LFC Magazine #3 Michel Bussi Octobre 2017

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LFC #3 NOUVEAU

OCTOBRE 2017 DOUBLE COUVERTURE

LE MAG DIGITAL

INTERVIEW 1 135 300 LIVRES VENDUS EN 2016

MICHEL LE BOSS DU THRILLER

BUSSI

HARLAN COBEN RENCONTRE

LE NUMÉRO 2 DES VENTES

+ DE 250 PAGES CULTURE, + DES PAGES BONUS : TV, THÉÂTRE, MUSIQUE, SÉRIE... + INTERVIEW DE DAVID LAGERCRANTZ, ANNE ROUMANOFF, LÉA PACI, MASKA, ÉGLANTINE ÉMÉYÉ, CARYL FÉREY, ANONYME, BERNARD WERBER, CHRISTIAN JACQ, MICHEL LEGRAND, MARIE DRUCKER, SIDONIE BONNEC, ALICE FERNEY, SANDRINE ROUSSEAU, ANJA LINDER, DAVINA, SHOBA L'ACTEUR DU FILM DHEEPAN PALME D'OR...

LAFRINGALECULTURELLE.FR


ÉDITO

LA FRINGALE CULTURELLE LE MAGAZINE DIGITAL LFC #3

Rédigé par CHRISTOPHE MANGELLE Salut les Fringants, Quelle joie de vous revoir ! C'est l'automne, on se lève quand il fait nuit et on rentre du travail, il fait nuit. LFC magazine #3 va vous faire aimer l'automne. La rédaction vous a concocté un numéro encore plus généreux : 250 pages - un magazine, ça se feuillette, on y lit ce qu'on souhaite - de littérature, thriller, feel good, comédie romantique, de musique, de spectacle, de TV et de séries pour vous donner le sourire dans la période où chaque jour passé, l'hiver arrive à grand pas. Une façon de vous aider à garder le moral au beau fixe. On ne change pas une formule qui plaît : un numéro, deux couvertures. Ce mois-ci : Harlan Coben ou Michel Bussi ? Nous, on vous propose les deux, et bien plus encore... Un petit point sur l'audience, le numéro #1 a été consulté près de 6000 fois cet été, le numéro #2 près de 16000 fois à la rentrée. MERCI pour votre fidélité et vos partages sur les réseaux sociaux. L'aventure continue avec ce numéro #3 encore plus gourmand. Savourez-le ! On compte sur vous pour nous faire grandir... Parlez-en autour de vous, nous sommes des indépendants, libres et gratuits. La culture à portée de mains, partagez-la ! Bonne lecture ! Ciao Les Fringants ! Et rendez-vous fin novembre pour LFC Magazine #4

ET SURTOUT... La reproduction, même partielle, de tous les articles, photos, illustrations, publiés dans LFC Magazine est formellement interdite.

HARLAN COBEN OU MICHEL BUSSI ?

Ceci dit, il est obligatoire de partager le magazine avec votre mère, votre père, votre voisin, votre boulanger, votre femme de ménage, votre amour, votre ennemi, votre patron, votre chat, votre chien, votre psy, votre banquier, votre coiffeur, votre dentiste, votre président, votre grand-mère, votre belle-mère, votre libraire, votre collègue, vos enfants... Tout le monde en utilisant :


LFC LE MAG

SOMMAIRE EN IMAGES

05 Christian Jacq 09 La 2ème vague littéraire 34 Caryl Férey 37 Ayelet Gundar-Goshen

05

34

61

41 Nicola Lagioia 44 Elizabeth strout 47 Claire Vaye Watkins 50 Christoph Ransmayr 53 David Lagercrantz 58 Clément Bénech 61 Zarca 65 Alice Ferney 67 Hugo Boris 71 jean-François Kervéan 74 Bernard Werber

53

79

79 Michel Bussi 85 Harlan Coben 92 CamHug 95 Fabrice Papillon 99 Marco Vichi 102 Jérôme Loubry 105 Anonyme

74

85

108 Laurent Loison 114 Sarah Pinborough 117 Fabio M. Mitchelli

lfc NUMÉRO TROIS

www.lafringaleculturelle.fr


LFC LE MAG

SOMMAIRE EN IMAGES

123 Sophie Andriasen

174

127 Marianne Levy 130 Laura Trompette 134 Thomas Raphaël 137 Jean-Gabriel Causse 140 Maud Ankaoua

169

177

143 Fanny Vandermeersch 147 Caroline Webb 151 Elsa Punset 154 Eric Gaspar 157 Frédéric Sallée 161 Benjamin Fabre 163 Volker Wittkamp 165 Les Zatypiques 169 Marie Drucker et Sidonie Bonnec 172 Sandrine Rousseau

207

218

174 Davina 177 Shoba, Dheepan 182 Eveleen Valadon 184 Anja Linder 187 Christine Delaroche 190 Les gens qui font le buzz 207 Eglantine Eméyé 214 Sélection séries TV

241

247

218 Anne Roumanoff 222 Michel Legrand 226 Gauthier Fourcade 229 Les 5 pièces du mois 241 Maska 244 Zanarelli 247 Léa Paci

lfc NUMÉRO TROIS

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222


L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE UNLEASHING YOURÂ INNER GEM

05

LFC Magazine #3

MELANIE MARTY

PAR CHRISTIAN JACQ THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

PRECIOUS GIRL QUEL AVENIR POUR DEMAIN ?


06

LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle

CHRISTIAN JACQ Photo : Bruno Levy

L'EXPERT DE L'ÉGYPTE ÉCRIT DES THRILLERS LFC : Bonjour Christian Jacq, vous publiez Urgence absolue, comment est née l’idée de ce thriller ? CJ : Qu’y a-t-il de plus urgent, aujourd’hui, que de préserver une certaine forme de liberté, face à la Machine qui nous dévore ? Un seul juste, dit la tradition, et le monde peut être sauvé. C’est son histoire que j’ai voulu raconter. Le sauver : urgence absolue.

LFC : Vous parlez d’un sujet d’actualité : l’intelligence artificielle. Pourquoi avez-vous souhaité vous intéresser à ces dérives ? CJ : Parce qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, me semble-t-il, de sujet plus important. Dans intelligence artificielle, le mot clé, c’est artificiel. Jour après jour, sans nous en rendre compte, la Machine nous rend de plus en plus artificiels, avec notre

Christian Jacq est notre invité pour la première fois dans LFC Magazine. Nous évoquons avec lui son nouveau thriller "Urgence Absolue" et sa série l'Inspecteur Higgins dont il publie déjà son 26ème titre. Rencontre avec un auteur prolixe.


L'intelligence artificielle, il n’y a pas, à l’heure actuelle, me semble-t-il, de sujet plus important.

LFC : Peut-on imaginer une suite à Urgence absolue ? CJ : Bruce venant de recevoir une information brûlante, il ne tardera pas à repartir sur une piste truffée de pièges,

contentement. Peut-on encore prendre conscience ?

et touchant à l’avenir de l’humanité.

LFC : On retrouve Bruce, le personnage principal de votre précédent roman Sphinx. Pouvez-vous le présenter à nos lecteurs ?

LFC : Autre actualité, vous publiez plusieurs fois par an, les enquêtes de l’inspecteur Higgins. Aujourd’hui en librairie Brexit oblige. Qui est

CJ : Bruce est un journaliste d’investigation, marié à une Cambodgienne, et vit dans un petit paradis, en Islande. Ils ont un fils, passionné par l’alchimie, et capable de dialoguer avec les génies des volcans. Bruce a le don de débusquer les malfaisants de tout poil et d’exposer au grand jour les dossiers les plus brûlants.

l’inspecteur Higgins ? CJ :En raison d’un conflit d’ordre moral avec la hiérarchie de Scotland Yard, l’inspecteur-chef Higgins a pris une retraite anticipée. Pourtant, il reste le meilleur nez du Yard, et c’est à lui qu’on

LFC : Selon vous, la sagesse égyptienne peut être une réponse aux dérives du progrès technologiques. Dites-nous en quoi ?

fait appel en cas d’affaire pourrie, que l’on qualifie de sensible. Armé d’un crayon et d’un carnet noir, se fiant à la

CJ : Nous vivons dans une société, pas dans une civilisation. Nos dirigeants suprêmes sont le progrès et la technologie. inclut les notions d’équilibre, d’harmonie et de justesse ; cette vision globale ne dissociait pas l’esprit de la matière, et assurait une cohérence unissant spiritualité, société, économie et

Confesseur-né, s’adaptant à tous les milieux, n’hésitant pas à courir un maximum de risques, Higgins n’a qu’un but : la vérité.

environnement.

CHRISTIAN JACQ URGENCE ABSOLUE JULLIARD 440 PAGES, 21,90 €

confronté à des crimes que la police scientifique ne parvient pas à résoudre.

L’Égypte ancienne reposait sur un socle, Maât, concept qui

trois raisons de lire...

méthode et à l’intuition, Higgins est

01 02 03

Un personnage masculin passionnant, qui a le don de débusquer les malfaisants. Une réflexion sur l'intelligence artificielle, sujet important en ce moment La sagesse égyptienne comme réponse aux dérives du progrès technologiques


Je m’inscris dans une tradition classique, qui présente un avantage : ne pas céder à une mode, donc ne pas vieillir. En contrepartie, des exigences, qu’il s’agisse des intrigues où de l’écriture. LFC : Combien d’enquêtes avez-vous déjà publiées ? CJ : 26 volumes parus. Et chaque année, quatre enquêtes de l’inspecteur Higgins sont publiées. LFC : On vous a lu et vos enquêtes nous font agréablement

L’incroyable aventure du savant

penser à celles d’Hercule Poirot d’Agatha Christie. Qu’en

français qui déchiffra les

dites-vous ?

hiéroglyphes.

CJ : Références magnifiques et impressionnantes ! Je m’inscris

De juillet 1828 à décembre 1829, Jean-

dans une tradition classique, qui présente un avantage : ne pas

François Champollion réalise son rêve

céder à une mode, donc ne pas vieillir. En contrepartie, des

le plus cher : parcourir enfin la terre des

exigences, qu’il s’agisse des intrigues où de l’écriture.

pharaons et vérifier sur place sa fabuleuse découverte, la clé des

LFC : Un grand merci à tous les deux, on vous laisse le mot

hiéroglyphes, donnant accès à une

de la fin...

civilisation millénaire. Rien, pourtant, ne sera épargné à cet

CJ : Mon premier grand succès, Champollion l’Égyptien (dont

amoureux de la connaissance. Ni les

une nouvelle édition paraît chez XO), a été publié en 1987.

complots ourdis par des tyrans

Voici donc trente ans de communion avec de fidèles lecteurs

destructeurs ni les pièges tendus par

que je remercie de tout cœur.

les trafiquants de vieilles pierres qui sévissent dans cet Orient aussi dangereux que fascinant. Malgré les menaces de mort, Champollion, avec

Et aussi...

un courage admirable et des moyens dérisoires, poursuit obstinément sa quête le long du Nil, bien décidé à sauver ce qui peut encore l’être. Enfin réédité, le grand roman de

CHRISTIAN JACQ BREXIT OBLIGE 240 PAGES, 13,90€

Christian Jacq qui déclencha, chez des millions de lecteurs, une passion pour l’Égypte ancienne jamais démentie.


EUGAV EMÈIXUED AL / ERIARÉTTIL EÉRTNER

LA DEUXIÈME VAGUE RENTRÉE LITTÉRAIRE 2017

N I C O L A S D ' E S T I E N N E D ' O R V E S J E A N - L U C M A R T Y D E N I S J E A M B A R C A R I N E F E R N A N D E Z C H A R L E S G A N C E L V I R G I N I E C A I L L É - B A S T I D E F R É D É R I C A R I B I T L A U R E N T B É N É G U I P I E R R E B R U N E T X A V I E R - M A R I E B O N N O T S I G O L È N E V I N S O N D O M I N I Q U E L I N V É R O N I Q U E T A D J O F R A N C K P A V L O F F F R A N C I S - R É G I S G U E N Y V E A U P A T R I C I A R E Z N I K O V


11 Nicolas d'Estienne d'Orves 12 Jean-Luc Marty 13 Denis Jeambar 15 Carine Fernandez 17 Charles Gancel 19 Virginie Caillé-Bastide 20 Frédéric Aribit 21 Laurent Bénégui

DEUXIÈME VAGUE

02

11

22 Pierre Brunet 23 Xavier-Marie Bonnot 24 Sigolène Vinson 25 Dominique Lin 27 Véronique Tadjo 29 Franck Pavloff 31 Francis-Régis Guenyveau 32 Patricia Reznikov

31

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Propos recueillis par Christophe Mangelle.

NICOLAS D'ESTIENNE D'ORVES,LA FRANCE D'APRÈS-GUERRE ET LE PARIS LITTÉRAIRE

Photo : © David Ignaszewski-koboy

LFC : Vous évoquez la France d'après-guerre et le Paris littéraire. Comment est née l’idée ? NEO : Dans mon précédent roman, "Les Fidélités successives", j’avais mis en scène le Paris de l’occupation, avec toutes ses ambiguïtés, ses contre-vérités, son opportunisme… J’ai voulu poursuivre cette exploration de la « zone grise » dans laquelle la France s’est enlisée à partir de 1940, en décortiquant l’immédiate après-guerre ; Paris était alors occupé par des ennemis bien plus sournois que les Allemands : la culpabilité et le mensonge. Quelle a été la trajectoire de tous ces anciens collabos, libérés par l’amnistie générale de 1953 ? Telle a été la question de départ de mon roman, que j’ai ensuite décidé de placer dans le milieu des Lettres, car il a été à la fois l’un des plus frappés par l’épuration et l’un des plus vérolés par les anciens proscrits. Un univers très romanesque, donc ! LFC : Gabrielle Valoria s’intéresse à Sidonie Porel, sur qui elle doit écrire une biographie. Les femmes ont une place de choix dans ce roman. Dites-nous pourquoi ? NEO : "Les Fidélités Successives" était une histoire d’homme, "La Gloire des maudits" est un roman de femme. Il n’y a pas chez moi un désir de parité, mais d’équilibre. J’ai voulu décrire la relation complexe (à la fois mère-fille et

matriarche implacable,

amoureuse) entre deux femmes que tout oppose, et qui

géniale et manipulatrice,

vont apprendre à se découvrir par une fascination

comme une sorte de

réciproque. Et j’aimais l’idée que le monde littéraire du

déesse antique : à la fois

mitan du XXe siècle fût sous la coupe d’une sorte de

généreuse et cannibale !

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LFC : Votre roman est dans la sélection du Prix Interallié, quel rapport entretenez-vous avec les Prix littéraires ? NEO : Le rapport que tout écrivain qui sort en septembre ne peut manquer d’avoir : un mélange d’envie et d’inquiétude. Dès que l’on est dans la course, il est impossible de ne pas y croire un tant soit peu. Ensuite, il faut garder la tête froide, car le jeu est d’une infinie complexité.

JEAN-LUC MARTY, LE BRÉSIL POUR ÊTRE, TELLEMENT Photo : © Bruno Klein

LFC : Bonjour Jean-Luc Marty, vous publiez « Être, tellement ». Comment est née l’idée de publier ce roman ? JLM : Il arrive que des êtres puissent entrer, à un moment de leur existence, dans un temps qui est celui de la fragilité. Une sorte d’intranquillité imprévue qui bouleverse leur « carte » intérieure, modifie leurs rapports aux autres, au monde, à leur propre histoire. L’idée de ce livre est née de cette intranquillité)-là. LFC : Votre roman se situe au cœur du Brésil. Racontez-nous. JLM : Le livre s’inscrit dans deux géographies du Brésil. La première est celle du Nordeste. Une côte sauvage, pas

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du tout exotique, faite de dunes mouvantes, de vent incessant. Elle raconte très bien l’état des personnages, ce vacillement qui les emporte au bord d’eux-mêmes. La deuxième est celle du Sertào. Une région aride, d’une sècheresse extrême, dans laquelle ils s’enfoncent à bord d’un pick up. « Le lointain intérieur » des géographes, comme une sorte de métaphore du leur. LFC : Vos trois personnages sont en quête d’eux-mêmes. Parlez-nous d’eux. JLM : Ce n’est pas vraiment une quête volontaire. Plutôt l’exhumation, au fur et à mesure du voyage, de leur part indigène, méconnue, celle qui repose au fond de chacun... À l’exemple des pierres avec lesquelles les marins "mouillent" leurs bateaux. Dans "Être, tellement", ce sont ces corps-morts qui remontent en surface. C’est par eux qu’Antoine Delacourt, Louise Fabre et Everton Dos Santos doivent en passer pour reprendre vie.

Photo : © André Perlstein

DENIS JEAMBAR ÉCRIT SUR LE BILAN D'UNE VIE ET L'ÉCHEC SOCIAL LFC : Bonjour Denis Jeambar, vous publiez "Où cours-tu William...". Comment est née l’idée de ce roman ? DJ : Ce roman croise deux questions de fond qui me passionnent : d'une part, l'homme face à la vérité de son existence ; d'autre part, jusqu'où peut conduire la déchéance sociale. J'ai voulu conjuguer dans un roman gigogne cette double interrogation sur le bilan d'une vie et l'échec social. L'idée m'est venue notamment de l'observation du quotidien et de tous ces gens jetés dans la rue. LFC MAGAZINE #3 | 13


LFC : Dans votre roman, il y a plusieurs histoires… Comment avez-vous travaillé la construction de ce roman gigogne ? DJ : En vérité, j'ai commencé par écrire le roman dans le roman, la descente aux enfers d'un cadre américain. Je l'ai ensuite intégré dans le roman sur William confronté à son passé et cherchant à se sauver par l'écriture de cette violente histoire de déchéance dans une sorte d'exorcisme intime. Je voulais aussi qu'il y ait un va-et-vient permanent entre l'approche romanesque de William et le roman qu'il écrivait, entre l'écrivant et l'écrit luimême. C'est aussi une tentative d'exploration du travail de création. J'ai consacré beaucoup de temps à cette articulation entre les histoires multiples du roman, sans oublier les flash-back, pour surprendre en permanence le lecteur sans l'égarer.

LA SOCIÉTÉ PEUT BROYER DES HOMMES, LES CONDUIRE À NE CROIRE À PLUS À RIEN. LFC : Vous parlez de la création des monstres. Raconteznous. DJ : Oui, je crois que la société peut broyer des hommes, les conduire à ne croire à plus à rien. Parfois, trop souvent, ils ne trouvent une issue que dans la négation de la vie. Au point de tuer et se tuer eux-mêmes. William se soumet à cette épreuve pour tenter de comprendre ces mécanismes alors que lui-même dresse un bilan désespéré de sa vie. Il s'identifie donc à sa création littéraire monstrueuse jusqu'à s'essayer au meurtre...mais il lui reste une humanité vitale.

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LFC : Comment est née l’idée de votre premier roman ? CF : Ce roman est né à mon insu. Il n’est pas le fruit d’un projet clairement déterminé. Je ne pensais pas écrire un jour sur la guerre d’Espagne. Mes romans étaient surtout inspirés du Moyen-Orient où je m’étais longtemps expatriée. Cependant, quelque chose en moi voulait que cette histoire soit exhumée … Je suis fille de réfugiés politiques, mon père était un républicain espagnol, évadé des prisons franquistes, j’ai grandi en ayant très tôt conscience de l’exil, de la défaite. Nous étions les fils des vaincus. Nous avions vaguement conscience de la tragédie à l’origine de l’exil. Mais j’ai longtemps rejeté cette histoire familiale loin de moi. À l’adolescence je m’enfuis le plus loin possible, je pensais ne jamais revenir. Mais je suis revenue en Europe, je suis revenue également à l’écriture, cette vocation de jeunesse contrariée, il fallait aussi que je revienne à l’Espagne et à la guerre civile. Cependant, ce roman est avant tout une fiction, il ne s’agit pas d’histoire familiale. Mon père a eu une existence tellement plus romanesque que mon personnage ! Au départ, il y a eu ce vieil homme et son chien que j’ai croisés dans les rues de mon quartier dans la région lyonnaise durant plusieurs années. Étrange couple qui avait fini par se ressembler, le vieux à l’échine courbée, la bouche fendue du même sourire que son chien. Je ne sais pourquoi cet inconnu a littéralement incarné l’histoire. Il a donné son visage, sa chair, son mystère, et son chien bien sûr ! Tout s’est cristallisé autour de lui. Ce vieil homme dont je ne savais rien, probablement français est devenu Medianoche, l’Estrémègne qui porte la mémoire de la guerre d’Espagne. Photo : © Les Escales

CARINE FERNANDEZ RELATE LA GUERRE D'ESPAGNE LFC : Qui est Miguel ? CF : Celui dont on apprendra au milieu du roman qu’il se prénomme Miguel est désigné par le sobriquet de Medianoche (Minuit). C’est un homme insignifiant, un paysan de ceux que le poète Antonio Machado appelait les « hommes de seigle ». C’est un taiseux, un homme taciturne.

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Devenu veuf, débarrassé d’une épouse acariâtre, il jouit de la plus fabuleuse des libertés en compagnie de son chien Ramon qui représente désormais tout pour lui. C’est un anarchiste dans l’âme, un libertaire qui ne supporte aucun joug, un solitaire, un Bartleby qui semble indifférent au monde extérieur. C’est un homme silence, un homme cicatrice – comme cette cicatrice qui l’a défiguré, lui inscrivant à jamais sur le visage un sourire déchiré. Medianoche est hermétique et dur comme une noix, mais avec des trésors de tendresse enfouis. C’est un homme qui prend la fuite. Un jour, il reçoit une lettre de Séville, sa sœur, l’unique famille qui lui reste, lui annonce qu’elle compte venir s’installer chez lui. C’est pour lui une véritable catastrophe. Sa liberté, son bonheur innocent avec Ramon sont menacés. Il décide de s’enfuir et le seul endroit où il ait l’idée d’aller est Montepalomas, le village de son enfance en Estrémadure où il n’est jamais retourné depuis la fin de la guerre. Le voyage en autocar en compagnie de son chien est un véritable voyage dans le temps. Palimpseste des routes, au noir de l’asphalte se superpose le « carril », l’ancienne route de terre parcourue 60 ans plus tôt en sens inverse dans un convoi de prisonniers. Arrivé à destination, il découvre que Montepalomas a disparu, noyé sous les eaux d’un barrage. Un nouveau village s’est édifié avec les vestiges de l’ancien. Il ne reconnait plus rien, personne ne le reconnait. Medianoche y passera plusieurs jours dans une odieuse auberge. Peu à peu il sera assailli par les fantômes du passé. La mort de son jumeau Mediodia assassiné par les franquistes en 38, ses années d’incarcération pour un crime qu’il n’avait même pas commis, l’expérience des camps de concentration, dix ans d’apprentissage de la douleur mais aussi de l’amitié. Une école de vie et de survie pour Medianoche. Son amitié avec l’anarchiste Andres, surnommé El Medico, personnage charismatique qui lui a transmis une véritable conscience politique, l’a initié à l’art à travers la poésie et le chant et qu’il verra mourir en prison.

MEDIANOCHE EST UN HOMME INSIGNIFIANT, UN TAISEUX, UN HOMME TACITURNE. LFC : Ce voyage de Medianoche peut apparaître comme un cheminement vers la rédemption... CF : Cet homme incarne le martyre de la guerre et de l’après-guerre. Victime marquée dans sa chair par la prison, les passages à tabac, la torture, la famine, il est également marqué au plus profond par la mort de son frère jumeau, la moitié de lui-même. Il a depuis vécu avec le sentiment insupportable de la culpabilité. La honte du survivant. Medianoche se sent toujours coupable, ainsi dans sa relation amoureuse avec Rosario, la compagne d’Andres, son ami décédé. Il aura honte d’avoir pris la femme de son ami, à quoi s’ajoute la honte sociale, celle du pauvre, du quasi-illettré. Ce personnage incarne ce passé qui ne passe pas. Il est encore là vivant à l’aube du XXIème siècle, mais un des derniers témoins d’une tragédie qu’on a voulu silencier à jamais. Et il est essentiel que Medianoche refasse ce voyage LFC MAGAZINE #3 | 16


APRÈS LA VICTOIRE DES "NATIONALISTES" DE FRANCO,LA RÉPRESSION FUT INIMAGINABLE. intérieur et se souvienne pour que NOUS nous souvenions avec lui. Les années noires, ce ne fut pas seulement les 3 années de guerre de 36 à 39, mais surtout l’après-guerre. Après la victoire des "Nationalistes" de Franco, c’est-à-dire des putschistes, contre la République espagnole légalement élue, la répression fut inimaginable. Des milliers de personnes furent assassinées après le cessez-le-feu. La guerre n’était pas terminée, elle se poursuivait par la terreur, les délations, les incarcérations, le bannissement, les exécutions. Il fallait « purger » le pays de manière définitive, extirper à jamais les républicains uniquement désignés avec mépris par le terme de « rojos » ou « rojillos ». Durant presque quarante ans de franquisme la peur régna, il y eut un climat de vengeance et de terreur. Tout le monde se méfiait de tout le monde, on n’osait même pas parler de la guerre qu’on ne désignait que par « aquello », « cela ». L’innommable. Et enfin Franco est mort, dans son lit, de sa bonne mort, pourtant ses crimes n’ont jamais été jugés, n’ont pas même été considérés comme des crimes. Cette guerre a été oubliée, volontairement oubliée, comme si mille ans s’étaient écoulés depuis. Il y eut une amnésie générale au moment de ce qu’on a appelé la « Transition » à la mort de Franco et la loi d’amnistie en 1977. Pacte cimenté sur le silence et l’oubli. L’idée communément partagée était ne pas voir se renouveler la tragédie de la guerre. Pour cela, il fallait ne pas en parler. Voilà en quoi l’Odyssée de Medianoche a le sens d’une véritable catharsis et même d’une rédemption. Parvenu aux confins de son existence, au bord de ce lac qui a englouti son village, son passé et la guerre, il importe que Medianoche se souvienne pour comprendre, faire la paix avec lui-même et en finir une fois pour toutes avec la guerre.

LFC : Bonjour Charles Gancel, vous publiez « L'inaccessible ». Comment est née l’idée de publier ce recueil de nouvelles ? CG : Je voulais depuis longtemps écrire sur l'amour. Je cherche à montrer, à travers ces textes, à quel point cette fusion peut être une illusion, sinon un danger. Il faut apprendre la distance pour ne pas tuer le désir.

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CHARLES GANCEL, À LA FRONTIÈRE DU DÉSIR ET DE L'INACCESSIBLE LFC : Vous proposez six nouvelles sur le désir. Est-ce un thème obsessionnel chez vous ? CG : Sans doute. Le désir, comme le plaisir, nous donne la force de nous lever à l’aube. Le désir est proportionnel à l’inconnu qui persiste dans l’être aimé qui reste à conquérir, à comprendre, à

Photo : © DR

apprendre. Mais attention, chercher à TOUT savoir de l’autre est un viol. C’est vivre « sur l’autre ». C’est l’emprisonner. C’est assassiner le désir. LFC : Pourquoi vous êtes-vous exprimé par le prisme de la nouvelle plutôt que celui du roman ? CG : C’est plutôt la nouvelle qui m’a choisi. Question de biorythme, de vitesse, de vie. Peut-être est-ce un signe du temps. Je vois beaucoup de romans publiés en France qui, aux États-Unis, seraient considérés comme « short stories ». La deuxième moitié du XXème siècle, en France, a stupidement relégué la nouvelle dans un non-lieu littéraire. Pourtant Baudelaire a traduit Poe. Maupassant, Flaubert, Vian, Buzzati, Allais et bien d’autres nous ont légué des textes courts qui sont des trésors. LFC MAGAZINE #3 | 18


LFC : Vous publiez "Le Sans Dieu", comment est née l’idée d’écrire ce roman ? VCB : L’amour de ma Bretagne natale, ma passion pour l’histoire et une fascination pour l’univers des pirates. Mais aussi un intérêt pour les questions métaphysiques, d’où l’affrontement entre le Capitaine l’Ombre et le prêtre jésuite espagnol sur la question de l’existence de Dieu. Je goûte fort les dialogues entre deux êtres que tout oppose, comme entre Talleyrand et Fouché dans le Souper. LFC : Vous écrivez à l’ancienne, c’est-à-dire ? VCB : Je voue un véritable amour à la langue du XVIIème et du XVIIIème siècle, son style flamboyant et son esprit éclairé. Grâce à la bibliothèque de ma mère, j’ai eu accès à quantité d’auteurs de l’époque dont j’ai dévoré les ouvrages. Ah, la Marquise de Sévigné, le duc de Saint-Simon, Voltaire et tant d’autres ! J’ai retenu les mots de l’époque, les tournures de phrases et j’ai voulu, si j’ose dire, déterrer ces trésors. LFC : Vous parlez des pirates dans votre roman et vous dites qu’il est l’anti « Pirates des Caraïbes ». Expliquez-nous.

Photo : © Philippe Matsas / Leemage / Editions Héloïse d'Ormesson

VIRGINIE CAILLÉBASTIDE RACONTE LA VRAIE HISTOIRE DE LA PIRATERIE

VCB : La saga « Pirates des Caraïbes » est née de l’engouement de l’attraction du Parc Disney. C’est très plaisant, mais c’est une version ludique de cet univers qui ne reflète en rien la réalité de l’époque. On ne devenait pas pirate pour partir à la chasse au trésor, mais pour quitter une vie très dure à terre, ou fuir la justice du Roy quand on avait commis un crime. Entre les assauts et les maladies, la moyenne de vie d’un pirate n’était que d’un an !

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LFC : Bonjour Frédéric Aribit, vous publiez « Le mal des ardents ». Comment est née l’idée de ce roman ? FA : Le point d'origine de ce roman, c'est un exposé que m'ont présenté un jour trois élèves de première, au lycée Jeannine Manuel où j'enseigne. Elles préparaient un TPE qui croisait deux matières, les sciences et l'art et j'ai été très intrigué par leur sujet. Subjugué, même, par cette histoire de l'ergot de seigle dont je n'avais jamais entendu parler, et qu'elles m'ont racontée avec brio, passant de Saint-Antoine au LSD, de Pont-Saint-Esprit aux pestes d'Athènes ou aux procès en sorcellerie du Moyen-âge. Au coeur de cette folie du feu sacré : le pain, élément fondateur de la civilisation depuis le plus lointain néolithique. C'était une histoire qui croisait des problématiques qui me sont chères depuis longtemps, et où j'ai tout de suite entendu des échos possibles de "Nadja", d'André Breton. LFC : Votre roman, c’est la rencontre d’une femme et

FRÉDÉRIC ARIBIT

d’un homme dans le métro, un coup de foudre. Qui est cette femme, Lou ? FA : Lou est une violoncelliste qui vit l'art avec une passion telle que cela engage toute sa vie. La musique donc, à travers la "Pathétique" de Tchaikovski qu'elle prépare pour un concert, mais aussi le dessin, la photo... Lou, c'est l'incarnation de l'art total, vécu éperdument, à la folie, c'est "l'âme errante", tel qu'elle se présente devant le narrateur, reprenant ainsi à son compte la formule que Nadja emploie devant Breton, lors de leur rencontre. Elle est la métaphore même de l'instant, du désir, de la création, et certains de ses excès peuvent aussi l'apparenter aux héroïnes d'un Georges Bataille. LFC : Vous vous posez la question dans votre roman : être artiste, ça veut dire quoi ? FA : Épineuse question, à laquelle Lou propose un début de réponse dans le roman. L'artiste, c'est peut-être celui qui refuse de se contenter de consommer le monde. Celui qui refuse d'être, avec le monde, dans un simple rapport de consommation permanente. En ce sens, il se retrouve forcément en décalage, voire en butte avec les valeurs mercantiles que la société ne cesse de lui imposer, et qui voudrait qu'il achète automatiquement, par pur réflexe. Ce bien sûr, a fortiori lorsque cette même société transforme

Photo : © Melania Avanzato

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ses oeuvres et les digère en "produits" qu'elle revend.


LAURENT BÉNÉGUI REVISITE LE DEUIL AU PARFUM HUMORISTIQUE LFC : Bonjour Laurent Bénégui, vous publiez « La part des anges ». Comment est née l’idée de ce roman ? LB : Il y a quatre ans ma mère est décédée. J’ai pris l’urne qui contenait ses cendres que j’ai déposée au fond de son vieux cabas à commissions et je l’ai emmenée faire le marché une dernière fois. Elle adorait faire le marché, chaque mardi, chaque vendredi. C’est ce que raconte le roman. L’histoire d’un fils qui cherche le geste juste. Pas quelque chose que la société organise mais un hommage personnel qui corresponde à la personne disparue et à ceux qui restent. La prochaine question est-elle : « est-ce autobiographique ? ». LFC : Dans votre roman, vous parlez du deuil avec humour et légèreté. Parlez-nous de Maxime ? LB : L’existence est assez grave et compliquée comme ça pour que j’en rajoute. L’humour apporte la distance nécessaire pour parler du deuil, tout en étant un exhausteur d’émotion. La fantaisie et la comédie rendent l’histoire plus touchante et les personnages attachants. Je ne sais pas raconter les histoires au premier degré. Maxime est ainsi, il dit que l’ironie est la semelle qui piétine le malheur, le bras tenu à distance de l’épaule du désastre. Et qu’ainsi on poursuit sa route avec plus d’élégance. Photo : © Maxime Reychman

LFC : Vous parlez de la mort, mais ce roman est une

presque totalité du roman en est une

comédie sentimentale, une déclaration d’amour à la vie.

métaphore. Regorgeant de victuailles

Qu’en dites-vous ?

appétissantes, résonnant d’exclamations joyeuses. Entre confits, foie gras, et fromages

LB : La vie est le temps qu’on met à mourir, mais c’est aussi

appétissants, le nez flatté par les arômes,

un formidable moment. Alors autant la célébrer, la

Maxime est convié à un régal des sens. Il y

magnifier. Le Marché de Saint-Jean-de-Luz où se déroule la

trouvera même l’amour. Quelle journée ! LFC MAGAZINE #3 | 21


PIERRE BRUNET, DE LA CULPABILITÉ, À LA SOLITUDE JUSQU'À LA RÉDEMPTION LFC : Bonjour Pierre Brunet, vous publiez « Le triangle d'incertitude ». Comment est née l’idée de ce roman ? PB : Je voulais revenir sur la tragédie rwandaise de 1994 en me mettant dans la peau de l’un de ceux qui se sont peu exprimés, les soldats français de l’opération Turquoise, restés souvent traumatisés. Et à travers lui, redonner une voix aux Tutsis qui ont résisté au génocide presque jusqu’au dernier, parmi les collines de Bisesero. Mais je voulais aussi que le récit avance au rythme de la mer, que l’on ressente physiquement et émotionnellement, comme le personnage principal, ce que ça fait à l’âme, à l’esprit que d’être en mer et de faire corps avec un voilier qui devient un confident, un ami. LFC : Pouvez-vous nous parler de votre personnage Étienne, ex-officier au Rwanda ? PB : C’est un ancien soldat d’élite formé pour l’efficacité. Il ne s’aime plus et n’accepte plus d’être aimé, parce qu’il estime avoir failli à son devoir en n’ayant pu intervenir à temps pour sauver deux-mille Tutsis qui avaient demandé protection à l’armée française, et dont mille-deux-cents ont été massacrés. Il ne supporte plus les fausses certitudes de la discipline, de sa famille, de son couple, et recherche, à travers la transgression sexuelle ou l’hébétude de l’alcool, à échapper aux fantômes qui le hantent. Comme s’est un

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Photo : © Sandrine Roudeix


marin, il finit par aller chercher une forme d’existence supportable en mer. LFC : Vous abordez la culpabilité et la rédemption. Que vouliez-vous dire ? PB : D’abord que l’on ne revient jamais vraiment de ce genre d’endroits. J’ai été en mission humanitaire au Rwanda en 1994, et ça continue à m’habiter. J’en suis revenu profondément changé, comme Etienne, mon personnage. Ensuite que la rédemption ne peut intervenir qu’après que l’on soit allé au bout de la perdition, qu’on ait « épuisé » celle-ci. Enfin que la rédemption est le fruit d’un voyage intérieur par lequel on fait la part des choses entre sa culpabilité-responsabilité personnelle, celle d’autres acteurs et celle du chaos. Et que l’on revient souvent au monde par l’action qui force à l’oubli de soi.

XAVIER-MARIE BONNOT DÉVOILE LA VIE INTIME D'UN GÉNIE ARTISTIQUE LFC : Bonjour Xavier-Marie Bonnot, vous publiez « Le dernier violon de Menuhin ». Comment est née l’idée de publier ce roman ? XMB : Pour des raisons personnelles tout d’abord. Le décor, les lieux appartiennent à mon histoire familiale. Ensuite, je souhaitais parler de musique et au premier chef de violon, un instrument qui me fascine. J’ai donc inventé une histoire autour d’un prodige qui se retrouve au soir de vie. Un être qui a été et qui n’est plus. J’ai voulu montrer l’humain derrière l’artiste.

LFC : Qui est Rodolphe Meyer, violoniste célèbre ? XMB : Un personnage qui, comme beaucoup de petits prodiges, a été privé de son enfance. Un être qui a tout eu et tout de suite. Je me suis inspiré du grand violoniste français, Christian Ferras, qui s’est suicidé en 1982, à bout d’alcool et de déprime. Au soir de sa vie, Meyer, en peine déréliction, se retrouve confronté à son double, sa part Photo : © Melania Avanzato

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brute, celle que l’on possède tous et que l’on refoule. LFC : Dans votre roman, vous parlez de solitude, de l’art à son summum… Pourquoi ces thèmes ? XMB : Parler de l’art à son summum c’est rappeler ce qui pour moi est une des conditions majeures de la création : l’engagement jusqu’à la mort s’il le faut. Un artiste qui ne met pas sa peau en jeu n’est pas intéressant. L’exemple de Proust en littérature est significatif, il est mort juste après avoir fini son œuvre immense. Il faut tout donner au violon sinon vous ne faites que gratter. L’âme passe par le vibrato. Écouter Yehudi Menuhin et vous ressentirez cette émotion. Ceux qui ne donnent pas tout font du gratuit. C’est joli mais ça ne coûte rien. Il faut souffrir pour accéder au sublime. C’est ce qui a tué Rodolphe Meyer. Photo : © DR

LFC : Bonjour Sigolène Vinson, vous publiez « Les jouisseurs ». Comment est née l’idée de ce roman ? SV : Bonjour. L’idée des « jouisseurs » est venue de partout à la fois. D’abord d’une vieille photo de famille : Un chariot comme ceux du Far West en plein Maroc d’Hubert Lyautey. Aux rênes, Christian Wintherlig, contrebandier danois, vendeur d’alcool frelaté. Peut-être, sûrement, profiteur de guerre. Ensuite, d’une information (pas très capitale ou au contraire d’un intérêt supérieur) : « l'Écrivain, automate de Pierre JaquetDroz, fête son anniversaire ». Son âge à ce moment-là ? Je ne m’en souviens plus. Enfin, d’une lecture, celle de « la joie de vivre » d’Émile Zola. LFC MAGAZINE #3 | 24


SIGOLÈNE VINSON, UN CONCENTRÉ DE PERCEPTION Je voulais moi aussi écrire un roman triste au titre gai. Mais à un instant où écrire ne me parait plus très essentiel. LFC : Pouvez-vous nous parler de vos quatre personnages ? SV : Olivier et Éléonore vivent à Mouthe dans le Doubs. Lui, est écrivain ou si peu. Elle, représentante pour un laboratoire pharmaceutique. Sa spécialité, les psychotropes. Elle gobe la moitié de sa cargaison. Pas pour guérir. Pour goûter. Un acte gratuit. Olivier et Éléonore s’aiment. Enfin, je crois. Celui qui était l’artiste reste sans voix devant celle qui devait être sans talent. Car Éléonore sous l’emprise de la chimie écrit à la place d’Olivier. Et peut-être mieux. Ole et Léonie, inventés par Éléonore, sont en caravane. Tous les deux contrebandiers pendant la pénétration pacifique du Maroc, ils suivent les troupes du Maréchal Lyautey chargées d’alcool frelaté. Avec, à coup sûr, l’envie de rendre les soldats français aveugles. Ils vivent l’aventure qu’Olivier et Éléonore ne savent plus vivre. LFC : Une fois lu, qu’aimeriez-vous que le lecteur retienne de votre roman ? SV : Que l’écrivain descend de la chouette ou de l’âne.

LFC : Bonjour Dominique Lin, comment est née l’idée de ce roman ? DL : On s’arrête parfois devant la glace plus longtemps que d’habitude à regarder celui qui est en face. À trop le fixer, s’envolent les certitudes, et de l’enfant que l’on était, on ne trouve plus la trace. C’est parfois une seconde déterminante, car elle peut faire basculer une vie. Certains enterrent la sensation dérangeante quand d’autres basculent et s’enfuient. Dans ce roman « sur la route », j’ai eu envie de tout laisser derrière, pour mieux reconstruire. Une décision difficile à prendre, mais tentante. On part, car on a LFC MAGAZINE #3 | 25


DOMINIQUE LIN NOUS PARLE D'ENFANCE AVEC POÉSIE rendez-vous avec soi, mais on ne sait pas encore où on va se trouver.

Photo : © DR

Je me suis mis au défi de faire partir mon personnage sur cette route avec lui-même et l’enfant qu’il a été. Je souhaitais aussi me frotter au « JE » du narrateur, rendez-vous que j’avais reporté lors de mon roman précédent. Cela fait partie de ma construction littéraire, chaque fois changer d’éclairage. LFC : Dans ce roman, vous êtes à l’écoute de l’enfant qui est en vous. C’est-à-dire ? DL : L’enfant qui est en nous, vaste sujet. Nous arrive-t-il de l’entrevoir, de nous interroger sur le présent que nous lui avons construit, même s’il ne mettait pas vraiment de mots dessus ? Enfant, il m’arrivait de me réveiller impatient de me lever, d’aller embrasser la journée qui s’annonçait. J’attendais le feu vert pour aller courir vers la vie, sans attentes, si ce n’est celle que je qualifierais d’être heureux. Aujourd’hui, je sens encore quelque chose, ou quelqu’un, qui me tire par la manche et qui a envie de jouer, de rire, de regarder la vie avec confiance, insouciance et gourmandise. LFC : L’influence de ce roman est la musique des années 80/90, la littérature et la poésie. Dites-nous-en plus. DL : Nous gardons en nous les musiques qui ont nourri notre adolescence. Ce sont parfois les premiers disques du grand frère écoutés dans la chambre lorsqu’il les rapportait comme des trésors de pays inconnus, les premiers slows témoins de rapprochements amoureux, les premières paroles de chansons contenant la révolte de l’adolescent contre les parents, ou les premières musiques qui nous ont fait voyager hors du cocon ombilical. Celles de mon personnage datent de cette période, même si ce ne sont pas les miennes. J’alterne en permanence mes lectures entre classiques et contemporains, connus et inconnus, je voulais que cela se reflète dans le livre, c’est pourquoi l’éditeur a écrit en quatrième de couverture : de Balzac à Moby… ce qui laisse un champ assez large. Quant à la poésie, j’essaie toujours d’inviter un poète dans mes romans, pour laisser un peu de place à la quintessence de l’écriture, à la concision rythmée des mots. Il y a eu Antonio Machado, Lémy Lémane Coco, Garcia Lorca, mais aussi Lamartine et Rimbaud. Cette fois-ci, c’est au tour de Éric Piette et de Georges Perros. Pour moi, musique, littérature et poésie sont intimement liées, trois mots d’une féminité inspirante. Les musiciens possèdent les mêmes notes, mais ne chevauchent pas les gammes de la même façon. Pour les écrivains, les mêmes 26 lettres peuvent être agencées selon le rythme et la sonorité propres à mettre en relief le propos. Deux mots qui n’ont pas l’habitude de se côtoyer LFC MAGAZINE #3 | 26


l’habitude de se côtoyer en créent un troisième qui va résonner différemment, faire ricocher l’imaginaire sur de nouveaux univers. Les musiciens utilisent les silences, pour laisser l’auditeur respirer, pour lui donner l’envie d’écouter la note suivante. Où sont les silences dans la littérature ? À moi de laisser de l’espace entre les mots, de proposer des esquisses, d’éclairer des moments, des situations, des personnages, pour que le lecteur, par son vécu, son imaginaire, se fasse sa propre interprétation. Et tant mieux si ce qu’il lit est différent de ce qui est écrit. Une fois le livre terminé, il ne m’appartient plus, et tant mieux encore si celui-ci est plus grand que j’imaginais. C’est là que la musique et la littérature convergent vers la poésie. Trois derniers bastions de l’imaginaire dans lesquels peut naître un dialogue entre l’émetteur et le récepteur.

VÉRONIQUE TADJO, AU-DELÀ DES TABOUS LFC : Bonjour Véronique, comment est née l’idée de ce roman ? VT : Comme un grand nombre de personnes qui regardent la télévision, j’ai vu les images de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, projetées sur mon petit écran. Au début, j’ai pensé que la maladie allait rapidement s’arrêter. Mais au fur et à mesure que les mois s’écoulaient, les infections et les décès augmentaient à une allure vertigineuse. À l’époque, j’habitais en Afrique du Sud, un pays qui s’est beaucoup impliqué dans la lutte contre le virus. Dans l’université où j’enseignais, Wits University, à Johannesburg, j’ai assisté à une série de conférences sur l’épidémie. J’ai récolté énormément d’informations. Ensuite, j’ai voyagé aux États-Unis où, là aussi, la couverture médiatique était très forte. Mais je crois que c’est au cours de mes fréquents séjours à Abidjan que l’idée de ce roman est née. D’un moment à l’autre, on s’attendait à ce que le virus traverse la frontière que la Côte d’Ivoire partage avec la Guinée. Toutes les consignes d’hygiène étaient donc adoptées : se laver les mains avec de l’eau chlorée avant d’entrer dans un lieu public, ne plus se serrer la main, ne pas manger de gibier, éviter les foules, etc. J’ai tenu à aller voir le centre Ebola qui se trouve au fond de l’hôpital de Treicheville. Il était tout neuf et inoccupé, heureusement. Un grand arbre majestueux s’élevait tout juste à côté et son feuillage étendait son ombre sur la tôle ondulée. Je me suis demandé ce qu’il aurait vu et entendu si le chaos était arrivé jusqu’à nous. Je connais la Guinée, j’y ai des amis, je suis déjà allée au Libéria (mais pas en Sierra Leone). Pour moi, ce n’était pas difficile d’imaginer la tragédie qui se déroulait dans ces pays. C’est à ce moment-là que j’ai su que j’allais écrire sur Ebola. LFC : Dans votre roman, vous nous parlez de l’épidémie Ebola. Pourquoi ? DL : Ebola n’est que le sommet de l’iceberg. Des épidémies, il y en aura d’autres, LFC MAGAZINE #3 | 27


différentes mais peut-être tout aussi destructrices. Du fait de sa virulence, Ebola a marqué les esprits dans le monde entier. Une psychose planétaire a fini par s’installer. Il suffit de prononcer le mot « Ebola » pour que les gens aient des frissons dans le dos. Les images des corps abandonnés dans les rues ne disaient pas tout, il y avait un univers derrière. J’ai trouvé que le sujet se prêtait parfaitement à une réflexion plus large sur notre rapport à l’Autre, à la nature et à la mort. En faisant mes recherches, j’ai découvert qu’il y avait un lien direct entre le problème de la déforestation et Ebola. Un animal comme la chauve-souris porteuse saine du virus, ne retrouve plus les fruits sauvages dont elle se nourrit. Elle se rapproche alors de plus en plus des villages où poussent des arbres fruitiers. LFC : Il y a trois voix qui s’élèvent dans votre très beau texte. Pouvez-vous les présenter à nos lecteurs ? VT : Il y a trois voix qui s’élèvent dans votre très beau texte. Pouvez-vous les présenter à nos lecteurs ? Baobab est arbre premier, arbre éternel, arbre symbole. La mémoire du monde. Il écoute, observe et partage les joies et les souffrances des hommes. Il est désabusé mais n’a pas perdu l’espoir qu’un jour, les êtres humains comprendront qu’ils ne sont pas les maîtres de la planète ; que la nature a un équilibre qu’il faut respecter. Un destin commun lie toutes les créatures de la terre. Baobab nous fait entendre les paroles des hommes et des femmes qui ont lutté contre la maladie, leurs sacrifices et leur héroïsme ordinaire. Chauve-souris est un animal hybride, mi-mammifère, mi-oiseau, crocs et gueule de renard, ailes translucides. Elle ne regrette qu’une chose, c’est d’avoir laissé Ebola s’échapper de son ventre. Il y dormait en silence avant que les hommes ne viennent déranger la forêt. Elle est la voix

Photo : © DR

du compromis et est préoccupée par le maintien de l’équilibre fragile entre des forces de la nature qui peuvent être destructrices et la vie sous toutes ses formes. Elle sait que des millions d’espèces sont apparues et ont disparu au cours des âges. Il faut être multiples pour s’adapter et savoir épouser l’imprévisible. Elle dit, nous ne sommes pas un, nous sommes multiple. Ebola, lui, est la voix d’un cynique et d’un anarchiste. Il a découvert la grande faiblesse des hommes qui lui permet de les décimer si facilement : leur arrogance. Pour lui, les êtres humains ont la capacité de s’anéantir et de faire disparaître la planète avec eux. Leur seule vraie force, c’est la solidarité. Quand ils rassemblent leurs énergies pour préserver l’avenir, ils arrivent à vaincre tous les fléaux. C’est seulement lorsqu’ils se sont unis qu’ils ont réussi à lui barrer la route. LFC MAGAZINE #3 | 28


en créant un troisième qui va résonner différemment, faire ricocher l’imaginaire sur de nouveaux univers. Les musiciens utilisent les silences, pour laisser l’auditeur respirer, pour lui donner l’envie d’écouter la note suivante. Où sont les silences dans la littérature ? À moi de laisser de l’espace entre les mots, de proposer des esquisses, d’éclairer des moments, des situations, des personnages, pour que le lecteur, par son vécu, son imaginaire, se fasse sa propre interprétation. Et tant mieux si ce qu’il lit est différent de ce qui est écrit. Une fois le livre terminé, il ne m’appartient plus, et tant mieux encore si celui-ci est plus grand que j’imaginais. C’est là que la musique et la littérature convergent vers la poésie. Trois derniers bastions de l’imaginaire dans lesquels peut naître un dialogue entre l’émetteur et le récepteur.

FRANCK PAVLOFF EXPOSE LA RICHESSE HISTORIQUE DE BUDAPEST LFC : Bonjour Franck, comment est née l’idée de ce roman ? FP : Des images, des émotions, des rencontres, des interrogations, c'est tout cela qui tourne dans la tête d'un auteur. Puis peu à peu des pistes prennent le pas sur d'autres, pour ce livre, Budapest après Barcelone dans mon dernier roman, prolonge mon attirance pour les villes marquées par l'histoire où la jeunesse d'aujourd'hui se retrouve pour faire la fête ou inventer de nouveaux modes de vie. Alors des silhouettes se précisent, j'aime les décalages de générations, les blessures intimes, l'espérance. Et hop ! voilà mes personnages qui s'affirment, s'animent. La suite vient en écrivant… LFC : Pouvez-vous nous présenter les personnages de votre roman ? FP : Andras un homme fatigué, qui porte en lui les blessures de la Hongrie, pays qui a souvent été du mauvais côté de l'Histoire, ami de l'Allemagne nazie, puis envahie par elle, puis occupé pendant quarante Photo : © Samuel Kirszenbaum

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ans par les communistes prosoviétiques, bref un homme meurtri par le passé mais qui porte en lui les magnifiques sonorités des grandes orgues de Budapest. Zâl, un jeune homme qui va dans son camion aménagé par les routes de l'Europe, un saltimbanque merveilleux, adepte de la "slack", cette sangle élastique tendue dans les airs où il avance en équilibre, entouré d'oiseaux à qui il parle. Un garçon à la naissance incertaine mais un homme du futur. Puis la jeune Téa, fugueuse, groupie folle amoureuse de Zâl, qui n'a peur de rien. Elle est le présent, l'amour total. Et une tzigane, Sara et son enfant, femme libre qui redonne l'espoir à Andras et tend la main aux milliers d'immigrés, Afghans, Syriens, bloqués par les Autorités hongroises à la gare centrale de Budapest. C'est la main tendue à ceux qui souffrent dans leur quotidien. Tous, dans un mouvement de rudesse et de tendresse mêlées, vont s'apprivoiser, alors qu'au loin éclatent les musiques du Festival du Sziget sur l'île centrale du Danube où danse la jeunesse d'Europe.

LFC : Vous êtes un écrivain du voyage, cette fois-ci vous amenez les lecteurs à la frontière autrichienne. Pourquoi ce choix ? FP : Les frontières de l'Europe centrale sont au centre de notre propre histoire et des interrogations de notre société. Étrangement, d'avoir souffert d'être enfermé derrière des frontières, ne nous dispense pas de vouloir en ériger de nouvelles. La Hongrie qui se voudrait aujourd'hui un pays à forte identité nationale en est le symbole. Pourquoi tout autour de nous certains prônent l'enfermement identitaire, le repli sur des valeurs passéistes…? Le monde est complexe, le roman permet cette complexité de la pensée, et grâce à l'écriture des êtres blessés mais généreux peuvent se tendre la main par-delà les générations et danser sur un fil d'espérance.

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en créent un troisième qui va résonner différemment, faire ricocher l’imaginaire sur de nouveaux univers. Les musiciens utilisent les silences, pour laisser l’auditeur respirer, pour lui donner l’envie d’écouter la note suivante. Où sont les silences dans la littérature ? À moi de laisser de l’espace entre les mots, de proposer des esquisses, d’éclairer des moments, des situations, des personnages, pour que le lecteur, par son vécu, son imaginaire, se fasse sa propre interprétation. Et tant mieux si ce qu’il lit est différent de ce qui est écrit. Une fois le livre terminé, il ne m’appartient plus, et tant mieux encore si celui-ci est plus grand que j’imaginais. C’est là que la musique et la littérature convergent vers la poésie. Trois derniers bastions de l’imaginaire dans lesquels peut naître un dialogue entre l’émetteur et le récepteur.

FRANCIS-RÉGIS GUENYVEAU ET L'IMPORTANCE DU CHOIX LFC : Bonjour François-Régis, vous publiez votre premier roman, racontez-nous vos impressions au sujet de vos premiers pas dans l’édition. FRG : Tout s'accélère ! En l'espace de quelques semaines, je suis passé de l'écriture dans un bar de Saïgon à l'édition chez Albin Michel, puis à la publication, avec tout ce que cela implique (salons littéraires, conférences, rencontres, etc). C'est enivrant. Les discussions avec les lecteurs me touchent particulièrement : ils s'approprient le roman, l'histoire, l'interprètent à leur manière... le livre semble évoluer, c'est un organisme vivant que je ne possède plus... et c'est très bien ainsi. LFC : La première partie du roman présente votre personnage Christian dans les années 80… On dit qu’on met beaucoup de soi dans un premier roman. Y a-t-il beaucoup de vous dans ce personnage ? FRG : Oh, je n'ai pas le génie scientifique de Christian malheureusement ! Mais comme lui, je suis né à AixPhoto : © Astrid di Crollalanza

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en-Provence dans les années 80, comme lui j'aime Bach et Radiohead, comme lui j'ai travaillé à New York... Et surtout, comme lui je suis le témoin d'un monde qui change, d'une révolution qui vient. En vingt ans, la science a fait des progrès fulgurants. Ce qui relevait de la science-fiction est désormais réalisable. L'homme "augmenté" est en marche. LFC : Le destin va happer votre personnage, le faire dévier de sa trajectoire… FRG : Au début du roman, Christian est convaincu d'une chose : pour lui, la science est le seul moteur du progrès humain. Dans un grand laboratoire mystérieux niché au milieu d'une forêt, il va allier ses savoirs en génétique et en informatique pour réparer toutes les défaillances de l'homme et lui conférer de nouvelles facultés. Mais ses lectures, les rencontres qu'il va faire à Paris ou dans les rues de Manhattan, l'amitié qu'il va nouer va ébranler ses certitudes. En renonçant au destin qu'il s'était fixé lorsqu'il était enfant, il va progressivement en suivre un autre, tout aussi radical. Au fond, avant de préparer le surhomme, Christian va apprendre à devenir un homme. C'est peut-être cela, aujourd'hui, être un dissident...

LFC : Bonjour Patricia, votre personnage a quinze ans en 1977, il quitte sa famille et est accueilli dans une maison d’artiste à Paris. Présentez-nous ce personnage. PR : Joseph a quinze ans en 1977. C’est un adolescent sensible et abandonné par une famille défaillante et mal aimante, comme il y en a parfois. Il est seul, en perdition, à un âge délicat où tout peut basculer. C’est une période primordiale de notre vie, un passage étroit au cours duquel le fait de faire de belles rencontres peut nous enrichir, nous sauver. Sa rencontre, assez rocambolesque, avec la bande d’exilés, de cabossés de l’Histoire de l’impasse des Artistes, va lui permettre de sortir de lui-même, de s’ouvrir au monde et à sa générosité. Sándor, le Hongrois qui a connu la Shoah, le siège des Russes à Budapest et le Communisme, Magda la vieille Viennoise qui est réchappée de la guerre, Sergueï le vieux Russe Blanc qui a quitté la Russie en 1920 et LFC MAGAZINE #3 | 32


erre depuis dans un éternel exil, mais aussi Angel, le peintre cubain qui a fui le castrisme et Dorika, un concentré de Mitteleuropa à elle toute seule, l’accueillent comme un des leurs. Ils reconnaissent en lui, je crois, un exilé de l’intérieur qui a besoin qu’on l’aide à se reconstruire. Et lui leur offre l’occasion de transmettre ce qui reste de leur identité ainsi que leur témoignage. Car que transmettre quand on a tout perdu, sa patrie, les siens, sa culture ? En même temps que leur témoignage vivant et terrible et leurs histoires extraordinaires, ils vont lui offrir leur affection. À eux tous, ils vont faire son éducation esthétique, historique, morale. En bref, ils vont en faire un homme. LFC : Votre roman est une déclaration d’amour à la photographie. Pouvez-vous partager avec nos lecteurs votre amour pour la photographie au point d’en faire un excellent roman ? PR : Sandor initie Joseph à sa passion, la photographie en noir et blanc de la première moitié du XXe siècle. Et tout particulièrement à la photographie hongroise. Car ces photographes hongrois, comme ceux de la Mitteleuropa de

PATRICIA REZNIKOV CONTE SA PASSION

l’époque, André Kertész, Brassaï, August Sander, Roman Vishniak et les autres, ont su capter l’âme de mondes disparus : le Berlin d’avant-guerre, avant qu’il ne soit détruit par les Alliés, les communautés juives, les ghettos, avant qu’ils ne soient éradiqués. Longtemps, je me suis posé la question de savoir si la photographie était un art. Pour moi qui viens de la peinture, la photo et son déclic instantané me paraissaient suspects. Contrairement à la peinture, la photo n’est pas une recréation, ni une élaboration. Elle capte le réel et abolit l’espace-temps. En cela, comme le dit Roland Barthes, elle tient plus de la magie. J’ajouterais que la photographie a plus à voir avec la chimie qu’avec la peinture. Il s’agit de capter la lumière réfractée par des corps ! C’est davantage de la physique quantique, de la métaphysique ! La photographie est un conservatoire des choses disparues, et en cela elle est vertigineuse. Photo : © Astrid di Crollalanza

LFC : Votre roman est dans deux sélections : Prix Renaudot et Prix Femina, vos impressions ? PR : Être sélectionnée par des grands prix est un vrai privilège. Il y a tant de romans publiés à chaque rentrée ! Beaucoup d’eux sont excellents et n’auront pourtant aucune visibilité. C’est quelque chose de très triste. Tout en restant très lucide, être remarquée et figurer sur une de ces listes donne l’impression d’être accompagnée, portée par des vents favorables...

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EXTRÊME UNLEASHING YOUR INNER GEM

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C AMELANIE R Y L FMARTY ÉREY L'INTERVIEW THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

ET HUMAIN PRECIOUS GIRL


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Interview Par Christophe Mangelle

Photo : Lionel Chauveau

CARYL FÉREY VOYAGE EXTRÊME POUR LIVRE CHOC LFC : Bonjour Caryl Férey, pouvez-vous raconter à nos lecteurs comment vous vous êtes retrouvé à voyager à Norilsk ? CF : Deux éditrices m'ont demandé si j'avais envie "d'aller dans la ville la plus pourrie du monde". Comme je suis assez excessif, difficile de résister à la tentation d'aller au pire de nulle part...

LFC : La Bête vous accompagne. Qui est La Bête ? CF : Un ami d'enfance qui m'accompagne dans la plupart de mes voyages. Un sketch ambulant... LFC : Que retenez-vous de votre rencontre avec les mineurs sibériens ? Une profonde tendresse et fraternité, même si la plupart ne parle que russe !

Un grand auteur de la Série noire découvre la Russie dans un contexte extrême : une cité minière que l'on dit la plus polluée au monde et à -30°C... Un livre au décor noir, très noir… Un bouquin à lire absolument. Échange avec Caryl Férey à ce sujet.


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Le laid peut devenir beau, comme dans les tableaux de Francis Bacon LFC : Comment avez-vous fait pour supporter les -30°C ? On boit ? (humour) CF : J'avais des habits adéquats et, de fait, un long entraînement à l'alcool (je suis breton de corps et d'âme). LFC : Quand on découvre un lieu de la planète aussi pollué, comment réagit-on ? CF : Au début c'est un peu flippant, tout paraît pire qu'ailleurs, mais comme il y e des gens terrés quelque part, on se dit qu'on va les trouver. LFC : Même si cette ville est polluée, extrême, vous en parlez avec bienveillance. Dites-nous pourquoi ? CF : Parce que le laid peut devenir beau, comme dans les tableaux de Francis Bacon, et surtout parceque les rencontres que j'ai faites là-bas sont inoubliables. Les jeunes de là-bas en ont marre qu'on dépeigne leur ville comme la pire au monde ; ils méritent tellement mieux... LFC : On vous laisse le mot de la fin... CF : Je pense y retourner.

en librairie CARYL FÉREY NORILSK PAULSEN 192 PAGES, 19,50€

Deux éditrices m'ont demandé si j'avais envie "d'aller dans la ville la plus pourrie du monde". Comme je suis assez excessif, difficile de résister à la tentation d'aller au pire de nulle part...


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INTERVIEW

AYELET GUNDAR GOSHEN UN DEUXIÈME ROMAN QUI VA VOUS RÉVEILLER


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LORSQUE VOUS ÉCRIVEZ QUELQUE CHOSE, VOUS VOULEZ QUE TOUTE LA JUNGLE RUGISSE ! Entretien exclusif par Christophe Mangelle et Quentin Haessig Photo : Presses de la cité

Après son premier roman, Une nuit, Markovitch, encensé par la critique et couronné par le prix Wizo 2017, qui a été traduit en huit langues, Ayelet Gundar-Goshen revient avec Réveiller les lions est son deuxième roman. LFC : Dans votre nouveau livre Réveiller les lions, vous abordez un sujet très sensible : les migrations africaines. Pourquoi avez-vous choisi ce thème ? AGG : L'idée originale de ce roman vient d'une histoire réelle, assez éloignée de l'immigration africaine. J'ai rencontré le protagoniste de mon nouveau roman au milieu de l’Himalaya. C’était un voyageur israélien, aux yeux bleus, qui séjournait dans une maison d'hôtes et qui observait l'espace chaque nuit. Il ne parlait pas avec les autres routards, ne buvait et ne mangeait pas. Il m'a fallu deux jours pour me rendre compte qu'il ne dormait pas non plus. C'est à ce moment-là que je suis allée chez lui et que je lui ai demandé s'il allait bien. Il m'a dit que quelques jours auparavant, il avait percuté un sans abri avec sa moto et qu'il avait fui. Il ne ressemblait pas à quelqu’un de mauvais. Il avait une guitare sur le dos, un visage modeste, et dans quelques mois, il allait commencer des études à l’université. La prison en Inde peut être un endroit désagréable, un homme peut mettre fin à ses jours en prison et tout cela à cause d’un accident. Pas un crime intentionnel.

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Aurais-je dû appeler la police ou est-ce qu’au fond de moi, je voulais simplement m’échapper et ne pas penser à toutes les conséquences ? De plus, était-ce plus facile de le faire sachant qu’il était sans abri ? J'ai été hanté par cette histoire pendant près de dix ans. Ce n'est qu'après avoir appris que cette personne ait été en relation avec la veuve de l'homme qu’il a tué, que je pouvais commencer à écrire ce livre. J'avais besoin d’un œil extérieur : celui d'une femme réfugiée, une de ces personnes qui sont témoins de tout ce que nous faisons sans que nous accordions une attention particulière à leur présence. Environ soixante-dix mille personnes sont entrées illégalement en Israël en quête de secours au cours des dix dernières années. Ils traversent le désert en empruntant le même chemin que les Israéliens bibliques pendant l'exode d’Egypte. Ce voyage mythologique des réfugiés hébraïques est maintenant le véritable voyage de réfugiés africains, qui veulent atteindre la Terre Promise. Une fois en Israël, beaucoup d'entre eux sont arrêtés.


L'événement qui ouvre ce nouveau livre est plus qu'un accident de voiture. C'est en fait un choc de civilisations, une rencontre entre le premier et le troisième monde. D'un côté, il y a le réfugié africain : il est l’autre, ou les autres. Il est à la toute fin de la chaîne de la société israélienne. Et de l'autre côté, il y a un médecin israélien, riche, blanc, qui occupe la position exactement opposée, et qui représente nous. LFC : Pouvez-vous nous en dire plus sur Ethan Green, neurochirurgien à Beersheva, qui va voir sa vie bouleversée par un événement tragique… AGG : En tant que neurochirurgien, Ethan est habitué à vivre ce genre de choses. Il pense qu'il connaît l'esprit humain, mais la vérité c’est qu'il ne se connaît même pas lui-même. Ethan pense être quelqu’un de bien. Il est médecin, il sauve des vies, il vote au parti libéral. Mais nous ne savons jamais vraiment qui nous sommes avant d’être confronté à une décision difficile. Si on avait posé la question à Ethan lors d’un dîner avec des amis - pensezvous que vous seriez capable de percuter quelqu'un et de le laisser sur le bord de la route ? - il aurait probablement dit non. Mais lorsque qu’il percute ce réfugié après une longue journée de travail, il se retrouve face à lui-même. Son assurance d’être un bon mec israélien est une sorte d'Hubris, et il est puni pour cela. À partir de là, Ethan se retrouve face à la veuve de l'homme qu'il a tué et sa vie change complètement. LFC : Le poids du silence est oppressant dans ce livre. Êtes-vous d’accord ? AGG : Oui je suis d'accord. Je suis toujours intéressée par l’importance des mots. Ce que nous osons dire à haute voix et ce que nous pensons en silence. Ça m’a toujours étonné

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à quel point les personnes vivants dans la même maison devenaient des étrangers. Je me suis intéressée à l'étrangeté qui se trouve dans les endroits les plus familiers : l'idée que vous pouvez partager un lit avec quelqu'un, reconnaître chaque endroit de son corps sans pour autant savoir de quoi rêve cette personne. J'ai essayé d'écrire sur ces zones d’ombres dans les relations, ce dont les gens ne parlent pas. Connaissons-nous vraiment les gens avec qui nous vivons ? Est-ce que c’est ce que nous voulons ? Les gens préfèrent généralement faire l'amour dans l'obscurité, et peut-être est-il plus facile d'aimer quelqu'un dans l'obscurité, quand vous ne la voyez pas. Peut-être que pour rester amoureux, nous préférons fermer les yeux sur certaines choses. LFC : Votre roman est une opposition constante entre la vie et la mort, ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas, vous parlez des extrêmes : un homme blanc riche et une femme noire déracinée, ce qui nous mène au réveil des lions, le titre du roman. Dites-nous en plus sur ce titre. AGG : On peut choisir de regarder quelque chose - ou être forcé de le faire. Si vous regardez ce qui se passe dans le monde aujourd'hui, les personnes invisibles n'espèrent plus que l’on s’intéresse à eux, elles nous forcent à les regarder. Il était très important pour moi que le personnage de Sirkit ne soit pas cet ange noir, cette sainte, je voulais qu'elle soit un véritable être humain, avec des rêves, des désirs et des aspirations au pouvoir. Je pense que la décrire comme une sainte est aussi déshumanisante que de la considérer comme le mal ultime. En ce qui concerne le titre, il est tiré d'un poème de Yona Wallach : « Nous étions aussi fous / les lions rugissaient en nous toute la nuit ». Il apparaît dans


NUMÉRO #3 | LITTÉRATURE ÉTRANGÈRE un moment très spécifique dans le roman, lors duquel, je pense, les lions sont en effet réveillés. J'ai aimé l'idée du lion caché, du prédateur caché parmi nous, même le médecin bourgeois dans sa robe blanche. Personnellement, je voulais réveiller autant de lions que possible. Lorsque vous écrivez quelque chose, vous voulez que toute la jungle rugisse ! LFC : Si il y avait une idée, un message que les lecteurs devraient retenir après avoir lu ce livre. Quel serait-il ? AGG : Lorsque nous lisons les nouvelles, nous prenons de la distance par rapport aux histoires. Quand j'ai lu l’histoire du hit and run dans les journaux, j'ai automatiquement jugé la personne qui l'a fait, plutôt que de me demander : aurais-je fait la même chose que lui ? Mais lorsque vous lisez une telle histoire dans les journaux et que vous décidez d’en faire un livre, il ne s'agit plus de jugements. La fiction va droit au cœur, pas seulement dans nos esprits. Nous avons de l’empathie pour le personnage principal et, par conséquent, au lieu de juger les autres, nous commençons à nous interroger sur nos propres actes. J’aimerais que les lecteurs terminent le livre avec cette question : Si cela vous arrivait, que feriez-vous ?

J’AIMERAIS QUE LES LECTEURS TERMINENT LE LIVRE AVEC CETTE QUESTION : SI CELA VOUS ARRIVAIT, QUE FERIEZ-VOUS ?

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LFC : C’est la deuxième fois que nous nous rencontrons. Est-ce que cela signifie que vous avez été bien reçue la première fois par les lecteurs français ? AGG : En effet, j’ai été très bien reçue dans une langue qui en plus n’était pas la mienne. J’en suis très reconnaissante. C’est également un privilège d’être publiée dans la même langue que mon auteur préféré : Romain Gary. LFC : Travaillez-vous sur un autre projet ? AGG : Je viens tout juste de finir mon troisième roman : The Liar and the city.


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NICOLA LAGIOIA 41

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L'ITALIE ET LA FAMILLE


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NICOLA LAGIOIA C’ÉTAIT DIFFICILE D’ÉCRIRE UN ROMAN QUI SE PASSE EN ITALIE SANS PARLER DE LA FAMILLE Entretien exclusif par Christophe Mangelle et Quentin Haessig Photo : copyright Leonardo Cendamo / Leemage / Flammarion

Nicola Lagioia est né à Bari en 1973. Case Départ, son premier roman traduit en français aux éditions Arléa (2014), a emporté le prix Viareggio. En 2015, il reçoit le prestigieux prix Strega pour son roman, La Féroce, en librairie en France depuis la rentrée littéraire 2017. Lors de son passage à Paris, nous l'avons rencontré dans les locaux de Flammarion. LFC : Bonjour Nicolas Lagioia ! Merci d’avoir accepté l’invitation de LFC Magazine pendant votre passage à Paris. Votre livre La Féroce a déjà beaucoup fait parler de lui, comment est né l’idée d’écrire ce roman ? NL : L’idée de départ de ce roman vient directement de mon imagination. J’avais en tête l’image d’une femme nue recouverte de sang et marchant dans la pénombre. On ne sait pas qui elle est. En tant que cinéphile, cela m’a directement ramené aux films et à l’univers noir de David Lynch. J’ai construit l’intrigue autour de cette image. LFC : C’est un choix ingénieux car dès que le lecteur commence le livre, il entre directement au coeur de la famille. NL : C’était difficile d’écrire un roman qui se passe en Italie sans parler de la famille. Ici, les problèmes familiaux commencent à l’intérieur de la maison et ils y finissent également. Tout ce qui se passe à l’extérieur concernent uniquement les affaires. La famille italienne est unique en son genre. Si on

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prend les œuvres de Shakespeare, on arrive au pouvoir en tuant le roi, c’est quelque chose de très verticale. En Italie, ça ne se passe pas comme ça, c’est généralement une lutte entre deux frères. C’est le mythe de Romulus et Rémus. En Italie, la famille est similaire à un clan où il est question de fraternité. C’est pour cela que le lecteur a la sensation de faire partie de cette famille dès le début de l’histoire. LFC : Vous faites de nombreux flashbacks et flashforwards dans ce roman, c’est extrêmement bien construit. Est-ce que cette structure a été difficile à mettre en place ? NL : Oui, la construction a été très compliquée. Tout comme le choix des mots. Il fallait que j’utilise ces flashbacks et ces flashforwards afin que le lecteur ressente la notion de temps. Le temps n’est pas une ligne horizontale, c’est une sorte de zigzag continuel. Chaque jour, nous vivons dans le présent tout en pensant constamment au


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passé et au futur. Un roman doit être similaire à ce qui se passe dans nos vies pour être crédible. Dans la littérature moderne, beaucoup d’écrivains ont utilisé cette structure, notamment Proust. LFC : Dans ce livre, on a le sentiment que vous ne faites aucune concession sur vos personnages, sur l’image que vous dressez de l’Italie, vous ne ménagez pas les lecteurs. Vous avez écrit ce livre de la manière la plus franche qui soit. NL : Je crois que partout dans le monde, les gens ont une image de l’Italie qui n’est pas forcément la bonne. Grâce à mes voyages en France ou aux États-Unis, je remarque qu’ils voient l’Italie comme celle des années cinquante mais ce n’est pas le cas, il y a eu énormément de changements. Ce pays est un endroit étrange avec beaucoup de contradictions. Des évènements similaires à ce qui se passe dans le monde arrivent très souvent en Italie mais on les considère comme moins important. Tout ce qu’on retient de l’Italie, c’est le Pape, Silvio Berlusconi, Giorgio Armani, la mafia… mais ce n’est pas ça la véritable Italie, elle est bien plus féroce.

JE CROIS QUE SOUVENT LES HOMMES AGISSENT COMME DES ANIMAUX.

TOUT CE QU’ON RETIENT DE L’ITALIE, C’EST LE PAPE, SILVIO BERLUSCONI, GIORGIO ARMANI, LA MAFIA… MAIS CE N’EST PAS ÇA LA VÉRITABLE ITALIE, ELLE EST BIEN PLUS FÉROCE. LFC : Dans tout le roman, vous utilisez un champ lexical en rapport avec les animaux et à leur férocité. Pouvez-vous nous en dire plus ? NL : En effet, il y a beaucoup d’animaux dans cette histoire. Pourquoi ? Car je crois que souvent les hommes agissent comme des animaux. Notre époque est beaucoup plus sauvage que les siècles précédents. Les animaux semblent être très proches de nous, mais ils gardent un coté mystérieux. Nous sommes chaque jour à leur coté, mais on ne connait pas leur avis sur la réalité. LFC : Votre premier roman Case Départ a obtenu le Prix Viareggio et en 2015, La Féroce obtient le Prix Strega. Comment avez-vous vécu ces bonnes nouvelles ? NL : J’ai été honoré de recevoir ces prix. Mais je crois qu’il y a beaucoup d’autres livres qui mériteraient des prix. Les prix sont d’une grande aide quand vous êtes écrivains car ils vous apportent de nombreux lecteurs et mettent la lumière sur votre travail. Mais d’un autre coté, ils vous mettent plus de pression pour le prochain livre. Tout ça fait partie du jeu !


ENTRETIEN EXCLUSIF

ÉLIZABETH STROUT LAURÉATE DU PRIX PULITZER 2009

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LFC : Bonjour Elizabeth Strout, c’est un grand plaisir de vous rencontrer durant votre passage en France. Votre livre Je m’appelle Lucy Barton est disponible depuis quelques semaines en France aux Éditions Fayard, tout d’abord pouvez-vous nous présenter l’héroïne de ce livre : Lucy Barton ? ES : Lucy Barton est une jeune femme qui est en plein questionnement sur son passé. Elle a grandi dans un endroit très pauvre en plein cœur de l’Illinois et a reçu une éducation assez rude. Elle a réussi à s’en sortir en quittant les siens pour New-York où elle vit désormais une vie plus confortable. Mais elle va rapidement être rattrapée par son passé lors de la visite de sa mère. LFC : Sa mère lui rend visite car elle est hospitalisée à New-York suite à un accident. Comment est née l’idée d’écrire ce livre ? ES : J’ai mis beaucoup de temps à trouver le point de départ de ce livre. J’avais déjà écrit de nombreuses scènes mais je ne savais pas par où commencer. Finalement, le fait que le début de l’histoire se passe à l’hôpital était parfait car Lucy et sa mère ne pouvaient pas s’éviter, elles étaient coincées. Le lecteur entrerait directement en plein cœur de leur relation. LFC : Pourquoi avez-vous eu envie de plonger le lecteur dans le passé de Lucy ? ES : C’est venu petit à petit. Détail par détail. Au fur et à mesure que j’avançais dans l’écriture, je trouvais de nouvelles pistes à explorer, notamment avec sa mère et son frère. J’ai beaucoup fouillé dans le passé de Lucy pour construire cette relation mère-fille.

LA SOLITUDE, LE DÉSIR ET L'AMOUR

Entretien exclusif par Christophe Mangelle et Quentin Haessig Photo : copyright Leonardo Cendamo

Je m’appelle Lucy Barton est le troisième roman de la romancière New-Yorkaise Elizabeth Strout, lauréate du prix Pulitzer en 2009. Un grand roman contemporain, poignant, sur la solitude, le désir et l’amour. Rencontre à l'hôtel de l'Abbaye à Paris. LFC : Est-ce que vos personnages sont le fruit de votre imagination ou est-ce des gens que vous connaissez vraiment ? ES : Non. Ils sont inventés. Ils proviennent de mon esprit. J’ai l’impression que même si ils viennent de mon imagination, ils sont quand même réels. Ils ne sont pas inspirés de personnes que je connais mais plutôt des expériences que j’ai vécues au cours de ma vie. LFC : Votre roman nous a particulièrement touché car vous alternez les émotions positives et négatives. On ressent très fort ce que vivent vos personnages. C’est un roman qui va droit au but. ES : Je devais écouter la voix que j’entendais dans ma tête pour construire ce roman. Et lorsque j’entendais cette voix, je ressentais quelque chose d’apaisé, quelque chose de


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C'EST MAGNIFIQUE D'AVOIR OBTENU LE PRIX PULITZER MAIS ÇA S'ARRETE LÀ. IL FAUT RESTER HUMBLE. concis, de franc. C’est comme ça que je l’ai retranscris et je suis heureuse de constater que le lecteur peut comme moi, s’identifier à cela. LFC : Cela s’illustre également par la longueur des chapitres qui est assez courte. Le lecteur a le temps de s’imprégner de l’histoire et les émotions sont plus fortes de cette manière. ES : C’est vraiment ce que je souhaite. Entre chaque chapitre, le lecteur pourra prendre du temps pour réfléchir, pour penser à ses propres expériences, les choix qu’il a fait dans sa vie. Il fera partie intégrante du livre. LFC : Vous avez remporté le prestigieux Prix Pulitzer. Quelle est votre sentiment par rapport à cette récompense ? ES : J’ai toujours aimé le Prix Pulitzer, même avant de l’obtenir. C’est un prix que j’ai toujours regardé d’un œil différent. Cela a été une chance incroyable de le gagner. Je sais que pour certains auteurs, cela met plus de pression pour la suite de leur carrière, mais ce prix je l’ai obtenu après des années et des années de travail. Je n’ai donc jamais été obsédée par le fait de le gagner ce prix un jour. De plus, dans ma culture, j’ai appris qu’il ne faut jamais manifester sa joie mais plutôt rester humble. C’est magnifique de l’avoir gagné mais ça s’arrête là.

LFC : Votre livre Olive Kitteridge a été adapté l’an dernier en série par HBO. Qu’avez-vous pensé de l’adaptation ? ES : Je trouve qu’ils ont fait un travail remarquable avec cette série. Comme tous mes livres, je l’ai écrit avec tout mon cœur et je n’aurais imaginé qu’il serait un jour adapté pour la télévision. Quand j’ai terminé de l’écrire, je me suis dit que c’était un bon livre mais sans plus. Peu après sa sortie, les critiques étaient bonnes mais ça ne suivait pas au niveau des ventes. Puis soudain, tout s’est accéléré et vous connaissez la suite !

L'ADAPTATION DU LIVRE OLIVE KITTERIDGE EN SÉRIE PAR HBO EST REMARQUABLE

Elizabeth Strout Je m'appelle Lucy Barton Fayard 208 pages 19€


ENTRETIEN EXCLUSIF

CLAIRE VAYE WATKINS PRIX LITTÉRAIRE LUCIEN BARRIÈRE 2017

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2017 PRIX LITTÉRAIRE LUCIEN BARRIÈRE Entretien exclusif par Quentin Haessig Photo : HR copyright Steinweg

LFC : Bonjour Claire Vaye Watkins, votre livre Les sables de l’Amargosa est disponible depuis quelques semaines aux Éditions Albin Michel. Comment se passe votre séjour en France ?

Claire Vaye Watkins est l’auteur d’un recueil de nouvelles (Nevada, CalmannLévy, 2012) qui lui a valu de nombreuses récompenses littéraires. Son premier roman Les sables de l'Amargosa a fait sensation sur la scène littéraire américaine. Et a obtenu le prix littéraire Lucien Barrière. Rencontre à Paris chez l'éditeur. LFC : Nous avons lu des avis de lecteurs sur le web, qui disaient que lorsqu’on commence à lire votre livre, on peut devenir asocial… Êtes-vous d’accord ?

CVW : Je prends ça pour un compliment ! CVW : Très bien. C’est assez fou tout ce qui se passe depuis quelques jours. Je reviens tout juste Cela signifie que le livre est captivant. À vrai de Deauville où j’ai obtenu le Prix Littéraire 2017. dire, c’est un peu comme ça que je l’ai écrit. C’était une expérience assez inédite, nous avons J’étais vraiment en immersion surtout quand il s’agissait de terminer le livre. J’ai passé de défilé sur le tapis rouge, j’avais une équipe de maquilleuses avec moi… Ce ne sont pas des chosestrès longues journées à écrire, à modifier, à que j’ai l’habitude de faire ! Je suis très heureuse recommencer, à effacer. Mais finalement, lorsque vous finissez le livre et que vous d’être ici pour parler de mon roman et très heureuse d’avoir obtenu ce prix. vous dites : ça y est, je crois que je tiens la fin, vous ressentez vraiment quelque chose de LFC : Qu’est-ce que ce Prix Littéraire va changer spécial. Il y a même quelque chose d’assez magique. votre vie d’écrivain ? CVW : D’un coté c’est génial, car tout le monde estLFC : Lorsqu’on lit votre livre, on sent que très heureux pour vous, et cela va permettre au vous avez passé énormément de temps sur livre d’avoir un rayonnement plus fort, de toucher la structure. plus de lecteurs… C’est également gratifiant qu’un jury français récompense un auteur étranger. D’unCVW : Oui c’est vrai. L’écriture de ce livre autre coté, je ne pense pas que ça fasse de moi un m’a pris presque quatre ans. dont une année meilleur écrivain, au contraire, je pense que ça entière pour écrire le premier chapitre. met encore plus de pression pour l’écriture de Avant d’écrire ce livre, j’avais écris plusieurs mon prochain livre. Ce prix n’est pas une fin en histoires courtes, il fallait donc que je trouve soi, je veux continuer de travailler de la même les bons ajustements pour construire ce façon qu’auparavant. roman et c’est quelque chose qui prend


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beaucoup de temps, il faut être patient. Je devais donner envie aux lecteurs d’avancer dans le livre, chapitre après chapitre, avec un maximum d’excitation. Après avoir écrit les cinquante premières pages, je savais dans quelle direction aller. Cependant, je ne pense pas qu’un livre doive être uniforme et harmonieux, il peut évoluer au fur et à mesure de l’écriture, notamment au niveau des personnes. Il peut être à la fois étrange, drôle… On peut changer d’atmosphère à chaque chapitre. Quand on est écrivain, il faut se laisser guider par ses émotions. Une fois que vous avez assimilé cela, vous prenez énormément de plaisir à écrire. LFC : Vous utilisez une structure très cinématographique. Ça nous rappelle l’univers des films comme Mad Max ou The Book of Eli. Est-ce que ce genre de film postapocalyptique vous a inspiré pour écrire ce livre ? CVW : En effet, il y a des influences qui viennent du cinéma. Les films que vous citez sont des films que j’ai beaucoup aimé. Beaucoup plus d’ailleurs que les blockbusters hollywoodiens comme Le jour d’après par exemple. Ces films ne nous disent pas la vérité sur ce que nous sommes vraiment. Je voulais jouer avec ces différentes humeurs pour créer ma propre histoire. Ce livre n’est pas un essai philosophique ou quelque chose de ce genre, ce n’est pas explicitement conservateur. Je voulais sensibiliser les lecteurs sur les grandes questions de notre existence.

passé. J’ai fait énormément de recherches sur l’Ouest, sur la seconde guerre mondiale, sur les réfugiés climatiques… Je me suis posé beaucoup de questions sur l’environnement en lui-même. Que ferionsnous dans telle ou telle situation. Je me suis m’appuyée sur ce qui s’est passé autrefois. Il y a une sorte d’histoire secrète qui est entretenue à l’Ouest et j’avais envie de mettre cela en lumière à travers mon livre. LFC : Êtes-vous sensible à toutes les questions sur l’environnement ? CVW : Oui bien sûr. Malheureusement, ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce à quoi nous faisons face en ce moment est tragique (l’interview a eu lieu pendant la vague d’ouragan qui a sévit aux USA). Beaucoup de gens, spécialement aux États-Unis, sont dans le déni le plus total et sont persuadés qu’il faut continuer à vivre de cette façon, mais ce n’est pas possible. Il faut se plier aux exigences de la nature, on ne peut pas la dominer, c’est elle qui gagnera toujours. LFC : Vous repartez aux États-Unis dans quelques heures. Préparez-vous un deuxième roman ? CVW : Oui. Je suis en pleine écriture. Ce sera quelque chose d’un peu plus personnel cette fois-ci. Le thème sera centré sur la famille, je parlerai beaucoup de mes parents, des questions que l’on se pose lorsque l’on est orphelin adulte… C’est très dur à écrire lorsque c’est personnel. J’espère revenir en France pour pouvoir en parler avec vous !

LFC : L’environnement est un des thèmes centraux du livre. Est-ce-que c’est une sorte d’avertissement pour le lecteur ? CVW : On peut le voir comme ça. C’est un livre qui se passe dans le futur mais qui parle du

Claire Vaye Watkins Les sables de l'Amargosa Albin Michel 23,50€


ENTRETIEN EXCLUSIF

CHRISTOPH RANSMAYR ROMAN SÉLECTIONNÉ POUR LE PRIX FEMINA

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ROMAN SÉLECTIONNÉ POUR LE PRIX FEMINA Entretien exclusif par Quentin Haessig Photo : Druck, Albin Michel

Après Le Syndrome de Kitahara (1997) et La Montagne volante (2010), Atlas d'un homme inquiet (2015) est couronné par le prix du Meilleur Livre étranger et le prix JeanMonnet de littérature européenne. Rencontre à Paris avec l'auteur pour son nouveau roman Cox ou la course du temps. LFC : Votre nouveau livre Cox ou la course du temps vient de sortir aux Éditions Albin Michel. Tout d’abord, quelle relation entretenez-vous avec vos lecteurs français ? CR : Tout d’abord, je suis toujours très content de revenir en France et spécialement à Paris. J’ai une relation particulière avec les lecteurs français. Je suis un lecteur avant d’être un auteur et lorsque je discute avec eux, je m’identifie en tant que tel. La France a une signification symbolique car c’est le premier pays européen dans lequel j’ai voyagé lorsque j’avais quinze ans, je me rappelle d’ailleurs que le premier hôtel dans lequel j’avais séjourné se trouvait rue de Lambre, à quelques rues de mon éditeur. Je me sens comme un touriste ici car j’ai oublié toutes les bases que j’avais pu apprendre étant jeune mais c’est toujours un immense plaisir de revenir ici et de retrouver les équipes des Éditions Albin Michel. LFC : Vos livres ne sont pas seulement des histoires, ce sont également des voyages dans lesquels vous nous transportez.

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CR : Je pense que c’est l’objectif de n’importe quelle histoire, que ce soit une nouvelle, un drame, un thriller... L’auteur se doit de vous emmener ailleurs, hors de votre environnement habituel, hors de votre zone de confort. Le monde dans lequel nous vivons est bien plus grand que ce que l’on imagine, il y a tant de choses à découvrir, géographiquement ou culturellement parlant. À travers mes histoires, je veux transporter le lecteur dans des endroits inattendus, je veux le surprendre, le faire voyager. C’est de cette façon que l’on apprend des choses. LFC : Le fait que vous soyez un grand voyageur rend-il cet objectif plus facile à réaliser ? Je ne sais pas si je me définirais comme un grand voyageur. Je me vois plutôt comme un touriste, un citoyen du monde. Même si vous vous identifiez à un grand voyageur, vous serez toujours vu comme un touriste lorsque vous voyagerez dans un autre pays comme le Brésil ou la Papouasie Nouvelle Guinée par exemple… Les locaux savent que vous ne connaissez pas, ou presque pas leur langage, leur culture, leurs traditions… À choisir, je préfère passer pour quelqu’un de naïf et d’idiot qui souhaite découvrir de nouvelles choses que pour quelqu’un qui fait semblant. Je me compare souvent avec un enfant, il est parfois bien d’admettre que l’on ne sait pas quelque chose. LFC : Le temps joue un rôle très important dans votre livre. En tant qu’auteur, vous prenez votre temps pour nous raconter vos histoires. Est-ce primordial de travailler de cette façon ?


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CR : Le temps est une des choses les plus importantes dans le processus de storytelling. D’un coté, vous avez besoin de prendre votre temps pour trouver la bonne expression, la bonne structure, construire des bons personnages… Mais d’un autre coté, c’est aussi une contrainte puisque c’est vous le maître du temps, c’est vous qui décidez combien de temps vivra votre personnage, combien de temps durera tel ou tel événement. Vous faîtes face au temps ligne après ligne, mot après mot. Chaque mot est important dans le récit, c’est ma manière de voir les choses. Peut-être que ce n’est pas la meilleure mais même si je changeais ma façon de travailler, je suis persuadé que je reviendrais rapidement à mes basiques. Certains artistes, comme le réalisateur Terrence Malick par exemple, ont mis plus de trente ans pour réaliser certains projets, notamment La ligne rouge, mais le résultat est exceptionnel. LFC : Cox ou la course du temps se déroule en Chine. Pourquoi avoir choisi ce lieu ? CR : J’ai choisi cet endroit pour des raisons assez personnelles. Je rentrais d’un voyage au Tibet et au moment de prendre mon avion à Lassa, celui-ci a été annulé à la dernière minute, j’étais donc bloqué là-bas. J’ai donc décidé d’aller rendre visite à un ami à Beijing. Il m’a fait visité un pavillon de la Cité interdite où se trouvait une immense collection d’horloges que l’empereur Qianlong possédait au dix-huitième siècle. Je n’avais pas d’intérêt particulier pour les horloges mais quand j’ai vu

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Christoph Ransmayr Cox ou la course du temps Albin Michel 22,50€

la grandeur de certaines oeuvres, trois à quatre mètres de haut, j’ai été impressionné par le travail qui avait dû être réalisé pour en arriver à ce résultat. Puis, j’ai vu l’inscription sur l’une d’entre elles : fabriqué par James Cox à Londres. J’ai été subjugué par cette découverte et c’est comme ça qu’à commencé mon histoire et plus précisément la création de mes deux personnages principaux : l’empereur Qianlong, surnommé le dieu du temps à l’époque, et l’horloger James Cox, que j’ai renommé Allister Cox dans mon livre, simplement car j’ai transformé cette histoire en fiction. Ces deux personnages ne se sont jamais rencontrés, n’ont jamais eu de correspondances ensemble, c’était une opportunité incroyable pour moi de raconter la relation entre ces deux personnages.


MILLÉNIUM INTERVIEW

UNLEASHING YOUR INNER GEM

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MELANIE MARTY DAVID LAGERCRANTZ LA RELÈVE THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

LA SÉRIE PHENOMENE PRECIOUS GIRL


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Interview Par Christophe Mangelle

Photo : ©Caro Lein

DAVID LAGERCRANTZ JE GARDERAIS TOUJOURS PARIS DANS MON CŒUR. LFC : Bonjour David Lagercrantz, c’est un grand plaisir. On se rencontre pour la sortie du cinquième tome de Millénium. Comme c’est la première fois que l’on se rencontre, on en profite pour vous poser cette question, comment vous êtes-vous préparé pour succéder à Stieg Larsson ? DL : Tout d’abord, j’ai lu et relu les trois premiers tomes, pour

bien les comprendre, bien analyser l’univers que Stieg Larsson avait créé. Il fallait que je m’imprègne des personnages, qu’ils fassent partie de mon ADN, de mes veines. La chose la plus importante, c’était que je sois le plus passionné possible pour écrire la suite. C’est un privilège d’avoir pu hériter de ces personnages, de cette méthodologie et je crois que ma mission était tout simplement d’explorer tout cela davantage.

Hôtel d'Aubusson, fin septembre, nous avons rendez-vous avec l'auteur de Millénium 4, biographe également de Zlatan Ibrahimovic. Il vient nous présenter le 5ème tome de Millenium et nous parler du prochain projet cinéma (adaptation tome 4).


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Lorsque j’ai commencé ce projet, je me replongeais souvent dans les livres de Stieg Larsson. LFC : Et tout ce que vous avez lu de Stieg Larsson, il a fallu

pourchassait. J’étais quasiment en état de choc mais je me souviendrais toujours de l’accueil que j’ai reçu à Paris. C’est à ce moment-là que le vent a tourné, que les bonnes critiques sont arrivées et que l’enthousiasme des lecteurs est revenu.

l’oublier par la suite pour pouvoir être le plus créatif LFC : Vous avez donc été sauvé

possible…

par la France ! DL : Oui exactement. Lorsque j’ai commencé ce projet, je me replongeais souvent dans les livres de Stieg Larsson. Je me

DL : Je garderais toujours Paris

demandais comment il avait pu résoudre tel ou tel problème.

dans mon coeur. C’est à cette

Mais à un moment donné, je me suis dit qu’il fallait que j’oublie

période que les journalistes sont

ces trois premiers tomes. Une fois que les personnages sont

devenus plus gentils avec moi. J’ai

entrés dans mes veines et dans mon sang, je me suis armé de

ensuite voyagé dans le monde dans

courage pour continuer à écrire à ma façon et cela a fonctionné.

un tout autre état d’esprit et j’ai

Si j’avais continué à m’appuyer sur les livres précédents, les

survécu à cette épreuve !

livres n’auraient sûrement pas été bons. LFC : Comme vous l’avez dit, LFC : L’accueil au départ a été assez critique et puis

vous avez été sauvé par la France

finalement le public a suivi. Comment avez-vous vécu cette

mais également par le

aventure ?

personnage de Lisbeth Salander, qui est plus forte que tout.

DL : Cela a été l’une des épreuves les plus difficiles de ma vie. Le monde entier est devenu complètement fou. Il y avait

C’est un personnage incroyable. Il y

beaucoup d’autres problèmes dans le monde à cette époque

a énormément de raisons pour

comme celui des réfugiés syriens, mais je faisais tout de même la

lesquelles je me suis passionné

une un peu partout. Je me suis senti comme un animal que l’on

pour cette série Millénium :

trois raisons de lire... DAVID LAGERCRANTZ MILLÉNIUM 5 ACTES SUD / ACTES NOIRS 448 PAGES, 23€

01 02 03

Une suite qui tient vraiment ses promesses. Tout n'a pas encore était écrit. Un personnage féminin charismatique, Lisbeth Salander ! Une folle envie de lire les tomes précédents et de se plonger de nouveau dans les films.


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LFC Magazine #3

Lisbeth, c'est le genre de fille que j'adore !

Vous l’avez dit, dans ce tome, on comprend mieux pourquoi elle doit agir de façon violente. Si elle ne s’était pas comportée de cette façon, elle n’aurait

l’univers, l’histoire… Mais la raison principale c’est sans aucun

jamais survécu.

doute le personnage de Lisbeth. C’est le genre de fille que j’adore !

LFC : On va laisser le suspense de ce livre aux lecteurs et on va reparler du

LFC : Ça va même au-delà de ça, on a l’impression que

succès de cette série Millenium. Le

Lisbeth Salander a pris le pas sur le journaliste. Comment

quatrième tome, le premier que vous

expliquez-vous cette popularité ?

avez écrit, va être adapté au cinéma, quel est votre sentiment ?

DL : Comme vous le savez, le personnage de Mikael Blomkvist est quelqu’un d’extraordinaire, c’est un journaliste reconnu,

DL : Je suis très heureux de cette

plein de bonnes valeurs mais je pense que c’est un personnage

adaptation, cela signifie que les

que l’on peut voir dans beaucoup d’autres romans. Lisbeth, elle,

personnages vont devenir encore plus

est un personnage totalement nouveau. À l’époque, dans les

emblématiques. Ce qui me réjouit

polars, les femmes étaient souvent les victimes, elles avaient

également, c’est que les gens se

besoin d’un homme pour les protéger, pour les secourir. Lisbeth

passionnent pour mes livres bien

est totalement indépendante, elle n’a besoin de personne, elle

sûr, mais aussi que la nouvelle génération

n’en a rien à faire de plaire aux hommes, c’est une sorte de

commence à lire les livres de Stieg

femme cow-boy avec des valeurs féministes très fortes !

Larsson. Pour en revenir au cinéma, l’équipe a travaillé pendant deux ans sur

LFC : Dans ce nouveau tome, on comprend mieux pourquoi

le scénario, j’ai eu la chance de

Lisbeth est violente et pourquoi elle a ce désir de

rencontrer le réalisateur, qui est quelqu’un

vengeance.

de vraiment passionné et je crois que ce sera un bon film, avec en plus une actrice

DL : J’espère qu’il en sera de même pour les lecteurs.

que j’adore, Claire Foy, que l’on a vu

Évidemment, Lisbeth est une femme forte, elle est courageuse

récemment dans la série The Crown

mais c’est surtout quelqu’un qui a eu une enfance malheureuse.

(Netflix).

Et toujours en librairie STIEG LARSSON ET DAVID LAGERCRANTZ MILLENIUM 1, 2, 3 ET 4 ACTES SUD / ACTES NOIRS


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LFC Magazine #3

LFC : C’est une série que vous avez apprécié ? DL : Je pense que c’est une des meilleures séries de ces dix dernières années. J’étais complètement addict ! Claire Foy joue à merveille. Cela va être compliqué de passer de la Reine Elizabeth à Lisbeth Salander, ce sont deux femmes assez… différentes ! (rires) LFC : Est-ce que vous allez écrire la suite de Millénium ?

La série "The Crown" est une des meilleures séries de ces dix dernières années.

DL : Je pense que je vais écrire encore un livre. J’ai déjà commencé l’écriture et je crois que je tiens une superbe histoire. Malheureusement, je ne peux pas en dire plus, mais ce sera un final excitant entre les deux soeurs, Lisbeth et Camila. LFC : Il n’y a pas que Millenium dans votre bibliographie puisque vous avez également écrit un livre sur Alan Turing, vous avez écrit la biographie du footballeur Zlatan Ibrahimovic. Est-ce que vous avez d’autres projets en parallèle ? DL : Oui bien sûr. Je suis impliqué dans plusieurs projets, mais pour l’instant, je souhaite vraiment me concentrer sur cette tournée mondiale de Millénium et écrire un sixième opus aussi qualitatif que les précédents. Et tout cela prend du temps !

Lisbeth est totalement indépendante, elle n’a besoin de personne, elle n’en a rien à faire de plaire aux hommes, c’est une sorte de femme cowboy avec des valeurs féministes très fortes !

Photo : © Quentin Haessig


L'AMOUR CLÉMENT BENECH UNLEASHING YOUR INNER GEM L'INTERVIEW

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LFC Magazine #3

MELANIE MARTY THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

SUR TINDER PRECIOUS GIRL


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LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle

Photo : Arthur Dreyfus

CLÉMENT BÉNECH LA QUÊTE AMOUREUSE À L'HEURE DE TINDER LFC : Bonjour Clément Bénech, dans le début de votre roman Un amour d'espion, vous avez une réflexion sur notre manière de voyager. Vous dites que nous sommes des "Marco Polo parodiques". C’est-à-dire... CB : Le fait est que nous vivons dans un monde de plus en plus théâtralisé, où parfois l'imitation semble primer. Baudrillard parlait ainsi de "précession des simulacres". Pour lui subsistaient

çà et là des "vestiges du réel". Le narrateur envie ainsi Marco Polo, pour qui le voyage, c'est-à-dire le déplacement, n'était pas le but, mais l'accident de son destin. Il avait des missions à mener pour le grand Kubilai, et il se trouvait que ces missions l'amenaient à se déplacer. LFC : Comment est née cette fiction ? Comme dans votre roman, Facebook est-il une raison de la création de ce roman ou rien à voir ?

Après "L'été slovène" et "Lèvetoi et charme", Clément Bénech, très jeune écrivain, publie son troisième roman "Un amour d'espion" chez Flammarion. Entretien.


Je vous recommande chaudement le nouveau livre de François-Henri Désérable, Un certain M. Piekielny.

CB : Je vous remercie de le penser. J'aime beaucoup ces mots de Peter Handke, le dialoguiste des Ailes du désir : "personne n'est encore jamais parvenu à entonner une épopée pacifique" (ein Epos des Friedens). J'ai grandi dans un pays et une époque non pas exempts de

CB : Non, Facebook n'occupe d'ailleurs pas une telle place dans le roman, c'est plutôt l'application Tinder qui m'a intéressé. Mais il est vrai que les personnages se servent parfois de Facebook pour discuter, ce qui me permet de varier les niveaux de langage et d'exprimer des choses nouvelles. Comme cette histoire de Marco Polo parodique qui n'aurait pas sonné juste dans un autre cadre, je crois. Cette fiction est née d'un mélange savant de rêves, d'histoires ouïes, de vécu, d'observations, d'inventions formelles par jeu pur. LFC : Dans votre roman, vous proposez trois points de vue : celui du narrateur, d’Augusta et de Dragan. Présentez-nous vos trois personnages.

conflits mais que l'humilité, au regard de l'histoire du XXème siècle, nous contraint à qualifier de pacifiques. Or cette époque de faible intensité conflictuelle, et qui serait aux dires de certains "sortie de l'histoire", nous laisse peu de narratif à nous mettre sous la dent. L'amour pourtant semble tout taillé pour le genre du roman, parce qu'il revêt souvent la forme d'une quête et qu'il s'intéresse aux humains en particulier plutôt qu'en général. LFC : Vous dites que les applications de rencontres types Tinder ont un côté romanesque. Dites-nous en plus !

CB : Le narrateur est un étudiant en géographie qui n'a encore rien prévu pour son été alors que nous sommes déjà au mois de juin. Augusta est une romancière française qui travaille à New York et utilise l'application Tinder où elle rencontre Dragan, un critique d'art roumain débarqué à New York vingt ans auparavant dans des circonstances troubles.

CB : Je ne sais pas si elles en ont un dans l'absolu mais j'y ai trouvé pour ma part du grain à moudre. Peut-être parce que je m'intéresse à la fonction de célébration qui a été jadis celle de la littérature, aujourd'hui un peu tombée en disgrâce. Et qu'il y a dans ces objets triviaux, comme Tinder, dans

LFC : Vous invitez le lecteur à suivre votre narrateur dans une filature à New-York, une histoire d’espionnage amoureux. C’est très malin car on vit souvent les histoires d’amour comme un suspense insupportable. Qu’en pensez-vous ?

ces objets bas (Booba dirait tout simplement : le sale) quelque chose qui appelle a être chanté. Cela d'un point de vue poétique ; et, d'un point de vue romanesque, disons que la prose semble appeler le prosaïque comme un nourrisson sa tétée. Le romanesque, c'est ce qui cloche et dans mon roman Tinder ne fonctionne pas aussi bien que prévu. Mais on peut imaginer que si l'application avait fonctionné exactement telle

en librairie CLÉMENT BÉNECH UN AMOUR D'ESPION FLAMMARION 276 PAGES, 19€

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LFC Magazine #3

qu'on l'avait conçue il n'y aurait pas eu d'histoire, pas de roman et pas d'amour. LFC : Un grand merci Clément Bénech, on vous laisse le mot de la fin… CB : Je vous recommande chaudement le nouveau livre de François-Henri Désérable, Un certain M. Piekielny.


MON PANAME ZARCA

UNLEASHING YOURÂ INNER GEM

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LFC Magazine #3

MELANIE MARTY THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

EST CELUI QUE JE RACONTE DANS PRECIOUS GIRL MON ROMAN


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LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle

Z A R C A

Photos : copyright Zarca

SUR LA ROUTE DU PRIX DE FLORE ? LFC : Bonjour Zarca, vous avez gommé votre prénom, pourquoi ? Z : Presque tout le monde m'appelle par mon nom de Famille, "Zarca", et puis on écorche souvent mon prénom Johann, qui se prononce "Yohann". Et puis "Zarca", avouonsle, ça claque ! LFC : Après Le Boss de Boulogne, Phi Prob et P’tit Monstre, vous revenez en librairie avec Paname Underground. Votre roman est un

électrochoc. Pouvez-vous raconter à nos lecteurs la genèse de votre roman ? Z : Il y a deux ans, j'ai commencé l'écriture d'un guide de l'Underground parisien : Bois de Boulogne, backroom, toxicos de Paris Nord, Afghans du jardin Villemin, manouches du Bourget, FAF de la rive gauche, catacombes interdites... pendant que j'écrivais ce guide, je me suis fait tirer dessus à Porte

Zarca alias le mec de l'underground, s'est imposé avec "Le Boss de Boulogne", "Phi Prob" et "P'tit Monstre" dans le paysage littéraire avec sa gouaille de rue et ses punchlines chocs. Rencontre avec un OVNI littéraire prêt à rafler le prix de Flore avec son dernier bouquin "Paname Underground".


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LFC Magazine #3

Z A R C A d'Aubervilliers et ma pote Dina a succombé à une overdose. L'écriture de mon guide a alors pris une autre tournure. C'est ce que je raconte dans Paname Underground.

LFC : Dans tous vos romans, le langage oral est très marqué, l’univers est sombre, mais dans celui-ci il y a une émotion forte dans un Paris trash. Votre Paris est l’antithèse du Paris des agences de voyage… Racontez-nous votre Paname Underground ! Z : Mon Paname est celui que je raconte dans mon roman. Que se cache-t-il derrière les façades des bâtiments, sous les plaques de l'IGC, dans certains parcs à la tombée de la nuit, derrière les périf' ?

Comme toute métropole digne de ce nom, Paris regorge de secrets. Malgré son embourgeoisement, la capitale cache un côté sombre dont j'ai accès par mon réseau de timbrés.

LFC : La mort rôde dans ce roman, elle frappe même et elle menace la vie du narrateur au fil des pages. Vous parlez du deuil, de la peur de mourir, pourquoi la mort prend-elle autant de place dans ce roman ? En avez-vous peur ? Z : En réalité, tous mes livres abordent la mort, je fais dans le roman noir. Peur de la mort, sans doute, mais je ne suis pas un mec torturé. Au contraire, moi, je suis un bon vivant. LFC : Dans votre roman, vous amenez le lecteur dans les tréfonds de l’âme noire de Paris, on rencontre des personnages qui dépassent la fiction. La réalité est encore plus trash, plus dingue que la fiction ? Z : Oh que oui. Je n'ai d'ailleurs pas pu me permettre de tout dire. Je te le confirme, la réalité est bien plus violente que la fiction.


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LFC Magazine #3

Z A R C A LFC : Vous parlez dans votre bouquin d’Erik Remes, c’est l’époque Guillaume Dustan, vous pouvez rappeler à nos lecteurs qui sont ces écrivains… Z : Dustan et mon pote Rémès sont des écrivains de la communauté Gay. Ils ont entre autre été connus par leur vision radicale de la vie, de la sexualité, des drogues, de la liberté aussi. Puis il y a eu la polémique sur la barebacking - la baise sans capote - dont ces mecs étaient les fers de lance, à l'époque où le SIDA faisait des ravages partout dans le monde. LFC : Vous êtes dans la liste des finalistes pour Le Prix de Flore, hormis manger les lasagnes de votre

maman et boire un Pastis cul-sec au Flore, quelles sont vos impressions ? Z : Inespéré pour moi. Ça m'est tombé sur la gueule, j'ai encore du mal à réaliser que je puisse toucher le gratin germanopratin. Mais ça ne me dérange pas, bien au contraire. Je ne suis pas du genre à cracher dans la soupe. LFC : On vous dit merci pour ce bouquin, pour l’interview, on vous laisse le mot de la fin… Z : Si j'ai le prix de Flore, on se la colle vénère...

en librairie ZARCA PANAME UNDERGROUND LA GOUTTE D'OR 250 PAGES, 17€


L'AMBITION LITTÉRAIRE LES BOURGEOIS M'ONT RÉCLAMÉ TROIS ANS DE TRAVAIL ET REPOSAIENT SUR DES TRAVAUX ANTÉRIEURS.

ALICE FERNEY INTERVIEW

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LFC Magazine #3

ROMANCIÈRE


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LFC Magazine #3

LA LITTÉRATURE EST UN ART DU DÉTAIL, IL NE FAUDRAIT JAMAIS RÉSUMER UN ROMAN ! MERCI D'ÊTRE LECTEURS.

Vingt ans après "L'élégance des veuves", Alice Ferney publie "Les bourgeois" en pleine rentrée littéraire. Échange avec une romancière talentueuse qui a comme sujets récurrents : la famille, le couple et la femme.

Interview par Christophe Mangelle. Photo : ©Catherine GUGELMANN/Leemage/Éditions Actes Sud LFC : Bonjour Alice Ferney, vous publiez Les bourgeois vingt ans après L’élégance des veuves, comment est née l’envie d’écrire cette suite ? AF : L'envie d'écrire Les Bourgeois m'est venue en parlant avec le cinéaste Tran Ahn Hung pendant qu'il préparait l'adaptation cinématographique de mon roman L'élégance des veuves (paru en 1995). J'ai eu envie d'écrire une suite, l'histoire des dix enfants nés entre les deux guerres et qui ont fait la grande traversée du siècle. Qui mourront dans un monde qui n'a plus rien de commun ou presque avec celui dans lequel ils sont nés. LFC : Vous parlez des bourgeois de la Première Guerre mondiale à nos jours. Comment avez-vous travaillé l’écriture de ce roman familial ? Pourquoi les bourgeois, en particulier ? AF : J'ai travaillé en m'immergeant dans les événements au présent : je me suis plongée dans les archives. Presse de l'époque, journaux

intimes, images, archives filmées. Pour retrouver le goût de l'époque. Je n'ai pas voulu écrire un roman sur la bourgeoisie mais un roman sur le temps : comment il est vécu, comment il passe, comment il nous balaie. LFC : Dans vos romans, vous vous intéressez à la famille, au couple et à la femme. Ce sont des thèmes récurrents. Comment expliquez-vous cette obsession ? AF : Le couple et la famille ne sont pas pour moi des obsessions, plutôt un sujet récurrent parce que très riche (et sur lequel j'ai lu dans de nombreux domaines - philosophie, droit, économie, sociologie...). J'ai aussi écrit sur la guerre, les animaux, l'écologie, le crime ! LFC : Votre roman inscrit cette famille dans un contexte historique très documenté. Ce travail de recherche paraît colossal… AF : Oui, Les Bourgeois m'ont réclamé trois ans de travail et reposaient sur des travaux antérieurs. Mais à quoi bon écrire des romans s'ils ne sont pas

ambitieux, pleins et denses ?! LFC : Dans votre roman, au sein de cette famille, les traditions se perpétuent en dépit des bouleversements du monde ? AF : Les traditions ne se perpétuent jamais telles quelles et c'est tant mieux. Un des thèmes de ce roman est justement celui de l'appartenance à une époque. Chaque génération est différente de celles qui l'entourent, prédécesseurs et successeurs. LFC : Merci pour l’entretien, on vous laisse le mot de la fin… AF : La littérature est un art du détail, il ne faudrait jamais résumer un roman ! Merci d'être lecteurs.


POLICE UNLEASHING YOURÂ INNER GEM

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HUGO BORIS L'INTERVIEW

MELANIE MARTY

LFC Magazine #3

THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

IMMERSION PRECIOUS GIRL


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LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle

HUGO BORIS 24H DANS LE HUIS-CLOS D'UNE VOITURE SÉRIGRAPHIÉE LFC : Hugo Boris, avec POLICE qui est aujourd’hui en version poche chez Pocket, vous publiez un roman qui a tous les codes du polar. Expliquez-nous ce pas de côté. HB : Trois grands fauves, mon précédent roman, courait sur trois siècles. Sa construction était fragmentée, je m’y intéressais à des moments-clefs de la vie de Danton, Hugo et Churchill. POLICE, au contraire, se déroule

sur vingt-quatre heures, dans le huis-clos d’une voiture sérigraphiée. J’avais besoin de changer de focale en écrivant sur un sujet contemporain dont l’intrigue obéisse à une unité de lieu, de temps et d’action. LFC : Lors de sa sortie en grand format, la critique vous a accueilli avec un grand enthousiasme, les lecteurs aussi. Racontez-nous vos impressions.

Photo : Pocket

Hugo Boris est un romancier contemporain qui nous a toujours conquis à la rédaction. L'année dernière, il publie POLICE, un roman dont on a plaisir de parler de nouveau avec l'auteur. Un grand roman qu'on vous recommande.


J’avais besoin de changer de focale en écrivant sur un sujet contemporain dont l’intrigue obéisse à une unité de lieu, de temps et d’action. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, je n’ai pas les codes, je n’ai même pas Internet sur mon téléphone, qui est un vieux Nokia que mon éditrice appelle mon « silex ». Alors on me transmettait au fur et à mesure… J’ai été surpris par tous ces blogs qui ont parlé de POLICE par exemple. Chaque retour de lecture, chaque message me touche profondément. LFC : Virginie, Aristide et Érik sont gardiens de la paix. Vous parlez d’eux avec empathie et humanité. Vous les aimez vos personnages ? HB : Beaucoup. C’est naturel, propre à l’écriture. Flaubert écrit qu’il suffit de regarder n’importe quelle chose suffisamment longtemps pour qu’elle devienne intéressante. Faites l’expérience dans les transports en commun. Forcez-vous à épiez quelqu’un de fade, quelqu’un sur qui vos yeux ont glissé sans s’arrêter, quelqu’un de beige comme diraient les Américains. Vous finirez par le trouver unique au monde. Ce qu’il est d’ailleurs. LFC : La rencontre entre trois gardiens de la paix et un étranger qui doit être reconduit à la frontière. Comment est née l’envie de raconter cette histoire ? HB : L’idée de ce roman m’est venue en 2010, en écoutant une émission de radio sur la police en tenue : je me suis rendu

en librairie HUGO BORIS POLICE POCKET 176 PAGES, 5,95€

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LFC Magazine #3

Forcez-vous à épiez quelqu’un de fade, quelqu’un sur qui vos yeux ont glissé sans s’arrêter, quelqu’un de beige comme diraient les Américains. Vous finirez par le trouver unique au monde. Ce qu’il est d’ailleurs.


Je vous recommande de lire Sarnia, de Gerald B. Edwards. C’est l’histoire d’un homme qui raconte sa vie sur l’île de Guernesey au fil du XXème siècle. Si vous ne l’avez pas encore lu, vous ne connaissez pas votre chance.

compte que le « 17 » était délaissé

LFC : Votre titre POLICE est

en littérature, qui n’a d’yeux que

écrit à l’endroit et à l’envers.

pour la police judiciaire, ses

Pourquoi ?

enquêtes, sa médecine légale et ses vieux briscards de flics, pleins

HB : Pour que le titre soit lisible

d’astuce devant un cadavre mais

dans un rétroviseur, comme si le

toujours divorcés et incapables de

roman était le véhicule lui-même.

préparer un goûter. Les autres, les

Et une invitation à traverser le

petites mains de l’ordre républicain,

miroir, à changer de regard sur la

sont les couteaux suisses de la

police.

police, ceux qu’on appelle en bout de chaîne, au bout du bout, quand

LFC : Quand sortira votre

l’Éducation nationale baisse les

prochain roman ? De quoi

bras, quand les assistantes

parlera-t-il ?

sociales n’y arrivent plus, quand le système de santé est dépassé.

HB : Hélas ! je suis bien incapable

Leur bande passante est si large !

de vous le dire. J’ai travaillé la

De l’avis aux familles au chien

moitié de l’été sur un projet

errant, du différend familial à la rixe

comme un forcené, dix heures

généralisée… Le métier est dur,

d’affilée, je ne prenais qu’un seul

ingrat, et beau quelques fois.

repas par jour. Puis je suis parti à la montagne. Quand je suis

LFC : Dans l’écriture, le rythme

revenu, j’ai relu et j’ai tout jeté.

est nerveux, le style dégraissé, l’histoire est un huis-clos (le

LFC : Merci Hugo Boris, on

trajet jusqu’à l'aéroport dans une

vous laisse le mot de la fin…

voiture de police). Tout est pensé de manière ramassée, pourquoi ?

HB : Je vous recommande de lire Sarnia, de Gerald B. Edwards.

HB : Je voulais que le livre se lise

C’est l’histoire d’un homme qui

d’une traite, d’un souffle, que le

raconte sa vie sur l’île de

lecteur soit embarqué à bord du

Guernesey au fil du XXème

véhicule, incapable d’arrêter la fuite

siècle. Si vous ne l’avez pas

en avant de la voiture, obligé de

encore lu, vous ne connaissez

prendre parti.

pas votre chance.

Le métier est dur, ingrat, et beau quelques fois. 70

LFC Magazine #3


BARBARA JEAN-FRANÇOIS KERVÉAN L ' I N T E R V I E WU N L E A S H I N G Y O U R I N N E R G E M

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LFC Magazine #3

MELANIE MARTY THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

PARCE QU'ON GIRL L'AIME ! PRECIOUS


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LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle Photo : E.Robert-Espalieu

JEAN-FRANÇOIS KERVÉAN BARBARA, CHAPEAU BAS LFC : Vous publiez un livre sur Barbara (commémoration cette année des vingt ans de la mort de la chanteuse). Comment est née l’idée de publier ce livre ?

éprouvants, un entêtement absolu, une cohérence qui force le destin. J'aimais Barbara, aujourd'hui, après mon périple biographique, je l'admire.

JFK : D'un coup, en un instant. Le jour où j'ai appris cette commémoration, j'ai voulu refaire sa vie, la suivre pas à pas, ramener Barbara dans le moment contemporain. Et j'ai découvert un road-movie artistique, haletant, désopilant, splendide. Des débuts

LFC : Comment définiriez-vous votre livre, une biographie ? Un roman ? Dites-nous ! JFK : Une biographie animée. Je me suis efforcé de la saisir pour donner aux lecteurs l'impression de monter avec elle les escaliers

Écrivain, journaliste, chroniqueur littéraire et nègre de best-seller (Michel Drucker, Catherine Breillat, Hervé Villard, Loana et Nabilla), Jean-François Kervéan a également publié La Folie du moment (prix du premier roman) ou encore L'Ode à la reine (prix Renaudot des lycées). Aujourd'hui il consacre une biographie à Barbara.


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LFC Magazine #3

J'aimais Barbara, aujourd'hui, après mon périple biographique, je l'admire. branlants de Bruxelles en 1950 ou ceux de Bobino, un soir de

quand reviendras-tu ? puis Nantes

triomphe. Être avec cette femme qui chante, voir naître ses

(inspirés de son grand amour pour Hubert

chansons faites de transcendance et de quotidien. La littérature

Balley et de son grand malheur d'avoir un

m'a permis de prolonger les battements de son cœur, qui m'a

père incestueux), elle a compris qu'en

tant donné, sans lâcher les faits, la chronologie, les époques.

allant au bout d'elle-même, si singulière, elle rejoignait un territoire commun.

LFC : Que représente la chanteuse Barbara à vos yeux ?

Engager son âme, c'est l'universel. Elle a eu du mal, par pudeur, à atteindre cette

JFK : Une artiste majeure, bien sûr, mais aussi quelqu'un qui m'a

alchimie : je chante pour moi, ce en quoi je

vraiment accompagné durant ma jeunesse. Ses chansons me

crois ou je souffre et je parviens à toucher

captivaient, m'éblouissaient. À propos de Barbara, on parle

autrui. Elle a réussi, je pense, à cause de

facilement de mélancolie, de chagrin... En vérité, j'ai eu - et j'ai

sa liberté et de sa générosité. Barbara

toujours - un immense plaisir à l'écouter. C'est ce plaisir partagé

n'avait rien, que cette passion de

qui m'a entraîné. J'ai été heureux d'écrire sa vie, sans la trahir, ni

communiquer par le chant. Les épreuves -

l'épargner non plus. J'ai eu la sensation, à travers plus de 300

avoir été une enfant juive traquée,

pages, de marcher à coté d'une enfant, d'une jeune fille, d'une

l'inceste, la misère, le rejet du public

femme, d'une diva et enfin d'une légende. Vue ainsi, son

pendant dix ans - ne l'ont pas séparée du

existence parfois douloureuse est d'une pure beauté. C'est

monde, au contraire. Elle a continué de

encourageant.

vouloir embrasser le réel, les êtres, la nature et enfin le public, à plein bras.

LFC : Dans votre livre, vous parlez de la chanteuse, de l’intime qui rejoint l’universel. Pouvez-vous expliquer à nos

LFC : Aimeriez-vous écrire sur d’autres

lecteurs votre démarche ?

artistes ? Qui ?

JFK : Barbara a mis du temps, tâtonnant, doutant, à créer ce

JFK : Artiste, peut-être pas, mais j'ai déjà

pont entre l'intime et l'universel. Au début du succès avec Dis

beaucoup travaillé un roman que je publierai, un jour, sur la tzarine Catherine II de Russie. LFC : On vous remercie et on vous

en librairie JEAN-FRANÇOIS KERVÉAN BARBARA, LA VRAIE VIE ROBERT LAFFONT 342 PAGES, 19,50€

laisse le mot de la fin... JFK : Ce n'est jamais fini. Il faut toujours recommencer, sans se répéter. Je tiens à remercier Françoise Delivet, mon éditrice fan de Barbara, de l'enthousiasme calme avec lequel elle a soutenu ce livre.


CONNECTÉ BU EN LRE ANS HAI NRG DY O W ERBER UR INNER GEM L'ENTRETIEN

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LFC Magazine #3

MELANIE MARTY THE POPSTAR REVEALS WHAT IT WAS LIKE TO COME OUT TO HER PARENTS

À MA FAMILLE DEGIRL LECTEURS PRECIOUS


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LFC Magazine #3

Interview Par Christophe Mangelle

BERNARD WERBER Photo : © Rüdy Waks

UN BON ÉCRIVAIN, C’EST UN MAGICIEN LFC : Bonjour Bernard Werber, on se voit assez régulièrement pour parler de vos livres et souvent à la même période. BW : Oui j’ai établi la règle du premier mercredi d’octobre comme rendez-vous avec mes lecteurs, précisément pour avoir une sorte de communication au niveau du calendrier. Je ne suis pas sûr que les journalistes vont me demander en interview, je ne suis pas sûr que les médias vont en parler, il faut

donc que je signale moi-même que le livre existe. Pourquoi octobre ? Tout simplement car les prix littéraires ne m’intéressent pas et également car c’est un moment, avec le mois de juillet, où les gens sont prêts à lire. LFC : Pourquoi êtes-vous aussi certain que les journalistes ne parleront pas de votre livre ? BW : Premièrement car j’ai été journaliste, je sais comment cela

Après son succès avec la trilogie des Fourmis, très régulièrement, en octobre, Bernard Werber donne rendezvous à son fidèle lectorat en librairie. Un rendez-vous que nous ne manquons plus. Rencontre avec Bernard Werber, chez lui, un jour de soleil, début octobre.


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LFC Magazine #3

fonctionne, c’est un système de copinage. Étant donné que je ne suis pas dans les réseaux de copains, je sais d’avance que mes livres ne seront pas chroniqués. Deuxièmement, je suis dans un secteur qui est considéré comme la littérature de genre, ce n’est pas celui qui est mis le plus en avant. Je dois donc communiquer directement avec mes lecteurs sans passer par l’attente des médias. J’écris pour les lecteurs, pas pour les critiques ni pour les prix. LFC : Vous vous êtes constitué une énorme communauté de lecteurs sur les réseaux sociaux, est-ce quelque chose qui vous porte ? BW : Je me sens complètement connecté à ma famille de lecteurs. Je

sais ce que je leur dois, c’est pour cela que je vais à leur rencontre en province. J’essaie d’être le plus présent possible et surtout de les regarder dans les yeux pour voir qui ils sont. Sans les lecteurs, aucun écrivain n’existe. Les lecteurs font l’effort de rentrer dans une librairie, ils vont payer vingt-deux euros, ils vont passer sept heures à lire le livre, cela me paraît normal qu’en retour, j’ai cette envie de les satisfaire et de rester connecter avec eux. L’avantage d’internet c’est que je peux voir leurs visages et entendre leurs critiques. C’est un outil extraordinaire. LFC : Aujourd’hui vous proposez une nouvelle histoire à vos lecteurs, Depuis l’au-delà, où vous parlez d’un personnage qui s’appelle Gabriel Wells. Il est écrivain. Comme vous. BW : Ce qui m’amusait dans ce livre, c’était de faire un personnage d’écrivain et de m’amuser avec le fait qu’il puisse me ressembler. Si ce n’est que là, il meurt à quarante-deux ans, pour ma part j’ai plus de quarante-deux ans et je suis toujours en vie, ce n’est pas donc pas complètement moi le héros.


Je souhaitais également montrer le quotidien d’un auteur à suspense, de montrer comment il construit ses romans, l’inquiétude qu’il a lors du twist final, qui est pour le coup, une de mes grandes inquiétudes. Un bon écrivain, c’est un magicien. Il doit préparer à l’avance le lapin dans le chapeau et tout ce qui tourne autour, ne sert qu’à amener cela. Il ne faut pas rater le final. LFC : Au tout début du livre, votre personnage découvre qu’il est mort… C’est assez curieux de commencer par cela ? BW : Oui. Et cela aussi m’amusait beaucoup. C’était jouer avec le polar et ne pas tourner autour du pot. Pas de scène de suspense, ni de poursuites… Dès la première ligne du livre, on sait que le héros est mort, l’histoire peut démarrer. Une fois qu’il est mort, la règle du jeu est différente de toutes celles que l’on peut trouver dans les polars où les enquêteurs sont vivants. LFC : On a pu lire dans la presse que vous n’avez pas de croyances particulières, contrairement à votre héros qui lui, une fois mort, croit aux âmes et au coté spirituel. BW : Je ne suis pas dans la croyance. J’ai une formation de juriste scientifique donc je suis plutôt dans le scepticisme de base. Cependant, je reste ouvert à toutes nouveautés. Pour écrire ce livre, j’ai dû faire des recherches, j’ai rencontré des médiums. Personnellement je n’ai pas de convictions particulières, je crois que toute personne qui croit en quelque chose après la mort a un imaginaire développé car tant que l’on n'est pas mort, on ne peut rien savoir. C’est seulement des intuitions et c’est justement ce que je propose à mes lecteurs.

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LFC : Pour créer le personnage de Lucy Filipini, vous avez rencontré des médiums, pouvez-vous nous parler de cette expérience ? BW : Pour parler d’un sujet, il faut quand même avoir un minimum de connaissance. Pour l’au-delà, c’est vrai que c’est un peu compliqué de trouver des informations. J’ai eu la chance de rencontrer Patricia Darré, qui est une femme formidable. Elle m’a parlé de son quotidien à travers des tas d’anecdotes. Mon objectif n’était pas de vérifier si celles-ci étaient vraies ou non, mais en tant que romancier, je trouvais cela très cohérent. Elle m’a dit quelque chose qui m’a marqué, c’est de me méfier des autres médiums et d’adopter un comportement sceptique et prudent. LFC : Vous êtes scientifique et vous vous attaquez à un sujet dont on n’a pas d’éléments concrets. BW : À l’époque de Jules Verne, l’inconnu, c’était aller sous l’eau et sur la Lune. De nos jours, l’inconnu, c’est les frontières de la mort et les extraterrestres. C’est aussi le monde de la conscience, les rêves, le sommeil, les animaux… J’essaie d’aller explorer les nouvelles limites des mondes connus et à partir de là de rester le plus cohérent possible pour ne pas rentrer dans le délire. En terme de documentation pour ce livre, j’ai lu beaucoup de textes anciens, des textes de la Bible. C’est en fait plus des textes de spiritualité que des textes de religions pures. LFC : Ce n’est pas la première fois que vous choisissez de parler de la mort ? BW : Non c’est vrai. D’abord car je crois que tout être conscient doit se poser la question de comment va être son dernier chapitre. Comme je vous le disais tout à l’heure en vous parlant du lapin qui sort du chapeau, c'est pareil pour la mort, il faut


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LFC Magazine #3

œpréparer cet instant où notre esprit va quitter notre corps. Il faut bien le préparer car cela ne doit pas être un moment de panique ou de tristesse. Réussir sa mort ce n’est pas facile. Réussir sa mort c’est réussir sa vie. LFC : Vous êtes un auteur très curieux, vous proposez plein de sujets à vos lecteurs, vous vous documentez beaucoup pour vos œuvres, mais à coté de cela vous lisez également ce que font les autres, il y a une certaine dynamique dans ce que vous faites. BW : Ma source d’information numéro un, c’est l’oral. Je considère que je ne vais pas trouver des informations dans les livres, mais

plutôt en discutant avec les gens. Je mets d’ailleurs à la fin du livre, toutes les personnes qui m’ont apporté quelque chose. L’avantage de l’oral c’est que ce n’est pas du figé, pas du congelé que l’on peut servir n’importe quand. Au moment où la personne vous transmet une info, elle l’a transmet avec un regard, avec une voix. Mon travail est le fruit d’une communauté d’esprits et cette communauté ce sont des personnes qui sont curieuses comme je le suis. Je crois que le monde avancera de cette façon. La curiosité c’est la première qualité que j’attends d’un être humain et c’est la qualité que j’essaye d’entretenir avec mes lecteurs.

en librairie BERNARD WERBER DEPUIS L'AU-DELA ALBIN MICHEL 22€


JUSTE APRÈS GUILLAUME MUSSO TOUJOURS NUMÉRO UN, MICHEL BUSSI OCCUPE LA DEUXIÈME PLACE DES VENTES DE LIVRES EN FRANCE EN 2016.

L'INTERVIEW INCONNU IL Y A TROIS ANS, MICHEL BUSSI AU SOMMET AUJOURD'HUI

JENN M A IC M HA EY L FINALLY REVEALS HER SECRET ROMANCE, P7

BUSSI

S'IMPOSE DANS LE TOP 10 OUTFITS PAYSAGE DU

AT THE RED CARPET, P16 THRILLER FRANÇAIS

MON RÊVE ABSOLU,

CE SERAIT QU’UN DE

MES PERSONNAGES

SOIT DANS LA

CULTURE POPULAIRE

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L 'L EIN LT YR T E A T L IK EN S

LILY CORRIN BREAKS EXCLUSIF HER SILENCE, P21 P.79 À 84 L F C

M A G A Z I N E

Photo : © Philippe Matsas

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2 0

2 0 O C T O B R E N O V E M B R E 2 0 1 7


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" IL Y A TROIS PROJETS DE SÉRIE QUI SONT EN COURS "

Photo : © D. Ghosarossian

MICHEL

BUSSI

Entretien exclusif Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig.

L'INCONTOURNABLE DU THRILLER FRANÇAIS LFC : Bonjour Michel Bussi. Votre actualité, c’est la sortie de votre livre On la trouvait plutôt jolie disponible aux Éditions Presses de la Cité. On a plutôt l’habitude de vous retrouver durant les beaux jours d’été plutôt qu’à cette période…

en mai, il n’y a pas forcément l’envie de s’inscrire dans une sorte de routine ou de rendezvous.

PARIS, LES LOCAUX DE

FRANCE LOISIRS, OCTOBRE

2017, NOUS RENCONTRONS

MICHEL BUSSI QUI ARRIVE DE

ROUEN EN TRAIN DE BON

LFC : Le livre est quand même un MATIN. IL NOUS PARLE DE rendez-vous avec vos lecteurs mais ça va au-delà de ça, il faut SON SUCCÈS AVEC MODESTIE, que le livre soit nécessaire et DE SON NOUVEAU ROMAN ET que l’histoire soit aboutie.

MB : Mes deux livres précédents étaient sortis au Printemps mais à vrai dire c’était plutôt un hasard. J’ai d’autres livres qui sont sortis en hiver. Il n’y a pas de règle absolue. Peut-être qu’inconsciemment, MB : Oui tout à fait. J’ai la chance même si le livre était trop court pour sortir d’avoir été édité assez tard.

DE L'AFRIQUE AVEC UNE

GRANDE AFFECTION.

RENCONTRE


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LE SAVIEZ-VOUS ? Vous pouvez lire aussi Le temps est assassin disponible pour la première fois en version poche chez Pocket depuis mai 2017. Un thriller bien troussé, haletant, au suspense machiavélique.

Michel Bussi est sur les réseaux sociaux.

Rejoignez-le !

J’avais plus de quarante ans, ce qui signifie que j’ai pas mal d’histoires en stock, je n’ai pas trop de difficulté à piocher dedans et pas non plus de panne d’inspiration. Je suis quelqu’un qui écrit ses livres assez vite, qui a besoin de beaucoup de temps pour relire, pour faire mûrir l’histoire et la peaufiner. Ça peut prendre jusqu’à plusieurs années pour certains livres. J’associe la relecture à un travail d’horloger, puisque chaque détail compte, c’est un travail millimétré. LFC : Il y a une forme de perfection dans votre méthode de travail, mais est-ce que ce n’est pas difficile de lâcher son livre, d’écrire le mot fin ? MB : Il y a des auteurs qui arrivent assez facilement à écrire le mot fin et qui ne toucheront quasiment plus une seule virgule, c’est même une sorte de libération. Moi, non. Lorsque j’imprime mon manuscrit et que je le confie à un cercle de lecteurs ou à un éditeur, c’est une sorte de première fin. Je suis ensuite dans une phase d’écoute où je sais que le texte va bouger suivant les réactions que j’entends. Tout cela de manière à améliorer le confort de lecture et à intensifier les émotions.

trois raisons de lire...

MICHEL BUSSI ON LA TROUVAIT PLUTÔT JOLIE PRESSES DE LA CITÉ 464 PAGES, 21,90€

LFC : Les premières fois où nous nous sommes rencontrés, vos livres se vendaient déjà bien mais il n’y avait pas encore ce grand succès que l’on connait aujourd’hui. Nous sommes très heureux de voir que vous n’avez pas changé ! Le fait d’être lu par mille, cinq mille ou un million de lecteurs, ça reste assez virtuel. Les millions de lecteurs qui achètent vos livres, vous ne les voyez pas dans les librairies, c’est difficile de se les imaginer contrairement aux cinq mille lecteurs de votre premier roman que vous pouvez imaginez dans un Zénith par exemple. Il y a un coté assez surréaliste dans le fait d’être lu par des millions de gens, c’est difficile d’y croire. Le rapport à l’histoire est le même que vous soyez lu par cinq mille ou un million de personnes. Je suis entouré par des gens qui n’ont pas changé, donc ça aide. Mon inspiration a été puisée dans des héros ordinaires. D’ailleurs, ce que j’affectionne le plus, c’est mettre des héros ordinaires dans des lieux ordinaires, mais dans des situations extraordinaires. C’est une façon de sublimer le réel. J’essaie de garder cette forme d’inspiration qui me permet de connaître la vie des gens, de la voir et de la partager même si je suis conscient que ce n’est pas pareil qu’avant.

01

Un sujet de société La crise des migrants traitée avec intelligence et nuance.

02

Des héroïnes ordinaires Les femmes sont à l'honneur dans ce nouveau thriller

03

Une déclaration à l'Afrique Terrain de jeux de ce thriller haletant.


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Michel Bussi

Ce que j'affectionne le plus, c'est

mettre des héros ordinaires dans des

lieux ordinaires, mais dans des

situations extraordinaires. C'est une

façon de subliment le réel.

LFC : Avant de parler de votre nouveau roman, on va revenir sur votre succès. Le fait que vos romans soient traduits dans trente cinq pays, c’est quand même dément ? MB : Comme vous dites, c’est dément. Il y a eu de grands succès que ce soit en Corée en Chine ou en Italie… La chose qui est très intéressante, c’est que dans mes romans, je parle beaucoup de la France, de la Normandie, il y a beaucoup de références très françaises, je joue beaucoup avec les mots, et ça rend le livre difficilement traduisible. Ce sont des livres très franco-français. Mais je crois que les lecteurs étrangers, qui achètent mon livre ont besoin de sentir qu’il y a une french touch. Certains auteurs de thrillers français que j’adore, et qui installent leurs histoires aux États-Unis ont beaucoup plus de mal à s’exporter car les lecteurs étrangers ne retrouvent pas cette touche française qu’il y a dans mes livres ou ceux de Fred Vargas. LFC : Cela ne s’arrête pas là, car il y a le cinéma et la télévision… Pour l’instant, les livres sont vendus mais pas encore de projet qui ait été porté à l’écran. MB : La télévision arrive à grands pas ! Il y a trois projets de série qui sont en cours, notamment Maman a tort dont le tournage a commencé. Et également au cinéma mais tout cela prend du temps. LFC : Est-ce que ça vous plaît ? Ça peut être une jolie trahison ? MB : Oui mais vous savez, j’ai toujours revendiqué mon

goût pour la culture populaire et le fait que mes romans soient adaptés à la télévision ou au cinéma, ça renvoie à cette idée. Quand Victor Hugo a écrit Notre Dame de Paris, il ne pensait pas qu’un jour le personnage de Quasimodo devienne Le bossu de Notre Dame. Mon rêve absolu, ce serait qu’un de mes personnages soit dans la culture populaire via une BD, une série, un manga, que sais-je ? LFC : On va clôturer cette première partie de l’interview en parlant des ventes de livres car c’est quelque chose d’important pour l’éditeur. Vous êtes le deuxième auteur le plus lu en France derrière Guillaume Musso. Est-ce qu’il y a un coté flippant par rapport à cette notoriété ? MB : Ce n’est pas flippant. Mais de se dire que l’on fait partie de ces milliers de français qui écrivent et que l’on est numéro deux, cela a quelque chose d’assez fascinant. D’autant plus que je suis un grand lecteur et que parfois je tombe sur des livres de très grande qualité qui mériteraient d’être plus haut dans ce classement. Il y a une forme de fidélité de la part des lecteurs qui est assez sympathique car ça fait maintenant cinq ans que je fais partie du top dix des meilleures ventes. LFC : Dans ce nouveau roman disponible depuis quelques jours aux Éditions Presses de la Cité, vous êtes là où on ne vous attendait pas et c’est assez chouette de vous voir en terre inconnue. MB : Il n’y a jamais eu de calcul de ma part où je me suis dit que j’allais écrire sur les migrants, sur les politiques, que je voulais faire du buzz… Il y a eu l’envie d’une histoire et il faut lire le livre pour comprendre ce que j’ai voulu raconter. L’héroïne Leyli est apparue de façon très naturelle, tout comme le thème de ce livre. À travers cette histoire, j’ai voulu aussi casser le cliché de la femme active qui a son pavillon, ses enfants et


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Michel Bussi

La télévision arrive à grands pas ! Il y

a trois projets de série qui sont en

cours, notamment Maman a tort dont

le tournage a commencé. Et

également au cinéma mais tout cela

prend du temps.

qui mène une vie tranquille, à laquelle justement les lecteurs peuvent s’identifier plus facilement. C’était plus fort de raconter l’histoire d’une famille qui se bat au quotidien et qui a une histoire secrète et complexe. LFC : Quand vous nous parlez de cette femme, on a l’impression que vous la connaissez très bien, bien qu’elle soit fictive. Et à travers ce personnage, vous faites passer des émotions très fortes. MB : Quand j’ai eu l’idée d’écrire sur le parcours des migrants, je savais que j’étais sur un terrain assez complexe. Étant géographe à la base, j’avais déjà quelques connaissances mais je me suis quand même beaucoup documenté. J’ai lu beaucoup de récits de vie très poignants. C’est comme cela que j’ai nourri mon personnage, tout en donnant une dimension romanesque. Il fallait qu’il y ait cette dimension de fiction. C’est une chose que font très bien les américains d’ailleurs, du divertissement intelligent, je pense notamment aux films Blood diamond ou War game. En France, c’est quelque chose que l’on a du mal à faire. LFC : Est-ce que le fait d’avoir choisi ce thème, c’était une manière aussi d’amener le lecteur à une réflexion ? En lui faisant comprendre que derrière le sujet des migrants, il y a une histoire, il y a de l’humain. Je voulais humaniser cette question des migrants car elle est très romanesque. On a tendance à montrer les migrants comme une masse de gens qui se noient en Méditerranée, qui sont réfugiés dans des camps, qui

trainent dans la rue. Ce sont des gens que l’on voit en bas de l’échelle alors qu’ils ont des histoires extraordinaires à raconter. Ce n’est pas tous les africains qui vont avoir cette envie d’aller en Europe, c’est un africain sur dix mille, sur cent mille. Pourquoi cette personne ? Pourquoi cette décision de vouloir traverser la mer au péril de sa vie ? C’est cela que je trouvais beau, de voir ce que les gens sont capables de faire pour réaliser leurs rêves. LFC : Nous en parlions tout à l’heure, vous avez un lectorat très important aujourd’hui, amener cela à vos lecteurs, c’est en quelque sorte être porteparole de ce sujet. MB : J’espère en tout cas que ce livre fera parler, que ce sera l’occasion d’en débattre. C’est mon ambition. À l’époque quand j’étais universitaire et que je dirigeais un labo, je travaillais déjà sur le thème des migrants, mais cela touchait un cercle restreint. Avec ce livre et ayant un lectorat plus important, c’est l’occasion de toucher plus de personnes. Peut être que ces personnes auront envie de s’informer et d’aller lire des articles à ce sujet. Comme je le disais tout à l’heure, c’est du divertissement intelligent, ça amène à la réflexion. LFC : Est-ce que l’Afrique est un endroit que vous connaissez ? J’ai la chance d’avoir été plusieurs fois au Mali et au Burkina Faso. On en tombe vite amoureux. La situation a bien changé aujourd’hui à cause de la montée des extrémistes. Il est beaucoup plus difficile de circuler pour les touristes et c’est quelque chose de terrible pour les populations locales. C’est

J’espère en tout cas que

ce livre fera parler, que

ce sera l’occasion d’en

débattre.


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" JE VOULAIS HUMANISER

LFC Magazine #3

CETTE QUESTION DES

MIGRANTS CAR ELLE EST

TRÈS ROMANESQUE. "

Photo : © D. Ghosarossian

MICHEL

BUSSI

Entretien exclusif Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig.

LA PROMESSE D'UN TWIST DE DINGUE À LA FIN DU LIVRE. toujours triste de voir ces pays qui avaient une telle énergie et qui sont désormais coupés du monde alors que c’est par cette ouverture qu’ils avaient quelques chose à apporter avec leur différence, leur culture… LFC : Pour finir, pouvez-vous donner trois raisons à nos lecteurs de lire ce livre ?

J'ESPÈRE QUE CE

ROMAN

La première c’est certainement le twist dont je suis très fier. D’ailleurs, je crois que ce roman est né de ce rebondissement. La deuxième, c’est que ce livre est un domestic thriller, une histoire de famille à secret et à suspens. Et la troisième, c’est que j’espère que ce roman suscitera une grande émotion et une grande réflexion, voire une colère.

SUSCITERA UNE

GRANDE ÉMOTION

ET UNE GRANDE

RÉFLEXION, VOIRE

UNE COLÈRE


APRÈS STEPHEN KING DONT LES LIVRES DEVIENNENT DES SÉRIES ET DES FILMS,

L'INTERVIEW C'EST AU TOUR D'HARLAN COBEN D'ÊTRE UNE VALEUR SÛRE !

J E NH NA AR M LAN Y FINALLY REVEALS HER SECRET ROMANCE, P7

COBEN

LE

BOSS DU

TOP 10 OUTFITS THRILLER

AT THE RED CARPET, P16 ET DES SÉRIES TV

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LFC Magazine #3

J'AIME BEAUCOUP LE

TRAVAIL DE JULIA

ROBERTS

L'ACTRICE VA INTERPRÉTER LE RÔLE DE MAYA DOUBLE PIÈGE ACTUELLEMENT EN LIBRAIRIE. L F C

M A G A Z I N E

# 3

Photo : © Hacquard et Loison, Opale Leemage

L 'L EIN LT YR T E A T L IK EN S

LILY CORRIN BREAKS EXCLUSIF HER SILENCE, P21 P.85 À 88. 2 0

2 0 O C T O B R E N O V E M B R E 2 0 1 7


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LFC Magazine #3

"JE NE SUIS MÊME PAS LE BOSS À LA MAISON (RIRES)"

Photo : © Copie d'écran Facebook officiel

HARLAN

COBEN

Entretien exclusif Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig.

L'AUTEUR RESPONSABLE DE VOS NUITS BLANCHES LFC : Harlan Coben, votre livre Double piège vient tout juste de sortir en France aux Éditions Belfond. C’est déjà votre vingt-huitième livre. Est-ce exact ? HC : Je vous confirme que c’est bien mon vingthuitième roman. Déjà !

on y pense. Mais c’est mon métier, j’étais fait pour ça. Je ne sais pas ce que j’aurais fait si je n’avais pas été écrivain.

PARIS, HÔTEL D'AUBUSSON,

OCTOBRE 2017, DERNIÈRE

INTERVIEW AVANT DE

DÉJEUNER ET DE SAUTER

DANS UN TRAIN POUR UNE

LFC : Pensiez-vous en écrire autant lorsque vous avez commencé ? HC : Non pas du tout. Pour tout vous dire, j’ai écrit deux autres romans à mes débuts, ce qui porte le total à trente. C'est un sentiment incroyable quand

LFC : Est-ce qu’au bout de vingt-huit livres, l’imagination est toujours aussi présente qu’à vos débuts ? HC : Comme tous les écrivains,

RENCONTRE EN PROVINCE,

HARLAN COBEN NOUS

ACCORDE 30 MINUTES TOP

CHRONO POUR PARLER

BOUQUINS ET SÉRIES TV.


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LE SAVIEZ-VOUS ? Vous pouvez lire aussi Intimidation disponible pour la première fois en version poche chez Pocket depuis octobre 2017. Un thriller bien troussé, haletant, au suspense machiavélique.

Harlan Coben est sur les réseaux sociaux.

Rejoignez-le !

j'ai toujours un moment où je suis à court d’idées. Où je me dis que c’est peut-être la fin. Surtout lorsque je termine un livre, je pense toujours que c’est le dernier. Mais finalement, je crois que cette peur nourrit les écrivains, elle permet à chaque fois de se surpasser et de raconter d’autres histoires. LFC : Dans ce nouveau roman, vous mettez en scène une héroïne, Maya, pouvez-vous nous la présenter ? De tous les personnages que j’ai écrit, Maya est l’une des plus charismatiques. Elle a été pilote pour l’armée américaine lors des affrontements en Irak. Elle est désormais de retour chez elle mais souffre d’état de stress post-traumatique. Au début du livre, on apprend que son mari vient d’être assassiné et qu’elle va devoir s’occuper de sa fille de deux ans toute seule. Elle se munit donc d’une petite caméra qu’elle dispose dans la chambre de sa fille par mesure de sécurité. Un jour, en regardant ce qui se passe sur cette caméra, elle s’aperçoit que sa fille joue avec son mari… qui est censé être mort. Voilà le début de l’histoire !

trois raisons de lire... HARLAN COBEN DOUBLE PIÈGE BELFOND 396 PAGES, 21,90€

LFC : On ne va pas en dévoiler plus pour laisser un peu de suspens aux lecteurs. Nous avons eu le sentiment que ce livre était différent des autres d’un point de vue narratif. Êtes-vous d’accord ? HC : Oui, c’est vrai. Je souhaitais que ce livre reste avec vous un moment, qu’il vous hante, qu’il vous brise le cœur. Ce qui est différent avec mes autres livres, c’est que le narrateur, Maya est en état de stress post-traumatique. J’ai voulu jouer avec cela à travers des flashbacks et le fait qu’on ne peut pas forcément lui faire confiance. Cela a donné au livre un aspect paranoïaque. De plus, le final de ce livre va en surprendre plus d’un, je n’ai pas rencontré beaucoup de personnes qui ont deviné ce qui allait se passer à la fin. LFC : Votre éditeur vous présente comme le boss du thriller, qu’est-ce que ça vous évoque ? HC : Je ne suis même pas le boss à la maison ! (rires) C’est très flatteur. Cela a peut-être un rapport avec le New Jersey et Bruce Springsteen.

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Une héroïne charismatique Pilote pour l'armée américaine, mère de famille...

02

Le lecteur paranoïaque ! Des flashbacks qui vont vous rendre dingue !

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Bientôt un film avec Julia Roberts Du livre à l'écran, déjà en cours d'adaptation.


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Harlan Coben

Bientôt sur C8 et Netflix Photo : © Copie d'écran Internet

Après "Une chance de trop" avec

Alexandra Lamy et "Juste un regard"

avec Virginie Ledoyen, ainsi que la

carrière. The Five diffusée sur Canal+ et un nouveau projet Safe qui sera diffusée sur Netflix et C8. Pouvez-vous nous parler de ces projets que vous menez en parallèle ?

saison 1 de The Five, Harlan Coben

prépare une nouvelle série avec Michael

C. Hall (Dexter) et Audrey Fleurot.

Une chose est sûre, je ne m’appellerai jamais le boss de quoi que ce soit ! LFC : Vous avez choisi de présenter ce livre à vos lecteurs via un teaser d’une minute visible sur vos réseaux sociaux. De nos jours, est-ce important pour vous de promouvoir un livre avec des images ? HC : C’est l’idée de mes éditeurs, nous faisons ça depuis quelques années maintenant. Je pense que c’est un outil marketing comme un autre. Est-ce que cela aide à la promotion du livre ? Je ne sais pas. Aujourd’hui, je crois que l’on n'achète pas un livre parce qu’on a vu une publicité. Le livre et les mots sont des choses qui se transmettent. J’achète toujours un livre car un ami me l’a conseillé. C’est ce qui marche encore le mieux de nos jours. LFC : Double piège vient tout juste de sortir et on sait déjà qu’il sera adapté au cinéma avec Julia Roberts dans le rôle de Maya. Quelles sont vos impressions ? HC : J’aime beaucoup le travail de Julia Roberts, c’est une grande actrice. Un jour, après la sortie du livre, j’ai reçu un appel d’une personne qui me disait qu’elle souhaitait s’entretenir avec moi à propos de Double piège. En discutant avec elle, j’ai senti qu’elle avait très bien cerné le personnage de Maya. À Hollywood, on n’est jamais sûr de rien, je ne sais pas si le film se fera. Je n’écris pas mes livres en espérant qu’ils soient adaptés au cinéma un jour. Si ça se fait, tant mieux. Si ça ne se fait pas, je passe à autre chose. LFC : Chaque année, votre actualité est marquée par la sortie de vos romans, mais depuis quelque temps, les séries TV ont pris une place importante dans votre

HC : Safe sera bientôt diffusée sur C8 avec au casting Michael C. Hall (Dexter) et une actrice que vous connaissez très bien ici : Audrey Fleurot. Le format sera de huit épisodes et je suis très excité par ce projet. Il y a déjà eu plusieurs adaptations en France diffusée sur TF1 dont je suis très content, Une chance de trop avec Alexandra Lamy ou Juste un regard avec Virginie Ledoyen. Je ne pense pas que cela aurait été possible il y a quelques années, la télévision a beaucoup évolué notamment grâce aux nouvelles séries qui sortent entièrement et que vous pouvez binge watcher. LFC : Vos livres se vendent dans le monde entier, ils sont adaptés au cinéma et à la télévision, êtes-vous un homme comblé ? HC : Oui tout à fait. J’aime raconter des histoires et j’espère que vous le ressentez lorsque vous lisez un de mes livres ou que vous regardez un film. Je veux vous divertir, vous émouvoir, vous briser le cœur et je veux surtout vous garder éveillé. LFC : Pour terminer cet entretien, pouvez-vous donner trois raisons aux lecteurs de lire votre nouveau roman Double piège ? HC : La première, c’est que vous apprendrez beaucoup de choses grâce à ce livre. La question de l’armement, de la guerre, l’état de stress posttraumatique, les dénonciateurs… Tout cela dans une seule et même histoire. La deuxième, c’est que je vous garantis que vous ne pourrez pas poser ce livre une fois que vous l’aurez commencé. Et la troisième, je pense que la fin du livre va vous choquer. Vous vous imaginez que ce sera un dénouement facile, mais vous vous trompez. Bonne lecture !


EN PARTENARIAT AVEC

NOIR LFC MAGAZINE Octobre 2017

NUMÉRO 3

ANONYME SARAH PINBOROUGH LAURENT LOISON CAMUT/HUG JÉRÔME LOUBRY MARIO VICHI FABRICE PAPILLON FABIO M. MITCHELLI LES ENTRETIENS EXCLUSIFS


NUMÉRO TROIS OCTOBRE 2017

AU MENU 92

JÉRÔME CAMUT ET NATHALIE HUG CamHug nous présente leur nouveau thriller Islanova. Trois pages d'entretien.

95

FABRICE PAPILLON 4 pages d'entretien avec l'auteur du roman Le dernier hyver.

99

MARCO VICHI Rencontre à Paris avec l'auteur qui a reçu le prix Scerbanenco, la plus haute récompense du polar italien, en 2009.

102

JÉRÔME LOUBRY Nouveau talent. Détroit, un personnage à part entière. Entretien.

105

ANONYME Entretien exclusif par mail de l'auteur le plus secret et le plus détonant.

PAGE 90


NUMÉRO TROIS OCTOBRE 2017

AU MENU 108

LAURENT LOISON Six pages pour en savoir plus sur Laurent Loison, l'étoile montante du thriller français.

114

SARAH PINBOROUGH Une découverte, une pépite.

117

FABIO M. MITCHELLI SARAH PINBOROUGH 4 pages d'entretien avec Fabio M. Mitchelli.

Dans un bon roman policier rien n'est perdu, il n'y a pas de phrase ni de mot qui ne soient pas significatifs. PAUL ASTER

PAGE 91


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#INDISPENSABLE

JÉRÔME CAMUT ET NATHALIE HUG : DUO DE CHOC POUR THRILLER COUP DE POING ! PHOTO : HANNAH ASSOUL

Jérôme Camut et Nathalie Hug se rencontrent en 2004. Depuis, ils ne se quittent plus et écrivent à quatre mains. Ils deviennent les CamuHug. Après la trilogie W3 et les quatre tomes de la série Les voix de l'Ombre, ce duo de choc propose avec Isla Nova un roman visionnaire de haute volée. Entretien. Isla Nova de Jérôme Camut et Nathalie Hug Fleuve Noir 784 pages, 22,90 €

LFC : Bonjour Nathalie et Jérôme, comment est née l’idée de ce thriller ? CAMHUG : Parfois il se passe des choses curieuses dans la tête d’un auteur (et encore plus dans la tête d’un auteur à deux têtes !). Il y avait ce titre, ou ce mot, Islanova, tombé du cerveau


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L’ÉCOLOGIE, LA QUALITÉ DE NOTRE ENVIRONNEMENT, LA PÉRENNITÉ DES ESPÈCES VIVANTES, EN GROS L’AVENIR DE L’HUMANITÉ, SONT DES PROBLÉMATIQUES QUI NOUS CONCERNENT TOUS. JÉRÔME CAMUT / NATHALIE HUG

d’un des d’eux (je crois qu’il s’agissait de JC). Un mot tenace qui cherchait son histoire. Et puis il y avait une vieille idée du CamHug : et si demain des types débarquaient sur les côtes françaises, armés et fermement intentionnés, plantaient leur drapeau et déclaraient, « ici, maintenant c’est chez nous ! » comme les Français l’ont fait dans l’ensemble des colonies ? Il se passerait quoi ? Islanova est né comme ça. Il y avait d’autres raisons, mais vues les questions qui suivent, on va y répondre ensuite. LFC : Présentez-nous la famille Stark-Macare, famille recomposée ? CAMHUG : Chez les Stark, il y a Julian, le père, et Charlie, sa fille chérie de 15 ans. Chez les Macare, il y a Vanda, la mère, et Leny, son fils de 18 ans. Julian a eu sa fille d’une femme, qui la lui a laissée comme un cadeau. Quant à Vanda, elle était fillemère, a eu son fils à 17 ans, a tenu à le garder contre vents et marées, malgré tout ce que sa famille lui conseillait de faire. C’est dire si pour Julian et Vanda, leurs enfants sont importants ! Ensemble ils sont une famille recomposée (une expression un peu curieuse pour des gens qui finalement se choisissent). Et ça fonctionne plutôt bien d’ailleurs, jusqu’à ce que commence le roman. Parce que, en tant qu’auteurs de thrillers, il faut bien qu’on raconte des histoires où tout ne se déroule pas à merveille. Quand on y regarde de près, les membres de cette famille ne sont pas faits pour s’entendre. Julian le père est un sauvage qui est très heureux d’être garde forestier dans les Vosges, Vanda est ingénieur télécom, travaille

pour le parlement européen à Strasbourg et est une femme très moderne qui supporte de vivre à temps partiel dans la forêt parce que c’est bon pour son fils Leny. Charlie de son côté est une cachotière, une fille intrépide, secrètement impliquée dans les causes altermondialistes, écologistes, et très amoureuse de Leny, le fils de Vanda, qui lui ne pense qu’à réussir sa vie, ce qui revient chez lui à devenir riche. Comme vous le voyez, cette famille recomposée est un panier de crabes, mais un milieu qui fonctionne à peu près. Un résumé de la société française ? Non, non, on ne l’a pas dit. LFC : Charlie et Leny sont deux jeunes en couple qui fuient le domicile familial pour rallier la ZAD de l’Atlantique située sur l’île d’Oléron. Qu’est-ce que la ZAD ? CAMHUG : ZAD : Zone A Défendre. Si ça ne vous dit toujours rien, pensez à la ZAD de Notre Dame des Landes. Vous savez, ces activistes écolo qui essaient depuis 50 ans d’empêcher la construction d’un nouvel aéroport près de Nantes. Dans Islanova, nous avons inventé une ZAD dans le sud de l’île d’Oléron, inspirée de la ZAD de Chambaran (tapez ça sur internet, vous verrez). En résumé, dans cette ZAD de l’Atlantique (donc inventée sur l’île d’Oléron), une centaine d’écolos de tous poils luttent pour empêcher la construction d’un luxueux site touristique sur une zone humide. Définition d’une zone humide ? C’est un espace naturel dédié aux espèces sauvages et dont la fonction est de servir d’éponge et d’empêcher les crues excessives. (Donc c’est bon pour les humains)


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JÉRÔME CAMUT ET NATHALIE HUG

Toujours dans le roman (mais est-on jamais bien loin de la réalité ?), l’Etat français a cédé le sud de l’île en échange de la protection du littoral par la construction d’une digue, travaux gigantesques assumés par la société qui est sur le point d’inaugurer le luxueux site touristique. Nos écolos ne sont pas, mais vraiment pas d’accord, avec ces libertés prises par l’Etat vis-à-vis des zones humides, qui sont reconnues et protégées par l’Unesco, rien que ça. LFC : La cellule familiale est un thème important de votre livre. Pourquoi ? La cellule familiale est un thème important dans nos romans en général. Pourquoi ? CAMHUG : Parce que nous en venons tous, exception faite des orphelins, et que les rapports humains à l’intérieur de la cellule familiale, quelle que soit sa taille, sont les plus complexes que nous aurons tous à connaître au cours de notre vie. La famille d’où nous sommes issus, la famille que nous créons une fois adultes, la famille que nous recomposons en cas de bifurcation. C’est le cœur de nos rapports humains, et c’est une mine inépuisable pour les auteurs que nous sommes (qui essayons encore de déchiffrer le mystère de nos familles respectives). LFC : L’écologie également… Dites-nous en plus. CAMHUG : Il y a un truc que nous les Camhug n’avons jamais compris : dans notre beau pays (qui est vraiment un sacrément beau pays), quand on est écolo, ça signifie qu’on est de gauche. C’est un truc curieux. Comme si on ne pouvait pas avoir une inquiétude pour sa planète si on est de droite. Cette interrogation peut sembler superficielle, et pourquoi pas « bétassonne », mais en réalité, elle est au cœur de notre problématique en tant que citoyen. L’écologie ne devrait pas être une

problématique de clochers. De droite, de gauche, ça change quoi quand il est question de savoir si on respire un air correct ou si on s’empoisonne jour après jour. L’écologie, la qualité de notre environnement, la pérennité des espèces vivantes, en gros l’avenir de l’humanité, sont des problématiques qui nous concernent tous. Quelle que soit notre nationalité, notre couleur de peau, notre religion ou la couleur du bulletin que nous sommes prêts à déposer dans l’urne. Voilà ce que c’est l’écologie pour nous. Ça devrait être le premier ministère en termes de moyens, avant l’éducation nationale, l’armée ou l’économie. Ça devrait être le super ministère ! Parce que si nous échouons au niveau de l’écologie, nous échouerons par conséquent pour tous les autres. CQFD ? LFC : Avec cette histoire, vous apportez un point de vue sur les contradictions de notre société. CAMHUG : Les réseaux sociaux, l’information immédiate mondiale, ont changé la donne depuis une quinzaine d’années. Plus personne ne peut dire : « non, non, je n’étais pas au courant. » A moins de vivre au fond des bois, ou de se moquer du destin des autres, ou de se contenter de regarder les infos à la télé (alors là, pardon, c’est vrai qu’on pourrait être un peu désinformé). Quand les Camhug (désolés de parler à la troisième personne, mais c’est l’écueil quand on répond à deux à des questions) étaient gamins, il y a eu une sécheresse terrible en Erythrée. Cela a donné un formidable mouvement de solidarité initié par des artistes américains, chansons, etc. Rien n’a changé là-bas depuis. Des famines, il y en a chaque année sur notre planète, un peu toujours dans le même coin d’Afrique, et l’Afrique c’est grand, et il y a du monde qui y vit, trois fois plus qu’en Europe figurez-vous. Finalement, la plus grande contradiction de notre espèce, c’est de vivre sur une planète (qui devrait être très agréable à vivre) en mourant de faim au sud de la Méditerranée pendant que le reste de l’espèce meurt de trop manger au Nord. C’est insupportable, cela n’a aucun sens, d’autant plus que nous avons les moyens d’améliorer la situation ! Il faudrait juste que nous le décidions. Ce sont toutes ces choses qui nous ont fait écrire Islanova.


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#TALENT

PHOTO : MELANIA AVANZATO

FABRICE PAPILLON Fabrice Papillon, journaliste scientifique depuis vingt ans, producteur de nombreux documentaires, est déjà l'auteur de huit ouvrages de vulgarisation scientifique, avec d'éminents savants comme Axel Kahn. Historien et philosophe de formation, il signe aujourd'hui un thriller audacieux, d'une maîtrise spectaculaire, à l'intersection de l'histoire, de la philosophie et des plus récentes découvertes scientifiques. Le dernier Hyver est son premier roman. Entretien. Le dernier hyver Fabrice Papillon Fleuve Noir 624 pages, 21,90 €

LFC : Bonjour Fabrice, comment est née l’idée de ce roman ? FP : C’est un livre, « Quattrocento » de Stephen Greenblatt, un récit extraordinaire d’ailleurs récompensé par le prestigieux prix Pulitzer. Il raconte le destin du chasseur de manuscrits Poggio Bracciolini, dit Le


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FABRICE PAPILLON

Pogge. C’est d’ailleurs l’un de mes personnages historiques, parmi une dizaine d’autres qui parcourent mon roman de l’Antiquité à l’époque contemporaine. Cet humaniste, dans le sillage du célèbre Pétrarque, a déniché dans des abbayes de toute l’Europe de sublimes œuvres oubliées de l’Antiquité (en particulier le De Rerum Natura de Lucrèce) et a largement contribué à la Renaissance de la pensée (qui a légèrement précédé celle des Arts). Cette idée de débusquer des codex vieux de plusieurs siècles, et qui réveillent les esprits pour sortir l’humanité de l’obscurantisme, m’a aussitôt enflammé. J’ai commencé à imaginer le long périple, à travers les siècles, d’un manuscrit nourri par la main de nombreux hommes, et surtout de nombreuses femmes d’exception. Lesquels transmettaient un secret unique, qui finirait, aujourd’hui, par sceller le sort d’une grande partie de l’humanité. LFC : Votre thriller est remarquable, 624 pages complètement addictives, comment avez-vous travaillé ce roman pour atteindre un rythme aussi effréné ? FP : J’ai d’abord passé beaucoup de temps à lire et enquêter sur chaque thème, mais aussi sur chaque personnage historique du roman. Et, au présent, j’ai aussi longuement réfléchi au parcours et à la psychologie de mes personnages. Puis j’ai bâti un plan, que j’ai un peu modulé au fil de l’écriture pour m’assurer que le rythme serait toujours très vif d’un chapitre à l’autre. Dès que je sentais une « baisse de tension », je modifiais le chapitre ou sa place dans le roman. Ensuite ma femme, Valérie, à qui je rends hommage (comme à toutes les femmes d’ailleurs !) dans l’exergue, a été une première lectrice aussi exigeante que bienveillante. Quand je commençais à digresser, trop en dire (parce qu’un thème, un personnage me passionnait trop), elle me disait en toute franchise : « on s’en fout, tu casses le rythme ».

Sans elle, je n’aurais sans doute pas rédigé un livre au rythme aussi effréné ! Que seraient les hommes sans les femmes… LFC : Votre histoire a deux axes : Août 415 après J.-C et Juillet 2018, 16 siècles, raconteznous en quelques mots pour donner l’eau à la bouche à nos lecteurs... FP : L’idée, c’est que le passé rejoint le présent à travers une incroyable saga de l’Antiquité à nos jours. Un événement tragique, horrible, survient en 415 avec le massacre ignoble de la grande et belle philosophe Hypatie d’Alexandrie. C’est une histoire vraie, comme toutes celles que je raconte, au fil des siècles. En revanche, ce que vous ignoriez avant de lire ce livre, c’est que toutes ces histoires, ces morts étranges, ces immenses personnalités sur le point de rendre leur dernier souffle, se sont transmis un secret extrêmement important. Qui s’est forgé au fil des siècles, grâce à une multitude d’expériences au fond des caves, dans des laboratoires secrets (qui ont aussi existé). Et qui mettent en scène des femmes d’exception, souvent ignorées ou niées. En 2018, ces 16 siècles de découvertes hallucinantes finissent par éclore au grand jour, à l’occasion de crimes horribles qui résonnent avec ceux du passé. Et en quelques semaines, tout bascule, impliquant les meilleurs experts de la PJ (la Crim de l’ex quai des Orfèvres), la police scientifique, des généticiens, des ingénieurs… Une course effrénée contre la montre. Mais vont-ils réussir, ou l’humanité va-t-elle basculer ? LFC : On croise dans votre roman des grands personnages : Leonardo Da Vinci, Voltaire, Catherine de Medicis, Marie Curie… FP : Oui, tous les personnages du passé sont absolument réels (de même que les dates, lieux etc.). Certains sont célèbres, d’autres beaucoup moins. Mais tous partagent une même vision du monde, qui s’élève contre toute forme d’obscurantisme et de sexisme, pour faire


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J’AI ENQUÊTÉ 18 MOIS DANS LES TEXTES HISTORIQUES, DANS LES ARTICLES SCIENTIFIQUES, ET EN INTERVIEWANT DE TRÈS NOMBREUSES PERSONNES (DONT DES POLICIERS, DES EXPERTS, DES MÉDECINS, DES INGÉNIEURS) POUR QUE TOUT SOIT LE PLUS CRÉDIBLE ET RÉALISTE POSSIBLE. FABRICE PAPILLON triompher celles qui ont longtemps été opprimées et niées. Que ce soit de grands hommes (dont De Vinci, Newton ou Voltaire), de grandes femmes (dont Elisabeth Ière d’Angleterre ou Emilie du Châtelet, la compagne de Voltaire), ou des personnages moins connus mais tout aussi exceptionnels, ils tracent une ligne très claire. Laquelle a sans doute vraiment existé. C’est ce que j’ai fini par penser au fil de mes longs de mois de recherche. Et si tout était vrai ? Certains lecteurs se posent vraiment la question. Moi aussi. LFC : Votre fiction s’appuie sur des faits historiques et scientifiques, où avezvous puisé toutes ces informations ? FP : Elles viennent d’abord d’une connaissance personnelle accumulée depuis vingt-cinq ans, d’abord grâce à mes études d’histoire et de philo – qui sont restés deux passions profondes – et ensuite grâce à mes centaines de reportages, mes documentaires, et ma dizaine de livres co-écrits avec de grands scientifiques comme Axel Kahn. Je suis devenu rapidement, lors de mes débuts à Europe 1, journaliste scientifique. J’ai donc appris la science et traité de très nombreux sujets extraordinaires pendant ces 20 dernières années, qui m’ont forcément permis d’accumuler une culture passionnante.

Ensuite, sur la foi de ces connaissances que j’ai reliées entre elles, j’ai enquêté 18 mois dans les textes historiques, dans les articles scientifiques, et en interviewant de très nombreuses personnes (dont des policiers, des experts, des médecins, des ingénieurs) pour que tout soit le plus crédible et réaliste possible. Je voulais que chaque fait, chaque terme (y compris dans le jargon des grands flics de la Crim ou des experts de l’Identité judiciaire) soit parfaitement exact. Je voulais qu’on lise ce roman en se disant : tout est vrai, c’est comme si on y était. LFC : Ce livre résonne aussi avec un documentaire qui a été diffusé sur Arté le 10 octobre, « Bébés sur mesure » réalisé par Thierry Robert. Racontez-nous. FP : Après une carrière de journaliste scientifique à Europe 1 et à France 5 (C dans l’Air), et tout en écrivant des livres de vulgarisation, j’ai fondé il y a dix ans avec ma femme Valérie une société de production de films documentaires, « Scientifilms ». Ce long-métrage de 90’ est l’un de nos derniers « bébés », c’est le cas de le dire. Une thématique que je porte en moi depuis vingt ans et mes premiers ouvrages avec le généticien Axel Kahn. Peut-on concevoir un bébé sur mesure,


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LE FILM COMME LE LIVRE ONT AUSSI CE POINT COMMUN, C’EST D’ÊTRE ABSOLUMENT GRAND PUBLIC ET ACCESSIBLES DE 7 À 77 ANS. FABRICE PAPILLON

en choisissant le sexe, la couleur des yeux, un certain nombre de caractères génétiques ‘à la carte’ ? Ce qui est vrai, c’est que bon nombre des technologies et contextes évoqués dans le documentaire m’ont directement inspiré pour les aspects scientifiques les plus en pointe évoqués dans le livre. Mais attention : le film comme le livre ont aussi ce point commun, c’est d’être absolument grand public et accessibles de 7 à 77 ans. LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin... FP : Comme journaliste et comme citoyen, je ne peux m’empêcher de faire un parallèle avec l’actualité. Ce qui explose aujourd’hui au grand jour concernant le producteur américain Harvey Weinstein est une preuve de plus, s’il en fallait, de la prédation de certains hommes sur les femmes, et de leur manque total de

considération pour l’autre sexe. Et cela dure depuis plus de deux-mille ans. Derrière ce scandale, combien de femmes oubliées, niées, humiliées, rabaissées ? Sans parler du plafond de verre, au travail, qui les empêche massivement d’obtenir des postes à responsabilité. Dans la science, c’est criant. Combien de grandes scientifiques écartées du Nobel alors qu’elles le méritaient ? Sans être féministe militant, il est clair que cette question du sort des femmes dans le monde (et je ne parle que de l’occident, on pourrait en dire beaucoup sur les femmes et la Charia, ou le sort des femmes en Inde), m’a guidé dans l’intrigue. C’est, au delà d’un hommage, une sorte de revanche que je voulais offrir aux femmes… J’espère qu’elles s’en délecteront ! Quant aux lecteurs « mâles », ce pourrait être une formidable matière à méditer l’avenir des relations hommesfemmes…

SANS ÊTRE FÉMINISTE MILITANT, IL EST CLAIR QUE CETTE QUESTION DU SORT DES FEMMES DANS LE MONDE (ET JE NE PARLE QUE DE L’OCCIDENT, ON POURRAIT EN DIRE BEAUCOUP SUR LES FEMMES ET LA CHARIA, OU LE SORT DES FEMMES EN INDE), M’A GUIDÉ DANS L’INTRIGUE.


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#INDISPENSABLE

PHOTO : CLAUDIA PAOLI

MARCO VICHI Né en 1957 à Florence, Marco Vichi vit en Toscane. Auteur d'une dizaine de romans, de deux recueils de nouvelles et de plusieurs scénarios, il est classé parmi les meilleurs romanciers italiens de la décennie par le Corriere della Sera. Cet opus "Mort à Florence" actuellement en librairie a remporté en 2009 le prix Scerbanenco, la plus haute récompense du polar italien. Rencontre avec l'auteur à Paris, métro Filles du Calvaire. Mort à Florence de Marco Vichi Philippe Rey 400 pages, 21 €

LFC : Merci d’avoir accepté notre invitation, nous sommes très heureux de vous rencontrer. Vous publiez un nouveau livre : « Mort à Florence » aux Éditions Philippe Rey. Comment est né ce projet ? MV : Tout a commencé avec les personnages de ce livre, qui sont nés il y a


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JAMAIS JE N’AURAIS PENSÉ QUE BORDELLI PUISSE FAIRE LE TOUR DE L’EUROPE ET ALLER AUX ETATS-UNIS, CELA ME SURPREND TOUJOURS. MARCO VICHI

bien longtemps, juste avant la publication de mon premier roman. Je trouvais qu’il y avait quelque chose à exploiter, j’ai donc continué à les construire au fur et à mesure des années. J’ai installé le récit dans les années soixante, et en construisant l’histoire je me suis dit que c’était impossible d’écrire ce livre sans parler des terribles inondations qu’il y a eu en 1966 à Florence. Pour ce faire, j’ai dû effectuer beaucoup de recherches via les archives de la télévision, des articles de presse, des témoignages… LFC : Vous étiez jeune lors cette tragédie, estce que cet événement vous a marqué personnellement ? MV: Oui c’est un évènement dont je me rappelle très bien. Heureusement ma famille n’a pas été touché par la catastrophe car c’était une semaine de vacances scolaires et nous étions à la campagne. Ce qui m’a le plus marqué c’est de marcher dans les rues de Florence quelques jours après, tout était méconnaissable, il y avait de l’essence mélangée a de la boue épaisse… L’atmosphère dans la ville était infernale. LFC : Vous nous décrivez la ville comme méconnaissable, mais quelle a été la réaction des habitants ? MV : Les Florentins ont plutôt bien réagi à ce drame. Ils ont même continué à vivre et à plaisanter. Cela fait partie de leur mentalité, même dans la tragédie, ils essayent tant bien que mal de trouver un soupçon d’optimisme.

Le jour d’après, ils avaient déjà inventé des blagues sur les inondations. C’est assez particulier comme philosophie ! LFC : L’histoire se passe à Florence et met en scène le commissaire Bordelli. C’est un personnage récurrent dans vos livres, pensiez-vous le garder aussi longtemps avec vous lorsque vous l’avez créé ? MV : Je n’ai jamais imaginé tout cela. En France, c’est la troisième enquête du commissaire mais en Italie, il y a déjà sept livres qui ont été publiés. Lorsque j’ai commencé à écrire sur ce commissaire, je n’étais pas connu, je n’avais rien publié. Cela faisait quinze années que j’écrivais mais personne ne voulait me publier. Jamais je n’aurais pensé que Bordelli puisse faire le tour de l’Europe et aller aux Etats-Unis, cela me surprend toujours. LFC : Votre livre s’avale en peu de temps grâce à un style très fluide. MV : C’est quelque chose sur lequel je travaille beaucoup. Cela m’obsède presque. Il y a beaucoup de relecture car je ne veux pas que le lecteur s’arrête une seule seconde. Je répète à voix haute pour voir si cela fonctionne. Il m’arrive même de demander à un ami de faire des lectures publiques, et le fait de l’entendre lire me permet de faire des modifications. C’est un peu comme de la musique !


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MARCO VICHI

LFC : C’est un style d’écriture qui n’est pas forcément propre au genre du polar. Qu’en pensez-vous ? MV : Je ne suis pas passionné par les polars. Forcément quand je dis ça, les gens rigolent mais à chaque fois j’explique que pour écrire des polars, je me suis inspiré d’un écrivain suisse qui écrivait non pas sur des enquêtes criminelles mais sur des enquêtes humaines. Il raconte l’esprit humain, un peu comme Dostoïevski l’avait fait dans « Crime et Châtiment ». Je n’aime pas les polars qui se focalisent uniquement sur les mécanismes de l’enquête, ce qui m’intéresse c’est tout ce qui se passe autour, ce qui se passe dans la société.

C’était énorme pour moi de recevoir ce prix. De plus, trois ans auparavant, un auteur a remporté ce prix pour un livre où il parlait également des inondations à Florence ! LFC : Finalement ce roman permet d’amener une touche positive à cet évènement ? MV : Oui exactement. D’ailleurs c’est ce que dit le commissaire Bordelli, dans les situations les plus terribles, il faut toujours essayer de tirer quelque chose de bon. À titre d’exemple, la voiture qu’il conduit, une coccinelle, a été créée par les Nazis… LFC : On vous laisse le mot de la fin…

LFC : Vous avez obtenu en 2009, le prix Scerbanenco, le plus prestigieux pour le polar en Italie. MV : Oui. Giorgio Scerbanenco est d’ailleurs un auteur que j’apprécie beaucoup car il racontait ce qui se passait dans la société, c’est le genre de livre que j’aime lire.

MV : « Mort à Florence » est un roman qui m’a beaucoup touché. J’essaye toujours de raconter des histories fortes de sens avec une écriture légère. En tant que lecteur, c’est ce que j’adore, lire des choses profondes mais avec un style fluide. J’espère que les lecteurs ressentiront cela en lisant mon livre.

J’ESSAYE TOUJOURS DE RACONTER DES HISTORIES FORTES DE SENS AVEC UNE ÉCRITURE LÉGÈRE. EN TANT QUE LECTEUR, C’EST CE QUE J’ADORE, LIRE DES CHOSES PROFONDES MAIS AVEC UN STYLE FLUIDE. J’ESPÈRE QUE LES LECTEURS RESSENTIRONT CELA EN LISANT MON LIVRE.


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#NOUVEAU TALENT

JÉRÔME LOUBRY

Une nouvelle plume fait ses débuts en octobre en librairie avec un premier thriller Les chiens de Détroit. Comme nous sommes curieux à la rédaction, on a lu immédiatement. Et comme le roman nous a plu, on a voulu faire plus ample connaissance avec Jérôme Loubry. Entretien avec le petit nouveau qui va très vite s'imposer. Les chiens de Détroit de Jérôme Loubry Calmann-Lévy 306 pages, 18,90 € PHOTO : IAN HANNING - REA

LFC : Bonjour Jérôme, vous publiez votre premier thriller « Les chiens de Détroit » chez Calmann-Levy, racontez-nous votre passion pour les livres. C’est depuis tout jeune ? JL : Ma passion pour les livres est née tôt… très tôt. Déjà à l’âge de dix ans, j’avais demandé pour Noël une machine à écrire afin de pouvoir créer une


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DÉTROIT EST LE PERSONNAGE DU LIVRE. C’EST CELUI QUE J’AI CHOISI EN PREMIER. ELLE REPRÉSENTE LA PERTE TOTALE DE REPÈRES. JÉRÔME LOUBRY

histoire et de la coucher sur le papier comme un « vrai livre ». Bon, cette machine à écrire, je ne l’ai jamais eue… À cette même période, ma mère connaissait un ami qui travaillait aux imprimeries Bussière, et qui, chaque mois, nous apportait des exemplaires qui n’étaient pas encore sur le marché. Je me vois encore, penché au-dessus du carton, à faire mon choix… Ces livres me donnaient alors l’impression d’être un privilégié. Et pour un enfant de 10 ans, timide et réservé, c’est une sensation unique. LFC : Vous situez l’action de votre thriller à Détroit. Parlez-nous ce cette ville fantôme, un personnage à, part dans votre roman. Que représente-t-elle pour vous ? JL : Détroit est LE personnage du livre. C’est celui que j’ai choisi en premier. Elle représente la perte totale de repères. Elle est cet état psychologique que je voulais insuffler, pas seulement aux autres personnages, mais à l’ensemble du roman. Cette ville est le témoin impuissant de sa propre chute. Elle observe ses habitants la quitter, ses maisons se vider, ses chiens errer. Elle observera de la même manière le géant de brume enlever ses enfants. LFC : Pouvez-vous nous expliquer le titre « Les chiens de Détroit » ? JL : Le titre « Les chiens de détroit » possède plusieurs significations. Ce sont à la fois ces chiens qui se retrouvent sans maisons, sans famille pour prendre soin d’eux et qui se

retrouvent alors à errer et à retrouver leurs instincts primaires. Leur sociabilité est détruite. Mais il symbolise également les habitants euxmêmes et leur perte de repères. Détroit était le foyer chaleureux dans lequel tous retrouvaient de la chaleur et de l’espoir. Enfin, le titre est également un indice sur la présence du tueur. Il symbolise la réalité par définition impensable d’une légende meurtrière. LFC : Novembre 1998, le corps du petit Peter est découvert dans un buisson de Palmer Park : enlevé, étranglé… Quinze ans plus tard, Stan Mitchell, flic violent et Sarah Berkhamp, jeune inspectrice sont sur l’affaire. Présentez-nous vos deux personnages ? JL : Les deux personnages sont à l’image de la ville : ils se battent pour se reconstruire et pour la rédemption de leurs erreurs passées. Stan souffre de ne pas avoir la garde de son fils. Cette séparation imposée par un jugement le plonge dans la déchéance. Pour lui, résoudre l’affaire du géant de brume est un moyen de retrouver son fils. Sarah souffre de ne pas avoir d’enfant. Son enfance malheureuse la suit également comme une ombre malfaisante. Elle ne souhaite pas s’occuper de l’affaire. Ces deux policiers vont pourtant devoir faire équipe et apprendre à se connaître. LFC : L’intrigue promet des rebondissements, connaissiez-vous la fin du livre avant de l’écrire ? JL : Il y a trois choses que je savais avant même d’écrire les premières lignes : le lieu, l’ambiance et


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IL Y A TROIS CHOSES QUE JE SAVAIS AVANT MÊME D’ÉCRIRE LES PREMIÈRES LIGNES : LE LIEU, L’AMBIANCE ET LA FIN. JÉRÔME LOUBRY la fin. Ensuite, le roman s’est écrit par lui-même. Ce sont Sarah et Stan qui ont, en quelque sorte, écrit leur propre histoire. Je les ai lâchés dans Détroit, leur ai expliqué pourquoi et comment tout cela se terminerait. Ils ont alors tenté leur chance. LFC : Le Géant de brume, le méchant de l’histoire est effroyable… et humain. JL : Ce Géant de brume est effroyable… Je ne sais pas trop quoi en penser. Il l’est sans aucun doute, par ses actes. Mais il y a en lui une part d’humanité. C’est ce qui à mon sens le rend si effrayant. Il est à la fois cette peur repoussante que l’on ressent en lisant le livre, mais aussi cette éventualité presque palpable et à la fin explicable. Il est une légende devenue réelle à cause de Détroit. La ville a donné vie à ce monstre imaginaire. Elle a condamné ses enfants en oubliant de prendre soin d’eux.

LFC : Pensez-vous déjà à écrire votre prochain thriller ? JL : Le suivant est déjà en cours d’écriture. Je ne peux pas trop en dire, mais je vais laisser Détroit se remettre et se relever. Beaucoup de lecteurs m’expriment leur sympathie pour mes personnages, notamment pour Sarah. Peut-être reviendra-t-elle un jour… LFC : Merci Jérôme, on vous laisse le mot de la fin… JL : Le mot de la fin sera donc une légende, que personne à Détroit n’aurait cru qu’elle devienne un jour réalité : « Il était une fois, dans un village reculé, une créature qu'on appelait Géant de brume. Chaque nuit, lorsque la lune voilée par les nuages n'éclairait qu'à moitié, et que la brume humide léchait les maisons, il venait enlever les enfants qu'on ne revoyait jamais... »

LE SUIVANT EST DÉJÀ EN COURS D’ÉCRITURE. JE NE PEUX PAS TROP EN DIRE, MAIS JE VAIS LAISSER DÉTROIT SE REMETTRE ET SE RELEVER.


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#ANONYME

QUI EST-CE ? ENTRETIEN AVEC ANONYME, L'AUTEUR MYSTÈRE AU SUCCÈS COLOSSAL. Anonyme comme son nom l'indique on ne sait pas qui c'est. Et pourtant, quel succès avec Le livre sans nom. Influencé par la junk culture, entre univers des séries télé et des séries Z, les aventures de Bourbon Kid dynamitent le genre du roman noir à coups d’humour et de parodie pop. Entretien exclusif par mail UNIQUEMENT pour respecter l'anonymat de l'auteur qui nous parle de son nouvel et septième opus. Bourbon Kid de Anonyme Sonatine Éditions 380 pages, 21 €

LFC : Votre succès est incroyable cher anonyme, vous avez publié Le livre sans nom, L’œil de la lune, Le cimetière du Diable, Le livre de la Mort, Psycho Killer, Le Pape, le Kid et l’Iroquois… Et aujourd’hui, on échange par mail pour parler du septième roman Bourbon Kid, pensiezvous écrire au moins sept livres ?


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DÉVOILER MON IDENTITÉ ? CE N'EST PAS QUELQUE CHOSE QUE JE PRÉVOIS DE FAIRE, MAIS VOTRE MAGAZINE SERAIT UN EXCELLENT ENDROIT POUR LE FAIRE SI JE LE FAISAIS ! ANONYME A : Quand j'ai commencé à écrire et que je recevais beaucoup de réponses négatives de la part des éditeurs, jamais je n’aurais pensé publier sept livres. Heureusement, il y a maintenant beaucoup de gens qui aiment mes livres et mes personnages, autant que je les aime. Je parle beaucoup à mes lecteurs via les réseaux sociaux, c’est devenu tellement simple. Je pense à eux quand j'écris, je ne veux pas les décevoir, cela me motive à faire de mon mieux. LFC : Combien de livres comptez-vous écrire encore ? A : Je continuerai jusqu'au jour où je serai à court d'idées originales. Quand j'écris un roman, je mets toutes les idées que j’ai dedans. Je ne prends jamais ces idées pour un prochain livre. J'ai donc toujours besoin d'une petite pause d'écriture quand je finis un livre. Heureusement, beaucoup d'idées folles me viennent à l'esprit tout le temps. Les mettre toutes ensemble dans une histoire cohérente, c’est un vrai défi. LFC : Pensez-vous un jour dévoiler votre identité ? Si vous le faites, on est candidat pour que ça se passe chez nous !

A : Ce n'est pas quelque chose que je prévois de faire, mais votre magazine serait un excellent endroit pour le faire si je le faisais ! Je soupçonne qu'un jour, quelqu'un d'autre que moi révélera mon identité. Si un film est fait par exemple, il y a forcément un journaliste qui sera assez sournois pour me démasquer ! LFC : Ce que vous faites, c’est du cinéma sur papier. Comment expliquez-vous que vos romans ne sont pas toujours adaptés au cinéma ? Y a-t-il un projet dans les tuyaux ? A : Il y a eu un fort intérêt de la part d'Hollywood mais ils n'ont jamais réussi à faire quoi que ce soit. Cependant, les droits cinématographiques du Le Livre sans nom sont désormais entre les mains d'une société européenne appelée Belga Films. Ils font un excellent travail. Il y a un scénario génial qui ressemble beaucoup au livre. Il y a également un réalisateur très connu dans cette aventure et ils ont eu plusieurs rendez-vous avec une grande star hollywoodienne qui s'intéresse au projet. J'essaie de ne pas trop m'exciter car les films sont souvent annulés, mais si tout se passe bien, ils devraient tourner l'année prochaine.


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J’AI ÉTÉ INFLUENCÉ PAR QUENTIN TARANTINO ET ROBERT RODRIGUEZ QUAND J’ÉCRIVAIS LE LIVRE SANS NOM. ANONYME

LFC : La force de votre série, c’est que vos romans ne se prennent pas au sérieux. Celui-ci est pareil pour notre plus grand plaisir : humour potache, noir, provocateur, scènes explosives et surréalistes dans l’esprit du film « Une nuit en enfer »… Écrivez-vous les romans que vous souhaitez lire ? A : Oui sans doute. Je veux être capable de lire mes livres et de les apprécier quand je serai plus vieux et ne pas me souvenir de quoi ils parlent. Je veux qu’ils me surprennent tout le temps. Une des choses qui est importante pour moi, c'est d'être original. Si j'ai une idée et que quelqu'un d'autre l'a déjà fait, je vais soit abandonner, soit aller plus loin que lui, ce qui aboutit souvent à quelque chose de surréaliste et de drôle. Quand j'écris, j'essaie d'imaginer quelqu'un qui lit le livre dans un train. Je veux les faire rire et les choquer afin que tout le monde dans le train s’en aperçoive et veuille le lire aussi.

LFC : Vos romans sont un hommage cinéphile aux univers déjantés de Quentin Tarantino et Robert Rodriguez. Avez-vous envoyé vos romans à ces deux réalisateurs ? Vous connaissent-ils ? Que représentent-ils pour vous ? A : J’ai été influencé par les deux quand j’écrivais Le Livre sans nom. La première fois que j'ai vu le film de Robert Rodriguez, Desperado, je pensais au départ qu'il se déroulait dans le vieil Ouest (je crois que personne d'autre ne le pensait à part moi !) Alors quand soudainement il y avait des voitures et des mitrailleuses partout, je me suis dit « Wow, c'est génial. Je ne savais pas qu’on pouvait faire cela ! ». Quand j'ai vu Reservoir Dogs et True Romance de Quentin Tarantino, j'ai aimé les dialogues, le rapport avec la culture pop et les références à d'autres films. Encore une fois, je pensais: « Je ne savais pas qu’on pouvait faire des films comme ceux là ». Alors, quand j'ai commencé à écrire Le livre sans nom, j'ai senti une liberté de faire toutes les choses que je ne pensais pas faire auparavant. Je ne leur ai jamais envoyé mes livres cependant.


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#NOUVEAU TALENT

LAURENT LOISON PHOTO : COPYRIGHT DR

Parcours atypique, nouvelle plume du thriller français, Laurent Loison papote avec la rédaction de LFC Magazine. Entretien fascinant avec un auteur qui monte avec Cyanure disponible actuellement en librairie.

Cyanure de Laurent Loison Hugo Thriller 437 pages, 19,95 €

LFC : Bonjour Laurent, vous êtes né en 1968, élevé dans un milieu paysan. Vous menez depuis 25 ans une carrière éclectique d’entrepreneur, d’un night-club dans l’Arizona à la gestion de striptease en ligne, en passant par l’immobilier… et l’écriture de thriller aujourd’hui. Parcours hors du commun. Qu’en dites-vous ? Est-ce que tout est vrai ?


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CYANURE EST BIEN LE PREMIER OUVRAGE DANS LEQUEL LE LECTEUR EST ACTEUR DU DÉNOUEMENT. LA NOTION DE CHOIX EST ÉCULÉE, L’HISTOIRE SANS FIN ÉGALEMENT. MAIS ICI, OUTRE LE FAIT QUE LE LECTEUR VA DEVOIR CHOISIR (ET JE LUI FOURNIS LES CLÉS POUR POUVOIR LE FAIRE) IL VA AUSSI DEVOIR S’IMPLIQUER… PERSONNELLEMENT. LAURENT LOISON LL : La question est légitime en effet ; n’y aurait-il pas un brin d’exagération dans toutes ces histoires ? Eh bien, non ! Mais puisque la question m’est posée, voici le détail de mon parcours.

Par la suite, A.R.T. International ayant été certifiée ISO 9001, et toujours en mode boulimie de travail, nous avons créé VAE SOLI, cabinet conseil en management qualité. C’était en 1999.

Le 3 novembre 1993 - la date est gravée ! – nous avons créé notre première société, A.R.T. International, agence de traduction. Pourquoi ce nom ? Juste parce que cela sonnait bien, l’acronyme n’ayant aucune signification. A.R.T. s’est développée de manière très satisfaisante et après une vague de rachats (LTA Traduction, Ici-là-Bas, Sispeo, Abile Interpretation, Champollion) hissant le groupe au rang de numéro 1 de la traduction technique en France, nous l’avons cédé en avril 2004.

Et toujours en 1999, année mouvementée, vous l’aurez compris, nous avons eu l’idée d’acheter le nom de domaine sexe.fr. Internet se développait et offrait un débit plus confortable, propice à la vidéo en ligne. C’est là qu’est né Soft Art Video, site d’effeuillage en ligne. Autant vous dire, un démarrage tonitruant et au-delà de nos espérances ! Le hic : l’activité 24/24 n’était vraiment pas compatible avec une vie professionnelle classique, ni avec une vie de famille. Après huit mois intenses, nous l’avons revendue.

Parallèlement à cette aventure et pour accroitre notre développement, nous avions créé une autre société en mars 1996, Artinternet, (fournisseur d’accès, hébergeur etc…). Nous l’avons vendue en septembre 1999, juste avant le crack. ;-) Internet, qui n’en était encore qu’à ses balbutiements, a néanmoins été un levier de développement conséquent pour la traduction, nous permettant d’offrir un avantage substantiel en terme de délais. Imaginez-vous l’envoi de fichiers sur disquette par la poste… remplacé par l’instantanéité de l’email !

Fin 2004, préparation au départ pour les USA. Pour des raisons de VISA, je deviens importateur en horlogerie (63 inc) pour des marques françaises chez les ricains. Je me suis néanmoins vite heurté à un obstacle de taille : cette différence culturelle de la notion de respect des commandes et des délais de livraison chez les français et nos amis d’outreAtlantique. Dans l’usage, totalement incompatible ; je perdais mes clients aussi vite que je les gagnais. J’ai donc dû réagir et me suis orienté vers le rachat d’un pub irlandais qui, passé 22h, se transformait


LAURENT LOISON

en boite de nuit. Oui, le concept est assez spécial, mais c’était le principe du Mulligan’s Brick Bar. Je l’ai revendu en février 2012, après le décès brutal de mon associé Andrew qui s’est tué en moto. D’une part, j’étais rentré en France en 2009 pour des affaires de cœur, et sans personne sur place, avec un cash business, il était urgent que je m’en sépare. D’autre part, j’ai été profondément ébranlé par la disparition de mon associé et ami et ne me voyais de toute façon pas continuer l’aventure avec un autre que lui. Avec ma femme Valérie, nous avons surfé sur la vague des services à la personne, et avons créé CBA Home, toujours en activité. Après quelque temps, nous avons réalisé les synergies et passerelles relationnelles entre les mondes de l’immobilier et des services à domicile. Ma double maitrise en droit me permettant d’obtenir la carte professionnelle, nous avons ouvert une agence immobilière. CBA Immo et sa petite sœur pour la gestion locative, CBA Loca. Une vie bien remplie ! Il manquait néanmoins une petite touche. De celle qui vous titille et vous laisse un sentiment d’inachevé ou plutôt d’inaccompli. L’argent va ou vient. J’ai connu tous les stades. J’ai été pauvre, au point de n’avoir pas assez à manger lorsque j’ai vécu en Angleterre en 1989 ; j’ai été riche grâce à mon travail et mes multiples activités, ce qui ne m’a pas apporté plus de fierté que ça. Un divorce m’a ensuite ruiné et nous remontons la pente progressivement. Et tout cela n’a pas d’importance. Car c’est la Vie, avec ses hauts et ses bas, ses moments de joie et de prospérité, ses moments de désespoir et de fatigue. En 2007, j’ai sombré dans une grave dépression. Je l’ignorais sur le moment. Et

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un miracle m’a sauvé. Je me suis mis à écrire une histoire. Vous ne la lirez pas tout de suite, elle ne mérite pas encore d’être éditée. L’introspection, la plongée dans une réflexion et un monde autre que mon petit nombril m’a permis de remonter la pente et de sortir de ce tourbillon. J’ai transmis l’ouvrage à mes proches. Les retours étaient unanimes. L’histoire est superbe, elle prend aux tripes… En revanche, il va falloir travailler un peu car les lacunes sont nombreuses, le style maladroit, etc… Bref, remise en cause. Mais la machine était lancée, alimentée par le regard brillant de mes premiers lecteurs. J’avais donné du plaisir et c’était incroyablement stimulant. J’entrevoyais avec certitude la voie que je souhaitais emprunter. Mais c’est une voie exigeante où patience et pugnacité sont nécessaires. Alors nous allons prendre le temps et nous verrons bien où cela nous mène. LFC : Vous publiez « Cyanure » chez Hugo thriller. Vous êtes l’un des trois premiers auteurs français que publient Hugo. C’est une belle opportunité ? LL : Vous avez dû noter, avec la réponse précédente, ma faim de création d’activité. Je m’inscrivais donc totalement dans ce projet de lancement, avec toute la motivation et la niaque que ça implique. La rencontre avec Hugo Thriller s’est donc faite naturellement. C’est une équipe dynamique, volontaire, enthousiaste et surtout à l’écoute. Et ce dernier point est le plus important. Il leur fallait une sacrée ouverture d’esprit pour accepter mon idée de fin pour Cyanure. Faire une première mondiale dans l’édition. C’est ultra modeste dit comme cela. (sourire) Mais Cyanure est bien le premier ouvrage dans lequel le lecteur est acteur du dénouement. La notion de choix est éculée, l’histoire sans fin également. Mais ici, outre le fait que le lecteur va devoir choisir (et je lui fournis les clés pour pouvoir le faire) il va aussi devoir s’impliquer… Personnellement. Sachant que le thème majeur du livre est le jugement, le moment crucial est celui de l’application de la sentence ; le lecteur va donc délivrer le jugement mais également l’appliquer. C’est donc au moment du passage à l’acte par le lecteur que la mise en perspective du Jugement est à


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J’AIME LES GENS ET JE SOUHAITAIS QUE MES PERSONNAGES SOIENT LES PLUS RÉALISTES POSSIBLES. AVEC LEURS QUALITÉS ET LEURS DÉFAUTS. LEURS FORCES, LEURS FAIBLESSES. LA VIE N’EST PAS LINÉAIRE. J’EN SUIS UN EXEMPLE. LAURENT LOISON son paroxysme. Quelques personnes m’ont avoué avoir pris plusieurs jours pour se décider. Imaginez pour un auteur, l’indicible plaisir que cela représente. Qu’un lecteur avide et boulimique mette son activité favorite de côté, pour prendre le temps de réfléchir, et vivre pleinement sa fin.

LL : J’ai trois personnages principaux dans Charade et Cyanure, et une kyrielle de seconds couteaux. Florent Bargamont en première ligne, le flic dur, sûr de lui, arrogant, détestable. Une carrière émérite, le type brillant par excellence mais ingérable. Qui suscite une immense envie de le rencontrer… pour le regretter aussitôt fait !

Et puis la super cerise sur le gâteau, quand vous avez un prof de philo – si, si ! - qui vous dit que votre bouquin va lui permettre d’amener ses élèves à réfléchir- de manière ludique s’entend- sur des sujets aussi graves que la justice, le jugement, la culpabilité, pour ensuite les guider vers une réflexion plus profonde avec les auteurs et philosophes référents… eh bien je dis quel pied ! Et de ça, je suis très fier.

Il est secondé par Loïc Gerbaud, le « tâcheron ». Le fidèle, l’incontournable, finalement le seul et véritable ami. Si proches, un lien si fort, qu’ils ne s’en rendent pas compte.

Être à l’écoute veut également dire prendre le temps de réfléchir à ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et en tirer les conséquences Hugo Thriller avec Hugues, Bertrand et toutes les équipes, en sont capables. Alors, je crois que c’est la meilleure raison de mon enrôlement dans cette superbe maison.

Ils n’ont qu’un point commun : celui d’aimer le travail pour s’élever. Pas forcément socialement, mais pour laisser leur empreinte et donner un sens à leur passage sur terre.

LFC : Vos enquêteurs sont les mêmes que dans « Charade ». Pouvez-vous les présenter à nos lecteurs ?

Et puis, il n’y a pas de héros sans muse, sans l’aiguillon qui va néanmoins le déstabiliser, sans le miroir qui lui reflète à sa vraie nature. Emmanuelle de Quezac va jouer ce rôle et se surpasser.

Et enfin, un quatrième personnage, sans être au premier plan, sera récurrent dans tous mes ouvrages. À vous de le découvrir. LFC : Si vous les faites revenir dans une deuxième enquête, c'est que vous êtes


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attachés à eux. Pourquoi ? Vous semblez aimer malmener votre personnage principal qui est très sympathique pourtant. Pourquoi ce choix ? LL : J’aime les gens et je souhaitais que mes personnages soient les plus réalistes possibles. Avec leurs qualités et leurs défauts. Leurs forces, leurs faiblesses. La vie n’est pas linéaire. J’en suis un exemple. Et nous allons tous un jour ou l’autre être confrontés à une difficulté, à un drame, à une grande tristesse. Je me suis progressivement épris d’eux. Et je suis attiré par les gens qui ont des aspérités, qui ont des histoires derrières eux, des casseroles, des valises. Florent en traîne un wagon. Quand à Emmanuelle et Loïc, ils s’élèvent par leur travail, leur rigueur et leur exigence. Une Femme et un Homme, qui ne complaisent pas dans leur facilité de début de vie mais se surpassent. Il est intéressant que vous me posiez cette question. Car je ne suis questionné que sur la partie difficile et rugueuse de Florent et jamais sur le bonheur incroyable qu’il vit au quotidien. Il partage sa vie avec une femme brillante, sublime, qui le challenge. Sous cet angle, je ne le trouve pas si malmené que ça. LFC : Votre épilogue est original. Vous invitez le lecteur à réfléchir à l’issue de l’enquête. Dites-nous en plus. Pourquoi ce choix interactif ? LL : Objectivement des Thrillers, il en existe des tonnes. Des nuls, des bons, des sublimes. Des lointains, des plus proches, des locaux. Franchement, comment Laurent Loison pourrait-il être meilleur ? Impossible. Comment pourrait-il être utile ? Certainement pas en faisant ce que mes maitres font mieux que moi. En revanche, je peux peut-être apporter autre chose,

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différemment, avec un éclairage ou un angle inexploré. Première réflexion. Deuxième réflexion, devant cette multitude de thrillers, comment faire pour que celui-ci reste dans l’esprit des lecteurs, les interpelle. Etre utile, là encore. Voilà pourquoi je propose un double niveau de lecture. Mais de manière ludique. Je m’efface très respectueusement devant les philosophes et essayistes qui sont eux capables d’approfondir des sujets qu’ils maitrisent. En revanche, ce que je peux faire au détour d’une lecture plus accessible au grand nombre, c’est donner envie de creuser et d’aller plus loin. C’est donc le cas avec Charade, qui traite de manière sous-jacente d’un trait de société (que je tairais ici car il est important de le découvrir dans l’épilogue) ou avec Cyanure qui oblige à réfléchir sur le jugement, et ce qui est juste ou pas. De la même manière, je veille à m’imposer un challenge technique pour me forcer à progresser. Avec Charade j’ai commencé un thriller avec une analepse, et c’était une gageure, croyez-moi ! Avec Cyanure, le challenge, c’est la fin et l’interactivité, vous l’aurez compris. LFC : Vous êtes dynamique sur les réseaux sociaux. Quelle relation entretenez-vous avec vos lecteurs ? LL: : Alors bien sûr, dire que l’on écrit pour ses lecteurs, c’est tarte à la crème. Encore faut-il le prouver. J’essaie donc d’entretenir une relation extrêmement proche. Je vous promets qu’après une séance de dédicaces, je suis rincé. Je porte une attention particulière aux noms, aux visages. J’essaye de me souvenir de chacun d’eux. Et lorsque je rentre à la maison et que ma mémoire me joue des tours, je m’en veux de ne pas être capable de tout garder. Mais j’y travaille, j’y travaille. Plus prosaïquement, il n’y a pas une ligne que j’écrive sans penser à celui ou celle qui va la lire. Comment puis-je le désorienter ? Comment puis-je l'émouvoir,


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le faire rire, l’embarquer, etc… LFC : Pensez-vous déjà à écrire votre prochain thriller ? LL : Le prochain est au trois quart terminé. Et Chimères, si tout va bien, sortira en Septembre 2018. Je laisse le suspense du sujet sous-jacent. Quant au challenge technique, il est corsé !

LFC : Merci Laurent, on vous laisse le mot de la fin… LL : Je termine toujours par encourager les lecteurs à donner leurs avis de lecture. Sur le site d’achat, Babelio, Amazon, etc. et je leur dis la chose suivante : un auteur met pratiquement une année à écrire un livre. Vous le dévorez en quelques heures, et il ne faut que trente secondes pour dire ce que vous en avez pensé. Un auteur est toujours content de lire votre ressenti, même s’il est négatif (quand il est argumenté et avec respect bien évidemment).

LE PROCHAIN EST AU TROIS QUART TERMINÉ. ET CHIMÈRES, SI TOUT VA BIEN, SORTIRA EN SEPTEMBRE 2018.


ant à

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG

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#INTERVIEW

PHOTO : LOU ABERCROMBIE

Mon amie Adèle de Sarah Pinborough Préludes 448 pages, 16,90 €

SARAH PINBOROUGH VOUS PROMET UNE #FINDEDINGUE Sarah Pinborough est scénariste pour la BBC et écrit également pour les adolescents. En 2009, elle remporte le British Fantasy Award dans la catégorie Meilleure nouvelle, et en 2014 dans la catégorie Meilleure novella. L’auteur signe avec "Mon amie Adèle" son premier thriller, numéro 1 des ventes dès sa sortie dans le Sunday Times et en cours de traduction dans une quinzaine de pays. Entretien. LFC : Bonjour Sarah, vous publiez "Mon amie Adèle" en France. Ce premier thriller rencontre un succès incroyable, et il est en cours de traduction dans une dizaine de pays. Comment vivez-vous cet accueil ?


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J'AIMERAIS ÉGALEMENT PROFITER DE CETTE INTERVIEW POUR DIRE À QUEL POINT J'ADORE LE TITRE ET LA COUVERTURE DE LA VERSION FRANÇAISE. C’EST TELLEMENT CHIC ET BEAU ! SARAH PINBOROUGH SP : En toute sincérité, je vis une année formidable. Je suis très enthousiaste chaque fois que je découvre une nouvelle couverture du livre pour chaque traduction. Les droits du roman ont été vendus la semaine dernière en Croatie et en Roumanie, ce qui nous fait au total une publication dans vingt-quatre pays. J'aimerais également profiter de cette interview pour dire à quel point j'adore le titre et la couverture de la version française. C’est tellement chic et beau ! Évidemment, je suis très excitée par le succès du livre jusqu’ici mais, de manière générale, je suis surtout très heureuse que les gens apprécient et montrent un vif intérêt pour le livre. Vous ne pouvez pas espérer mieux en tant qu'écrivain. LFC : Trois personnages, deux femmes, un homme, un triangle amoureux. L’histoire est racontée par chaque personnage, à tour de rôle. Pour quelles raisons ? SP : Une fois posées les bases de mon intrigue, j’élabore ensuite la structure. La personne qui raconte l'histoire peut vraiment influencer la façon dont nous percevons les événements en tant que lecteurs et, dans les thrillers, c’est ce qui fait partie du suspens. Je voulais que ce soit un livre sur la fascination que les femmes éprouvent entre elles. Il était donc important pour moi que David, l'homme, n'ait pas de "voix", mais qu’on le devine seulement à travers le regard de ces deux femmes. En les faisant parler presque toujours chacune leur tour, on voit également les événements selon deux points de vue, ce qui amène le lecteur à se demander qui il doit croire. Je l’espère en tout cas ! Il y a également quelques passages à la troisième personne qui, je pense, ajoutent une dimension supplémentaire à l'histoire. LFC : Vous tenez en haleine votre lecteur jusqu’à la fin. Comment êtes-vous parvenue à nous obséder à ce point-là ? SP : Merci ! J'espère que la dynamique des trois personnages et les

indices, qui révèlent que quelque chose est très faux dans leur monde, vont attiser la curiosité des lecteurs. De plus, je pense que, de nos jours, la plupart des gens ont, à un certain moment, fait partie d'un triangle amoureux ou connaissent quelqu'un qui l'a été. Nous pouvons tous nous identifier un peu à l'un des trois personnages principaux. Chacun d’entre eux a des défauts, comme nous tous. Nous avons tous nos secrets et nous sommes tous capables de faire des choses désagréables ou franchement ridicules. Louise, Adèle et David ne sont pas si différents. Je voulais également réduire le nombre de personnages au minimum afin de créer un sentiment de


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CE QUE J'AIME LE PLUS À PROPOS DE CE LIVRE, C'EST L’ÉCLAT DANS LES YEUX DES LECTEURS QUAND JE LES RENCONTRE LORS D’ÉVÉNEMENTS ET COMBIEN ILS AIMENT PARLER DU LIVRE, DES PERSONNAGES ET, BIEN SÛR, DE LA FIN. claustrophobie pour le lecteur, un peu comme dans un Hitchcock ou un Polanski. Plus on lit, plus on est attiré dans ce monde. LFC : Votre final est époustouflant. Connaissiez-vous la fin avant de commencer à écrire ? SP : Oui, absolument ! Je ne pense pas que j’aurais pu écrire cette fin sans la connaître dès le début. Tout, dans le récit, s’enclenche vers ce final et il existe de nombreux indices que j’ai semés dès le début. C'est une fin qui divisera, j’en suis sûre. Je m’y attendais. Et ceux qui ne l’aiment pas ne me dérangent pas. En revanche, je pourrais m’agacer si on m’accusait de l’avoir expédiée. Si c’était le cas, j’aimerais que ceux-là lisent de nouveau le livre avec un regard neuf, tout est dedans ! Heureusement, il y a plus de gens qui l'adorent jusqu'à présent !

LFC : Vous êtes aussi scénariste. En quoi ce métier vous aidet-il à si bien à maîtriser la construction de ce thriller implacable ? SP : Écrire un scénario, c'est une question de structure. Bien que je traite les deux disciplines de façon très différente, la notion de structure a imprégné l'écriture de mon roman. Je suis toujours très attentive au moment que je choisis pour révéler différents indices et retournements, et j’essaye de les amener pile quand il faut. (Je ne réussis pas toujours, mais j’essaie !) Je pense que travailler sur des scénarios facilite aussi l’écriture des dialogues et la construction des personnages. Mais ce sont des types d'écriture très différents, et ce qui fonctionne avec l'un ne fonctionne pas

nécessairement avec l'autre. L’écriture de scénarios apprend néanmoins à garder une intrigue resserrée et oblige à se focaliser sur l’enchaînement qui conduira vers la fin l’histoire. LFC : Dernière question : quel sentiment ressentez-vous quand les lecteurs vous disent que vous avez joué avec leurs nerfs ? SP : C'est toujours génial ! Ce que j'aime le plus à propos de ce livre, c'est l’éclat dans les yeux des lecteurs quand je les rencontre lors d’événements et combien ils aiment parler du livre, des personnages et, bien sûr, de la fin. C’est un vrai bonheur et c’est ce qui fait que cette vie d’écrivain, avec toute la tension qu’elle suppose, ces hauts et ces bas, vaut d’être vécue !

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG


PAR CHRISTOPHE MANGELLE

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#TALENT

PHOTO : ASTRID DI CROLLALANZA

FABIO M. MITCHELLI Fabio M. Mitchelli a été révélé au public par son thriller La Compassion du diable, surnommé "le livre bleu". Il est fasciné par les faits divers et les grands criminels du XXème siècle dont il s'inspire pour l'écriture de ses romans sombres. Fabio M. Mitchelli nous présente son nouveau thriller Le tueur au miroir en librairie depuis octobre. Le tueur au miroir de Fabio M. Mitchelli La Bête Noire 384 pages, 20 €

LFC : Bonjour Fabio M.Mitchelli ! Après « Une Forêt Obscure » librement inspiré du meurtre commis par Luka Rocco Magnotta, vous publiez « Le tueur au miroir » (Robert Laffont/ La bête noire) inspiré des meurtres commis cette fois-ci par William R. Bradford, condamné aux EU en 1988. D’où vous vient cette fascination pour les serial killers ?


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JE RACONTE LES HISTOIRES D'HOMMES (OU DE FEMMES) QUI, COMME TOUT LE MONDE, ONT ÉTÉ DES BÉBÉS, DES ENFANTS DÉPOURVUS DE MAUVAISES INTENTIONS. ET PUIS IL Y A LA BASCULE, L'INSTANT T, LE MOMENT OÙ "ÇA" ARRIVE. FABIO M. MITCHELLI FMM : Des bouquins dans les mains et des films plein les yeux, le gosse que j'étais passait des heures enfermé dans sa chambre à se faire peur, à essayer de s'imaginer les grandes plaines désolées et glacées du grand nord canadien, avec "Croc-Blanc", de Jack London, ou "L'appel de la forêt". Adolescent, j’étais passionné par la littérature noire, la littérature fantastique et les films d'horreur. Edgar Alan Poe fut pour moi le révélateur de mon cœur d'écrivain (sans faire de jeu de mots!). Le cinéma m’a beaucoup influencé, tel que celui de David Lynch, ou encore Hitchcock… Dès mes quinze ans, je me suis mis à imaginer de terribles histoires, à les écrire. Et puis j’ai découvert la plume de King, la collection Gore de chez Fleuve Noir, Grangé, Lovecraft, Thomas Harris et son Hannibal Lecter, Philippe K.Dick et Maurice G.Dantec. Évidemment, je n’étais pas complètement hermétique à la littérature de Baudelaire, Sartre, ou Camus, mais j’ai de suite compris que la littérature noire me procurait beaucoup de plaisir. Et puis je me suis intéressé aux affaires criminelles, aux documentaires télé qui leur étaient consacrés, à la presse spécialisée, et aux thrillers du cinéma inspirés de faits réels. Curieusement, ce qui m’attirait le plus ce n’était pas tant le côté sordide ou la noirceur de l’affaire, mais le criminel lui-même. Pour moi, comprendre la mécanique qui amenait un être à commettre de tels crimes, fouiller son passé, analyser son profil psychologique, a rapidement pris le dessus sur le fait d’accepter simplement le postulat du tueur… LFC : Pensez-vous qu’on peut tous tuer un jour ?

FMM : Je raconte les histoires d'hommes (ou de femmes) qui, comme tout le monde, ont été des bébés, des enfants dépourvus de mauvaises intentions. Et puis il y a la bascule, l'instant T, le moment où "ça" arrive. Dans "La compassion du diable", par exemple, je ne cherche pas à faire l'apologie de Dahmer, mais plutôt à démontrer que le mal possède bien des origines, qu'elles sont forcément liées à l'affect, aux émotions, aux traumatismes, que le déclencheur ne peut-être lié qu'aux rapports humains. L'éducation, l'environnement familial, l'amour qu'aura reçu -ou pas- l'enfant, restent les vecteurs principaux de ce qu'il deviendra plus tard. Je n'irai pas jusqu'à dire que le lecteur va trouver mon Blake "attendrissant", mais j'ai envie de dire qu'il va se sentir dans une situation de malaise, sortir de sa zone de confort. Car le lecteur pourrait bien éprouver de la culpabilité et se poser obligatoirement cette question : ne sommes-nous pas responsables, nous, parents ? Comment avonsnous éduqué nos enfants ? Et puis, il y a le facteur déclencheur « Perte de repères », ou « Vengeance » (thème très souvent abordé dans le roman noir) qui peut conduire à l’irréparable ; le meurtre d’un proche, le décès soudain d’un être aimé. Les causes sont nombreuses, le cerveau humain si mystérieux, et les effets sont parfois dévastateurs. Alors, oui, cela peut arriver, à tous. Nous hébergeons tous un monstre tapi en nous, nous transportons notre passager noir endormi (dixit Dexter Morgan) et, un jour, un choc un peu trop brutal pourrait bien l’éveiller… et c’est cela qui glace le sang.


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FABIO M. MITCHELLI

LFC : Votre serial-killer est fasciné par les tatouages… FMM : Oui, car dans le réel, W.Richard Bradford découpait les tatouages de ses victimes pour retarder l’identification de celles-ci. Dans « Le tueur au miroir », j’ai légèrement accentué ce mode opératoire et l’ai transformé en obsession chez le tueur. Les tatouages sont souvent associés aux symboles, aux métaphores, et vous comprendrez pourquoi cela obsède tant « Inkskin », le terrifiant personnage du roman. La psychologie de mes personnages, et plus précisément celle des tueurs, est calquée sur de vrais cas d’école. Je ne suis ni psychologue, ni psycho-criminologue. Je me base uniquement sur des faits, des diagnostics, des rapports médicaux déjà établis. Je consulte la presse spécialisée, les chroniques judiciaires et les articles qui ont été éventuellement consacrés au sujet que j'étudie. Depuis peu, je travaille en collaboration avec un psychothérapeute, spécialiste des troubles obsessionnels, et une éminente psychanalyste, et tous deux sont mes consultants pour l’écriture des profils complexes. Ceux-ci m'orientent, me guident pour affiner la crédibilité du personnage de mon roman, mais aussi pour saisir les mécanismes psychologiques propres à certains tueurs en série. J'essaie juste de comprendre ce qui a pu les conduire à commettre l'irréparable, pourquoi ont-ils aimé ce qu'il ont fait et pourquoi ont-ils recommencé... et c'est cela qui me fascine. LFC : On retrouve vos deux enquêtrices : Louise Beaulieu et Carrie Callan… Pourquoi deux femmes ? FMM : Pour commencer, Louise Beaulieu, mon héroïne québécoise de "Une forêt obscure".

Elle est tout à fait à l'image du pote que j'aimerais avoir ; un peu foldingo, borderline carrément, courageuse, dévouée pour ses amis, masculine mais juste ce qu'il faut, féminine quand il faut l'être, colérique mais jamais rancunière, déterminée, sensible et à la fois inébranlable. Mais c'est aussi parce que j'aime les personnages de fiction féminins, mais aussi les femmes de la vraie vie ! Les femmes ont ce côté intuitif, ce comportement authentique, intelligent, qui bien souvent leur permet de briller bien plus que les hommes. Elles sont mystérieuses, parfois ambiguës, mais elles ne se renient jamais... LFC : Comme dans « Une forêt obscure » vous offrez au lecteur un véritable page-tuner redoutable d’efficacité. C’est votre exigence et démarche de départ ? FMM : Il est clair qu’avec l’équipe éditoriale, mes éditeurs (Glenn Tavennec et Nathalie Théry) nous mettons tout en œuvre pour parfaire le texte. Nous ne laissons rien au hasard, tant sur la subtilité de l’écriture que sur la crédibilité de certaines scènes, comportements de personnages, tel que leur ton, ou leurs dialogues. Nous travaillons également beaucoup sur la structure, nous faisons en sorte que le récit retranscrive le mieux possible une atmosphère crédible, proche de la réalité. Nous apportons de la tension au fil des chapitres, du suspense, du frisson. J’aime imaginer le lecteur tenaillé par l’envie de passer au chapitre suivant, par l’envie de découvrir, savoir…


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INDÉNIABLEMENT, MES AUTEURS DE PRÉDILECTION RESTERONT DANTEC, HARRIS, POE, K-DICK, HUXLEY, KING. FABIO M. MITCHELLI

LFC : Qui sont les auteurs, les films ou les séries qui influencent votre écriture (audelà des serial-killers) ? FMM : Indéniablement, mes auteurs de prédilection resteront Dantec, Harris, Poe, K-Dick, Huxley, King. Pour les films : Le silence des agneaux, Psychose, Sueurs froides (Vertigo), Seven, Shutter Island, Shining, Mulholland Drive… et d’autres encore. Quant aux séries, je reviens sur Hannibal, très ésthétique et psychologique. Twin Peaks pour l’atmosphère, le mystère. Dexter, avec sa pointe d’humour, mais aussi, dans un autre genre, l’excellente série française Engrenage qui m’inspire beaucoup pour mon futur roman… LFC : Votre prochain thriller sera-t-il aussi inspiré des meurtres commis par un serial-killer ?

FM : Alors cette réponse va faire écho à la réponse de la question précédente, puisqu’il s’agira d’un thriller toujours inspiré de faits réels, également d’un redoutable tueur en série, mais cette fois-ci le décor sera planté en France… LFC : Un grand merci Fabio M. Mitchelli, on vous laisse le mot de la fin… FMM : Alors à mon tour, je laisse le mot de la fin à Louise Beaulieu : « Hey, les chums… j’vous dis pas à quel point j’ai la chienne, là, suis ben toute fockée à l’idée de vous retrouver. Stune crisse de folie que d’avoir remis le couvert avec Carrie, Tabarnak de câlisse ! J’vous donne donc rencard à Montréal, en espérant que vous passerez un bon moment, même si ce mangeux d’marde au miroir fait énormément flipper. Je file, pas l’temps de pelleter les nuages, là, j’ai deux ou trois maudits chiens sales à catcher… j’vous file des becs ! »

POUR LES FILMS : LE SILENCE DES AGNEAUX, PSYCHOSE, SUEURS FROIDES (VERTIGO), SEVEN, SHUTTER ISLAND, SHINING, MULHOLLAND DRIVE… ET D’AUTRES ENCORE.


EN PARTENARIAT AVEC

NUMÉRO 3 OCTOBRE 2017

So Good!

LES ENTRETIENS DE : FANNY VANDERMEERSCH JEAN-GABRIEL CAUSSE SOPHIE ADRIANSEN MARIANNE LEVY LAURA TROMPETTE THOMAS RAPHAËL MAUD ANKAOUA


SO GOOD ! AU MENU P122 SOPHIE ADRIANSEN La naissance La maternité P124

MARIANNE LEVY

Une comédie romantique, des séries TV. Rencontre avec une nouvelle romancière. P127

LAURA TROMPETTE

De la romance au feel-good, Laura Trompette se confie. P130

THOMAS RAPHAËL

Une fiction drôle inspirée de la vie de l'auteur. P134

JEAN-GABRIEL CAUSSE

Un premier roman sur la couleur qui séduit le monde entier. P137

MAUD ANKAOUA

Un premier roman touchant, la découverte d'une romancière. P140

FANNY VANDERMEERSCH

De l'autoédition à l'édition : un feel-good so good ! P143 PAGE 122


#TALENT

PHOTOS : MÉLANIA AVANZATO PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE

L'entretien exclusif

SOPHIE ADRIANSEN Depuis 2010, Sophie Adriansen a publié une vingtaine de livres pour la jeunesse et en littérature générale. En 2016, elle publiait "Le syndrome de la vitre étoilée". Aujourd'hui, elle nous parle de son nouveau roman "Linea Nigra" disponible en librairie chez Fleuve Éditions.

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LINEA NIGRA DE SOPHIE ADRIANSEN FLEUVE EDITIONS 496 PAGES, 19,90€


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SO GOOD INTERVIEW

Je voulais mettre à profit ce que j'avais étudié du sujet, utiliser ce que je savais des alternatives, proposer différents points de vue, éventuellement contradictoires, mettre les choses en perspective... LFC : Bonjour Sophie, comment est née l’idée de ce roman ? SA : Depuis une quinzaine d'années, je suis passionnée par le sujet de la naissance. Depuis, en réalité, qu'une amie allemande, qui démarrait des études pour devenir sage-femme, m'a fait découvrir la perception toute autre qu'on en avait, et qu'on en a toujours, de l'autre côté du Rhin. J'ai alors commencé à creuser la question de la spécificité française dans ce domaine, une spécificité hélas peu glorieuse, en ouvrant le spectre, en m'intéressant à ce qui se faisait ailleurs en Europe et dans le monde, en interrogeant aussi les femmes autour de moi... Je savais qu'un jour j'écrirais un livre autour de cela. L'élément déclencheur a été que je devienne mère, que j'éprouve dans ma chair les sensations dont je ne connaissais que des théories... La forme du roman s'est ensuite rapidement imposée, LFC : Ce roman est un roman kaléidoscopique sur les problématiques de la grossesse. Dites-nous en plus. SA : Je ne voulais pas seulement raconter l'histoire d'une grossesse, d'un parcours singulier. Je voulais mettre à profit ce que j'avais étudié du sujet, utiliser ce que je savais des alternatives, proposer différents points de vue, éventuellement contradictoires, mettre les choses en perspective... Voilà pourquoi mon roman tresse, autour de la trame principale (l'histoire d'amour que vit Stéphanie, la narratrice, qui l'amène à concevoir un enfant et à le mettre au monde), d'autres voix, aussi bien celles de femmes ayant un rapport différent au désir d'enfant, à la grossesse, à l'accouchement ou à la maternité, que des voix de professionnels de la naissance : sages-femmes, gynécologues...

. Enfin, les questions du rapport au corps, donc de la sexualité, du couple, des liens à ses propres parents et à sa propre enfance, qui ont un impact à tout âge mais sans doute plus fort encore lorsqu'on grimpe d'une branche dans l'arbre généalogique, apparaissent également : elles sont pour moi autant de sujets connexes à celui de la naissance, et il me semblait inenvisageable de ne pas les aborder. LFC : Votre livre, est-il militant ? Ouvertement féministe ? SA : Quelqu'un a écrit à propos de mon livre qu'il est un manifeste en faveur de la liberté des femmes et de leur droit à disposer de leur corps. Je prends volontiers ! Ce dernier point me paraît capital. Je milite en effet pour que les femmes, en matière de grossesse et d'accouchement, aient le choix. Encore faut-il, pour cela, être correctement informé... Si l'on considère le féminisme comme le fait de combattre la domination masculine, ce qui est mon cas, alors ce roman est féministe, oui. En revanche, je ne crois pas que cela soit aux femmes seules de s'emparer de cette question, bien qu'elle concerne leur corps. Michel Odent, un gynécologue qui a beaucoup fait progresser les choses, et a également écrit afin de diffuser sa pensée, affirme qu'on ne changera pas le monde tant qu'on ne changera pas la façon de naître. Je suis totalement en accord avec cela. Je suis convaincue que tout ce qui touche à la naissance est une affaire de société.

Je suis convaincue que tout ce qui touche à la naissance est une affaire de société.


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AVEC CE TITRE, JE VOULAIS AUSSI SYMBOLISER LA FRONTIÈRE ENTRE L'ÉTAT DE NON-MÈRE ET CELUI DE MÈRE LFC : Selon vous, les femmes sont-elles suffisamment considérées lors de la grossesse ? SA : Pas toujours. On a trop souvent tendance à considérer que les femmes sont dangereuses pour elles-mêmes. Qu'elles sont inexpérimentées. Bien sûr, une femme qui vit sa première grossesse a moins d'expérience que le médecin qui pratique depuis plusieurs décennies. Mais chaque cas est différent, et chaque femme est la mieux placée pour savoir ce qui se passe en elle... Ce que je déplore, c'est le trop grand interventionnisme médical qui a cours en France, avec une absence de consentement récurrente, et le fait qu'on informe à peine les femmes sur les alternatives. Lors d'une grossesse, la femme doit être accompagnée plutôt que de se voir imposer des actes et des contraintes qu'elle n'a pas décidés. Naturellement, il y a de nombreuses exceptions à cela, de nombreux professionnels bienveillants et formidables... Et de la même manière que souvent les femmes sont dépossédées de leur accouchement, lors de la grossesse le ventre des femmes semble soudain appartenir à la société. Cela peut donner lieu à des situations cocasses – mais en réalité ce n'est pas forcément drôle ni légitime... LFC : Pourriez-vous expliquer votre titre Linea Nigra ? SA : La « linea nigra » est le terme que l'on utilise pour désigner cette ligne brune qui apparaît chez une femme sur deux pendant la grossesse, à la verticale du ventre. Il n'y a rien et puis un jour, la ligne est là, elle s'installe et s'assombrit progressivement. Elle s'estompe plus ou moins longtemps après l’accouchement - et parfois même elle ne disparaît jamais tout à fait. Avec ce titre, je voulais aussi symboliser la frontière entre l'état de non-mère et celui de mère, ainsi que tous les changements qui font passer définitivement de l'autre côté de la ligne...


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SO GOOD INTERVIEW

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Un des messages de mon livre est peutêtre " Soyez vousmêmes, il n'y a pas de compétition ! "

LFC : Avez-vous eu le sentiment d’avoir tout dit dans ce roman ? Ou seriez-vous prête à publier un autre roman sur ce sujet ? SA : J'ai le sentiment d'avoir écrit mon « roman total » sur le sujet, d'avoir circonscrit le périmètre de la manière la plus large possible pour moi, notamment en choisissant la polyphonie pour servir mon propos. Mais je ne veux pas être catégorique... J'ignorais, en mettant un point final au "Syndrome de la vitre étoilée", mon précédent roman, que Stéphanie deviendrait la narratrice d'un autre livre, et pourtant... Et depuis la parution de "Linea Nigra", de nombreuses femmes s'ouvrent à moi sur le sujet, la matière s'accumule, alors sait-on jamais ! LFC : Vouliez-vous décomplexer les lectrices avec ce roman ? SA : Oui, c'est pourquoi le sous-titre reprend ce passage du roman : « A la maternité, on ne délivre aucun diplôme. Chaque femme fait de son mieux. » La société aimerait que toutes les femmes entrent

dans la même case lorsqu'elles sont enceintes, la presse féminine y va de son lot d'injonctions, applaudissant au passage les stars qui retrouvent leur corps svelte quelques jours après l'accouchement... Alors qu'encore une fois chaque femme est différente, chaque grossesse est différente, chaque couple, chaque bébé est différent... Le chemin est encore long avant que les femmes parviennent à s'affranchir totalement du poids des traditions – ou juste du jugement de leur propre mère ! Un des messages de mon livre est peut-être « Soyez vous-mêmes, il n'y a pas de compétition ! » LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin... SA : Je suis particulièrement heureuse qu'un homme se penche sur ce sujet, qui nous concerne tous puisque la naissance est à la fois notre passé et notre avenir, quel que soit notre sexe... Merci à vous.


#TALENT

PHOTOS : MARIANNE LEVY PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE

L'entretien exclusif

MARIANNE LEVY

De journaliste sportive à critique de séries TV, Marianne Levy publie aujourd'hui une comédie romantique "La malédiction de la zone de confort" disponible aujourd'hui en librairie. Interview.

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LA MALÉDICTION DE LA ZONE DE CONFORT DE MARIANNE LEVY PYGMALION 400 PAGES, 19,90€


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SO GOOD INTERVIEW

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J’ai l’impression que les algorithmes aseptisent les relations. LFC : Bonjour Marianne Levy, vous publiez « La Malédiction de la zone de confort ». Votre titre est top, comment l’avez-vous déniché ? ML : Le titre s’est imposé à moi. Il est le reflet du questionnement qui est le mien dans le roman. J’ai eu envie de l’écrire pour tenter de comprendre l’épidémie de solitude qui sévit aujourd’hui. Jamais nous n’avons été aussi connectés pourtant il me semble que la rencontre de l’autre est devenue très difficile. J’ai l’impression que les algorithmes aseptisent les relations. Notre quête d’amour est ultra rationalisée. L’obsession du risque zéro amoureux est-elle épanouissante ? Le danger de se tromper en sortant de sa zone de confort est-il plus grand que celui de ne rien vivre, finalement ? LFC : Deux personnes : Rose est (presque) heureuse, Ben n’est (presque) pas heureux. Dites-nous en plus. ML : Le duo amoureux est la figure de la comédie romantique. Tout repose toujours sur leur antagonisme originel. L’un des grands plaisirs du genre est de tout faire pour les séparer afin de mieux les réunir. Rose est une jeune comédienne qui vient enfin de décrocher son premier vrai rôle dans la série télé de l’année. Elle se demande comment ne pas gâcher la chance de sa vie. Ben est un écrivain et scénariste dont le travail est déjà reconnu. La création étant toujours le résultat d’un petit miracle, il est rongé par la terreur de ne pas pouvoir le reproduire. Tous les deux ont une relation intense avec les histoires, s’accordent sur l’importance de la fiction dans la vie mais s’opposent absolument quand il est question de genre.

LFC : Ils étaient faits pour ne PAS se rencontrer. Sauf que la vie va en décider autrement ? Ou c’est la fiction qui va déjouer les algorithmes ? Précisez ! ML : Les deux réponses sont exactes. La différence est un bien précieux et heureusement la vie nous le rappelle de temps en temps. La fiction est l’endroit où tout est possible. J’ai donc pris un grand plaisir dans cette variation autour des expériences procurées par une très fameuse application de rencontres. LFC : Vous parlez d’amour, de couple et de séries TV. C’est parce que vous aimez l’amour, la vie de couple et les bonnes séries TV ? ML : Dans le roman, il est question d’amour, de couple mais aussi d’amitié. De toutes les formes de rencontres, en fait. Sans doute parce qu’à la fin de tout, j’ai la conviction que la seule question qui compte est de savoir si on a bien aimé. La relation est alors évidente avec les séries télés. Pas simplement parce que mon métier est de les critiquer. Les personnages de ces séries prennent une place dans notre vie qu’on laisse difficilement d’habitude. Tony Soprano et sa crise de la quarantaine ou Stringer Bell, le dealer caïd de Baltimore, sont à des milliers de kilomètres de moi et pourtant ils ne me quitteront jamais car ils m’ont permis de voir le monde autrement. La fiction, c’est d’abord la démonstration de la richesse de la différence.

La fiction, c est

d abord la démonstration de la richesse de la différence.


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SO GOOD INTERIEW

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"La Malédiction de la zone de confort" est une déclaration

d amour à la comédie romantique mais peut-être avant tout une déclaration

d amour au hasard.

LFC : La comédie romantique, c’est votre terrain de jeux. Pourquoi ?

LFC : Pensez-vous déjà à votre prochain roman ?

ML : La comédie romantique est mon terrain de jeux car c’est le lieu de prédilection du questionnement de l’intime et du lien. C’est un endroit où je me sens bien car écrire pour rire et faire rire me désinhibe complètement. Le burlesque m’offre la possibilité de me lancer courageusement dans l’exploration du quotidien. Donc d’ausculter sans tabous nos désirs, nos petites frustrations, nos doutes et nos peurs. C’est la seule façon que j’ai trouvée d’être à la fois Indiana Jones et Hugh Grant.

ML : Non seulement, j’y pense mais je suis en train de l’écrire. Il paraîtra l’année prochaine chez Pygmalion. Il est trop tôt pour en parler précisément. Mais je peux dire que ce nouveau roman constitue une sorte de défi. Je m’aventure sur un terrain inédit pour moi. Je tente des choses nouvelles notamment dans la forme. C’est impressionnant et excitant à la fois. LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin...

LFC : À qui adressez-vous ce roman fantaisiste ? ML : Ce roman est un plaidoyer pour la comédie romantique. Je l’adresse donc à ceux qui aiment le genre mais, aussi, à ceux qui doutent de son intérêt

ML : "La Malédiction de la zone de confort" est une déclaration d’amour à la comédie romantique mais peut-être avant tout une déclaration d’amour au hasard.


#TALENT

PHOTOS : PYGMALION PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE

L'entretien exclusif

LAURA TROMPETTE Laura Trompette a publié, en 2015, le diptyque "Ladies Taste" & "Ladies' Secret" (Hugo Roman) et, en 2016, le roman "Si On Nous L'avait Dit" (JC Lattès/Emoi). Elle nous parle aujourd'hui de son nouveau livre "C'est toi le chat" (Pygmalion/Flammarion), un feel good félin.

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C'EST TOI LE CHAT DE LAURA TROMPETTE PYGMALION 376 PAGES, 14,90€


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SO GOOD INTERVIEW

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J’écris ce qui, à l’instant, me semble devoir être évacué, revisité, abordé ou partagé. LFC : Bonjour Laura Trompette, vous publiez « C’est toi le chat », votre premier roman feel-good. Vous arrêtez la new romance ? Ou vous cumulez les genres ? Dites-nous tout ! :-) LT : Bonjour la fringale culturelle ! Je dirais plutôt que je suis mes envies, mon instinct et que j’écris ce qui bouillonne à l’intérieur. Dans le processus, effectivement, je change de genre, je me balade d’un univers à l’autre. Et je crois que, malgré les craintes que cela suscite souvent en moi, je refuse de m’ancrer à un seul port. J’aurais peur de m’ennuyer, j’aime trop voyager. Romance, feel-good, suspens psychologique… Finalement, l’intitulé, la case mouvante dans laquelle mes romans se rangent, n’empêche pas une forme de continuité. J’aborderai toujours les thèmes de notre époque qui me saisissent d’une manière ou d’une autre, j’aimerais toujours décortiquer les relations humaines, visiter des atmosphères, analyser des étapes de vie. J'ai grandi avec l’écriture, comme on grandit avec une amie, et j’évolue avec elle. J’écris ce qui, à l’instant, me semble devoir être évacué, revisité, abordé ou partagé. LFC : Comment est née l’idée de ce roman idéal pour un automne en douceur ? LT : Ce roman est né dans ma tête en 2015 et, comme je n’ai pas choisi de l’écrire à ce moment-là, il a évolué au fil du temps, au gré de mes rencontres, de mes notes, de mes idées. J’avais envie depuis très longtemps de donner la parole à un chat, parce qu’on peut dire beaucoup de choses à travers la voix d’un animal et parce que, en l’occurrence, celui-ci me fascine. Par ailleurs, je voulais aborder les affres de l’école primaire qui ont laissé en moi certaines cicatrices, l’abandon qui me révolte, le deuil que l’on expérimente tous un jour – plus ou moins

tôt, la différence avec laquelle le monde n’est pas tendre et le pouvoir que l’on a en nous, de nous reconstruire quelle que soit l’épreuve que l’on a traversée. Ce pouvoir étant décuplé lorsque l’on sait reconnaître, sur notre chemin, les êtres qui souffleront, dans notre dos, l’air nécessaire. LFC : Quatre personnages : un chat, un veuf, une petite-fille, une femme sous emprise… Ce sont eux qui font l’histoire. Pouvez-vous nous les présenter ? LT : Le chat, dit « le poilu », vient d’être abandonné dans un hall d’aéroport, par ceux qu’il considérait comme sa famille. Il a une dent contre les enfants, une haute opinion de luimême et un cœur plus abimé qu’il n’ose le reconnaître. Paul, papa veuf de trente-cinq ans, a perdu l’amour de sa vie quelques années auparavant et partage ses journées entre son restaurant au concept singulier et sa petite fille de sept ans. Encore englué dans son deuil, il peut compter sur son loufoque meilleur ami, Gustave, pour lui donner les coups de fouet utiles… Louise, sept ans, est une enfant qui, d’un point de vue extérieur, ne ressemble pas à la majorité des petites filles. Elle a perdu sa maman très jeune, elle est plus grande que la moyenne, elle dessine à longueur de temps, elle croit aux fées et elle vit une scolarité difficile. Jusqu’au jour où l’on va lui détecter une particularité supplémentaire… Luna est une trentenaire qu’un homme a brisée. Ou plutôt, a essayé de briser. Elle a vécu sous l’emprise

J avais envie depuis très longtemps de donner la parole

à un chat, parce qu on peut dire beaucoup de choses à

travers la voix d un animal


PAGE 132 terrible de ce que l’on appelle aujourd’hui un « pervers narcissique » et essaie toujours, alors que leur relation est terminée, d’échapper à ses griffes persistantes. Ces quatre personnages, que la vie n’a pas ménagés, vont au fil du roman, dans leur quête de renouveau, entrer en collision. LFC : Votre roman est en librairie depuis quelques jours, et déjà l’Allemagne a acheté les droits pour le traduire. Vos impressions ? LT : J’ai été très émue en l’apprenant. Il y a des étapes qui jalonnent une vie, une passion, un métier. C’est définitivement l’une de celles qui comptent. L’une de celles qui font ressortir la voix de la gamine en moi, qui murmure « j’avais un rêve et je le vis.» LFC : Le chat est à l’affiche de ce roman, on sait que la cause animale vous touche. Dites-nous en plus. Comment répondre à cette question sans écrire un roman ? Oui, la cause animale me touche, c’est l’un de mes combats, depuis longtemps. Je glisse, dans chaque livre, des messages qu’il me semble important de diffuser concernant ces êtres vivants que l’être humain a souvent tendance à considérer comme inférieurs et donc à même de supporter les pires sorts qu’il lui réserve. L’abandon, la torture, la séquestration, la vivisection, l’exploitation financière, les conditions de l’industrie alimentaire telle qu’on la pratique aujourd’hui, les spectacles de mise à mort, le braconnage, la chasse trophée, les massacres d’espèce - comme les dauphins depuis des décennies à Taiji et aux îles Féroé – font partie de la longue liste des choses qui me

J'AVAIS UN RÊVE ET JE LE VIS.


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SO GOOD INTERVIEW

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J adresse ce roman à tous les gens qui ont des plaies à cicatriser mais qui refusent de renoncer révoltent. Pour autant, comme je le dis régulièrement sur mes réseaux sociaux, je n’entends donner de leçon à personne. J’espère juste participer à un certain éveil des consciences qui sont prêtes à s’ouvrir à ces sujets-là. LFC : À qui adressez-vous ce roman ? LT : J’adresse ce roman à tous les gens qui ont des plaies à cicatriser mais qui refusent de renoncer, à tous ceux qui ont envie de rire avec ce chat insolent au cœur pas aussi fermé qu’on pourrait le penser au départ, à tous ceux qui ont envie de croire que certaines rencontres ne sont pas vraiment le fruit du hasard et peuvent, incontestablement, changer des vies. LFC : Pensez-vous déjà à votre prochain roman ?

LT : « C’est toi le chat » est mon quatrième roman publié, le cinquième est en phase de relecture et je suis en pleine écriture du sixième. Ces deux derniers sortiront dans quelques mois, en 2018. Donc, en ce moment, je pense plutôt au septième et au huitième, ce qui fait régulièrement des nœuds dans mon cerveau. Mais j’aime trop tirer sur les fils… LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin… LT : À tous ceux qui décideront de se lancer dans les pages de « C’est toi le chat », j’espère que vous y trouverez, le temps d’une lecture, des compagnons réconfortants, que vous aimerez rire et avancer avec eux comme j’ai aimé leur donner naissance.


THOMAS RAPHAËL

#TALENT

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Après trois romans, "La vie commence à 20h10", "Le bonheur commence maintenant" et "Pour un soir seulement", Thomas Raphaël poursuit son chemin littéraire avec un quatrième roman fortement inspiré de sa propre vie. "J'aime le sexe mais je préfère la pizza" est une comédie bienveillante, drôle et tendre. Interview.

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SO GOOD INTERVIEW

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L’autodérision, c’est de l’autodéfense. LFC : Bonjour Thomas Raphaël, après trois livres avec des personnages fictifs, vous passez le cap avec celui-ci d’écrire un roman autobiographique. C’était le bon moment pour vous ? TR : C’est un projet que j’ai depuis plus de dix ans. Et, oui, il y avait un chemin naturel à faire d’abord connaissance avec les lecteurs avant de leur proposer ce livre plus atypique, qui est une collection d’histoires sur moi. Mais je suis content d’avoir dépassé un réflexe de pudeur et d’être allé au bout de quelque chose qui me ressemble totalement. LFC : J’ai lu dans la presse ou sur les réseaux sociaux (je ne sais plus bien) que vous avez écrit le livre que vous rêviez d’écrire depuis l’âge de vos vingt ans. Vous confirmez ? TR : Oui, c’est vraiment ça. À l’époque, je n’avais pas encore vécu tout ce que je raconte dans le livre, mais j’avais déjà ce tic de tout raconter dans mon journal. Je ne sais pas pourquoi je fonctionne comme ça, mais j’ai l’impression de ne pas avoir complètement vécu quelque chose tant que je ne l’ai pas raconté. Quand je transforme ma vie en histoires, j’ai l’impression de fabriquer des preuves qu’elle mérite d’être vécue. LFC : Au fur et à mesure de la lecture, on s’interroge, on se demande si tout est vrai ou non ? Où est la part autobiographique ? La part fictive ? TR : Il n’y a pas de part fictive. Ou alors elle est inconsciente, parce que c’est vrai qu’on ne peut jamais se fier totalement à ses souvenirs. Au début, ça me posait problème, ce risque de ne pas être exact. Et puis j’ai réalisé que ce n’est pas l’exactitude des faits qui nous définit, c’est ce qu’on en garde, ce dont on se souvient. Donc peut-être que certains détails ne sont pas exacts, notamment dans la chronologie ou les dialogues – mais rien n’est inventé. Ce que je raconte, c’est ce dont je me souviens, donc c’est qui je suis.

LFC : Votre roman est un cocktail d’émotion, de franchise, d’autodérision et d’humour. Qu’en pensez-vous ? TR : L’autodérision, c’est de l’autodéfense. Quand on a peur du regard des autres, il n’y a rien de plus efficace que de se moquer de soi avant que les autres aient le temps de le faire. La chance que j’ai eue, c’est que je m’en suis rendu compte assez tôt. LFC : Deux humoristes soutiennent votre roman : Bérengère Krief et Blanche Gardin. Vous avez des ambassadrices inespérées. Vos impressions ? TR : Je les admire beaucoup et je suis très heureux qu’elles aient accepté de me lire. Elles peuvent se permettent d’être dures avec les autres parce qu’elles sont encore plus impitoyables avec elles-mêmes. Grâce à elles, j’ai l’impression de tendre un fil entre l’univers du roman, dont je viens, et les artistes du stand-up, qui me fascinent. Quand je les vois sur scène, je les envie.

Quand je transforme ma vie en histoires,

j ai l impression de fabriquer des preuves

qu elle mérite d être vécue.


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LFC : Après lecture, si le lecteur devait retenir une idée fondatrice de votre roman. Selon vous, laquelle ?

TOUTES LES VIES MÉRITENT D’ÊTRE RACONTÉES. C’EST LE PARADOXE MAGIQUE DE LA LITTÉRATURE : PLUS ON EST SINGULIÈREME NT SOI-MÊME, PLUS C'EST UNIVERSEL.

TR : Que toutes les vies méritent d’être racontées. C’est le paradoxe magique de la littérature : plus on est singulièrement soi-même, plus c'est universel. J’espère que, par ricochet, les lecteurs reconnaitront qu’il y a de la beauté et de la valeur dans les détails cachés de leur propre vie. LFC : Un grand merci Thomas Raphaël, on vous laisse le mot de la fin… TR : Et moi je le donne à Nora Ephron, qui expliquait bien comment se raconter a le pouvoir de vous faire reprendre le dessus sur n’importe quelle situation : "Quand vous glissez sur une peau de banane, on se moque de vous. Mais quand vous racontez que vous avez glissé sur une peau de banane, le rire vous appartient. Vous n’êtes plus la victime de la blague, vous êtes le héros." Propos recueillis par Christophe Mangelle Photos : Astrid di Crollalanza Flammarion

Thomas Raphaël J'aime le sexe mais je préfère la pizza Flammarion, 272 pages, 18 €


JEAN-GABRIEL CAUSSE

Jean-Gabriel Causse a publié en librairie un essai sur les couleurs "L'étonnant pouvoir des couleurs" qui a rencontré un franc succès en libraire.

#PREMIER ROMAN

Aujourd'hui, il publie son premier roman "Les crayons de couleur" chez Flammarion qui vient de faire un carton à Francfort. Interview.

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FEEL SO GOOD INTERVIEW


LFC : Bonjour Jean-Gabriel Causse, vous êtes un professionnel de la couleur et votre premier roman s’appelle « Les crayons de couleur ». Une vie sans couleur, c’est une provocation comme question ? JGC : Nous vivons dans une époque où la couleur n’a jamais été aussi peu présente en Occident. On en porte de moins en moins. Si vous prenez les photos de famille d’il y a vingt ans, on a l’impression d’être des perroquets tellement il y a de couleurs. Les voitures, c’est encore pire, dans les années soixante, trois voitures sur quatre étaient vertes, bleues ou rouges. Aujourd’hui, trois voitures sur quatre sont grises, noires ou blanches. On se rend compte de cela lorsque l’on va à Cuba par exemple, on se dit que les couleurs sont magnifiques alors que nous avions les mêmes à Paris à l’époque. Moins on vit dans la couleur, plus on en a peur. Aujourd’hui on n’ose plus s’habiller en couleur par peur de se faire remarquer. À travers ce livre, je veux montrer que la couleur est encore présente, en Inde notamment, en Amérique du Sud, en Afrique… Le monde entier est dans la couleur sauf l’Occident depuis les années quatre vingt-dix. LFC : Le point de départ de votre roman fait écho à la première question, les couleurs disparaissent, le monde devient noir et blanc… Comment est née l’idée de ce roman original ? JGC : Mon premier essai sur l’essence de la couleur ayant connu un gros succès, traduit en quinze langues, j’ai décidé de poursuivre sur ce thème. Ça m’intéressait de raconter les influences de la couleur à travers un roman. Je me demandais quel type de roman j’allais pouvoir écrire et j’ai eu une sorte de révélation en discutant avec des aveugles, qui avaient eux-mêmes leur perception des couleurs. Je trouvais cela passionnant. Les couleurs, on n’a pas forcément besoin de les voir, ces sont des illusions, chacun les voit d’une façon différente. Je trouvais intéressant de prendre comme porte parole quelqu’un qui ne les avait jamais vu. LFC : Vos deux personnages, Arthur et Charlotte veulent sauver l’humanité de cette malédiction. Présentez-les à nos lecteurs.

JGC : Ce sont deux personnages que tout oppose. Arthur est quelqu’un qui partait plus ou moins bien dans la vie mais il a finalement sombré dans l’alcool. Charlotte est aveugle, elle est spécialiste en neurosciences. C’est une femme très courageuse qui élève toute seule sa fille. Mais elle ne veut pas qu’on la plaigne car elle ne se considère pas comme handicapée. C’est un couple improbable. Ils vont se rencontrer, se détester… Et je ne vous en dit pas plus ! LFC : Il y a une palette de personnages colorés, était-ce pour mettre de la couleur dans une histoire qui en perdait ? JGC : Oui c’est un peu ça. Je voulais faire quelque chose de léger avec plein de façons de vivre différentes, plein de regards différents sur la couleur. Il y a par exemple des personnes âgées, car elles sont nées dans la couleur et l’ont vu évolué. J’aime les histoires où plusieurs destins se croisent, s’entremêlent, où on passe d’un personnage à l’autre, mais toujours au service de l’histoire bien sûr. Cela donne une histoire colorée où chacun peut s’identifier à son personnage. LFC : Votre livre vient de faire un carton à Francfort, l’Allemagne l’a acquis pour un montant à six chiffres, sept éditeurs italiens se sont battus pour l’avoir, l’Espagne, la Corée, la Russie… Vous êtes un homme comblé ? JGC : Je suis plus que comblé. Quand on écrit son premier roman, on est toujours un peu fragile. On s’expose en mettant ses tripes sur la table, et si ça ne plaît pas, forcément on se sent visé. C’est compliqué de faire la distinction entre ce que l’on écrit et ce que l’on

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est. Je suis actuellement sur un petit nuage rose, pour revenir à la couleur. Il se passe plein de choses autour de ce livre mais ce qui me fait le plus plaisir, c’est qu’il soit vecteur d’un message fort. Je suis fier d’une autre chose également, c’est qu’il soit, et je crois que c’est une première mondiale, sorti en braille. Je suis très heureux d’aider la cause des aveugles, je me rends compte qu’ils en ont vraiment besoin, ce sont des personnes extraordinaires. Ils leur manquent un sens, mais les quatre autres sont beaucoup plus développés que nous, c’est impressionnant. Je conseille à tout le monde d’échanger avec eux. LFC : Pensez-vous déjà à votre prochain roman ? JGC : Oui. Je suis en pleine écriture. Cette fois-ci, je vais me servir de la couleur pour régler cette histoire. Elle sera la clé et aidera à trouver des solutions. Je continue sur le même thème. LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin… JGC : Que l’on aime les couleurs ou que l’on n’aime pas les couleurs, je pense que ce roman peut vraiment changer la perception que vous vous en faîtes. Vive la couleur !

Jean-Gabriel Causse Les crayons de couleur Flammarion 320 pages, 17€

Propos recueillis par Quentin Haessig et Christophe Mangelle Photo : Félicien Delorme Flammarion

QUE L’ON AIME LES COULEURS OU QUE L’ON N’AIME PAS LES COULEURS, JE PENSE QUE CE ROMAN PEUT VRAIMENT CHANGER LA PERCEPTION QUE VOUS VOUS EN FAÎTES. VIVE LA COULEUR !


MAUD ANKAOUA

#PREMIER ROMAN

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Passionnée par les relations humaines, Maud Ankaoua signe un premier roman riche d'enseignements et rempli d'espoir. Entretien avec la romancière qui nous parle de la création de "Kilomètre zéro", de ses personnages, de l'amitié, du Népal, du voyage extérieur et intérieur... SO GOOD INTERVIEW


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LFC : Bonjour Maud Ankaoua, vous publiez « Kilomètre zéro ». Comment est née l’idée d’écrire ce roman ? MA : J’avais depuis plusieurs années envie de partager des clefs qui m’aidaient à me sentir heureuse. Déjà enfant, je rêvais d’un monde meilleur où chacun entraidait une autre personne. J’avais même trouvé le titre du livre que j’écrirai plus tard : « juste entre nous »… J’ai finalement choisi "Kilomètre Zéro" ! Lors de mon premier voyage au Népal en 2010, j’ai rapporté de nombreuses photos avec l’intention d’écrire ce livre, mais ce n’était pas encore le moment… J’y suis retournée en 2012 et j’ai commencé à écrire deux ans après. Je me sentais prête à synthétiser et partager ces années de lectures et d’expériences dans l’espoir d’aider ne serait-ce qu’une personne à se sentir mieux. LFC : Maëlle, directrice financière d’une startup a des journées rythmées. Un jour, son amie Romane lui demande un service. Lequel ? MA : Romane est atteinte d’un cancer, elle lui demande de se rendre au Népal pour lui ramener un manuscrit dans lequel une méthode ancestrale serait capable de la guérir.

LFC : Dans ce roman, Romane est touchée par le cancer. Pour son amie, Maëlle rejoint le Népal. Dans ce roman, vous interrogez le lecteur sur le sens de l’amitié. Que sommesnous prêts à mettre en œuvre pour aider un(e) ami(e) ? Pourquoi ? MA : L’amitié est une valeur fondamentale dans ma vie, car elle incite au partage, à la bienveillance, à la connexion à notre cœur. L’amitié est dénuée de toute forme d’ego. Un ami est quelqu’un avec qui nous pouvons nous mettre à nu sans peur d’être jugés, à qui nous pouvons avouer nos faiblesses sans qu’il en tire parti. C’est dans cette entièreté que nous nous sentons aimés tels que nous sommes et pouvons nous dépasser. L’amitié est en effet le fil rouge du livre, car c’est le modèle d’un état d’être qu’il est bon d’appliquer dans toutes nos relations. Je trouve que ce lien inconditionnel nous ramène à notre humanité. LFC : Que se passe-t-il quand Maëlle est au Népal ? MA : Maëlle va faire des rencontres inattendues pour tenter de retrouver le

manuscrit qui vont l’amener à se reconnecter à ses valeurs profondes. Elle va comprendre à travers des expériences de vie que son ego tronquait la réalité, elle va apprendre à se servir de ses sens, se reconnecter à son essence, se rééduquer à vivre entière, sortir de ses automatismes de pensées et dépasser ses peurs pour oser être ce qu’elle est. LFC : Vous signez un roman où l’espoir a le rôle principal. Qu’en pensez-vous ? MA : Albert Einstein disait à juste titre : « La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent ». Nous avons la possibilité de créer notre vie : lorsque quelque chose ne fonctionne pas, nous pouvons essayer autre chose. Le problème est que nous avons mis des années à trouver notre équilibre précaire, il nous est difficile d’imaginer une autre voie. Nous ne savons pas quoi faire alors nous répétons les mêmes erreurs, les mêmes pensées, les mêmes automatismes pour un résultat forcément identique ! Je souhaitais à travers ce roman proposer aux lecteurs d’autres possibilités, d’autres chemins. Avec un peu de courage et d’entrainement, nous pouvons devenir les créateurs d’une vie différente et retrouver le chemin du bonheur malgré des circonstances extérieures parfois hostiles. Le bonheur est pour moi un état d’esprit : nous sommes les ingénieurs de notre propre vie. La vraie question n’est pas : « est-ce que ça va fonctionner pour moi ? », mais plutôt : « Ai-je vraiment envie d’y arriver ? »


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LFC : À qui adressez-vous ce roman ? MA : À toute personne qui a envie de faire un beau voyage… À toute personne pour qui les valeurs humaines, d’amitié et d’amour résonnent. À toute personne qui souhaite reconnecter sa flamme intérieure qui semble parfois éteinte, mais qui est simplement masquée par nos automatismes. À toute personne qui a besoin de bienveillance pour faire un pas vers soi, pour découvrir l’espace de tous les possibles. À toute personne qui cherche à dépasser ses peurs pour vivre et non plus survivre. Ou à toute personne qui souhaite simplement se faire du bien à travers un moment de lecture… C’est pourquoi je pense que ce roman s’adresse à tout public. Les messages que je reçois des lecteurs me confirment que les ados le dévorent autant que les adultes. Les hommes comme les femmes s’identifient à la protagoniste, ils y piochent ce qui est important pour eux et en font l’expérience. Ils m’écrivent que "Kilomètre Zéro" est devenu une sorte de guide pour eux qu’ils peuvent consulter à tout moment pour se sentir mieux, c’est ce qui me touche le plus. LFC : Pensez-vous déjà à votre prochain roman ? MA : Oui j’y réfléchis sérieusement, mais il y a toujours un temps de maturation… J’espère que ce temps sera un peu moins long que pour le premier ! J’ai encore tant de choses qui me sont chères à raconter, alors je suis en route… LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin… MA : C’est moi qui vous remercie du fond du cœur de me permettre de parler de ce livre que j’ai écrit dans l’intention qu’un mot, une phrase, une idée puissent faire du bien. Chaque fois qu’une personne parlera de "Kilomètre Zéro", il s’associera dans ce projet de faire ensemble un monde meilleur. Je crois profondément en l’humanité et bien souvent nous ne sommes pas conscients de l’énorme potentiel qui nous habite. Il suffit parfois de le reconnecter pour retrouver le chemin du bonheur. Je voulais offrir ce choix aux lecteurs.

Maud Ankaoua Kilomètre zéro Eyrolles 304 pages, 16€

Propos recueillis par Christophe Mangelle Photo : Eyrolles

CHAQUE FOIS QU’UNE PERSONNE PARLERA DE "KILOMÈTRE ZÉRO", IL S’ASSOCIERA DANS CE PROJET DE FAIRE ENSEMBLE UN MONDE MEILLEUR. JE CROIS PROFONDÉMENT EN L’HUMANITÉ ET BIEN SOUVENT NOUS NE SOMMES PAS CONSCIENTS DE L’ÉNORME POTENTIEL QUI NOUS HABITE.


FANNY VANDERMEERSCH

#TALENT

Nouvelle plume, nouveau talent. 2017 est l'année de Fanny Vandermeersch, elle fait ses premiers pas "littéraire" dans le monde de l'édition avec deux livres : un jeunesse "Phobie" et une comédie feelgood "Aux livres exquis" disponible depuis cet automne chez les éditions Charleston. Rencontre avec une romancière passionnée.

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SO GOOD INTERVIEW


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LFC : Bonjour Fanny Vandermeersch, vous publiez "Aux livres exquis". Votre titre est top, comment l’avez-vous déniché ? FV : Bonjour, et merci ! Pour le titre, je cherchais un nom pour le café littéraire dans lequel Chloé travaille avec, si possible, un jeu de mots qui associe l'idée du plaisir de la lecture au plaisir gustatif des muffins ! Le roman a été envoyé sous le nom "Les livres exquis", avant de devenir chez Charleston "Aux livres exquis". LFC : Vous avez commencé par l’autoédition. Quel souvenir gardez-vous de cette aventure littéraire ? FV : J'en garde un très bon souvenir, même si ce n'est pas le format que j'avais choisi au départ. À l'origine, j'ai écrit ce roman pour le Prix du livre romantique, aux éditions Charleston. Il n'a pas été sélectionné mais j'ai eu un retour très positif et encourageant venant de l'équipe. Ce sont eux qui m'ont suggéré de m'autopublier via Librinova, en me promettant de garde un œil sur le roman. Après avoir longuement hésité, posé beaucoup de questions, je me suis lancée. Puis, en trois mois, j'ai passé les 1000 ventes numériques : j'ai trouvé ça extraordinaire ! Librinova, qui endosse alors le rôle d'agent littéraire, en a informé les éditions Charleston, qui m'ont proposé un contrat d'édition. C'était surréaliste pour moi !

D'ailleurs, quand Andrea Field de Librinova me l'a annoncé, j'ai eu du mal à y croire. Je me disais qu'il y avait eu une erreur, qu'ils s'étaient trompés. C'est un moment qui m'a vraiment marquée. D'ailleurs, je me souviens exactement du lieu où j'étais à ce moment-là, et même de l'heure ! LFC : Comment est née l’idée de ce roman ? FV : Pour concourir au Prix du livre romantique, il faut présenter un personnage féminin fort. Il fallait aussi le thème du voyage. Je voulais que mon héroïne se trouve à un tournant de sa vie, qu'elle se pose des questions, comme cela peut nous arriver à toutes et à tous. J'aime aussi les histoires de secrets de famille, les quêtes qui permettent aux personnages de découvrir qui ils sont vraiment. LFC : Pouvez-vous présenter Chloé à nos lecteurs ? Chloé a quitté sa Normandie natale pour faire ses études à Paris. Elle laisse derrière elle des souffrances et des non-dits. Lors de ses études, elle rencontrera Clément, qu'elle épousera. Ensemble, ils ont eu un enfant : Rudy.

Malheureusement, au bout de quelques années, leur relation s'étiole. Chloé se sent négligée par son mari. Elle décide toutefois de ne plus se laisser abattre, et de reprendre sa vie en main. Puis, un jour, des éléments du passé referont surface. LFC : Pensez-vous déjà à votre prochain roman ? FV : J'y pense beaucoup, il est même pratiquement terminé ! Il sera question de secrets de famille, de nondits et, encore une fois, de la possibilité d'une nouvelle vie ! Cette année, j'ai eu la chance d'avoir la publication du roman "Aux livres exquis", mais aussi celle d'un roman jeunesse aux éditions Le Muscadier, "Phobie", qui traite de la phobie scolaire. Deux premières publications : le rêve ! Pour 2018, j'ai déjà signé un contrat pour mon deuxième roman jeunesse, alors dans mes rêves les plus fous, j'imagine qu'il y en aura aussi un pour ce second roman sentimental ! LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin… FV : C'est moi qui vous remercie pour cette interview. Réaliser que mon roman peut être lu et apprécié par d'autres personnes que ma maman ou mes amies est quelque chose de très troublant. J'en suis très touchée. Merci aux lecteurs qui me suivent depuis le début. Je tiens aussi à remercier toute l'équipe de Librinova, qui a toujours été là, dès le début, pour répondre à mes nombreuses questions (et comme vous pouvez le lire, je suis parfois bavarde !). Merci aussi à toute l'équipe des éditions Charleston, qui a fait de mon rêve une réalité. J'ai conscience que cela peut sembler un peu niais, mais c'est vraiment ça.


SO C IETE OCTOBRE 2017 - LFC MAGAZINE #3

ELSA PUNSET Le guide des rituels qui s'adaptent à toutes les situations de vie. Rencontre à Paris dans un hôtel chic près de l'Opéra.

ÉRIC GASPAR VOLKER WITTKAMP L'un nous parle de notre cerveau, l'autre des parties intimes masculines.

FRÉDÉRIC SALLÉE Notre expert en histoire revient sur une période sombre du passé. Fascinant et instructif.

CAROLINE WEBB ET BENJAMIN FABRE LE TRAVAIL AU QUOTIDIEN Deux livres, Deux points de vue.


AU MENU

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Comment devenir meilleur au travail ? Caroline Webb vous dit tout.

VOLKER WITTKAMP L'urologue qui parle des soucis de mecs avec humour, dérision et sérieux juste quand c'est nécessaire. P.163

ÉRIC GASPAR Immersion dans votre incroyable cerveau avec comme guide Éric Gaspar. Welcome au pays de la matière grise ! P.155

FRÉDÉRIC SALLÉE L'histoire du nazisme comme vous ne l'avez jamais lu. Entretien. P.157

151 ELSA PUNSET

Un rituel comme réponse à chaque problème pour que la vie soit plus douce. Entretien avec Elsa Punset qui vous veut que du bien.

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BENJAMIN FABRE Coup pour coup, Benjamin fabre vous coache pour briller en entreprise et manipuler tout ce petit monde. Impitoyable et hilarant !


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LFC Magazine #3

C AROLINE

WEBB

COMMENT DEVENIR MEILLEUR AU TRAVAIL ? CAROLINE WEBB NOUS RÉPOND ET PROPOSE DES ASTUCES QUI PEUVENT VOUS CHANGER LA VIE AU BUREAU. Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig Photo : Jordan Matter

AU COURS DES QUINZE DERNIÈRES ANNÉES, JE ME SUIS SPÉCIALISÉE DANS LA RECHERCHE DE MOYENS POUR AMÉLIORER LA PRODUCTIVITÉ, L'EFFICACITÉ ET LE BIEN-ÊTRE QUOTIDIEN DES GENS, EN ME PENCHANT SUR LA RECHERCHE EN SCIENCES COMPORTEMENTALES, EN CONSEILS PRATIQUES FACILES.

LFC : Comment est née l’idée d’écrire ce roman ? Est-ce que cela vient d’une expérience personnelle ou directement de vos patients ? CW : Pour autant que je me souvienne, j’ai souhaité me pencher sur la question : comment faire pour devenir meilleur au travail ? J'ai eu beaucoup d'emplois différents dans ma vie, certains d'entre eux très modestes et certains d'entre eux plus sophistiqués, et dans tous les cas, j'ai observé que beaucoup de gens se sentaient stressés et fatigués par leur vie professionnelle quotidienne (y compris moi, de temps en temps). Ainsi, au cours des quinze dernières années, je me suis spécialisée dans la recherche de moyens pour améliorer la productivité, l'efficacité et le bien-être quotidien des gens, en me penchant sur la recherche en sciences comportementales, en conseils pratiques faciles. Finalement, mes clients ont commencé à me demander de leur recommander un livre sur le sujet, et j'ai eu du mal à en trouver un avec le bon mélange de practicité et de rigueur scientifique. J’ai donc commencé à écrire ! LFC : Vous dites que si l’on veut passer une bonne journée au travail, il faut définir nos priorités. Si on l’on considère cela, est-ce plus difficile de commencer sa journée au feeling ?


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LFC Magazine #3

NOUS SOMMES EFFECTIVEMENT PROGRAMMÉS POUR PROCRASTINER, CAR IL EST PLUS FACILE POUR NOTRE CERVEAU DE TRAITER DES INFORMATIONS CONCRÈTES PLUTÔT QU’ABSTRAITES

Caroline Webb, Passer une bonne journée au bureau, c'est possible, Belfond 512 pages, 20,90€

CW : Nous sommes en pilotage automatique au fur et à mesure que nous nous mettons au travail le matin, et il est facile de passer directement aux réunions et aux exigences de notre emploi du temps, en répondant à ce qui semble le plus urgent. Mais c'est une honte, car le constat est clair, nous sommes beaucoup plus susceptibles de saisir des opportunités et de finir la journée en étant satisfaits quand nous prenons un moment pour décider de ce qui est vraiment important pour nous. Même deux minutes de réflexion dans la matinée peuvent remodeler la façon dont la journée se déroule. Nous devons simplement nous demander : Qu’est-ce qui est vraiment le plus important pour moi aujourd’hui ? Sur quoi dois-je me concentrer ? LFC : Que devons-nous faire contre la procrastination ? L’ennemi de la productivité. CW : Nous sommes effectivement programmés pour procrastiner, car il est plus facile pour notre cerveau de traiter des informations concrètes plutôt qu’abstraites - et le souci immédiat de s'attaquer à une tâche difficile est très concret. Il est plus

important dans nos esprits que les avantages éventuels de finir par accomplir la tâche. Par exemple, visualisez ce qu’il se passera à la fin de la tâche et comment vous vous sentirez. Mettez-vous des contraintes de temps. Impliquez vos collègues, afin d'ajouter des avantages sociaux à la réussite. Cela peut également aider à réduire les coûts d'action en identifiant les premières étapes pour accomplir cette tâche, ce qui prendrait moins de 5 minutes. Souvent, la raison pour laquelle nous retardons la tâche est parce qu'elle semble trop difficile à commencer - mais il y a toujours une petite étape par laquelle nous pouvons débuter. LFC : Les relations humaines sont très importantes au travail. Comment résoudre les différentes tensions ? CW : Nos relations au travail sont très importantes pour notre santé mentale - c'est pourquoi j'ai beaucoup de techniques pour résoudre les tensions ! Voici une de mes préférées. La tension se présente souvent parce que les gens sentent que vous n’avez pas vraiment entendu et respecté ce qu'ils disent. Donc, si je suis en désaccord avec


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C AROLINE

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EN SITUATION DE CRISE, NOUS DEVONS ANALYSER POURQUOI NOUS AVONS DES AVIS DIFFÉRENTS Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig

quelqu'un, je commence par décrire d'abord ce que je pense du point de vue de l'autre personne, aussi généreusement et positivement que possible. Ensuite, je souligne toutes les idées sur lesquelles nous sommes d’accord - ce qui est souvent une liste étonnamment longue. Une fois que j'ai fait ces deux choses, la glace est brisée, et nous pouvons parler des choses sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Nous pouvons analyser pourquoi nous avons des avis différents. À ce stade, il nous est beaucoup plus facile de trouver un terrain d’entente. LFC : Quand nous avons des journées chargées, nous privilégions les tâches automatiques à la réflexion. Cependant, vous dites que nous devons toujours être en pleine réflexion. Ditesnous en plus ! CW : Notre cerveau utilise toujours deux systèmes complémentaires pour naviguer dans le monde. Le système automatique s'occupe de tout ce que nous faisons inconsciemment. Le système délibéré gère tout ce que nous faisons consciemment, y compris notre capacité de raisonnement, de maîtrise de soi et de planification. Ces fonctions du système délibéré du cerveau sont nécessaires afin que nous nous sentions comme des êtres humains plutôt que comme des animaux. Mais malheureusement, le système délibéré est surchargé et se fatigue facilement, en particulier pendant lors des jours

difficiles - et quand cela se produit, notre système automatique prend le dessus, ce qui nous rend beaucoup plus susceptibles de dire et de faire des choses stupides. Nous devons donc nous assurer que nous donnons à notre système délibéré l'opportunité d'accomplir son meilleur : en ne lançant pas trop d'informations à la fois, en prenant de petites pauses pour lui permettre de redémarrer de temps en temps et en lui demandant de faire une seule chose à la fois. Si nous faisons cela, nous serons plus intelligents et plus gentils, et nous allons pouvoir faire notre liste de tâches plus rapidement !

LA RÉSILIENCE, C’EST LA CAPACITÉ DE RESTER CALME ET DE REBONDIR LORSQUE LES CHOSES NOUS GÊNENT OU NOUS DÉÇOIVENT.


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SE SENTIR MIEUX AU TRAVAIL ? C'EST POSSIBLE ! Par Christophe Mangelle et Quentin Haessig

LFC : Pouvez-vous nous expliquer le phénomène de résilience au travail ? CW : La résilience, c’est la capacité de rester calme et de rebondir lorsque les choses nous gênent ou nous déçoivent. Nous sommes tous confrontés à des problèmes négatifs au travail de temps en temps - des décisions qui ne vont pas dans notre sens ou des collègues difficiles. Il est donc naturel de se fâcher. Mais nous sommes plus en mesure de vivre une vie paisible si nous savons comment gérer notre humeur, en gardant un sentiment de perspective et en restant concentrés sur ce qui compte vraiment le plus. Dans le livre, je parle d'un certain nombre de techniques que nous pouvons utiliser pour améliorer notre résilience - par exemple « l’éloignement », où nous nous demandons ce que nous allons penser d'une mauvaise situation une année après. La recherche a montré que cela réduit notre stress et nous aide à réfléchir clairement à ce qu'il faut faire ensuite, ce qui est très utile. LFC : Vous donnez plusieurs conseils à la fin de votre livre, pour nous aider à garder un bon état d’esprit au travail. Dans la vie, vous êtes coach personnel. L’êtes-vous également pour vos lecteurs ?

Je l’espère ! Il est vrai que je travaille beaucoup avec des gens qui ont des rôles de gestion mais au fil des ans, j'ai également coaché des gens de toutes sortes. J'ai conseillé des entrepreneurs, des artistes, des bénévoles communautaires, des étudiants, des infirmières, du personnel pénitentiaire et des chômeurs à la recherche d'un emploi. Et même lorsque j’organise des ateliers en entreprise, j'enseigne à des gens de différents âges (pas seulement des personnes âgées). C'est pourquoi je voulais écrire un livre qui parlerait à toute personne intéressée par la science et la pratique du perfectionnement professionnel, quel que soit le travail. Si le lecteur me voit comme un entraîneur personnel, alors j’en suis ravie, j'aurais l'impression que mon livre aura servi à quelque chose !

JE VOULAIS ÉCRIRE UN LIVRE QUI PARLERAIT À TOUTE PERSONNE INTÉRESSÉE PAR LA SCIENCE ET LA PRATIQUE DU PERFECTIONNEMENT PROFESSIONNEL, QUEL QUE SOIT LE TRAVAIL.


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ELSA PUNSET VOUS VOULEZ REPRENDRE VOTRE VIE EN MAIN ? TOUT PART EN VRILLE ? POSEZ-VOUS. CES PAGES SONT POUR VOUS. ELSA PUNSET A LA SOLUTION, LE RITUEL QUI VOUS VA APAISER PEU IMPORTE CE QUE VOUS VIVEZ. RENCONTRE. Par Christophe Mangelle Photos : Solar Editions

LFC : Elsa Punset, merci d’avoir accepté notre invitation. Votre actualité c’est la sortie de « Le livre des petites révolutions » qui est disponible aux Éditions Solar. Vous proposez aux lecteurs des rituels qui vont changer leur vie. Comment est né cette idée ?

MON DISCOURS S'APPUIE SUR LA PSYCHOLOGIE POSITIVE.

EP : Ce livre est né dans un aéroport il y a maintenant deux ou trois ans. J’ai commencé à feuilleter un très beau livre avec de magnifiques photos qui proposait des rituels pour le corps. En cinq minutes, on savait comment avoir un ventre plus plat, des bras plus fermes… Tout était très simple. Je me suis dit tout de suite, mais pourquoi on ne fait pas la même chose pour le cerveau, pour faciliter la vie des gens. On a appris pendant des années à prendre soin de son corps, on sait qu’il faut dormir, qu’il faut bien s’alimenter mais on en a presque oublié la santé émotionnelle. LFC : C’est un livre sur les émotions et sur le fait de les assumer. Parfois elles peuvent même être refoulées par la société. EP J’ai voulu mettre dans les mains des lecteurs un livre qui lui permette d’éduquer ses émotions, de changer sa façon de s’entendre avec le reste du monde. Mon discours


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LE BONHEUR, ON NE PEUT PAS LE CHERCHER COMME SI C’ÉTAIT UNE FINALITÉ.

s’appuie sur la psychologie positive. La psychologie, c’est s’occuper de ses émotions lorsque l’on est malade mais la psychologie positive nous aide à être plus actifs. Nous avons la possibilité de gérer ses émotions. LFC : Bien que ce livre soit né dans un aéroport comme vous nous l’avez raconté, avez-vous été influencée par des gens autour de vous ?

Elsa Punset Le livre des petites révolutions, Solar 416 pages, 18,90€

EP : Je m’aperçois, en côtoyant de nombreuses personnes, qu’ils recherchent des solutions concrètes et pratiques. Nous avons trop prétendu que nous étions des acteurs passifs que maintenant, à mesure que l’on nous parle de l’importance de nos émotions, on se rend compte que c’est beaucoup plus facile que l’on ne le pense. Il faut faire l’effort de se connaitre. LFC : Il y a deux cent cinquante rituels dans ce livre, vous êtes une sorte de coach personnelle ? EP : C’est vrai que c’est quelque chose qui faisait peur à mon éditeur, le fait que le livre soit assez volumineux mais je voulais donner l’impression aux lecteurs qu’il y tant de choses

qu’ils peuvent faire. Vous pouvez faire des milliers de choses, ce livre n’est qu’une petite partie et j’espère qu’ils continueront à en découvrir par euxmême. LFC : Ce livre a dû vous demander beaucoup de recherches. Comment avez-vous procédé ? EP : Je me suis inspirée de mes lecteurs anonymes qui m’ont donné beaucoup d’idées, j’ai cherché des conseils de coachs reconnus, de neuroscientifiques. J’ai également travaillé à la télévision en Espagne, ce qui m’a permis de rencontrer des gens très intéressants. J’ai essayé de découvrir tout ce qui pouvait servir aux lecteurs. Aujourd’hui l’information est là, constamment. Mais nous avons à peine le temps d’aller la chercher. Je souhaitais faciliter la vie des gens avec une première sélection de rituels que l’on peut faire de façon très simple. LFC : Dans votre livre, vous ne nous parlez pas de bonheur mais plutôt de mieux vivre. EP : Le bonheur, on ne peut pas le


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MA DÉMARCHE C’EST DE SIMPLIFIER TOUT CE QUE L’HUMAIN A COMPLEXIFIÉ.

chercher comme si c’était une finalité. Un jour, j’ai lu qu’un écrivain avait compté la durée de ces moments de bonheur qu’il avait eu dans sa vie, cela se chiffrait à quinze jours ! (rires) Il faut accepter que c’est une vie compliquée, pleine de crises et pleine de transformations. Ma démarche c’est de simplifier tout ce que l’humain a complexifié. LFC : On comprend à travers votre réponse qu’il existe véritablement un lien entre l’esprit et le corps. EP : Absolument. C’est quelque chose dont on a pris conscience il y a une vingtaine d’années. L’optimisme peut s’entrainer, la négativité peut s’entrainer, nous sommes plastiques, c’est ce que nous dit la neuroscience. C’est une clé extraordinaire que nous donne le vingt et unième siècle. LFC : Vous nous le disiez avant cet entretien, vous souhaitiez toucher le plus grand nombre de personnes en écrivant ce livre. EP : J’ai l’énorme chance d’avoir beaucoup de lecteurs qui en plus sont des chercheurs passionnés de leur

propre vie. Ils essaient d’améliorer leur vie, d’améliorer celles des autres. Je suis en contact permanent avec eux via Facebook et je les consulte souvent pour qu’ils m’aident à trouver les bons sujets à aborder. J’écris et je réécris mes livres beaucoup de fois avant de les publier. Ce c‘est pas facile de dire avec des mots très simples, des choses qui sont profondes et compliquées. LFC : Nous avons une question un peu plus personnelle pour terminer cette interview, est-ce qu’il y a un rituel qui a fonctionné chez vous ? EP : J’ai travaillé à la télévision pendant des années, sur un programme très populaire, et il y a un rituel qui a très bien fonctionné en effet. Vous savez que désormais il existe un indicateur qui vous montre comment vous allez vieillir et quand on le consulte on s’aperçoit que ce sont les gens qui ont de bonnes relations avec les autres qui vieillissent le mieux. L’amour des autres, dans le sens le plus ample possible est très important. Le pouvoir des humains les uns sur les autres est très fort. À l’époque, lorsque j’étais à la télévision, je disais aux spectateurs que les câlins devaient durer au moins six secondes pour qu’il se passe quelque chose dans nos têtes, pour qu’il y ait un effet positif. Depuis dans les aéroports, dans les magasins, je finis toujours par faire des câlins aux lecteurs qui me reconnaissent !


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É RI C

GASPAR ÉRIC GASPAR EST PROFESSEUR DE MATHÉMATIQUES AU LYCÉE PUBLIC JEAN-FRANÇOIS CHAMPOLLION DE LATTES (34). IL NOUS PARLE DE NOTRE INCROYABLE CERVEAU. ENTRETIEN. Par Christophe Mangelle Photo : Charlotte Jolly de Rosnay

LE CERVEAU M’A TOUJOURS FASCINÉ CAR, MÊME AVANT L’ARRIVÉE DES AVANCÉES EN NEUROSCIENCES (GRÂCE À L’IRMF), JE SENTAIS QU’IL S'AGISSAIT D'UNE PARTIE DE MOI QUI SEMBLAIT AGIR SEULE MAIS QU’IL EN ÉTAIT CERTAINEMENT AINSI PARCE QUE JE MANQUAIS D'INFORMATIONS SUR SON FONCTIONNEMENT.

LFC : Comment est née l’idée d’écrire sur le cerveau ? Estce un jour où c’est le vôtre qui vous a joué un tour ? EG : Le cerveau m’a toujours fasciné car, même avant l’arrivée des avancées en neurosciences (grâce à l’IRMf), je sentais qu’il s'agissait d'une partie de moi qui semblait agir seule mais qu’il en était certainement ainsi parce que je manquais d'informations sur son fonctionnement. Et que dans le cas contraire, je pourrais être encore plus « moi ». Oui, comme tout le monde, je suis régulièrement surpris par l’effacement des données par mon cerveau, simplement parce que j’ai oublié de tenir compte de son existence ! Ce qui m'arrive le plus souvent ? Faire demi-tour en voiture, car j’ai oublié de me rendre à un endroit (avec une perte de temps parfois importante). Anecdote : il m’est arrivé un jour de venir en classe en ayant oublié mon cartable à la maison (avec les documents qui l’accompagnaient). Mais il était trop tard pour faire marche arrière. J’ai donc dû improviser toute la journée. Aucunélève ne s’est aperçu de quoi que ce soit mais je me suis alors dit qu’il fallait absolument que je trouve une parade à ces « oublis » .


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ON ESTIME À 95%, LA PART DE DÉCISIONS QUE PREND NOTRE CERVEAU SANS QU'ELLES ACCÈDENT À NOTRE CONSCIENCE. IL NE NOUS AVERTIT PAS DE CE QU’IL FAIT.

Éric Gaspar Incroyable cerveau ! Robert Laffont 168 pages, 17€

LFC : Dans ce livre, vous dites que votre ambition est d’être le trait d’union entre les neuroscientifiques et le grand public. Pouvez-vous préciser votre démarche ?

livre que le cerveau prend un nombre incalculable de décisions sans que nous en ayons conscience. Pourquoi nous procure-t-il cette sensation de manque de maîtrise ?

EG : Oui, être le trait d’union entre ces deux univers est quelque chose qui me tient à cœur. En effet, d’une part, être utile à la société a toujours été mon rêve ultime. D’autre part, l’éclairage scientifique qu’offre les neurosciences sur deux domaines que sont l’attention et la mémoire est désormais basé sur suffisamment de recherches abouties (ce qui n’est pas le cas dans d'autres domaines de neurosciences) pour pouvoir communiquer au grand public (à moins de caricaturer les résultats obtenus). Or j’ai pu constater que les ouvrages déjà parus, se contentaient de recenser les résultats de manière générale sans jamais les relier à notre quotidien … Cela demande au grand public un gros effort d’imagination pour voir le lien entre les deux, ce qui me paraît dissuasif et je trouvais cela dommage. J’ai alors choisi de servir de chaînon manquant et ainsi rendre service au plus grand nombre, comme je le souhaitais, et continue à le souhaiter pour mes ouvrages futurs !

EG : En effet, on estime à 95%, la part de décisions que prend notre cerveau sans qu'elles accèdent à notre conscience. Il ne nous avertit pas de ce qu’il fait. Son objectif est d’agir pour notre bien en optimisant notre dépense d’énergie (car réfléchir consomme de l’énergie et des calories). Pour cela, il nous « exonère » de penser à tout ce qui est autormatisé chez nous, ou qui lui paraît peu important sur le moment. Et c’est justement ce dernier point qui nous procure cette sensation de manque de maîtrise : car sur le moment, « oublier » de faire une tâche donnée est moins important que de regarder la route par exemple si l’on conduit dans une ville inconnue (et on devrait alors remercier notre cerveau) mais va reprendre de l’importance une fois ce moment passé (et c’est là qu’on maudit notre cerveau de ne pas nous avoir averti en permanence notre confiance. Nous sommes très ingrats envers notre cerveau !

LFC : Vous nous rappelez dans votre

EG : Quand le quotidien se passe bien,

LFC : Dans votre livre, vous proposez des exemples concrets de notre quotidien. Pour quelles raisons ?


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ACCEPTER LE PLUS SOUVENT POSSIBLE DE TENTER CE QUI EST NOUVEAU POUR NOUS (MÊME POUR UNE SEULE FOIS). BRISER LES HABITUDES, À NOTRE ENVIE. notre moral est bon, notre créativité peut plus facilement se développer, notre vie est plus heureuse. Tout le monde est demandeur d’astuces pour contribuer à cet état. Mais s’il y a un temps dans la vie pour philosopher (y compris grâce aux neurosciences !), le nombre de situations « concrètes » de notre quotidien est largement plus incalculable. D’autre part, viser dans cet ouvrage les exemples concrets de notre quotidien pemet d’aller directement à ce qui est exploitable dans la minute qui suit la lecture du livre, lorsqu’on le referme ! Une lecture immédiatement rentable en quelque sorte. Ce besoin d’apprendre des notions immédiatement applicables, fait partie des attentes des élèves que j’ai en charge tous les jours. Cela doit certainement jouer dans ma démarche, au delà de mon désir personnel qui est le même ! Et enfin, comme je le disais plus haut, ce type d’ouvrages n’existait pas encore dans les rayons des librairies et cela me manquait. Je me suis alors dit que si cela me manquait, cela devait manquer à beaucoup d’autres personnes ... LFC : Votre livre nous déculpabilise des « bugs » de notre cerveau, vouliez-vous décomplexer le lecteur en l’informant ?

Absolument ! Non seulement décomplexer mais aussi rassurer ! En effet, à l’heure où les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, Parkinson, ou la Sclérose En Plaques, sont en pleine expansion en France (comme ailleurs), beaucoup d’entre nous prennent peur dès qu’ils ne parviennent pas à se rappeler de quelque chose ou à répondre au « multi-tâches » que nous impose la vie moderne. Montrer que « l'oubli » est normal, qu’il est là pour nous permettre de nous concentrer sur le plus important du moment mais que le cerveau est plastique et que chaque jour son architecture interne est modifiée grâce aux stimuations rencontrées, est une bouffée d’oxygène et un boosteur d’énergie pour créer ou vivre en accord avec soi-même, plus apaisé. En connaissant le fonctionnement de notre formule 1, nous sommes encore plus heureux de la conduire. LFC : Avez-vous un conseil à prodiguer à nos lecteurs pour booster leur matière grise ? EG : Bien sûr. Accepter le plus souvent possible de tenter ce qui est nouveau pour nous (même pour une seule fois). Briser les habitudes, à notre envie. Car tout ceci crée imparablement de nouvelles connexions neuronales et booste "la matière grise". Car ainsi, nous accédons plus rapidement à une information, à des liens inédits et créatifs. Le cerveau est paradoxal. Il aime les habitudes car cela rassure une partie de lui-même (cerveau limbique) mais il est à l’opposé très attiré par ce qui est nouveau, et c’est dans ce dernier cas où il crée le plus de nouvelles connexions entre nos 100 milliards de neurones !


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FR É D É RI C SALL É E FRÉDÉRIC SALLÉE REVIENT DANS SON LIVRE "SUR LES CHEMINS DE TERRE BRUNE" SUR L'ALLEMAGNE NAZIE (19331939). ENTRETIEN PASSIONNANT. Par Christophe Mangelle Photos : copyright FS

LFC : Bonjour Frédéric Sallée, vous publiez Sur les chemins de terre brune. Comment est née l’idée d’écrire ce livre sur l’Allemagne nazie (1933-1939) ?

CE LIVRE EST LE FRUIT DE CINQ ANNÉES DE RECHERCHES, À L’ÉPOQUE OÙ JE PRÉSENTAIS MA THÈSE DE DOCTORAT.

FS : Ce livre est le fruit de cinq années de recherches, à l’époque où je présentais ma thèse de doctorat. Il s’agit ici d’une version remaniée et synthétique du projet initial. L’idée est venue d’un constat : l’absence majeure d’ouvrage sur le sujet quand, dans le même temps, l’étude des récits de voyages dans l’URSS stalinienne ou dans l’Italie fasciste avait déjà donné lieu à des ouvrages d’envergure permettant une meilleure compréhension du régime. Jusque-là, le voyage d’Allemagne se réduisait à la figure des Brasillach, Chardonne et consorts lors du fameux voyage d’automne 1941. Or, ce voyage n’est ni un point de départ ni un point d’arrivée. Il s’inscrit dans la continuité d’une pratique initiée depuis 1933 : à savoir celle d’un voyage teinté par la fascination du nazisme. L’idée d’une Allemagne impénétrable relève du fantasme. Hitler lui-même encourage au voyage et ouvre son régime aux visiteurs. C’est en premier lieu pour rompre cette vue de l’esprit d’un nazisme perceptible uniquement par la voie allemande que m’est venue l’idée d’écrire ce livre. La vision de l’étranger


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C’EST EN PREMIER LIEU POUR ROMPRE CETTE VUE DE L’ESPRIT D’UN NAZISME PERCEPTIBLE UNIQUEMENT PAR LA VOIE ALLEMANDE QUE M’EST VENUE L’IDÉE D’ÉCRIRE CE LIVRE. sur un régime influe non seulement sur celui qui le visite, mais également sur celui qui reçoit. Trop longtemps, l’historiographie française –et l’étude du nazisme en particulier - a ignoré les apports de l’école constructiviste, anglo-saxonne notamment. C’est dans cette optique que Sur les chemins de terre brune a été façonné. LFC : De nombreux livres existent sur le sujet, quelle approche proposezvous ? Frédéric Sallée Sur les chemins de terre brune, Fayard Histoire 512 pages, 25€

FS : Ce livre n’est pas un énième livre sur le nazisme. Le cœur de l’ouvrage réside dans l’idée que l’on se fait d’un régime totalitaire, a fortiori celui qui incarne le paroxysme de l’horreur dans les représentations collectives contemporaines. L’approche fondamentale du livre est basée sur la tentative, inévitablement vaine lorsque l’on travaille sur des archives et sur une « histoire en miettes », de produire une histoire globale du phénomène. Par global, entendons deux aspects. Le premier réside dans le nécessaire équilibre entre une histoire « par le haut », articulée autour des récits de voyages de l’intelligentsia, indispensables pour comprendre l’humeur d’une époque, et une histoire « par le bas », ces récits d’anonymes, du quidam, du simple commerçant qui franchit le Rhin pour vendre sa production et qui

en revient pétri d’impressions toutes aussi légitimes qu’un Jean-Paul Sartre en poste à Berlin. Trop longtemps, l’histoire culturelle s’est faite par le prisme de l’histoire des intellectuels. Or, qui de l’intellectuel ou de l’anonyme a le plus de poids dans la construction d’une image politique dans une France pour la moitié rurale ? Le second point novateur se trouve dans la tentative d’embrasser une dimension mondiale de la construction de l’image du nazisme. En effet, s’intéresser aux récits de voyageurs, c’est aussi découvrir le magnétisme nazi, la puissance d’attraction du régime au-delà des frontières du Reich mais également du limes européen. Ainsi, les voyageurs du Proche et du Moyen-Orient, de Chine, du Japon, du Siam, d’Amérique latine, ont joué un rôle majeur dans l’image planétaire du nazisme à l’étranger, en en faisant un produit d’exportation. LFC : Votre livre, c’est la fascination du mal, vous nous rappelez comment l’Allemagne nazie a su attirer des sphères aussi variées que les cercles mondains, les anciens combattants, les diplomates, les journalistes, etc. Dîtes-nous en plus. FS : Vous avez parfaitement choisi le terme de « fascination du mal ». Là où Arendt parlait de la « banalité du mal », il y eut également fascination. Mais celle-ci ne s’est pas nécessairement faite autour de la notion de « Bien » ou de « Mal ». Le nazisme fascine avant tout par ses aspects novateurs. Les étrangers vont en Allemagne chercher une inspiration nouvelle, une forme de modernité


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FR É D É RI C SALL É E Par Christophe Mangelle

politique pouvant donner un second souffle à des démocraties libérales jugées vieillissantes. Dès lors, le regard de l’observateur ne se focalise pas sur ce qui constitue la matrice même du nazisme, à savoir l’antisémitisme et la création d’une communauté nationale fondée sur la pureté raciale, mais se perd sur les prouesses technologiques, sur les œuvres sociales ou encore les avancées économiques. Là où le Troisième Reich était moralement et politiquement condamnable, il devient technologiquement et socialement fréquentable. Concomitamment, c’est tout un monde en microcosme qui se rend en Allemagne, incarnée par des villes devenues lieux de pèlerinage du nazisme en marche : Munich, le berceau ; Nuremberg, le lieu saint ; Berchtesgaden, le confessionnal. LFC : La documentation littéraire du livre est très riche. Comment avez-vous travaillé ? FS : Faire de l’histoire est une broderie. En plongeant dans les archives, d’abord diplomatiques pour retrouver les données matérielles, physiques et quantifiables des voyageurs, on découvre un fil qui s’allonge au

fur et à mesure de son dévoilement. D’abord focalisé sur les récits de voyageurs les plus connus (Alphonse de Châteaubriant, Marc Augier –futur Saint-Loup -, Robert Brasillach, Pierre Drieu la Rochelle), j’ai retrouvé des compagnons de voyage, fréquemment mentionnés, et en creusant, des relations de voyages ont pu être exhumées. Ainsi, du plus célèbre à l’anonyme, les récits de voyages sont liés entre eux dans une organisation réticulaire. Ce sont plus de 1150 voyageurs (dont 10% de femmes) de 52 nationalités différentes qui m’ont permis de réaliser ce livre, basé sur près de 240 récits de voyages. LFC : À qui adressez-vous ce livre ?

FAIRE DE L’HISTOIRE EST UNE BRODERIE.

FS : Ce livre s’adresse aux passionnés d’histoire mais pas seulement. On croit, à tort ou à raison, tout savoir sur le nazisme. La multiplication des documentaires télévisés, les parutions fréquentes d’une littérature grise empreinte de sensationnalisme ou l’inévitable point Godwin ont contribué à placer le nazisme comme un élément central dans le référent culturel de chacun. Pour beaucoup, le nazisme se résume à l’incarnation absolue de l’idéologie


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CE QUI TRANSPARAIT APRÈS UN TEL LIVRE, C’EST LA FORCE DE PERSUASION DES APPAREILS PROPAGANDISTES NAZIS, COUPLÉE À L’ÉTAT DE PERDITION MORALE GÉNÉRALISÉE DES CONTEMPORAINS. L’HISTORIEN DOIT RESTER HUMBLE FACE À CE MONDE EN FRAGMENTATION ET CETTE MARCHE VERS LA DESTRUCTION. mortifère et uniquement à cela. Ce livre s’adresse donc à ceux désireux de connaître la façon dont une telle vision du monde a pu être possible alors que des liens de diplomatie internationale et des visites incessantes de l’Allemagne demeuraient efficientes entre 1933-1939. Le « nous ne savions pas » n’est pas seulement opératoire pour la période 1939-1945. Enfin, cet ouvrage s’adresse également aux lecteurs pétris de culture, souhaitant savoir comment le monde des arts (théâtre, cinéma, chanson), du sport, de l’éducation a vécu ces voyages d’Allemagne et retrouver une nouvelle facette de figures bien connues comme Fernandel, Madeleine Renaud ou encore Sacha Guitry. LFC : Vous êtes agrégé et docteur en histoire de l’université Grenoble-Alpes, spécialiste de l’Allemagne nazie et de ses représentations, comment expliquez-vous cette passion pour le sujet ? FS : Pour ma part, il n’y a pas de passion pour le nazisme mais une profonde aversion. J’ai tenté de faire mien les propos de Spinoza : « Ni rire, ni pleurer, mais comprendre ». Durant mes études, je me suis d’abord intéressé aux crimes du stalinisme dans les démocraties populaires. Puis la querelle Goldhagen autour de la sortie de son ouvrage Les bourreaux volontaires de Hitler a surgi. Jusque-là, je pensais naïvement que tout avait déjà été écrit sur le nazisme et je voyais les querelles entre historiens ressurgirent comme à la fin des années 1980. Dès lors, je me suis rendu compte du fossé béant qu’il y avait en France autour de la méconnaissance du phénomène. Les meilleurs historiens sur le sujet se trouvaient en Allemagne (Hans Mommsen), au Royaume-Uni (Ian Kershaw) ou en Israël

(Saul Friedländer). La recherche française était en retard. Dans le même temps, en France, nous avions la chance d’avoir un pôle dynamique d’histoire culturelle et des représentations. Mêler les deux (nazisme et histoire des représentations) s’est donc naturellement imposé comme une évidence. LFC : Un grand merci, on vous laisse le mot de la fin… FS : Un seul mot ? « Indulgence » serait le plus approprié. Très souvent, la question que l’on me pose est : « Doit-on blâmer ceux qui sont allés en Allemagne et qui n’ont rien vu ? Sont-ils responsables du désastre venu ? ». L’historien ne peut être juge. Et encore moins moralisateur. Ce qui transparait après un tel livre, c’est la force de persuasion des appareils propagandistes nazis, couplée à l’état de perdition morale généralisée des contemporains. L’historien doit rester humble face à ce monde en fragmentation et cette marche vers la destruction. Ce livre évoque des parcours singuliers dans le but de comprendre comment une génération a pu se perdre dans le fatras du discours nazi au point de ne pas en dénoncer les excès.


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BENJAMIN FABRE

ON SUBIT OU ON FAIT SUBIR ? BENJAMIN FABRE VOUS PROPOSE DE TRIOMPHER AU BUREAU AVEC CE PETIT MANUEL DE MANIPULATION PROFESSIONNELLE.

Par Christophe Mangelle Photo : Patrice Normand

À FORCE D’EN OBSERVER LES PERSONNAGES, LES JEUX DE RÔLES ET LES PETITS DRAMES QUOTIDIENS, J’AI EU ENVIE DE DÉCRIRE CETTE COMÉDIE HUMAINE DE MANIÈRE HUMORISTIQUE

LFC : Bonjour Benjamin Fabre, vous publiez « Comment triompher au bureau », comment est née l’idée de ce petit manuel de manipulation professionnelle ? BF : Je connais la vie de bureau de l’intérieur : j’ai été consultant pendant dix ans dans des entreprises de toutes tailles. À force d’en observer les personnages, les jeux de rôles et les petits drames quotidiens, j’ai eu envie de décrire cette comédie humaine de manière humoristique : pendant quatre ans, j’ai écrit une centaine de chroniques dans Management et Cadremploi, où j’ai proposé des conseils iconoclastes pour surmonter tous les pièges de la vie professionnelle (réunions interminables, stagiaires insolents…). Le livre « Comment triompher au bureau » est le best-of de ces chroniques. LFC : À qui adressez-vous ce manuel ? À ceux qui occupent un poste ? Également à ceux qui sont à la recherche d’un emploi ? BF : Les deux. Le premiers tiers est consacré aux techniques d’entretien d’embauche : comment rassurer un recruteur (même quand il vous a grillé sur Facebook avec une photo


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LOIN DE TOUT ANGÉLISME, JE PROPOSE DES TECHNIQUES DE SELF-DÉFENSE, DES VRAIES, AVEC DE LA RUSE, DE LA FOURBERIE, BREF, TOUT CE QU’IL FAUT POUR SURVIVRE À CE NID DE GUÊPES QU’EST L’ENTREPRISE. ŒIL POUR ŒIL, DENT POUR DENT ! compromettante), comment l’amadouer, comment le faire vibrer... Car la meilleure manière de séduire un recruteur, c’est de lui donner une émotion… J’en ai même fait une vidéo ! https://www.youtube.com /watch?v=59ZfhsLasq0&t=1s Le reste du bouquin s’adresse à ceux qui sont en poste : savoir esquiver les réunions inutiles, briller même quand on n’a rien compris, rédiger une présentation qui claque, répondre aux réflexions machos… Benjamin Fabre Comment triompher au bureau Robert Laffont 198 pages, 17€

LFC : Vous proposez des conseils pour survivre dans le monde impitoyable du travail. Avec un humour grinçant. Dites-nous en plus. BF : Disons que mes conseils ne sont pas parfumés à l’eau tiède comme certains bouquins de psychologie ou de méditation. Loin de tout angélisme, je propose des techniques de selfdéfense, des vraies, avec de la ruse, de la fourberie, bref, tout ce qu’il faut pour survivre à ce nid de guêpes qu’est l’entreprise. Œil pour œil, dent pour dent ! LFC : Après lecture de votre livre, on retient qu’il faut prendre toute cette pression avec plus de recul, de

légèreté. Ce n’est que du travail, après tout. Que pensez-vous de ce ressenti ? BF : Votre ressenti est excellent. Car la vérité, c’est que le but de mon livre est moins de fournir aux lecteurs des conseils à appliquer au pied de la lettre que des clés pour dédramatiser ces situations. Pour les regarder avec une dérision quasi-thérapeutique. Que vous appliquiez mes techniques ou non, le simple fait de les lire vous fera rire et vous permettra de prendre la distance. C’est déjà un début, non ? LFC : À la fin du livre, vous consacrez cette partie au management. Le moment où on peut savoir ce qui se trame dans la tête de notre manager. BF : Eh oui. Ce n’est pas facile d’être manager, vous savez. Il y a une vraie solitude. Et surtout une masse incroyable de problèmes humains à gérer, de gens qui viennent pleurnicher dans votre bureau.. Comment gérer un type qui vous casse l’ambiance dans l’équipe ? Une équipe de bras cassés ? Comment communiquer avec un mutique profond ? Parfois, cela peut être utile de se mettre dans la peau du chef. Car cela pourrait bien vous arriver un jour… LFC : Un grand merci Benjamin Fabre, on vous laisse le mot de la fin… BF : Je l’emporte avec moi.


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VOLKER WITTKAMP

L'UROLOGUE QUI VA DÉCOMPLEXER LES GARÇONS QUI RENCONTRENT DES SOUCIS DE SANTÉ SUR LEURS PARTIES INTIMES. ET CE LIVRE S'ADRESSE AUSSI AUX FEMMES. SI, SI ! RENCONTRE.

Par Christophe Mangelle Photo : copyright Presses de la cité, libre de droit

Entretien avec un urologue plein d'humour.

LFC : Vous êtes urologue et vous publiez « Bien dans mon slip », comment est née l’idée d’écrire et publier ce livre ?

J'AI ÉCRIT CE LIVRE POUR RACONTER AUX GENS LA MERVEILLE HISTOIRE DE L'UROLOGIE ET PEUT-ÊTRE LES DÉCOMPLEXER AVANT QU’ILS PRENNENT UN RENDEZ-VOUS.

VW : J'ai écrit ce livre pour raconter aux gens la merveille histoire de l'urologie et peut-être les décomplexer avant qu’ils prennent un rendez-vous. Beaucoup de gens ne savent pas exactement ce qui se passe chez l'urologue et ne comprennent pas que parfois, les femmes sont obligées d’y aller. Dans ce livre, vous pouvez également en apprendre beaucoup sur votre corps. Que vous soyez jeune ou vieux, homme ou femme. LFC : Au programme de votre bouquin, tout y passe : le pénis, le testicule, le sperme, les hormones, la prostate, la vessie et les reins. Pourquoi cette envie de tout déballer dans un livre ? VW : Parce que c'est tout ce qui est traité par un urologue. Les gens en savent trop peu sur ces thèmes. Et ne vous inquiétez pas, la liste ressemble un peu à un manuel, mais ce n'est pas du tout ça. Il y a aussi de très beaux graphiques. LFC : Vouliez-vous à la fois informer et briser certains tabous masculins ?


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JE PENSE QUE L'INTERACTION EST UNE BONNE CHOSE POUR GARDER LE LECTEUR EN ÉVEIL. GÉRARD COLLARD VIENT DE DIRE À LA TÉLÉVISION FRANÇAISE QUE MON LIVRE DEVRAIT ÊTRE UTILISÉ DANS LES ÉCOLES EN FRANCE. ÇA NE ME DÉRANGE PAS. AU CONTRAIRE. ALORS OUI, C'EST UN OUTIL DE PRÉVENTION, POUR LES JEUNES ET LES MOINS JEUNES.

VW : Oui, comme je l'ai dit, ce serait une bonne chose de savoir que certains patients sont moins complexés. J’espère qu’ils en apprendront un peu plus sur leur corps, spécialement « sous la ceinture ». Une lectrice de cinquante ans m'a écrit, elle a lu le livre avec la toute la famille. Mari et fils. C'était une réaction vraiment touchante. LFC : Le ton de votre livre se veut drôle et sérieux… Pour quelles raisons ? Volker Wittkamp Bien dans son slip 224 pages, 20€

VW : L'humour aide à rendre le sujet plus intéressant et bien sûr, il rend la lecture plus agréable. Néanmoins, vous devez parfois laisser de côté l'humour lorsqu’il s’agit de sujets plus sérieux. LFC : Vous proposez des anecdotes, des tests personnels, des quiz et des illustrations. Votre démarche était de créer une interaction forte avec le lecteur. Votre bouquin est-il un outil de prévention ?

VW : Je pense que l'interaction est une bonne chose pour garder le lecteur en éveil. Gérard Collard vient de dire à la télévision française que mon livre devrait être utilisé dans les écoles en France. Ça ne me dérange pas. Au contraire. Alors oui, c'est un outil de prévention, pour les jeunes et les moins jeunes. LFC : Quel conseil prodiguez-vous à nos lecteurs et lectrices ? VW : Si vous faites face à des problèmes sexuels, discutez-en avec quelqu'un, au mieux avec votre partenaire. Et s'il vous plaît, n’attendez pas un mois avant de contacter un urologue. Parfois, une courte discussion résoudra le problème que vous avez et s'il s'agit de quelque chose de sérieux, c’est encore plus important de commencer à le résoudre ou à le diagnostiquer. Ah oui et arrêtez de fumer, si vous ne voulez pas avoir un cancer de la vessie ou d’autres cancers. Oui je sais, c’est dur…


INTERVIEW

ISABELLE PAILLOT AUDREY AKOUN

LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017


entretien avec Isabelle Paillot et Audrey Akoun

Vive les zatypiques ! Psychologues et psychothérapeutes, Audrey Akoun et Isabelle Pailleau ont fondé La Fabrique à Bonheurs,organisme de formation en pédagogie positive. Mères de sept enfants atypiques, psychologues d’enfants, d’ados et d’adultes atypiques, elles sont elles-mêmes atypiques et heureuses de l’être ! Rencontre.

PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOS : ANNA PHOTOGRAPHIES

LFC : Isabelle Paillot et Audrey Akoun, merci d’avoir accepté notre invitation pour parler de votre livre Vive les Zatypiques ! Tout d’abord, pouvez-nous nous expliquer ce titre ?

Nous avons décidé de nous

IP : Nous avons sept enfants à

arrêter à la vingtaine, ce qui

nous deux et ils sont tous

nous semblait raisonnable.

atypiques. Le plus grand a vingttrois ans et le plus petit a sept

LFC : Comment est né l’idée d’écrire ce livre ensemble ?

ans. Nous les avons tous accompagné dans des parcours très différents, et on peut dire

AA : Les Zatypiques, ce sont tous les

AA : Nous sommes un vieux

qu’ils nous en ont fait voir de

enfants qui ne sont pas des modèles,

couple ! Ça fait quinze ans que

toutes les couleurs ! Cette

des stéréotypes, qui ne font pas partie

l’on se connaît, que nous

pédagogie positive que nous

de la norme et qui ont du mal à

sommes amis, que nous sommes

avons installé avec le temps,

s’adapter à un moule qui est de plus en

pacsées professionnellement.

nous avons ensuite pu l’utiliser

plus contraignant. Notre postulat,

Isabelle est psychologue du

dans notre cabinet avec d’autres

c’était de se dire que ce n’est pas à

travail et des apprentissages,

enfants hors cadre.

eux de s’adapter à ce moule qui

moi je suis psychologue

n’accepte pas la différence.

comportementaliste et cognitiviste. Nous avons

LFC : Ce qui est intéressant dans votre livre, c’est que vous parlez des enfants de trois à vingt ans. Pourquoi ne pas s’être arrêté à dixhuit ans, l’âge légal ?

développé ensemble une méthode inspirée de la psychologie positive et il y a

LFC : Vous transformez les épreuves difficiles en quelque chose de positive, mais ce n’est pas un résultat immédiat, c’est un vrai parcours.

quelques années, on nous a demandé d’écrire sur notre

IP : Au départ, on se dit que

approche avec les enfants, les

l’atypisme de notre enfant ne

IP : À vrai dire, nous aurions même pu

familles… Depuis on a cette

pose pas de problème. Il va

aller jusqu’à vingt-cinq ans. À cet âge,

chance de pouvoir continuer à

commencer à poser un problème

le cerveau est encore en plein

écrire. Ce livre là, ça fait des

quand on va l’exposer à la

développement.

années qu’il germe !

société, lorsqu’il va entrer à

LFC MAGAZINE #3 166


l’école. Le fait que l’on nous dise que notre enfant se comporte de telle ou telle façon, qu’il est pleurnichard, qu’il est turbulent, ça abîme. Notre démarche, c’est de regarder le problème sous un autre angle. Pour retrouver de la confiance sur des enfants, des ados qui sont hypersensibles, ça ne se fait pas en cinq minutes.

AA : Ce livre nous tenait vraiment à cœur car nous en avons marre des enfants, et même des adultes, qui ont souffert et qui sont aujourd’hui en burn-out, en dépression, qui ont l’impression d’avoir loupé leur vie. Ce n’est plus possible de voir autant de souffrance dans les familles, on veut que ça change. Ce livre s’adresse aux enfants, qui un jour deviendront des adultes et travailleront dans des entreprises où parfois l’atmosphère y est

Nous ne sommes donc pas tous atypiques car il y a des comportements et des idées qui sont partagés par la majorité.

très violente. Vous parliez du burn-out précédemment, qui est plutôt une bonne chose car il permet de se rendre compte que l’on est pas à sa place.

IP : Le burn-out c’est quelque chose de douloureux mais c’est une bonne chose pour se rendre compte de ce que l’on désire vraiment. Est-ce qu’il vaut mieux continuer et aller directement dans le mur ou est-ce qu’il vaut mieux s’arrêter et se remettre en question ?

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entretien

Vive les zatypiques ! AA : D’ailleurs, nous avons chacune fait deux burn-out, à des périodes différentes de nos vies. Nous avions une vie formatée et nous n’étions que des bons petits soldats. Un enfant, lorsqu’il se lève le matin, il ne se dit pas qu’il va embêter ses parents, il veut simplement faire plaisir pour être aimé. La plupart des enfants veulent juste bien faire. Il y a de plus en plus d’enfants qui font des burn-out et qui sont en décrochage

LFC : Il y a également toute une partie où vous abordez le thème des jeux vidéos. Ces enfants s’enferment dans un monde dans lequel il est difficile d’établir une relation.

scolaire et ça, ce n’est pas normal. IP : Ce qu’on dit sur les enfants

LFC : Lorsqu’on termine ce livre, on se dit que finalement, nous sommes tous atypiques. Êtes-vous d’accord ?

qui sont accros aux jeux vidéos, c’est que ce n’est pas grave de jouer, c’est même très bien.

AA : C’est différent. Nous sommes tous uniques et originaux mais il n’y a

Certains parents pensent que

qu’un seul exemplaire de chacun dans le monde. Si on se penche sur

leurs enfants sont dans un monde

l’étymologie du mot atypique, c’est quelqu’un qui n’est pas typique et

virtuel mais c’est faux puisque

typique c’est quelque chose qui est partagé par la norme et la majorité

dans des jeux comme League Of

des gens. Nous ne sommes donc pas tous atypiques car il y a des

Legend ou WOW, ils sont en

comportements et des idées qui sont partagés par la majorité.

communication permanente avec d’autres personnes. Ça devient

IP : Il y a vingt-cinq pour cent des gens qui se sentent en décalage.

inquiétant quand l’enfant se

Cependant, parmi ces gens, il y en a quand même qui vont réussir à tirer

désociabilise complètement, ne

quelque chose de positif de cette situation. On ne dit surtout pas

dort plus, oublie de manger ou de

qu’être atypique c’est mieux, on dit seulement que ce n’est pas moins

boire.

bien. C’est autre chose. AA : Il y a d’ailleurs l’exemple d’un

LFC : Vous parlez de sensibilité dans ce livre, et on s’aperçoit que ça peut vite devenir un handicap.

enfant dans le livre qui réalise son rêve en devenant un des meilleurs joueurs de jeux vidéos

IP : Oui c’est un handicap et toujours pour la même raison : ça n’est pas

en Europe et qui, du jour au

valorisé. La sensibilité et l’hypersensibilité, c’est une vraie arme de Jedi.

lendemain se dit qu’il va faire

On peut capter plein de choses, mais encore faut-il savoir l’utiliser. On

autre chose. Je trouve admirable

aura toujours tendance à dire, pour les garçons le plus souvent, que

que des parents arrivent à mettre

parfois ce sont des chochottes, et que les filles sont des pleureuses mais

leur angoisse de coté pour ne

si l’on vivait dans une société qui valoriserait et accepterait

pas casser les rêves de leurs

l’hypersensibilité, ce serait différent.

enfants et les soutenir à fond.

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INTERVIEW

SIDONIE BONNEC MARIE DRUCKER

LFC MAGAZINE #3 Octobre 2017


entretien avec Marie Drucker et Sidonie Bonnec

Nous voulions que ce guide soit votre meilleure amie ! Sidonie Bonnec est journaliste. Elle a présenté Les Maternelles sur France 5 et anime tous les soirs La curiosité est un vilain défaut sur RTL, avec Thomas Hugues. Elle a mis au monde une fille le 14 août 2014. Journaliste pendant plus de vingt ans, Marie Drucker est présentatrice sur France 2, réalisatrice et productrice. P R O P O S R EElle C U Eest I L Lmaman I S P A R Cd’un H R I Spetit T O P Hgarçon E MANG né E Len L E 2015. PHOTO : CHARLOTTE SCHOUSBOE

LFC : Bonjour Marie et Sidonie, comment est né ce bébé commun, ce guide pour faire face sereinement à l’arrivée d’un enfant ? Marie : Je m'étais rendu compte

maman entre rires, larmes,

nous avions la volonté d'écrire un

ratages et joies ! Il y a aussi

guide donc, par nature, cet

beaucoup d’amitié et de

ouvrage est là - du moins, nous

bienveillance dans ce livre, on

l'espérons ! - pour "guider" les

s’est beaucoup aidé avec Marie

femmes dans ces différentes

et nos amies… On partage cela

étapes.

avec nos lectrices et lecteurs.

qu'il m'avait fallu lire beaucoup de livre et consulter beaucoup de forums pour trouver des réponses aux questions que je me posais

Sidonie : Nous voulions que ce

LFC : Comment avez-vous travaillé l’écriture de ce livre à deux ?

pendant ma grossesse. Souvent, Marie : Chacune de nous écrivait

j'appelais ! À la rentrée 2015, en

un chapitre puis l'envoyait à

plaisantant, je lui ai dit "tu sais le

l'autre pour qu'elle corrige,

livre, le guide qui nous a manqué…

améliore, ajoute et ainsi de suite.

Nous devrions l'écrire pour les

Nous avons tout de suite soumis l'idée à Sophie de Closets chez Fayard qui a été très enthousiaste.

Sidonie : C’est formidable de pouvoir allier nos deux facettes : journaliste et maman ! Le travail de la journaliste qui collecte les informations les plus précises et

LFC : Cinq parties composent le livre, vous parlez du moment où la femme est enceinte, quand elle va à la maternité, quand elle en rentre, de la période 1 mois à 1 an et de la période d’après… Tout cela s’inscrit dans une chronologie logique. C’était évident pour vous ?

utiles confronté et associé à l’expérience de terrain de la

pleine de bon sens et d’expérience qui vous accompagne à chaque instant de la grossesse aux deux

d'ailleurs, c'est Sidonie que

autres !" C'est parti comme ça…

guide soit votre meilleure amie

ans de votre enfant !

LFC : Vous précisez que toutes les informations et les conseils ont été vérifiés auprès de médecins et spécialistes. Marie : C'était capital pour nous d'enrichir notre expérience de celle des gynécologues, sagesfemmes, ostéopathes, psychologues… Dans ce guide, nous allons bien au-delà de notre seule expérience. Il fallait penser à toutes les angoisses et les difficultés qui n'ont pas forcément

Marie : Oui, c'était évident car

été les nôtres pour que cet

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ouvrage s'adresse potentiellement à toutes les femmes enceintes et les jeunes mamans.

LFC : Ce guide est très sympa : il est à la fois informatif et ludique. Pourquoi ce choix des illustrations ? Marie : C'est Sidonie qui avait repéré le talent de Pauline Aubry ! Nous cherchions quelqu'un qui fonctionne comme nous : sans mièvrerie, avec humour et dont les dessins seraient une source supplémentaire d'information et d’identification.

Sidonie : Tous ces dessins sont le fruit - comme le reste du livre - de notre expérience et de nos mésaventures… ils déculpabilisent beaucoup, vous verrez !

LFC : Seriez-vous prêtes à donner rendez-vous à vous lectrices 15 ans plus tard ? Sidonie : Allez rendez-vous dans 15 ans !

Marie : Évidemment !

LFC : En bonus du livre, on trouve le nouveau dico, être maman, c’est se familiariser avec un nouveau langage ? Marie : Oui, c'est devoir maitriser mille nouvelles choses en un temps record, notamment un nouveau langage… Au sens large!

Sidonie : Quand on devient maman ou papa, on est frappé par cette nuée de vocabulaire qu’il faut maitriser, on vous fait gagner du temps, on a tout collecté et décrypté !

LFC : Envie d’écrire un autre ouvrage ensemble ? Un autre projet en commun en dehors du livre ? Marie : C'est en...Gestation !

Sidonie : Le petit fait son nid…

LFC : Un grand merci Marie et Sidonie, on vous laisse le mot de la fin... Marie et Sidonie : On est très heureuses de la version mini de notre guide, on est ravies de pouvoir se glisser dans vos poches, pour vous aider à tout moment. Vous ne serez plus seules !

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LFC MAGAZINE #3


LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017

3 questions à ...

SANDRINE ROUSSEAU


3 questions à...Sandrine Rousseau

Parler, c'est dire qu'il n'y a pas de fatalité, que l'on peut relever la tête. Sandrine Rousseau est secrétaire nationale adjointe d'Europe Écologie-Les-Verts. Elle est l'une des quatre femmes politiques à avoir témoigné à visage découvert au Printemps 2016 dans ce que l'on a appelé "l'affaire Denis Baupin", classée sans suite en mars 2017 pour prescription. Aujourd'hui, elle publie Parler aux éditions Flammarion, livre qui a fait beaucoup de bruit dans On n'est pas couché avec Christine Angot. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : ASTRID DI CROLLALANZA FLAMMARION

LFC : Bonjour Sandrine Rousseau, un grand merci de répondre à nos questions, vous êtes secrétaire nationale adjointe d’Europe Écologie-Les Verts, vous êtes l’une des quatre femmes politiques à avoir témoigné à visage découvert au printemps 2016 dans ce que l’on a appelé "l’affaire Denis Baupin", classée sans suite en mars 2017 pour prescription. Vous publiez Parler aujourd’hui, pour quelles raisons avez-vous souhaité écrire ce livre ?

LFC : Vous avez participé à l’émission On n’est pas couché. Regrettez-vous votre participation ?

Femmes au Travail (AVFT), quel rôle tenez-vous au sein de l’association ? Quelle est la mission de l’association ? Avec quels moyens ?

SR : Je n'imaginais pas que cela se

SR : Je suis simple adhérente de cette

passerait ainsi et cette émission

association. Elle nous a beaucoup aidées

m'a fait du mal. Mais il faut la

tout au long du parcours. Cette

regarder comme servant une cause.

association accompagné les femmes qui

La violence que provoque la parole,

ont subi des violences sur leur lieu de

la mise en doute de cette parole, le

travail. Elle accompagné juridiquement et

renvoi de l'agressivité sur celles qui

gratuitement. C'est la raison pour laquelle

parlent. Tout cela est dans cette

une partie des droits d'auteur lui sont

séquence. Il faudra la regarder de

reversés.

nouveau pour bien comprendre tout

En parallèle je crée une association

ce qui s'y passe, au delà des

intitulée Parler pour créer un réseau de

larmes.

victimes et une solidarité entre nous.

SR : Ce livre je l'ai fait pour dire

Je ne regrette pas parce que ce

Donnons nous de la force .

voilà ce que j'ai vécu. Voilà ce

passage a été utile. Je crois qu'à

que l'on vit quand on parle. Ce

l'issue de cette émission des

n'est pas facile. Parfois même on

personnes qui ne s'étaient jamais

trébuche. Les histoires familiales

posées de questions ont commencé

peuvent ressortir alors qu'elles ont

à regarder et s'interroger sur les

été enterrés longtemps. Mais

violences sexuelles et leurs

Parler c'est aussi guérir et se

conséquences.

réconcilier avec nos mères, nos

grands mères. Dire qu'il n'y a pas de fatalité, que l'on peut relever la tête.

LFC : Pouvez-vous nous parler de l’Association européenne contre les Violences faites aux LFC MAGAZINE #3 173


LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017

3 questions à ...

INTERVIEW

DAVINA


entretien avec Davina

L’amour est ma religion, les autres sont mon univers, l’infini est ma vérité. Après un succès colossal de Gym Tonic sur TF1 pendant sept ans, profondément croyante, dans les années 2000, Davina devient nonne bouddhiste et vit dans un monastère à Poitiers. Elle pratique la prière, la méditation et elle anime des ateliers de Yoga. Son chemin aujourd'hui, c'est la spiritualité, parcours qu'elle souhaite partager avec son public. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTO : DR ÉDITIONS LEDUC.S

LFC : Vous publiez un livre-CD « La magie de la prière ». Comment est née l’idée d’écrire ce livre ?

bases par ma mère

bouddhiques anciens, définissant

profondément engagée

pour moi le sens des vœux de

spirituellement. Grâce à une

moniale. Une autre rencontre

transmission dénuée de

avec un grand maître tibétain me

dogmes, j’ai tout au long de

permit de me rendre au Tibet

D : Ce sont les éditions Leduc.s

mon enfance et adolescence

pour y recevoir l’ordination à

qui m’ont demandé si le sujet

parcouru les voies spirituelles

laquelle j’aspirais. C’était il y a

m’intéressait et si j’avais envie

tracées par Jésus et le

quatorze ans. J’ai quitté le

d’écrire un livre sur la prière. Ce

Bouddha. Très jeune, une

monde sans m’en séparer

que j’ai accepté d’emblée avec

vocation de religieuse

vraiment puisque au monastère

beaucoup d’enthousiasme

catholique est apparue en mon

Chökhor Ling que j’ai créé avec

puisque c’est ma pratique bi-

esprit mais celle de danseuse

une autre moniale, nous

quotidienne depuis l'enfance.

classique s’est imposée au choix

organisons des retraites

de ma famille. Ce n’est que bien

collectives et des journées

plus tard après une carrière

d’enseignements de

d’opéras en tournée avec le

connaissances et de pratiques.

LFC : Vous êtes profondément croyante, dans les années 2000, vous devenez nonne bouddhiste et vous vivez dans un monastère à Poitiers. Vous enseignez la pratique de la prière, la méditation et vous animez des ateliers de Yoga. La spiritualité, c’est votre chemin. Pouvez-vous raconter votre parcours en quelques lignes à nos lecteurs.

célèbre danseur-chorégraphe Jean Babilée, puis un très grand succès télévisuel avec l’émission Gym Tonic de Véronique et Davina qui a duré 7 ans, que j’ai décidé d’entrer dans les ordres monastiques du bouddhisme

LFC : Dans votre livre, vous proposez aux lecteurs 50 prières laïques et universelles qui font du bien au quotidien. À qui adressez-vous cet ouvrage ?

tibétain. Une rencontre

« La Magie de la » est destiné à tous,

privilégiée avec Sa Sainteté le

D : Le livre

Dalaï Lama en 2003 et un

Prière

pèlerinage en Birmanie furent le

croyants et incroyants, parce que

D : Je suis née dans un berceau

déclic qu’il me fallait pour

nous aspirons tous au bonheur et

de spiritualité christique et

m’engager dans l’étude très

à la paix, prier de cette manière

bouddhique, élevée sur ces

approfondie des textes

permet d’y accéder.

LFC MAGAZINE #3 175


La bonté, la générosité et l’authenticité font partie des qualités qui rendent la vie heureuse. Prier, c’est entrer en contact avec le meilleur de soi-même. Nous pouvons tous le faire !

LFC : Votre livre a une approche plus spirituelle que religieuse. Que pensez-vous de cette remarque ?

profondes et si belles qu’elles permettent à l’auditeur de suivre le trajet méditatif jusque dans les plus profondes

D : La nature profonde de tout être est spirituelle, il n’est pas

consciences de son être. C’est un moyen

nécessaire d’entrer en religion pour devenir un bon être humain. La

d’accéder plus facilement à la pratique

bonté, la générosité et l’authenticité font partie des qualités qui

de la méditation.

rendent la vie heureuse. Prier, c’est entrer en contact avec le meilleur de soi-même. Nous pouvons tous le faire !

LFC : Prier pour se guérir, est-ce connecter sa tête avec son corps ?

LFC : Vous consacrez ce livre à faire du bien aux lecteurs. Et vous, cela vous fait-il du bien ? D : Les vœux monastiques bouddhistes

D : Les prières de guérison s’adressent à la part de soi qui ne sera

engagent à porter plus d’attention aux

jamais malade et qui dispose de la force nécessaire pour mieux vivre

autres qu’à soi-même, ce qui est cause

l’épreuve de la maladie et en guérir. Le corps est périssable mais

d’un grand bonheur. De ce fait, oui,

l’âme-esprit est à jamais intouchable, et lorsque l’esprit accepte de

partager les valeurs spirituelles

vivre différemment une histoire difficile, il va guérir de ses tourments.

essentielles est pour moi ce qui est le plus

La suite appartient à l’énergie de la vie qui est toujours d’une

important.

manière ou d’une autre à l’œuvre de réparation.

LFC : Dans ce livre, il y a un CD. Pourquoi ?

LFC : Un grand merci pour vos réponses Davina, on vous laisse le mot de la fin…

D : Le livre est accompagné d’un CD musical et de prières-

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méditatives guidées par ma voix. C’est un incomparable plus, car les

D : L’amour est ma religion, les autres sont

musiques du compositeur Stephen Sicard (Logos) sont si

mon univers, l’infini est ma vérité.

LFC MAGAZINE #3


LFC MAGAZINE #3 Octobre 2017

L'acteur principal du film DHEEPAN de Jacques Audiard se confie...

INTERVIEW

ANTONYTHASAN JESUTHASAN ALIAS SHOBA


entretien avec Antonythasan Jesuthasan

De l'exil à la Palme d'Or Quand la réalité dépasse la fiction. Le film Dheepande Jacques Audiard retrace l'histoire d'un réfugié tamoul en France, il est sélectionné, en compétition, au Festival de Cannes 2015 où il remporte la Palme d'or. 2017, l'acteur principal du film, Antonythasan Jesuthasan se confie dans un livre sur son parcours de réfugié. Entretien exclusif avec le comédien et sa co-auteure Clémentine V-Baron. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTO : D.R. LE LIVRE DE POCHE, SYLVAIN HOAREAU

LFC : Comment est née l’idée de raconter votre parcours incroyable dans un livre ?

responsable de la guerre ? Je pense que les pays européens jouent aussi un rôle dans tout cela : colonialisme, néo-colonialisme,

LFC : Vous nous expliquez avoir plusieurs noms : Antonythasan, Shoba… Pouvez-vous en dire plus à nos lecteurs ?

Shoba : J’ai écrit ce livre pour

vente d’armes, etc. Ils devraient

sensibiliser les lecteurs. Qui sont les

prendre leurs responsabilités et

Shoba : Bonne question… Mon prénom

réfugiés ? Pourquoi sont-ils là ?

accueillir les réfugiés.

est Antonythasan, mais quand j’ai

Pourquoi viennent-ils en France ?

rejoint le LTTE (mouvement

Beaucoup de personnes ne savent pas

Clémentine : En tant que

indépendantiste tamoul) j’ai reçu un

ce qu’il s’est passé au Sri Lanka et ce

journaliste, j’ai travaillé en

nouveau nom. Ensuite, j’ai vécu de

qu’il se passe encore aujourd’hui. D’un

2015-2016 à la réalisation d’un

nombreuses années sans papiers. J’ai

autre côté, ils voient des gens dans les

recueil de témoignages de

voyagé sous différentes identités… Les

rues de Paris, parmi lesquels se trouvent

migrants et réfugiés (Les Oiseaux

personnes que je rencontrais en chemin

de nombreux réfugiés Sri Lankais. Alors,

migrateurs, éd. L’Harmattan).

me connaissaient sous ces noms

je voulais leur expliquer pourquoi tous

C’est dans ce contexte que j’ai

d’emprunt. Et puis, quand j’ai

ces Sri Lankais viennent trouver refuge

contacté Shoba pour la première

commencé à écrire, j’ai dû prendre ce

en Europe et raconter à quel point ce

fois. Il a tout de suite été

pseudonyme, Shoba, pour des

voyage est difficile… Tandis que les

d’accord pour me confier son

questions de sécurité. Vous pouvez

gouvernements européens voient

témoignage. Il tenait également à

m’appeler comme vous voulez, tous les

ressurgir des partis d’extrême droite qui

partager son expérience pour

noms me conviennent. Parfois j’en

font de la propagande anti-réfugiés et

sensibiliser le lecteur français sur

oublie mon véritable nom !

qui ferment les frontières, je voulais

la difficile vie des réfugiés, mais il

partager mon expérience. Nous ne

m’a précisé que son parcours

sommes pas des migrants

était long et compliqué et que

économiques, nous sommes des

son histoire pourrait faire un livre

réfugiés politiques. La guerre est

à elle seule… L’idée était toute

responsable de notre exil, mais qui est

trouvée !

LFC : Nous sommes en 1983, au Sri Lanka, le pays bascule dans la guerre civile. Vous êtes obligé de vous résoudre à l’exil. Raconteznous.

LFC MAGAZINE #3 178


CLEMENTINE V-BARON, CO-AUTEURE

Je n’ai pas beaucoup de bons souvenirs du Sri Lanka, car j’ai grandi avec la guerre. S : 1983 est la date officielle, mais en vérité, la guerre a commencé dès les années soixante-dix au Sri Lanka. J’ai grandi avec… C’est vrai qu’en 1983, il y a eu un tournant important. À partir de cette année-là, beaucoup de Tamouls ont fui

vers l’Europe. Moi, je n’aurais jamais

LFC : Que retenez-vous de cette terrible expérience, l’exil ?

imaginé quitter mon pays ! Je pensais que je pouvais affronter les militaires Sri Lankais,

S : Si je n’étais pas parti, je serai mort à l’heure qu’il est. Aujourd’hui,

c’est pourquoi j’ai choisi de rejoindre le

je suis en exil, mais j’ai beaucoup de liberté. Alors oui, je suis

LTTE, le mouvement indépendantiste tamoul.

nostalgique, beaucoup de choses me manquent, mais le plus

En 1986, j’ai quitté le mouvement pour

important c’est de jouir de cette liberté d’expression que j’ai ici. Je

différentes raisons et j’ai été persécuté pour

ressens cela profondément. À vrai dire, je n’ai pas beaucoup de bons

cette désertion, mais je ne songeais toujours

souvenirs du Sri Lanka, car j’ai grandi avec la guerre. Une fois que la

pas à partir. Finalement, en 1988 les

décision de partir a été prise, j’étais soulagé. Chaque jour je

militaires indiens, alliés du gouvernement Sri

m’éloignais du Sri Lanka et chaque jour j’étais un peu plus rassuré.

Lankais, me recherchaient. Vous ne savez

Combien sont restés ? Combien sont morts ? Mais moi j’ai réussi à

pas à quel point ils sont dangereux et

m’échapper, alors je suis heureux.

impitoyables… Alors j’ai fini par renoncer et prendre la route de l’exil.

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LFC MAGAZINE #3

LFC : Vous croisez la route du réalisateur de Dheepan et vous devenez l’acteur principal du film qui a eu la palme d’or à Cannes. Quelle trajectoire ! Vos impressions ?


entretien avec Antonythasan Jesuthasan

J’ai été très heureux de travailler avec Jacques Audiard. S : J’ai été très heureux de travailler

Je crois en mon talent. Si je

S : Dheepan est sorti en 2015.

avec Jacques Audiard. Avant de le

n’étais pas parti, je serais peut-

Pendant cette période j’ai reçu de

rencontrer, j’avais vu ses films et

être devenu acteur là-bas, au Sri

l’argent, mais un an et demi après,

j’admirais déjà beaucoup son travail.

Lanka. S’il n’y avait pas eu la

j’étais toujours sans emploi. Le film

J’étais aussi enthousiasmé par le

guerre… Au contraire, je pense

Roobha avait un tout petit budget

scénario : dans ce film, je représente

que c’est encore plus difficile de

et le réalisateur était un ami, alors

les réfugiés. Et puis, c’est la première

percer quand on est réfugié dans

j’ai été défrayé pour participer au

fois que l’on parle de la situation au

un pays étranger. On a beaucoup

tournage pendant un mois au

Sri Lanka dans le cinéma français.

moins de chance de succès, car

Canada, mais je n’ai pas eu de

C’est quelque chose d’important. Je

on ne connaît pas la langue, la

salaire. Donc mon premier salaire

suis très fier. Mais au final, je ne suis

culture, on n’a pas de réseau, ça

en tant qu’acteur depuis Dheepan,

pas très connu, je suis toujours un

complique les choses…

c’était là, en juin, avec L’Amour est

simple réfugié et un pauvre écrivain (rires). Quand je suis arrivé en France, j’étais convaincu que d’ici deux ans je retournerais dans mon pays, alors non, je n’imaginais pas

une fête. Entre ces deux dates, j’ai

LFC : Avez-vous d’autres projets avec le cinéma ? Souhaitez-vous encore être comédien ?

devenir acteur ici. Être contacté pour

vécu avec le RSA. J’ai essayé de trouver un emploi dans un supermarché, mais ça n’a pas marché, car je voyage beaucoup pour participer à des conférences

jouer dans Dheepan a été une

S : Oui, après Dheepan j’ai

de littérature, donc je ne peux

grande surprise.

participé à trois films. Un film

travailler que sur de courtes

canadien de Lenin M. Sivam

périodes, 3 semaines, 1 mois, c’est

C’est vrai que je suis chanceux. Pas

intitulé Roobha ; un film français

compliqué à trouver de nos jours.

d’être devenu acteur, mais d’avoir pu

de Cédric Anger, L’Amour est une

Je fais toujours passer l’art,

travailler avec Audiard. Après, des

fête, où j’ai un rôle secondaire,

l’écriture et le cinéma, en priorité.

réfugiés qui arrivent à percer dans

aux côtés de Guillaume Canet et

Mais maintenant c’est bon, avec

leurs domaines, ça arrive. Regardez

Gilles Lellouche ; et je suis en train

L’Amour est une fête et puis Friday

M.I.A., elle est aussi réfugiée et elle

de tourner Friday and Friday, un

and Friday, c’est reparti.

est devenue une chanteuse célèbre.

film franco-tamoul basé sur un de

Ce n’est pas courant, mais ça arrive.

mes scénarios.

Les réfugiés aussi ont du talent, ils peuvent jouer dans des films, chanter, écrire…

« Réfugié », ce n’est

pas la définition d’une personne. Derrière, il y a parfois des artistes

LFC : Vous racontez dans le livre qu’après le film, vous avez dû de nouveau apprendre à vivre avec le RSA.

LFC : Quand on lit votre parcours, vous nous rappelez à quel point l’être humain à une force incroyable pour vivre. Voulez-vous impulser de l’espoir au lecteur ?

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Nous ne venons pas chercher votre argent, mais seulement un peu de votre paix. Je demande aux Français de partager un peu de leur démocratie et de leur paix avec les réfugiés. S : À propos de ce monde, de ce pays, de ce gouvernement, je n’ai aucun espoir. Oui, on a besoin d’espoir pour survivre, mais comment pouvons-nous garder espoir dans cette situation ? Quand on voit tous les réfugiés dans la rue, sans nourriture, sans maison, comment pourrais-je leur dire de garder espoir ? Le monde est en crise. Je ne veux pas dire aux gens de garder espoir, mais je veux leur dire de se battre, de relever la tête et de faire face. Je laisse les messages d’espoir aux religieux, moi je ne suis pas un prophète ou un messie, je n’espère rien. Mon parcours ne s’est pas basé sur l’espoir, mais sur le combat.

LFC : Un grand merci à tous les deux, on vous laisse le mot de la fin… S : Ce livre, ce n’est qu’une petite partie de ma vie. On ne peut pas tout raconter en quelques pages. Peut-être y aura t-il d’autres livres.

C : Collaborer avec Shoba à la rédaction de ce livre a été pour moi une grande joie et une grande fierté. Ce projet s’inscrit aussi dans la continuité de mon travail sur l’immigration et les conditions d’accueil en France. D’une manière générale, il me semble très important de donner la parole aux réfugiés pour leur redonner leur statut d’individu, les sortir de ce concept qui n’est pas très valorisant. Comme dit Shoba, derrière chaque réfugié, il y a une personne, peut-être un médecin, un fermier, un artiste, en tous cas un homme ou une femme dont la définition ne doit pas s’arrêter à cette condition de

« réfugié » et de victime. Tous n’ont pas un parcours aussi

impressionnant que celui de Shoba, pourtant chaque histoire est unique. Par ailleurs, permettre aux lecteurs de s’identifier à une personne et de vivre l’exil à travers ses yeux est un outil puissant de sensibilisation, bien plus que les statistiques et les discours politiques … Je vais continuer à recueillir des témoignages pour sensibiliser les lecteurs à ces réalités.

S : Je veux ajouter, à propos de cette crise des réfugiés, que je suis arrivé ici en 1993 et que je n’ai jamais dormi dans la rue en France, pas une nuit. C’était plus facile à l’époque. Aujourd’hui, les réfugiés souffrent vraiment. La société civile devrait s’occuper d’eux. Ce n’est pas seulement le problème de la police ou du gouvernement, c’est le problème de tous les Français. Ils doivent faire quelque chose. Combien d’enfants dorment dans la rue sans rien à manger ? Les réfugiés croient en la solidarité du peuple français. Dans ma vision du monde, il n’y a pas des pays riches et des pays pauvres, il y a des pays démocratiques et des pays en guerre.

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LFC MAGAZINE #3


LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017

INTERVIEW

EVELEEN VALADON


entretien avec Eveleen valadon, malade d'Alzheimer

Je voulais montrer qu’on pouvait avoir l’Alzheimer et rester une personne digne d’écoute. Eveleen Valadon a 79 ans. Elle a été mariée et a eu trois enfants. Après avoir dirigé une petite agence de presse à Paris, elle a repris ses études à 30 ans puis elle a enseigné l’anglais, tout en menant une carrière d’artiste peintre. Aujourd'hui, elle est atteinte de la maladie d'Alzheimer. Avec l'aide de Jacqueline Remy, elle brise le tabou de cette tragique maladie en publiant un livre bouleversant. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE

LFC : Bonjour Eveleen, comment est née l’idée de témoigner, de raconter votre histoire ?

LFC : Pourquoi avez-vous souhaité nous raconter la maladie que vous vivez : Alzheimer ?

EV : Une amie m’a mise en contact

EV : C’était un défi car le sujet dont je parle est douloureux. Cette maladie est angoissante quand on se sait atteint. Raconter ce que je vis, c’était entrer dans le tunnel. Le fait que Jacqueline soit là,

avec Jacqueline Remy. Elle cherchait

EV : J’ai accepté parce que ces

bienveillante, me donnait de la lumière dans

un homme ou une femme disposée à

malades ont besoin d’être

le tunnel. Elle absorbait mon mal, en

raconter la maladie d’Alzheimer de

respectés. On entend sur

quelque sorte, et m’a permis d’avancer. Ce

l’intérieur. C’était une aventure qui m’a

l’Alzheimer des choses un peu

livre finalement m’a rendue très heureuse.

enthousiasmée au début. Je pensais

stupides et péjoratives. Je voulais

en effet qu’il était temps de donner

montrer qu’on pouvait avoir

cet éclairage à cette maladie qui, de

l’Alzheimer et rester une personne

l’extérieur est mal perçue et fait peur.

digne d’écoute.

LFC : Le titre de votre livre, mes pensées sont des papillons, est magnifique. Comment l’avez-vous trouvé ? EV : Merci de votre compliment. Votre

LFC : Vous avez écrit ce livre avec l’aide d’une journaliste. Entre deux chapitres, la journaliste raconte vos échanges. C’est très intéressant de lire les deux points de vue...

nom aussi est très joli. J’ai toujours eu

LFC : Vous précisez que toutes les informations et les conseils ont été vérifiés auprès de médecins et spécialistes. EV : Mes proches ? Je trouve qu’ils sont très gentils. Leur présence m’aide beaucoup. J’ai surtout envie de leur dire merci de tout ce qu’ils ont fait pour moi et de tout ce qu’ils feront. Car je me sens très, très lourde, d’autant plus qu’auparavant j’étais farouchement indépendante.

la fringale culturelle, mais là, j’ai pris

EV : Elle a remis un peu d’ordre

un peu de retard, avec cette maladie.

dans mon chaos, et sa parole

Pour vous répondre, j’ai toujours aimé

enrichit le livre, je crois, comme

les papillons, qui me fascinent par leur

dans un jeu de miroirs.

beauté et leur agilité. Mais les papillons sont difficiles à attraper. Ils s’envolent comme s’envolent mes

LFC : En quoi ce livre a été un défi pour vous à réaliser ?

idées.

LFC MAGAZINE #3 183


LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017

INTERVIEW

ANJA LINDER


entretien avec Anja Linder

Le prolongement de moi-même, c’est ma harpe et non mon fauteuil. Par son destin d’exception et sa personnalité lumineuse, Anja Linder fait partie des harpistes les plus charismatiques et populaires de sa génération. Elle publie aujourd'hui un livre poignant et optimiste - Les escarpins rouges - dans lequel elle raconte son accident. Rencontre avec une femme incroyable qui nous rappelle combien on a de la chance de faire notre métier de journaliste. Pour le plaisir de rencontre inoubliable. Comme celle-ci. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : FIONA TORRE YVES BOTALICO EMANUELE SCORCELETTI ASTRID DI CROLLALANZA MAXIME FRANCOIS

LFC : Anja Linder, on se rencontre pour la sortie de votre livre « Les escarpins rouges » aux Éditions Max Milo. Vous avez voulu partager une expérience de vie, pourquoi avezvous choisi le support du livre ?

tout de suite sentie que mes jambes étaient paralysées. J’avais beaucoup

que cet accident a affirmé vos qualités et vos défauts ?

de mal à respirer à cause de mes côtes cassées. J’ai juste eu la force de

AL : Mes défauts je ne sais pas mais il a forcément

lever une main, et c’est cela qui m’a

solidifié mes qualités car j’en avais plus besoin pour

sauvé.

avancer. Il fallait que je les fructifie, que je les développe. Je ne voulais pas être un poids pour

AL : Je trouve que l’écriture d’un livre c’est quelque chose de plus fouillé que les conférences, exercice que je fais souvent. Dans un livre, on peut plus

LFC : Cela fait seize ans que ce drame a eu lieu, votre livre sort en 2017. C’était le temps qu’il vous raconter votre histoire ?

pénétrer dans l’intimité et aller vraiment au coeur du sujet.

plaignent, je trouve cela insupportable. Lorsque l’on revendique sans cesse sa douleur, on se coupe des autres. Cela me demande moins d’efforts de masquer ma douleur.

AL : Pendant longtemps, je ne pensais pas écrire sur cette expérience. J’avais

LFC : Le six juillet 2001 à vingt-deux heures, un platane de quarante mètres s’effondre sur le public d’un concert au Château de Pourtalès à Strasbourg : quatorze morts, quatre vingt-cinq blessés dont vous. Que ressentez-vous à ce moment précis ?

mes proches. Je ne supporte pas les gens qui se

eu une première proposition en 2015 mais c’était avec un

« nègre », ce qui

LFC : C’est une peur pour beaucoup de monde de se retrouver dans un fauteuil. Comment fait-on pour s’adapter ?

ne m’intéressait pas. Je n’ai même pas étudié la proposition. Lorsqu’on m’a

AL : Chaque personne en fauteuil a une réaction

proposé de nouveau, j’ai posé deux

différente. Pour ma part, je ne me focalise pas sur

conditions, je voulais que ce soit moi

le fauteuil. Je ne m’intéresse absolument pas au

qui écrive le livre et je ne voulais pas

coté technique, je ne sais pas de quel modèle il

que ce soit racoleur. Il se trouvait que

s’agit, je n’ai pas de kit pour changer une roue, je

AL : Une douleur inimaginable. Je me suis

j’avais trois mois sans concert, j’en ai

ne sais pas quelle est la pression des pneus… Mon

quand même touchée pour savoir si

profité pour me faire opérer et écrire

cerveau refuse d’enregistrer cela. Je veux

j’étais bien vivante tellement j’avais mal.

ce livre.

enregistrer plein d’autres choses. Le prolongement

Tout le monde hurlait, c’était apocalyptique. J’étais consciente, j’ai

de moi-même c’est ma harpe et non mon fauteuil.

LFC : Est-ce que vous pensez

LFC MAGAZINE #3 185


LFC : « Les escarpins rouges ». Pourquoi ce titre ?

AL : Il ne fallait pas que je sois bavarde. La période où j’ai eu du

AL : C’est à la fois parce que je m’étais achetée une paire d’escarpins rouges la

succès en tant que musicienne, je

veille de mon accident, c’est la paire que je ne porterai jamais. Par la suite j’ai

souhaitais passer assez vite dessus

décidé que c’est ce que j’allais reconquérir. C’et un symbole de féminité, de

car le but n’était pas que je

victoire, de légèreté, de séduction, de plein de choses.

n’énumère le nombre de médias dans lesquels j’étais passée, cela

LFC : Saviez-vous dès le départ à qui vous vouliez adresser ce livre ?

n’aurait pas apporté grand chose aux gens. J’ai préféré par exemple

AL : Je me suis posé la question avant de l’écrire, je me demandais qui allait

raconter des détails sur mes nuits

bien pouvoir le lire, mais je ne crois pas que ce soit la meilleure chose à faire.

d’insomnies, ce sont des choses que

J’ai juste essayé d’être le plus exigeante possible, d’imaginer le livre que j’avais

les gens sont plus amenés à vivre.

envie de lire et surtout d’arrêter de penser aux attentes des gens. L’objectif c’est

Ce devait être intime avec une

de faire passer des émotions, d’être sincère et pour cela le fait d’avoir fait de la

dimension universelle.

musique m’a beaucoup aidé.

LFC : Il y a justement une forme de musicalité dans votre écriture.

LFC : Vous souhaitiez soulager le lecteur face à des situations qu’il aurait pu vivre en même temps ?

AL : C’est quelque que j’ai essayé de retrouver. Je me suis rendue compte que c’était la même chose, il y a un rythme à trouver. J’ai effacé beaucoup de

AL : Je voulais montrer aux lecteurs

choses car en me relisant, je trouvais qu’il n’y avait pas de rythme, des passages

que l’on peut se reconstruire même

étaient trop longs alors qu’ils devaient être palpitants et effrénés. Il faut trouver

après le pire. Il faut apprendre à

le bon tempo, comme avec le métronome.

s’écouter soi-même et ne pas écouter ce que disent les autres. Il

LFC : Le format du livre est assez court, il se lit vite. Vouliez-vous aller à l’essentiel ? 186

LFC MAGAZINE #3

ne faut pas passer sa vie à cocher des cases.


LFC MAGAZINE #3

Octobre 2017

INTERVIEW

CHRISTINE DELAROCHE DANS LES JARDINS DU LUXEMBOURG CHRISTINE DELAROCHE SUR LE TOURNAGE DE BELPHÉGOR.


entretien avec Christine Delaroche

Ma fierté est d'avoir duré Christine Delaroche publie Sensualité bien élevée aux éditions Dacres, un récit passionnant qui retrace son parcours incroyable. Elle est à l'affiche en 1965 du téléfilm Belphégor qui rencontre un succès incroyable avec Juliette Gréco. Elle croise Montgomery Clift, Vittorio de Sica, Bourvil, Claude François, Serge Lama, Thierry Le Luron, etc. Entretien. PROPOS RECUEILLIS PAR CHRISTOPHE MANGELLE

LFC : Pourquoi avez-vous eu besoin d'écrire ce livre ?

différentes par un ou plusieurs adjectifs :

Montgomery Clift : beau,

arts ? Ou sont-ce ces années-là qui vous ont permis de tout savoir et pouvoir faire ?

CD : Avec un parcours artistique de 50

étrange, broyé, avec une immense

ans, j’ai eu envie de raconter mes débuts

force intérieure.

CD : Permettez-moi de préciser. Je n’ai pas

« fracassants »( selon la presse des

Vittorio de Sica : le charme

été élevée à l’américaine… D'ailleurs à cette

années 60). Installée à 20 ans dans un

incarné, italien… grande

époque là, il n’y avait pas d’école de

statut de star, qui ne me convenait pas

intelligence sensible.

comédie musicale. C’est le goût profond que

vraiment, j’ai surtout voulu aller vers le

Bourvil : très réservé, homme de

j’avais, moi ,pour le spectacle musical qui m’a

théatre qui était ma passion et faire

cœur, magnifique artiste.

fait, alors que j’étais au conservatoire d’art

profiter mes lecteurs des coulisses des

Claude François : idole, raffiné,

dramatique, chercher des cours de chant et

spectacles dans lesquels j’ai joué. La

gentil.

de danse, et ce n’était pas facile de trouver

chanson a eu aussi une part importante

Serge Lama : formidable

les bons ! Aujourd’hui il y a plein de jeunes qui

dans ma vie et plus particulièrement le

interprète, ne vit que pour son

chantent et dansent magnifiquement….

« Musical ». J’ai essayé de transmettre la joie d’être sur scène et la « vie »d’artiste avec ses bonheurs et ses difficultés. Ma fierté est d’avoir duré.

métier, infatigable

LFC : Le théâtre vous a t-il tout appris ?

LFC : Pensez vous que votre vie serait la même aujourd'hui ? CD : Ma vie ne serait sûrement pas la même

LFC : Vous avez travaillé avec Montgomery Clift, Vittorio de Sica, Bourvil, Claude François, Serge Lama. Des personnalités tellement différentes. Pouvez-vous raconter ces rencontres ? CD : Toutes ces rencontres sont racontées dans le livre, mais je vais tenter de définir ces personnalités si

CD : Le théâtre m’a beaucoup

aujourd’hui… Avec la multiplication des

appris…. Mais la vie m’a tout appris

chaînes, il est beaucoup plus difficile

et elle n’a pas fini… J’ai mis ma vie

d’exploser à la télé. En revanche, le cinéma

dans le théâtre. Mais je n’ai pas

offre des rôles beaucoup plus intéressants

mis de théâtre dans ma vie…

aux jeunes, qu’à mes débuts ; et puis il y a le théâtre où on peut monter des projets avec

LFC : Vous avez été élevée à l'Américaine, danse, chant, comédie. Pensez-vous qu'il est important de maîtriser tous ces

des copains, mais il faut se prendre par la main et ne pas attendre que le téléphone sonne ! Mais ça c’était déjà valable à mon époque.

LFC MAGAZINE #3 188


LFC : Si vous avez un conseil à partager, lequel ? CD : Ce que je viens de vous dire. Se prendre par la main, être à l’affût de ce qui se monte, ne pas rester dans son coin, suivre des cours le plus longtemps possible...

LFC : Vous parlez de chance, beaucoup de chance, rassurez-nous, il y a du travail, beaucoup de travail ? CD : Bien sûr… La chance, on l’a ou on ne l’a pas… Mais il faut savoir la saisir, il faut savoir la transformer et ça c’est du travail, croyez moi ! J’ai eu de la chance dans mes débuts c’est vrai mais j’ai travaillé, travaillé, travaillé pour en faire quelque chose, en tenant compte de mes possibilités, de mes goûts, de ma vie privée que je voulais protéger… Je n’ai aucun mérite, j’aimais ça le travail ! Je crois même que c’est ce que je préfère !

LFC : À qui s'adresse ce livre ? CD : Ce livre s’adresse à tous ceux qui auront envie de le lire ! Aux curieux, aux artistes, aux

©Photos de la collection privée de Christine Delaroche

gens de ma génération bien sûr mais aussi aux jeunes qui aiment le théâtre. Il y a quelques réflexions sur le métier d’acteur qui peuvent les intéresser car c’est du vécu. À propos de travail, j’ai mis cinq ans pour l’écrire !

189

LFC MAGAZINE #3


LES GENS

LFC MAGAZINE • #3

OCTOBRE 2017

QUI FONT LE BUZZ

SUR LA ROUTE DES PASSIONNÉS AVEC SANDRA LONCHAMP, VÉRONIQUE CARDI, CÉDRIC LALAURY, OPHÉLIE CURADO, JIMMY GALIER, MARC FERNANDEZ ET AXEL SANTONI.

190

LFC Magazine #3


LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR LAURENT BETTONI PHOTOS : DR

CONCOURS LIVRE

Sandra Lonchamp (Kobo by Fnac), Véronique Cardi (DG éditions Préludes et Livre de Poche), Cédric Lalaury (auteur) Décriée avec force, à ses débuts en France, par l’ensemble de la profession du livre, l’autoédition attire aujourd’hui le regard bienveillant de certaines maisons traditionnelles mais néanmoins avant-gardistes et résolument tournées vers l’avenir. Ainsi les jeunes éditions Préludes et Kobo by Fnac se sont-ils associés pour créer le concours « À la recherche des talents de demain », dont la remise du prix au lauréat – un auteur initialement autopublié – s’est tenue le 16 septembre dernier. La récompense, bien sûr, est la parution de son roman, "Il est toujours minuit quelque part", chez Préludes. LFC : Sandra Lonchamp, vous êtes European coordinator chez Kobo Writing Life (KWL), une plate-forme d’autopublication. Racontez-nous la genèse de ce concours littéraire destiné à récompenser un auteur pour un ouvrage proposé au téléchargement sur votre site. SL : Ce projet est né d’une idée commune avec les éditions Préludes, celle de puiser dans le vivier de l’autoédition pour en faire émerger les talents, les auteurs de demain. Nous avons souhaité montrer que l’autoédition et l’édition traditionnelle ne s’opposaient pas mais qu’il existait au contraire une passerelle entre elles. D’ailleurs, ces derniers temps, pas mal d’auteurs issus de l’autoédition ont connu un beau

LFC : Véronique Cardi, vous dirigez les

succès dans l’édition traditionnelle.

éditions Préludes et vous êtes également directrice générale du Livre

LFC : De quelle manière le concours s’est-il déroulé ?

de Poche. Nous pourrions donc penser qu’en termes de manuscrits vous avez

SL : Les auteurs ont présenté leurs livres – deux cent au total – sur notre

ce qu’il vous faut. Alors en quoi

plate-forme, KWL, et les ont rendus accessibles gratuitement aux

l’autoédition vous intéresse-t-elle ?

lecteurs de la Fnac et de Kobo. Les lecteurs ont ensuite donné des avis et des notations sur les livres en compétition. Les cinq livres les mieux

VC : Beaucoup d’auteurs ignorent tout

notés et les plus plébiscités ont été soumis à l’appréciation d’un jury de

des voies traditionnelles de la

professionnels de l’édition : des membres des édition Préludes, de la

soumission de manuscrit aux éditeurs

Fnac, du magazine Lire et de KWL. Enfin, le jury a délibéré et a élu le

mais possèdent malgré tout une

talent de demain. Je tiens à préciser que les cinq textes étaient

véritable plume et de véritables

d’excellente facture et que la décision n’a pas été simple à prendre.

histoires à raconter. Pour ne pas passer LFC Magazine #3 | 191


CONCOURS LIVRE

LES GENS QUI FONT LE BUZZ

Sandra Lonchamp (Kobo by Fnac), Véronique Cardi (éditions Préludes et Livre de Poche), Cédric Lalaury (auteur) à côté de ces auteurs-là, il nous a semblé intéressant, chez Préludes, d’aller regarder ce qu’il se passait du côté de l’autoédition. LFC : Quel bilan tirez-vous, avec ce premier lauréat, Cédric Lalaury ? VC : J’ai d’abord été surprise par la grande qualité des cinq textes finalistes. Ensuite, j’ai eu un énorme coup de cœur pour le roman de Cédric Lalaury, Il est toujours minuit quelque part. Il y avait dans ce texte, avant même notre travail éditorial, une ambition littéraire, une belle maîtrise de la construction, avec une mis en abîme d’un livre dans le livre, une grande profondeur psychologique des personnages et une atmosphère très originale. LFC : Il y a quelque chose d’original aussi dans votre démarche, quand on la compare à celle des éditeurs traditionnels, puisque vous publiez en premier lieu la version numérique du roman, disponible dans ce format dès à présent, dès septembre 2017, et que vous publierez la version papier en février 2018, soit six mois plus tard. D’où vous vient cet engouement pour le livre numérique, si rare chez vos confrères ? VC : Je pense qu’il existe une vraie complémentarité entre les deux formats, numérique et papier, et qu’il ne faut pas jouer l’un contre l’autre. Dans le cas présent, l’idée avec cette publication première en numérique est de satisfaire rapidement le lectorat de Cédric Lalaury, qui est un auteur issu de l’autoédition. Ce lectorat-là ne se soumet pas aux plannings de l’édition traditionnelle ni aux diktats de la presse traditionnelle, et il faut donc s’adapter à sa temporalité à lui. Et nous espérons que le grand nombre de lecteurs en numérique entraînera un grand nombre de lecteur en papier, dans six mois. Nous misons donc sur un effet moteur du numérique pour le papier. Et concernant la presse, je tiens à rappeler que, dans notre jury, se trouvaient des membres du magazine Lire, ce qui montre bien que, progressivement, tous les acteurs de l’écosystème du livre regardent d’un œil neuf ce qu’il se passe du côté de l’autoédition et du livre numérique.

LFC : Cédric Lalaury, vous êtes l’heureux lauréat de ce prix, « À la recherche des talents de demain ». Pouvez-vous vous nous présenter votre parcours jusqu’à ce concours ? CL : Je suis l’auteur d’un premier roman, Des silhouettes dans le brouillard, publié chez Mon Petit Éditeur. Pour des raisons purement techniques, ce premier roman n’a pas pu être diffusé correctement. J’ai donc envoyé le deuxième à d’autres maisons d’édition et, devant leurs réponses, j’ai voulu tenter l’expérience LFC Magazine #3 | 192


LES GENS QUI FONT LE BUZZ

CONCOURS LIVRE

de l’autoédition. Mais le truc en plus, avec ce concours, c’était qu’il s’agissait d’autoédition avec une passerelle vers un éditeur traditionnel et sérieux. C’est cela qui m’a intéressé d’emblée, pouvoir travailler avec les

LFC : Travaillez-vous déjà sur un autre

éditions Préludes, avec Constance Trapenard et Véronique Cardi. J’ai

livre ? Et si oui, pouvez-vous en

considéré ce concours comme une chance à saisir, et je ne l’ai pas laissée

déflorer le sujet ?

filer. CL : J’ai la particularité de toujours LFC : Parlez-nous de votre roman IL est toujours minuit quelque part.

travailler sur plusieurs projets en même temps. J’avais déjà commencé

CL : Le livre parle d’un professeur de littérature âgé d’un plus de 45 ans,

d’autres choses lorsque j’ai publié sur

Bill Herrington, qui voit ressurgir un épisode peu glorieux et tragique de

Kobo Il est toujours minuit quelque

sa jeunesse, sous la forme d’un roman. Le professeur ne connaît pas

part. Pour moi, l’écriture se rapproche

l’auteur du roman. Il va donc dans un premier temps tout faire pour savoir

du sport, en ce sens que, si je ne

de qui il s’agit. Ensuite, il va chercher à comprendre de quelle manière cet

pratique pas tous les jours, je perds.

auteur inconnu a eu vent de cet événement peu glorieux, sur lequel nous

Travailler mon écriture

avons peu de détails, et cette enquête va le projeter dans des péripéties

quotidiennement, ou réfléchir à des

aux multiples rebondissements.

projets quotidiennement m’empêche de tomber en panne. Alors, pour

LFC : Et voilà, vous avez piqué notre curiosité. Pourriez-vous nous en

répondre à votre question, oui, j’ai déjà

dire davantage sur ce Bill Herrington et sur son histoire ?

terminé deux autres livres, très différents l’un de l’autre. L’un des deux

CL : Bill Herrington enseigne dans une prestigieuse école américaine, il

est une sorte de parodie de roman

mène une vie tout à fait normale et adore cette banalité. Mais lorsque son

gothique, mais de nos jours. L’autre met

passé ressurgit, cette banalité risque d’être menacée si ce qu’il pensait

en scène un tueur en série. Je suis

être son secret éclate au grand jour, bien que son nom n’apparaisse nulle

pressé d’en parler avec les éditrices. Et

part dans le livre, et que tout y soit présenté comme une fiction. À travers

j’ai d’autres projets en genèse.

ce roman, j’ai voulu traiter de thèmes comme la culpabilité et l’identité, avec la question sous-jacente : est-on le même à 20 ans qu’à 50 ans ?

LFC : Pour finir, quel regard portezvous sur le livre numérique ?

LFC : Quelles sont vos influences, littéraires et autres ? CL : Je ne le considère pas comme CL : En littérature, en cinéma et en musique, j’ai des influences à la fois

l’ennemi du livre papier. Dans le monde

populaires et classiques. J’aime beaucoup des auteurs populaires comme

d’Internet, il me semble logique que le

Gillian Flynn (Les Apparences, devenu Gone Girl au cinéma), Stephen

livre numérique existe. Je lis moi-même

King, Mo Hayder, car on se trouve là dans le populaire de qualité, on

en numérique depuis assez longtemps.

dépasse le simple page turner. D’un autre côté, je me reconnais des

C’est encore assez neuf pour les

influences comme Henry James, Jean Giono, William Faulkner, Virginia

Français, ce qui n’est pas forcément le

Woolf, Joyce Carol Oates, Antonio Lóbo Antunes, Cormack McCarthy,

cas dans le reste du monde, mais je

Dostoïevski. En cinéma, j’aime beaucoup David Lynch, David Cronenberg,

crois au développement du livre

Martin Scorsese, Ingmar Bergman.

numérique dans notre pays. LFC Magazine #3 | 193


BLOGGEUR PAR MURIEL LEROY

OPHÉLIE CURADO Ophélie Curado est bloggueuse littéraire et aussi auteure. Nous lui donnons la parole pour qu'elle partage ici son expérience du blogging, qu'elle présente son blog Le Coin Littéraire qu'on adore à la rédaction de LFC Magazine et qu'on vous recommande. Entretien. 194 | LFC Magazine #3

LFC : Que vous apporte cette

avec des lecteurs, des auteurs, des

expérience du blogging ?

éditeurs et des libraires, j'apprends énormément sur les

OC : Énormément. Étant donné

dernières sorties livresques, ce qui

que je suis à la recherche d'un

me permet d'étoffer mon

travail dans les métiers du Livre,

expérience. À travers des Services

être blogueuse me permet de

Presse de maisons d'édition, de

m'occuper et de me rendre utile ;

libraires et d'auteurs qui veulent

tout en étant dans mon domaine

se faire connaître, c'est un

de prédilection : la littérature et la

échange sincère et généreux qui se

culture. À travers les échanges

met en place. Je lis des ouvrages


BLOGGEUR

LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR MURIEL LEROY

Ophélie Curado, Le Coin Littéraire que j'ai apprécié et que je chronique ensuite sur mon site internet, « Le

relayés sur ma page Facebook « Le Coin Littéraire » afin

Journal des Lettres », puis que je relaye via ma page « Le Coin Littéraire

de les partager avec mes abonnés. Cette page propose

». Je reçois donc des ouvrages et j'offre la visibilité qui est attendue.

également un magazine littéraire qui porte son nom, de

C'est à la fois bénévole et enrichissant. Bien entendu, au-delà de ça, je

24 pages, au format Web, proposant quatre grands

fais de formidables rencontres auprès de passionnés. Avec le temps,

thèmes sur la Littérature : Actualités, Historique,

certains abonnés sont devenus mes amis. C'est donc un réel plaisir !

Numérique et Jeunesse. Il existe 9 numéros. Ma page me sert aussi à faire la promotion de mes différents projets

LFC : Quel bilan en tirez-vous ?

d'écriture, puisque je suis aussi auteure sur Amazon.

OC : Être blogueuse n'est pas un travail facile. Évidemment, il y a une part de plaisir qui doit toujours être présente, car le jour où elle

LFC : Votre top 3 de la rentrée littéraire.

disparaît, c'est qu'il faut arrêter. Pour moi, c'est une manière de me

OC : Cette année, j'ai reçu trois ouvrages de la librairie

sentir utile, en attendant de pouvoir trouver du travail.

Decitre pour le « Coup de cœur des blogueurs ». Il s'agit de la rentrée littéraire chez Actes Sud, une maison

Seulement, le blogging peut être considéré comme un travail à plein

d'édition que j'affectionne tout particulièrement. J'ai

temps duquel nous devenons vite dépendant. Devoir gérer une page

adoré « La beauté des jours » de Claudie Gallay, une

qui doit sans cesse être mise à jour et intéresser les abonnés, ce n'est

pépite qui nous apprend à savourer la vie. J'ai aussi

pas facile. Il faut savoir tenir un rythme de publication, et parfois les

découvert « Les Bourgeois » d'Alice Ferney, un roman

articles s'accumulent.

élitiste et complexe, ainsi que « L'invention des corps » de Pierre Ducrozet, brut et bouleversant.

Dans un sens, le blogueur se met une pression tout seul, car il donne l'impression d'avoir des comptes à rendre – ce qui est le cas lorsque les

LFC : Quelles sont les trois raisons de lire votre blog ?

professionnels du livre attendent l'article en question. Parfois, il faut

OC : Les lecteurs peuvent y découvrir des articles variés.

donc savoir décrocher, ne pas passer sa journée dessus et toujours

Entre mes lectures personnelles et mes opinions sur les

trouver le temps de lire ! Mais c'est aussi une très belle manière de se

dernières nouveautés, ils peuvent à la fois découvrir/ré-

donner des responsabilités, de se fixer des objectifs et de respecter des découvrir d'anciennes parutions et récolter des avis sur temps donnés. Être blogueuse, quand on voit tout ce qu'il y a à faire,

les dernières sorties. Ð Les auteurs, les éditeurs et les

c'est un travail qui devrait être reconnu comme tel.

libraires peuvent y trouver un moyen de faire parler de leurs ouvrages et obtenir plus de visibilité. Ð C'est un

LFC : En quelques mots pouvez-vous présenter l’esprit du blog.

très bon moyen d'échanger avec des Littéraires

OC : « Le Journal des Lettres » est un site présentant des articles

passionnés, autour de nos lectures communes. De

culturels sur différents thèmes : Littérature, Culture, Écrivain,

véritables liens se sont d'ailleurs créés grâce à ma page «

Philosophie, Poésie, Théâtre, etc. Le ton est sérieux, littéraire, peut-

Le Coin Littéraire ». C'est un plaisir de discuter avec des

être moins « féminin » et détendu que d'autres blogs. Ces articles

passionnés du livre et des personnes formidables. Nous

mettent en lumière mes lectures personnelles, les séries que j'ai

nous retrouvons chaque jour autour de mes publications,

appréciées, des portraits d'auteurs, des questions générales sur la

et avec le temps, cela est devenu un rendez-vous

Littérature. Mais ils sont aussi en lien avec des Services

quotidien.

Presse d'auteurs, de maisons d'édition et de librairies. Par exemple, je suis collaboratrice au blog de la libraire Decitre, pour lequel je rédige des articles « exclusifs », seulement pour eux. Tous les articles sont

LFC MAGAZINE #3 | 195


ÉDITEUR PAR MURIEL LEROY

JIMMY GALIER LFC Magazine vous présente l'éditeur Jimmy Galier des éditions Jigal, éditeur de romans noirs. Un véritable dénicheur de talent. Entretien.

196 | LFC Magazine #3

LFC : Pourriez-vous nous

truc du genre : « le roman policier

présenter votre maison d’éditions

voit le mal dans l'homme, le polar

et votre ligne éditoriale.

voit le mal dans la société ». C’est sous ce dernier angle que nous

JG : Les Éditions Jigal existe

avons eu envie de publier des

depuis… longtemps… 1989, je

romans et de donner la parole à de

crois. Tout d’abord dans le secteur

nombreux auteurs de talent ! Nous

de la musique, puis du polar qui a

aimons les métissages, mais pas

fait son entrée chez Jigal en 1998.

que… Nous cherchons avant tout

En ce qui concerne notre ligne

à privilégier style et efficacité,

éditoriale, J-P Manchette disait un

avec une écriture lourde de sens et


ÉDITEUR

LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR MURIEL LEROY

Jimmy Galier, Jigal de fond, des textes puissants et exigeants, des intrigues et des regards

tournant les premières pages d’un

neufs et iconoclastes… Bref… des auteurs qui ont des « choses » à dire

manuscrit, vous sentez que… hmmm, là,

et qui le disent bien !

il se passe quelque chose ! Vous priez pour que cela dure tout le long du

LFC : Après cette rentrée littéraire, que nous proposez-vous ?

roman… Et vous pensez déjà à la suite,

JG : En tant qu’éditeur indépendant, nous ne cherchons pas

au plaisir que vous allez avoir à le faire

spécialement à coller au calendrier éditorial habituel. Nous publions

découvrir !

des romans plusieurs fois par an et nous efforçons à chaque fois, de les faire découvrir le plus longtemps possible aux libraires d’abord, à la

LFC : Pour conclure notre entretien

presse et à tous les amateurs de polars et romans noirs. Dans nos

donnez-moi s’il vous plait 3 raisons de

récentes parutions, difficile de faire un choix, tant ces auteurs

lire vos livres :

apportent des textes de haute volée ! Dans les formats nouveautés, il y

JG : 1 / Il existe une littérature de

a d’abord le nouveau et remarquable roman de Nicolas Zeimet, Retour

qualité hors des sentiers battus. Jigal en

à Duncan’s Creek. Puis La Reine Noire de Pascal Martin, un modèle du

est un excellent exemple.

genre. Et enfin, Peace and death, étonnant premier roman – avec les

2 / D’ailleurs certains ne s’y trompent

années 60 et le Vietnam en toile de fond – de Patrick Cargnelutti. Et

pas… Prix Mystère de la Critique, Prix

dans les poches, Franco est mort jeudi de Maurice Gouiran. Rouge

Dora Suarez, Prix Guy-Vanhor, Prix

Écarlate de Jacques Bablon, Je vis je meurs de Philippe Hauret, là

EuroPolar, Prix La Ruche des Mots, Prix

encore trois perles de littérature noire !

Blues & Polar, Prix du Livre Insulaire Policier… Pas mal pour l’année 2017 !

LFC : Selon vous, c’est quoi un bon éditeur ?

Et encore, l’année n’est pas terminée !

JG : De quel point de vue ? Pour moi, être un bon éditeur c’est avoir la

3 / Ouvrez un roman de chez Jigal, un

chance et la capacité de dénicher des textes puissants, susceptibles

polar d’un de ces auteurs par exemple,

d’intéresser le lecteur… et des auteurs en mesure de vivre avec nous

Nicolas Zeimet, Philippe Hauret, Pierre

cette formidable aventure. C’est aussi être capable d’arriver à faire

Pouchairet, Cloé Mehdi, André Blanc,

partager notre enthousiasme sur tel ou tel roman, à convaincre la terre

Gérard Coquet, Jacques Bablon, Janis

entière, la presse, les libraires, les médias, les lecteurs, les éditeurs

Otsiemi… Laissez-vous emporter,

étrangers, les agents, etc… L’obsession de trouver le bon texte, le bon

tremblez, frissonnez, apprenez… Et

auteur c’est palpitant et en même temps est ce que ça rend pas un peu

vous allez encore passer une

fou ? Fou ? Non… Impatient, oui ! Parce que c’est, à mon sens, le

(excellente) nuit presque blanche !

moment le plus intense de la carrière d’un éditeur, ce moment, où, en

REJOIGNEZ SUR INTERNET

JIGAL

LFC Magazine #3 | 197


JOURNALISTE

AXEL SANTONI Axel Santoni est le créateur sur le web du projet "I am - Mini-série" qui fait un carton d'audience. 3 minutes pour dresser le portrait d'un anonyme au parcours atypique : Carole, Jérémy, Elina et Emeric témoignent... Avec les relais des sites Au Féminin.com, Konbini et les réseaux sociaux, les capsules vidéos atteignent plus de 500 000 vues chacune. Du good buzz pour des causes essentielles. Axel Santoni est un journaliste à suivre de près qui allie création et secret personnel... Rencontre. 198 | LFC Magazine #3

PAR CHRISTOPHE MANGELLE LFC : Axel Santoni, vous êtes le

en avant des super-héros du

créateur du projet « I am - Mini-

quotidien, des résilients qui

série », à la rédaction, on a kiffé.

ont avancé malgré les

Dites-nous en plus !

difficultés et souhaitent faire passer un message

AS : I AM c'est une mini série de 12

positif. Le tout accompagné

épisodes. Ce sont des

d'images d'archives et lié a

documentaires de 3 minutes ou

des sujets de société. C'est

moins où je vais à la rencontre

un projet que je réalise seul

d'individus aux parcours

dont chaque épisode fait

atypiques. L'idée, c'est de mettre

écho à mon histoire.


LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR CHRISTOPHE MANGELLE PHOTOS : MAGDALENA CLEPATCH ET AXEL SANTONI

JOURNALISTE

Axel Santoni, I'am - Mini-série LFC : Parcours atypiques, messages positifs, mais surtout avec du fond. Quelle est votre démarche ? AS : J'aimerais montrer que si on prenait 3 minutes pour s'intéresser aux gens et à leur parcours peut-être qu'on les comprendrait mieux et qu'on aurait une vision moins étriquée de certains faits de société. Montrer que l'on peut traiter des sujets parfois douloureux avec empathie et simplicité.

Chaque vidéo, reflète une partie de mon parcours, il n'y a donc aucun hasard dans mes choix d'intervenants et dans l’ordre de diffusion.

LFC : Question provoc’ : à l’heure où Jeremstar, Nabilla ou Caroline Receveur cartonnent sur le web avec du vide, de l’esthétique et du

Jeremy séropositif qui milite auprès

scandale, Axel, vous proposez une autre image de la jeunesse : des

d'association pour prévenir des dangers de cette

paillettes, vous passez aux histoires difficiles. Vous êtes tombé sur la

maladie et Carole qui s'est sortie des violences

tête ?

conjugales. L'ensemble de ces vidéos est

AS : Je crois qu'on categorise trop les gens de ma génération. Cela peut

disponible sur ma page facebook "I AM Mini

sembler étrange, mais je n'ai rien contre quelqu'un comme Nabilla

Série" et ma chaine youtube.

même si je ne me reconnais pas dans ce qu'elle représente. Elle est à elle seule, un phénomène de société. Je suis sûr qu'il y a beaucoup à

LFC : Comment trouvez-vous les intervenants ?

apprendre sur la jeunesse d'aujourd'hui en interrogeant ce personnage.

AS : Je viens de la télévision, j'utilise donc les

Le fait que les gens de mon âge soient capable de s'interesser à des

mêmes techniques d'enquête. J'ai un sujet en

programmes légers mais aussi à la politique, la culture ou à des faits de

tête et je cherche parfois pendant des mois, la

société montre que rien n'est linéaire. Ce n'est pas incompatible et mes

personne qui me provoque une émotion

réalisations me le prouvent un peu plus à chaque fois.

particulière. Si je suis touché, éil n'y a pas de raisons que ceux qui découvriront ce témoignage

LFC : Quels sont les premiers portraits que vous proposez ? Où peut-

ne le soient pas. Chaque vidéo, reflète une partie

on les voir ?

de mon parcours, il n'y a donc aucun hasard dans

AS : Les premiers portraits sont ceux d'Emeric, un animateur radio qui a

mes choix d'intervenants et dans l’ordre de

réalisé son rêve d'enfant, Elina, une ancienne sdf devenue comédienne,

diffusion.

LFC : On donne beaucoup de soi dans ce que l'entreprend. Que donnez-vous de vous dans la réalisation de votre projet de portraits de parcours atypiques et positifs ? J'ai moi aussi un parcours compliqué. Jeune, j'essayais à tout prix de rentrer dans le moule et de m’intégrer pour faire "comme les autres". Le jour de mes 20 ans, un événement a bouleversé ma vie. J'ai tout perdu ce jour-là. C'est alors que j'ai compris l'importance de vivre sans regret. Sans ça, je n'aurais peut être jamais eu la force de changer, de quitter des études qui m'auraient garanti un avenir confortable, pour me lancer dans ce qui me passionnait vraiment, le journalisme et la réalisation. J'admire ceux qui ont le courage de ne pas accepter la fatalité et d'en faire quelque chose pour les autres. C'est ce qu'ont fait les témoins de mes vidéos et c'est ce que j'essaie de faire aujourd'hui. À travers ces mini-documentaires, j'apprend, je grandis et je guéri.

LFC Magazine #3 | 199


JOURNALISTE

LFC : Aujourd’hui, quel succès rencontre vos vidéos ? J'ai eu la chance d'être repris par des médias traditionnels et grâce aux partages des gens ELINA

qui me suivent sur les réseaux sociaux, mes dernieres vidéos ont dépassées les 500.000 vues. Je suis heureux que tant de personnes se reconnaissent dans mon travail. D'autant plus que ces réalisations sont différentes de ce que l'on voit habituellement. Si cela peut aider des gens à avancer, pour moi, c'est gagné.

LFC : Quand pourra-t-on voir le prochain portrait ? De qui s’agit-il ? EMERIC

AS : Je ne spoilerai pas ! Tout ce que je peux dire, c'est qu'il s'agit de quelqu'un de très inattendu et que son témoignage est extrêmement différent de ce qu'on a déjà pu voir dans la série "I AM", c'est une prise de risque et c'est le témoignage qui me ressemble le plus. Rendez-vous fin Octobre. LFC : Un grand merci Axel Santoni, on vous

AXEL SANTONI

laisse le mot de la fin... CAROLE

Je finirai sur deux citations de mes auteurs préférés :

“Pour chacun de nous existent de multiples chemins, de multiples possibilités, celles de la naissance, de la transformation, du retour.” Hermann Hesse "Sur le plus haut trône du monde, on est jamais assis que sur son boule" -Booba Rien n'est linéaire donc, merci à vous. JÉRÉMY

200 | LFC Magazine #3


ÉDITEUR

MARC FERNANDEZ Marc Fernandez est auteur, journaliste, et maintenant éditeur chez Plon, il dirige la collection Sang Neuf. C'est notre invité, il nous parle de sa passion pour l'écriture, de ses projets avec Sang Neuf, de son prochain bouquin à venir. Rencontre avec un homme qui respire et vit polar à fond ! 201 | LFC Magazine #3

PAR MURIEL LEROY ET CHRISTOPHE MANGELLE

LFC : Marc FERNANDEZ, vous

ans. J’ai toujours été un gros

êtes auteur et éditeur, qui

lecteur de polars. J’ai commencé

êtes-vous ?

par en chroniquer pour divers médias, puis j’ai créé, avec

ML : J’ai d’abord été journaliste

plusieurs complices dont Paolo

pendant presque 20 ans. J’ai

Bevilacqua et Jean-Christophe

notamment été chargé de

Rampal, la revue Alibi. C’était

suivre l’Amérique latine et

une sorte de XXI du polar, un

l’Espagne pour Courrier

magbook comme on dit, vendu

International pendant 12

uniquement en librairie.


LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR MURIEL LEROY ET CHRISTOPHE MANGELLE PHOTO : PABLO BEVILACQUA

Marc Fernandez, auteur et éditeur. Une revue trimestrielle qui faisait la part belle aux auteurs et aux faits divers. Je crois que c’est ce mélange qui plaisait aux lecteurs, qui trouvaient un long portrait d’écrivain à côté d’une enquête sur un cold case, une interview d’un auteur et celle d’un voyou, d’un flic ou d’un avocat. L’aventure a duré 4 ans, de 2011 à 2015. Entre temps, j’avais coécrit plusieurs livres d’enquêtes, dont La ville qui tue les femmes, sur un dossier hallucinant à la frontière Mexique-USA, où plus de 500 femmes ont été assassinées en 10 ans sans que les véritables coupables soient inquiétés. Avec mon coauteur Jean-Christophe nous nous sommes essayé à la fiction avec Narco football club (ressorti au Livre de Poche). Et, un jour, je me suis dit qu’à force d’en chroniquer des polars, j’allais peut-être en écrire un tout seul. C’est devenu Mala vida. Et je me suis pris au jeu. La suite est vite arrivé, Guérilla social club. Et je suis en pleine écriture d’un troisième, qui doit paraître en octobre 2018, toujours chez Préludes. LFC : Parlez-nous de votre passion pour l’écriture ? MF : De loin. Je pense que c’est d’abord une passion de la lecture. Un auteur qui ne lit pas, je ne le conçois pas. Puis l’écriture vient par la suite. J’en ai fait mon métier car j’ai travaillé dans la presse écrite, puis les livres. C’est un chemin naturel je crois, une évolution dans mon parcours qui me semble finalement logique. J’ai lu, j’ai écrit sur les livres pour finir par en écrire moi-même. Raconter une histoire dans un roman se rapproche du métier de reporter que j’ai eu la chance de faire pendant longtemps. On prend le lecteur par la main, le journaliste sur le terrain raconte aussi ce qu’il voit, les personnages qu’il rencontre. Un peu comme dans un polar…

ÉDITEUR

Raconter une histoire dans un roman se rapproche du métier de reporter que j’ai eu la chance de faire pendant longtemps. LFC : Vos lectures d'enfance et d'adolescence.. MF : J’ai commencé par le club des 5 et Fantômette… Puis les classiques Agatha Christie, Conan Doyle, etc. En grandissant et en sachant très vite que je voulis devenir journaliste, je suis aller vers des auteurs plus noirs. Truman Capote, Hemingway, j’ai adoré la vague du new journalism (Hunter S. Thompson, Wolfe, etc). Puis des français comme Manchette. Et Ellroy. Une grande claque. Aujourd’hui, je continue à lire beaucoup de romans noirs comme Don Winslow par exemple, l’un de mes auteurs favoris.

LFC : Quand vous travaillez, que vous créez, comment cela se passe-t-il ? Avez-vous une méthode ? Je ne sais pas si j’ai une méthode de travail particulière, mais je sais que je peux écrire n’importe où, n’importe quand, avec du bruit ou sans, de la musique ou pas, dedans, dehors, peu importe. Ce doit être lié à mon passé de journaliste de terrain… Après, j’aime bien écrire le soir, je ne suis pas trop du matin. Je peux écrire à la main dans un cahier dédié, au stylo plume. Je me suis rendu compte que près de la moitié de Mala vida avait été écrite à la main. J’ai une histoire, j’ai une trame, souvent avec la fin et, surtout, j’ai des personnages. Sans eux, pas de bonne histoire. LFC Magazine #3 | 202


ÉDITEUR

LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR MURIEL LEROY ET CHRISTOPHE MANGELLE

Marc Fernandez, auteur et éditeur. LFC : Qu’avez-vous cherché à démontrer à travers vos livres ? MF : Je ne cherche pas à démontrer quelque chose avec mes livres, juste raconter une histoire et faire passer un bon moment aux gens. Je n’ai pas d’autres prétentions. Après, mon passé, ma formation, font que je pars toujours de faits réels, d’enquêtes que j’ai pu mener, donc je parle de sujet parfois graves ou lourds. Je pense que l’auteur de polars aujourd’hui est un formidable lanceur d’alerte. Pour Mala vida,

Je ne cherche pas à démontrer quelque chose avec mes livres, juste raconter une histoire et faire passer un bon moment aux gens.

beaucoup de lecteurs m’ont avoué qu’ils ne connaissaient pas cette histoire de bébés volés sous Franco. Et bien voilà, le pari est réussi. Grâce à mon roman, les gens ont appris l’existence de ce scandale. Mais j’écris un roman, donc après, libre à eux d’aller se documenter et

beaucoup de moi, j’espère que ça plaira.

s’informer. Moi, j’ai inventé une histoire qui part de faits réels.

J’étais très ému en recevant mon premier Mala vida, plus que lors de mon premier

LFC : Sont-ils inspirés de faits réels ou totalement Fictifs ?

livre d’enquête…

MF : Comme je viens de le dire, tout part de faits réels, je ne me vois pas

LFC : Pouvez-vous nous décrire cette

faire autrement. Pour le moment du moins. Mon troisième livre est

profession ?

inspiré de mon premier reportage en Argentine par exemple. Celui d’après est né après la lecture d’une simple brève dans le journal

MF : Editeur, ou directeur de collection,

rapportant une histoire vraie.

c’est beaucoup lire et beaucoup dire non. On passe son temps finalement à refuser

LFC : D’abord journaliste puis auteur et maintenant éditeur, d’où vous

des textes. Non parce qu’ils ne sont pas

est venu cette envie de passer de l’autre côté ?

bons, mais pour plein d’autres raisons. Après, c’est un plaisir fou que de découvrir

MF : A force de lire et chroniquer les autres, j’ai eu envie de me prouver

en premier la prose d’un auteur, de

à moi-même que j’étais capable d’écrire de la fiction et de travailler la

travailler les visuels des couvertures, tous

fiction. En tant que journaliste, j’avais déjà écrit des livres, mais c’est vrai

les à côtés du livre. La relation avec les

que le passage au roman, c’est quelque chose. On s’en rend compte

auteurs est primordiale pour moi. Je ne

peut-être après l’écriture, quand on va chercher son premier

pourrai pas travailler avec un auteur que je

exemplaire chez son éditeur… On se dit, voilà, il est là, j'y ai mis

n’apprécie pas en tant qu’écrivain mais

LFC Magazine #3 | 203


LES GENS QUI FONT LE BUZZ PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET MURIEL LEROY

ÉDITEUR

Marc Fernandez, auteur et éditeur. surtout en tant que personne. LFC : Quels seront vos choix littéraires, votre ligne éditoriale ? MF : La ligne éditoriale c’est du roman noir francophone. Je pense que pour comprendre le monde, il faut lire des polars. Notre société est compliquée, difficile, violente parfois. Rien de tel qu’un bon polar pour essayer d’y voir plus clair. C’est le genre du réel par excellence, mais aussi celui qui permet de pointer du doigt ce qui ne va pas, de critiquer. Bref, lire un polar c’est mieux cerner dans quel monde on vit. LFC : Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaiterait exercer votre profession d’éditeur ? MF : Je suis un « jeune » éditeur… je ne sais pas si je peux donner des conseils, mais déjà lire, lire et lire. Pour le reste, persévérer, c’est un milieu parfois difficile mais une fois qu’on y est, on ne veut pas le quitter. LFC : Avez-vous d’autres hobbies à part la lecture et l’écriture ? MF : Un peu de sport, la musique, etc. Un éditeur est un homme comme les autres j’ai envie de dire… LFC : Pour conclure sur quoi travaillez-vous aujourd’hui ? Avez-vous d’autres projets ? MF : Je prépare la saison 2 de la collection Sang Neuf et je termine l’écriture de mon troisième roman. Et des projets, oui, il y en a plein…

Je prépare la saison 2 de la collection Sang Neuf et je termine l’écriture de mon troisième roman.

Toujours dans le polar, mais peut-être sur d’autres supports que le livre. Affaire à suivre, pour le moment, c’est secret…

LFC Magazine #3 | 204


OCTOBRE 2017 | LFC MAGAZINE #3 >>>>>>>>>>>>

TELEVISION ÉGLANTINE ÉMÉYÉ INTERVIEW + LES 5 SÉRIES DU MOIS


LFC TELEVISION

EGLANTINE EMEYE Première partie : les

207

coulisses de mon combat.

EGLANTINE EMEYE Deuxième partie : mon

211

actualité média

LES SERIES TV Les 5 séries du mois.

214


EGLANTINE EMEYE L'INTERVIEW Propos recueillis par Christophe Mangelle Photos : France Télévision/France 3 et Ch. Lartige/CL2P

207 | LFC MAGAZINE #3

SON COMBAT POUR L'AUTISME, LA MAISON DE RÉPIT, SA VIE MÉDIATIQUE ET SA NOUVELLE ÉMISSION "QUI VEUT PRENDRE LA SUITE ?" EN PRIME SUR FRANCE 3.


L'interview PARTIE 1 Les coulisses de mon combat

Églantine Éméyé avec Samy, son fils..

EE : Même pas vrai !!! C’est pas possible, tu étais si timide…Comment as-tu fait ? En tout cas, tu rêvais de spectacle, tu n’osais pas trop…et finalement, tu ne te débrouilles pas si mal. Mais encore une fois, j’ai du mal à y croire…Et puisque j’y suis : « tu ne pourrais pas être un peu plus « fille »??? je t’imaginais adulte avec plus de maquillage, plus de talons…Ok, je ne savais pas que tu serais si grande! LFC : Vous vous exprimez sur votre combat avec votre fils Samy, autiste. en tant que personnage public. C’est très courageux. Pour quelles raisons le faites-vous ? EE : Je ne vois pas là le moindre courage. C’est normal. La première fois, je l’ai fait par volonté de ne pas faire de mon fils un tabou. Il n’a rien fait de mal, pourquoi allais-je le cacher ? Je voulais pouvoir parler du handicap de façon naturelle. Pouvoir dire quand on me demandait « alors ton

PUISQUE J'AVAIS PARFOIS DROIT A LA PAROLE PUBLIQUE, JE ME SUIS DIT QUE JE DEVAIS SOUTENIR TOUTES LES FAMILLES CONCERNEES, JE ME DEVAIS D’EN PARLER. fils de 6 ans, la rentrée en CP s’est bien passée »? « Ah non, il est handicapé, lui, c’est la rentrée en IME qui s’est bien passée… ». Et petit à petit il y a eu la prise de conscience du fait que toute la société avait fait semblant de ne rien voir. Et qu’il y avait tout à revoir, à changer pour aider les familles et les personnes handicapées. Et là, puisque j’avais parfois droit à la parole publique, je me suis dit que je devais soutenir toutes les familles concernées, je me devais d’en parler. LFC : Quel(s) souvenir(s) gardez-vous de la publication de votre livre qui a cartonné en grand format et en poche ?

208 | LFC MAGAZINE #3

LFC : Imaginons, vous avez dix ans, et cet enfant vous voit aujourd’hui, à l’âge adulte, animatrice TV. Que pensez-vous que cette petite fille pourrait vous dire ?


19

EE : Un souvenir très émouvant. Je ne pensais pas pouvoir un jour écrire un livre et encore moins le publier. Là, c’était déjà une émotion particulière. Et puis il y a eu les réactions des lecteurs, et les rencontres dans les salons du livre. C’était très fort. J’ai souvent pleuré avec eux, bouleversée par leurs histoires, par leur émotion à la lecture de mon livre. Et puis il y avait ceux qui n’étaient pas touchées par le handicap, et qui avait lu mon livre, comme n’importe quel roman. Et ils avaient été touchés eux aussi. Ça m’a donné beaucoup d’espoir pour l’avenir. LFC : Vous êtes présidente de l’association Un pas vers la vie. Présentez-nous svp l’association à nos lecteurs ? EE : C’est une association que nous avons créée, mon père et moi, il y a près de dix ans. Pour réunir d’autres parents touchés pas l’autisme, et trouver ensemble, des solutions au manque de prise en charge, à la solitude, aux difficultés, nombreuses. Très vite, nous avons créé une petite école, dans laquelle nos enfants passaient leurs journées, avec des éducateurs spécialisés. Et ce fut une réussite pour nos enfants. Aujourd’hui, nous continuons, nous proposons des activités de loisirs dans l’école, nous avons ouvert une Maison de Répit pour jeunes autistes.

209 | LFC MAGAZINE #3

L'inauguration de la maison de répit aux cotés de Gérard Darmon.


EE : Cette Maison de Répit, dite « Belle Etoile » s’adresse aux jeunes autistes de 6 à 20 ans. L’idée est de proposer aux familles épuisées, de souffler. Nous prenons leur enfant, le temps d’un week-end, d’une semaine et plus. Et nous pouvons organiser les venues, soit pendant un moment de « crise » auquel nous tentons de répondre immédiatement, soit de façon anticipée, pour prévenir la crise. Nous avons 8 places, ce qui nous permet d’accueillir jusque 150 enfants dans l’année. C’est notre partenaire, l’ADAPEI du Var, qui gère la maison. Une maison que nous avons voulue aussi accueillante, chaleureuse et adaptée au handicap de ces enfants que possible. Il y a des places, puisque les séjours sont courts. Il suffit de vous adresser à l’ADAPEI du Var. http://www.adapei-varmed.fr/maison-derepit-pour-enfants-autistes-2/ LFC : Quels sont les prochains défis que vous souhaitez relever avec l’équipe d’Un pas vers la vie ? EE : Il y en a beaucoup ! Nous avançons et affinons nos projets en même temps que nos enfants grandissent. Et nous réalisons, que si nous déplorions l’absence de prise en charge durant l’enfance, ce n’est guère mieux, voire pire, avec l’avancée en âge. Alors aujourd’hui, puisque la

L’IDEE EST DE PROPOSER AUX FAMILLES EPUISEES, DE SOUFFLER. NOUS PRENONS LEUR ENFANT, LE TEMPS D’UN WEEKEND, D’UNE SEMAINE ET PLUS. plupart des associations se battent pour l’inclusion scolaire et sociale des autistes, et elles ont raisons, nous axons notre travail sur les prises en charge de tous les autistes trop sévèrement handicapés pour gagner en autonomie. Nous voulons leur créer de véritables lieux de vie adaptés. LFC : Comment peut-on faire pour vous aider dans vos actions contre l’autisme ? EE : En contactant l’association, via son site internet. En faisant des dons, parce que cela reste indispensable. En ce moment, par exemple, vous pouvez aussi proposer des cadeaux pour Noël. Nos éducatrices ont besoin d’être valorisées, et nous voulons prendre soin d’elles. Quant à nos enfants, Noël est aussi précieux pour eux que pour nous. Enfin, si quelqu’un connait quelqu’un qui connait quelqu’un…qui possède terrain, maison…nous sommes aussi preneurs, pour nos futurs projets. MERCI

210 | LFC MAGAZINE #3

LFC : Vous êtes à l’initiative avec l’association d’une maison de répit. Où est-elle ? Quel est le principe? À qui vous adressez-vous ? Reste-t-il des places ?


L'interview PARTIE 2 Mon actualité TV et radio.

EE : Un très bon souvenir ! D’abord parce que j’ai pu faire partager mon amour des animaux, ensuite parce que rencontrer chaque jour des éleveurs passionnés, faire le tour de France avec eux, a été très enrichissant. Et pour finir, partir sur les routes avec une telle équipe, c’était un peu comme faire partie d’un cirque ! J’en garde en mémoire beaucoup de rires, de chants, de vidéos incongrues…et de fatigue. C’est aussi pour cela que j’ai choisi d’arrêter. LFC : Vous allez présenter plusieurs primes sur France 3. Pouvez-vous nous expliquer le concept de l’émission ? EE : Un concept formidable, sincèrement ! Il s’agit à la fois de faire redécouvrir l’artisanat aux français, son savoir-faire, ses gestes, aussi sublimes que précis, et proposer formations voire emplois au public. En effet, nous avons, pour cette première série, accompagné 6 artisans dans

JE VOUS DONNE RENDEZ-VOUS SUR FRANCE 3 DES LE 3 NOVEMBRE POUR 4 PRIMES. leur recherche de la perle rare qui pourrait un jour, pourquoi pas, reprendre leur flambeau. Nous les avons aidé à rencontrer des candidats, que nous avons ensuite suivis en immersion dans les ateliers de nos artisans. A l’issue de l’immersion, qui restera, qui en aura envie, qui sera embauché? LFC : Combien de primes ? Quand ? EE : Il y aura 4 primes. Les 3, 10, 17 et 24 novembre. LFC : Comment vous préparez-vous à ce nouveau défi ?

211 | LFC MAGAZINE #3

LFC : C’est l’automne, et votre actualité TV est chargée… Vous ne faites plus partie de l’équipe de Midi en France sur France 3. Quel souvenir gardez-vous de cette émission ?


19

EE : La préparation est déjà passée par là. Puisqu’à ce jour, j’ai tout tourné. J’avais déjà une approche régulière de l’artisanat français, via mes émissions sur la brocante. Mon travail consiste surtout à mettre à l’aise des personnes plus habituées à évoluer dans la discrétion de leurs ateliers qu’à parler en public et à être filmé. Idem pour les candidats, plus ou moins jeunes, et souvent intimidés à la fois par la perspective d’apprendre un nouveau métier, et par celle de décrocher un emploi. LFC : Quand la production a pensé à vous, quelle a été votre première réaction ? EE : J’ai été ravie. Parce cela faisait longtemps que je pensais que le sujet méritait d’être mis à l’honneur. Comment? Par quel moyen? Cela restait la question. il fallait trouver une écriture qui à la fois capte les téléspectateurs, et en même temps, respecte l’essence de ces métiers, à savoir le respect des gestes, des matériaux, la transmission de savoirs faire parfois ancestraux etc…Et je crois que nous avons trouvé. J’espère vraiment que le public adhèrera. Moi, je suis fière du programme, et surtout fière d’avoir pu rencontrer des artisans qui m’ont transmis la passion de leurs métiers. LFC : Vous continuez également l’animation du jeu Trouvez l’intrus, diffusé le samedi sur France 3 produit par Nagui. L’animation d’un jeu, c’est une mécanique bien précise. Qu’en dites-vous ? EE : Qu’en effet, c’est bien plus difficile qu’il n’y paraît ! Mais ça reste très sympathique, un travail bien différent de celui que j’avais l’habitude de faire. Tout repose sur le rythme. Mais j’ai la chance d’avoir THE BOSS en la matière en guise de producteur…

EE : Et c’est un vrai bonheur de pouvoir participer à cette émission, que j’adore. Je rêve toujours de partir avec eux. À défaut de pouvoir le faire, je suis aux premières loges pour recueillir l’émotion et les souvenirs des personnalités qui sont parties au bout du monde. Sans compter le plaisir et l’adrénaline du direct... LFC : Et pour finir, les chroniques brocante le week-end sur RTL… Vous êtes Wonder Woman ?

212 | LFC MAGAZINE #3

LFC : À un rythme moins fréquent, vous animez le plateau en deuxième partie de soirée de l’émission de Frédéric Lopez, Rendez-vous en terre inconnue.


LFC : Un grand merci pour l’entretien, on vous laisse le mot de la fin Églantine ! Merci ! EE : C’est le minimum que je puisse dire à tous ceux qui me suivent, me soutiennent. Sans vous tous, je ne pourrais rien faire. Ni professionnellement, ni dans l’association. Ah ..si, une dernière chose : regardez Qui prendra la suite ? Une émission utile, intelligente et à regarder en famille ! J’aimerai bien faire une deuxième saison… (sourire)

ET PUIS POUR EN REVENIR A MA VIE PRIVEE, QUI EST BIEN COMPLIQUEE QUAND MEME, JE CROIS QUE J’AI BESOIN AUSSI DE TOUT CA POUR TENIR : VIVRE D’AUTRES CHOSES, PLEINEMENT, CONTINUER A APPRENDRE, RESTER PASSIONNEE, NE PAS PARLER QUE HANDICAP...

213 | LFC MAGAZINE #3

EE : Pas du tout ! Mais j’essaie (rires). J’aimerai bien avoir le don d’ubiquité en tout cas. Ce serait plus simple pour moi. Disons surtout que je suis curieuse, avide de nouveautés, et que je ne sais pas dire non à de jolis projets. Ces matinées sur RTL sont de vrais moments de complicité et de partage, avec de belles personnalités, et j’avoue que j’ai trop de plaisir à les retrouver chaque semaine, pour faire partager nos bons plans aux auditeurs, pour arrêter ! Et puis pour en revenir à ma vie privée, qui est bien compliquée quand même, je crois que j’ai besoin aussi de tout ça pour tenir : vivre d’autres choses, pleinement, continuer à apprendre, rester passionnée, ne pas parler que handicap...


214

LFC Magazine #3

PAR QUENTIN HAESSIG

LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

VOTRE PLATEAU TV

HULU - OCS MAX

NETFLIX

THE HANDMAID'S TALE LA SERVANTE ECARLATE

MINIMALISM onscients que le monde ne va pas dans la bonne

ans une société dystopique et totalitaire

C

D

au très bas taux de natalité, les femmes sont

direction, Joshua Fields Millburn et Ryan Nicodemus ont

divisées en trois catégories : les Épouses, qui

essayé de faire bouger les choses à leur manière. Comment ?

dominent la maison, les Marthas, qui

En questionnant notre rapport à la consommation et à la

l'entretiennent, et les Servantes, dont le rôle est

possession de biens matériels. Résultat, un documentaire très

la reproduction.

réussi, qui vous fera prendre conscience que le bonheur n’est

C’est LA série qui a fait le buzz récemment aux

pas forcément là où vous l’imaginez.

États-Unis en remportant pas moins de cinq

Minimalism : a Documentary About the Important Things, disponible en intégralité sur Netflix.

Emmy Awards (les Oscars de la télévision) dont celui de meilleure série dramatique et de meilleure actrice pour Elizabeth Moss (Top of

LA SÉRIE ÉVÉNEMENT

the Lake, Mad Men). La série est adaptée du roman éponyme de Margaret Artwood publié en 1985, qui avait déjà été adapté au cinéma en 1990. Cette « fiction spéculative », pour reprendre les termes de l’auteur, résonne complètement avec l’actualité et la situation des femmes au sein de la société. Un must see ! Si vous avez aimé la série, rendez-vous en librairie pour découvrir « C’est le coeur qui lâche en dernier », le nouveau roman de Margaret Atwood disponible aux Éditions Robert Laffont (Pavillons).

The Handmaid’s Tale, actuellement diffusé sur OSC City et disponible en intégralité sur Hulu.

NETFLIX

STRANGER THINGS

Les créateurs de la série ont annoncé une saison plus sombre, plus tournée vers l’horreur. Elle serait même meilleure que la première…

S i il y a bien une série qui attise la convoitise, c’est

De quoi nous faire languir encore un peu plus.

bien celle-ci. Un an après le succès fracassant de la

Autre détail, le jeu Dragon’s Lair sera « un

première saison. Après avoir visionné il y a quelques

élément très important de l’histoire » d’après

jours le dernier trailer de la saison deux, on trépigne

Finn Wolfhard.

d’impatience de retrouver Eleven et toute la bande de la ville d’Hawkins.

Au casting, pas de changements majeurs, on retrouvera Winona Ryder, David Harbour, Finn

LFC MAGAZINE | #3 | 214

Peu de choses ont fuité sur cette nouvelle saison. On

Wolfhard et notre préférée Millie Bobby

sait simplement qu’elle se déroulera un an après les

Brown. De nouveaux personnages feront leur

évènements de la première saison. Autre précision, un

apparition comme Sadie Sing ou encore

monstre spectaculaire devrait être de retour dans la

Brett Gelman. Une saison très attendue par

petite ville de l’Indiana…

tous les fans !

Stranger things, saison 2 disponible en intégralité sur Netflix dès le 27 octobre 2017


215

LA SÉLECTION SÉRIE/DOC DE LFC MAGAZINE

LFC Magazine #3

DU MOIS D'OCTOBRE USA NETWORK

NETFLIX

MR. ROBOT

MINDHUNTER omment anticiper la folie quand on ignore comment

C

fonctionnent les fous ? Voilà la question que pose la nouvelle série du maître incontesté du thriller : David Fincher. Adapté

A utre série que l’on attend beaucoup, Mr.

du livre éponyme de Mark Olshaker et John E. Douglas paru

Robot. Le grand retour du célèbre hacker

aux Éditions Michel Lafon, la série, inspirée de faits réels, nous

Eliott Alderson sur nos écrans, enfin sur son

plonge dans l’esprit des sérial killers afin de mieux

écran, enfin… Bref, vous avez compris.

comprendre leur fonctionnement. Bonne nouvelle, Netflix a

Pour cette nouvelle saison, USA Network a

déjà signé pour une deuxième saison !

mis le paquet en nous offrant un trailer explosif et épileptique. À part cette

Mindhunter, saison 1, disponible en intégralité sur Netflix.

sensation de chaos qui prédomine, pas beaucoup d’informations sur l’intrigue de cette troisième saison. Surprise donc. Au casting, on retrouvera Rami Malek évidemment, Christian Slater et pour notre plus bonheur Bobby Canavale, que l’on a vu récemment dans Vinyl et dans Boardwalk Empire of course. La révolution est donc toujours en marche ! En attendant la diffusion de la série en France, rendez-vous sur le compte Twitter de la série pour visionner les sept première minutes de la troisième saison.

NETFLIX Mr. Robot, actuellement diffusé sur USA Network et bientôt disponible en France.

GLACÉ ernard Minier est un auteur que l’on connait bien à

plein coeur des Pyrénées. De quoi vous

la rédaction. Son premier roman Glacé, paru en 2011

donner quelques frissons. La série rappelle

chez XO Editions a rencontré un franc succès auprès des

d’ailleurs l’atmosphère du film "Les Rivières

lecteurs et a été traduit dans plus de dix pays. Début

Pourpres" de Mathieu Kassovitz sorti en

2017, M6 décide d’en faire une adaptation télévisée qui

2000, également adapté d’un livre de Jean-

réunit près de quatre millions de téléspectateurs en

Christophe Grangé.

moyenne.

Si vous avez aimé la série, les éditions XO

Aujourd'hui, c’est Netflix qui prend le relais : les six

vous donne rendez-vous début novembre

épisodes de la série sont disponibles dans les pays

pour découvrir en librairie l'édition collector

francophones depuis le treize octobre, et vont bientôt

de Nuit, le dernier thriller de Bernard Minier !

B

être diffusés dans le monde entier. Au casting, le rôle du commandant Servaz est interprété par Charles Berling. L’intrigue quant à elle, se déroule en LFC MAGAZINE | #3 | 215

Glacé, saison 1, disponible en intégralité sur Netflix.


OCTOBRE 2017 | LFC MAGAZINE #3 >>>>>>>>>>>>

SPECTACLE ANNE ROUMANOFFINTERVIEW + MICHEL LEGRAND + GAUTHIER FOURCADE + LES 5 PIÈCES DU MOIS


LFC SPECTACLE

ANNE ROUMANOFF Interview 30 ans de

218

carrière !

MICHEL LEGRAND Grandiose !

222

Rencontre.

GAUTHIER FOURCADE Liberté !

226

ET AUSSI Bouquet Final

229

La logique des femmes

231

Silence, on tourne !

233

Ben Hur, la parodie

235

Tant qu'il y a de l'amour

237


Le 4 novembre à l'Olympia, Anne Roumanoff fête ses 30 ans de carrière. Rencontre avec la reine de l'humour dans un hôtel parisien chic à la décoration cosy. Propos recueillis par Christophe Mangelle et Quentin Haessig. Photos : Ingrid Mareski

218 | LFC MAGAZINE #3

ANNE ROUMANOFF FETE SES 30 ANS DE CARRIERE

LA REINE DE L'HUMOUR


AR : Non pas du tout. J’ai plutôt l’impression que ça fait sept, huit ans que je fais ce métier. Mais c’est plutôt bon signe, cela veut dire que je n’ai pas vu le temps passé et que je ne me suis jamais ennuyée. LFC : Le spectacle que vous proposez Aimez-nous les uns les autres est un spectacle qui existe depuis 2015. AR : Oui, il a débuté à l’Olympia en 2015 et depuis il a évolué. Il y a maintenant tout un passage avec Emmanuel Macron, la partie actualité est mise au goût du jour, j’ai enlevé certains passages mais c’est la vie d’un spectacle, ça bouge constamment. À ce jour, je crois qu’il est vraiment arrivé à maturité. LFC : Vous allez jouer ce spectacle jusqu’en juin 2018, et ensuite ?

JE ME DEPENSE BEAUCOUP SUR SCENE MAIS DANS LA VIE, JE PREFERE ETRE EN RETRAIT. AR : Au départ, j’étais censée jouer ce spectacle jusqu’en janvier 2018 mais je n’étais pas prête à passer à autre chose. D’autant plus qu’il est difficile de quitter des sketchs qui cartonnent auprès du public. Je vais commencer à incorporer de nouveaux sketchs et ça servira de rodage. LFC : Nous avons eu la chance de voir ce spectacle il y a quelques mois et on a remarqué que vous aimez jouer avec le spectateur. On sent que tout peut arriver. AR : C’est très cadré quand même mais pour l’avoir fait beaucoup de fois, je suis toujours surprise des réactions du public. Les gens ne se rendent pas compte mais ils

219 | LFC MAGAZINE #3

LFC : Anne Roumanoff, on se rencontre pour parler d’une date importante, le 4 novembre prochain sera la date d’anniversaire de vos trente ans de scène. Avez-vous le sentiment que ça fait déjà trente ans ?


19

tout ça. Avec trente ans de métier, je sais les réglages techniques que je dois faire mais je ne sais jamais pourquoi tel thème va plus accrocher le public qu’un autre. J’ai dû parfois me séparer de certains sketchs. LFC : Est-ce que c’est une déception dans ce cas de figure ? AR : Non pas du tout. Quand on commence à s’acharner sur un sketch, ce n’est jamais bon signe. J’essaie également de suivre mon propre ressenti. Parfois les gens peuvent rire mais moi je trouve qu’il y a une sorte de lassitude à le jouer. Dans ces cas-là, je crois qu’il faut avoir l’honnêteté de l’enlever. Le public sent toujours si vous faîtes de la nourriture fraiche ou en conserve. LFC : Au bout de trente ans de carrière, comment faitesvous pour avoir encore cette énergie ?

PAR CHRISTOPHE MANGELLE ET QUENTIN HAESSIG PHOTOS : INGRID MARESKI

révèlent des choses sur eux qui sont assez incroyables. J’aime ce côté improvisé même si tout est millimétré, chaque mot est à sa place, cependant on n’est jamais au bout de ses surprises. Ce sont des moments que j’adore. LFC : Ce travail millimétré, est ce que ça vous donne une certaine zone de confort ? AR : Je suis obligée de fonctionner de cette façon. Le rire, c’est quelque chose qui se calcule au millimètre. Si vous bafouillez ou que vous faites une pause au mauvais endroit, le gag est raté. Il faut faire attention à

LFC : Vous faites beaucoup de personnages sur scène. Le fait de rentrer dans la peau de quelqu’un, est-ce plus simple pour se surpasser ? AR : Quand je suis quelqu’un d’autre, je pense que j’ai plus de liberté, je suis plus à l’aise. Parfois quand c’est moi qui parle, j’ai l’impression d’être un peu plus timorée. D’ailleurs, je ne suis pas une grande fan de ces humoristes extravertis qui se comportent à la ville comme à la scène, qui font des vannes sans cesse. Pour en avoir fréquenter, ça peut être rigolo cinq minutes mais c’est vite très fatiguant. Je me dépense beaucoup sur scène mais dans la vie, je préfère être en retrait. LFC : Dans les sketchs que vous proposez, il y a tout le temps beaucoup de fond, vous aimez jouer avec les mots, il y a de la réflexion. AR : J’aime que l’humour ait du sens. Je pourrais empiler les vannes et faire rire les gens pendant deux heures mais si il n’y a pas de fond, ça ne m’intéresse pas. Il faut que ça suscite quelque chose, qu’il y ait une réflexion sur la vie de manière à ce que quand les gens se

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ANNE ROUMANOFF

AR : Je crois que j’ai encore plus d’énergie qu’il y a trente ans. J’ai moins peur. Je suis comme un ébéniste qui polit un meuble, j’ai une certaine maitrise du métier. Tous les soirs, je me fixe des challenges, je travaille sur des petits détails, je suis sans cesse en train d’essayer d’améliorer les choses.


LFC : Un livre est également en préparation aux Éditions du Cherche Midi. Que va t-on y trouver à l’intérieur ? AR : Nous travaillons actuellement sur la couverture, il devrait sortir dans peu de temps. C’est un livre de quatre cent pages qui reprend tous mes textes de scène depuis le début. J’ai fait un énorme travail de tri, j’ai viré certains sketchs, j’en ai retravaillé d’autres. Ça commence par les sketchs actuels et ça remonte jusqu’au début de ma carrière, c’est une compilation de mes treize spectacles.

J’ai été surprise de la longueur du livre, ce sont des années de travail compilées dans une oeuvre, c’est d’ailleurs assez émouvant. LFC : Pensez-vous déjà au prochain spectacle ? AR : Je suis actuellement sur l’écriture d’un film, ce qui me prend beaucoup de temps, mais oui j’y pense, je m’y mets petit à petit. Je connais déjà les thèmes qui seront présents, mais je dois approfondir tout cela. Après la date du quatre novembre à l’Olympia, je dois voir mon metteur en scène pour commencer à travailler dessus et incorporer des sketchs petit à petit jusqu’en juin 2018.

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retrouvent dans une situation similaire à celle du sketch, ils aient un petit recul. Je ne dis pas que tous mes sketchs ont un sens et du fond mais c’est important qu’il y ait des moments d’émotion. L’humour est là pour aider à supporter la vie.

JE SUIS ACTUELLEMENT SUR L'ECRITURE D'UN FILM.


MICHEL LEGRAND L'ENTRETIEN Propos recueillis par Christophe Mangelle et Quentin Haessig Photos libres de droits fournies par la production.

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LES PARAPLUIES DE CHERBOURG, LES DEMOISELLES DE ROCHEFORT, L'AFFAIRE THOMAS CROWN...C'EST LUI !


ML : (Il coupe) Le plaisir est pour moi. Vous savez, je n’ai pas l’habitude de parler face aux journalistes. J’ai décidé de devenir musicien car je souhaitais raconter ma vie au piano, en jouant de la musique. Je suis beaucoup plus à l’aise sur scène, le piano c’est ma vie. LFC : Le piano c’est votre vie mais le piano a aussi fait votre vie. Il vous a amené très loin, est-ce que vous pensiez en arriver ici en commençant votre carrière ? ML : C’est quelque chose que l’on ne sait jamais. Lorsque j’ai terminé mes études au Conservatoire en 1952, j’avais vingt ans et je pouvais tout faire, alors j’ai décidé de tout faire. J’aimais le jazz, j’aimais le classique, la chanson, le cinéma… Pourquoi se priver de certaines choses ? Je me suis dit que j’allais essayer d’exister partout, c’était plutôt ambitieux. LFC : Aujourd’hui, on se voit pour le spectacle "Piano Solo".

JE NE SUIS PAS UN LITTERAIRE BIEN QUE J’AIME LA POESIE, LA LITTERATURE, COMME TOUT LE MONDE. MAIS C’EST AU PIANO QUE JE SUIS LE PLUS A L’AISE. Comment ce spectacle est-il né ? ML : Habituellement je fais des concerts dans des grandes salles où il y a à chaque fois plusieurs milliers de spectateurs, des musiciens, un orchestre… Tout cela demande beaucoup de préparation et d’organisation. Et là, tout d’un coup, me voilà tout seul. Je vais raconter au piano ce que je ne saurais pas dire avec des mots. Je ne suis pas un littéraire bien que j’aime la poésie, la littérature, comme tout le monde. Mais c’est au piano que je suis le plus à l'aise.

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LFC : Michel Legrand, c’est un grand plaisir de nous recevoir…


ML : Je crois que j’avais besoin de proximité avec le public. Je voulais être proche d’eux, car ce genre de moment est très rare. Lorsque je me retrouve dans des grandes salles, c’est un peu comme si une grande mer s’étendait devant moi. Dans peu de temps, je vais jouer dans un club très célèbre de New-York, le « Blue Note », c’est un tout petit endroit mais c’est ce que je préfère, c’est ce qu’il y a de plus réjouissant. LFC : Est-ce une façon pour vous de continuer à faire marcher votre créativité ? ML : En effet. J’ai une cervelle qui ne s’arrête jamais. Je dors difficilement. Je suis toujours à la recherche de quelque chose de nouveau, toujours en train de noter des choses, que je garderai ou non. Quand je suis sur une petite scène

J’AIME L’INTIMITE, J’AIME QU’ON FASSE COPAIN -COPAIN AVEC LE PUBLIC, C’EST CELA QUI M’IMPORTE LE PLUS. de club ou un petit théâtre, j’ai l’impression de recevoir le public chez moi. J’aime l’intimité, j’aime qu’on fasse copain -copain avec le public, c’est cela qui m’importe le plus. LFC : C’est pour cela que vous faites de la musique ? ML : En toute honnêteté, je fais de la musique pour moimême. Pour me retrouver. Pour exister dans mon intérieur à moi. La fabrication de mon être physique est musique. Mes pieds sont musique, mes mains sont musique, ma pensée est musique. Je dois à la musique tout ce qui m’est arrivé dans la vie. À chaque fois que j'ai vécu quelque chose

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LFC : C’est assez paradoxal, vous avez parcouru la terre entière, vous avez joué dans des salles pleines à craquer, et là vous ressentez le besoin d’être seul. D’où vous vient cette envie ?


Je prépare un film, mon troisième avec un magnifique scénario de Didier Van Canwelaert.

d’important, il y avait un lien avec la musique. LFC : Dans ce spectacle, vous reprenez des morceaux qui vous ont accompagné toute votre vie, avec lesquels vous avez gagné de nombreux prix (Oscars, Grammy, BAFTA…). Qu’est-ce que ça représente pour vous ? ML : À vrai dire, rien. Ce sont des morceaux de sucre. C’est agréable, c’est sympathique mais ça ne me fait pas jouer mieux ou moins bien.

ML : J’ai choisi quatorze morceaux. Parmi eux : Les parapluies de Cherbourg, Les demoiselles de Rochefort, L’Affaire Thomas Crown… Des morceaux plus ou moins drôles, plus ou moins tragiques. Ils représentent un éventail de tout ce que j’ai pu vivre dans ma vie. Chaque fois que je les joue, j’improvise. C’est assez magique et je crois que cela vient du jazz. Le jazz vous apprend à improviser, la musique classique non. Vous savez, j’ai une vie très sérieuse, je ne fume pas, je ne bois pas d’alcool, je ne bois pas de café, mais j’ai besoin de liberté et de folie et tout cela je le vis à travers la musique. LFC : Est-ce que vous transmettez ce savoir ? Notamment auprès de la nouvelle génération.

Malheureusement je n’ai aucun don pédagogique. C’est sans espoir. Je ne travaille que pour moi et cela prend déjà beaucoup de temps. Quand je joue avec d’autres musiciens, il faut que tout le monde soit au même niveau, sans cela il est impossible de se comprendre. LFC : Au delà de ce spectacle, on imagine que vous avez déjà d’autres projets. Pouvez-vous nous en dire plus ? ML : Je suis aujourd’hui dans mon dernier effort créatif avec la musique classique. J’écris des concertos, des musiques de films, j’écris aussi pour les autres… J’ai des projets que personne d’autres ne fait. Je prépare un film également, mon troisième avec un magnifique scénario de Didier Van Canwelaert. J’ai toujours voulu raconter des histoires et tout cela fait un ensemble qui m’enchante. La vraie création c’est l’imagination.

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LFC : Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous allezvous proposer au public ?


GAUTHIER FOURCADE PARLE DE LIBERTE, MAIS PAS QUE...

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ACTUELLEMENT A LA MANUFACTURE DES ABESSES POUR LIBERTE !


GF : J'ai eu une presse dithyrambique cet été durant le Festival d’Avignon, le spectacle a été très bien reçu à ma plus grande joie, ce qui a contribué au bon démarrage à Paris. Comme d'habitude il y a eu un petit creux au mois de septembre à cause de la rentrée mais depuis quelques semaines, ça remonte très bien. LFC : Dans ce spectacle, vous incarnez un personnage qui a une maladie : il n’arrive pas à faire des choix. Quels points communs avez-vous avec lui ? GF : J'écris un spectacle tous les six ans seulement. C'est le temps qu'il me faut pour devenir une personne vraiment différente, avec un regard autre sur le monde et sur moimême. J'ai pris conscience de la paresse qui se cachait derrière mes refus de prendre position sur différents sujets, sous prétexte que je ne n'étais pas assez informé. J'étais

JE N'AI JAMAIS EU UN SPECTACLE AUTANT EN PHASE AVEC L’ACTUALITE. l'éternel étudiant qui avait fait sienne, la devise de Socrate : « je ne sais qu'une chose, c'est que je ne sais rien ». Et bien, même si l'on doute, il faut prendre position, quitte à déplaire, quitte à se tromper et à changer d'avis une fois mieux informé. Et comme on n'est jamais certain de faire le bon choix, il faut respecter celui des autres. LFC : Il y a comme un sentiment de révolte avec le titre « Liberté ! » (avec un point d’exclamation). Quel a été le point de départ de la création de ce spectacle ? GF : Je ne choisis jamais mes sujets. Je prends des notes pendant des années ; toutes les idées drôles et insolites

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LFC : Après un beau succès au Festival d’Avignon cet été, le spectacle « Liberté » est à l’affiche depuis fin août à la Manufacture des Abbesses. Comment s’est passé ce démarrage parisien ?


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n'avais jamais été. William et moi avions, de par nos formations, des conceptions du théâtre et du jeu d'acteur radicalement opposées. C'est ce qui m'a donné envie : ne pas savoir ce que ça pourrait donner au final. Ç'aurait pu être un fiasco, mais nous sommes ravis tous deux du résultat. Et nos fans aussi. LFC : Lorsque l’on joue son cinquième seul-en-scène, dans quel état d’esprit se trouve t-on ? GF : Toujours émerveillé d'avoir su encore trouver de nouveaux défis. Je ne me serais jamais cru capable de hisser mon niveau de jeu jusque-là où William voulait m'emmener. Lorsque je me vois en vidéo je me dis "C’est moi ? Ça alors !". C'est ce qui est formidable dans notre métier : on peut se bonifier sans cesse, à condition d'être dans une perpétuelle prise de risque.

PAR QUENTIN HAESSIG PHOTO : ROLAND BOYER

qui me viennent, en vrac. Un jour, je relis tout ça et je regroupe par thèmes. Cette fois j'ai vu que celui de la liberté revenait souvent. Par ailleurs j'avais beaucoup de choses drôles sur les multinationales, la démocratie, le fanatisme religieux. Facile de relier tout ça. Je n'ai jamais eu un spectacle autant en phase avec l’actualité. LFC : À la mise en scène, on retrouve William Mesguich, actuellement à l’affiche du "Dernier jour d’un condamné" au Studio Hébertot. Comment s’est passé votre collaboration ? GF : Après avoir fait lire le texte à différents metteurs en scène, j'ai choisi celui qui m'emmènerait là où je

GF : Les gens disent que plus on vieillit plus le temps passe vite, ce que je ne ressens absolument pas. Je crois comprendre que l'on a une horloge intérieure qui comptabilise les modifications de notre être. Lorsqu'on est enfant, on se modifie à chaque instant. Plus tard, on se fige dans des habitudes et une année entière peut passer sans changement majeur. J'ai la chance d'être resté enfant de ce point de vue. J'ai tant de fois changé ma façon d'être et de penser que j'ai l'impression d'avoir vécu une éternité. Si je mourrais maintenant ce ne serait pas scandaleux. Pourtant je n'ai que 55 ans. J'ai du mal à réaliser qu'il me reste probablement 30 ans à vivre. Une autre éternité. LFC : Pour terminer, pouvez-vous nous donner trois bonnes raisons aux lecteurs pour venir voir votre spectacle ? GF : Venez le voir si vous aimez les clowns et les marionnettes, si vous aimez les savants fous, les jeux de mots et les raisonnements absurdes, si vous aimez les grandes questions philosophiques et les histoires d’amour, si vous n'aimez pas la confiscation du pouvoir par les multinationales et la monté des intégrismes religieux, si vous aimez les romains (ça c'est la surprise !). Ça fait cinq bonnes raisons pour le prix de trois !

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GAUTHIER FOURCADE

LFC : Vous semblez accorder une importance particulière au temps. Quel est votre rapport avec celui-ci ?


Une météorite va percuter la planète Terre. Il n’y aura plus de lendemains qui chantent, si ce n’est l’air entraînant « Pour la fin du monde » du regretté Gérard Palaprat. Julie

BOUQUET FINAL décide de réunir des amis dans son chalet de haute montagne, près du village de Castelbout, pour une dernière tête, mais la folie guette, tapie dans les cœurs ébranlés. La volontaire Julie (Amélie Étasse) n’a plus que deux obsessions : célébrer son funeste anniversaire avec panache et faire l’amour. Pendant toute la soirée, elle harcèlera son mari Gilles (Bartholomew Boutellis), un scénariste à l’ardeur castrée depuis l’annonce de la catastrophe. Marie (Emmanuelle Fernandez) est la sœur bout-en-train de Julie. Surnommée Obélix par son beau-frère qu’elle insupporte, elle ambitionne de perdre dix-sept kilos avant de mourir. Son mari monomaniaque Victor (Xavier Berlioz) est un assureur Picsou qui a estimé judicieux d’économiser sur les mets de qualité de l’ultime dîner. La volcanique Sonia (Marie Fugain), la meilleure amie de Julie, a décidé de demander en mariage Fatou, l'amour de sa vie, après une

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Pour la fin du monde, on ne pouvait rêver mieux ! Des amis en dettes de confidences, des envies de la dernière chance et des règlements de compte en pagailles à OK Castelbout. « Bouquet final » est un boulevard à se décrocher la mâchoire dès la première minute. Les auteurs Vincent Azé et Raphaël Pottier, rompus à l’humour sans complexe, forment un duo de plume d’une créativité lumineuse, avec des saillies qui tombent juste, pour le rire et le meilleur. La mise en scène supervitaminée d’Olivier Macé fait planer l’urgence électrique du « maintenant ou jamais ». Cette fièvre de vivre impatiente pousse le présent à défendre sa légitimité face au passé qui se réjouit de l’éclabousser. Les six comédiens se coulent dans cette veine d’énergie avec une complicité évidente qui propage leur joie débridée de jouer une fin du monde sans fin, du mardi au samedi, au théâtre de la Comédie-Caumartin.


Tous les ingrédients sont réunis pour allumer la mèche du rire franc et libérateur que des pilules hallucinogènes — prises pour des smarties par Julie et Victor — rendront délirant. Les comédiens sont en totale osmose, leur capital comique vibre avec la même énergie fédératrice, ils parviennent avec l’humilité généreuse à nous faire entrer dans leur ronde de bonne humeur de l’extrême. Les caractères se dévoilent dans une gradation émotionnelle synchrone et s’abandonnent à la vie, plus herbes folles que jamais, dans un lâcher-prise progressif à donner le tournis. D’autant que le jeu piquant et pétillant est servi par un texte calibré pour toutes les munitions. Mots salaces et mots d’esprit cohabitent dans la même délectation de langage. C’est un feu d’artifice de réparties par des auteurs artificiers qui nous en font voir de toutes les couleurs . À n’en pas douter, ce cocktail explosif de tant de talents va offrir au « Bouquet final » une place de choix au firmament du succès !

Bouquet final Auteurs : Vincent Azé et Raphaël Pottier Comédiens : Bartholomew Boutellis, Sébastien Knafo, Amélie Étasse, Marie Fugain, Xavier Berlioz, Emmanuelle Fernandez. Mise en scène : Olivier Macé, assisté de Laurence Guillet. Direction : Denise Petitdidier Production exécutive : Patrice Montico Co-producteurs : Alexandre Piot, Olivier Kaefer & Mehdi Lolliot Décors : Olivier Prost Costumes : Émilie Sornique Musique : Jean-Baptiste Martin Crédit Photos : Janine Gebran. À la Comédie Caumartin, 2 rue Caumartin, Paris IXe. Jusqu'au 21 décembre 2017, du mardi au samedi, à 17 heures ou 21 heures selon les jours. Durée : 1h20.

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mauvaise série d’échecs. Quant à Didier (Sébastien Knafo), l’incorrigible ami mytho, il se la joue flic de choc pour concurrencer les vies si bien huilées de ses amis.


"Il y a trois mystères que je n’ai jamais réussi à percer : le flux et le reflux des marées, le mécanisme social des abeilles... et la logique des femmes !", soupire frère Félicien, qui n’a connu des femmes qu’un aperçu avec une sœur aussi curieuse que lui. Aujourd’hui, il ne vit qu’à travers la bonne chère, à juger ses rondeurs généreuses. Lola est une femme de son temps. Très active, elle occupe un poste à haute responsabilité. Elle aime Julien, mais elle l'a quitté de

LA LOGIQUE DES FEMMES, A VOIR ET PLUS QUE DE RAISON ! peur de s'engager. Frère Félicien et Lola n’auraient jamais dû se rencontrer. Pourtant, une nuit de beuverie, la belle égarée perd connaissance dans la rue et est sauvée par un moine qui passait par là. Ce dernier lui propose de la ramener chez elle en échange d’être hébergé pour la nuit. Une nuit riche en événements ! La mise en scène de Carole Barbier insuffle du rythme et de l’intensité au jeu des comédiens. Les dialogues sont en tension soutenue, les acrobaties verbales cocasses et hilarantes. Les deux comédiens ne boudent pas leur plaisir de jouer, et ce plaisir est communicatif. Alors quand vient la tirade en mode Cyrano sur son sexe, Dominique-Pierre Devers provoque un feu d’artifice de dopamine dans la

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"La logique des femmes" est la nouvelle comédie d’Antoine Beauville, un peu dans la même veine que la dernière, "Madame Croque-monsieur !" L'auteur y brosse un portrait équilibré et tendre de la femme d’aujourd’hui qui se veut l’égal de l’homme en tout, quitte à en perdre l’homme aimé. Le texte pétille de finesse et d’inventivité, et surtout de bienveillance. L’humour est rond et gouleyant comme un bon vin, il réchauffe et suspend cet état de grâce divertissant jusqu’au tomber de rideau. L’humour est servi irrévérencieusement par deux acteurs irrésistibles. Les répliques claquent et s’entrechoquent avec des étincelles de plaisir. Virginie Stevenoot en femme amoureuse éplorée et Dominique-Pierre Devers en providentiel moine à soutane forment un duo détonant et facétieux.


LA LOGIQUE DES FEMMES, A VOIR ET PLUS QUE DE RAISON ! La logique des femmes Auteur : Antoine Beauville En alternance : Virginie Stevenoot ou Belen Lorenzo et Dominique-Pierre Devers, ou Mehdi, ou Daniel-Jean Colloredo. Mise en scène de Carole Barbier Co-Production : Les feux de la Rampe et A360 Production/Patrice Albanese Du mercredi au dimanche, à 16 h 30 et 21 heures, jusqu'au 5 novembre 2017. Au Théâtre Les Feux de la Rampe, 34 rue Richer, Paris IXe. Durée : 1h15.

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tête. Virginie Stevenoot n’est pas en reste ! Cette ancienne danseuse classique et de cabarets parisiens confère à Lola une classe naturelle et un dynamisme hyper vitaminé. Le comique lui va comme un fourreau de soie, et sa tête ébouriffée d’après cuite n’y change rien ! Il paraît que le rire équivaut à un bon steak ! Alors, je n’ai plus qu’une hâte : remettre le couvert avec frère Félicien et Lola.


Parfait ! Tout est en place... Silence ! On tourne ! En fait, l’assistant-réalisateur Batistin (Patrick Haudecœur) le voudrait bien, mais il doit remplacer au pied levé le cascadeur qui s’est fait porter pâle. Puis, son idylle avec la jeune première du film (Nassima Benchicou) devient un cauchemar. Celle-ci se révèle mante ambitieuse, prête à dévorer quiconque se met en travers de sa carrière. Le

SILENCE, ON TOURNE ! réalisateur (Jean-Pierre Malignon) est l’une des victimes, il enrage de jalousie et promet mille morts à l’amant inconnu. La mort, c’est aussi ce qui pend au nez du producteur (Philippe Uchan), car il a perdu une fortune au jeu. Or sa femme Rose (Isabelle Spade), qui tient le premier rôle du film, ne veut plus payer pour ses inconséquences. Quant à Philippe (Stéphane Roux) qui joue le cocu vengeur, il passe inaperçu sur le plateau, alors qu’il pense irradier de talent... Voilà de magnifiques névroses qui servent à dessein une pièce à rebondissements. Dans cette mise en abyme satirique de leur métier, les douze comédiens, complices et à la bonne humeur contagieuse, font progresser avec talent leur personnage vers leur destin. Ainsi, Patrick Haudecœur évoque un Batistin gentil et candide qui peu à peu va

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Installée au Théâtre Fontaine, à Paris, depuis janvier 2017, la pièce Silence, on tourne ! continue de déployer son jeu de séduction avec rires et fracas. Après le succès de Thé à la menthe ou t’es citron, Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras proposent une comédie dans la pure tradition du vaudeville sur le thème du cinéma. Leur écriture impertinente d’une efficacité redoutable permet de dérouler un tapis de névroses chatoyantes : amours déçues ou intéressées, jalousie entre les acteurs, rancœur des abonnés aux seconds rôles, etc. C'est un réjouissant prétexte aux quiproquos, gags et autres acrobaties qui emporte l’adhésion d’un public tortillé de rires, jusqu’au point culminant du comique où un spectateur est invité à jouer le rôle capital de l’amant.


Bref, vous l'aurez compris, cette comédie est une tuerie !

SILENCE, ON TOURNE ! Silence, on Tourne ! Auteur : Patrick Haudecœur et Gérald Sibleyras Mise en scène de Patrick Haudecœur Avec Isabelle Spade, Philippe Uchan, Patrick Haudecœur, Nassima Benchicou, Jean-Pierre Malignon, Stéphane Roux, Véronique Barrault, Adina Cartianu, Gino Lazzerini, Patricia Grégoire, Jean-Louis Damant, Jean-Yves Dubanton. Décors : Jean-Michel Adam Costumes : Juliette Chanaud Création lumières : Marie-Hélène Pinon Bande-son et bruitages : François Peyrony Pascal Legros Production Au théâtre Fontaine, 10 rue Fontaine 75009 Paris. Jusqu'au 30 décembre 2017, du mercredi au samedi à 21 heures, une séance supplémentaire le samedi à 18 heures et le dimanche à 16h30. Durée : 1h45.

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gagner en confiance et s’affirmer ; Philippe Uchan est un producteur cynique avant de sombrer ; Nassima Benchicou est glaçante à souhait dans son rôle d’ange arriviste ; Stéphane Roux donne au vaniteux Philippe un aplomb si désarmant et attendrissant qu’on ne voit que lui... Quant à l’amant malgré lui, il parvient avec brio et cabrioles à tirer son épingle du jeu, jusqu’à l’apothéose finale où tombent les masques… Tous les masques !


Dans Ben Hur, il est question d’une amitié trahie et de vengeance. Judah est prince de Judée, il a l’âme pure et déteste la violence. Son ami d’enfance romain Messala (Jo Brami) revient à Jérusalem pour prendre la tête de la garnison de la ville Sainte. Leur amitié possible en temps de paix ne résiste pas à la colère qui gronde du peuple juif

BEN HUR LA PARODIE "LIKER ET MOURIR DE RIRE". écrasé par les injustices des envahisseurs romains. Au cours d’une parade en l’honneur de l’arrivée du gouverneur, une tuile tombe du toit de la maison de Ben Hur, manquant de tuer le haut fonctionnaire romain. Alors que Messala sait qu’il ne s’agit là que d’un accident, il en profite pour envoyer son ancien ami aux galères sans jugement et jette en prison sa mère et sa sœur. Judah se jure alors de recouvrer sa liberté, de les libérer et de tuer Messala… jusqu’à ce qu’il croise sur son chemin le pardon qui a pour nom Jésus de Narrateur. Quelle magnifique parodie du péplum, même dans un format réduit en temps et en espace ! L’écriture est rythmée, les allusions aux références de films cultes ou aux actualités politiques et de faits divers tombent toujours à pic et sont d'un drôle à tomber à la renverse.

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Un titre de spectacle intrigant, s’il en est. Qui aura vu Ben Hur dans son enfance s’interroge sur la course de chars mythique qui l’a marqué à vie. Comment faire entrer sur la scène du Théâtre de Dix Heures un stade bondé et ses fringants chevaux en donnant la même impression de puissance que dans le film de 1960 ? C’était sans compter le talent des auteurs Hugues Duquesne et Olivier Mag et du metteur en scène Luc Sonzogni. Trois heures trente ramassées en soixante minutes de folie joyeuse, d’énergie tendue, de répliques drôles et fines, de références détournées de l’actualité, de surprises aussi qui donnent une grande envie de revoir l’orignal… ne serait-ce que pour vérifier que tout y est ? Eh bien, après un bain de jouvence avec Charlton Heston, figurez-vous que tout y est ! Le tour de force est complet ! Je « like » !


BEN HUR LA PARODIE "LIKER ET MOURIR DE RIRE". Ben Hur La Parodie, de Hugues Duquesne et Olivier Mag d’après l’œuvre de Lewis Wallace. Mise en scène de Luc Sonzogni Avec Hugues Duquesne (ou David Migeot), Olivier Mag (ou Cyril Ledoublee ou Emmanuel Gasne), Benjamin Tranié (ou Sébastien Chartier), Jo Brami. Tous les jeudis, vendredis et samedis à 20 heures et les dimanches à 16 h 30, jusqu’au 30 décembre 2017. Au Théâtre de Dix Heures, 36 Boulevard de Clichy, 75018 Paris Durée : 1 h. Crédit photo : Nathalie Gendreau

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Quant aux trouvailles de mise en scène, elles sont inventives et succulentes. La scène des morts-vivants qui se lèvent pour danser la chorégraphie de Michael Jackson est galvanisante. Quant à la course de chars, faut-il dévoiler le stratagème burlesque qui sonne comme un retour à l’enfance nostalgique ? Diantre, non ! On n'en dira rien, si ce n’est que c'est à se tordre de rire ! Pour sûr, je « like » encore et encore !


On ne dira pas si Marie et Paul parviennent à leurs fins, toujours est-il que la nouvelle comédie de Bob Martet part dans ce délire romantique avec une écriture rythmée à couper le souffle, soutenue par une mise en scène d’Anne Bourgeois exigeante d’exactitude. Elle permet aux quatre comédiens de s’insérer au millimètre dans cette harmonique du rire, donnant aux situations comiques et aux gags un relief croustillant à souhait ! Cette notion de

TANT QU'IL Y A DE L'AMOUR vitesse est renforcée par les trois décors escamotables d’Édouard Laug qui coulissent à distance sans fausse note. Les réparties fusent avec la passion tantôt acide, tantôt enfiévrée, mais toujours avec une touchante sincérité qui désarme. On en viendrait à plaindre les personnages qui s’escriment à défendre leur pré carré au prix d’immenses sacrifices. Les comédiens ne baissent pas les armes une seconde pour faire croire à leur personnage. Patrick Chesnay balbutie, bougonne, tangue et tressaute avec une conviction drolatique chevillée au corps. Mention spéciale pour MarieAnne Chazel qui joue avec un pied cassé. Difficile et courageux de courir d’un bout à l’autre de la scène ou de lever langoureusement la jambe dans les ébats amoureux. Laurent Gamelon est attendrissant dans l’amant raide

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Avec « Tant qu’il y a de l’amour », au théâtre de la Michodière, c’est l’amour avec un grand « M » comme mortel ! C’est celui de Jean (Patrick Chesnais) et de Marie (Marie-Anne Chazel) qui s’effiloche à l’usure des habitudes et qui fait bifurquer leur cœur de sa ligne droite. Jean ira vers Inès (Valérie Bègue), une jeunette tombée en pâmoison pour lui. Marie ira vers Paul (Laurent Gamelon), un veuf pharmacien tombé en sidération pour elle. Entre Jean qui ne veut rien changer et Marie qui veut tout changer, les ennuis vont pleuvoir ! Marie persuade son amant de l’aider à tuer son bougon de mari qui ne veut pas lui rendre sa liberté... même si cet éprouvant passage à l’acte, finalement, lui coûte tellement !


TANT QU’IL Y A DE L’AMOUR Tant qu’il y a de l’amour Auteur : Bob Martet Distribution : Patrick Chesnais, Marie-Anne Chazel, Laurent Gamelon et Valérie Bègue. Mise en scène : Anne Bourgeois Assistance de mise en scène : Betty Lemoine et Sonia Sariel Décors : Edouard Laug Costumes : Cécile Magnan Lumières : Laurent Béal Musique : François Peyrony Accessoires : Flore Guillemonat Crédit photos : William Let Au théâtre de la Michodière, 2 rue de la Michodière, Paris II. Du mardi au samedi à 20h30, matinées le samedi à 16 h30, matinées le dimanche à 15h30. Jusqu’au 12 novembre 2017.Durée : 1h30.

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dingue qui répugne à donner le « bouillon de onze heures » à son rival. Quant à Valérie Bègue, Miss France 2008, elle n’a aucun mal à se mettre dans la peau de la maîtresse au corps voluptueux qui fait perdre la tête à Jean. Sa vitalité et sa sincérité rend totalement crédible son personnage sincèrement épris. Avec ces comédiens au tonus infaillible, la comédie burlesque « Tant qu’il y a de l’amour » prend un tour fatalement mortel !


OCTOBRE 2017 | LFC MAGAZINE #3 >>>>>>>>>>>>

MUSIQUE INTERVIEW + LEA PACI ZANARELLI


LFC MUSIQUE

MASKA Membre de Sexion

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d'Assaut, Maska vole de ses propres ailes. Rencontre.

ZANARELLI

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Entretien avec un chanteur talentueux qui présente son premier album pop acidulé au texte sensible. 247

LEA PACI Un talent qui inonde les ondes avec Adolescente Pirate, qui propose un très bel album féminin et qui est la seule artiste féminine nommée aux NRJ Music Awards dans la catégorie "Révelation francophone de l'année". En attendant la réponse le 4 novembre, on vote pour elle ! Rencontre.


Rencontre dans les locaux chez Sony Music à Paris avec Maska, membre du groupe Sexion d'Assaut. Il nous parle de son nouveau disque solo Akhal Téké. Entretien. Propos recueillis par Christophe Mangelle et Quentin Haessig. Photos : copyright promo Sony Music

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MASKA IS BACK

HIP-HOP MUSIC


LE BONHEUR N’A PAS DE RAISON PROFONDE, C’EST QUELQUE CHOSE D’ASSEZ SIMPLE. LA MELANCOLIE, CA NAÎT DE QUELQUE CHOSE DE PLUS COMPLEXE. DE MANIERE GENERALE, IL Y A PLUS DE CHOSES A DIRE SUR DES CHOSES NEGATIVES QUE SUR DES CHOSES POSITIVES.

M : Très bien. Je suis très heureux. Pendant ces trois années, j’ai beaucoup travaillé sur la mise en forme, que ce soit par le chant ou par le piano, de manière à approfondir mes compétences. J’ai écrit beaucoup de chansons pour de nombreux artistes et c’est certainement ce que j’aime le plus, mais j’avais besoin de travailler sur d’autres domaines pour devenir un artiste à part entière. LFC : Durant ces trois années, vous avez sorti en 2014 un premier projet : "Espace-temps". Quel bilan en tirez-vous ? M : Avec le projet « Espace-temps », j’ai compris que je ne m’étais pas encore accompli en tant qu’artiste. Au sein de la Sexion d’Assaut, nous avions l’habitude de nous répartir les tâches, que ce soit à la production, à l’écriture… Chacun savait ce qu’il avait à faire et c’est pour ça que ça fonctionnait aussi bien. Mais quand vous vous retrouvez

QUAND VOUS VOUS RETROUVEZ EN SOLO, VOUS ETES FACE A VOUS-MEME. en solo, vous êtes face à vous-même, vous savez que vous ne pourrez pas forcément compter sur les autres, c’est sa propre personnalité qu’il faut mettre en avant et ce n’est pas forcément évident lorsqu’on a commencé sa carrière dans un groupe. LFC : Vous avez écrit des chansons pour Kendji Girac ou encore Zaho… Qu’est-ce que ça vous a apporté de collaborer avec d’autres artistes ? M : L’écriture, c’est un exercice mental. C’est se mettre dans la peau d’une jeune femme, pour Zaho, et dans la peau d’un homme qui a dix ans de moins que vous, pour Kendji. Ce n'est jamais le même profil, c'est un gros travail de réflexion. Ce que j'apprécie le plus dans cet exercice,

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LFC : Maska, vous êtes l’un des membres du groupe Sexion d’Assaut, votre carrière solo a démarré en 2014, nous sommes aujourd’hui en 2017, comment ça se passe jusqu’ici ?


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c’est qu’il faut trouver le bon feeling avec l’autre artiste. Si il n’y a pas un minimum de connexion, ça ne peut pas fonctionner. LFC : Il y a eu d’autres projets par la suite, avec les singles « À pas de loups » et « Fly », qui ont cumulé des millions de vues sur les réseaux sociaux. Petit à petit, vous réussissez à vous imposer, ce qui n’était pas forcément évident comme vous l’avez dit auparavant. Quelles sont vos impressions ?

LFC : L’actualité du moment, c’est le nouveau single « Le petit » en featuring avec S. Pri Noir. Est-ce qu’on peut y voir un rapport à l’enfance ? M : Le thème de cette chanson, je dirais que c’est surtout l’opposition entre deux générations. La nouvelle face à l’ancienne. C’est un phénomène de société qui m’intéresse depuis un moment. Avec S. Pri Noir, qui m’accompagne sur ce son, nous étions vraiment sur la même longueur d’onde par rapport à ce sujet. C’est un mec que je connais depuis plus de dix ans et ce n’est pas un hasard qu’il soit arrivé sur ce projet. C’est quelque chose qui va au delà du domaine artistique. LFC : Votre mixtape est disponible depuis le 13 octobre et s’appelle Akhal Téké, pouvez-vous nous traduire ça ? M : C’est une race de chevaux qui vient du Turkménistan. Elle a été en voie de disparition pendant très longtemps mais est finalement devenue une race très cotée dans le milieu de l’équitation. Je trouvais qu’il y avais un point commun avec cette race de chevaux et ma démarche artistique. Il y a eu beaucoup de remise en question et j’ai dû passer par beaucoup d’étapes pour arriver à maturité et me battre pour être ce que je suis aujourd’hui. C’est une sorte de métaphore. LFC : Quels thèmes trouvera t-on sur ce projet ? M : Il y aura beaucoup d’amour. Ça peut surprendre car auparavant, on va dire que j’étais un peu plus dans la

dureté que ce soit dans mon phrasé ou dans mes textes, mais je crois qu’on retranscrit toujours ce que l’on vit dans notre vie de tous les jours. Ma vie s’est adoucit, et ça se traduit dans mes chansons. Tant que je transmets l’émotion que j’ai envie de transmettre, c’est ce qu’il y a de plus important dans le boulot d’un artiste. LFC : On sent qu’il y a également une sorte de mélancolie dans ce que vous avez à exprimer. M : Je ne sais pas… Oui certainement. C’est quelque chose dont on pourrait parler pendant des heures. Je ne saurais pas expliquer le pourquoi du comment. Une mélancolie ou une tristesse, je trouve ça beaucoup plus fort qu’un bonheur. Le bonheur n’a pas de raison profonde, c’est quelque chose d’assez simple. La mélancolie, ça naît de quelque chose de plus complexe. De manière générale, il y a plus de choses à dire sur des choses négatives que sur des choses positives. LFC : Avez-vous des envies de scène ? M : Oui, beaucoup. Et encore plus qu’à l’époque de la Sexion d’Assaut. Avant, il y avait une partie de moi qui était un peu frustrée quand je faisais mon couplet, même si je m’épanouissais complètement. Je voyais mon pote Maître Gims qui chantait, qui sortait ses tripes, qui transmettait énormément d’émotions et moi par rapport à ça, dans un rap où on touche moins les gens, même si on a beau être très explicite, il y a moins de mélodie donc moins d’émotions. C’est pour ça qu’en 2017/2018, j’espère pouvoir faire beaucoup de scènes et transmettre le maximum d’émotions. Comme je suis en développement et en plein virage artistique, ce n’est pas forcément ma priorité mais je pense que ça viendra naturellement par la suite. En revanche, ce que je peux vous dire c’est que chaque son, je me l’imagine dans ma tête et je le vois en clip, c’est une sorte de réflexe que j’ai depuis l’époque de Sexion d’Assaut.

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M : C’est une grande satisfaction. C’est un virage artistique que j’ai pris, ce n’était pas quelque chose de facile pour toute la fanbase qui me suit. Quand je vois que les gens comprennent ma démarche et sont de plus en plus nombreux à me suivre, ça me fait chaud au cœor. Je discute beaucoup avec eux via Snapchat, ça me permet de prendre la température. Je pense être resté fidèle dans le fond, il n’y a que la mise en forme qui a évolué. Peut-être que j’intellectualise un peu trop la musique mais je crois que ça plaît à mon public, j’espère qu’ils se reconnaissent à travers mes textes.


TALENT

Échange avec Zanarelli, un artiste sensible qui nous propose un premier album "Les vertiges de l'écho" d'une grande qualité dans un univers pop et acidulé. Propos recueillis par Christophe Mangelle Photos : Laura Bonnefous

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ZANARELLI ELEGANT ET VITAMINE


MON PREMIER DISQUE : UN GRAND REVE D'ENFANT PAR CHRISTOPHE MANGELLE

Z : Un grand rêve d'enfant oui. Finalement cela s'est passé très naturellement. De la passion, de l'énergie etc... Pascal Sevran disait de moi que je suis téméraire. C'est sans doute mon ingrédient principal. C'est une expérience unique de réunir tous ces musiciens autour de mes compositions. Mon album est exactement comme je le rêvais. A la fois pop, mélodique et mélancolique. J'ai l'impression d'avoir réuni tous mes traits de caractère dans un seul et même objet. LFC : Il vous a fallu cinq ans de création et de collaboration pour aboutir à ce très joli album, soigné, délicat, classe. Êtes-vous exigent ? Perfectionniste ? Z : Oui je suis exigent. Sans doute trop. Vous savez je suis né un 1er février, comme Claude François. Je ne sais pas si mon signe astrologique y est pour beaucoup, mais j'ai

JE SUIS AUTEUR, COMPOSITEUR ET INTERPRETE DE TOUT MON ALBUM, AVEC QUELQUES COLLABORATIONS. besoin d'être investi dans tous les rôles indispensables à un tel projet. LFC : Vos visuels sont très jaunes, on a rien contre, même Martin Solveig s’y met. Votre pop est acidulée, vitaminée. Vous avez tout du citron si vous étiez un fruit ? C’est pour cela qu’il y en un sur la pochette et autre photo ? Z : Je suis un grand consommateur de citrons. Avec tous les concerts qui se succèdent, j'ai besoin d'avoir une bonne hygiène de vie et alimentaire. Quand j'ai pensé à créer une "rose citron", j'ai trouvé que cela mêlait à la fois pop et glamour. Je suis assez pétillant je crois et le citron a ce côté vitaminé et énergétique qu'on peut retrouver dans

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LFC : Bonjour Olivier Zanarelli, nous sommes heureux d’échanger de nouveau avec vous. Votre premier album L’écho des vertiges est un moment pop et serein. Comment vivez-vous cette première expérience ? L’édition d’un album de 12 titres, c’est un rêve de gosse qui se réalise ?


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uniques qui ont fait de moi l'homme que je suis à présent. LFC : Vous êtes un artiste qui aime la scène, plus de 350 concerts. Racontez-nous votre amour de la scène. Z : Je suis monté sur scène à l'âge de 12 ans pour chanter pour Soeur Emmanuel. A l'époque, je ne comprenais pas trop combien ça allait être un moment important. Quand elle m'a prise dans ses bras pour me dire "Chante et souris", ça a été comme une révélation. Depuis, j'essaie de garder ces mots tendres en mémoire. J'aime chanter sur scène. Mes chansons sont nées sur scène !

QUE CET ALBUM SOIT NOTRE RENCONTRE

LFC : Quelles sont vos prochaines dates de concert ? Z : Je vais bientôt du côté de Flassans dans le sud, au théâtre de Barentin et à Strasbourg. J'ai hâte de retrouver le public. LFC : Sur le titre « Bormes les mimosas », vous chantez en duo avec Alka. Parlez-nous de cette collaboration.

LFC : Vous êtes musicien, compositeur, interprète… Avez-vous écrit tous les textes de l’album ? Z : Je suis auteur, compositeur et interprète de tout mon album, avec quelques collaborations. Souvent quand je compose, tout vient en même temps : la mélodie comme les paroles. Parfois, j'imagine même les images de mon clip en même temps que l'inspiration. LFC : Vous parlez dans cet album d’amour et d’enfance. Pourquoi ces thèmes sont si importants au point de vous inspirer de si belles chansons ? Z : Parce que dans mes 30 premières années, l'enfance et l'adolescence représentent une grande part de ma vie car j'ai été un enfant/adulte très tôt. Je me suis occupé de ma grand-mère et j'ai eu des responsabilité auprès d'elle. Cela m'a permis aussi de vivre des moments

Z : Je suis tombé amoureux de la voix d' Alka Balbir qui joue en ce moment au théâtre EDOUARD VII à Paris. Quand Benjamin Biolay lui a réalisé un album, j'ai sauté sur l'occasion pour l'écouter et j'en suis tombé amoureux. L'entendre prononcer mes mots m'attendrit beaucoup. LFC : Qu’aimeriez-vous qu’on retienne de vos chansons ? Z : Que la vie doit se vivre dans l'instant présent. Qu'il faut s'échapper parfois seul pour se retrouver et revenir meilleur. Enfin, j'ai envie d'avoir espoir en l'être humain. Je cherche toujours ce qu'il y a de bon dans le mauvais. LFC : Un grand merci pour cet entretien, on vous laisse le mot de la fin… Z : Que cet album soit notre rencontre.

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mes chansons.


Un talent qui inonde les ondes avec "Adolescente Pirate". Léa Paci propose un très bel album féminin et qui est la seule artiste féminine nommée aux NRJ Music Awards dans la catégorie "Révelation francophone de l'année". Rencontre. Propos recueillis par Christophe Mangelle et Quentin Haessig. Photos : Yann Orhan

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LEA PACI SON CHAPITRE 1

TALENT


LES DIX TITRES SONT DES CAPSULES DANS LE TEMPS, DES MOMENTS TRES PRECIS DE TOUT CE QUI M’EST ARRIVEE.

LP : Ce n’est pas forcément un chiffre fétiche. Au départ, nous avions entre vingt-cinq et trente titres, il a fallu choisir les dix titres qui me correspondaient le mieux. Ce premier album, c’est un peu ma carte de visite, il fallait que les gens puissent s’identifier à moi et qu’ils ne soient pas envahis d’informations. J’aime l’idée de prendre son temps et de créer l’attente. LFC : Pouvez-vous nous parler de vos débuts ? Comment tout a commencé ? LP : Merci internet, merci le monde virtuel ! Auparavant, je faisais beaucoup de théâtre et durant les moments de pause, nous jouions chacun d’un instrument pour s’amuser, je suis vraiment tombée amoureuse de ces moments de partage. Un jour, j’ai décidé d’acheter une guitare et avec beaucoup de patience et de détermination, j’ai appris à en jouer grâce à des tutoriels sur le web. Par la suite, j’ai posté mes morceaux sur internet en me disant que j’aurais

DANS LA VIE, SI ON NE PREND PAS DE RISQUES, ON NE FAIT RIEN. d’autres avis que celui de mes parents et l’aventure a commencé ! LFC : On aime beaucoup votre histoire. Il y a un coté autodidacte et chercheuse dans votre personnalité. LP : Chercheuse et fonceuse ! On a souvent cherché à me décourager, en me disant que la guitare ne s’apprend pas comme cela, qu’il faut prendre des cours etc. Je voulais me prouver à moi-même que j’ai constamment besoin de m’enivrer de quelque chose qui me passionne et qui me donne envie de me lever le matin. De plus, j’ai eu le soutien de mes parents qui à l’époque m’encourageaient à être bonne à l’école pour que je puisse en parallèle,

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LFC : C’est un plaisir de vous avoir en interview pour la première fois. On va parler de toutes vos actualités et notamment de votre premier album. Chapitre 1. Dix titres. Est-ce un chiffre qui a une signification particulière ?


profiter de mes activités de théâtre et de musique. L’aventure a continué de la même manière, car Chapitre 1 s’est construit pendant les deux ans où je passais mon BTS. Il fallait simplement trouver le bon rythme et je crois que quand on veut vraiment quelque chose, on se donne toujours les moyens pour y arriver. LFC : Tout est une histoire de rencontre dans la vie. C’est un peu votre histoire aussi ?

Tristan Salvati et Yohann Malory (compositeurs sur le premier album), je travaillais avec quelqu’un mais je sentais que je n’allais pas dans la bonne direction. Dans ces cas là, il faut avoir l’honnêteté, même quand on a dix huit ans, de dire stop. Alors forcément, au début ça effraie ses parents quand vous leur dites que vous allez faire de la musique dans une cave, il y a plus rassurant ! Mais dans la vie, si on ne prend pas de risques, on ne fait rien.

Oui complètement. Il faut oser saisir les rencontres. Peu importe où elle vous mènent. Avant de rencontrer

LFC : Vous êtes interprète, mais écrivez-vous également vos chansons ?

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n’ai pas écrit mais qui est autobiographique, je me suis confiée à eux, je leur ai fait totalement confiance et ils ont parfaitement compris ma vision. Les dix titres sont des capsules dans le temps, des moments très précis de tout ce qui m’est arrivée.

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LFC : Comment s’est passé votre première scène ? LP : C’est un souvenir incroyable. J’étais en train de pleurer avant même de jouer mon dernier morceau, la décharge émotionnelle est beaucoup trop forte dans ce genre de moment. Je trouve complètement dingue que

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Il y a une chanson qui est écrite entièrement par moi, c’est la dernière de l’album « Algorithmes ». C’est un peu celle que je n’osais pas présenter. Le fait d’écrire en français me faisait très peur. On est à une époque où lorsqu’on s’attaque à la langue française, il y a beaucoup d’attente et surtout beaucoup de critiques. Parfois infondées, parfois méchantes. Il y avait de l’appréhension sur le regard que les gens allaient avoir sur autre chose que ma musique. C’est pour cela que j’ai préféré laisser la main à des personnes qui avaient ce talent là. Mon talent c’est de chanter, eux c’est d’écrire. Parfois, c’est bien de déléguer. C’est un album que je


MON CHAPITRE 2, JE L'IMAGINE PLUS ADULTE. LFC : Vous sentez que la musique a un effet particulier sur les gens ? LP : Complètement. On devient prescripteur de beaucoup de choses quand on est artiste, ça va au delà de la musique. De plus, avec les réseaux sociaux, les choses prennent un tout autre sens. On porte le message de notre album, des valeurs que l’on défend. Alors certes, je n’ai pas un album "engagé", mais il explique ce qu’est la vie d’une fille de dixhuit ans. LFC : Ce que nous avons aimé, c’est que nous n’avons pas dix-huit ans mais votre album nous a touché quand même. LP : Que les gens aient vingt ans ou cinquante ans, je suis certaine qu’ils se reconnaîtront dans cet album. Il est question d’amour, sous toutes ses formes, de couple, des premières fois… Ce sont des choses que nous partageons tous et c’est cela qui rend la chose universelle.

QUAND ON GRANDIT, ON A UN OEIL DIFFERENT, MON REGARD A CHANGE ET JE SOUHAITE QUE LES GENS QUI ME SUIVENT EVOLUENT AVEC MOI.

LFC : Comment imaginez-vous votre « Chapitre 2 » ? LP : Beaucoup plus adulte. Pas dans le sens où je vais prendre plus de recul et de hauteur mais plutôt dans le travail d’écriture. J’ai eu le temps de vivre beaucoup de choses liées à l’amour, en tant que jeune adulte et pas en tant que jeune fille. Quand on grandit, on a un oeil différent, mon regard a changé et je souhaite que les gens qui me suivent évoluent avec moi. C’est un projet que l’on construit à plusieurs, le public, les médias… Moi je suis simplement là pour mettre des mots et faire de la musique.

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des gens chantent vos morceaux à l’unisson. Et de voir le bonheur des gens qui sont présents, qui ressentent la même chose que moi lorsque je vais voir un concert, c’est fantastique.


LFC LE MAG :

RENDEZ-VOUS LA QUATRIÈME SEMAINE DE NOVEMBRE 2017 POUR LFC #4 Cela semble impossible jusqu'à ce qu'on le fasse. NELSON MANDELA


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