Mémoires d’une graine
Je suis née de père inconnu mais ma mère, c’est sûr c’est la terre. Mon père était un grand arbre de la forêt d’Amazonie, dans ses bras habitaient des oiseaux, des milliers d’insectes, des fleurs et de longues lianes où jouaient les singes. Je suis née au plus chaud de l’été au bout d’une belle branche souple et douce. J’étais d’abord une fleur, colorée, fraîche et odorante. J’ai nourri de mon nectar de nombreux insectes, des papillons. Un beau jour, fanée, mes pétales sont tombées une à une comme des confettis colorés et je suis devenue une énorme graine verte. Avec l’eau et le soleil, j’ai grossi, grossi, jusqu’à tomber de l’arbre sur une épaisse couche de mousse tendre. Dans la chute, ma cosse s’est ouverte et a libérée de jolies petites graines blanches comme des perles. Pleines de vie, elles ont sautées et roulées sur la mousse verte. Chacune a voyagé, embarquée par le vent, cueillie dans le bec d’un oiseau ou emportée par les pluies torrentielles. Ces belles petites graines doivent être de grands arbres maintenant. Il ne reste plus de moi que cette coque dure, j’ai donné toute ma douceur en tant que fleur aux insectes, toute mon énergie aux graines qui sont devenues des arbres. Je ne suis pas triste d’être une petite graine toute sèche aujourd’hui. J’ai donné le meilleur de moi. Une voyageuse s’est penchée sur moi, a trouvé que j’avais un beau coeur, une jolie couleur. Elle m’a emporté dans son sac et m’a emmené à des milliers de kilomètres. Je me repose maintenant d’une vie bien remplie.
Mémoires d’une pierre poreuse
Poreuse, pas peureuse. J’ai habité dans des torrents, dévalé des cascades… C’est d’ailleurs pour cela que je suis percée. L’eau a force de couler, couler a fini par creuser dans ma carcasse un petit trou qui me donne du caractère. Un piercing d’avant garde. Nous les pierres, on est toutes différentes, par notre constitution, calcaire, craie, silice… et surtout à cause des événements de la vie qui tracent sur notre visage des lignes très personnelles. Il y a les pierres qui ne bougent jamais et les pierres comme moi, cascadeuses, qui roulent à perdre haleine. Il y a celles qui se fendent en petites tranches sous l’effet du gel, les pierres volcaniques qui s’élèvent dans le ciel, se gorgent d’air pour retomber légère. Il y a celles qui s’effritent, au caractère généralement un peu triste. Il y a celles qui pavanent tout en haut des montagnes, qui brillent sous le soleil couchant au-dessus des nuages. Et il y a celles que l’on ramasse, les plus originales, celles qui ont une forme étrange. Elles attirent l’œil du curieux, sont prises dans une main et se retrouvent comme moi dans un petit bouquin après un très long chemin que personne ne pourra jamais vraiment raconté.
Mémoires d’une graine peigne
Une fois ma vie de graine perchée en haut des arbres terminée, je finis dans les cheveux long et soyeux des belles indigènes. Elles me calent dans la paume de leur main et caresse leur chevelure que je démêle avec soin. Mes picots passent délicatement dans leurs longs cheveux noir brillants, séparant les mèches. Il n’y a plus un seul nœud. Dans le creux de leur main, nous ne faisons plus qu’un. Je participe joyeusement à ce rituel. Jamais, quand j’étais petit là-haut perché dans mon arbre, me sachant voué à mûrir et à mourir sur le sol, jamais je n’aurais pensé qu’ensuite ma vie de graine se transformerait en tant d’heure de douceur et de plaisir. Aujourd’hui, croiser le regard et lisser les cheveux d’une belle indigène est devenu rare. Elles sont parti, je ne sais où. Dans les villes, chez des coiffeurs entre les mains de peignes en plastique. Je regrette le temps où je participais à leur beauté doté de mes talents naturels. Aujourd’hui, on a plus de chance d’être écrasé par les routes d’un 4X4 ou de pourrir sur le sol que de voguer sur une crinière noire et parfumée de fleurs. Mon paradis perdu à moi…
Mémoires d’une liane à boire
L’eau de la terre coule dans mes veines. Je m’enroule dans les grands arbres et je crée de jolies formes, parfois je m’emmêle un peu. Il m’arrive de me perdre dans des nœuds inextricables. Si jamais un homme est perdu, assoiffé dans la jungle, il sait qu’il peut couper un tronçon de ma liane, le porter à sa bouche et là, l’eau coule comme par miracle pour étancher sa soif. Je lui donne volontiers mon eau car je pousse si vite dans la chaleur de la forêt. L’homme est moins chanceux que moi, il transpire dans la jungle, perd ses forces et il ne sait pas toujours où trouver une rivière. L’eau qui coule en moi est toujours claire, bonne, saine et même fraîche. Ma nature est généreuse, j’étanche leur soif.
Mémoire d’une pierre volcanique.
De mémoire de pierre volcanique, on n’a jamais passé un seul jour de farniente au soleil… comme nos cousins, les galets de plage. Le destin d’une pierre volcanique n’est pas de tout repos. On nait au fond du sol, sans forme : une coulée chaude, du magma, une matière brûlante et vivante. Quand la terre le décide, elle nous expulse comme un bébé du ventre de sa mère. Soudain, dans le jaillissement d’une force tellurique inouïe, on est propulsé hors du nid chaud et douillet du ventre de la terre. L’aventure commence ! On découvre l’air, l’espace, un monde immense et inconnu. Et là, notre forme change. On devient plus solide, on vole, on roule, on cabriole. C’est le côté amusant, on change même de couleur. On est nombreux, c’est un vrai feu d’artifice. Puis, on s’installe et l’on change la face du paysage. Après l’explosion, le volcan n’est plus le même. On peut détruire des arbres, des villages, la terre-mère quand elle explose, elle ne fait pas semblant. Une fois calmé, on coule des jours tranquilles à regarder la mer des îles éoliennes, les bateaux et les pêcheurs qui surveillent toujours du coin de l’œil le volcan pour sentir si la terre-mère va se mettre en colère.
Mémoires d’un corail
Si vous saviez toute la vie que j’abritai quand j’étais jeune, j’accueillais de longues tiges qui flottaient dans l’eau, les poissons venaient les chatouiller et trouver leur nourriture. J’étais utile à toute la vie marine. On pouvait compter sur moi, je ne bougeais pas d’un petit doigt. Mais un jour, un énorme courant m’a décroché des grands fonds, j’ai remonté, remonté puis les vagues m’ont polie. Des années à rouler au gré de la marée. C’était doux de se laisser caresser par le sable, puis happer par les vagues, faire des pirouettes, des galipettes. Ces voyages ont laissé ces petites traces d’étoiles, en mémoire des jolis coraux qui vivaient là. C’est un peu un souvenir, une cicatrice, un mystère au motif de fleurs. C’est ma petite histoire qui est écrite ici.
Mémoires d’une coulée de lave en « corde »
Lorsque j’ai coulé du volcan Stromboli en Italie, c’était un jour effrayant pour les hommes mais très amusant pour nous, la lave. Nous sortions enfin des profondeurs de la terre pour nous écouler nonchalamment le long des flancs du volcan par une belle nuit étoilée. Nous éclairions le ciel de notre rouge vif, notre chaleur recouvrait tout sur notre passage, les autres pierres mortes, les herbes, les arbustes… nous nous épanchions dehors formant comme des vagues. Notre matière était épaisse, le magma liquide bouillonnait dans le cratère, les petits rejets explosifs s’évadaient dans l’air dans de grands éclats et sifflements. Nous les coulées de lave, nous étions sages. Pas assez liquides pour dévaler la pente mais suffisamment pour créer des longues cordes sous l’effet du poids. Au petit jour, le dessin que nous formions tout autour du volcan signait notre œuvre. La vie reprendra le dessus et les fleurs repousseront, mais je n’oublierais jamais cette nuit rougeoyante et joyeuse où nous montrions au monde entier la puissance de la terre.
Corail Flottant/huile sur toile.
Fossile/ encre et aquarelle sur livre.
Mémoire d’un os de baleine
. Il existe tant de légendes incroyables sur les baleines... L’os, c’est justement que plus personne ne nous croit, nous les véritables os de baleine. On échoue sur la plage au large du Canada, et là, on vit incognito sans Gépéto. Pendant ce temps, les cachalots font leur numéro au large et tout un tas d’oiseaux jacassent au dessus de nous sans nous voir. Au fond, je ne prétends plus faire des éclats, j’ai traversé les mers, je me suis cogné à des cargots et battus avec des pêcheurs terriblement armés... Aujourd’hui je vis paisiblement, discrètement, loin de tout et j’ai pour moi seul les pleines lunes éclairant ma carcasse blanche légère qui a tant porté de chaire. Cette lueure douce et tranparente vaut toutes les heures de gloire.
Mémoire d’un bois pour faire le feu
Dans un rêve, un masaï a vu ma couleur rousse, sentie mon odeur fraîche de bois tendre et il a eu un coup de foudre. Au réveil, sans même se rappeler son rêve, il a essayé de faire du feu, en prenant un bois dur entre les deux mains qui tourne audessus d’un bois tendre jusqu’à faire un petit trou en prenant bien soin, d’avoir à portée de mains des herbes sèches pour les braises. Mais ce jour-là, cela ne marchait pas, il tournait, tournait, aucune petite fumée ne se dégageait du frottement entre les deux bois. Il arrêta son effort vain et laissa son regard se poser à l’horizon. Et la réponse arriva. Il fallait choisir ce bois tendre à la couleur chaleureuse, à l’odeur sucrée pour faire démarrer le feu, il s’enflamma à cette idée et parti en quête d’un morceau. Fier d’être choisi par le plus grand guerrier de la tribu, je fis de mon mieux pour faire partir le feu en quelques tours de main. D’abord une petite fumée discrète pour ne pas jouer les prétentieux, ce qui ne se fait pas dans la nature, un rougeoiement intense, un effort tenace et me voilà qui enflamme les petites branches qui feront le grand feu du soir. Le guerrier était si heureux qu’il se mit à chanter et danser, sautant en l’air en hommage à cette magie. Depuis, je garde ce souvenir et ce petit trou du premier feu intense de la brousse. Le message passa de tribu en tribu et je fus recherchée pour mes grandes qualités avant l’apparition de l’allumette, mais ça, c’est une autre histoire.
Mémoire d’une drôle de graine
Je ressemble à un petit singe rieur, mais je suis en réalité une graine qui est tombée et s’est fendue. Ne dit-on pas « se fendre la poire » ! Je ne suis pas un fruit pour autant, juste une graine inconnue qui rigole tout le temps. Une graine de pain, de perlin pin pin ! Un vrai bout en train. Si vous me glissez dans votre poche, c’est le rire assuré. Tout ce que vous ferez dans la journée se transformera en une farce éclatante.
Au fond, nous sommes tous des petites graines tombées du ciel dans une forêt inconnue... nous cherchons à prendre racine pour jeter des pousses vers le ciel.
Photos, textes et peintures : Claire Chabert © Editions «Mots en Mouvement» 2013 Claire.chabert@orange.fr