Le jour des DĂŠesses
Il était une fois (ou il n’était pas) une forêt où les arbres se mirent à s’embraser subitement un matin alors que le soleil était à peine levé. Les troncs ne brûlaient pas, ils rougeoyaient de l’intérieur et lançaient vers le ciel encore sombre des rayons de lumière aux couleurs vibrantes. Les déesses avaient envie de sortir de leurs cachettes... Les arbres essayaient de retenir leur protectrices. Combat inutile. Elles avaient envie de se montrer au monde pour transmettre un message vital. Du rouge chaud au jaune vif, les troncs jouaient les caméléons, les feuilles riaient, le ciel s’enflammait, les Déesses avaient décidé de sortir au grand jour dans un grand fracas de lumières et de joie colorée ! On interrogea le magicien du village. « Oui, répondit-il, les Déesses veulent sortir, cela fait si longtemps qu’elles nous regardent de loin, elles ont envie de partager leur savoir. N’ayez crainte, elles ne vous feront pas de mal, bien au contraire !». Les villageois se demandaient tout de même ce qu’il allait leur arrivé. « Elle vont vous en apprendre beaucoup sur la vie, la nature, vos ancêtres... Si vous en voyez une, ne soyez pas surpris par son apparence, poursuivit-il, ne la regardez pas avec vos critères humains de beauté, elle aura peu être un énorme ventre, des gros seins, une petite tête... Mais rappelez-vous que c’est une Déesse de la Nature. Soyez prévenant, accueillant et tout se passera bien.» Après ces dernières recommandations, les villageois saluèrent le mage mais n’était tout de même pas rassurés en rentrant chez eux. Leurs murmures résonnèrent longtemps dans la forêt....
Après une nuit de sommeil agitée, pendant laquelle certains firent des cauchemars de sorcières, des rêves de ballet de déesses tournoyant dans les airs et autres danses envoûtantes autour de leur couche... le lendemain, tout semblait à sa place dans le village. Jusqu’au moment où une fillette revenant de la cueillette des mûrs dans le bois voisin, s’écria : «Les Déesses ont mis à sécher leurs robes dans la forêt !». Cette petite a de drôles d’idées s’exclamèrent les plus grands. Après concertation, on envoya le jeune homme le plus courageux du village au coeur de la forêt. Il revint trois quart d’heure plus tard. « Alors, alors, qu’astu vu ?» disaient les dizaines d’yeux des villageois braqués sur lui. «Rien de spectaculaire, il y a des petits chiffons rouges accrochés à certaines branches, c’est tout... Pas de quoi en faire une histoire.». « Toi aussi, tu as vu les robes des Déesses» réaffirma sérieusement la jeune témoin de cet accrochage original. Cette fois-ci, personne n’alla pas consulter le magicien du village, il trouverait cela tout à fait encourageant. Chacun préférait créer sa petite interprétation ou légende. Certains enfants affirmèrent que le Petit Chaperon Rouge leur avait fait une belle blague...
Elle était plutôt jolie la forêt décorée de petits chiffons rouges qui flottaient au vent. Cela ajoutait un air de fête à sa profondeur parfois sombre. Lorsque les étoffes bougeaient avec le vent, les oiseaux se tenaient à distance, les écureuils s’en amusaient... Bien vite, on ne se préoccupa plus de cet événement. Jusqu’au jour où une première Déesse apparue....
A la vue du ventre et des seins de la première Déesse, tout le village fût convaincu que le magicien savait de quoi il parlait ! Il ne fallait pas rire, pas baisser les yeux mais accueillir cette belle Déesse dans toute sa générosité. Elle ne parlais pas, elle transmettais simplement des messages directement aux gens : « Vos cultures seront riches si vous prenez soin de vos arbres, de vos forêts, ne coupez pas tous les beaux arbres pour les vendre. Vos arbres, c’est plus que des arbres, ce sont la maison d’une multitude de forces de vie». «Ne regardez pas vos forêts comme une marchandise mais comme la maison de tout un petit monde que vous ne pouvez pas voir mais qui contribue à l’équilibre de votre village».
Une autre Déesse apparue tout aussi généreuse, avec une petite tête et des grosses boules comme des graines tout autour de la taille. Elle était accompagné d’un oiseau transparent qui volait au-dessus de son épaule. Voici son message : «Occupez-vous bien des animaux, ne les regardez pas comme des choses à manger ou à exploiter. Soyez doux, et ils vous apporteront beaucoup. Regardez l’oiseau qui vole près de mon épaule, on peut dire que c’est mon intelligence, ma conscience, j’en prends soin et chaque fois que je dois prendre une décision, je l’écoute. Il m’emmène toujours dans la bonne direction. Ne traitez pas certains animaux comme des marchandises, sans les écouter, les regarder, les aimer. Vous perdez un échange précieux. je vous l’assure.»
Quand la troisième Déesse apparue le soir, au milieu de l’hiver quand tout le village était réuni autour du feu, tout le monde fût effrayé. Elle dansait dans les flammes, de son être sortaient des bruits étranges. Un langage que personne n’avait jamais entendu. Sa présence dégageait quelque chose de terrible et en même temps, on se sentait proche d’elle. Certains disent que c’était la mort. C’est possible. Elle sortait du feu, repartait et nous racontait un tas de choses dans sa langue ponctuée de sifflements... Elle est repartie, chacun s’est senti épuisé comme après un gros effort sportif. Fatigué mais content, avec l’envie d’aller se coucher sereinement au coin du feu.
La quatrième non plus, il ne l’avais jamais vue, mais tout le monde la reconnue : la Déesse de la générosité. Partout où elle passait, elle distribuait des brassées de fleurs. On ne sait pas d’où sortaient ces fleurs multicolores, l’éclosion était infinie. Dans les rues, dans les maisons, dans les champs, elle en avait toujours à offrir, encore et encore. On apercevait à peine sa petite tête dernière les montagnes de fleurs qui sortaient de sa poitrine Elle est restée avec nous tout le printemps. L’air sentait bon le frais et un doux parfum flottait dans son sillage. Tout le monde riait, s’habillait de couleurs vives, s’embrassait et dansait. Elle donnait le ton de la joie et le village vivait à son rythme !
Cette petite Déesse muette et discrète, n’avait pas de bouche. Elle ne disait rien, mais inspirait confiance. Ses yeux avait l’air triste. En la regardant longtemps, on comprenait que qu’il revenait à chacun de nous d’écouter ce qu’avait à nous dire notre propre tristesse. Et lorsque l’on commençait à écouter, plongé dans son regard, baigné de son corps blanc et d’une lumière rose, on n’avait plus peur d’écouter sa tristesse, qui avait plein de choses belles à nous dire. Il était tellement rare d’écouter sa tristesse, que tout à coup on l’aimait, on voyait pourquoi elle nous envahissait et elle nous apprenait beaucoup. Quand on avait fini, la Déesse disparaissait dernière un tissage de tissus finement brodé, très délicat. Jusqu’à la prochaine fois où on aurait besoin de bien écouter notre tristesse.
Elle est apparue au petit matin et nous a dit qu’elle exaucerait tous nos voeux s’ils étaient tournés vers les autres. Alors, tout le monde emballé, s’est mis à réfléchir tot azimut. Chacun pensa dans sa tête : « J’aimerai ceci, je voudrais tellement cela...». Comme si la Déesse avait entendue ces premières pensées, elle re formula clairement les instructions : «... des voeux pour le bien des autres». Ce n’était pas si facile au départ car on rêve toujours de quelque chose pour soi mais pas forcément pour les autres. Alors chacun, se remua les méninges et fini par trouver. Chacun souhaitant quelque chose de bien pour d’autres, c’est comme si nous nous offrions une ronde de cadeaux. C’était magique !
Alors qu’elle agitait ses bras comme pour s’envoler, le bas de son corps semblait vouloir rester au sol. Seules les étoiles filaient sur son passage. Elle avait un drôle d’air, des sourcils qui montaient comme une colère et une boucle d’oreille de pirate. Personne pas bien compris son message. Notre monde aime les directions claires. Elle voulait décoller avec les deux pieds bien plantés au sol. Les enfants ont failli se moquer, puis ils ont tous cherché à l’aider. Un petit à pris un oiseau dans ses mains, puis l’a lâché pour lui montrer comment voler. Elle était encore plus excitée ! Elle a regardé l’oiseau partir dans les airs avec de l’espoir dans les yeux. Ce jour-là, ce sont les enfants qui ont appris quelque chose à la Déesse...
Celle-ci a été découverte dans la terre, elle était recouverte d’une fine couche de sable rouge. Une petite fille en jouant à commencé à voir du bleu, elle a continué à gratter, puis, elle a soufflé et la Déesse des sables est apparue. Cachées dernière, d’autres têtes apparaissaient et disparaissaient comme si on les avait dérangées d’un long sommeil. La petite fille remis doucement une fine couche de sable dessus, elle pensa : elle est trop jolie pour que tout le monde la voit. Ce sera mon secret à moi, la Déesse du sable qu’il ne faut pas déranger pendant son doux repos hors du temps... Le soir-même, dans ses rêves, la petite fille reçu un message sur l’endroit où creuser un puits pour toffrir de l’eau belle et claire à tout le village en remerciement d’avoir pris soin du sommeil de la belle créature.
Mes peintures de Déesses (huile et pastel gras) sont librement inspirées des statuettes retrouvées dans les fouilles archéologiques, certaines tirées du livre de Marija Gimbutas «Le langage de la Déesse». Elle a menée des fouilles en Europe du sud-est et méditerranéenne, qui ont dévoilé l’existence d’une culture préhistorique de la Déesse, civilisation paisible et harmonieuse ayant perdurée durant au moins 25. 000 ans. Les petites histoires inspirées des peintures sont pures inventions.
Textes, peintures et dessins : Claire Chabert © Éditions «Mots en Mouvement» 2014 Contact : claire.chabert@orange.fr
«Quand je suis née, en Lithuanie il y avait encore cinquante pour cent de païens. J'ai eu énormément de liens directs aux déesses. Elles étaient autour de moi dans mon enfance. La déesse Laima était là, elle pouvait appeler la nuit et regarder par les fenêtres. Quand une femme donnait naissance elle apparaissait, et la grand-mère organisait les choses. Des tissus sont étendus pour elle, parce qu’elle tisse la vie, elle est le fileuse. Elle est peut être en voie de disparition, il y a cinquante ans elle était toujours là.»
«Ainsi dans mon enfance j'ai été confrontée à beaucoup de choses qui étaient presque préhistoriques, je dirais. Et quand j'ai étudié l'archéologie, il était plus facile que je saisisse ce que signifient ces sculptures que pour un archéologue né à New-York, qui ne sait rien au sujet de la vie à la campagne en Europe (rires).»
«Les déesses étaient créatives, elles créent d'ellesmêmes. Dès 35.000 Avant JC des symboles et des sculptures, nous pouvons voir que les parties du corps féminin étaient les parties créatrices: seins, ventre et fesses.» Extraits d’une interview de Marija Gimbutas.