CITTÀ N°0 MONTREAL/BERLIN

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vol.1 n.0 - octobre 2012 - 10$

ROME . BERLIN . MILAN . VARSOVIE . MONTRÉAL

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PHOTO En art comme en amour, l'instinct suffit.

- Anatole France

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NICK COOPER ©

ÉDITO

Città anno zero. Partir de rien et lancer un magazine en quatre mois, difficile à croire. Et pourtant, vous avez entre les mains le fruit de ce pari un peu fou. Montréal vibre de plus en plus fort. Si les talents ont toujours été là, les aspirations, elles, ont changé. On sent poindre un désir nouveau, un désir d’ouverture, peut-être même de reconnaissance, et qui pourrait se résumer en un seul mot : international. Si CITTÀ a vu le jour si rapidement, ce n’est donc pas un hasard. Le besoin était là, il suffisait juste de rencontrer celles et ceux qui l’avaient aussi ressenti. Ce n'a pas été trop difficile. Neufs au monde de l’édition, nous nous sommes ensuite laissés guider par l’instinct; l’enthousiasme a fait le reste. Enthousiasme, oui, mais pas frénésie : en ces temps d’accélération médiatique, CITTÀ fait le choix audacieux du magazine imprimé. Au-delà de l’amour du papier, envers et contre tout, ce choix est aussi celui du temps d’arrêt, de la flânerie, et aussi de la contemplation. Les grands bouleversements – comme les voyages, d’ailleurs – ne sont rien s’ils ne servent à prendre du recul : déambuler dans un parc ou regarder son quartier d’un œil nouveau; prendre soin de demander à une amie comment se passe son voyage; lire et relire un livre qui nous a plongé dans l’Histoire; questionner le contemporain dans une ville qui n’est que vestiges. Rome, Berlin, Milan, Trouville ou encore Varsovie, c’est le trajet que nous vous proposons dans ce numéro zéro. Un voyage où l’art côtoie aussi bien le branding que la littérature. Car il n’est de « haute » culture que celle des passionnés et des curieux, celle dont font partie nos collaborateurs. Ce premier numéro est aussi, évidemment, une promesse pour la suite. Rome ne s’est pas faite en un jour, et faire rayonner une ville n’est pas une mince affaire. Mais imaginez un magazine qui serve de vitrine à Montréal. En fait, imaginez CITTÀ au superlatif. Imaginez son tirage, sa fréquence, son contenu et les collaborations qu’il engendrerait. Imaginez-le complètement bilingue, ou même traduit (pourquoi pas ?) en italien ou en allemand. Imaginez-le sur une tablette de Copenhague ou de Melbourne, dans un café de Barcelone. Imaginez une publication qui fait entrer le monde dans Montréal, et Montréal dans le monde. Un pari un peu fou ? À qui le dites-vous !

Léa Jeanmougin lea@cittamagazine.ca

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COLLABORATEURS rédaction et direction artistique léa jeanmougin mise en page et design graphique roxane lagord révision et adaptation nairi khandjian félix philantrope traduction nairi khandjian marco marasca michal niemyjski illustration marie dauverné communication & marketing anaise camilien

Coordination d’événement aycha fleury

MAXIME BROUILLET p.63 Maxime considère la photographie et les images mouvantes comme le tâtonnement du réel. Il travaille actuellement sur un projet dans le Nord du Dakota. À suivre.

MIRYAM CHARLES p.11 Miryam a étudié le cinéma à l'Université Concordia. Depuis, elle a réalisé, photographié et produit plusieurs court-métrages. Elle est la co-fondatrice de la compagnie de production Cheminée deux.

GIORGIO COEN CAGLI p.11, 28 Né à Rome, Giorgio a étudié la photographie à l'École CSF Adams, puis s'est spécialisé en reportage social. Passionné par le monde de l’art, il photographie la scène artistique à Rome, Berlin et à travers le monde.

MARTYNA DZIUBA p.56 Martyna étudie à l'Université de Wroclaw, en Pologne. Elle se spécialise dans le design et la tradition folklorique polonaise, passions qu’elle intègre à son quotidien par le biais de la décoration et du design d’intérieur.

ELENA GASPARRI p.28 Elena étudie la théorie de l’art contemporain à Rome et écrit sur l'art, la musique et le cinéma pour des magazines Web. Elle a pour sa ville un amour sans-bornes et rêve de visiter l'Amérique pour voir si les films disent vrai.

OLIVIER GODIN p.65 Olivier a étudié le cinéma à l'Université Concordia. Il est le co-fondateur de la maison de production Cheminée deux. En 2010, il réalise son premier long-métrage, Le pays des âmes, a jazz fable. Son dernier film, La boutique de forge, a été présenté au Festival du Nouveau Cinéma.

STEPHEN KORZEINSTEIN p.57 Stephen est un artiste en nouveaux médias né à Toronto et maintenant basé à Montréal. Lorsqu’il n’est pas occupé à encourager la participation publique, il aime construire toutes sortes de structures flottantes pour prendre le large.

MARCO MARASCA p.48 Marco a étudié les sciences politiques et le cinéma en Italie, en Espagne et au Canada. Il travaille aujourd'hui dans une boîte de production de films documentaires à Rome. Marco est l’une des inspirations de CITTÀ.

FÉLIX PHILANTROPE p.61 Félix est né à Sherbrooke et vit à Montréal. Au cours des dix dernières années, il a occupé divers postes dans le domaine du livre. Il travaille maintenant en édition.

EDITH ROSS p.34 Edith est une photographe qui se spécialise dans les photos glamour, boudoir et vintage. Sa passion : créer des images reflétant la beauté intérieure, la passion et le style de ses sujets.

MÉLANIE SAUMURE p.50 Photographe et cinéaste, Mélanie a étudié le cinéma à Montréal, puis les beaux-arts à Toronto. Elle s’intéresse au documentaire, au redéveloppement urbain et à la réappropriation de l’espace public. Elle vit et travaille à Berlin.

CAMILLA WAYNE INGR p.54 Camilla est chef pâtissière et ancienne membre du groupe rock Sunset Rubdown. Elle dirige maintenant une petite entreprise de conserves, The Preservation Society. Elle habite à Montréal.

médias sociaux vincent khouni

----Merci à Adèle Flannery Félix Philantrope Marie Leroy Daniel Diaz Sandra Martin Alain Leclerc Morgane Quénéhervé Jean-Claude Perru Maryse Murray Jocelyne Munger Louise Beaudoin Marie Doroftei Eloïse Belanger Nelson Roberge Yves Jeanmougin Carole Provencher Tracy Stefanucci

En couverture : Franz Rosati et Ynaktera, par Giorgio Coen Cagli. Musée MAXXI, Rome, 2012. CITTÀ Vol. 1, Numéro 0, Octobre 2012. Imprimé à Montréal par Transcontinental à 500 exemplaires. Publié et distribué par Éditions Circéa, 3-765 Champagneur, Outremont, Québec, H2V 3P9. Le contenu de CITTÀ ne peut être reproduit sans permission écrite de l’éditrice. www.cittamagazine.ca

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Nous écrire

ciao@cittamagazine.ca


SOMMAIRE

3. 4. 6. 8. 11 . 20 . 24 . 28 . 34 . 44 .

édito l’équipe città collaboration cam novak rencontre fishoes

nouvelles tour d’horizon

kreuzberg / st-henri un portrait croisé

design chocobetterave, vj

behind the brand

48 . 50 . 54 . 56 . 57 . 58 . 61 . 65 . 66 .

soundtrack #0 souvenirs d’italie

sÜdgelÄnde park promenade dans berlin

blood & sand jam by the preservation society

warsaw

ethno-design

art keeping it to yourself

restaurants un goût d’europe en amérique

littérature l’autre pragois

feuileton ciné-conte

prochain arrêt

lorenzo + alessandro

rome le son du présent

mode burlesque vintage

p.28

anne emond depuis trouville

p.50

p.11

p.34

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MILAN/MONTR AL COLLABORATION

+ CAM NOVAK

Retrouvez Fishoes p. 24

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RETROUVEZ DANS CHAQUE NUMÉRO DE CITTÀ UNE COLLABORATION INÉDITE ENTRE TALENTS D'ICI ET D'AILLEURS.

PRÉSENTATIONS Été 2012. Au moment où CITTÀ passait d’idée à projet, Cam Novak franchissait le pas qu’on souhaite à toute âme créative : il fermait son entreprise de messager à vélo pour devenir artiste. Il est étrange de penser qu’« être » artiste soit la seule façon de dire que l’on vit de son art. Ce manque de terminologie ne facilite pas les présentations; l’artiste voit dans le regard de son interlocuteur tantôt l’image de l’artiste bohème, libre et romantique, tantôt celle du marginal vivant aux crochets de la société. Or, être un artiste de carrière est beaucoup plus terre-à-terre : de longues journées de production à l’atelier, des rencontres avec des clients, du réseautage, des demandes de subventions et, les meilleurs jours, la poignée de main qui conclut la vente. En vérité, la carrière artistique est bien plus proche de l’entrepreneuriat que ce que la littérature a pu semer dans notre imaginaire. Quelle meilleure collaboration, alors, que celle de deux types d’entrepreneurs – l’artiste montréalais d’un côté, les créateurs de chaussures milanais de l’autre – qui ont en commun leur amour pour la ville ? CITTÀ présente sa toute première collaboration : la rencontre entre Cam Novak et Fishoes.•

Le travail récent de Cam : réalisés sur des cartes géographiques, les graffs’ quittent les murs de la ville et deviennent objets de collection.

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MONDE NOUVELLES

MARSEILLE YVES JEANMOUGIN ©

ravalement de façade La deuxième métropole de France prépare son entrée dans la cour des grands. Élue Capitale européenne de la culture 2013, il s'agit maintenant de lui donner le fond et la forme d’une vraie métropole artistique. Grand défi pour cette ville rebelle, au potentiel artistique politiquement sous-évalué. À la Friche la Belle de Mai, lieu important de création et de résidence artistique, les bulldozers s’activent. L’inauguration de la Friche « liftée » est prévue pour novembre 2012. L’artiste JR, vedette du street art et l’un des rares français récipiendaire du prix TED, sera de la partie. www.lafriche.org

CHICAGO NILINA MASON-CAMPBELL ©

un livre, au-delà de sa couverture Blogueuse reconnue à 13 ans, éditrice de Rookie Magazine à 15, et militante féministe depuis ses débuts, Tavi Gevinson sort son premier livre, Rookie Year One. Publié par nul autre que Drawn & Quarterly, à Montréal, le livre revient sur la première année du e-magazine pour adolescentes. Tenu secret, le lancement a réuni plusieurs personnalités dont l’actrice et réalisatrice Lena Dunham (de la nouvelle série d’HBO Girls), confirmant que le projet dépasse largement les rangs des highschoolers. À l’heure où il est à la mode d’attribuer à chaque génération ses raisons d’être X, Y ou Z, Rookie rappelle qu’il y a au-delà de l’engouement pour le syndrome de l’enfant prodige de vraies questions, à propos des femmes surtout, qui, elles, méritent d’être posées par tous, et à tous les âges. www.rookiemag.com

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BERLIN


PARIS

MONTRÉAL

GANZEER © - ROLLINGBULB.COM

l’ère de l’art militant Le Palais de Tokyo lance Alertes !, une série de collaborations qui invitent artistes et commissaires à investir l’espace d’exposition du Palais pour réagir au fil brûlant de l’actualité. En ligne de mire, le procès en août dernier des membres du groupe punk-rock féministe Pussy Riot, condamnées à deux ans de camp par la justice russe pour avoir réalisé une performance blasphématoire. Si l’alliance entre art et politique n’est pas récente, les événements de contestation populaire, notamment au Québec, où le mouvement étudiant a donné lieu à une riche production d’œuvres graphiques, prouvent du moins qu’elle est plus virale que jamais. www.palaisdetokyo.com

STEPHEN KORZENSTEIN ©

prochaine étape Septembre, vraie rentrée pour le Centre multidisciplinaire PHI, dans le VieuxMontréal. Ouvert en juin dernier, le petit frère de la Galerie DHC accueille expositions, projections de films et conférences, offrant ainsi un point de rencontre entre artistes locaux et internationaux. Clairement tourné vers les innovations technologiques, le centre devra pourtant prouver qu’il est capable de dépasser le simple engouement pour les nouvelles possibilités techniques. L'enjeu : offrir à Montréal une ligne curatoriale solide, capable de lui donner une assise sur la scène artistique internationale. www.phi-centre.com

CITTÀ ©

tacheles, das ende Le mythique squat artistique de Berlin-Est n’est plus. Espace marchand devenu centre de détention sous le nazisme, le bâtiment de 23 000 mètres carrés jugé insalubre est investi par les artistes en 1990. Devenu l’un des centres névralgiques de l’art berlinois pendant plus de 20 ans, il finit par voir affluer plus de 400 000 touristes par an. Suite à des problèmes financiers, la HSH Norbank, propriétaire principal du lieu, exige l’expulsion des artistes afin de rentabiliser l’espace d’une valeur de 35 millions d’euros. Après un long bras de fer, le jugement de juin 2012 sonne finalement le glas. Le 4 septembre, l’artiste Martin Reiter remet officiellement les clés de Tacheles aux huissiers, devant une foule de sympathisants endeuillés. www.kunsthaus-tacheles.de

Montréal, quant à elle, se prépare pour 2017, date anniversaire de sa fondation et d’Expo 67. Ce carrefour de célébrations historiques serait pour plusieurs l’occasion idéale de propulser Montréal, reconnue Ville de design UNESCO en 2006, au rang de Capitale du design. CITTÀ suivra cela de près.

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BERLIN/MONTR AL PHOTOGRAPHIE

TEXTE LÉA JEANMOUGIN ILLUSTRATION MARIE DAUVERNÉ PHOTOGRAPHIES KREUZBERG GIORGIO COEN CAGLI RÉPONSE PHOTOGRAPHIQUE À ST-HENRI POUR CITTÀ MIRYAM CHARLES

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KREUZBERG / ST-HENRI Kreuzberg. À la chute du mur, Kreuzberg se retrouve parachuté en plein cœur de Berlin. Les possibilités sont infinies. D’immenses squats voient le jour dans les immeubles abandonnés; punks et gauchistes radicaux y sont les acteurs de mouvements sociaux, parfois violents. Les habitants de Kreuzberg font main basse sur le quartier ; dans ce berceau de la contre-culture, les bus de touristes sont pendant longtemps accueillis par des pluies de chaussures.

St-Henri. Le quartier des Tanneries, la zone industrielle qui fut parmi les plus importantes du Canada. Dans le décor de Bonheur d’occasion, Canadiens-Français et Irlandais vivent ensemble. Un peu plus loin, on retrouve les Afro-Canadiens, ceux qui travaillent sur les voies ferrées. Le cinq septembre 1962, jour comme un autre, le St-Henri populeux est immortalisé sur pellicule2. Ambiance joviale, malgré la misère, « car malgré tout on rit, à Saint-Henri »3, chante Raymond Lévesque.

Puis, les loyers augmentent. Des institutions mythiques comme le club SO36 quittent le quartier. Kreuzberg se rebelle. Dans les rues, on voit des Jeep, des Range Rover ou des Mitsubishi de luxe calcinées. Sur Internet, des sites1 proposent même des campagnes d’anti-séduction : « Ne réparez pas vos fenêtres cassées; mettez des noms étrangers sur vos sonnettes ! » Kreuzberg craint l’arrivée des Bobos, craint de perdre ce qui a fait sa renommée.

Le St-Henri d’aujourd’hui est un quartier à plusieurs vitesses. Les studios d’artistes et lieux communautaires jouent des coudes avec les nouveaux condos qui poussent par centaines le long du Canal Lachine. La tension est palpable. Sans aller jusqu’au saccage, des messages apparaissent sur les murs et les vitrines. On lit des « Fight gentrification! Don’t get pushed out by rich developers », ou des « Yuppie scum! ». Signe que l’identité du quartier est déjà ébranlée.

L’un au sommet d’une colline, l’autre aux pieds d’une falaise, Kreuzberg et St-Henri se font écho. Tous deux ont connu la fracture, puis le renouveau. Car dans les interstices entre Ouest et Est, entre Français et Anglais, se sont glissé les artistes. Mais, comme partout, ceux qui ressuscitent les quartiers populaires finissent par devoir partir. Difficile de dire si l’embourgeoisement est immuable, et si l’enrichissement d’un quartier est profitable à tous. Une certitude pourtant : seuls les gestes politiques et citoyens savent le ralentir. Et, pour qu’on se souvienne, les artistes laissent derrière eux les traces de leur passage.• 1 2 3

Principal site Web du mouvement contre l'embougeoisement à Kreuzberg : www.esregnetkaviar.de (« il pleut du caviar »). À Saint-Henri le cinq septembre, film de Hubert Aquin disponible sur le site de l’ONF. Voir aussi Malgré tout on rit à Saint-Henri, nouvelles de Daniel Grenier, Le Quartanier, 2012.

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BIÈRE + DESIGN

UN REGARD SUR MTL PREMIUM CITTÀ : COMMENT EST NÉ LE LOOK DE LA MTL ? Le design est né de l’envie de créer une bière avec un packaging différent de la majorité des bières, une bouteille claire et sérigraphiée, qui se différencie des bouteilles de marque haut de gamme, souvent vertes, et des bouteilles brunes des micro-brasseries.

CITTÀ : UN MOT SUR LE DESIGN ? Nous voulions utiliser le maximum d’espace sur la bouteille, d’où le design qui court sur les trois-quarts de la surface. Le sceau sur le dessus rappelle les sceaux de qualité utilisés sur les bouteilles de vins et les spiritueux raffinés. La MTL Premium Lager se distingue aussi dans les contrastes du noir et de la bouteille claire. Nos mots-clés : passion, joie-devivre et créativité. C'est ce que Montréal représente à nos yeux.

CITTÀ : MTL PREMIUM, UNE BIÈRE VRAIMENT MONTRÉALAISE ? La MTL est faite à Montréal, par des Montréalais, et elle évoque vraiment la personnalité de ses habitants. Les ingrédients utilisés pour cette bière sont à la fois européens et nord-américains, ce qui caractérise plus que jamais Montréal, ville au carrefour de deux continents. Cette bière s’adresse aux jeunes professionnels qui s’attachent aux marques et qui accordent une importance tant à l’intérieur de la bouteille qu’à ce qu’elle évoque par son packaging. La sérigraphie noire sur l’or de la bière, c'est aussi ça, l’audace des talents de Montréal et des consommateurs qui la boivent ! www.mtlpremiumlager.com


MONTR AL DESIGN

PORTRAIT D'UNE MONTRÉALAISE :

CHOCOBETTERAVE PAR LÉA JEANMOUGIN

Caroline Blais, alias CHOCOBETTERAVE, est VJ, designer, et la co-fondatrice du collectif Very Awesome. En vraie Cittàdine, son travail puise son inspiration de découvertes, de rencontres et de voyages. Mais à Montréal comme à Rovaniemi, rien ne vaut les plaisirs les plus simples : un aprèsmidi entre amies autour d’un café, avec du papier, de la colle et des ciseaux.

CITTÀ : J'imagine qu’on doit encore te poser la question : qu'est-ce que le VJing ? CHOCOBETTERAVE : Oui, c'est une discipline encore relativement méconnue. VJing vient de VJ, qui veut dire Video Jockey ou Visual Jockey (les gens du milieu préfèrent Visual Jockey). Le VJ est le performeur qui habille l'espace visuel de projections vidéo, au même titre que le DJ le fait avec le son. Normalement, le travail de mixage se fait en direct, avec du matériel visuel (boucles vidéos, programmation ou autre) préparé à l'avance. CITTÀ : Est-ce qu'il y a beaucoup de VJs à Montréal ? CHOCOBETTERAVE : Non, pas énormément. C'est un petit milieu, mais ce qui est bien, c’est qu’il n’est pas fermé. La plupart des gens que je connais s'intéressent aussi à la projection monumentale, aux installations vidéo, au design d'éclairage, aux projets interactifs, au mapping vidéo, etc. En soi, c'est une discipline flexible et assez perméable. CITTÀ : Comment es-tu devenue VJ ? CHOCOBETTERAVE : J’ai découvert le VJing en Finlande, pendant un échange universitaire. J'habitais à Rovaniemi, une petite ville sur le cercle polaire. C'est une ville isolée mais qui a une université avec un très bon programme en art et en design. Là-bas, les étudiants sont DJs et VJs dans les bars, ce sont eux qui font le nightlife de la ville. C'est à ce moment que j’ai compris que c'était à ma portée. J'ai fait ma toute première performance en mai 2008, au Cafe Kauppayhtiö, à Rovaniemi, avec Naiset Levyissä et des amies DJs.

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performance vj, IGLOOFEST, janvier 2012.

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MOTIF MARIMEKKO

CHOCOBETTERAVE : J'ai toujours fait du collage et aimé travailler avec mes mains. Le bricolage est encore très présent dans mon travail de VJing, même s'il est toujours digitalisé pour être retransmis virtuellement. Josiane travaille aussi beaucoup la matière, comme la pâte à sel. Je crois que c'est ce qui fait la beauté de notre association : nous apportons chacune nos techniques et le résultat est toujours supérieur à ce que nous pouvions imaginer. Ça nous fait toujours sourire. CITTÀ : Qu'est-ce que tu as trouvé inspirant chez les VJ et les designers finlandais ? CHOCOBETTERAVE : Les Finlandais valorisent les designs simples et fonctionnels, la qualité plutôt que la quantité. Ils ont un grand respect pour la nature et les traditions, et préconisent l'authenticité. Au-delà des VJs finlandais, j’ai été très influencée par les designers Tapio Wirkkala, Kaj Franck et Alvar Aalto, et par les produits de compagnies comme Marimekko et Iittala, qui sont des classiques. CITTÀ : Peux-tu nous parler de Very Awesome ? CHOCOBETTERAVE : Very Awesome est un duo créatif composé de Josianne Poirier et de moi-même. Il y a quelques années, nous avons commencé à faire du bricolage ensemble, pour le fun, et ça s'est transformé en projet de bricolage typographique présenté sur le web.

CITTÀ : Un souvenir drôle lié à Very Awesome ? CHOCOBETTERAVE : La légende dit que Very Awesome a fait le tour de Stockholm en Segway... CITTÀ : Stockholm, Rovaniemi, un beau tour d’horizon. Et tu fais en ce moment une résidence de trois mois à Winnipeg. Est-ce que le fait d’être ailleurs influence ton travail ? CHOCOBETTERAVE : Oui, énormément. D’abord, parce que j'apprends beaucoup en faisant l'expérience des lieux, des géographies, en parlant avec les gens. Me trouver dans un endroit inconnu décuple ma curiosité et mon sens de l'observation. Je suis aussi à Winnipeg pour travailler sur un projet d'exposition , ce qui est nouveau pour moi; j'aimerais produire des œuvres un peu moins éphémères que le VJing, des projets vidéo qui peuvent être présentés en galerie ou dans des endroits publiques, et peut-être aussi un projet d'exposition en typographie. •

Depuis trois ans, on fait aussi un projet spécial chaque été. Le plus récent est une installation dans la vitrine de la galerie-boutique Monastiraki, à Montréal : un mobile-lanterne fait entièrement à la main. L'an dernier, on a aussi participé à Pop Montréal avec un projet de diaporama en 35 mm, et au concours CODE, lancé par Montréal, ville de design UNESCO, où nous avons proposé une affiche arborant le logo de la ville tressé en papier construction. CITTÀ : En design, il semble qu’il y ait en ce moment un engouement pour le travail du papier : on peut penser par exemple au designer Julien Vallée ou à un magazine comme UPPERCASE. Qu’est-ce qui vous attire, Josiane et toi, dans le bricolage ?

WWW.CHOCOBETTERAVE.COM

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projection vidéo pour le projet bonjour! dans le cadre de la nuit blanche, juin 2012.

performance vj pour le festival regard sur le court métrage, mars 2012.

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MILAN OBJECTIFIED

BEHIND THE BRAND Who isn't curious about how an idea becomes an object? Especially when the idea seems a little wacky: fish-shaped sneakers? Not quite the image your mind conjures when thinking of an Italian shoe, we bet. All things considered though, Fishoes couldn't have been a better fit as CITTÀ's first sponsor - original, friendly, and international. Everything we love! Unconventional shoes call for an unconventional interview. We sent globetrottin' Alessandro and Lorenzo (the guys behind the fish!) a few key words that would get their imaginations running, so we could get a better idea of how the shoes came to be.

LORENZO

I was born in Ancona, on the East coast of Italy, and spent the first 20 years of my life there. It's a city surrounded by the sea, a sort of peninsula. We say that you can see both the sunrise and sunset on the sea here. I literally grew up with the view and the smell of the sea, the noise of the port, the fishermen, the colours, the beaches. So the sea has definitely helped shape the Fishoes and my own self quite deeply.

Ha! Trends are cute! I'm not all that trendy. I don't even buy any clothes unless I tear or lose what I own. But I find it curious to see what drives people to wear certain things, how style evolves over time and figure out what'll be next. It takes certain insight. But with the Fishoes, we kind of stepped outside this kind of thinking. Our project is fueled by its story and concept. We can't really keep up with the "Pantone colour of the year!"

Both failure and success are overrated. The important thing is doing things that you like with passion and good spirit and if they don't work out, nothing to regret. Ale and I have a bit of a "screw it, let's do it" attitude. But it doesn't mean that there are no risks in what we are doing or that we are extremely crazy and careless. It's just that you don't have to dwell too much on decisions sometimes. When you’re young (we’re 28), it’s not that you don’t weigh pros and cons - it's more like, the cons are a "what if."

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BY THE CITTÀ TEAM

ALESSANDRO

1 THE SEA

2 TRENDS

3 SUCCESS

I was born far away from the sea. I only got to experience it on holidays. Then I moved from Milano to Tuscany. I started snorkeling a lot and got really inspired by what’s under the surface. Everything’s colourful, racy. Having the sea close to you is like having an old friend: you can always rely on it for some good company. The sea also makes me feel happy and laid-back, which is what we want our customers to feel, too. If you're wearing Fishoes, you should enjoy yourself, relax and not take yourself too seriously!

Well, I don’t really follow fashion trends. My style is a bit of everything and from time to time I enjoy wearing weird and uncommon items, mostly from second-hand shops or flea markets. Recently I visited Bangkok and I discovered that it is a great city for shopping, there are incredible markets and things are really cheap. Of course I try to keep myself updated, but I'm much more interested in innovative products with a classic feeling. That is what we are trying to do with Fishoes. We took the most classic sneakers design and tried to do something different and creative with it.

Obviously I am attracted by success just like anyone else, and of course it's what I'm pursuing, but I'm also not scared of failure. People rarely make the same mistake twice, but they tend to make many different mistakes. Lorenzo and I had the same approach to this project: we dropped our well-paid jobs to start Fishoes. We took the risk even though all the odds where against us, because we had no experience or contacts in the business and this is obviously not the best time to start such a business. But we are doing it! So far it has been great, and if I had to do it over again I definitely would.

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I could go on about China for hours. We decided to start production in China because we didn't have the budget for "Made in Italy." It turned out to be quite the experience. I have a bit of a love-hate relationship with the country. Capitalism and Communism are jumbled into an Orwellian shopping-mall nightmare and you're constantly exposed to advertising. Yet it's got something unique that attracts me, which I can't explain. The overpopulation, dirt and anarchy create a weird mix that, oddly enough, make you feel like you are free. In terms of manufacturing, China is not as bad as people think. It’s definitely better than in the eighties. We visited many factories before settling for the ones than matched our requirements. We are a small brand, so we work with small factories, sometimes family owned, where the working conditions are quite alright in terms of quality and wages. Even where the hygiene is sub-par, there are improvements being made!

Italy is not the very best place to start something on your own, but still, it wouldn't be fair to complain. It could have been much worse. The Fishoes have an undeniable Italian touch, what with the colours, the noise and the joyful confusion of a certain Italian attitude.

WWW.FISHOES.COM

Fishoes started back in 2010. Back then I was working in London and Ale was in Tuscany. We came out with this thing during a phone conversation I recall, it was funny at first, then revealing, and we realized that we could actually make it happen. So we started to meet every other weekend to gauge the feasibility and to decide where to start, because actually neither of us had any experience in the fashion world. It was kind of scary and quite a big shift in the lives we were leading, but we were supportive of one another and grew more confident. We said "why not! Let's do it for real". And we did it…

CARP

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TUNA

PEARLY CALVUS


4 CHINA

5 ITALY

6 STARTING POINT

China is such a stimulating country. Things happen much faster than in Europe and you are always surrounded by thousands of busy bees. Lorenzo and I spent a few months there, over different seasons, and we had a great time despite work. Once we were staying in a hotel in Canton and we discovered that next door was an open-air fish market. One morning we decided to visit the market and we ended up trying to sell some Fishoes to the fishermen… We negotiated the price in Chinese of course! There is a video of this on YouTube. I have actually seriously considered living there for a while, but I changed my mind when I realized how difficult the language is…

People often say you either love or hate Italy. I like it when I’m abroad and I hate it when I am here, but I think it’s because I like to complain… No doubt that it’s great to do something related to design or fashion in Italy, because people really pay a lot of attention to it, especially to little details. Next to the big names, there are so many young brands that are innovating and creating amazing products here, it’s very inspiring.

The idea came out during a phone call. We were talking about regular stuff and suddenly we started making jokes about a fish that turns into a shoe and it was kind of hilarious. None of us took it seriously until a few weeks later and some unexpected positive feedback. Then, one day, I drew the idea on a piece of paper and yeah… I think that was the exact moment when it all started. Then we had to find a supplier, the distribution channel and all the rest, and we were terribly late with regards to the regular seasons. It was real madness! I finally felt it was actually going to happen the day I got to hold the first approved prototype in my hands. •

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ROME ARTS

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LE SON DU PRÉSENT Mi-Juillet. La chaleur envahit les rues de Rome. Vide depuis la fermeture des universités, la ville voit déferler les événements à un rythme rapide, récoltant les fruits de la croissance culturelle de l'année. L'Italie, lourde de siècles d’histoire, a du mal à se parer des tendances les plus récentes, surtout lorsqu’elles sont expérimentales et silencieuses. Mais le contemporain bout et fermente sans se soucier du passé. Ainsi, entre festivals de Beethoven et concerts de Patti Smith, nous nous sommes tournés vers la Rome underground, celle où grondent les rythmes sourds et rapides de la musique électronique expérimentale. Le Festival Aggregator s'est tenu à Rome du 10 au 14 juillet derniers : dédié aux arts électroniques contemporains, le festival a mis l'accent sur les dernières créations de l’avant-garde musicale et audiovisuelle, et sur la recherche du son issu des codes de programmation et autres algorithmes mathématiques. Ce que nous y avons vu était la sérénité et la spontanéité d'un art dénué de prétention, entièrement mis au service de l’exploration. Le contemporain se comprend souvent des décennies après sa production, en partie à cause de la distance entre les gens et les moyens utilisés pour créer de nouvelles formes d'art. Mais on comprend vite que guitare et logiciel ne sont au fond que des outils; des outils qui servent à exprimer le sentiment intime qui nous habite. Nous avons interviewé au musée MAXXI deux artistes sonores de Rome, Franz Rosati et Ynaktera. Et, entre les projections psychédéliques aux formes géométriques parfaites, nous avons écouté la voix de la scène électronique expérimentale italienne.

TEXTE ELENA GASPARRI PHOTOGRAPHIE GIORGIO COEN CAGLI TRADUIT DE L'ITALIEN PAR MARCO MARASCA ADAPTÉ PAR LÉA JEANMOUGIN

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LORSQUE LE BRUIT ET LA MÉLODIE SE RENCONTRENT POUR NE FAIRE QU’UN.

YNAKTERA FRANZ ROSATI

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vous travaillez tous les deux le son et la musique àl’aide de programmation, de logiciels informatiques… cr er de l’art bas é sur la technologie moderne dans une ville aussi vieille que rome, est-ce que ce n’est pas un peu contradictoire ? franz Rome m’inspire beaucoup justement du fait qu’elle est une ville de ruines : la ruine est comme du bruit visuel et architectural, c’est-à-dire quelque chose qui a été bien construit, puis qui s’est effondré et qui a perdu son harmonie. Sur le plan technologique, les installations contemporaines me font penser à du lierre qui s’accrocherait à l’architecture urbaine : elles existent mais ont du mal à s’intégrer aux traditions, contrairement à une ville comme Paris, par exemple, qui a commencé à être imprégnée par la technologie dans les années 50. ynaktera Moi qui ai étudié pendant cinq ans à la faculté d’ingénierie, située juste en face du Colisée, je peux dire que le plus grand défi que nous avons, les Italiens, est de prouver que notre passé est un joli bagage, et pas un fardeau. Parce que profiter de ce long passé qui nous a été légué, c'est une sorte d’obligation ici. si je vous dis “m lodie” et “bruit”, vous me r pondez quoi ? franz Que je suis en plein dedans ! Le bruit a quelque chose de magique, j’en suis entouré, surtout dans une ville comme Rome. Quand j’étais petit, je me réveillais avec le son du marteau-piqueur au-dessous de chez moi… Dans mon travail, j’aime beaucoup les mélodies enterrées sous des nuages d​​ e bruit, submergées. ynaktera Moi, je répondrais Stochastic Resonance, le groupe de recherche que nous avons créé. La résonance stochastique, c’est le phénomène qui se produit lorsque le bruit et la mélodie se rencontrent pour ne faire qu’un. Voilà ce qui se passe : on a un son très faible qu’on veut amplifier. Ce qui est étonnant, c’est que si on joint ce son à un bruit, c’est-à-dire à un signal totalement aléatoire, le son est amplifié en faisant confiance au bruit, en s’appuyant sur lui pour le rendre plus perceptible. C’est très mathématique, tout ça, hein ! Mais l’émotion reste malgré tout fondamentale. Quand je travaille, une pièce n’est finie que lorsque je suis ému.

À quoi ressemble la sc ne de la musique exp rimentale italienne ? ynaktera Il y a beaucoup de talents, mais les Italiens sont plutôt xénophiles; ils apprécient plus les produits étrangers que ceux de la scène nationale. C’est bien, mais on voudrait aussi qu’ils soutiennent nos artistes. Je pense notamment à Martux_m, à Gianluca Meloni, ou encore à une artiste originaire du Kazakhstan, Angelina Yershova. franz À Rome, il y a aussi Tiziana Lo Conte, qui vient du post-punk et qui a atterri dans l’expérimentation électronique dans les années 90. Et puis au niveau des structures, le festival d’arts médiatiques Flussi di Avellino (au nord de Naples), des labels de musique comme Presto!? Record ou Die Schachtel. et du c t é de la musique é lectronique… on connait berlin, mais rome ? ynaktera Honnêtement, je ne connais pas trop les dernières tendances, je ne suis pas un habitué des dancefloors. Grâce à mes élèves, je sais juste que le dubstep est la nouvelle mode ! Dans le monde du clubbing, on ne retrouve que deux ou trois noms italiens, même quand on se tourne vers les plus grands clubs de Rome, comme le Lanificio, l’Andrea Doria et le Goa. Il y a par contre pas mal de femmes reconnues dans le milieu, comme Micol Danieli. franz Je remarque que de plus en plus d’artistes qui font du clubbing sont intéressés par la scène expérimentale issue du free jazz, entraînés par un désir de raffinement : chercher à inventer plutôt que de réinterpréter. Par contre, en Italie, il est difficile de faire survivre certaines réalités, et ce n’est pas qu’un discours de crise; il y aussi une histoire de paresse locale. Quand je vais jouer à l’étranger, je me rends compte que la musique expérimentale a le soutien de grandes institutions, en particulier en France et en Angleterre.

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dans la sonoth que de franz quelles sont vos influences majeures dans le monde de la musique é lectronique et non é lectronique ? ynaktera J’ai connu la scène électronique un peu tard. Je viens plutôt du métal et du jazz. Je suis un ingénieur et mon père est colonel dans l’armée, lui-même très conformiste, tu vois le tableau ! Mais quand je suis entré dans ce monde, j’ai été immédiatement frappé par la beauté de la scène japonaise, Ryoji Ikeda, surtout. J’apprécie aussi la scène allemande, Apparat, Alva Noto et tout ce qui a été produit sous le label Raster-Noton, dans le courant de la Intelligent Dance Music.

KING CRIMSON IANNIS XENAKIS TAYLOR DEUPREE

dans la sonoth que de ynaktera CHRISTIAN FENNESZ PHILIP GLASS FRANCIS REMIX

franz Dans la musique électronique récente, je dirais EmptySet, qui est pour moi l’un des projets les plus novateurs de ces dernières années, et, évidemment, Pan Sonic. tu as d’ailleurs fait l’ouverture de pan sonic, il me semble. c’é tait comment ? pourquoi faire de la musique é lectronique plut t qu’acoustique ? franz C’était un live long et dévastateur ! Pour des raisons de timing, Mika Vainio et Ilpo Väisänen ont retardé leur montée sur scène, et j’ai dû jouer près d’une heure et demie au lieu de la demi-heure habituelle. Mais c’est un bon souvenir. Leur concert au Brancaleone (salle d’événements underground à Rome, ndlr) avait été un tournant pour moi; je me souviens de la finale punk qu’ils avaient faite, agitant leurs synthétiseurs qui émettaient des bruits hallucinants. C’est ce qui m’a donné envie de jouer live. justement, on a l’impression que composer de la musique é lectronique est un travail assez solitaire. quel effet a vous fait, de jouer devant le public ? ynaktera En fait, pendant la composition, j’imagine déjà la réaction du public. Mais le plus étonnant, c’est que la pièce arrive toujours à amener l’auditeur dans une direction différente de celle que j’avais imaginée. C’est assez beau d’observer ce que l’œuvre devient quand elle est vraiment donnée au public. franz De mon côté, quand je joue en direct, j’aime faire beaucoup de bruit et de bordel avec la musique. Ça ressemble à ce que Kurt Cobain ou d’autres artistes du punk ou du post-punk faisaient quand ils se déchainaient sur scène. Personnellement, je ne hurle pas parce que je n’ai pas une âme de rock star, mais jouer sur la pression acoustique va un peu dans le même sens.

ynaktera Pour la sensation de liberté. Quand je jouais d’un instrument, il y avait toujours la contrainte de devoir arrêter si ça devenait trop bruyant ou trop déformé. Maintenant, quand je monte sur scène, je peux faire ce que mon cœur me dit et ça ne choque personne. Mais j’ai gardé du jazz le concept d’improvisation. Dans un live set, je n’utilise pas de pistes. Et puis il y a toujours le risque que l’ordinateur crash ou s’éteigne. Mais j’adore ça : c’est le risque de l’électronique. franz Pour moi, la possibilité de créer seul pendant une longue période est fondamentale. Puis faire de la musique avec un ordinateur est juste venu naturellement. Quand j’étais petit, je prenais des VHS de dessins animés de Mickey Mouse et je m’amusais à passer des aimants sur les bandes. Les distorsions du son et de l’image m’ont toujours intrigué. Puis, j’ai réalisé que je pouvais faire de la musique avec ces mêmes intérêts. À partir de là, tout a commencé. pour finir, montr al, ç a vous é voque quoi ? ynaktera C’est une ville où je me verrais vivre ! J’ai l’impression qu’il y a la possibilité de grandir artistiquement à Montréal. franz Oui, quand j’y suis allé, j’ai trouvé que les festivals Mutek et Elektra proposaient des nouveautés qui, au niveau des arts électroniques, sont difficiles à trouver en Europe à un tel niveau de concentration. Et puis la ville est magnifique. Elle me fait penser à un mélange de Paris et de Bruxelles. J’ai été impressionné par le degré d’innovation au niveau urbain, les installations placées dans le métro… des choses que je voudrais bien voir à Rome ! •

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WWW.FRANZROSATI.COM WWW.YNAKTERA.TUMBLR.COM


MONTR AL MODE

PHOTOGRAPHIE EDITH ROSS DIRECTION ARTISTIQUE LÉA JEANMOUGIN COIFFURE MARIE DOROFTEI

BURLESQUE VINTAGE

MODÈLES MARIE DOROFTEI & ÉLOÏSE BELANGER MERCI À LA VIE EN ROSE & AU BAR L'ABREUVOIR

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TROUVILLE CINÉMA

CONVERSATION AVEC

ANNE ÉMOND De l’autre côté de l’Atlantique, le cinéma québécois commence à se tailler une place. Mais parions qu’il ne résonne encore qu’au son des mêmes deux ou trois grands noms, ceux qui, sans doute, se sont révélés sur les tapis rouges. Si bien que lorsqu’une cinéaste indépendante est appelée à siéger sur un jury en France on se gonfle d’une fierté toute chauvine et on s’empresse de lui demander des nouvelles, comme à une amie qui serait partie à la conquête du monde.

PAR LÉA JEANMOUGIN

Léa : Anne, comment ça va ? Et comment ça va à Trouville ? Anne : À Trouville, ça va très bien. Mais c’est un peu étrange d’avoir cette conversation avec toi aujourd’hui... Parce que, vraiment, en ce surlendemain d’élection, j’aimerais beaucoup être à Montréal ! Je me sens un peu seule et loin de chez moi. C’est très étrange de vivre ce moment « historique » à distance. Léa : Est-ce que tu es toute seule là-bas ? Dans un hôtel ? Anne : En fait, Off-Courts Trouville est un festival de court métrage francoquébécois. Il y a donc beaucoup de jeunes court-métragistes du Québec. Je ne suis pas si seule que ça... Mais oui, je suis seule dans ma chambre d’hôtel. Pour la soirée des élections, ils nous ont mis la télé sur Internet. Nous avons écouté les résultats jusqu’à six heures du matin.... en buvant du Calvados. Léa : C’est une drôle de situation, comme être une expatriée involontaire… Anne : Oui, presque ! Ça faisait une jolie scène, je trouvais. Une vingtaine de Québécois, tard dans la nuit, qui criait à l’annonce de la défaite de Jean Charest.

PARTIR. J’AIME CE RECUL SUR LES CHOSES, J’EN AI BESOIN.

J’ai passé beaucoup de temps en voyage, dans les festivals, dans la dernière année. C’est étrange, car c’est un peu « hors du temps » tout ça. C’est-à-dire que je suis à l’étranger, mais pas pour le visiter, comme dans un voyage normal. J’y suis pour découvrir des gens, des films, présenter le mien. Je reste dans un microcosme... Léa : Ça me fait penser à Jenny Holzer, cette artiste qui est invitée à travailler dans le monde entier, mais qui reste chaque fois dans sa chambre d’hôtel, souvent seule. Est-ce que c’est important pour toi de, partir ? Anne : Partir. C’est de l’air frais. Tout à coup, je décolle un peu de ma réalité. En fait, j’ai plutôt du mal à écrire à Montréal. En général, j’écris chez ma mère, dans le Bas-du-Fleuve. Pour écrire Nuit #1, je suis allée un mois à Prague. C’était génial. J’étais très concentrée. Très seule aussi. J’habitais avec deux colocataires, un Hongrois et un Tchèque. La communication était compliquée. Alors, j’étais dans ma bulle... J’aime ce recul sur les choses, j’en ai besoin.

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Léa : En fait, dans partir, il y a se trouver soi-même, mais il y aussi peut-être la fuite. Quand j’ai vu Nuit #1, j’ai ressenti ce désir de fuite des personnages, comment on peut par exemple baiser avec un inconnu pour ne pas se laisser sentir l’intime, se laisser toucher. Le sexe peut aussi être une sorte de fuite.


Anne : Oui. Absolument. Dans Nuit #1, mes personnages font simplement ce qu’ils savent faire le mieux. C’est beaucoup plus simple pour eux de faire du sexe que de discuter. Mais en même temps, ils ont très envie de ne pas se retrouver seul chez eux à la fin de la nuit. Mes voyages n’ont jamais été des fuites. Sauf un peut-être, une fois, en Espagne, quand j’avais 19 ans... On dirait qu’on espère beaucoup des voyages à cet âge-là. On espère qu’ils nous sauveront. Mais en général, je crois qu’on s’y retrouve encore plus seul.

public français me fait peur, car les gens parlent beaucoup. Ils sont très décomplexés avec la prise de position, comparé aux Québécois (quoique le Québec change de ce point de vue, il me semble). J’ai un souvenir très drôle de la première projection à Paris : lors de la séance de questions, un homme, la soixantaine, a levé la main. Il m’a d’abord félicité pour mon film. Puis il m’a demandé : « Pourquoi ne pas avoir filmé la scène de sexualité comme il le fallait ? » J’ai demandé des précisions.

Sinon, mes voyages sont plutôt concrets : je pars écrire, je pars présenter un film... Ah ! Et je suis partie en Turquie avec Catherine De Léan (la comédienne du film), un peu avant de tourner Nuit #1. On se connaissait très peu, on est allées faire du trekking dans le sud de la Turquie pendant deux semaines. On dormait chez l’habitant, sur le plancher... Ça rapproche ! Léa : On devrait peut-être arrêter de penser la relation entre le réalisateur et l'acteur comme une lutte de pouvoirs, alors, et la voir plus comme une amitié ? Anne : C’est une grande question. Il y a ce mythe des réalisateurs tortionnaires qui mènent leurs acteurs dans des états de quasi-terreur pour aller chercher quelque chose d’eux. Chacun sa technique. Mais, moi, je n’y crois pas du tout. J’aime travailler avec des acteurs intelligents, qui ont une opinion, une sensibilité. J’aime pouvoir leur faire confiance et sentir qu’ils comprennent ce qu’ils jouent. La vie passe toujours avant le cinéma, pour moi. Il ne faut pas souffrir. Peu importe la qualité du film.

Il m’a alors expliqué qu’il aurait fallu en montrer davantage. Par exemple, il aurait fallu montrer la fellation. Il a même dit : « On sent que vous auriez voulu faire autrement mais que vous n’avez pas osé ». J’ai trouvé cela tellement drôle. Je lui ai dit « Merci de me dire comment j’aurais voulu réaliser mon film ». Tout le monde a rit dans la salle. Et alors, je lui ai expliqué que j’avais longuement réfléchi à cette scène, évidemment, et à ce qu’il fallait montrer ou ne pas montrer, que tout était précis. Que je ne voulais pas qu’on retienne de ce film une scène de fellation ! Enfin, ça aurait pu arriver ailleurs qu’en France. Léa : Oui, mais ma première réaction est de penser « Ah oui, c’est très français de dire quelque chose comme ça ». Comme s’il y avait une seule bonne façon de faire les choses, et ce petit culot aussi. Anne : Oui... Mais ça m’amuse un peu. Les Français m’amusent.

Léa : Comment es-tu reçue en France, comme réalisatrice ? Ce pays qui est le mien me semble, depuis que je suis au Québec, encore tellement sexiste... mais toi, tu le sens comment ? Anne : (rires) C’est très intéressant. Le film a été projeté quelques fois en France, dans différents contextes : Cinéma québécois à Paris, festivals de films. Chaque fois, la réaction a été plutôt bonne. D’ailleurs, il sort en France le sept novembre, et on a eu quelques bons mots dans les Cahiers du cinéma. Mais le

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Léa : Je voudrais dire un mot sur les Cahiers du Cinéma, revue dont Eric Rohmer a longtemps été le rédacteur en chef. Ce cinéaste me plaît beaucoup, et il y a des choses dans ton film qui me font penser à lui : les monologues, cet aspect très littéraire, presque surécrit. Tu peux m’en parler un peu ? Anne : Bien sûr. J’adore Rohmer. J’adore son humour, sa pseudo-légèreté. En fait, quand je paniquais, sur le plateau, je pensais à Rohmer. Souvent, j’arrivais le soir et je visionnais les rushes du film. Et je me disais : « Merde. Tout ce qu’on a de plus, aujourd’hui, ce sont deux personnes qui monologuent devant un mur brun. » Alors, je paniquais. Puis je pensais à Rohmer et je me disais : « Pourquoi pas. » Mais l’inspiration ultime pour ce film a été La maman et la putain, de Jean Eustache. Au niveau des thèmes, je crois que c’est très près de mon film, plus que Rohmer. Léa : Oui, et Rohmer parle plus de désir que de désespoir. Je trouve en tout cas le choix du monologue courageux. Anne : C’est très effrayant, les monologues... Il n’y a pas de coupes, pas de musique. Pas le choix d’écouter. Certains spectateurs trouvent ça insupportable. Crois-moi, j’en vois sortir de mon film avant la fin, avec un air dégoûté. Ça me brise toujours le cœur ! Léa : Justement, comment gères-tu les critiques ? Anne : Tout m’atteint. Les critiques, les blogues, les amis d’amis qui me parlent du film. Que ce soit positif ou négatif, ça m’atteint beaucoup. Peut-être que ça va s’adoucir en vieillissant. Je l’espère... Léa : À quoi ressemble le reste de ta journée, est-ce que tu vas passer au crible les court métrages de tes compatriotes ? Anne : En fait, là, je m’en vais travailler sur mon scénario, dans un café. J’ai vu tous les films, j’ai terminé avec la dernière projection ce matin. Et ce soir, on délibère avec les autres jurys. Léa : Alors bonne délibération, et bon retour à Montréal. Anne : Merci. Et merci d’avoir pensé à moi pour l’entrevue. Tonalité. •

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YANNICK GRANDMONT ©

Anne Émond a réalisé de nombreux court métrages dont Naissances, Sophie Lavoie et Plus rien ne vouloir, tous sélectionnés pour des festivals canadiens et internationaux. Son premier long métrage, Nuit #1, a été primé à Toronto, Vancouver et Taïwan. Je l’ai rejointe par téléphone le 6 septembre 2012.

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ROME SOUNDTRACK #0

RICORDI NUVOLE BAROCCHE – FABRIZIO DE ANDRÉ LA STANZA DI MIMÌ - I QUARTIERI MALEDETTA PRIMAVERA - LORETTA GOGGI GLI AMORI DI GIOVENTÙ - NON VOGLIO CHE CLARA SEGNALI DI VITA - FRANCO BATTIATO GUARDIA ‘82 - BRUNORI SAS LA CANZONE CHE SCRIVO PER TE - MARLENE KUNTZ WES ANDERSON - I CANI ALTROVE – MORGAN SAPORE DI SALE – GINO PAOLI LA CANZONE DI ALAIN DELON – BAUSTELLE PENSIERO STUPENDO - PATTY PRAVO L’APPUNTAMENTO - ORNELLA VANONI LA CANZONE DELL’AMORE PERDUTO – FABRIZIO DE ANDRÉ

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La nostalgie traverse la chanson italienne des années soixante à aujourd’hui. Elle est pour moi histoire de beauté – la beauté de l’art, des paysages, des monuments ou de la mer, cette beauté qui nous entoure, en Italie, et dont on ne mesure le prix qu’à la douleur de sa perte ; les meilleures choses ont une fin, et les plus romantiques, pas même un début. La musique populaire chante les idylles de jeunesse, ce rendez-vous manqué avec celle qu’on aime ou cet amour rêvé, déjà perdu. •

ÉCOUTEZ LA PLAYLIST SUR HTTP://8TRACKS.COM/CITTAMAGAZINE/RICORDI

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TEXTE & PLAYLIST MARCO MARASCA COLLAGE ROXANE LAGORD


PISTE 14 – LA CANZONE DELL’AMORE PERDUTO Fabrizio De André est à l’Italie ce que Félix Leclerc est au Québec. De sa voix grave et profonde, il a chanté l’amour avec le talent du poète, et les histoires de chevaliers avec celui du troubadour. Fervent défenseur de la culture, il a écrit dans tous les dialectes de l’Italie – rappelant que ce pays fût jadis une constellation de royaumes dont il ne reste des guerres médiévales que les remparts muets et majestueux des villes et des villages. •

Rappelle-toi les violettes qui bourgeonnaient avec ces mots "nous ne nous quitterons jamais, au grand jamais" je voudrais aujourd’hui te dire les mêmes choses mais les roses fanent si vite et il en est de même pour nous. Ricordi sbocciavan le viole con le nostre parole "Non ci lasceremo mai, mai e poi mai"

L’amour déchirant est désormais perdu seules restent quelques caresses légères et un peu de tendresse.

vorrei dirti ora le stesse cose ma come fan presto amore, ad appassire le rose così per noi.

Et quand tu prendras une poignée de ces fleurs, fanées au soleil d’un avril désormais lointain, tu les regretteras.

L’amore che strappa i capelli è perduto ormai non resta che qualche svogliata carezza e un po’ di tenerezza. E quando ti troverai in mano quei fiori appassiti al sole di un aprile ormai lontano, li rimpiangerai.

Mais ce sera la première à rencontrer par les rues que tu couvriras d’or, pour un baisé jamais donné, pour un nouvel amour.

Ma sarà la prima che incontri per strada che tu coprirai d’oro per un bacio mai dato per un amore nuovo.

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BERLIN PROMENADE

SÜDGELÄNDE PARK PAR MÉLANIE SAUMURE

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Une pluie fine tombait sur Berlin au moment où je pris le S-Bahn en direction sud. Les paysages se succédaient, les rails de la voie ferrée défilaient et Potsdamer Platz s’éloignait au loin. Il pleuvait toujours lorsque je descendis sur les quais déserts de la station Priestweg. Devant moi, une forêt se dressait derrière un mur de ciment qui semblait tenter de la contenir. Dans le quartier Schöneberg, coincé entre deux chemins de fer, se trouve le Südgelände Park. Couvrant plus de 18 hectares de terrain, le parc est né sur les ruines d’une ancienne gare de triage. Complétée en 1889, elle était l’une des plus occupées de la ville jusqu’à sa fermeture définitive en 1952. Parce qu’il fut impossible de déterminer qui de l’Allemagne de l’Est ou de l’Ouest était propriétaire du territoire, la gare fut abandonnée, et le terrain, laissé en friche. En moins de 50 ans, la nature a repris possession des lieux. Tranquillement, une forêt a pris racine. Les robiniers et les bouleaux ont fait leur apparition et nourri le sol, préparant ainsi le terrain pour l’arrivée des tilleuls, des chênes, et des érables de Norvège. Des plantes et des champignons se sont mis à pousser sur les décombres ; des insectes et des animaux sont venus s’établir dans les champs. Un paysage industriel a lentement disparu. Et lorsque cette forêt rudérale fut menacée d’être détruite au début des années 80, les citoyens décidèrent de la sauver. Après des années de résistance, ils réussirent à convaincre les politiciens d’en faire un espace protégé : Südgelände Park était né. La longue période de reconstruction qui s’est amorcée après la 2ème Guerre mondiale, ainsi que les années d’isolement passées à l’ombre du mur, ont favorisé l’apparition de lieux publics et de terrains vagues. De nombreux parcs, forêts et monuments ont été créés, restaurés ou rebâtis. Après la réunification, les espoirs de voir Berlin devenir une ville prospère se dissipèrent; le manque de croissance, le taux de chômage élevé et la pauvreté ont freiné le développement. Berlin, avec ses grues, ses échafauds, ses murs couverts de graffitis et ses parcelles de terre en friche, projette encore aujourd’hui l’image d’une ville inachevée. Mais c’est également cette identité urbaine qui la définit et à laquelle beaucoup de ses citoyens sont profondément attachés.

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Flâner dans un parc, passer l’après-midi assis sur le bord d’un canal ou marcher dans une forêt sont des pratiques profondément ancrées dans la culture berlinoise. Ici, les trottoirs et les jardins communautaires deviennent le prolongement de la maison. Les initiatives locales et l’engagement des citoyens menant à la création de parcs tels que le Südgelände Park ou plus récemment, celui du Tempelhofer Freiheit sur le site de l’ancien aéroport, sont encore possibles à Berlin. Mais pour combien de temps encore ? Il fallu moins de 10 ans après la chute du mur pour que les terrains vagues de Potsdamer Platz cèdent leur place à des tours de verre et à des centres commerciaux. On privatise, on développe et on transforme un territoire abandonné en un espace commerçant…

désintégration, puis, inévitablement, à la disparition. Et la végétation qui réapparaît pour finalement reprendre le dessus. Partout autour de moi, ces lignes, ces rails qui pointent dans une direction, mais qui ne vont nulle part. Cet espace organique, au milieu d’une ville chargée d’histoire, semble posséder une temporalité qui lui est propre. Ici, la nature définit le rapport au temps et à l’histoire. •

La pluie avait enfin cessé de tomber et les couleurs devinrent saturées. J’ai passé plusieurs heures à marcher dans le parc. Chaque endroit où se posaient mes yeux s’apparentait à un tableau, et chaque photo prise semblait posséder son propre rythme interne. Un paysage autrefois façonné par l’humain et confronté à l’usure, à la

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MONTR AL/BERLIN DIY

BLOOD & SAND JAM

1 kg 2 2t

black cherries medium oranges (~420 g ) cooking water

400 g

sugar

100 g

lemon juice ( 2 lemons )

4t

scotch

2t

cherry brandy ( preferably cherry heering )

½t

Place the oranges in a pot and cover with water. Bring to a boil, then turn down the heat and simmer, covered, until quite soft, about two hours. In the meantime, stem, halve and pit the cherries. Combine with the sugar and lemon juice in a largish pot or preserving pan. Allow to macerate. Place a saucer in the freezer. Sterilize jars according to manufacturer’s instructions. When the oranges are ready, remove them to a cutting board and allow to cool a little. Reserve two tablespoons of the cooking liquid and add to cherries.

bitters ( preferably orange )

Chop the oranges finely and add them to the cherries as well. Bring the mixture to a boil over medium-high heat and boil hard, stirring frequently. To test for doneness, put a teaspoon of the jam on the frozen plate and return it to the freezer for two minutes. If, then, it wrinkles when pushed, it is ready. If not, try again in another little bit. When the jam is ready, take it off the heat and stir constantly for five minutes. Add the booze, stir well, then ladle into the prepared jars. Seal, and heat process five minutes.

TEXT & RECIPE CAMILLA WYNNE INGR

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I think I've been to Berlin three times, but I've never stayed more than 24 hours. I am not an International Spy; I played in a touring rock band. I've since retired from my onstage hijinks, and now that I'm a professional preserver I tend to romanticize my old lifestyle. I wish I could have jarred some of those places and feelings to keep in my pantry and mete out in small doses. Touring is a strange thing. There aren't many of us who can say we've travelled extensively through many cities in the western world. On the other hand, I've never actually spent much time in any of them. It would be far more accurate to say that I have merely passed through them. Except perhaps in the unlikely event of a day off, experiencing a city while on tour is something uniquely circumscribable. One rarely sees more than two square blocks of any town—a dark club and brightly lit hotel, and maybe passing streets glimpsed through the van window as you come and go. The average visitor's idea of Berlin and my own likely differ a great deal from one another. I say this because when I think of Berlin, I think of beach bars: outdoor courtyards perched on huge rubber tires full of trucked-in sand for people to lounge and drink in, located right behind one of the clubs we played, which featured a fire-breathing dragon sculpture on the stage. It’s what stands out most amidst a blur of cities, in no small part due to its surrealism and salience. When it came time to get our grub on, our only feasible options were a vegan burger joint, mojitos, and late-night Thai takeout from a street stand. I've certainly sampled currywurst and other purportedly German snacks, but mainly in gas stations, never in Berlin. This kind of culi-

nary experience is often the case on tour. For instance, our band played in both Krakow and Warsaw when we were in Poland, but not a bite of traditional Polish food was had while we were there. Thanks to a vegan among us, we had to make do with a pseudo-Indian restaurant and its hippie undertones, along with an “international” hotel buffet, whose bar staff's definition of a Caesar translated into a glass of vodka and a bottle of plain tomato juice. So when I was asked to create a recipe inspired by Berlin, a platter of German cocktail sausages was the last thing on my mind. Rather, the thought of enjoying mojitos at dusk in a sand-filled courtyard surrounded by crumbling, graffiti'd buildings found its way in. The circuitous mind plucks the liquor and sand from the scene, resurfacing in New York City, where I once had the ultimate version of the Blood & Sand cocktail. The trajectories of the mind’s associations are nearly as strange as the impressions of a city as gathered by the flitting eyes of a touring musician. When my band broke up, I fell back on my trade. Granted, it's considerably less glamorous, but it inspires greater passion in spite of it all. Thankfully, I had the foresight to start my preserving business as interest in the method, which had been in steady decline, was on the increase. The art of canning is often framed as being about preserving tradition (pun always intended). While the practice does inspire nostalgia in a "how our grandmothers lived" way, like most facets of cuisine it can in fact also help preserve more recent memories, impressions, strange moments in time, and, in this case, Berlin beach bars at dusk. •

MORE ON CAMILLA AT WWW.PRESERVATIONSOCIETY.CA

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WARSAW DESIGN

BY MARTYNA DZIUBA TRANSLATED FROM POLISH BY MICHAL NIEMYJSKI ADAPTED BY NAIRI KHANDJIAN

Globalization can be exhausting. It’s all over the place, and as it takes hold, its effects are extending across borders. On the other hand, local values are also making a comeback. That might sound paradoxical, but citizens of the world are growing tired of fusing foreign trends with their own culture, and rightfully so. There is a strong inclination to return to our roots and identify with the intangible by exploring our heritage. Poland is one country that is experiencing this turn of mentality. And its connection with the phenomenon of ethno-design is undeniable, even inseparable. Both social and ideological fields are undergoing this change, such as fashion, marketing, and especially interior design, a discipline in which this trend is particularly present, highlighting creativity in practical objects. Ethno-design is the marriage between folk art and current trends, between traditional Polish craftsmanship and contemporary shapes and materials. It’s not a strict copy of the methods used in the past. Instead, it presents an inspiring platform of cultural heritage, hard work and dedication, har-

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The combination of tradition and contemporary aesthetic has become a point of fascination for people outside the design sphere: on the Polish Web, we see a growing number of blogs and websites selling the objects and offering advice on how to best arrange them in a living space. In the case of folk-inspired design, however, it’s best to play it safe and not overwhelm the decor with the expressive pieces. Less is more! •

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FORWARD TO THE PAST

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monized within the modern canon of beauty and aesthetic. Studio Aze DESIGN is a prime example of a brand showcasing ethno-design creations. Weaving, pottery, plaiting and tanning are the preferred methods in their projects. The Koko’n lamps, for example, are made in compliance with traditional methods of weaving straw. The Ayu sofa employs a combination of computer-simulated and handcrafted plaited shapes. The Zako set of chairs morphs acrylic and transparent Plexiglas into seats that reflect the merging of folklore with modernity. The She! lamp draws inspiration from traditional women’s costumes, with its vibrant colours and playful silhouette.

1. koko’n lamp designed by aze design studio 2. sofa, displaying a combination of computersimulated forms and handcrafted basketwork (plaiting) 3. she! lamp, inspired by former polish podhalan costumes 4. original podhalan costume 5. she! lamp, inspired by regional polish folk costumes 6-7. chair, inspired by polish folklore 8. cut-out table designed by oo design studio, inspired by traditional polish folk cut-outs

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MARTYNA DZIUBA / AZE STUDIO ©


TORONTO ON THE MATTER OF...

KEEPING IT TO YOURSELF BY STEPHEN KORZENSTEIN Next time you attend an art opening, take hold of the exhibit leaflet, and tear it down the middle. Read only one half. If the newly liberated and disembodied words make no sense in relation to the work, then they shouldn’t be there. It’s a tool I learned in school, and which came in handy this summer at a small exhibit in Toronto. The work touched me, but it didn’t move me. Actually, it was more like a gentle nudge, directing me towards a comforting path, free of debris or insight or complications. Just a simple two channel-video — capturing duelling, live webcam sunrises and sunsets from around the world — the work acted as a poor man's travelogue, and left me feeling nostalgic for similar moments I’ve witnessed in my own travels. There was even a surprising poetic beauty to the simplicity of such events, and the crusty web aesthetic of the visuals. But beyond that, there was little else for me to grab onto. And I would have left it as such, but I was tempted to read the artist's statement before exiting the gallery, if only to approach it from a different vantage point and give it a second chance. Which was a mistake. It seems like the more conceptual the work, the more room there is for bullshit. You would think the emphasis on visual simplicity would translate into minimalist statements — those tightly-worded photocopied sheets that accompany almost every major gallery or museum exhibition — but most artists seem to be conscious of contemporary art’s severe lack of context,

thus overcompensating with paragraph upon paragraph of prose that go on to explain the work's historical context, the inspiration and intentions behind it, along with it's true “meaning." And if the author is feeling especially generous, they'll throw in their take on the origins of the Cosmos itself. Perhaps this is a dilemma specific to the visual arts, since, as a dancer friend once told me, “The body doesn’t lie. If you don’t have the technique, people will know.” Many visual artists do lie. Craft and technique have given way to “the idea” as the dominant criteria for judging contemporary art amongst critics, curators and sellers. That in turn has given way to cynicism and distrust among those who consume art. Deciphering historical context seems mute; if it's new, it's new. It doesn't exist outside of time, but it does exist outside of the big picture. Seeing that “picture" requires hindsight, and hindsight requires distance, which is an element that cannot be forced, no matter how much you will it. I would know. My attempts at building a time machine have failed consistently. It's the lack of verbal contextualisation that makes visual art so powerful. When it's good, really good, I find myself walking away from a piece feeling inspired, motivated, provoked. Half the fun is in the frantic grasping that takes place afterwards, as I try to explain what I've seen to friends. It's in that frazzled search that I create new connections, new expressions and new combinations to describe the feelings that were ineffable minutes before. In the end, I might have no idea what it “means,” but I’m okay with that. I’m okay with the unknown. And so now, when I interact with a piece, I avoid tearing anything in half, or reading anything aloud. This way, the work is created as much in my own head as it was in the artist's. •

Swiss artist Julian Charrière's colourful pigeons at Piazza San Marco. Some pigeons are more equal than others, which took place on the fringe of the most recent Venice Biennale, sparked strong reactions. The work is a testament to how simple pieces seldom need explaining to move, provoke and inspire reflection.

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MONTR AL ÉVASION CULINAIRE

PAYS SCANDINAVES Décor recherché et ambiance calme nous plongent dans une lenteur toute nordique. Les classiques se déclinent bien sûr autour du poisson : smorrebrod (tranche de pain avec œufs, caviar et crudités), blinis de caviar, gravlax d’huîtres et, pour les plus chauvins, poutine scandinave ! www.cafeellefsen.com

ITALIE On ne peut pas avoir visité l’Italie sans en revenir un brin nostalgique. À défaut d’une cure soleil, consolons-nous donc avec « Les meilleurs cornetti de Montréal ». À la cornetteria, les petites tables et les chaises à bar nous rappellent que les dolce se dégustent avant tout dehors. Alors, chacun son dessert et rendez-vous au parc au coin de la rue ! www.lacornetteria.com

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POLOGNE La cuisine polonaise en un seul mot : entière. À Batory, les spécialités savoureusement caloriques redéfinissent le comfort food. On vous recommande surtout les latkes (galettes de pomme de terre), le borscht de betteraves et, bien sûr, les pierogis. Estil besoin de le préciser ? Une demi assiette vous suffira amplement. Et pour prolonger le dépaysement, ne pas repartir sans un film polonais au comptoir de location à l’arrière. www.eurodelibatory.pj.ca


De Montréal à New York, il n’y a qu’un pas (ou presque). Pour aller plus loin dans l’expérience nordique, un tour par le West Village s’impose. Ici, la viande provient directement de la ferme que Morten Sohlberg, le propriétaire du restaurant, a fondée Upstate New York. Et, ô délices ! on y produit aussi le sirop d’érable servi au déjeuner. À essayer absolument : le Smörgås Bord. www.smorgas.com

FRANCE À Montréal, l’une des meilleures boulangerie française… que dis-je, bretonne ! Croissants, chocolatines et kouign amann (spécialité au caramel) fondent dans la bouche et laissent sur les doigts des traces qui ne trompent pas : ici, on ne badine pas avec le beurre ! Et en bonus, pour les connaisseurs, des caramels Carambar à côté de la caisse. 514-845-8813

RÉPUBLIQUE TCHÈCHE Que le décor fasse penser à Prague ou non (là-dessus, les avis sont partagés), on ira à Café Prague pour ses merveilles. Littéralement, les Merveilles, tapas tchèques de deux bouchées, sur lesquelles saumon, œufs en mayonnaise ou charcuteries sont montées telles de vraies pièces d’orfèvrerie. On vous prévient, le choix sera difficile. www.cafeprague.ca

ALLEMAGNE Si vous ne jurez que par le brunch bagels et œufs, essayez CPC. Car, à Berlin, le brunch du dimanche en famille est une sacro-sainte tradition; tradition que Checkpoint et ses recettes centenaires représentent à merveille. On vous conseille l’assiette de hareng et surtout le schnitzel, une escalope pannée juteuse à souhait. 514-840-8488

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CRÉDITS PHOTO : BATORY - LA BOUCHE PLEINE © / LA CORNETTERIA - ADRIANO CIAMPOLI 2012 © / CAFÉ PRAGUE - ADÈLE FLANNERY © / CHECKPOINT CHARLIE - COSTIN TUTA © / CAFÉ ELLEFSEN - CHARLES BRIAND © / SMORGAS ET KOUIGN AMANN - CITTÀ ©

DU DÉCOR À L’ASSIETTE, UN GOÛT D’EUROPE EN AMÉRIQUE



PRAGUE/MONTR AL LITTÉRATURE

Illustration photographique pour CITTÀ, Maxime Brouillet


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- RE NÉ CINÉ - CONTE

CHAPITRE 1 de Olivier Godin

J’ai vu René pour la première fois il y a cinq ans, près d’une grotte, dans la montagne de la Table, lors d’une ballade à pied. Il a approché sa bouche de la mienne et j’ai senti son souffle entrer en moi. Il a ensuite pris ma main et nous nous sommes envolés. Du ciel, il me montra la tête du Lion, la pointe du Diable, puis au-delà de Cap-Espérance, par où nous plongeâmes dans les nuages jusqu’à un soleil rouge feu, l’Atlantique. René m’est ainsi apparu. Il est pour moi un fantôme ou un ange, mais certainement pas un homme. Croyez-le ou non, je le revis en sol québécois trois ans plus tard. Il était venu pour l’enterrement de sa femme, emportée par la fibrose kystique. Il a enterré son corps dans le cimetière de la forêt de la montagne du Saint-Laurent. Quel anniversaire, les patriotes ! qu’il criait. Une croix d’ardoise tiendrait à elle seule le vieux dialogue de la haine, car il me dit : je déteste ma femme encore plus que les Anglais.

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FEUILLETON

Il se voyait lui-même, comme en songe, content de la couleur sombre des poignets de sa femme. Sa femme. Il poussa la terre sur ses mains et ses pieds. Puis, il planta la croix. Il conserva sa langue, dans un mouchoir, dans la poche intérieure de son veston, près de son cœur. Après l’enterrement, il me téléphona et nous fixâmes un rendez-vous au centre-ville de Montréal, dans un Café Dépôt, près de l’appartement qu’il louerait pour l’été. C’est là qu’il rencontra pour la première fois Mélissa, la femme que j’aimais. Après les présentations, il nous proposa d’aller au cinéma. Le dernier film qu’il avait vu remontait à cinq ans et il s’ennuyait, disait-il, non pas des films, mais des salles, de l’uniformité des sièges, du plancher en pente qui le rapproche de l’écran et des visages silencieux qu’apostrophent la lumière et les images, ces images qui s’investissent du silence qui précède la musique du cœur et bla-bla-bla bla-bla. René parle comme un poète ne parle pas. Le poète n’oserait pas. Parfois (souvent), il m’énerve. Peut-être vous énervera-t-il aussi. Enfin, je propose : Il y a la cinémathèque à quelques pas d’ici, sur le boulevard Maisonneuve, nous pourrions y voir un film. Mélissa n’est pas trop cinéphile, mais elle accepte de se joindre à nous. Nous allons voir Two Years At Sea, de Ben Rivers. Un film presque muet qui décrit minutieusement la vie de solitaire que mène un ermite réfugié dans les bois. Un film d’une lenteur exemplaire dans la mesure où cette lenteur s’ajuste au rythme de vie de son protagoniste. Voilà mes mots brefs pour justifier à Mélissa le rythme du film ou, comme le suggère René, l’absence de rythme du film. À son tour, alors que nous sommes confortablement installés autour d’une table, dans le Café Dépôt du coin, René nous offre son interprétation. Lisez la suite en imaginant le timbre très doux de sa voix nostalgique. Le salaud… il dit : Le cinéaste a évidemment réalisé une œuvre volontairement ennuyante, ce qui m’amène à dire que son but, car toute œuvre d’art en a un, est d’endormir le spectateur, ou plus précisément, de ne pas l’endormir, mais bien de provoquer son endormissement, de placer le spectateur dans un état de rêveur intimement lié aux images du silence qui habitent le personnage et le poussent à l’abîme du sommeil. C’est donc un film que j’ai trouvé paresseux dans la mesure où il compte beaucoup trop sur son spectateur pour combler le vide narratif. Là où dans mon quotidien il y a du cœur, un cœur conquérant et amoureux, dans ce film, il y a du vide, le vide du dormeur que nous, spectateurs, sommes supposés combler de nos propres rêves. C’est de la mauvaise poésie ! Mais de la mauvaise poésie faite avec intelligence, car cette monotonie du quotidien, par respect pour les spectateurs, est ponctuée d’images blanches (variations surexposées du gris des ciels anglais). Elles viennent non seulement poétiser le sommeil du flâneur, mais troubler le nôtre, ou, plus conformément aux intentions du réalisateur, l’empêcher. Car oui ! l’agressivité du blanc de son film n’a d’égal que celle des projecteurs que les policiers ont souvent braqués sur ma figure : ce qui me permet de conclure en affirmant que ce film est hypocrite dans sa lenteur qui se veut ronflante et poétique, mais qui est plutôt violente et agressive. Pardon ? Devant cette interprétation ridicule, je proteste : Quelles images du silence ? Quelle agressivité ? What ! Je puise dans le répertoire interjectif anglais pour mieux faire ressentir mon hébêtement. What ! Golly ! Darn ! À ma grande surprise, Mélissa prend la défense de René, elle me dit : Idiot, le silence, c’est les images de sa famille. L’agressivité intérieure. Le vide qui les sépare. Constatation troublante : Mélissa préfère l’interprétation ridicule de René à la mienne. Moi, bref, concis, fidèle. René fit rire Mélissa d’un rire plein de vie, de sincérité et probablement, d’admiration. Elle trouva son interprétation drôle, alors qu’à la mienne, elle n’avait offert qu’un hochement de la tête : un geste vide. Que se passera-t-il lorsqu’elle découvrira qui est vraiment René ? Je suis perdu. (à suivre)

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PROCHAIN ARRÊT

Aux quatre coins du monde, nos collaborateurs se démènent déjà à la confection de CITTÀ Numéro 1...

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