cette façade en ouvrant la couverture, nous entrons dans l’immeuble pour découvrir la vie de ces gens. Et en fonction de ce que nous aimons et de qui nous détestons, eh bien, le personnage principal sera soit Chloé, soit Sanji, soit Deepak. LFC : Selon les influences du lecteur… ML : Absolument. Le lecteur va être au cœur des tribulations de ces propriétaires et de l’enchaînement des quiproquos. Il y a un peu de Feydeau dans ce roman. C’est une comédie urbaine où effectivement la ville de New York est un des acteurs de ce roman. Ce qui est d’autant plus important. Contrairement à d’autres villes où je dirais qu’elle joue plus un rôle de décor, New York est une ville pleine de vie. Conformément à ceux qui la composent, elle est un personnage. D’ailleurs, dans le cinéma de Woody Allen, New York est un personnage. Je ne cite pas ce réalisateur de façon innocente parce que je vis dans son New York depuis

LFC MAGAZINE #11 | 212

dix ans. Une question qu’on m’a le plus posée, c’est : pourquoi vivez-vous à New York ? Et j’ai toujours répondu que je vivais à New York par amour. Mais peut-être que la vraie question est la suivante : comment tombe-t-on amoureux de New York ? Et surtout, comment déshabille-t-on New York ? La réponse est à l’intérieur du roman. LFC : Vous dites que dans ce roman, vos personnages sont tous singuliers, pas tous américains, mais surtout très New Yorkais. ML : C’est vrai. Quelle est la particularité de New York ? Je n’aurais pas la prétention et la certitude de dire que New York est la seule ville du monde à répondre à cela, car je n’ai pas encore eu la chance de connaître

Une question qu’on m’a le plus posée, c’est : pourquoi vivez-vous à New York ? Et j’ai toujours répondu que je vivais à New York par amour. Mais peut-être que la vraie question est la suivante : comment tombe-t-on amoureux de New York ? Et surtout, comment déshabille-t-on New York ? La réponse est à l’intérieur du roman.


toutes les villes du monde. La spécificité de New York, c’est que l’identité New-Yorkaises est construite sur la diversité. Il n’y a aucune antinomie à être étranger et New Yorkais. On compte autant d’étrangers que d’Américains à New York. Il y a ce consensus qu’un Américain du Texas New Yorkais ne revendique pas d’être plus New Yorkais qu’un italien New Yorkais. (Rires) New York, ce n’est pas un État, c’est un état d’esprit. C’est une ville qui est toute en couleur, toute en diversité. Trois cent soixante-trois communautés d’ethnies différentes cohabitent à New York et ont forgé son identité. Dans ce roman, New York est une femme sublime. J’ai pris la liberté de la déshabiller un petit peu pour la rendre sensuelle. Mais tout cela avec beaucoup d’amour. LFC : Chloé, c’est une héroïne lumineuse. Elle a un handicap visible. Et elle exerce un métier invisible, puisqu’elle est comédienne de doublage. Le contraste est touchant. ML : Chloé est une comédienne que nous ne voyons pas puisqu’elle enregistre des livres audios. C’est une femme dont le rapport présence-apparence est un dilemme tout le long du livre. Je ne pense pas avoir écrit à un moment donné du livre le mot handicap. C’était tout le pari du LFC MAGAZINE #11 | 213

Je pense que nous vivons dans une époque où nous nous observons sans nous regarder. Et où nous nous jugeons sans nous écouter. livre. La thématique du livre, c’est la différence et la perception que nous avons de la différence. Et la façon dont notre regard se porte sur les autres. Je pense que nous vivons dans une époque où nous nous observons sans nous regarder. Et où nous nous jugeons sans nous écouter. Il y a une phrase qui pour moi est une phrase motrice de ce roman. C’est quand Sanji dit : Tu imagines ce que serait le monde si les gens s’écoutaient sans s’invectiver. Nous vivons une période où nous n’arrêtons pas de nous invectiver. Parce que nous n’arrêtons pas de nous juger avant même de nous être écoutés. Une question se pose avec un livre pour celui qui l’écrit. Pourquoi ai-je écrit ce livre ? Qu’ai-je envie de raconter dans ce livre ? Je dis cela en toute humilité. En écrivant ce livre, j’ai eu envie de donner envie aux lecteurs de tomber un peu amoureux de la différence de l’autre. Je crois que de nombreux jugements reposent sur des à priori, sur des idées préconçues. Alors, certains disent méchamment sur de l’ignorance, même si j’ai plutôt envie de dire sur de la méconnaissance. De nombreux sujets de société ont animé et déchiré notre société ces dernières années. Et dont les détracteurs, je pense pour beaucoup d’entre eux, étaient mus par une méconnaissance des choses. Si par exemple, nous parlons du débat sur le mariage pour



tous, quel que soit nos orientations, comment peut-on expliquer qu’un million et demi de gens descendent dans la rue pour manifester contre des gens qui s’aiment et que nous arrivons difficilement à en réunir 200 000 pour manifester contre des gens qui bombardent des enfants contre des armes chimiques ? Je ne rentre pas dans le cœur du débat. Je constate. Où est la part d’humanité là-dedans ? Dans ce livre, j’assume totalement que les personnages soient bourrés d’humanité. Ce dont j’ai envie, c’est que cette humanité soit contagieuse. Je le dis ouvertement. C’est vraiment l’intention de ce roman. Ils sont tous différents les uns des autres. Ils viennent tous de milieux différents. Il existe des contradictions parfois burlesques. Par exemple, la situation de ce jeune entrepreneur indien qui se retrouve accidentellement liftier dans un immeuble. Aucun des propriétaires ne s’imagine que leur liftier est dix fois plus riche qu’eux. Alors qu’eux, ils se prennent pour des bourgeois en le traitant avec une certaine condescendance. Pourtant, il pourrait racheter l’immeuble avec leurs appartements inclus… Évidemment, ce sont des situations toniques et drôles. Derrière le rire, ce qui est important, c’est l’humanité. Et cette envie de contagion d’humanité entre eux. LFC : Même si c’est différent, ce roman nous a fait penser aux

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"Chroniques de San Francisco" d’Armistead Maupin… ML : (Joie/Sourire) Cela me fait un plaisir fou de vous entendre me dire cela. Je n’aurai jamais osé me comparer à cet excellent auteur. Vous ne pouvez pas me faire un plus beau compliment. Si vous me dites que c’est un Armistead Maupin du XXe siècle, nous pouvons arrêter l’interview… (Rires) Vous m’avez fait ma journée. Les chroniques de San Francisco, c’est une série de romans qui m’a rendu le plus heureux dans la vie. À chaque fois que j’ai lu un roman d’Armistead Maupin, je savais que j’allais prendre un shoot de bonheur pendant six heures de lecture. Et ressortir de là au mieux de ma forme. C’est drôle, je n’avais pas

"Les chroniques de San Francisco", c’est une série de romans qui m’a rendu le plus heureux dans la vie. À chaque fois que j’ai lu un roman d’Armistead Maupin, je savais que j’allais prendre un shoot de bonheur pendant six heures de lecture. Et ressortir de là au mieux de ma forme.


du tout pensé à la comparaison… Cela me fait vraiment très plaisir. LFC : Ce roman pourrait devenir une série de romans… ML : J’y pense beaucoup. Cela pourrait vraiment bien être le premier volet d’une série de deux, trois, quatre, cinq livres. Ce qui était très difficile dans ce roman au niveau de la conception, c’était de créer cette galerie de personnages en les faisant tous exister. Cela fait quelque temps que j’ai terminé le roman, M. Rivera est là, Mme Collins aussi… Ils sont présents. Ils m’habitent. Je vis avec eux. Je pense à eux. Maintenant qu’ils sont rentrés dans la vie des lecteurs, l’envie de continuer de les faire exister me tente énormément. LFC : Après les adaptations à l’écran pour la télévision ou le cinéma de vos succès : "Et si c’était vrai" avec Reese Witherspoon et Mark Ruffalo, "Mes amis, mes amours" avec Vincent Lindon et Pascal Elbé,

LFC MAGAZINE #11 | 216

Maintenant que les personnages sont rentrés dans la vie des lecteurs, l’envie de continuer de les faire exister me tente énormément. "Où es-tu ?" avec Cristiana Réali, avezvous d’autres projets en cours d’adaptation ? ML : Oui, le roman Elle & lui est en cours d’adaptation. Ce sera un long-métrage. Je suis très heureux que les romans deviennent des films ou des séries TV. C’est très joyeux. Quand une équipe de cinéma ou de télévision vous offre ce cadeau de donner vie à vos personnages, c’est un moment délicieux. Voir vos personnages prendre vie sous la houlette d’un acteur ou d’une actrice, c’est incroyable. Il ne faut absolument pas regarder cela en cherchant à comparer les pages que vous avez écrites. Un metteur en scène ne peut pas se limiter à filmer les pages d’un bouquin. C’est le contraire. Il faut vraiment redécouvrir comme un gosse votre histoire racontée par un autre auteur. L’honnêteté de l’adaptation, c’est celle-ci. Un metteur en scène, c’est un autre auteur à part entière, qui vient me proposer de raconter mon histoire à sa façon. Soit je le laisse faire. Soit je le fais moi-même.



LFC : Justement. Aimeriezvous faire autre chose qu’écrire ? ML : J’ai toujours agi avec un amour du métier. Je n’ai jamais calculé ce que j’ai fait. C’est avec beaucoup de spontanéité que je m’implique dans mes romans. J’ai toujours fonctionné comme ça : l’appel de l’histoire. Le rendez-vous annuel n’a jamais été un rendez-vous à date fixe. J’écris au moment où le désir est là, lorsque les personnages sont là et qu’ils ont des choses à nous dire. Et pour vous répondre sur un éventuel pas de côté, je suis ouvert à tout, tant qu’il s’agit de raconter des histoires. Il faut que cela soit du désir, du désir et rien que du désir comme disait M. Daldry. Parce que sinon, cela n’a aucun intérêt. C’est uniquement par bonheur, par joie, par désir, et aussi pour le bonheur de travailler avec les autres. Que ce travail collégial vous fasse vivre des aventures humaines vibrantes. S’il y a un luxe précieux que mon métier m’a apporté, c’est de pouvoir travailler seulement avec des gens avec lequels je m’entends. Hors de question de collaborer avec des gens

avec des gens que je n’apprécie pas. L’idée est vraiment le moteur du désir de travailler avec des gens avec qui vous avez passé un moment génial. C’est cet esprit-là que je souhaite. LFC : Que pouvez-vous dire aux lecteurs qui vous sont fidèles depuis dix-neuf ans ? ML : Merci du fond du cœur. C’est grâce à eux que j’existe depuis dix-neuf ans : fidélité, générosité, renouveau. Ils m’écrivent. Je leur réponds. Cet échange a établi une forme de complicité virtuelle et de dialogue à travers les romans. Que les livres passent d’une génération à l’autre est très touchant. J’ai beaucoup de lecteurs qui me disent qu’ils ont commencé à me lire à vingt ans… Ils en ont quarante aujourd’hui. D’autres ont vingt ans aujourd’hui et ils me racontent qu’ils ont découvert mes livres dans la bibliothèque de leurs parents. C’est le plus beau des cadeaux.

MON ACTU

à ne pas manquer LFC MAGAZINE #11 | 218


LFC MAGAZINE

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#11

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JUILLET-AOÛT 2018

CERRONE

PHOTOS EXCLUSIVES ET ENTRETIEN INÉDIT PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : FRANCK BELONCLE LEEXTRA


Juin 2018, nous avons rendez-vous chez Cerrone à Paris, quartier chic. Quel joie ! Musicien de disco, compositeur, producteur de musique et écrivain français, Cerrone passe de Vitry-surSeine aux dancefloors du Studio 54 . Ahmet Ertegün Records, signe S E Lpropriétaire I N A R I C H A R D d’Atlantic S Cerrone pour sept ans et trois albums. "Love in C Minor" s’écoule à 3 millions d’exemplaires. "Je Suis Music", "Look For Love" ou "Give Me Love" empoche au passage cinq Grammy Awards. Photos exclusives et entretien inédit d'un génie de la musique au destin extraordinaire.

LFC : Bonjour Cerrone ! Vous publiez

pendant quatre jours, une bonne bouteille, et

Paradise (Éditions E/P/A). Comment ce livre

nous avons eu la conversation que vous

est-il né ?

pouvez lire dans le livre Paradise.

C : Je n’ai pas eu l’idée personnelle de me

LFC : À quel moment, avez-vous eu vraiment

dire : je vais écrire ma vie. Parce qu‘elle n’est

envie d’écrire ce livre ?

pas forcément intéressante pour prendre la plume. C’est une journaliste belge qui vit aux

C : Sans vouloir être prétentieux, ce n’est pas

États-Unis qui m’a interviewé il y a une

parce qu’on vient d’une banlieue que ce n’est

quinzaine d’années. Cet entretien était un

pas réalisable. La preuve ! Ma vie n’était pas

moment de confidence. J’étais à l’aise.

tracée pour être celle-là. C’est cousu à l’huile de

Remémorer certains événements ne m’a pas

poudre. (Rires)

déplu. À cette époque, elle a été fouillée dans ma vie pour me poser des questions très

LFC : Vous êtes né à Vitry-sur-Seine.

pointues et pertinentes. Nous sommes restés très amis. Et nous nous sommes vus très

C : Je suis né à Vitry-sur-Seine dans le Val-de-

régulièrement. Un lien nous unissait. Avec ma

Marne. Je viens d’un milieu très modeste, avec

tendance bavarde, nous avons beaucoup

beaucoup d’amour, d’éducation et de moral.

échangé. Depuis un an et demi, elle m’a dit

Mon père était cordonnier. Par accident, j’ai eu

qu’elle aimerait bien mettre bout à bout

une vie incroyable.

toutes nos conversations. Nous nous sommes installés au coin de la cheminée à Ramatuelle 220

LFC : Avez-vous eu de la chance dans votre


parcours ?

C : Surtout des opportunités. Certains parleront de chance. Seulement, la chance, oui. Mais il faut encore la reconnaître.

SELINA LFC : Grâce à une erreur dans un envoi de colis, votre disque Love in C minor devient un hit aux États-Unis.

C : Nous sommes à une époque où les discothèques n’existent pas vraiment. Ce sont

221

Je suis né à Vitry-surSeine dans le Val-deMarne. Je viens d’un milieu très modeste, avec beaucoup d’éducation R I d’amour, CHARDS et de moral. Mon père était cordonnier. Par accident, j’ai eu une vie incroyable.

des night-clubs, des lieux où nous entendons

mythomanie. Je vidais les pistes d’une certaine

trente minutes de slow et trente minutes de

manière. Le titre durait seize minutes trente

musique plus rythmée, avec les DJ qui parlent

secondes. Il ne tenait qu’à moi de dire au DJ : tiens

pour endiabler la foule. Cela peut avoir des

bon ! On amenait les gens. Ils se mettaient en rond

airs de fête de la bière. La disco est un genre

de la piste. Ils écoutaient. Ils se regardaient. C’est

de musique qui me séduisait. Cela faisait

tout ce que j’avais envisagé. Ils n’avaient pas

comme les raves party, dans des lieux

besoin de se dire des choses. La musique le faisait

spécifiques. C’est comme cela que sont nés

pour eux. C’est de la mise en scène musicale. Et

les boîtes de nuit comme Studio 54, Le Palace

puis ils commençaient à danser et ils allaient

ou Les Bains Douches à Paris. J’ai voulu

demander au DJ : c’est quoi le titre de ce morceau ?

réaliser de la mise en scène musicale. La pure

Ils notaient. Ces réactions m’ont donné de

disco est une musique spéciale. Il ne faut pas

l’énergie, de l’ambition, la folie de continuer de

confondre la pure disco avec la pop disco qui

convaincre. J’ai pressé 5000 albums et cela se

a été de grand succès de chanteurs

vendait. Le buzz fonctionnait très bien. Au bout de

populaires qui seraient de toute façon

deux mois et demi, je signe avec une maison de

devenus des tubes. Mais pas forcément à la

disques française WEA en distribution, ce qui veut

sauce disco. Cela a embrouillé les gens et

dire que nous leur livrions les disques et ils les

surtout les Français. Je pensais que la pure

vendaient. Il fallait tout apprendre. Je ne savais pas.

disco pouvait marcher, à Paris et en banlieue.

J’ai appris sur le tas. Au même moment, un fan

J’étais fort sympathique avec les DJ.

américain m’a dit qu’il a retrouvé le cover de Love

J’amenais les disques. Je venais d’un groupe

in C miror. Et ça monte… Je vais au MIDEM, le

qui s’appelait Kongas. J’étais crédible. On ne

marché du disque. Je rencontre des professionnels

me prenait pas pour un blaireau. J’arrivais à

qui me disent : ça cartonne pour toi aux États-Unis.

faire passer mon disque et je vidais les pistes.

Au bout du troisième, je commence à m’interroger.

La mégalomanie est très proche de la

Je consulte le Billboard, la bible de


C E R R O N E L F C

M A G A Z I N E

# 1 1


J’aimerais que ce livre dise aux lecteurs que c’est possible, que les choses les plus folles et les plus L I N A R I C H A R D S se produire. inattenduesS Epeuvent l’industrie musicale et je vois ce disque : The

rien de sûr. Reste là. Le début de l’artiste

Heart And Soul Orchestra - Love In "C" Minor

surprise commence. C’est un moment

Cerrone. Je deviens fou ! Je pars aux États-Unis.

important du show. Et puis on s’en va.

Je frappe à la porte de la plus grande maison de

Sauf que j’entends les premières notes de

disques des États-Unis Atlantic Records. Je vais

ma musique. Pas en disque. Mais bien en

au plus haut. Quand j’explique mon histoire à

live. Alors que tous les artistes précédents,

Atlantic. Je suis très bien accueilli, car il attendait

c’était du playback. Que se passe-t-il ? On

que je vienne à eux pour me signer en tant

m’attrape le bras. On me conduit sur le

qu’artiste chez eux. Contrat signé ! Et c’est parti à

plateau. Je suis comme un enfant qu’on

une vitesse incroyable jusqu’à un Grammy Award

réveille à 2h du matin pour lui montrer ce

en 1977.

que le Père Noël a amené près du sapin. Je ne sais pas comme le gosse si je suis

LFC : Racontez-nous votre première télévision

content ou non. Je me retourne et je vois

aux États-Unis.

tout un groupe qui commence à jouer. Avec une batterie qui n’attend plus que

223

C : Je suis invité en tant que Cerrone, artiste solo.

moi. Je vais donc jouer comme un

Dans Quotidien sur TMC, ils ont diffusé un extrait

somnambule. L’émotion sur un show si

de cette émission où l’on me voit arriver. La

populaire en prime un samedi soir. Cela

maison de disques m’invite à traîner dans les

ne m’a pas ouvert les portes. Cela m’a

coulisses en me disant que je passerais peut-être

propulsé. S’il faut aujourd’hui cinq à six

sur le plateau. Rien de certain. Je ne suis pas sur

mois pour faire un succès, à l’époque, il

la liste d’invités. Je m’inquiète et je reste intimidé,

fallait trois semaines ! Je peux vous dire

car les Jackson 5 ou encore Ray Charles passent

que pour un mec qui vient de Vitry-sur-

devant moi. Je suis le plus discret possible. Je ne

Seine, c’est vertigineux. Dans ces

veux ni gêner ni me faire jeter. La fin de l’émission

moments-là, je me suis posé de

approche, l’attaché de presse de la maison de

nombreuses questions. Je me suis

disques me précise : je t’avais prévenu, il n’y a

demandé si je n’étais pas un imposteur.



Je vais annoncer ma prochaine tournée qui sera ma dernière. Elle s’étalera sur 2019 et 2010. Peut-être aussi 2021 puisque de nombreuses dates s’ajoutent. Ce sera ma dernière tournée live, que je souhaite faire avec un groupe que j’ai reformé qui s’appelle Kongas. La boucle est bouclée. LFC : Vous avez vécu un autre moment

SELINA

incroyable. Le lancement de votre album avec

album Supernature qui contient Give me love. La

RICHARDS

maison de disque me dit : whaou ! Et rebelote ! Et

un voyage presse en Concorde, le lâcher de

je leur dis : non, ce n’est pas celui-ci qu’on sort. On

ballons dans les rues de New York.

sort ça. Je leur fais écouter un titre étonnant,

d’une froideur, avec des sonorités audacieuses. 8 C : C’est trois ans après. C’est l’assurance que j’ai

millions d’albums vendus, 5 Grammy Award. J’ai

acquise. Je suis assis sur un bon paquet de

toujours voulu être différent. Je n’ai fait que

millions d’albums de vendus. Deux possibilités

travailler avec un minimum de talent. Mais je n’ai

s’offrent à nous : soit tout s’arrête parce que je ne

jamais vu cela comme un travail. Je passe ma vie

suis pas à la hauteur, peu importe la raison, soit

à jouer de la musique. J’ai le sentiment d’être

continuer. Et j’ai voulu poursuivre en empruntant

habité par deux personnes : l’ambitieux, motivé,

le chemin bien spécifique de ne jamais être

qui n’a peur de rien. J’ai fait ce métier pour être

comme les autres. Tout faire pour être différent

sur scène et mes disques étaient le prétexte.

des autres. C’était mon leitmotiv. J’avais parfois des idées que d’autres avaient. Dès que je savais

LFC : Aimeriez-vous que votre livre soit

qu’ils travaillaient sur la même chose que moi en

révélateur pour ceux qui ont envie de vivre de

parallèle, immédiatement, j’arrêtais tout. Et je

leur passion ?

cherchais une autre voie. Peu importe le coût que cela pouvait engendrer. Cette ligne n’est pas

C : Complètement. J’aimerais que ce livre dise

simple à tenir. Seulement, je ne voulais pas me

aux lecteurs que c’est possible, que les choses

réfugier dans les facilités. Dans mes soirées Studio

les plus folles et les plus inattendues peuvent se

54, dans les carrés VIP, Jean-Paul Gauthier,

produire.

Wharhol, tous ces mecs à la pointe de la branchitude, inconnus de la mère Denis venaient

LFC : Quel est votre prochain challenge ?

danser. Mes morceaux étaient soutenus par des clips. Aujourd’hui, c’est banal. Mais pour l’époque,

C : Ce n’est pas un défi, mais une conclusion.

c’est incroyable. C’était très mégalo.

C’est très important pour moi. Je vais annoncer ma prochaine tournée qui sera ma dernière. Elle

LFC : Et Supernature a cartonné avec Give me

s’étalera sur 2019 et 2010. Peut-être aussi 2021

love.

puisque de nombreuses dates s’ajoutent. Ce sera ma dernière tournée live, que je souhaite faire

225

C : Absolument. Paradise est la suite de mon

avec un groupe que j’ai reformé qui s’appelle

premier disque. Ensuite, je publie mon troisième

Kongas. La boucle est bouclée.


LE GROUPE POP DE L'ANNÉE

HYPHEN HYPHEN INTERVIEW PAR CHRISTOPHE MANGELLE

ENTRETIEN EXCLUSIF

PHOTOS EXCLUSIVES DE CÉLINE NIESZAWER LEEXTRA


Hyphen Hyphen, c'est Santa, Line et Adam, trois jeunes gens énergiques et talentueux qui nous offrent un deuxième album "HH" qui s'attire une pluie d'éloges. Explosif, éclectique, époustouflant, "HH" va vous mettre une claque musicale ! Hyphen Hyphen veut faire du bruit, et rêve de partager leur musique audelà de nos frontières. Avant de les voir s'envoler vers le public étranger, nous sommes très heureux de les recevoir au studio pour une séance de photos exclusives et entretien inédit. Rencontre. LFC : Pouvez-vous nous raconter vos débuts dans la musique ? Santa : Adam et moi-même, nous nous connaissons depuis toujours.C’est-à-dire depuis que nous avons des souvenirs. Avec Line, nous nous sommes rencontrés au lycée. Et très vite, nous avions la même envie : faire de la musique. Après le lycée, hormis la musique, les options étaient creuses. LFC : Ce n’est pas le plan B de Christine Angot quand même ! (Rires) HH : Non, absolument pas ! (Rires) Santa : Surtout que nous étions de très bons élèves. Nous avons tous eus Mention Très Bien au BAC. Seulement, pour dire vrai, rien ne nous faisait plus vibrer que la musique. Le reste ne nous intéressait pas vraiment. Nous n’avions pas envie de faire une école de commerce ni de devenir banquiers ou encore être graphistes freelances. Ensemble, nous avions envie d’une chose : faire de la musique pour tout fracasser ! LFC MAGAZINE #11 | 227

Romain : Exactement ! Avec ce besoin de se défouler. Line : Faire des bêtises ensemble et pousser le truc. Voir où cela nous mène. LFC : Vous envoyez sur scène une énergie tellement forte. Et pourtant, j’ai la chance de papoter avec vous, et vous êtes calmes. Comment expliquez-vous cette dualité ? Santa : C’est vrai ce que vous dites. Nous sommes de grands timides. La scène, c’est un exercice. Tous les trois, nous sommes parvenus à créer notre propre langage et à nous apprivoiser. Dans le monde extérieur, nous venons avec cette rage de conquérir et d’être encore plus fort à trois. Pour nous, sur scène, c’est la manière la plus magique d’exploser. LFC : Vous exprimez tout ce que vous ne pouvez pas faire dans la vie de tous les jours. Santa : Ce serait effectivement difficile de s’exprimer comme ça dans la vie de tous les jours. QUI VEUT UN CAFÉ ? (en hurlant + Rires) JE N'ENTENDS RIEN ! QUI VEUT UN CAFÉ ? (Elle crie) LFC : Continuons de parler de votre parcours, du lycée à votre premier album "Times"…



Santa : À la sortie du lycée, nous rencontrons notre premier tourneur à Caen qui nous programme deux cents dates. C’est sur scène que nous apprenons la musique. Nous comprenons l’impact que la musique a sur nos vies et l’importance de l’effet grande messe que le concert procure, moment où nous pouvons nous oublier ensemble. Nous adorons ce sentiment. Nous essayons alors de le mettre sur un disque, Times, qui clairement est un album pour la scène. D’ailleurs ce disque, je le trouve encore plus intéressant sur scène, d’où la victoire de la musique (Victoire du groupe ou artiste révélation de l’année 2016), parce que nous sommes arrivés à nous exprimer davantage sur scène que sur l’album. Or, cette fois-ci, notre deuxième challenge, c’était de devenir producteur de musique et de faire un second album qui s’intitule HH, qui serait à la hauteur de ce qu’on peut présenter sur scène. LFC : Aviez-vous la volonté que cet album soit plus studio ?

Nous avions comme modèle les productions américaines que nous aimons écouter. Ce disque nous a demandé une bonne année de travail. américaines que nous aimons écouter. Ce disque nous a demandé une bonne année de travail. LFC : Pour quelles raisons avez-vous quitté Nice pour venir vivre à Paris ? Romain : Pour la musique. Nous étions arrivés à un stade où nous étions obligés. La distance devenait un frein dans la création et le travail. Partir de Nice. Rentrer à Nice pour les tournées. Tout déplacement était très compliqué. Les temps de trajets étaient trop longs. De Paris, tout est bien plus simple.

Santa : Oui, plus studio. Plus pop. Avec toutes ces envies d’urgence, de violence…

Santa : C’est un choix pragmatique, mais pas seulement… Nous avions aussi l’envie de bouger. Nice est en train d’être une ville qui meurt. Nous n’avions pas envie de crever avec elle. Nous avons toujours envie d’y retourner pour le soleil, mais pas pour la fête.

Line : Tout en gardant cette énergie de la scène. C’était vraiment le processus inverse.

Romain : C’est un lieu très agréable pour y vivre. Seulement, il n’y a pas l’effervescence de Paris, où ici, tout bouge tout le temps.

Santa : Avec une couleur plus urbaine parce que nous sommes devenus parisiens. Nous avions comme modèle les productions

Santa : Ceci dit, à Paris, ça bouge parfois beaucoup trop, car je n’arrive toujours pas à comprendre les gens qui courent dans le métro un dimanche. (Rires) Je leur cours après… et je crie : Pourquoi cours-tu un dimanche dans le

LFC MAGAZINE #11 | 229



métro ? (Rires) LFC : Vous avez appris votre job d’artiste sur scène. Votre deuxième album HH - que nous aimons beaucoup à la rédaction, c’est brillant ! garde l’énergie avec des titres pop. Comment avez-vous travaillé ce disque pour qu’il soit si bon ? Santa : C’est une année de recherches, d’insomnie, dans laquelle nous avons essayé d’atteindre les qualités mélodiques de grandes chansons comme des titres de Beyonce, Michael Jackson, David Bowie pour les flows et la violence des productions. Nous avions envie de quelque chose de plus frontal qui s’exprime dans les beats. Le truc le plus frontal en ce moment, c’est le hiphop, tout en gardant la mélodie. Nous y sommes très attachés en tant que grands amoureux des mélodies. Ce sont elles qui permettent universellement de faire ressentir les émotions. Les mélodies, nous ne les lâcherons jamais ! LFC : C’est votre grande particularité. Santa : Oui, et puis, je trouve que la musique devient décadente. Essayons d’être les seuls à résister et à garder la mélodie. Nous avons aussi fait très attention à ne pas laisser le monopole au style. Toutes les productions ont été construites autour d’une émotion. Et ne pas essayer de trouver une émotion dans une production qui n’en a pas. C’était l’un des vrais enjeux de l’album. Quand nous écoutons la radio, nous ne nous retrouvons pas du tout dans ces nouvelles productions qui ne sont là que pour délivrer des fréquences à la suite. Notre challenge était de délivrer des émotions ; que l'auditeur soit un enfant ou un adulte. LFC : Voulez-vous toucher un large public ? HH : Oui. Line : Cela peut paraitre prétentieux, mais nous aimerions toucher tout le monde tout en proposant une musique exigeante.

LFC MAGAZINE #11 | 231

Santa : Cela peut être une définition de la pop. LFC : Le premier single "Like Boys" arrive au cœur d’une actualité brûlante. Santa : Nous avons enregistré ce titre il y a un an. Et jamais, nous nous serions dit que ce titre allait sortir la même semaine que la loi contre le harcèlement. Nous ne savions même pas si nous allions le mettre sur l’album. Il existe vingt-sept versions de mixes de ce titre. À un moment donné,

Nous y sommes très attachés en tant que grands amoureux des mélodies. Ce sont elles qui permettent universellement de faire ressentir les émotions. Les mélodies, nous ne les lâcherons jamais !


nous avons eu une réflexion : gardons-nous ce titre ou pas ? Oui, ce titre résonne avec l’esprit girl power du disque, de l’approche des libertés sexuelles qui est un thème récurrent, d’une jeunesse un peu perdue qui a envie de regarder vers l’avenir avec beaucoup d’espoir. Je pense que Like boys répond avec beaucoup d’ironie à une situation qui nous a touché un milliard de fois et qui en plus nous est arrivé en studio.

Santa : Nous avons écrit le synopsis. Nous aimons toucher à tout : la pochette, le clip, les photos. Nous adorons ça. Nous participons même au montage du prochain clip qui va sortir. Nous sommes seulement capables de penser artistiquement de manière globale. Travailler l’image, cela nous excite énormément. Ce qui est le plus fun après avoir créé la musique, c’est de générer l’image. Et de s’amuser avec cela. LFC : Réalisez-vous un rêve ?

Line : C’était juste une blague au début. LFC : Une très bonne blague. Le clip est très sympa.

Santa : Clairement oui. Tous les jours, nous le vivons ce rêve. Nous visons la vie que nous

avons voulue ensemble. LFC : Vous êtes un groupe très engagé dans votre démarche artistique, dans les thématiques abordées. Santa : Nous sommes engagés. Nous sommes politiques, tout en étant apolitiques. Politiquement, nous ne sommes pas des artistes engagés. Déjà, parce que nous n’y croyons pas. Ensuite, d’autres artistes le font très bien. Passer après Renaud, ça fait toujours mal. (Rires) Notre but est de parvenir à extraire les gens de leur quotidien. Si nous arrivons à les sortir par magie… Jacques Brel disait : Si j’ai la chance d’avoir


l’effet d’une aspirine, j’ai réussi ma vie. C’est exactement ça. Si pendant cinq minutes du concert, les gens se sont oubliés. Eh bien, nous aurons gagné notre pari. LFC : Ce deuxième album est composé de onze morceaux… Santa : HH se compose de onze titres, tous très différents. Le lien entre les morceaux s’est la voix et les mélodies. Il y a un style entre les percussions et dans le regard. Nous n’avons pas voulu d’un album avec une seule recette, mais bien plusieurs. Les morceaux sont très différents les uns des autres. C’était voulu avec l’idée de surtout ne pas ennuyer l’auditeur. Bien au contraire. Nous avions envie d’un disque

court, que nous avions envie d’écouter de A à Z. Romain : Chaque morceau devait avoir sa place. Et ne pas être là pour remplir une liste de titres. Beaucoup d’albums qui sortent en ce moment comptent entre dixhuit à vingt titres. Cela se fait de plus en plus. Seulement, j’ai le sentiment qu’il y a des morceaux qui se perdent dans ce lot de titres. Où que ces chansons sont là juste par ego. Nous voulions un disque avec moins de titres, mais surtout des morceaux tous efficaces. Santa : Pour ce disque, nous avons écrit deux cents titres. Et nous en avons gardé seulement onze. Nous ne souhaitions pas

publier un disque à rallonge. Line : Nous préférons que les gens aient envie de le réécouter plutôt qu’ils se lassent parce qu’il y a trop de morceaux. LFC : Tout va bien, nous l’écoutons en boucle. HH : Cool ! LFC : Chanterez-vous un jour en français ? Santa : Je ne pense pas. Nous écrivons des textes en français pour d’autres artistes. Peut-être qu’un jour… Mais c’est vrai que nous avons envie de dépasser les frontières. Nous n’avons pas envie d’écrire en français pour


conquérir la France en premier. Nous écrivons à trois. Et comme nous sommes très timides et pudiques, c’est bien plus facile pour nous de nous exprimer en anglais et de les chanter tous les soirs avec ce filtre, ce recul sur la langue. Nous nous dévoilons avec plus de subtilités. Alors qu’en français, ce serait tout de suite plus brut. C’est une façon de se protéger. Si nous traduisons certains textes, ils sont vraiment forts. LFC : Vous n’êtes pas trop pour les featuring parce qu’à trois, vous avez déjà beaucoup de choses à dire ensemble ! Santa : (Rires) Nous aimerions faire des featuring, mais les artistes que nous espérons, ils sont aux États-Unis. Et ils coûtent trop cher. (Rires) LFC : Vous rêvez en grand ?

Comme nous sommes très timides et pudiques, c’est bien plus facile pour nous de nous exprimer en anglais et de les chanter tous les soirs avec ce filtre, ce recul sur la langue. Nous nous dévoilons avec plus de subtilités. Je pense que les grands moments sont à venir. Ce disque HH, nous en sommes très fiers. LFC : Votre disque vient de sortir en juin. Ce sont les premières dates pour le présenter. Avez-vous des appréhensions ? Line : Oui, forcément. Santa : Carrément, c’est même plus que des appréhensions. Nous sommes face à un trac anesthésiant. Nous avons fait quelques dates. Nous commençons à remonter sur scène. Et c’est enfin rassurant. Line : Sur scène, ça se passe super bien ! Les gens ne connaissent pas encore les morceaux. Et ils chantent déjà les refrains.

Line : C’est bien, c’est l’ambition.

Santa : Ce qui est galvanisant aussi, c’est que nous sommes entourés d’une équipe qui croit en nous. Le label nous porte. Cela nous rassure énormément. Big up !

Romain : Plus on rêve en grand, plus ça s’ouvre.

LFC : Ce disque, vous rêvez de le jouer dans le monde entier ?

Santa : C’est une progression. Nous ne débarquons pas de nulle part. Sur le premier album, nous avons été très surpris de devenir la sensation… Aujourd’hui, nous essayons de le cultiver, de grandir encore. Nous n’avons d’ailleurs pas peur de grandir.

Santa : En France, on vit un rêve. Mais nous sommes prêts pour l’étape d’après.

HH : Oh oui !

LFC : La Victoire de la musique 2016, le grand soir où vous avez raflé la récompense. Vos sentiments ? Line : C’était un des plus beaux jours de ma vie. Santa : Pour moi, c’était un énorme step. Et je le vois comme une étape. C’était extraordinaire. Next. La suite !!! LFC MAGAZINE #11 | 234

LFC : Qu’allez-vous présenter à l’Olympia le 12 octobre à Paris ? Santa : Il existe déjà une première version du show qui de toute façon va encore évoluer. Nous n’aimons pas jouer toujours la même chose. Avec le public, nous sommes ensemble dans une communion. Nous ne jouons pas l’album comme il est sur le disque. D’énormes sons, de la batterie, nous aimons ce moment où la musique pénètre les os. Nous jouerons les morceaux du second album avec certains titres phares de Times. LFC : On vous laisse le mot de la fin… HH : Merci beaucoup. Et venez nous voir en live !


HOLLYDAYS INTERVIEW LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018

MUSIQUE

Par Christophe Mangelle Photos : Patrice Normand Leextra

LFC MAGAZINE #11 235


Attention talent ! Hollydays, le duo french pop, composé d'Élise Preys et Sébastien Delage, annonce leur premier album Hollywood Bizarre pour l'automne, le 26 octobre 2018 et une scène parisienne le 19 septembre au Café de la danse. Entretien inédit avec un duo élégant que nous remercions pour la confiance accordée lors de la séance de photos exclusives et l'entretien.

LFC : Nous nous rencontrons pour parler de

Comment est née l’idée de parler de ce thème ?

votre EP disponible depuis le 12 janvier 2018 et également de votre nouveau titre qui

Sébastien : Cela dépend comment on aborde ce thème. D’un

vient tout juste de sortir. Pouvez-vous nous

côté, nous parlons des joints. Et d’un autre, nous évoquons

en parler en quelques mots ?

son addiction.

Sébastien : Notre EP est effectivement sorti

Élise : Nous avons choisi les joints, car c’est ce qui nous

en début d’année et s’appelle L’odeur des

parlait le plus. Cependant, c’est un peu plus large que cela.

joints et notre nouveau titre

C’est une chanson qui parle des excès en général comme

s’intitule Hollywood Bizarre, c’est une sorte de

l’alcool, la cigarette, le sexe… Ce titre réunit toutes sortes

prémisse de notre prochain album.

d’addiction.

LFC : Pourra-t-on retrouver des titres de

LFC : Votre manière d'en parler n'est pas moralisatrice.

votre EP dans l’album ? Élise : Nous essayons simplement de dresser un constat. Ce Élise : On verra. Une chose est sûre, il y aura

titre est une main tendue qui dit : viens, je suis là.

des surprises. Rendez-vous le 26 octobre ! Sébastien : Cette chanson, on peut se la chanter à soi-même Sébastien : Parfois, un album est un best-of

en se disant que tout est possible pour se sortir d’une

des EPs précédents. La tracklist n’est pas

addiction.

encore définitive, mais on retrouvera certainement quelques titres de nos anciens

LFC : Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

projets. Sébastien : Il y a longtemps. J’étais au lycée avec le grand LFC : Parlons de L’odeur des joints.

LFC MAGAZINE #11 236

frère d’Élise avec qui je faisais de la musique. À l’époque,


LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018 // HOLLYDAYS


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE

PHOTOS PATRICE NORMAND LEEXTRA

Notre éditeur nous a présenté Rose pour enrichir notre répertoire. Elle a un talent d’écriture imparable. j’entendais Élise chanter à tue-tête derrière la porte.

LFC : Comment définiriez-vous votre univers

(Rires) Plus tard, nous nous sommes retrouvés avec

musical ?

l’envie de faire de la musique ensemble. Nous avons trouvé un auteur. Et l’aventure a commencé.

Sébastien : Je dirais que c’est de la chanson française tout d’abord. La chose qui est bien

Élise : Nous avons fait une première chanson pour

c’est qu’avec Élise, nous avons des goûts

s’amuser. Et finalement nous nous sommes dit que nous

musicaux différents. Ce qui nous influence

nous entendions très bien. Alors nous avons continué.

chacun d’une manière différente. Moi par exemple, j’aime beaucoup le trip hop ou des

LFC : Qui fait quoi au sein du groupe ?

artistes comme Grand Blanc ou Trent Reznor. Je dirais que nous faisons de l’électro/trip

Élise : Nous travaillons toujours en famille. Antoine

hop/rock.

Patinet est notre auteur, il a écrit 95% de nos textes et c’est un membre très important de notre groupe. C’est

LFC : Comment vous sentez-vous sur scène ?

d’ailleurs grâce à lui que nous chantons nos chansons dans notre langue maternelle : le français. Nous avons

Sébastien : Ne venant pas de la musique, c’était

aussi un texte de Pierre Lapointe et deux textes de Rose.

très difficile. Élise était mannequin. Et moi, j’étais

Sébastien et moi-même, nous nous occupons plutôt de la

enseignant. La première fois que l’on a fait une

partie musique. Je m’occupe des mélodies. Et Sébastien,

scène, c’est comme si nous étions deux enfants

il compose et il produit.

tout nus avec nos instruments. (Rires) Le travail de la scène ne s’arrêtera jamais. Car il évolue à

LFC : Comment s’est faite la rencontre avec Rose et

chaque concert.

Pierre Lapointe ? Élise : C’est vrai que c’est un exercice compliqué. Sébastien : Notre éditeur nous a présenté Rose pour

Lorsque j’étais mannequin, on ne me demandait

enrichir notre répertoire. Elle a un talent d’écriture

pas de m’exprimer. Mais nous nous y sommes

imparable. Pour Pierre Lapointe, je lui ai envoyé un

fait. Et aujourd’hui nous prenons énormément de

message sur sa page Facebook pour lui dire que j'aimais

plaisir à jouer tous ensemble.

ce qu'il faisait. Ainsi, j’ai vu que nous avions des amis en commun. Nous nous sommes rencontrés lorsqu’il est

LFC : Qu’avez-vous ressenti après votre

venu à Paris. Et il nous a écrit plusieurs textes.

première représentation ?

238 LFC MAGAZINE #11


Nous avons besoin de travailler avec des gens qui savent ce qu’ils font. Et qu'ils apportent une autre vision que la nôtre. Il y a une relation de confiance. Élise : Je pense que j’ai dû vomir ! (Rires) C’était très

en famille ?

intimidant. La scène, on l’apprivoise petit à petit. Plus on en fait, plus on apprend.

Sébastien : Exactement. C’est ce que l’on a fait pour le clip On a déjà par exemple, où nous avons

Sébastien : Tant qu'il y a du trac, je crois que c’est bon

travaillé avec le talentueux réalisateur Jérémy

signe.

Vissio.

LFC : Parlons d'une date très importante pour vous, le 19

Élise : Nous avons besoin de travailler avec des

septembre 2018, vous nous donnez rendez-vous au

gens qui savent ce qu’ils font. Et qu'ils apportent

Café de la Danse à Paris.

une autre vision que la nôtre. Il y a une relation de confiance.

Sébastien : En effet, c’est une date importante. J’espère que nous allons pouvoir dévoiler un peu plus de notre

LFC : À quelle date sortira votre album ?

répertoire à notre public. Élise : Nous sommes heureux de vous annoncer Élise : Durant les dernières semaines, nous avons

sa sortie le 26 octobre 2018.

composé beaucoup de chansons en se demandant s'il ne fallait pas les proposer aussi en live. Nous verrons

Sébastien : Nous rentrons en studio la semaine

comment cela se passe.

prochaine pour terminer l’album. La première moitié est finie. Nous avons hâte que le public le

LFC : Travaillez-vous aussi la partie vidéo

NOS ACTUS

à ne pas manquer

LFC MAGAZINE #11 239

découvre, car ce sera un album très éclectique.

En concert le 19 septembre 2018 au Café de la danse à Paris Sortie du premier album le 26 octobre 2018


KAMALEON INTERVIEW LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018

MUSIQUE

Par Christophe Mangelle Photos : Raphaël Demaret Leextra

LFC MAGAZINE #11 240


Attention talent ! Kamaleon est un artiste que nous apprécions beaucoup à la rédaction. Nous l'avions déjà rencontré en décembre 2017 pour son tube Mas. Aujourd'hui, il nous présente son nouveau single en duo avec Anaïs Delva Quiero vivir. Entretien inédit et une séance de photos exclusives.

LFC : Bonjour Kamaleon ! Vous sortez un

Delva est venue au studio. Nous avons peaufiné le morceau

nouveau single Quiero vivir pour l’été en duo

ensemble.

avec Anaïs Delva. Comment vous êtes-vous rencontrés ?

LFC : Vous êtes dans des univers artistiques différents…

K : Pour chanter Quiero vivir avec moi, je

K : Absolument. Et c’est ce qui est intéressant. Cette

cherchais une chanteuse. Comme la chanson

collaboration peut démontrer que nous pouvons aller dans

est très mélodique, je ne souhaitais pas

différents axes sans nous perdre, juste en explorant ce que

quelqu’un qui ne sache pas chanter. Je

nous sommes. De nombreux fans me parlaient de La reine des

voulais une chanteuse avec une belle voix. Le

neiges quand j’ai évoqué le duo avec Anaïs Delva. Nous ne

nom d’Anaïs Delva est apparu. Et j’étais très

pouvons bien entendu pas leur en vouloir avec le succès

enthousiaste à cette idée sans savoir si elle

phénoménal que ce titre a eu. Mais, ce n’est pas parce que je

allait accepter. Comme je suis dans un

fais de la musique reggaeton et latine que je ne peux pas faire

univers très différent du sien, je ne savais pas

un duo avec Anaïs Delva ou une autre chanteuse qui n’est pas

si elle aimerait tenter l’aventure. J’ai eu la

dans mon style de musique. C’est la diversité qui fait la force

chance de tomber sur Anaïs Delva qui aime

de ce single. Aux États-Unis, Demi Lovato a chanté Libérée,

les mélanges et les mixités. Elle a dit oui très

délivrée. Et elle a fait ensuite le duo avec Luis Fonsi Echame

rapidement. J’étais très heureux. Et quand

La Culpa. Et ça ne gêne personne là-bas. Nous avons fait la

elle m’a envoyé le texte qu’elle avait écrit en

même chose sans le vouloir. Ce parallèle est amusant.

français, j’étais soulagé. C’est compliqué

d’écrire sur cette musique-là. Le texte devait

LFC : Comment s’est passé le tournage du clip Quiero vivir ?

être dans la thématique du reggaeton, simple, efficace, sensuel et sexy. Les mots se

K : Nous avons eu la chance de tourner le clip à New York sur

chantaient très bien sur ma mélodie. C’était

deux jours, en décor réel. La ville a tout fait pour nous. C’est

que du bonheur. Anaïs

LFC MAGAZINE #11 241


LFC MAGAZINE #11 - ÉTÉ 2018 // KAMALEON


INTERVIEW CHRISTOPHE MANGELLE

PHOTOS RAPHAËL DEMARET LEEXTRA

Je travaille sur un album qui devrait sortir soit en fin d’année, soit l’année prochaine. Nous verrons bien. Mais une chose est sûre, un album est prévu bientôt. grandiose. Je suis très content du résultat. Les

travailler ensemble. Rien n’est

échos sont positifs. Le clip valorise bien la

fermé. Pour l’instant, il n’y a rien

chanson. La bonne humeur était au rendez-

de prévu. Nous verrons bien.

vous. New York, c’est une ville que je connais bien, que j’affectionne particulièrement. C’est

LFC : Comment est née la

comme ma seconde maison. L’équipe était

chanson Quiero vivir ?

chouette. C’était un de mes rêves de tourner un clip à New York. Le réalisateur Franck Tempesti

K : Cette chanson a été

ne connaissait pas New York et il avait vraiment

composée il y a dix ans sur un

envie d’y aller. La première idée était de tourner

beat hip-hop. Dans mes débuts,

le clip à Paris dans un loft. Franck a insisté pour

je ne faisais pas du reggaeton.

qu’on puisse aller tourner à New York. Nous

Je faisais de la pop. Mes

avons eu une chance incroyable, car il faisait

influences sont Police, George

beau, avec un peu de vent. C’était cool.

Michael, la pop anglaise. J’avais composé cette chanson-là. Et

LFC : Avez-vous une anecdote à nous raconter

lorsque j’ai écouté cette mélodie,

lors de ce tournage ?

je me suis dit qu’elle était très belle et qu’il serait bien de

K : Tout s’est bien passé. Nous avons tourné sur

l’utiliser dans un morceau de

un toit. Anaïs Delva a le vertige et elle a eu

reggaeton. C’est pour cela que

quelques frayeurs. C’était amusant. Sur le

j’ai pensé à Anaïs Delva qui vient

moment, elle a eu peur. Aujourd’hui, c’est un bon

de la pop.

souvenir qui nous fait sourire. Nous avons des images sublimes. C’est l’essentiel.

LFC : Quels sont vos projets ?

LFC : Aimeriez-vous de nouveau collaborer ?

K : Je travaille sur un album qui devrait sortir soit en fin d’année,

K : Dans le cadre de ce projet, entre Anaïs Delva

soit l’année prochaine. Nous

et moi-même, c’est une collaboration

verrons bien. Mais une chose est

ponctuelle. Nous avons beaucoup aimé

sûre, un album est prévu bientôt.

243 LFC MAGAZINE #11


Spectacle JUILLET AOÛT 2018 • LFC #11

LES

4

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR

"I Love Piaf", le tourbillon des cœurs talentueux


I Love Piaf

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NG

Une chanteuse au timbre de velours écorché (MTatiana), un

Paris, ville Lumière. Un réverbère pour la voix d’Édith

accordéoniste aux doigts endiablés (Aurélien Noël) et un

Piaf, un banc pour des confidences, une mini estrade

conteur à la voix enflammée (Patrice Maktav). Au travers du

pour l’envolée d’un accordéoniste et une fenêtre

nouveau spectacle de Jacques Pessis, I love Piaf, trois

ouverte sur sa vie au destin aussi fulgurant qu’intense.

jeunes artistes ressuscitent magnifiquement “La Môme”. Ils

Édith est dans tous les cœurs, en France mais aussi

la vivent et la font vibrer autour de dix-sept airs entraînants

par-delà le monde, de Shanghai à New York, de Moscou

que le public fredonne en lui et hors lui jusqu’au tableau final.

à Montréal. Sa carrière s’est affichée sur les façades

En reprenant sa dernière biographie musicale consacrée à

des plus grands music-halls et reste gravée dans tous

l’icône de Belleville, Piaf, une vie en rose et noir, l’auteur la

les esprits. Le plaisir de retrouver la chanteuse et la

revêt d’un rythme plus jazzy qui ajoute en profondeur et en

femme est toujours au rendez-vous de l’amour et de la

émotion. Ce soupçon de modernité suave offert à ce

passion. Jacques Pessis est passé maître dans l’art de

monument immortel de la chanson française satisfait les

raconter les personnalités qui ont bercé nos jeunes

amoureux d’Édith Piaf et leur curiosité. Car cette nouvelle

années jusqu’encore aujourd’hui. Il n’a pas son pareil

version inclut des chansons plus rarement diffusées, mais

pour narrer une vie de passions, d’amour et de chagrin,

aussi, entre deux couplets, des anecdotes contées aussi

et restituer un parcours unique qui force l’admiration.

tragiques que gaies, pour certaines inédites. Jacques Pessis,

Les mots qui retracent le destin d’Édith Piaf s’invitent

le maître ès artistes, s’amuse à dévoiler avec une pointe

dans leur simple appareil, sans apprêts agiographiques,

d’humour des contre-vérités que la légende a inscrites dans

et touchent juste… à tous les coups.

le marbre rose de la vie d’Édith.

LFC MAGAZINE #11 245


Ainsi, I love Piaf s’installe au Lucernaire jusqu’au 18 août pour raviver les émotions les plus vives et les plus gaies. MTatiana campe une Édith espiègle et volcanique, laissant transparaître une sensibilité à fleur de peau, de regard et de voix. Son incarnation de la dame en noir si frêle se pare de sincérité au fil des chansons très connues comme La Vie en Rose, L’Hymne à l’Amour ou L’Homme à la moto, mais aussi moins entendues comme La Goualante ou Il n’est pas distingué. En écho, le narrateur accoucheur des confidences s’insère avec délicatesse et force dans cette valse de l’histoire théâtralisée. L’humour n’est jamais loin, comme suspendu dans l’air, qui vient caresser les souvenirs. En alternant langueur poétique et dynamisme joyeux, le metteur en scène réussit à faire voltiger les notes, qui jouent à cachecache, tournoient et rêvent tour à tour. Habitué des comédies musicales (Mozart l’Opéra Rock, 1789, Les Amants de la Bastille ou encore Mistinguett, Reine des Années Folles), François Chouquet est très à l’aise dans ce spectacle chanté enthousiasmant, qui fait vibrer toutes les cordes émotionnelles. En prime, pour les touristes étrangers, le spectacle est sous-titré en anglais !

Distribution Avec : MTatiana, Jacques Pessis ou Patrice Maktav, Aurélien Noël ou Maryll Abbas (accordéon). Créateurs Auteur : Jacques Pessis Mise en scène : François Chouquet

A

Production : A360 – Patrice Albanese

p

Partenaire : Théâtre in Paris. Spectacle sous-titré en anglais. Du mercredi au samedi à 21 h, jusqu’au 18 août 2018. Rencontre avec l’équipe artistique le vendredi 29 juin 2018 à l’issue de la représentation. Au Lucernaire, 53 rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 75006. Durée : 1h20.

LFC MAGAZINE #11 246


JUILLET AOÛT 2018 • LFC #11

"L'Adieu à la scène", que tombent les masques ! LES 4 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Crédits photos du carré Mathias Zwick ( B. Caillaud) Sarah Robine (E. Bouaziz, L. Dussollier) Caroline Dubois ( C. Stefani). Les deux photos du spectacle sont issues de la captation réalisée par Antoine Lhonoré-Piquet. Par Nathalie Gendreau // Prestaplume

L'Adieu à la scène

Une nouvelle invraisemblable déferle dans les rues de ce

Clarisse qui déborde d’admiration pour le tragédien et se

Paris du XVIIe siècle, en 1677. C’est un cataclysme qui

rêve comédienne s’insurge contre sa décision irrévocable.

traverse les âges et qui se joue jusque sur les planches de

Sa douce amie Sylvia n’est pas grisée par la scène, mais

l’Espace Roseau Teinturiers sous la forme d’une pièce

s’interroge tout autant. Elles interviennent à tour de rôle, qui

intense de Jacques Forgeas, nommée L’Adieu à la scène.

avec ferveur qui avec candeur, pour insuffler un rythme, une

Jean Racine (Baptiste Caillaud) renonce à écrire pour le

dynamique, un souffle. L’énergie ne s’émousse pas, elle

théâtre pour devenir l’historiographe du Roi Louis XIV. Jean

reste tendue entre les quatre jeunes comédiens qui tiennent

de La Fontaine (Léo Dussollier), son cousin, entend

leur rôle dans la justesse, sans effets inutiles. Tout se joue

convoquer l’homme qui l’évite, au prix d’un stratagème

dans l’économie des gestes, dans la retenue des sentiments

audacieux. Il dépêche deux jeunes femmes, Clarisse

et la profondeur des regards qui s’accrochent,

(Emmanuelle Bouaziz) et Sylvia (Chloé Stefani), pour inciter

communiquent et restituent. Les faisceaux de lumière

le tragédien à revenir sur les pas de ses succès et de ses

viennent rehausser une ombre, un reflet, une posture, un

amours cachées, une loge de l’Hôtel de Bourgogne. Le

tremblement, un soupir, une espérance, puis la révérence.

piège fonctionne, il se referme sur un huis clos palpitant

L’épure de la mise en scène de Sophie Gubri, privilégiant des

jusqu’à la dernière révérence.

drapés noirs, une coiffeuse et un portant de costumes de scène et de masques stylisés, octroie à la loge reconstituée

Dès leur mise en présence s’instaure entre Racine et La

tous les apparats de la tragédie qui se noue.

Fontaine une vive et passionnante discussion, argument contre argument, confession contre incompréhension. Les

À 37 ans, en pleine gloire, où pleuvent argent et faveurs,

deux jeunes filles ne se résolvent pas à quitter les lieux.

Racine fait ses adieux à la scène, renonce à écrire pour le

LFC MAGAZINE #10 248


public après dix succès retentissants. L’auteur

Avec L’Adieu à la scène, c’est tout un pan de la

Jacques Forgeas découvre cet aspect de la vie du

vie de Jean Racine qui se révèle à nous et qui

tragédien en écrivant sa précédente pièce Le corbeau

nous est conté avec l’accent du classique qui

et le pouvoir, où il réunissait là encore quatre

fuse de modernité. Et le costume trois-pièces

personnages : Racine, Colbert, La Fontaine et Molière.

sombre de Racine n’y est pour rien. La

Il s’interroge à ce renoncement. L’impossibilité de dire

modernité ne vient pas des habits

« non » au roi est-elle une raison suffisante ? C’est

contemporains, mais du jeu sobre et intense

tout l’enjeu du texte de la pièce qui explore les

des comédiens et de la loyauté de l’écriture. Le

sentiments de Racine, qui fouille dans son enfance de

texte exalte l’union sacrée de la poésie et de la

jeune orphelin, dans son éducation janséniste et donc

simplicité, de la rythmique et de l’incisif, du

religieuse, dans sa vie amoureuse contrariée malgré

silence et des mystères. En ressuscitant Racine

son prochain mariage. La requête du roi l’a-t-il

et La Fontaine, la pièce donne la possibilité aux

vraiment « libéré d’une décision qu’il ne pouvait pas

quatre jeunes comédiens de jouer avec talent

prendre », lui qui même « dans le mensonge ne sait

un dialogue, perdu d’avance quant au

pas dire “non” au roi » ? Peu à peu, mensonges après

dénouement, mais qui offre un cadeau

démentis, les masques finissent par tomber, celui de

inestimable au public. Très bel hommage au

Racine bien entendu, mais aussi ceux de ces deux

théâtre et à ceux qui le défendent… sans se

amies qui s’aiment d’un amour tendre et interdit.

couper de ses racines.

« L’Adieu à la scène » Auteur : Jacques Forgeas Artistes : Baptiste Caillaud, Emmanuelle Bouaziz, Chloé Stefani et Léo Dussollier. Metteur en Scène : Sophie Gubri Création musicale : Nicolas Jorelle Scénographie : Camille Dugas Lumière : marie-Hélène Pinon

A

Costumes : Claire Belloc

p

Production : Dominique Attal Espace Roseau Teinturiers, 4, rue des Teinturiers 75016 Avignon Horaires : du 6 au 9 juillet à 10 heures. Relâches les 12, 19 et 26 juillet. Durée : 1h15

LFC MAGAZINE #11 249


JUILLET ET AOÛT 2018 • LFC #11

"Où est Jean-Louis ?" du théâtre conceptuel tout terrain LES 4 PIÈCES DU MOIS À VOIR


Où est Jean-Louis ?

PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME Crédit photos : Bernard Richebe

Il fallait y penser… et surtout l’oser. Au théâtre de la

Jean-Louis est introuvable, il ne manque plus que lui pour

Michodière, on dépoussière avec une jubilation non feinte

que la pièce démarre à plein régime. Comme le tour de

les habitudes du théâtre où chacun reste à sa place. Où

chauffe des six autres comédiens ne lui a pas permis de

d’un côté des comédiens enthousiastes donnent le meilleur

faire une entrée fracassante, l’un des spectateurs doit se

et où, de l’autre, un public peinard se tord de rire. Et au

dévouer pour sauver le spectacle. Sinon chacun repartira

milieu le metteur en scène qui règle le tempo du moteur.

chez soi avec un réservoir de rires non consommé ! Du

Avec “Où est Jean-Louis ?“, l’auteure Gaëlle Gauthier crée le

reste, l’enjeu du pitch est de taille. La vie d’une entreprise,

concept du spectacle hybride qui mise sur l’interaction avec

et accessoirement de ses salariés, dépend de cette

des inconnus du public. Trois au total, un par acte. Homme

soirée, où un investisseur doit se déterminer. Il engagera

ou femme, c’est égal. Ce Jean-Louis interchangeable a un

des billes à la seule condition que l’équipe sur siège

large pardessus beige, un nœud papillon clownesque et une

éjectable le fasse rire… par n’importe quel moyen, et plus

perruque gris métallisé, tel un signe de reconnaissance

la ficelle est grosse, mieux c’est ! Lui-même n’est-il pas

secret qui s’évente à chaque représentation. Les Jean-Louis

un prestidigitateur facétieux ? Alors le rôle de Jean-Louis

se sont portés volontaires, le comédien Arnaud Gidoin les

est capital : c’est la nouvelle recrue du patron pour créer

sélectionne avant chaque acte. Ce soir-là : deux hommes,

une cohésion d’équipe et motiver ses salariés – sans

une femme. Une équipe motivée d’outsiders qui ne s’en

filtres ni pare-chocs – qui craignent, eux, d’être mis sur la

laisseront pas compter, donnant à cette pièce survoltée un

voie de garage. Et pour corser cette sélection

grain de folie candide et malicieux.

surnaturelle, il faudra compter avec les inimitiés, la vengeance, les

LFC MAGAZINE #11 251


bassesses des personnages, tous typés à outrance pour

pas de surprendre par leur à-propos et

provoquer des situations délirantes… et peut-être aussi pour

leur sens de la répartie. Un micro très

éviter toute projection personnelle par le public ! Blagues

discret donnerait cependant à leur

salaces ou potaches, du délire spontané, du comique de

timidité un supplément de coffre, si

répétition, de l’à-peu-près au cordeau. “Où est Jean-Louis ?”

nécessaire à tout comédien. Avec la

est une grande farce amphétaminique qui ouvre une voie

feuille de route bien en main, l’auteure

royale à tous les impossibles et les inimaginables. La pièce

trace une belle avenue pour l’inattendu,

de Gaëlle Gauthier tourne à plein régime, elle n’autorise que

et donc l’improvisation, canalisée par

trois arrêts pour regonfler les batteries de la performance, le

l’expérience des comédiens qui se

temps de faire monter sur scène le Jean-Louis de l’acte. Le

surpassent, mais aussi par une mise en

danger est grand de céder le rôle moteur à un parfait

scène d’Arthur Jugnot chronométrée,

amateur, de bonne volonté puisqu’il est volontaire, mais qui

aux débordements resserrés qui

ne connaît rien du scénario prévu, dont il peut modifier – à

bornent la part de l’incontrôlable. Partir

la marge – la trajectoire. Le défi est malgré tout relevé par

en vrille, oui, mais pour servir le

tous les comédiens gonflés à bloc, parfois en surchauffe.

divertissement ! C’est qu’il faut du talent pour ne pas déraper vers le

Arnaud Gidoin en patron délicieusement cynique, Alexandre

grand n’importe quoi mortel.

Texier en cadre très nerveux qui mise sa carrière dans ce

Contrairement à la boîte de Philippe en

dîner, Flavie Péan en épouse qui n’en peut plus de cet amour

perdition, les six comédiens sont

sans piments, Sébastien Pierre en salarié dépressif

soudés et avancent dans la même

allergique au poulpe, et amant improbable d’un soir de

direction pour éviter aux Jean-Louis

l’hôtesse, Karine Dubernet en gestionnaire de stocks pince-

successifs des sorties de route qui ne

sans-rire nympho et athlétique, et Loïc Legendre en

seraient drôles pour personne. Tout est

investisseur accroc des jeux du cirque et de la mise à mort…

prévu pour qu’à la ligne d’arrivée tout le

délirante. Quant aux Jean-Louis, ils ne manquent

monde gagne et en rie de bon cœur !

« Où est Jean-Louis ? » Distribution

Costumes :

Avec : Karine Dubernet, Loïc Legendre,

Clémentine Savarit

Arnaud Gidoin, Flavie Péan, Alexandre

Du mardi au samedi

Texier, Sébastien Pierre.

à 21 heures et le

A

Créateurs

dimanche à 17

p

Auteur : Gaëlle Gauthier

heures, jusqu’au 19

Mise en scène : Arthur Jugnot

août 2018.

Assistante Mise en scène : Louise Dahel

Au Théâtre de la

Scénographie : Juliette Azzopardi

Michodière, 4 bis rue

Accessoires : Pauline Gallot

de la Michodière,

Lumières : Thomas Rizzotti

Paris 75002.

Musique : Romain Trouillet

LFC MAGAZINE #11 252


JUILLET ET AOÛT 2018 • LFC #11

"Piège pour un homme seul", le suspense qui tombe à pic LES

4

PIÈCES

DU

MOIS

À

VOIR


PAR NATHALIE GENDREAU // PRESTAPLUME PHOTOS : NATHALIE GENDREAU ©Edouard Mutez

"L'un des deux est à enfermer !", éructe le commissaire de

Daniel Corban croit devenir fou. C'est un jeune marié,

Police, en regardant le mari et la femme. Il y a de quoi !

amoureux de sa femme, même s'il a tendance à se fâcher

Tout au long de Piège pour un homme seul, le mensonge

contre elle. Ils ont tout pour vivre une idylle sans nuages.

tisse une toile inextricable autour du mari, accablé par

Et pourtant, à la suite d'une dispute, Élisabeth s'enfuit...

l'imposture d'une femme qui se fait passer pour son

mais ne revient pas. Après avoir cru à une bouderie,

épouse, Élisabeth, qui, elle, a disparu. Huitième pièce de

Daniel Corban s'inquiète, alerte la police, témoigne et se

Robert Thomas (1927-1989), cette comédie policière a été

ronge les sangs avec de bonnes rasades de Cognac.

un triomphe dès le soir de la Générale aux Bouffes

Quand le nouveau curé de la paroisse, abbé Maximin, lui

Parisiens, le 28 janvier 1960. Adapté deux fois au cinéma

ramène son épouse, il n'en croit pas ses oreilles ni sa joie.

(Honeymoon with a Strangeren 1969 et One of my wives is

Car Élisabeth n'est pas la femme qu'il a épousée ! Il croit à

missingen 1976), ses droits seront achetés par l'immense

une mauvaise farce, s'insurge, se défend, argumente,

Alfred Hitchcock (il meurt avant de pouvoir l'adapter).

s'essouffle, se reprend, attaque, hurle à l'imposture, sous

Depuis le 7 juillet 2018, au théâtre Le Funambule

les yeux effarés du curé, de l'épouse et du commissaire

Montmartre, on y joue une nouvelle fois du bon, du très

qui tente, tant bien que mal, de démêler le vrai du faux.

bon, de l'excellent suspense avec Piège pour un homme

Contre toute attente, il penche du côté de l'escroquerie

seul, mis en scène par Florence Fakhimi. La fidélité au

alors que toutes les preuves parlent en défaveur du mari :

texte original est absolue ; le jeu des cinq comédiens,

son comportement dénote un état maniaco-dépressif.

époustouflant de duplicité, ménage un suspense qui prend

Mais qui ne le serait pas si on vous affirmait que votre

littéralement aux tripes. Machiavélique et angoissante,

conjoint était un ou une autre ?

cette comédie policière à rebondissements est la garantie

Piège pour un homme seulest un terrible et implacable

d'une soirée... inoubliable !

piège pour les nerfs du public. Le texte, bien entendu, le

LFC MAGAZINE #11 254


mène par le bout du nez. La logique n'a pas d'autres choix que de détaler

Fabrice Pannetier en bon curé de

devant les arguments solides, les preuves irréfutables. Tous les codes du

paroisse a le ton bien trop

thriller marchent donc comme un seul homme, et ils sont nombreux

mielleux pour se voir donner le

autour de lui à vouloir l'anéantir, ce pauvre homme seul ! Le spectateur

Bon Dieu sans confession. Sarah

impuissant est corps et âme avec Daniel Corban, qui se débat au bord du

Gaumont en infirmière accablée

précipice de la folie. Il souffre avec lui, il s'exclame, s'indigne et se révolte.

de dettes de jeu s'entend à

Il crie en son for très intérieur à l'imposture, à la trahison, au scandale.

merveille à masquer ses

Mais ses cris restent tapis dans la gorge serrée, censurés par la

motivations et ne s'embarrasse

bienséance.

pas de se parjurer. Quant à Adrien Daquin en commissaire

Dans sa mise en scène, Florence Fakhimi a mis l'accent sur la comédie de

Colombo à l'inénarrable

boulevard. Ainsi l'enquête menée tambour battant ne laisse-t-elle aucun

imperméable, il en voit de toutes

répit aux comédiens et, de facto, au public. Les réactions, tantôt éruptives

les couleurs dans cette histoire.

tantôt glaçantes, fusent à mesure que le piège se resserre. Mais cette

À souffler le chaud et le froid, il

folie ambiante, qui donne un rythme de fou, étouffe le rire qui s'amorce.

manie la douceur et la fermeté

On s'inquiète trop pour Daniel Corban qui semble sombrer dans la

dans un même but : mettre la

névrose, pris au piège par les méchants. Erwan Fouquet en mari

main sur le coupable ! Mais on

honteusement escroqué est si convaincant malgré les évidences. Aurélie

nous égare de rebondissement

Vatin en épouse à deux visages promène un air aimable et compatissant,

en rebondissement. Quand on

derrière un comportement incorruptible, digne d'une sublime veuve noire.

croit le tenir, ou plutôt les tenir, ils nous échappent, jusqu'au dénouement incroyable. Renversant ! C'est alors ensuite qu'on s'autorise à rire tout son

« Piège pour un homme seul»

saoul : de soulagement, de

Distribution

grand merci à toute la troupe

Avec : Adrien Daquin, Aurélie Vatin, Fabrice

bonheur... et d'admiration ! Un pour ce florilège d'émotions !

Pannetier, Sarah Gaumont et Erwan Fouquet. Créateurs Auteur : Robert Thomas Mise en scène : Florence Fakhimi Lumières : Élodie Murat Musique : Sébastien Tuvi

A

Décor : Rémi Cierco

p

Costumes : Axel Boursier Production : le théâtre Le Funambule Montmartre et La Compagnie libre à nous ! Le samedi à 17 h 30 et le dimanche à 19 h 30, jusqu'au 2 septembre 2018. Au Théâtre Le Funambule Montmartre, 53 rue des Saules, Paris 75018. Durée : 1 h 30.

LFC MAGAZINE #11 255


DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

À NE PAS MANQUER

PHOTO : PATRICE NORMAND // LEEXTRA

OLIVIER ADAM / AURÉLIE FILIPPETTI / CLARA LUCIANI SYNAPSON/ JULIETTE ARNAUD / JÉRÉMY FEL/ ET DES SURPRISES...

SEPTEMBRE 2018 | #11 | BIENTÔT


DANS LE PROCHAIN NUMÉRO

À NE PAS MANQUER

PHOTO : CÉLINE NIESZAWER // LEEXTRA

OLIVIER ADAM / AURÉLIE FILIPPETTI / CLARA LUCIANI SYNAPSON/ JULIETTE ARNAUD / JÉRÉMY FEL/ ET DES SURPRISES...

SEPTEMBRE 2018 | #11 | BIENTÔT


LFC LE MAG :

RENDEZ-VOUS EN SEPTEMBRE 2018 POUR LFC #12 Cela semble impossible jusqu'Ã ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA


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