Linguistique

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Je ne sais pas pourquoi je cherche un soutien, pourquoi je me sauve dans les pensées formées dans une autre langue, avec des mots d’une langue que je connais pourtant, moins bien que, ma propre langue. Je n’ai jamais voulu chercher les origines et les raisons de ce comportement enfoui dans un coin de mon


subconscient. Depuis la découverte de l’existence d’autres possibilités de s’exprimer qu’en sa langue maternelle, je fais cette escapade, et ce, dès qu’une situation m’effraie, me trouble ou m’excite un peu plus. Il m’arrive, quelquefois, d’y aller juste pour donner un peu plus d’importance à une soirée en famille ou d’éviter de m’endormir lors d’une discussion intellectuelle, fort appréciable mais longue. Je sais que certains de mon entourage pensent et disent que je ne fais que mon intéressant, mais c’est faux. La fuite, le plus fréquemment se faisait, lors de ma scolarisation vers l’anglais, probablement à cause de l’influence des filmes avec Marilyne Monroe. Ayant été assez timide, dès que je me trouvais en présence des filles, surtout en présence de celles qui me plaisaient, autant dire toutes, je partais dans : - Ah du liebe Zeit, was soll der Teufel ! Bien sûr que c’est de l’allemand, mais à l’époque, je connaissais mal l’anglais alors, je le faisais par un relais, par l’allemand que je traduisais après, à l’aide de mes « Essentially English’’. Et c’est ainsi que, ma vocation est née. Les langues, la traduction, l’écriture. Construire des ponts ! C’était comme ceci que je sentais la traduction. Du plus loin que, l’on remonte dans l’histoire, la traduction, sève nourricière des langues et des cultures, existe.


On a toujours eu besoin de courroies de transmission entre les peuples de langues et de cultures différentes. La traduction n’est pas seulement le passage d’une langue à une autre pour en assurer la compréhension : c’est aussi une œuvre de civilisation et de progrès. Sans la traduction des œuvres grecques, indiennes et persanes, la civilisation musulmane n’aurait pas pris son essor, et sans les traductions des œuvres arabes en latin, puis dans les langues européennes, la révolution scientifique et technologique du monde moderne n’aurait pas eu lieu. Aujourd’hui, on traduit non seulement les livres mais aussi les films et les séries américaines. La langue n’est plus un frein, on peut communiquer librement, échanger des connaissances, établir des contacts… Naturellement, on ne peut pas parler toutes les langues mais on peut, on doit les considérer comme des êtres vivants.Les langues naissent, grandissent, se développent, mais elles peuvent mourir aussi. Elles peuvent s’éteindre, même si le peuple dont,elles furent la langue maternelle, ne disparaît pas. Il y a quelques semaines, lors d’un voyage d’étude en Russie, j’ai été invité à tenir une conférence sur le thème ‘’L’intercompréhension


entre les langues de même origine’’, dans un petit village de l’Oural.. J’ai été surpris que le Ministère de la Culture Russe organise le voyage d’une vingtaine de linguistes spécialisés du Monde entier dans un village de soixante- six habitants et si loin, de Moscou. On m’a donné une explication surprenante. La langue parlée dans ce village officiel était, bien sûr, le russe mais entre eux, les villageois utilisaient une autre langue dont, les origines ne pouvaient pas être établies. Il ne s’agissait pas d’une ethnie, les gens de ce village étaient d”origines différentes. > Comment est née cette langue. D’où vient - elle ? Le village, Stepkowo était accroché telle une grappe de raisin, autour d’une source d’eau jaillissant d’une falaise et déversant des tourbillons de gouttes et d ’ écume qui formaient, quelques dizaines de mètres plus bas, un courant sauvage, et plus loin, encore, une petite rivière Mlavaya. Toutes les maisons étaient entourées de jardins, bien entretenus, avec beaucoup de fleurs mais je n’ai pas vu d’animaux comme on voit, dans tous les villages. Même pas de chiens. En entrant dans la salle préparée pour ma conférence, le Président de l’Institut des Études des Langues rares, me prit par le bras et me dit de ne pas m’étonner de l’absence des traducteurs. – Ne vous posez pas de question. Exprimez - vous en français ou en une autre langue, de votre choix. Vous serez compris.


Je n’ai rien dit, je n’ai rien compris. Sommes -nous en présence de soixante - six polyglottes ? Dans un pays grand comme la Russie, on peut facilement en trouver autant et beaucoup plus encore, mais quel serait le but de vouloir nous emmener jusqu’ici pour nous les montrer ? De toute façon, je m’exprimerai en français comme je l’avais prévu. Ce que j’ai fait. Ce que j’ai fait, au départ, tout au moins. L’intérêt et les réactions spontanés des auditeurs, les murmures, les rires soutenus, les applaudissements m’encouragèrent et je passai brutalement à l’anglais, puis je revins vers le français. Quelques phrases plus loin, ce fut l’allemand. Rien ne changea. Les même regards attentifs, les mêmes sourires, quand il fallut, les mêmes visages des gens qui vous écoutent et qui apprécient vos propos. J’ai osé quelques dialectes que seulement peu d’experts peuvent comprendre. Le langage des descendants de tribus slaves isolés dans deux villages des montagnes Apennins en Italie et romanisés depuis longtemps. J’ai osé quelques histoires très érotiques des Chergars, j’ai lancé des mots et des commandes hurlées d’un bout à l’autre d’un radeau par les rameurs sur la sauvage Drina, la rivière entre la Bosnie et la Serbie. Les gens de ce village me suivaient sans


problèmes. Ils me comprenaient. Le dernier doute s’envola, après la conférence, quand ils vinrent vers moi me féliciter, me remercier et me poser des questions. J’étais content d’avoir réveillé un tel intérêt pour ma thèse et j’étais surpris par leur connaissance du français. Voronin, le Directeur de l’Institut me dit : - Non, ils ne parlent pas français. Ils s’expriment en sagovor, leur langue locale mais vous aussi, vous le comprenez comme le français ! Parlez - leur en allemand, en anglais ou toute autre langue … et vous verrez. En effet, j’ai fait l’expérience et ils me répondaient en … ils me répondaient en sagovor mais je les comprenais en français, en allemand ou en une autre langue, avec laquelle la question, la conversation fut commencée. J’ai _proposé_ d’acheter, d’emporter une documentation, les livres, tout ce qui est nécessaire pour apprendre cette langue sagovor. Voronin sourit et me dit : - Il n’y a pas de problème, vous les aurez, mais ce ne sera qu’un cadeau, un cadeau - souvenir, vous n’en aurez pas besoin. Vous la parlez, vous la connaissez, déjà, la langue de sagovor. Venir ici était suffisant. – Tout le monde, chaque personne, qui vient dans ce village, l’apprend


par sa simple présence ici même. - Oui, nous n’avons pu expliquer ce phénomène, mais c’est un fait. On ne sait rien d’autre. Enfin, si, les habitants du village déconseillent l’écriture en sagovor. Ceci pourrait avoir des conséquences imprévisibles. Dès mon retour en France , je fus pris dans un tourbillon de conférences, d’ invitations à différents colloques, à des mariages et des anniversaires et je n’ai donc même pas eu le temps de réfléchir à mon étrange séjour, dans ce village de Stepkovo, pour analyser cette mystérieuse langue de sagovor. Finalement, je me suis donné quelques jours de vacances. La campagne. Les promenades avec mes chiens le long de la rivière. Le jardin. Je revivais. Et puis, je revivais, dans mes pensées, ce voyage en Russie. Pourquoi serait - il déconseillé d’écrire en sagovor ? La meilleure réponse ne serait - elle pas de le faire ? Écrire en sagovor. C’est - à - dire penser en sagovor et l’écriture se ferait dans la langue de votre dernière pensée. Que puis - je écrire ? Le mieux, c’est d’en parler en commençant par le début. En terminant mon histoire, j’entendais des bruits et des voix dans le jardin. Les phrases en français, en anglais et … et puis, ce n’est pas, depuis le jardin, ce n’est pas possible, puisque’ il n’y a


>personne dans le jardin. Et pourtant les voix étaient si proches, beaucoup plus près de ma fenêtre, que si elles venaient de la rue, derrière le mur. Intrigué, je sortis. – Tiens, le voilà, tu peux lui poser la question toi-même. – Oui, c’est ça, il connaît la réponse parce qu’il est humain ? Ou parce que c’est ton maître? Mes deux chiens, face à face, se disputaient. Un peu plus loin, Socquette, le chat parlait au chat du voisin - Les chiens, ça ne changera jamais. Ils se disputent parce qu’ils ne sont pas d’accord, s’il y avait d’abord la poule ou s’il y avait d’abord l’œuf, tu te rends compte ? – On est plus calme en hiver. En Afrique, personne ne parle que du soleil, dit l’hirondelle en s’envolant du garage. – Ils n’ont qu’à demander à la Sandra , elle devrait le savoir. – Sandra, c’est une poule et elle a une cervelle de poule, alors … Je ne bougeais pas, je regardais autour de moi. Le bruit devenait de plus en plus fort. Les voix se mélangeaient, tout le monde parlait en même temps.


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