Les 400 coups

Page 1

Collège au cinéma Ciné 32 / 2010-2011

LES 400 COUPS Un film de François Truffaut I France I 1h25 I 1959

Antoine Doinel a treize ans, l’âge des rêves et des petites bêtises qui embellissent le quotidien. Car le quotidien d’Antoine est bien morne entre un père adoptif égoïste et une mère un peu volage. Délaissé, en manque d’affection et de vrais repères, Antoine fait l’école buissonnière avec son copain René. Un matin, pour justifier son absence de la veille, il prétexte que sa mère est morte. La supercherie découverte, c'est l'engrenage de l'illégalité et de fugues en menus larcins, Antoine se retrouve dans un centre pour mineurs délinquants… Film emblématique et fondateur de la Nouvelle Vague, Les 400 coups porte, en 1959, la revendication urgente d’un changement de société. Dans le corps entravé d’Antoine puis dans l’énergie qui le pousse à agrandir ses espaces, des rues de Paris à la mer immense, Truffaut a exprimé un besoin vital de liberté. Dans ce portrait d’une enfance ordinaire mais précieuse, le cinéma de Truffaut trouve sa tonalité propre entre le romanesque et le réel et s’invente, le premier, un avatar : Antoine Doinel, cet enfant en roue libre que Truffaut serait devenu si le cinéma ne lui avait pas sauvé la vie.

LA NOUVELLE VAGUE : LA JEUNESSE A LA CONQUETE DES ECRANS Après l’esprit cartoon de Tex Avery et la joyeuse parodie des Monthy Pyton qui détournait allègrement tous les codes de la grammaire cinématographique, le troisième film de Collège au cinéma (6ème/5ème) propose une plongée dans le patrimoine cinématographique national, avec un film manifeste qui fait partie de cette déferlante, cette « Nouvelle vague » qui bouleversa elle aussi les codes du cinéma (le cinéma dit « de qualité française ») et inventa à son tour une nouvelle grammaire. L’occasion de travailler sur l’histoire du cinéma en énumérant, à partir d’exemples concrets, tout ce qui définit cette nouvelle vague : ▪ un cinéma libre, qui prend la ville comme terrain de jeu et de tournage (René et Antoine errant dans les quartiers populaires de Pigalle, Montmartre, la place Clichy…), ▪ le goût pour des récits réalistes : si Les 400 coups est en grande partie un film autobiographique qui puise dans les souvenirs de François Truffaut, il se nourrit également de l’énergie de son jeune acteur Antoine Doinel et de la réalité sociale contemporaine. En résulte le portrait d’une jeunesse entravée dans un système rigide (l’institution scolaire, la cellule familiale, la police et le centre pour mineurs délinquants) qui exprime, par son corps et sa révolte, un besoin irrépressible de liberté ▪ pour incarner cette jeunesse, le choix de nouveaux visages (Jean-Pierre Léaud, JeanPaul Belmondo, Bernadette Laffont révélée par Truffaut dans Les Mistons, Jean-Claude Brialy, Jean Seberg, Ana Karina..) ▪ un cinéma qui, tout comme celui des Monthy Pyton, évolue dans une réalité budgétaire trois à dix fois inférieurs à la moyenne de l’époque et qui, aidée par l’évolution des techniques (caméra légère), le recours à des décors réels (l’appartement des Doinel, la plage de Normandie, les rues de Paris) et l’attrait pour le tournage en extérieur invente une nouvelle morale esthétique : un cinéma qui, 10 ans avant mai 68, annonce la revendication urgente d’un changement de société.


Collège au cinéma Ciné 32 / 2010-2011

ENTRE RECIT AUTOBIOGRAPHIQUE ET PORTRAIT D’UNE GENERATION ▪ Un récit puisé dans les souvenirs Après avoir tourné un court métrage sur l’enfance (Les Mistons, 1957), François Truffaut réalise son premier long métrage avec pour ambition de puiser dans ses souvenirs personnels. Son amitié avec Robert Lachenay (qui deviendra René à l’écran), son amour du cinéma, la figure de la « fille mère » incapable d’affection, les fugues et le passage par un centre pour mineurs délinquants, tout ceci le jeune François l’a vécu. ▪ Réalisme contre misérabilisme Mais il ne s’agit pas simplement de retranscrire sa propre histoire. Aidé par le scénariste Marcel Moussy et surtout par la formidable interprétation du jeune Jean-Pierre Léaud, alors âgé de 14 ans, il réalise une chronique d’enfance, bien loin des représentations alors en vigueur dans des films tels Chiens perdus sans collier (Jean Delannoy 1955), objet misérabiliste sur la délinquance juvénile que Truffaut exécrait. L’enfance n’est pas un Eden enchanteur, ni dans la vie de François Truffaut (L'adolescence, dit-il, ne laisse un bon souvenir qu'aux adultes ayant mauvaise mémoire), ni dans celle de son personnage Antoine et encore moins pour son interprète Jean-Pierre Léaud qui, à l’instar du jeune réalisateur, sera lui aussi « sauvé par le cinéma ». ▪ François et son double Véritable double fictionnel, Jean-Pierre Léaud (dont Truffaut dira qu’il est un acteur d’instinct ) continuera sa carrière auprès de François Truffaut dans ce qui reste à ce jour une expérience cinématographique sans précédent, « la saga Doinel », soit un ensemble de 5 films Les Quatre Cents Coups (1959), Antoine et Colette (1962), Baisers volés (1968), Domicile conjugal (1970) et l'Amour en fuite (1979) qui accompagne les aventures des mêmes personnages interprétés par les mêmes acteurs, évoluant au fil du temps réel.

MISE EN SCENE : LA QUETE D’UN ESPACE DE LIBERTE ▪ Paris nous appartient ! Antoine cherche sa place. Fuyant l’école dans laquelle il est puni et régulièrement mis à l’écart par l’instituteur, fuyant le domicile familial dans lequel il n’a pas sa place (l’entrée cagibi lui fait office de chambre), les rues de Paris sont son refuge. Lieu de plaisirs (les cinémas et le Rotor de la foire du trône), de rencontres (avec René, les filles de joie, le curé au pied des marches du sacré cœur), Paris est un espace protecteur, qui se substitue à l’absence affective du foyer et de sa mère. Antoine s’y cache (dans les portes cochères lors de la séance de gymnastique), s’y lave et s’y nourrit (le lait et la toilette de chat dans les jardins du Luxembourg) et pleure lorsque, dans un long travelling d’adieu, les lumières de la ville s’éloignent et avec elles la promesse grisante de refuge et de liberté. ▪ Géographie du cœur Dans ses déambulations, on reconnaîtra avec les élèves la Tour Effel (générique) la place Clichy, le sacré cœur, le jardin du Luxembourg, les Champs Elysées et la foire du trône (séquence du rotor), on évoquera la peinture de la France du début des trente glorieuse (la crise du logement et les conditions de vie des Doinel, les loisirs avant l’avènement de la télévision, le baby boom et le paysage urbain parisien). On soulignera l’importance de la salle de cinéma, dans laquelle, seul, avec René ou en famille, Antoine y vit les seuls moments de pur bonheur.


Collège au cinéma Ciné 32 / 2010-2011

UNE ESTHETIQUE DE LA FUGUE Dans cette quête d’un espace de liberté, le corps d’Antoine aspire sans cesse au mouvement. C’est ce corps fugueur qui donne son rythme au film en instaurant un conflit entre fixité et mouvement, avec d’un coté les espaces intérieurs confinés filmés en plan fixe (l’appartement, le centre pour mineurs, la classe) et de l’autre les extérieurs (la mer, les dédales labyrinthiques des rues parisiennes) accompagnés par les mouvements amples d’une caméra aérienne, plans magnifiés par le format scope, avec un point culminant lors de la séquence finale. ▪ S’échapper : la scène du Rotor « cette machine curieuse qui fait perdre la tête, cette caverne noire où l'on descend pour mieux s'envoler » La séquence du Rotor (en référence Rotoscope) est un clin d'œil aux premières inventions du cinéma. Comme le Praxinoscope ou le Zootrope, ces premières machines dites du pré cinéma fonctionnaient avec une bande imprimée d'une série d’images, disposée à l'intérieur d'un tambour tournant autour d'un axe. Le Rotoscope figure ce tambour. Plongé dans cette machine cinéma (dans laquelle François Truffaut fait une apparition), le mouvement rotatif du Rotor symbolise l’énergie de ce fugueur perpétuel. D’abord grisé, tête à l’envers, ou en position horizontale, Antoine lévite dans un extase qui reprend les motifs de liberté (l’envol). Mais très vite, la force centrifuge épuise Antoine et l’empêche de se décoller des parois. Il n’y a pas d’échappatoire. Le principe de réalité – ici physique- s’impose. Tout comme s’imposera tout au long du film ce douloureux principe qui, par un enchaînement de catastrophes (mensonge, dissimulation, injustice scolaire) entraînera Antoine dans un centre de rétention. ▪ Le cinéma, seul véritable champ de liberté : la séquence finale Le plan le plus emblématique de ce besoin éperdu de mouvement et de liberté est certainement le plan final, tant du point de vue esthétique (liberté de l’auteur qui bouleverse la grammaire cinématographique en rompant, par le regard caméra, le pacte fictionnel, le tout renforcé par l’effet sonore du ralentissement de la très belle musique de Jean Constantin) que politique. En 1959, Antoine figure cette jeunesse jugée inadaptée et délinquante par les institutions alors que son seul tort est d’être en demande d’amour et de liberté, d’aspirer au bonheur et de répondre, par la révolte, à la violence institutionnelle. (Antoine l’écrit dès le début « Ici souffrit le pauvre Antoine Doinel, puni injustement par petite feuille pour une pin up tombée du ciel. Entre nous ce sera œil pour œil, dent pour dent). La dernière fugue d’Antoine semble ne pas être préméditée. Tout se passe dans la continuité du mouvement et de l’énergie de la partie de foot. S’échappant de l’enceinte du Centre d’Observation des Mineurs Délinquants, Antoine poursuit sa course dans un long plan séquence qui le plonge dans une nature élégiaque dans laquelle seul raisonne le son de ses pas mêlé au chant des oiseaux. La dernière course, éperdue, aura lieu vers cette mer tant citée dans le film et jamais rencontrée. Dans un dernier plan séquence sur la plage, le corps d’Antoine, enfin libéré, court vers l’écume, pénètre dans la mer pour s’en détourner et nous faire face, soutenant notre regard de spectateur, dans une forme d’interrogation suspendue (arrêt sur image). En faisant face à la caméra, Antoine fait face au spectateur mais aussi et surtout au cinéma. La fuite est vaine mais peut être existe-t-il un ailleurs, dans lequel le besoin indéfectible de liberté du personnage, du réalisateur, de la jeunesse de l’époque pourra s’épanouir : cet ailleurs, c’est le cinéma, la fiction, c’est raconter son histoire.


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.