Mémoire de fin d'études Hitier Clémentine

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Mémoire de Fin d’Études

Manière(s) de vivre en Inde

Hitier Clémentine Directrice d’étude / Karine Thilleul – Soutenance / Septembre 2013 ECOLE NATIONALE SUPÉRIEURE D’ARCHITECTURE DE NANCY



DÉMARCHE / Le Voyage Le début de cette aventure a commencé par le voyage en Inde au mois d’aout 2012. Dès le deuxième jour, l’idée de développer un sujet de mémoire à partir de cette expérience de voyage a été évidente. Très rapidement, j’ai donc vécu le voyage avec un regard différent, cherchant à définir ce qui m’intéressait à travers l’identité de l’Inde. C’est ainsi que j’ai décidé de traiter une problématique autour de la question des manières de vivre en Inde. L’observation et le contact permanent avec les Indiens constituent l’origine de cette envie d’approfondissement. / La Réflexion Suite de la réflexion commencée durant le voyage. But est de trouver une problématique, d’effectuer une ébauche de plan, de trouver des références pour préparer le travail futur de rédaction. Il faut du temps pour laisser la réflexion mûrir. La rédaction du mémoire qui se déroule par la suite est bien plus simple et naturel une fois le sujet étudié. / La Rédaction Lorsque l’on voyage, on peut vivre les choses de la journée sans vraiment les comprendre, simplement les apprécier. La réalisation d’une recherche, d’une analyse en profondeur amène à enrichir l’expérience du voyage. Celui-ci reste davantage dans la mémoire puisque l’on met en confrontation des éléments vécus avec des écrits et autres documents à la suite du voyage. Une véritable compréhension de l’espace de la ville, de la rue, de l’habitat offre la possibilité d’une découverte nouvelle, comme un atout supplémentaire et un recul par rapport au voyage. PROBLÉMATIQUE La problématique a varié au fur et à mesure du travail, suivant les changements et les variations en terme de choix de développement. Ce que j’ai souhaité étudier au cours de cette étude peut se résumer ainsi : quelle est la manière de vivre des Indiens? Quel lien existe-t-il, dans la plus grande démocratie du monde, entre ces habitants pourtant si différents par le système des castes, par la présence de diverses religions, par une si riche diversité culturelle? Ce mémoire essaye de répondre à ces questionnements survenus lors de mon voyage en Inde. L’étude résulte du développement sensible et analytique sur la manière de vivre en Inde et sa mise en relation avec le milieu occidental. COMPOSITION Le mémoire se compose de deux livrets correspondant respectivement à 2 parties créant une entité. 1er LIVRET > approche sensible de l’Inde Format paysage, en adéquation avec le caractère sensible du voyage, bon format également pour les photos / 1ère approche de l’Inde à travers des récits personnels, de voyageurs extérieurs, et du témoignage d’un architecte 2ème LIVRET > développement analytique de la manière de vivre en Inde Format carré, plus propice à l’analyse / Traitement de l’espace de la ville, de l’espace public et de l’espace de l’habitat / Compréhension de l’espace par l’analyse de textes, de documents techniques, etc.



PARTIE I APPROCHE SENSIBLE DE L’INDE carnet de voyage, récits, témoignage



PREMIÈRE PARTIE

APPROCHE SENSIBLE DE L’INDE

1 Carnet de voyage personnel

pages 5 - 73

VILLES INDIENNES

/ la couleur des villes, les forts, Pushkar, Varanasi

COUTUMES ET HABITUDE

/ les transports, la gare indienne, la poubelle, la négociation, la cuisine, le rôle des femmes, le savoir vivre indien, la rue indienne

2 Récits de voyageurs sur l’Inde

pages 77 - 91

3 Témoignage - entre architecture et voyage

pages 95 - 117

Entretien avec l’architecte Christophe Aubertin sur son expérience de six mois à Pune, en Inde



CARNET DE VOYAGE

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VILLES indiennes COUTUMES & HABITUDES



VILLES INDIENNES


LA COULEUR DES VILLES

Au Rajasthan, chaque ville a sa couleur. La couleur offre une singularité, une identité forte aux villes du Rajasthan, représentative alors de la cité.

DEHLI Dehli offre une dominante rouge ocre. Le Fort Rouge de Delhi fut édifié par l’empereur Shah Jahan en 1640, auteur entre autres du célébrissime Taj Mahal. A côté du Fort, on trouve la Grande Mosquée Jama Masjid, la plus grande de l’Inde, toujours dans le même style de grès rouge et marbre. Magnifique visite de la Qutb Minar, minaret datant du XIIème siècle. Outre les vaches qu’on trouve partout dans la ville, les singes semblent aussi assez heureux dans le pays, et on les voit gambader tranquillement sur les fils électriques ou les toits des maisons de la capitale. Les trottoirs sont quasi inexistants, constructions rares dans ces villes indiennes, ne permettant pas de se balader si aisément, du moins au début du voyage. L’attention y est requise, si l’on veut rester sain et sauf ! 8


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JAIPUR

Jaipur, capitale du Rajasthan, est une autre étape indispensable. On l’a baptisée « ville rose » en raison de la teinte des édifices de sa vieille ville, certains construits en grès rose, d’autres peints dans la même couleur. Certaines façades ont l’air de sortir tout droit d’un décor de theatre, et où même les vieillards portent des turbans roses. C’est une des seules villes indiennes où il était possible de marcher sur de vrais trottoirs comme chez nous ! Le City Palace n’est pas moins impressionnant que celui d’Udaipur. La merveilleuse façade du «palais du vent» (Hawa Mahal) située pleine ville est l’un des chefs d’oeuvre de l’architecture rajput. A quelques kilomètres de là, la forteresse d’Amber, autre superbe exemple d’architecture rajpoute, se dresse à flanc de colline et surplombe un lac où se reflètent terrasses et remparts. La visite de l’imposant palais de grès blanc, dominant la vallée et entouré de murailles se composent d’un dédale de cours, de jardins, de couloirs qui en font un vrai labyrinthe…

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JAISALMER

Après plusieurs heures sur une route chaotique - les carcasses de nombreux véhicules en témoignent - en plein désert du Thar, une citadelle couleur sable surgit telle un mirage. Jaisalmer est une halte hors du temps, située aux portes du désert, près du Pakistan. Sa citadelle est entourée de remparts en parfait état, et ses ruelles offrent la découverte de nombreuses Havelis - demeures édifiées par de riches marchants au XVIIIeme siècle qui sont en fait de véritables palais sur plusieurs étages, avec une grande finesse des façades et des balcons incroyablement travaillés. Les engins motorisés restent aux portes de la citadelle. A l’intérieur, seuls les cris de joie des enfants couvrent le sifflement du vent du désert.

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UDAIPUR

Udaipur la Blanche, une de mes villes préférées, avec son lac, ses palais sur l’eau ou dominant la ville - le City Palace, impressionnante forteresse de marbre et de granit, évoque la grandeur passée des Maharadjas; le Lake Palace trône au milieu du lac. Ses ruelles étroites et pentues aux boutiques raffinées, et surtout ses nombreuses terrasses sur les toits desquelles les vues sont magiques, de jour comme de nuit, témoigne de la douceur de vivre de cette cité merveilleuse. Nous avions trouvé notre terrasse fétiche, au dernier étage d’un hôtel, avec lit a baldaquin et matelas nous servant de table pour boire des lassis (boisson traditionnelle que les indiens adorent; pour faire simple, c’est une sorte de Yop). Des singes cavalent sur les toits des palais baroque, escaladent les balcons de fer forgé des maisons blanchies à la chaux.

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JODHPUR & CHITTORGARH

Ces villes possèdent deux caractéristiques communes : leur ville est située au pied d’un fort et la couleur omniprésente est le bleu. Une quantité inouïe de ruelles forment une sorte de labyrinthe géant où tout se ressemble, tout est bleu ! Très facile de s’y perdre ! Les vues sur la ville de Jodhpur ne manquent pas car la cité est entourée de montagnes, et possède également l’imposante forteresse de Mehrangarth, la plus belle du Rajasthan, accrochée a une colline avec vue sur les toits plats de couleur indigo. Pour la petite histoire, cette couleur était celle des maisons des Brahmanes, la plus haute caste indienne (les intellectuels, les religieux), qui vénèrent Krishna, incarnation divine à la peau bleue. Aujourd’hui, peu de brahmanes occupent ces maisons mais il parait que cette couleur est un excellent anti-moustique! Jodhpur ou Sun City - en moyenne seulement 18 jours sans soleil par an- est également séduisante par ses nombreux bazars et souks.

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LES FORTS Tout d’abord, remarquable est l’architecture Moghole et Rajpoute des palais, forteresses, mausolées de marbre que l’on trouve presque dans chaque ville ou village, et qui nous font remonter le temps et imaginer ce qu’était la vie faste des Maharadjas du XVème à la fin du XIXème siècle. La présence de fort dans les villes influe directement le système d’organisation général et influe sur le type de cheminement possible dans la cité, avec des centralités différentes. Par exemple, le fort de Jaisalmer est accessible, circulable, habité par les brahmanes, occupé par les guesthouses. Espace vivant situé au cœur de la ville avec ses si jolies ruelles et ses points de vue tout le long des remparts. Le fort donne la sensation qu’il va s’écrouler à tout instant sur cette colline où il est situé. Le reste de la ville, d’un jaune vif éclairé par la lumière intense du désert, se développe tout autour du fort, sur ses bas côtés. Les ruelles du fort possèdent un charme fou avec leur tracé irrégulier, apportant sans cesse de nouvelles découvertes aux yeux avec les petites échoppes, les taquineries et brèves discussions avec les indiens, la visite des « havelis » - demeures, petits palais ou maisons de maître, parfois fortifiés que l’on trouve au Râjasthân et au Goujerat, en Inde. Construites par des princes râjputs ou des commerçants mewâri, elles sont réputées à Jaisalmer pour leurs décors de pierre finement sculptés.

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Le fort de Jodhpur, surnommé le « fort magnifique » et datant du XVIIe siècle, surplombe la ville du haut de ses 122 mètres. À l’intérieur de celui-ci se trouve un palais richement décoré et agrémenté de nombreuses cours. Accessible de nos jours uniquement pour la visite. Il paraît très imposant, hors de portée, installé sur les hauteurs, au flanc de la colline rocheuse. L’ascension pour y accéder débute par la montée à pied de la colline. Lorsque l’on se trouve en bas du fort, on a à la fois la vue sur la plaine, la ville bleue et à la fois la vue de près sur le fort. On doit passer par plusieurs portes pour arriver au coeur de l’édifice. Leur présence rappelle l’importance de se protéger à l’époque. Du point de vue architectural, elles séquencent l’arrivée progressive à l’intérieur du fort. Les détails et ornementations des persiennes en pierre sont incroyablement précis, fruit d’un long travail minutieux. Les cours sont plus belles les unes que les autres, possédant des status différents - espace public, privé - destinés à accueillir uniquement les femmes du fort ou encore les cérémonies royales. Une promenade en haut des remparts termine la visite et offre un panorama époustouflant, malgré une chaleur écrasante ! Des meurtrières cadrent des vues sur les maisons bleues en contre-bas, d’où il est possible de se rendre compte de la densité des constructions de la ville. 32


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PUSHKAR ET BRAHMÂ

A Pushkar, c’est la présence du lac sacré qui induit directement l’organisation de la ville. En effet, la ville se développe autour des rives du lac et vit en étroite harmonie avec cet élément. Les milliers d’emmarchement, qui amènent aux bassins et au lac, constituent le lien entre les rues de la ville, les ghâts (« marches », désigne en Inde les marches qui recouvrent les rives d’eau ou les berges, des bassins permettant de descendre au contact de l’eau) et le lac. Des constructions prennent place sur le pourtour du lac et se reflètent dans l’eau. Les montagnes environnantes participent à rendre ce site magique. Moment fort du voyage, intensité du ressenti, apaisement profond. Pushkar est l’un des rares lieux en Inde où est consacré un temple au dieu Brahmâ. La ville est un important lieu de pèlerinage. Les offrandes – pétales de fleurs – sont mises aux eaux quotidiennement par les indiens. Cinquante-deux ghâts permettent aux pèlerins de descendre au niveau du lac pour se baigner dans les eaux sacrées.

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Un temple, situé sur une montagne avoisinante à la ville, correspond à une promenade qui se fait par étape par étape. On quitte tout d’abord la ville puis on emprunte un chemin en terre qui nous conduit au sommet de la montagne, accompagné d’une chaleur tenace et du jeu dangereux des singes. Les vues sur la vallée à 360° ainsi que sur Pushkar et son lac sont saisissantes. On perçoit de manière globale et lisible le développement de la ville autour de son lac. Les rayons du soleil tombent sur les cultures verdoyantes. De la musique pop-indienne se fait entendre plus l’on se rapproche du temple. Arrivée au sommet, je me sens en osmose avec la démarche des pèlerins qui vont de site en site. Je comprends leur ténacité dans leur choix quand je vois ces indiennes accroupies devant la statue d’un dieu à l’intérieur du temple. Cette fois, la musique traditionnelle remplace la musique pop que l’on pouvait entendre devant le temple, diffusée par des petites échoppes. On rencontre un petit garçon qui aide son grand frère au magasin. Il avait eu cours le matin, l’après-midi étant libre et donc utilisée à donner un coup de main à la famille. Il parle déjà bien anglais et nous explique qu’il lui est nécessaire de le maîtriser pour travailler dans le domaine du tourisme. Il tire son enseignement des multiples discussions avec les touristes qu’il a l’occasion de rencontrer en haut de la montagne.

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VARANASI, VILLE SACRÉE DE L’HINDOUISME

Varanasi (Béranès), située dans la région de l’Uttar Pradesh, se développe toute entière sur la rive gauche du Gange, face au soleil levant, l’autre rive étant dénuée de toute construction. La ville, dédiée à Shiva, est très fréquentée par les sâdhus (ou ermites) et les pèlerins de tout le pays. Le long du Gange, un dédale incalculable de ruelles se poursuive sur des kilomètres, offrant ponctuellement des ouvertures visuelles vers le Gange par ses nombreux ghâts. La ville est tournée vers l’eau, en relation directe avec ses pratiques funéraires lors la crémation, pratiquée 24h/24, au bord du fleuve. On croise des indiens dans les ruelles de la ville portant des corps enveloppés dans des tissus colorés de soie suivis de prêt de leur famille portant le bois – servant à brûler le corps au bûcher de la ville – et chantant des prières. Très émouvant de suivre ces processions qui nous amène vers ce grand bûcher au bord de l’eau. On reste à distance respectueuse des familles, les yeux piquent, pleurent, il fait nuit.

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La ville de Varanasi est surtout célèbre pour ses ghāts - berges recouvertes de marches de pierres - qui permettent aux dévots hindous de descendre au fleuve pour y pratiquer ablutions et pūjās. Le bain dans le Gange est censé laver de tous les péchés. Tous les soirs, à la tombée de la nuit, la ville est en émoi : c’est le temps de la prière qui regroupe tous les indiens, mélange à ciel ouvert de toutes les classes sociales. En tant qu’occidentale, j’ai eu l’impression d’assister à un spectacle. Cela s’explique peut-être par la tenue des brahmanes (prêtres) qui portent des tuniques orange. Mais également par leur manière de pratiquer la prière : chants, mouvement du corps et d’objets dispersant des nuages de fumée odorante, offrande disposée sur l’eau du Gange. Les croyants sont installés sur les marches des différents ghâts de la ville autour des prêtres, également sur des embarcations – tel était mon cas – se tenant juste en face de la prière. Un indien pris par la folie, presque nu, a attiré l’attention à un moment. Il paraissait fou et désespéré, allant des marches aux bateaux, terrifiant les indiens qui ont fini par le chasser. Il devait certainement s’agir d’un intouchable. Moment sublimé par les couleurs, la densité des groupes de personnes, les applaudissements généraux de la foule suite à certaines prières, l’unité qui réunit le peuple indien à travers des croyances tenant une place prépondérante au cœur de leur vie quotidienne.

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COUTUMES & HABITUDES


LES TRANSPORTS

En dehors des déplacements en train, nous avons eu l’occasion d’utiliser de nombreux modes de transport. Les voyages de ville en ville se faisaient soit en train, soit en bus. En ville, le bus est moins onéreux, plus sociabilisant et tient mieux la route que les rickshaws, scooters rattachés à une sorte de cabine pouvant accueillir deux, trois personnes – ce nombre peut être largement dépassé et il n’est pas rare de voir des familles entières dans un seul rickshaw. Le rickshaw peut être considéré comme le taxi de la classe moyenne indienne. Mais un taxi banalisé et très répandu. Des milliers de scooters et de voitures participent également au volume sonore élevé des klaxons au fil de la journée. Il est possible aussi de se retrouver dans une sorte de bouchon à l’indienne aux heures de pointe. Avec des scooters, des voitures, des rickshaws, des vélos, des hommes à pied tirant des charrettes énormes et des vaches au milieu de cette tumulte ! Et tout cela dans un vacarme ahurissant de vie, de mélange social très apparent. La période de la mousson n’épargnant pas, ce gigantesque désordre urbain peut avoir lieu avec des quantités d’eau considérables de plusieurs centimètres d’épaisseur. La population immergée, souvent en sandales ouvertes ou même pieds nus.

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Une fois, il nous a été possible de faire du stop. Nous nous sommes retrouvés à l’arrière d’une voiture avec de la musique pop indienne et deux hommes à l’avant. Moment très jovial. Une autre fois, c’est un vieil homme avec sa charrette tiré par un cheval dans une petite ville qui nous a emmené à la gare. Le moyen de transport qui nous a vraiment dérangé était une autre sorte de rickshaw avec un homme non pas en scooter mais en vélo. C’était trop pénible à voir la manière dont cet homme trimait pour monter une côte sous une pluie qui s’intensifiait à chaque instant. Nous l’avons payé et sommes descendus. De plus, ce moyen de transport est plus lent donc moins bien payés pour le cycliste, épuisé après sa journée.

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LA GARE INDIENNE En ce qui concerne les gares, c’est assez déconcertant aux premiers regards. Une multitude de gens à même le sol, dans la poussière et la saleté. De nombreuses fois, je me suis vraiment demandée pourquoi cet homme, cette vieille dame, ces enfants à peine vêtus se trouvaient là ? Etaient-ils en attente d’un train, de visiteurs à accueillir ? Ils semblent rester ainsi des heures durant… La gare apparaît finalement comme un immense squat à l’air libre. Il manque peut-être tout simplement des chaises pour accueillir dignement une si grande population, qui parfois rassemble des groupes de quarante personnes au même endroit, portant les mêmes tenues. Seules les castes les plus élevées occupent les sièges. La plupart des indiens prennent des postures qui se rapprochent de celles des hommes préhistoriques! Encore une fois, c’est une question de culture et il faut être méfiant avec les premiers aprioris. Pour un occidental en tout cas, cela semble dépourvu de toute éducation. Pour un indien, le contact au sol, les jambes pliées en tailleur, les fesses à même le sol, ne constitue pas un problème. C’est leur façon d’agir, de vivre. Ils peuvent être allongés côte à côte sans même se connaître. Ce qui amène des discussions et des rencontres sociales au quotidien, du moins entre les gens appartenant à la même caste. Des images reviennent parfois en dehors des moments où je suis dans les gares de cet homme maigre endormi entre deux voies de bitume, là juste devant la gare, assailli de milliers de mouches au niveau des yeux et de la bouche. C’est une situation banale en Inde. Personne ne lui prête spécialement attention, surtout s’il s’agit d’un « intouchable ». Des vieillards quémandent de l’argent allant de personne en personne, de quai en quai sans obtenir grande chose. 54


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Même de très jeunes enfants donnent de petits spectacles acrobatiques. C’est un endroit terrifiant, très vivant, où la misère s’exprime à ciel ouvert reflétant parfaitement l’image du pays et de ses habitants. Les trains sont tellement longs qu’il est impossible d’en voir la fin. Ce qui entraine bien sûr la lenteur des trajets… Mais lorsque l’on voyage, on a le temps ! Des vendeurs itinérants proposent toutes sortes de sandwich à l’indienne à même les quais de la gare. Les odeurs de nourriture se mêlent à toutes les autres accompagnées du bruit de la population, des trains, des vendeurs. Lieu social par excellence où la vie s’exprime. Fatiguant davantage au début, de plus en plus intriguant au fur et à mesure du voyage. L’intérieur des trains offre des différences de standing très marqués, proposant des classes se rapprochant de ce que l’on est habitué en occident, jusqu’aux classes les plus populaires avec des prix nettement moins onéreux que les classes supérieurs mais présentant des conditions humaines à la limite du raisonnable. L’hygiène n’est pas le problème, il faut permettre à tous ces gens de se déplacer et cela s’exprime par un entassement d’individus dans des compartiments sans fenêtres, sans climatisation, sans air finalement. A défaut d’être confortable, l’utilisation du train devient possible pour ces gens si démunis, même si on aimerait les voir mieux installés !

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La classe « sleeper », fréquentée par la plupart des voyageurs occidentaux, offre des services - que l’on retrouve dans les autres classes, la qualité allant de pair avec le standing – et proposent à n’importe quelle heure du jour et de la nuit (!) du shai (délicieux thé indien), boissons en tout genre et même de la nourriture sous forme de plateau-repas ou de petits beignets, samossas par exemple. Des odeurs circulent par vague, nourriture, relent des toilettes, etc. L’ambiance indienne est attachante ! Lorsque le train s’arrête dans une gare - cela est coutumier à tout type de train, le TGV rapide et direct n’existe pas – la vie reprend de plus belle avec la montée de vendeurs extérieurs au train - censés être interdits d’accès à la vente, un service spécial pour le train existe. Les indiens à bord du train descendent directement sur les voies pour aller uriner ou boire aux pompes à eau lorsqu’il y en a. Les vendeurs tendent des samossas depuis les voies aux fenêtres du train. Une fois mangé, tout le reste se retrouve sur les voies et l’on peut repartir pour de bon ! Les trajets durent des heures mais qu’il est bon de profiter de toutes ces anecdotes ! On a aussi échangé en anglais de nombreuses fois avec les indiens dans nos compartiments, le temps du trajet permettant de se connaître.

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LA POUBELLE La poubelle est un concept qui n’existe pas en Inde. On n’en voit ni dans les rues, ni dans les toilettes, ni dans les trains. La poubelle, c’est tout l’espace disponible autour de soi. Une décharge omniprésente qui s’étend presque partout. D’ailleurs, les vaches et les chiens errants se nourrissent par ce biais dans les villes, un peu moins dans la campagne. On a l’impression que les indiens n’ont aucune conscience écologique. C’est dommage car vu la taille de sa population, l’Inde a une vraie responsabilité écologique vis a vis de la planète, mais malheureusement aucune publicité de sensibilisation n’est visible dans les rues ou lisible dans les journaux.

LA NÉGOCIATION Tout se négocie en Inde, exceptées quelques constantes. J’ai toujours aimé négocier les prix, sorte de challenge qui est pour moi un jeu, pour d’autres une habitude au quotidien. Il est toujours intéressant de se débattre pour obtenir plus ou moins des prix locaux et non des prix pouvant être par dix fois supérieur pour un touriste à celui d’un indien. Autant donner aux plus pauvres, leur acheter des fruits, du pain, donner des stylos et cahiers aux enfants constitue un échange bénéfique pour ces gens qui vivent dans une misère inouïe mais il faut savoir également ne pas se faire rouler tout le long du voyage. Les indiens sont démunis pour bon nombre d’entre eux, ce qui les amène naturellement à demander beaucoup plus que la valeur du produit. 60


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LA CUISINE Il n’est pas coutume d’utiliser des couverts pour manger dans la culture indienne. C’est le pain « chapatti » ou encore le « naan », mais aussi des légumes ou des sortes de samossas que l’on trempe dans des mélanges plus ou moins épais. Les odeurs se retrouvent bien évidemment dans les saveurs de la cuisine indienne épicée que l’on ressent dès le contact de la nourriture au palet. En Inde, on est « veg » ou « non veg » et c’est vraiment le cas partout. Le plus grand nombre d’indiens est « non-veg », ce qui signifie qu’ils ne mangent des légumes mais aussi de la viande. La cuisine « veg » est tout simplement la cuisine végétarienne. Les restaurants affichent clairement à quel bord ils appartiennent. Même dans l’avion en repartant pour la France, on nous proposait des plats des deux catégories. La cuisine indienne est excellente, pleine de saveurs. Elle a la réputation d’être immangeable tellement elle est épicée. Mais c’est faux ! D’ailleurs, si vous demandez en Inde un plat sans épices, le plat ne possède plus aucun goût. C’est la préparation de la sauce et des mélanges à bases de légumes, de pommes de terre et d’épices qui lui confèrent tout son intérêt culinaire. Certains plats, dont des viandes, peuvent être en effet servies très épicés, ce qui amène le dégustateur du plat à prendre une couleur écarlate au visage, à se moucher, à boire (proscrit pourtant !), mais c’est tellement bon. Et la majorité des plats sont en effet épicé mais complètement abordable pour un estomac non habitué. 62


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LE RÔLE DES FEMMES Le rôle de la femme est critique. Leur émancipation s’améliore mais il existe des règles étranges, limite discriminatoires dans les traditions indiennes. Dans plusieurs domaines, les indiens fonctionnent à l’aide de cotas qui répartissent le nombre de gens par castes dans tel ou tel département de l’administration ou encore le nombre de femmes (33%), d’handicapés et d’enfants à accueillir au maximum dans un bus. Les femmes sont moins présentes dans les espaces publics que les hommes alors qu’elles sont plus nombreuses. Ce sont les hommes qui détiennent la quasi-totalité des pouvoirs, la marge de main d’œuvre sur le commerce et les autres activités. Certaines des indiennes, en dehors du travail domestique - entretien de la maison , éducation des enfants - exercent un métier : professeur, travail dans les champs, tisseuse, etc. Ces métiers leur permettent de participer aux revenus du couple, de la famille mais aussi de payer l’école aux enfants. Ces métiers ciblent bien des domaines où l’échange social se fait entre femmes ou avec des enfants principalement. Loin des hommes. Durant le voyage, il est évident que l’on a pu créer beaucoup plus d’échange avec les hommes qu’avec les femmes. Avoir davantage de conversations avec elles me plairait beaucoup. Les femmes s’habillent principalement avec un « sari », dans des tissus toujours très colorés. La tenue se compose d’un pantalon que l’on enfile sous une robe. Les épaules doivent être cachées, ce qui n’est pas le cas du ventre. Les bracelets en argent présents sur chacune des chevilles indiquent que ces femmes sont mariées. Cela promet l’amour dans la famille. 64


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LE SAVOIR VIVRE INDIEN D’ailleurs les indiens crachent là où l’envie leur en prend et peuvent le faire assis sur la même banquette que vous, à trente centimètres de votre visage en se raclant d’abord la gorge bruyamment, puis en crachant cette chose rouge qui intrigue les premiers jours. Mais comment cela se fait-il que tous les indiens crachent rouge ? Sont-ils touchés par une maladie répandue à l’échelle du pays ? J’ai été rassurée et amusée lorsque j’ai compris qu’il s’agissait uniquement du thé qu’ils mâchent puis crachent. Leurs attitudes dans leur manière de vivre ensemble, de se déplacer, de s’asseoir, de manger, d’échanger – ils crient fort pour s’adresser entre eux même s‘ils ne connaissent pas – sont assez instinctives, non éduqués vraiment dans certaines situations. Cependant, cette liberté si directe participe à cette richesse du contact social qui lie beaucoup plus vite que dans la plupart des rapports assez froids, du moins réservés des occidentaux. L’occidentalisation des castes les plus riches montre aussi des gens davantage civilisés par leur statut, mais aussi par leur volonté progressive d’accéder à l’argent, à un confort de vie très élevé. Les hommes se touchent sans cesse. C’est un signe d’amitié. Ils n’hésitent pas à se prendre par la taille, à se donner la main, à se tenir par les épaules. Ce peuple est touchant, plein de gestes les uns envers les autres. On sent qu’il existe un rapport humain fort entre les individus. On comprend assez vite le fonctionnement du peuple indien : liens sociaux qui se développent avec le cœur ouvert, une curiosité accrue, plein de vitalité et de spontanéité. 66


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LA RUE INDIENNE Notre voyage a débuté par la découverte de la région du Rajasthan, l’une des plus peuplées de l’Inde, située à l’ouest de Dehli. Le fait qu’elle possède une densité très importante est un facteur à prendre en compte par rapport à la vie qu’induit une population de masse à celle plus tranquille de la région du Pradesh - suite de notre voyage. Bouillonnement en terme de circulation tout d’abord mêlant de nombreux modes de transport. Piéton, cyclo-rickshaw, rickshaw, voiture, taxi, scooter, moto, charrette tirée par des hommes et bien sûr les vaches. Elles peuvent prendre place en plein milieu de la route. Seuls les musulmans les touchent parfois pour les déplacer de quelques mètres. Les animaux font partie intégrante de la vie de la rue. Des chiens errants, calmes le jour, bruyants, plus dangereux et en groupe la nuit. Quelques fois des chèvres. Au sein même de l’espace urbain ! Des poules en cage – souvenir de ce marché dans le Old Dehli au début du voyage – prêtes à être achetées, plumées, cuisinées et mangées ! Des singes squattent également la ville. Et mieux vaut s’en méfier. En voyant tous les jours les animaux se nourrirent dans les ordures et déchets omniprésents, l’envie de manger un steak passe étrangement. Bouillonnement en terme de bruit, d’odeurs. Brassage des hommes, des animaux, des véhicules, de fumée, de klaxons, le tout intensifié par la chaleur ou réduit à peu par des pluies torrentielles.

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La rue indienne est fatigante mais absolument passionnante de densité, de surprises, d’anecdotes. L’attention est la bienvenue pour sa survie personnelle, du moins sur certaines artères. Et puis, selon la taille des villes, et de l’habitude qui vient au fur et à mesure des semaines, on apprend à marcher de manière détendue et sereine. L’habitude permet en réalité de prendre du recul et d’apprécier les vertus de cette agitation. Les hommes ont le contact très facile, très familier. Le contact avec la population indienne est constant toute la journée. C’est ce que j’ai préféré du voyage. Très peu d’indiens rient jusqu’aux larmes, mais partout des sourires, de la joie, de la VIE. De nombreux commerces en rez-de-chaussée favorisent les liens sociaux et la vie urbaine. Si un marchand ne possède pas ce dont le client a besoin, il appelle le marchand voisin (en hurlant !) et l’affaire est réglée. A la fois dans un réel besoin qui se traduit assez souvent par des propositions insistantes d’achat ou autre, les indiens sont très conciliants et gentils. Si vous n’avez plus rien, ils vous aideront. C’est un peuple de fratrie et de solidarité.

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Certaines fois, je ressentais le besoin de retrouver du calme, loin de cette agitation très prenante et difficile les journées de grosse fatigue. Peu importe, il y a de la vie et tout le monde se débrouille comme il peut. C’est la jungle et c’est dans ce milieu qu’évolue le peuple indien dans son quotidien. L’ambiance n’est pas neutre, pas morose non plus. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la rue indienne fait ressentir des émotions fortes. Peu de violences, même si on a eu l’occasion de voir quelques disputes éclater. Un matin vers sept heures dans le Old Dehli, un groupe d’hommes empêchait un de leur confrère de lancer une brique – d’une échoppe voisine – sur un autre indien. Le mouvement, les cris reste une image gravée dans ma mémoire. Le conducteur de notre rickshaw était amusé de l’expression de nos visages à la vue de la scène. L’ambiance varie de jour et de nuit, mais également selon si la rue est artère principale de la ville, boulevard, rue, ruelle, impasse, etc. Je dirai que la cacophonie qui y règne est tout autant impressionnante selon le type de voirie, cependant on y trouve des éléments de nature différente.

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I N D E TÉMOIGNAGE

temoignages de VOYa GEURs


TÉMOIGNAGE/ GAEL CLAUDE Mardi 7 aout 2012 16H30 – Gare de Old Dehli Le train démarre tout doucement. Sa vieille carlingue essoufflée peine à se mettre en marche. Le moteur peine. Je ressens avec discernement le mouvement des roues qui semblent effectuer un terrible effort pour faire avancer les wagons bondés. Installé sommairement sur la banquette de mon lit couchette, je profite du silence apaisant du compartiment, que seul brise le bruit des pales du ventilateur. J’observe les Indiens qui m’entourent. Ils sont calmes, ils ne disent rien. Leurs yeux semblent divaguer dans le vide, leur esprit perdu dans des pensées que je n’arrive à cerner. Il règne ici une sérénité très éloignée de l’agitation incessante du Old Dehli et des quais de la gare. Je repense à tout ces gens entassés, debout les uns contre les autres dans les wagons de dernière classe et me sens presque honteusement privilégié. Mon regard se perd par delà la fenêtre. Des personnes marchent sur les voies. Des femmes transportent des jarres sur leur tête, tandis que des hommes en habit orange réparent les voies. Des wagons immobiles sont criblés de tags. On quitte peu à peu la ville, bercé par l ‘allure nonchalante du convoi.

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A ma grande surprise, les voies ferrées sont bordées de bidonvilles. Je ressens à la fois l’excitation d’en côtoyer pour la première fois, mais aussi le sentiment honteux de contempler les scènes de vie qui s’y déroulent depuis l’intérieur de mon wagon de troisième classe. Ce que je vois est pourtant totalement fascinant. Durant des kilomètres et des kilomètres, s’échelonnent des cahutes fabriquées avec des matériaux récupérés. Des ruines de maisons en briques peintes en rouges, en jaunes, en bleues, de la tôle ondulée, du bois, du plastique, des barres de fer… Malgré la précarité de l’ensemble, je ne peux m’empêcher de trouver cela terriblement beau. Du linge sèche un peu partout. Des hommes surveillent des chèvres broutant des cailloux, des femmes assises, discutent. Les enfants jouent sur les voies, d’autres y urinent, d’autres y défèquent. La chanson « bidonville » de Nougaro résonne dans ma tête. Mon esprit la chante avec violence. Mon estomac se noue. Tout en regardant des gamins jouer au foot avec une boîte de conserve, je pense à tous ces gens qui ne rêve que d’un pavillon avec une piscine. Emu, je reprends peu à peu mes esprits. Clémentine échange quelques mots avec notre voisin de couchette. Un indien grassouillet d’une trentaine d’année, à la mine bienheureuse. Le train file à travers la campagne à présent. Ici et là quelques vaches et quelques chèvres. Ici et là, quelques champs et quelques rizières verdoyantes. Ici et là, quelques habitations perdues. Dans deux heures nous serons à Jaipur… 78


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TÉMOIGNAGE/ MARION DENIZART Mumbai. Capitale économique. Plus de 18 millions d’habitants. Nous y avons été accueillies par notre ami Nissar. 31 ans, guide touristique à ses heures et détenteur d’autres petits boulots divers et variés. Il a fui sa famille et quitté Delhi à l’âge de 9 ans, ne voulant pas continuer à exercer le métier de rickshaw vélo imposé par son grand frère. Un jour où ce dernier l’avait battu si fort qu’il lui avait brisé la lèvre, il décide de monter sur le toit d’un train en direction de Bombay. De cette ville, il ne connaissait de nom que le Taj Mahal Hotel qui devint son objectif en arrivant sur place. Il est devenu enfant des rues, dormant dans des jardins, mangeant ce que les passants voulaient bien lui donner et utilisant les sanitaires publics. Il dégottait des petits boulots de serveur, coolie, payés une misère mais offrant un toit et de la nourriture. En grandissant, il faisait entre autre, des affaires avec les touristes et touchaient des commissions et des pourboires. Adulte, il avait un réseau d’amis et de contacts qui faisait qu’il pouvait trouver tout ce qu’il voulait, il était devenu un tigre dans la grande jungle de Mumbai. Maintenant, même si il n’a pas de métier à proprement parlé, déclaré, avec un salaire officiel et un compte en banque, il gagne correctement sa vie et vit dans un appartement une pièce dans le quartier de Colaba, un des plus monumental et touristique de Mumbai. La vue de son balcon donne directement sur la mer. Sur l’eau, des dizaines de petites barques de pêche à voile avec des drapeaux multicolores qui battaient au vent. De l’autre côté de la baie, de petites habitations en briques. Derrière, de grands arbres et en dernier plan, les grattes ciels de Mumbai. Bien des hôtels de la ville tueraient pour avoir une vue pareille ! 80


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L’appartement est composé d’une grande pièce unique, carrelée et lumineuse, ouverte sur le balcon. Au mur, des dessins de nuages sur un fond bleu. Un porte manteau et une photo d’Adeline et de Reehan, son ex-femme française et son fils. Pour seuls meubles, 3 matelas en dessous d’un ventilateur. Pour trouver la salle de bain, il faut sortir sur le balcon et pousser un tissu.C’est une toute petite pièce avec des toilettes à la turc et des bidons remplis d’eau, des slips qui sèchent au dessus de nos têtes et un trou dans le mur qui offre une vue sur la mer. La porte d’entrée ou plutôt la trappe donne sur une toute petite rue très étroite. Tous les voisins sont sur leur palier et nous regardent passer, intrigués. Nissar salut tous les voisins, il connait tout le monde et a tjrs une petite blague à faire aux gamins pieds nus. Un gros camion citerne vient distribuer l’eau aux habitants du quartier deux à quatre fois par mois car ils n’ont pas l’eau courante. La nuit, le balcon sert de dortoir à quelques sdf du quartier qui escaladent la façade et dorment à même le sol. Le matin, Nissar part chercher le chai que ses voisins, une famille qui loge à quelques pas, lui prépare tous les matins. Il en offre à tous ses invités ainsi que des crevettes massala fraichement pêchées le matin même. S’il en reste, il les donnera à la famille qui lui a préparé le chai. De même que si une famille du voisinage n’a plus de stock d’eau, il donnera sur sa réserve. C’est une vraie communauté d’échange et de partage, de services et de vie en communauté, de sourires échangés et de mains tendues à son prochain. 82


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TÉMOIGNAGE/ AURÉLIE MAMELLE Le chaos ! Je crois que c’est le premier mot qui nous vient à l’esprit quand on arrive en Inde. Tous nos sens sont mis à rude épreuve : le bruit des klaxons, la foule, la chaleur, la pollution et les odeurs d’épices des marchés qui se mélangent à celle de l’encens des temples qui foisonnent dans toutes les rues. Je découvre, j’observe, je commence à comprendre et je m’y sens bien. C’est incroyable la capacité qu’à ce pays à vivre, vivre avec rien, mais finalement toujours dans la profusion. Chaque moment en Inde est unique : un paysage, un bâtiment, un visage, un sourire, un chant : ici, les émotions semblent amplifiées et chaque chose peut devenir un très beau souvenir. Ce voyage permet aussi de découvrir une culture vraiment différente du mode de vie occidental, où parfois l’excitation est remplacée par un sentiment de peine. La rue est, pour de nombreux habitants, une extension de leur habitation que chacun tente de s’approprier. J’ai vu, à Delhi, un homme dormir sur la route avec une pierre en guise d’oreiller, un autre se laver les cheveux, assis sur le sol, un seau d’eau entre les mains pour se rincer, ainsi qu’une petite fille qui, pour jouer, accrochait des serviettes à une barrière pour s’en faire une balançoire. Le retour en France paraît bien calme, et l’envie de retourner en Inde, afin d’apprendre de nouvelles choses sur ce pays, apparait rapidement. Finalement, je crois que je l’aime ce chaos. 84


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TÉMOIGNAGE/ GUILLAUME CECCHIN Une chose qui m’a surprise en Inde était le comportement des Indiens vis à vis de nous, en tant que touristes et étrangers. J’ai pu rencontrer des gens ouverts et sympathiques, et extrêmement curieux. Il était courant qu’ils me pressent de questions concernant le pays d’où je venais, ma religion, ou encore le contenu de mon séjour en Inde. Cette curiosité se transformait en serviabilité quand, par exemple, nous étions perdus et que nous cherchions notre chemin, ou encore lorsqu’il nous fallait prendre un train ou un ‘local bus’. Parfois, il est vrai que leur comportement pouvait être perçu comme oppressant, quand on additionne la foule importante à leur envie de discuter. La photographie choisie est plutôt amusante et illustre bien la curiosité des indiens ; à plusieurs reprises, dans des lieux touristiques, une foule se formait derrière nous lorsque nous faisions des croquis. Lors de la visite du City Palace de Jaipur, alors qu’on était en Inde depuis deux jours, une véritable cohorte s’est constituée tout autour de Marion pendant qu’elle dessinait le palais. Certains indiens étaient d’ailleurs tellement absorbés par son dessin qu’ils venaient se placer entre elle et le modèle qu’elle représentait, lui obstruant la vue.

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TÉMOIGNAGE/ CHARLOTTE DE ROMÉMONT Partir à deux en Inde c’est retrouver tout le naturel de l’autre. On se rapproche ou on s’éloigne pour de bon. Faire un tel voyage, partir longtemps loin de nos repères, de notre train-train quotidien, est comme un test de cohésion de couple. La spontanéité, la surprise, le regard de l’autre sont mis à nu, il ne peut rien nous cacher. On pue, on sue, on est parfois malade, mais qu’est ce que l’on est heureux. Nous passions notre temps à se lancer des défis. Nous nous posions dans un endroit agréable, où il y avait à chaque recoin quelque chose à observer. Chaque ruelle, pan de mur, escalier étaient une scène de théâtre, où tout s’entremêlait. Partir à deux est un travail d’équipe, ou une compétition enfantine. On se disait, on se chuchotait : «ho regarde cette lumière, regarde ces couleurs, regarde ce regard, regarde...». Souvent on voyait en même temps, on était attiré par le même visage, le même paysage. Nous n’avions qu’un seul appareil photo et nos prises de vue se confondaient : «c’est toi ou moi qui a pris cette photo ? je ne sais pas». Chose que nous n’avons pas réussie je crois, car les Indiens restent parfois des heures là, accroupis sans bouger, à regarder l’horizon, leur fesses effleurant le sol. On parlait parfois avec eux. Ils ont tous des vies improbables, trois métiers chacun, une grande famille, alors que tous semblent être des enfants. J’avais tendance à bouger ma tête dans tous les sens pour ne rater aucun détail. Mon ami quant à lui, restait certaines fois fixé des minutes entières sur un seul point, pour immortaliser un instant, une fraction de seconde, un souffle, un geste, une pensée, de la magie. 88


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TÉMOIGNAGE/ CHARLÈNE BOUILLY Des souvenirs plein la tête, des images qui parlent, mon témoignage s’oriente principalement sur mon ressenti. J’ai fait le choix de deux photos parmis tant d’autres qui révèlent, chacunes, un bout de chemin, un morceau d’histoire. De ces illustrations, j’en retiens ce sourire rayonnant qui se lit sur ces visages bruns et qui apporte tellement. Je vis à Jaipur, capitale du Rajasthan, depuis maintenant 11 mois. Comment résumer ces 334 jours en quelques mots? L’exercice est difficile. A travers mon quotidien à Jaipur et mes nombreux voyages qui m’ont amené à découvrir et à connaître toujours un peu plus ce pays aux mille facettes, l’Inde a su me toucher. Muni d’une incomparable diversité culturelle et de valeurs profondes et immuables, il règne dans ce pays quelque chose qui ne se lit pas dans les livres, qui ne se distingue pas sur les photos, quelque chose d’intense et de prégnant qui se ressent et se respire. L’Inde n’est pas un pays qui se visite mais un pays qui se vit, il n’y a aucun doute! En Inde, nos repères sont boulversés et on progresse au travers d’un nouveau temps où des gens si pauvres peuvent te rendre si riche et où l’impossible devient possible «Sab kuch sambav hai». 90


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J’ai été et je suis chaque jour étonnée par ce pays, qui touche tous les sens à chaque coin de rue. On a constamment sous les yeux des scènes incroyables, d’un homme allongé sur un trottoir faisant la sieste aux vaches qui déambulent dans les rues de la ville, du fait de doubler éléphants ou chameaux tractant des charettes sur l’autoroute au simple dentiste de rue qui vous refait une dentition pour quelques roupies. Le principal bonheur de l’Inde est la lenteur du quotidien et toutes ces rencontres que l’on peut faire, instantanées, éphémères ou durables, avec toujours un sourire à te rendre ou une main à te tendre. La générosité et la simplicité du monde est une force dans ce pays où près d’un indien sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Il n’en est rien, les yeux qui brillent, un sourire où des dents blanches ou brunies par le bétel qui se dessine. C’est précisément le regard curieux et le sourire chaleureux des indiens qui m’ont permis de voir avec mes yeux mais de ressentir avec mon coeur. Je finirai sur cette citation de Becky Stephen « Tomber amoureux de l’Inde ressemble beaucoup à se mettre à apprécier les plats épicés. Vous regardez les tâches de couleur des piments et supporter la brûlure vous paraît impensable. Mais l’odeur alléchante vous fait franchir le pas. Et si vous ne renoncez pas, vous découvrez un jour que vous ne pouvez plus vous en passer». 92


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I N D E TÉMOIGNAGE

SIX MOIS A PUNE EN INDE CHRISTOPHE AUBERTIN



DEMOCRATIE & CASTES discussion d’introduction au sujet


TOUT LE MONDE VIT ENSEMBLE EN INDE. IL Y A TELLEMENT DE GENS QUE TOUT LE MONDE SE TOUCHE. Des disputes éclatent parfois à cause des divergences politiques, sociales, etc. Par ailleurs l’Inde est certainement un des pays qui montre le mieux qu’on peut vivre ensemble, qu’on peut faire une démocratie à 1,2 milliard de personnes, ce qui n’est pas évident. Les castes se croisent dans la rue dans un ensemble global et uni. Ceci est dù notamment à : - la notion de FATALITE Tu es pauvre en Inde, tu l’acceptes. Tu l’acceptes parce que c’est ta caste, et c’est comme ça. Tu es né pauvre et tu ne te poses pas de question. - l’idée de la REINCARNATION Se dire que la vie n’est pas facile, mais qu’on ne va pas se rebeller parce qu’on envie les riches, on ne va pas devenir délinquant. Non. L’indien assume son statut de pauvre et certainement que sa vie après sera plus heureuse. La fatalité et la réincarnation participent au calme qui règne au sein de la population indienne malgré des inégalités très fortes et une pauvreté accrue. En Inde, l’appartenance a une caste est une chose acquise, non remise en question par la population. L’état est chanceux à ce niveau, c’est également pour cela que l’Inde continue d’avancer dans le calme malgré le fait que les riches s’enrichissent toujours plus et que la condition des pauvres ne s’améliore pas. 98


Malgré tout, les choses changent : avec l’ouverture au monde, à l’information. Cela entraine notamment des discours de rébellion dans le but d’abolir la question des castes. Le gouvernement a interdit dorénavant les castes, mais ce système reste ancré dans les mœurs indiennes. La discrimination positive est encore bien présente dans les métiers des fonctionnaires avec un quota de gens des basses castes qui doivent être inclus. La classe moyenne, comme on l’appelle aujourd’hui, ne fait plus du tout référence aux castes. Elle grandit en Inde. Ce peut être le cas d’enfants des bidonvilles qui ont réussi à accéder à une université pour travailler dans l’informatique ou autres, embauchés ensuite dans une entreprise en plein essor dans la conjecture actuelle et partout en Inde avec la délocalisation massive des entreprises d’Europe et d’Occident. Ce peut être des enfants qui ont grandit dans des familles très pauvres, à vivre à quinze dans un appartement, mais qui arrivent à trouver ces boulots là et qui évoluent socialement. Avec un salaire correct, la classe moyenne peut s’acheter une petite voiture, un appartement pour vivre seul avec femme et enfants. La classe moyenne arrive à devenir autonome. Dans cet exemple de la classe moyenne, peut importe les castes. C’est d’ailleurs certainement la première génération pour lesquels cela se passe de la sorte. Depuis une vingtaine d’années, la classe moyenne commence à vraiment exister en Inde. Intérêt à cette question de la classe moyenne, de l’évolution et du partage des richesses en 2005-2006. Aujourd’hui, en 2013, la situation a certainement dù évoluer encore ? 99



DEMARCHE & PRESENTATION DU PROJET


TRAVAIL D’OBSERVATION, D’ANALYSE, CONCRET Ce travail a été réalisé à l’époque du diplôme DPLG avec un ensemble global composé d’une partie théorique - mémoire, et d’une partie appliquée - projet. Ce travail consistait à comprendre la complexité de l’Inde et de ses habitants. Comprendre la ville de Pune, avec un point de vue historique, géographique, etc. A réaliser ensuite une analyse de l’ONG dans laquelle il travaillait. Puis à porter un regard sur les bidonvilles de Pune - définitions et types de bidonville, manières d’y vivre. Ensuite, Christophe a ciblé des choix d’intervention en observant les problèmes de cinq bidonvilles de la ville de Pune en analysant systématiquement la taille, les types de population y vivant, etc. Il a également analysé différents types d’opération de relogement qui ont eu lieu à Pune : soit en gardant les bidonvilles et en consolidant les maisons avec la préservation des trames, des rues; soit en rasant le bidonville et en reconstruisant au même endroit des logements neufs pour accueillir les gens; soit en supprimant le bidonville et en redonnant un logement aux gens mais ailleurs. Enfin, il a réalisé une proposition de projet en faisant un mixte avec une partie du bidonville conservée et consolidée car la base des logements avait un certain potentiel – question de la solidité de la maison et du tracé des rues pour être capable de passer un réseau d’assainissement, un camion de pompier, etc. – et une autre partie en contrebas, au bord du canal, rasée puis reconstruite en logements plus raisonnés – logement sur deux, trois étages, rentabilisation, confort minimum. 102


TRAVAIL AU SEIN DE L’ONG « SHELTER ASSOCIATES» Au cours des six mois à Pune, Christophe Aubertin a participé à des missions de l’ONG, et notamment à des projets de relogement. Des projets l’ont intéressé architecturalement par différents aspetcs : l’imbrication des volumes, des doubles hauteurs – possibilité de créer des mezzanines - , système d’assainissement central par les plantes, etc. Certains projets incitent à l’AUTO CONSTRUCTION : processus impliquant les habitants futurs financièrement et dans la réalisation concrète du projet par la participation à la construcion et même à la conception et aux idées fares du projet. Cette démarche positive apporte forcément un potentiel à la dimension sociale du lieu qui est bâti. L’architecte émet toutefois un avis critique sur les projets excentrés en périphérie, problème qui sera abordée dans la deuxième partie du témoignage. Le dernier mois passé au sein de l’ONG a été davantage consacré à la réalisation de son diplôme de fin d’étude en se consacrant sur ses travaux de recherche, d’analyse et de projection durant ses six mois passés à Pune. 103


EXPÉRIENCE DE TERRAIN «IN SITU» Dans les premières pages de son travail, Christophe établit des portraits de visages de l’Inde, dont un portrait d’un bouddhiste communiste. En Inde, dans les années 50, a eu lieu un mouvement d’indiens hindous qui ne supportaient plus ce rapport aux castes dans la région de Bombay et de Pune. Des militants se sont battus pour revaloriser les castes pauvres, pour modifier la culture hindoue. Ce combat n’a pas fonctionné, le gouvernement n’a pas changé de système. Écœuré, le meneur a dit aurevoir à l’hindouisme et s’est converti au bouddhisme où il n’y a pas cette notion de castes. A la suite de cet acte fort s’est créé un mouvement avec des millions de gens qui l’ont suivi et se sont convertis au bouddhisme. Pour le côté militant, ils ont abandonné leur religion, ce qui a une signification indéniablement marquante, tellement la religion constitue un pilier de la vie indienne, partie intégrante de la vie quotidienne. Une de ses collègues au sein de l’ONG était issue de cette vague là. Son père avait suivi ce mouvement. Ils habitaient dans un quartier de Pune avec une majorité de bouddhistes, eux-mêmes issus de ce mouvement des années 50. 104


Christophe se trouvait dans un pays qu’il avait du mal à comprendre au début à cause de la langue, etc. C’est en étant resté un moment sur place et en ayant mis un pression pour son travail de diplôme par la lecture de nombreux documents sur la politique, l’actualité, qu’il a commencé à connaître l’histoire indienne. Avec son expérience de six mois passés à Pune, il a rencontré des indiens et s’est aperçut que les gens autour de lui sont vivants et directement en rapport avec l’histoire qu’il avait pu lire avant sur papier. On voit d’ailleurs des portraits du meneur de ce mouvement partout dans la région de Pune. La compréhension est rendue possible par la lecture de textes et par le vécu in situ en rencontrant ces témoignages vivants.

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IMPLICATION & RESULTAT


QUEL APPORT PEUT AVOIR CETTE EXPÉRIENCE EN TERME DE FORMATION PROFESSIONNELLE ? CONSÉQUENCES DANS LE TEMPS ET DANS SON TRAVAIL ACTUEL/ Christophe a pu apprécier certains architectes indiens pour la qualité de leur travail au niveau architectural et constructif. Un travail traitant la matière brute – bois, terre crue, terre cuite -, militant pour une construction raisonnée, établissant des recherches en terme de thermique, d’isolation, etc., plutôt en milieu rural. Recherches architecturale, esthétique, locale, qui donnent lieu à une nouvelle génération d’architectes qui appartiennent à cette veine là. Alors que la génération d’architectes classique en Inde, comme dans les écoles aujourd’hui, réalisent plutôt des centres commerciaux, des hôpitaux, des pavillons de luxe, des ghettos de riche, etc. Mais parallèle à cette réalité-là, il existe des architectes qui travaillent sur l’architecture populaire, l’architecture à moindre coût. A l’Institut de la terre crue à Pondichéry, un français effectue une recherche très sérieuse dans la construction en terre crue par exemple. Matériau utile par sa présence localement et par sa possibilité d’exploitation en terme de conditions climatiques. Les constructions sont majoritairement en béton en Inde, peu en bois, ce qui s’explique par le fait qu’il n’y a que peu de bois en Inde. Ces architectes proposent donc une architecture alternative en construisant en terre crue et en terre cuite, de manière écologique. Ils proposent un panel d’architectures qui travaille sur des appareillages de briques, la voûte, la coupole, l’arc, etc. en remplacement du linteau classique en béton. Ils militent pour ce type d’architecture. 108


Son expérience en Inde, l’analyse réalisée dans le mémoire, la découverte de certains architectes indiens et d’un certain type de construction alternative et raisonné ont permis à Christophe de prendre des partis pris dans les projets qu’il réalise en France actuellement. La dimension sociale rentre en compte dans chaque projet. Chrisophe fait parti d’associations qui mettent en place des évenements qui rassemblent les gens, les invitent à participer au projet comme la fête de la soupe à Nancy. Ce genre d’évenements montre l’implication de Christophe et de ses jeunes architectes qui sont tous motivés à créer du lien social. L’Inde et les pays en développement, en mutation complète avec des traditions ancrées, avec des villes qui explosent, avec une culture différente de la nôtre, une autre relation à l’habitat, à l’espace public perturbent nos valeurs françaises occidentales classiques. « On ne vit pas dans la rue en France » mais aujourd’hui, il y a un mouvement sur l’architecture citoyenne, l’appropriation des espaces publics avec des requestionnements : comment jardiner sur l’espace public, comment l’occuper, comment s’asseoir, comment se réunir sur l’espace public ? L’expérience indienne enrichie et participe à sensibiliser toute personne et notamment les architectes 109


THÈMES ABORDÉS SUR PLACE, APPORT FOURNI PAR LE REGARD D’UN ARCHITECTE OCIDENTAL EN INDE L’approche en ville et à travers le travail chez Shelter Associates a mené à des questions d’urbanisme liées à une ville, à une mégalopole qui se développe; à des questions concernant l’habitat insalubre, le devenir des bidonvilles, la création et le type de logement social. Le phénomène du LOGEMENT SOCIAL est très présent sur la planète. On ne s’en rend pas assez compte en France car on se tient parmi les privilégiés, parmi les pays les plus riches de la planète, habitué à une qualité de vie. L’exode rural, les villes qui explosent, sont des phénomènes présents en Orient, en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud. C’est important de remettre les choses à plat pour comprendre le monde, sa manière d’évoluer d’un point de vue humain, philosophique, etc. Christophe a donné son avis d’architecte occidental à l’ONG dans les projets auxquels il a participé. En connaissance de cause et en prenant du recul, il a pu apporter un regard critique sur la question des bidonvilles, de leur devenir, de leur redéfiniton. La question du relogement de la population en périphérie a été notamment un des thèmes majeurs abordés lors de cette réflexion urbanistique.

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QUESTION DU RELOGEMENT DE LA POPULATION EN PÉRIPHÉRIE Christophe a compris des choses en voyant la réalité in situ et a établit des parallèles avec ce qui s’est passé dans les années 70. Les grands ensembles voient le jour en réponse à la même question : l’explosion des villes, le relogement pressant de la population. En France, le parti pris a été de reloger les gens en périphérie dans ces grands ensembles.Une des manières de reloger actuellement en Inde est la suite de cette expérience, c’est-à-dire de prendre le parti pris de raser les bidonvilles du centre– terrains à haute valeur foncière en plein centre. Les promoteurs préfèrent racheter ces parcelles pour construire des hôtels ou des logements de luxe ainsi que des centres commerciaux. Donc ils démolissent au centre et ils relogent les gens en périphérie. Ce qui peut être mis en parallèle avec la période des grands ensembles. Création des banlieues, des grands ensembles comme le Haut du Lièvre très confort pour l’époque. Aujourd’hui, on voit en France les tords et les problèmes que ça cause. Cela sectorise, crée des ghettos en périphérie, souvent mal desservis. Le travail est au centre-ville. Ces personnes n’ont pas forcément des moyens privés de locomotion, donc cela pose des problèmes pour travailler, ce qui conforte un taux de chômage élevé. En Inde, Christophe a essayé de sensibiliser les indiens aux problèmes du relogement en périphérie avec notre propre expérience en France. 111


Christophe se projettait mieux en Inde par rapport à ces questions par le recul de ce qui s’est passé dans les années 70 avec cette vague de constructions en masse en périphérie, qui a posé des problèmes d’urbanisme par la suite. Architecturalement de qualité, du moins à l’époque, par le confort des sanitaires, des espaces ventilés, etc. Pas sur le plan urbanistique. A Pune, les tords sont d’ailleurs visibles très rapidement. Des gens des bidonvilles du centre sont relogés à dix kilomètres de là, dans un appartement qui leur est offert – l’état prend en charge la quasi totalité des frais. Au bout d’un an ou deux, les gens se rendent compte qu’ils n’ont rien à faire dans ce lieu excentré, donc ils reviennent au centre ville, se recréent un nouvel habitat dans un bidonville à cause de l’activité qui se tient en ville, du travail présent sur place, de la facilité pour se déplacer, etc. Les petits boulots ne manquent pas en ville : gardien de parking, M. ascenseur, ménage chez les gens, etc. alors qu’en périphérie, cela n’est pas possible. Leur appartement en périphérie est alors vide ou ils le mettent en location ou en vente pour se faire de l’argent. Ca ne fonctionne donc pas, ça n’a aucun sens. A Bombay, Christophe a vu des centaines de tours construites les unes à côté des autres, se frôlant à dix mètres d’intervalle, montant sur trente étages, à vingt kilomètres du centre de la ville. Architecture nouvelle dans le paysage urbain indien et aberrante pour la cohésion sociale. 40% de la population de Pune vit dans des bidonvilles. Pourtant, au sein des sept écoles d’architecture de la ville, les étudiants n’apprennent à construire que pour les riches. Le logement social est dévalorisé ou bien les 112


constructions de logements sociaux prennent des dimensions faramineuses, plus celle de l’échelle humaine et des possibilités de voisinages et d’échange. Ce qui peut éventuellement être rassurant, c’est que les villes explosent et continuent à se développer très rapidement. Ainsi, peut-être que dans un futur plus ou moins proche, les périphéries se verront rattraper par le reste de la ville et se faire englober dans des masses d’activités...

QUESTION DES MOYENS DE TRANSPORTS Un des problèmes actuels important de l’Inde, qui est en pleine mutation, est également la question de la saturation du transport dans les villes. Les centres villes indiens se densifient et la circulation devient un véritable problème en terme de flux, de pollution. Les rues ne sont plus traversables facilement. Or, dans beaucoup de villes en Inde, il existe tout un réseau de canaux et de rivières qui traversent les villes. Elles constituent un réseau d’axes qui sillonnent la ville et qui pourraient devenir des lieux de transport en commun, tel que le tramway (moins coûteux et plus facile à construire que le métro). Il pourrait être envisageable aussi de rendre circulable des voies cyclables uniquement aux bords de l’eau, facile à mettre en œuvre. 113



EN CONCLUSION


CONCLUSION DE L’EXPÉRIENCE Christophe est retourné en Inde quelques mois après son expérience de six mois pour présenter son travail terminé à l’ONG Shelter Associates où il travaillait. Son travail pouvait servir de référence dans l’élaboration future de construction de logement social. Il l’a également présenté aux étudiants de quatre écoles d’architecture de Pune dans le but de leur parler de la question du logement social. Leur réaction a été positive et a suscité leur intérêt. Par cette intervention, Christophe espère avoir sensibiliser un minimum les étudiants à cette question crucial du logement populaire. Le fait d’y retourner a permis à Christophe de mettre son travail de diplôme au service de la réalité des bidonvilles, constituant ainsi une aide possible, d’aller donc un plus loin qu’un simple projet d’école et basé sur une démarche professionnelle de terrain. On peut parler du dépassement du rôle habituel de l’architecte. Actuellement en France, des agences comme celle de Christophe sont sollicitées pour intervenir sur des quartiers comme le Haut du Lièvre, sur des grands ensembles. Il existe un nombre important de projets : projet associatif de quartier, réponse à des appels d’offre pour densifier, faire du logement intermédiaire ou de la rénovation d’école, etc. Christophe peut envisager les projets sous un oeil davantage sensibilisé à ce genre de travail. 116


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PARTIE II DÉVELOPPEMENT ANALYTIQUE de la manière d’habiter en Inde



INTRODUCTION pages 5 - 7

DEUXIÈME PARTIE

DEVELOPPEMENT ANALYTIQUE DE LA MANIÈRE D’HABITER EN INDE pages 9 - 93

1 Evolution des villes indiennes, du village à la mégalopole 2 Espace public

a) Echelle de la ville, organisation du tissu urbain

b) Echelle du quartier

c) Echelle de la rue

3 Espace de l’habitat

a) Type d’habitat

b) Espace privé - Intériorité de l’habitat traditionnel, le haveli

4 Confrontation avec la manière d’habiter en Occident

CONCLUSION pages 95 - 97 ANNEXES / BIBLIOGRAPHIE / REMERCIEMENTS pages 99 - 109


Photographie personnelle, Vue sur la Clock Tower, à Udaipur

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INTRODUCTION Ce mémoire porte sur la manière de vivre en Inde, sur la relation qui existe entre l’espace public de la rue et l’espace privé de l’habitat. Il s’est agi d’observer et d’analyser avec mon regard d’étudiante en architecture, et ce à partir de l’expérience de mon voyage en Inde en août 2012, d’une durée de cinq semaines. C’est au fur et à mesure de mon périple qu’il m’est apparu évident de développer un sujet autour de l’Inde. De plus, l’Inde est le premier pays à la culture si différente de la nôtre que j’ai eu l’impression de pouvoir vraiment toucher et sentir de près. Cela est dû à la curiosité et aux modes de vie de ce peuple. Par le biais d’échanges en anglais, j’ai pu avec Gaël, mon compagnon de voyage, découvrir des gens au cœur grand ouvert, vivant pour la plupart dans une misère sans nom, mais pourvus d’une grande générosité. Même s’ils essayent au cours d’une discussion ou en interpelant le premier passant d’obtenir quasi systématiquement des roupies, on comprend leur position et l’échange peut aller au-delà et devenir alors intéressant. Leur pauvreté, l’état de leurs tenues, de leurs dents pour certains, peuvent vite mettre le voyageur, occidental ou non, dans une situation de malaise. Il faut savoir prendre du recul, voir le positif et offrir ce que l’on peut à ces gens. Les Indiens touchent par leur spontanéité, leurs sourires permanents, malgré le peu d’argent rapporté en fin de journée à la maison, malgré les bidonvilles. C’est cette ambigüité, cette confrontation entre les signes apparents de leur bonheur visible et ce combat de la vie quotidienne qu’il m’a paru intéressant d’approfondir. Cette étude part de l’expérience d’un voyage. J’ai donc souhaité aborder le mémoire avec une certaine sensibilité, qui s’est exprimée durant tout le temps du périple. Ma volonté est donc de présenter un travail représentatif de la spontanéité des découvertes et des rencontres, aussi nombreuses que variées. En établissant à la fois une analyse enrichie par la lecture de plans, de coupes, de textes et de documents en tous genres, cette étude dépasse le niveau du simple constat d’un voyage.

La présentation de ce mémoire est en deux parties : La partie supérieure (partie 1), d’un tiers de la hauteur, concerne l’approche sensible des constats et observations de la manière de vivre en Inde. Elle se compose de trois sous-parties : premièrement, la retranscription de mon carnet de voyage avec des récits et des photos. Il s’agit de montrer ma perception sensible et personnelle par rapport à ce voyage. J’y développe des thèmes sur les villes, ainsi que sur les coutumes et les habitudes des Indiens. Ensuite, il m’a semblé intéressant de compléter ce regard personnel par le récit d’autres voyageurs. La richesse de leur contenu a conforté mon choix. J’ai demandé à des connaissances personnelles ayant parcouru l’Inde par le voyage ou le travail, de choisir une photo et d’écrire un texte. Celui-ci devait se rapporter à une expérience pré-

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cise ou à des impressions par rapport aux ambiances vécues dans la rue avec des passants. Le but était de donner à ces témoins la possibilité de créer par leurs témoignages une palette de couleurs et d’intensités qui représente ce qu’est l’Inde et qui marque tous ceux qui ont eu la chance de l’approcher et d’y vivre pleinement. Enfin, j’ai complété cette partie sensible par le témoignage de Christophe Aubertin, architecte DPLG de l’ENSAN. Son parcours m’intéressait particulièrement puisqu’il a passé six mois au sein d’une ONG à Pune, près de Bombay. Son travail consistait à aider cet organisme dédié à la réhabilitation des bidonvilles de la ville. Son statut d’architecte et son regard d’occidental ont contribué à lui permettre de vivre pleinement cette expérience in situ. Il a été confronté à des problèmes bien différents de ceux sur lesquels il travaille actuellement en France. Le recul des trois années passées depuis lui a donné l’occasion de faire un bilan sur ce type d’expérience. Cette sous-partie établit un lien avec la deuxième partie puisqu’il s’agit de la confrontation d’un voyage et du travail de l’architecte.

La partie inférieure (partie 2), des 2/3 de la hauteur, tente de porter un regard plus analytique en abordant des questions liées à l’urbanisme et à l’architecture. Elle se compose de quatre sous-parties : la première traite de la question du développement actuel des villes indiennes, de l’évolution des mégalopoles et du maintien des petites agglomérations. La deuxième s’intéresse à l’espace public et plus particulièrement à la rue indienne. Plusieurs échelles de travail permettent une approche progressive de l’espace public pour mieux en comprendre les enjeux. La troisième propose une analyse de l’espace de l’habitat. Tout d’abord, une approche générale des différents types d’habitat. Ensuite, une analyse plus approfondie du haveli, type d’habitation traditionnelle de la région du Rajasthan. Enfin la quatrième établit la connexion entre cette deuxième partie et la conclusion du mémoire. A la suite de ces observations et analyses, cela m’a permit de confronter la manière de vivre en Inde et en Occident, pouvant influencer ma façon de concevoir l’architecture dans l’avenir.

Ces deux livrets, par un découpage franc en deux parties, sont conçus comme une seule entité.

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Ce mémoire m’a demandé du temps de réflexion, tout au long de l’année, pour atteindre une trame satisfaisante au niveau du plan et des sujets que j’avais véritablement envie de développer. La problématique a varié au fur et à mesure du travail, suivant les changements et les variations en terme de choix de développement. Ce que j’ai souhaité étudier au cours de cette étude peut se résumer ainsi : quelle est la manière de vivre des Indiens? Quel lien existe-t-il, dans la plus grande démocratie du monde, entre ces habitants pourtant si différents par le système des castes, par la présence de diverses religions, par une si riche diversité culturelle? Ce mémoire essaye de répondre à ces questionnements survenus lors de mon voyage en Inde. L’ étude résulte du développement sensible et analytique sur la manière d’habiter en Inde et sa mise en relation avec le milieu occidental.

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DEUXIÈME PARTIE

DÉVELOPPEMENT ANALYTIQUE DE LA MANIÈRE D’HABITER EN INDE

1 Evolution des villes indiennes 2 Espace public

pages 11 - 25

pages 27 - 45

a) échelle de la ville, organisation du tissu urbain

> Choix d’implantation > Développement de la ville > Organisation du tissu urbain

b) échelle du quartier

> Composition de l’espace public et privé > Parcellaire et fonctionnement d’un l’îlot > Hiérarchisation des voies

c) échelle de la rue

> Densité humaine contrastée > Trafic routier, circualtion piétonne > Commerce formel / informel

3 Espace de l’habitat

pages 47 - 77

a) Types d’habitat b) Espace privé - Intériorité de l’habitat traditionnel, le haveli

4 Confrontation avec la manière d’habiter en Occident

pages 79 - 93



I. EVOLUTION DES VILLES INDIENNES, du village à la mégalopole


I. EVOLUTION DES VILLES INDIENNES, du village à la mégalopole 1

L’Inde, côté des villes, Thierry Paquot, L’Harmattan, 2004, p.30

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L’Inde, côté des villes, Thierry Paquot, L’Harmattan, 2004, p.32

L’Inde est devenue l’autre grand - au côté de la Chine - et n’est plus seulement aux yeux du monde le pays de la méditation, du yoga et du paradis des babas cool. L’indépendance de l’Union indienne en 1947 sépare le pays de l’Empire britannique et lui permet de s’affirmer comme démocratie socialiste non-alignée. Le pays s’est depuis bien ouvert au commerce international et accueille en nombre des entreprises privées et des industries en tout genre. Le secteur informatique s’est lui aussi épanoui pour devenir un des plus qualifiés au niveau mondial. L’Inde compte une population d’un milliard et demi d’habitants pour une superficie de 3,2 millions de kilomètres carrés, soit six fois la France. L’agriculture occupe près de 60% de la population active pour 18% du produit intérieur brut. Mais la grande misère des campagnes entraîne un exode rural continu. Ainsi, les villes indiennes ont subi de grandes transformations depuis les années 1980. En effet, l’exode rural a radicalement fait évoluer la constitution urbaine classique. « En 1951, la population urbaine représentait près de 18% de la population totale et dépassait les 23% en 1981 (…) En 2001, on estimait les citadins à trois cents millions, dont un tiers réside dans l’une des vingt-trois agglomérations de plus d’un million d’habitants.1» La population urbaine s’accroit en masse et lie à la fois les paysans du milieu rural aux citadins. Mondes parallèles qui s’entremêlent et redéfinissent de nouvelles cohabitations. Insertions plus ou moins réussies pour les Indiens du milieu rural qui ont, alors encore installés en campagne, une vision de la ville comme un lieu moderne, attractif en terme d’emploi et de confort, avec un accès plus solide à l’éducation des enfants, etc. Les villes apparaissent à de nombreux paysans comme la possibilité d’une vie plus digne, une chance à saisir pour assurer à leurs enfants une amélioration de leurs conditions d’existence. Or, une fois arrivée au soit disant paradis, cette population très solidaire dans le milieu rural se retrouve isolée dans sa pauvreté, en ville. Les bidonvilles accueillent toujours davantage de gens, gagnant des sommes misérables, dépensant le peu qu’ils gagnent au jour le jour. Les enfants se voient obligés de travailler, rapportant quelques malheureuses roupies à leurs parents à la nuit tombée après leur journée à l’école. « L’Inde s’urbanise, lentement et fermement, étendant irréversiblement son réseau urbain traditionnel en des périphéries tentaculaires. Partout des quartiers neufs surgissent et occupent des hectares de terres arables, les villes s’agrandissent en grignotant les champs, des routes et des autoroutes s’ouvrent et réduisent les distances en permettant la vitesse, des familles entières migrent, des industries se montent. De tous côtés, la vieille société indienne est assaillie par la modernité et craque comme un vêtement devenu trop petit. Elle tente d’y résister, sans réelle conviction. 2 » Les villes sont en perpétuelle évolution, dans un chantier à grande dimension. La démographie croissante liée à l’exode rural invite l’immobilier à croître de jour en jour, souvent en périphérie de la ville. La densification des centres villes n’est pas ce qui intéresse le plus les promoteurs immobiliers. L’ étalement urbain et l’anarchie en terme d’organisation urbanistique qui résulte de ces constructions nouvelles situées entre

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deux, entre ville et campagne, créent actuellement des zones désertes qui ne reflètent pas le fonctionnement de la société indienne traditionnelle des centres-villes et périphéries acquises. Des constructions en marge de la vie active, peut-être intégrées au reste de la ville dans les années qui suivront par son développement continuel… Les contrastes caractérisent l’identité même de l’Inde. Cependant la mondialisation et l’ouverture économique au reste du monde créent des écarts encore plus forts entre la population. Le développement urbanistique des villes en paye actuellement les frais. La ville indienne traditionnelle et la manière de vivre des Indiens qui correspond à ce modèle est bien différente de ce qui se dessine aujourd’hui. L’Inde reste ce qu’elle est et ce qu’elle a toujours été, une terre de contrastes et d’émulation, cependant il est net que l’urbanisation évolue sur ce sous-continent, au niveau des valeurs et des mœurs mais également au niveau des configurations territoriales. « On compte six mégacités de plus de cinq millions d’habitants (Mumbai, Calcutta, New Delhi, Madras, Hyderabad et Bangalore), une dizaine de plus de un million et un nombre important de villes moyennes particulièrement développées. 3 »

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.39

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.40

L’urbanisation passe par l’étude de l’évolution des mœurs, des coutumes et des traditions, par l’évolution des pratiques culturelles, des habitudes alimentaires, de la manière dont évolue le comportement des hommes au sein de la société – notamment une forte tendance à l’individualisme avec la compétition en ville par rapport à la solidarité omniprésente dans le milieu rural, la forte montée du « je » -, des modes relationnels entre hommes et femmes, parents et enfants, etc. Ces transformations, observées également sur le plan urbanistique, montrent l’Inde comme un pays en train de changer, passant d’un ensemble d’éléments constitutifs d’une culture anciennement rurale à une société ouverte au monde, à la compétitivité, à une urbanisation sans fin : « Pour faire face à l’afflux des nouveaux citadins et résorber en partie les bidonvilles, le commissariat au Plan estime à dix millions le nombre des habitations à construire chaque année d’ici à 2030. 4 » Quel sera le devenir de l’Inde ? L’évolution des castes, des classes sociales, l’apparition importante de la classe moyenne présente un nouveau visage de l’Inde. La culture traditionnelle indienne résistera-t-elle à l’américanisation qui est en train de s’installer progressivement, du moins qui est rêvée par l’ensemble des Indiens ? Actuellement, on peut rendre compte de traditions et coutumes qui perdurent au sein des villages, des villes et des mégalopoles en terme de nourriture, même si les grandes chaînes internationales apparaissent au sein des villes assez grandes, avec de gigantesques centres commerciaux. Cela entrainera au fur et à mesure la disparition des petits commerçants de proximité et augmentera le chômage, tout en supprimant un élément clé du fonctionnement indien classique. L’Inde a d’ailleurs besoin de ses petites échoppes, car le pays compte de plus en plus de personnes âgées : cent millions de personnes de plus de soixante ans en 2013. On note d’ailleurs des problè-

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 100

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 110-111

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.41

mes de solidarité intergénérationnelle en ville qui n’existaient pas à la campagne, comme le rejet des parents âgés dans les familles citadines. Cela les met dans une situation de grande précarité, la plupart n’ayant pas de droits sociaux. « Tout le monde a bénéficié du fort taux de croissance. Mais seules les miettes sont allées aux couches les plus basses de la société. Du coup, la cohésion sociale a été mise à l’épreuve et le gouvernement a dû réagir. 5 » (L’EXPRESS, p.100) Les villes indiennes présentent une mixité où se jouxtent à la fois les bazars anciens et tous les éléments de la mondialisation, parfois même entremêlés. On trouve en effet les traces de la société de consommation jusque dans les bazars. On peut s‘adonner à une après-midi dans un centre commercial, habiter dans un quartier hypermoderne et vivre à côté des bidonvilles et des minuscules échoppes de ceux qui les ont construits. « Dans toutes les kiranas, ces minuscules bazars que l’on trouve à chaque coin de rue, la question et sur les lèvres : que va devenir le petit commerce lorsque les géants commerciaux déferleront en Inde ? (…) A la fin de 2011, pourtant, le gouvernement de Manmohan Singh annonce que les distributeurs étrangers peuvent désormais s’implanter dans le pays. (…) Le commerce « désorganisé » représente 80 % de la distribution indienne. (…) « La structure sociale du pays va s’effondrer. Les marchands se retrouveront à la rue, ils deviendront tous des criminels ! » (…) Y a-t-il, en Inde, une clientèle pour les supermarchés ? Oui, sans doute, parmi les plus aisés. Et encore… Les couples modernes iront volontiers faire du shopping dans un centre commercial de luxe plutôt que de pousser un chariot dans une grande surface alimentaire. Les courses, ils en laissent le soin à la cuisinière, qui elle, ira acheter ses fruits et légumes au coin de la rue… 6 » La spécificité des quartiers, de leurs couleurs, de leur historicité et de leur architecture a revêtu à présent le voile uniforme de pollution, le niveau sonore et la congestion des transports urbains. Pourtant, malgré l’évolution de ces métropoles aux millions d’habitants, les chiffres continuent de définir l’Inde comme un pays rural. La structure des établissements humains est resté stable, le taux d’urbanisation reste habituel par rapport à l’Asie avec des zones de forte industrialisation et de croissance économique supérieure la plupart du temps à 12% par an pour les régions du « rectangle d’or », qui rassemble Delhi, Calcutta, Madras et Mumbai. « Le ratio villes/villages de l’Inde reste extrêmement faible : 4378 villes pour 600 000 villages en 2001, soit 137 villages pour une ville. 7 » Cependant, on sous-estime les réalités de la croissance urbaine, surtout en périphérie des villes millionnaires : des espaces périurbains sont happés par la ville, et les villages conservent longtemps des prérogatives de gestion et d’organisation en dehors du contrôle municipal et des règlements d’urbanisme. D’autres périphéries, bien délimitées, deviennent l’emplacement favori de constructions répondant à tous les critères de l‘hypermodernité, destinées au secteur tertiaire et à de nouvelles industries (informatique, communication) qui peuvent ainsi créer l’illusion d’une ville de standard international ignorant les problèmes d’infrastructures rencontrés par la ville traditionnelle. On peut tout de même faire l’hypothèse d’une mutation rapide des villes indiennes, sous nos yeux, à l’image de la Chine.

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/Entretien avec Michel Angot, indianiste, grammairien et philologue « L’Inde deviendra-t-elle un jour un géant mondial ? Je ne le pense pas. Le géant, c’est la Chine, dont les habitants sont tenus par un Etat qui les fait marcher dangereusement dans une seule direction. L’Inde des castes, c’est ce qui permet d’éviter ce genre de dérive : le pays est formé de gens qui vivent ensemble, qui ont le culte de la relation entre humains. Cela n’a évidemment pas que des côtés positifs, et il y a des choses terribles. Mais l’Inde est un pays extrêmement vivant : ce n’est pas dû au grouillement de la population, c’est un refus de la banalisation, de l’égalité uniforme ; l’idéal indien est inégalitaire. En Occident, nous avons un idéal égalitaire avec une pratique inégalitaire ; en Inde, le plus pauvre voisine avec le plus riche, et chacun a sa place. En Occident, on voit des individus forts avec des relations faibles ; l’Inde est faite d’individus faibles liés par des relations fortes. La vitalité économique découle de la vitalité générale, bien plus que des règles capitalistes habituelles. C’est unique; le fait de devenir un géant détruirait cet équilibre. Tant pis pour le « politiquement correct » : la Chine est plus puissante, mais l’Inde est plus intéressante. 8 »

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 62

Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83, p.42

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83, p.53

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Les politiques urbaines après l’indépendance La politique lancée dans les années 1950, à la suite de l’indépendance, privilégie l’investissement et la gestion de la ville plutôt que le suivi urbanistique du développement des villes. En effet, il était plus aisé de promouvoir l’expansion de l’industrie et d’investir la majeure partie du budget de la ville dans des secteurs commerciaux à but lucratif, plaçant l’Inde comme compétiteur de taille sur le marché mondial.

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.41

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Or, à la suite de la seconde guerre mondiale et à l’afflux de réfugiés lié à la partition entre 1947 et 1951, les villes attirent en masse. De nouvelles villes satellites sont créées pour répondre aux besoins. Les pôles administratif et industriel s’installent, le reste ne suit pas forcément. Le politicien Nehru, tout comme ses confrères, suit le principe du Mahatma Gandhi selon lequel la « vraie Inde » est dans les villages. Cela les arrange d’une certaine manière, le développement des villes et l’aménagement du territoire se trouvant ainsi mis de côté .

Idem

Les villes se développent donc au rythme de l’industrialisation, dont leur prospérité dépend : les villes de Calcutta, de Bombay subissent des crises industrielles, respectivement. dans les années 1960 et 1980. La migration est freinée par la présence des bidonvilles, par la pauvreté urbaine et par l’absence de services. La croissance urbaine évolue peu. Pourtant, « les années 1950 voient également un fort développement des institutions et de règlements d’urbanisme. Les plans d’urbanisme qui en découlent (master plan) sont des documents établis à moyen terme (quinze à trente ans). Ces documents, lourds et lents à produire, établissent un zonage de terrains urbains sans tenir compte des réalités spatiales existant sur le terrain. 9 » En effet, les normes fixées sont alors très élevées et rigoureuses, en contraste total avec le secteur informel qui prévaut dans les villes, au niveau de l’habitat, de l’économie ou de l’emploi : « 66,7% des emplois relèvent de l’informel dans la capitale administrative, Dehli, 68% dans la capitale économique Mumbai. 10 » Les bidonvilles existants sont souvent ignorés des plans d’urbanisme et la croissance urbaine a été sous-estimée par les plans élaborés au cours des quarante ans qui ont suivi l’indépendance. On reproche également aux politiques d’avoir fixé les coefficients d’occupation des sols trop bas, ce qui a limité une densification du bâti dans les centres urbains et donc empêché une utilisation optimale du foncier.

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Le modèle libéral au détriment d’une urbanisation maitrisée 11

Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 100

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L’intégration de l’Inde dans l’économie internationale s’ est accélérée en 1991. Les droits de douane, d’organisation des services ou des entreprises privées se mettent en place. « (…) D’autres changements ont pesé sur la démocratie indienne. A partir des années 1990, le gouvernement (…) a lancé une politique de réformes économiques soutenues par le FMI. L’économie indienne, jusqu’alors planifiée, s’est libéralisée, ce qui a permis une croissance sans précédent de 7 % par an en moyenne dans les années 2000-2010. 11 »

Idem

Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.45

Cependant l’Etat ne met pas rapidement à l’ordre du jour des réformes urbaines adéquates à l’arrivée de ces nouvelles réglementations, gêné par la dispersion des responsabilités dans les Etats fédérés. « Cette dynamique a eu pour effet de creuser les inégalités ; un processus typique des pays émergents. Des nouveaux riches sont apparus. En gros, ils représentent désormais 10 % de la population, alors qu’ils n’étaient que 2 % auparavant. 12 » En 1992, à la suite de longs débats entre Etats fédéraux, le gouvernement indien a renforcé les composantes de la décentralisation par le moyen d’amendements constitutionnels. Cela a permis entre autre de régulariser le fonctionnement démocratique, de garantir l’autonomie, de multiplier les fonctions et d’assainir les finances. Malgré cela, les villes indiennes souffrent de déficiences en terme d’infrastructures, de services et de qualité environnementale, qui freinent clairement la croissance. Le gouvernement a pour but à cette période de favoriser le développement d’une société de consommation, d’améliorer les performances des transports privés et publics, d’augmenter l’offre de logements à faible coût, mais également de services sociaux et environnementaux. La volonté de rendre la gouvernance plus efficiente et réactive est présente. Certains services seraient privatisés, les procédures telles que les permis de construire rationalisés. Dans les dernières années, les quartiers nouveaux en périphérie des grandes villes ont permis de répondre à la demande des classes moyennes en logements, en service commerciaux et à la demande d’équipements de pointe des nouveaux centres de services. Les Export Processing Zones (EPZ) puis les Special Economic Zones (SEZ) donnent l’initiative au secteur privé et visent à créer les conditions optimales pour favoriser les exportations, l’investissement privé et la création d’emplois. Les plus grandes entreprises ont immédiatement saisi cette opportunité d’investissements énormes dans de nouveaux centres urbains, assortis de considérables avantages fiscaux. « Plus de 200 SEZ ont à ce jour reçu une autorisation des autorités publiques ; on parle maintenant de plusieurs centaines en cours de planification, avec des extensions prévues sur plusieurs milliers d’hectares. 13 » Ces SEZ permettent donc l’entrée en force du secteur privé dans l’investissement urbain et même dans l’aménagement du territoire (construction de routes, de ponts suspendus, d’aéroports). Mais la question de l’achat (ou de l’expropriation) de terres agricoles pour laisser place à ces aménagements a provoqué des affrontements meurtriers. Les SEZ font désormais l’objet d’une forte contestation populaire, relayée par les médias, et le débat politique fait rage jusqu’au sein même de la coalition au pouvoir.

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Une alliance entre le secteur public et le dynamisme privé pourrait transformer les villes indiennes et, enfin, admettre le bien-fondé de leur croissance à brève échéance. Mais la question la plus difficile n’est pas résolue. Les écarts entre riches et pauvres se creusent. Les SEZ ne prévoient pas de logement social et la spéculation foncière provoque une raréfaction du logement accessible. Contrairement à la Chine, il n’y a pas eu d’espaces de vie créés pour les migrants ruraux venus à la ville et cherchant à s’y loger.

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 98

Apparaissent maintenant de réels conflits d’intérêts, comme en témoignent la destruction de bidonvilles, qui officiellement abritent 24% de la population urbaine. Les autorités nationales et locales ont produit des réglementations protectrices, ont lancé des projets innovants de réhabilitation et relogement, mais, dans le même temps, elles autorisent des évictions massives. Une bonne partie de la population chassée des bidonvilles n’a pas bénéficié de la moindre aide. Il en résulte une forte opposition entre, d’une part, les tenants du droit à la propriété et du libre accès au marché foncier, bien représentés dans les cours de justice indiennes et, d’autre part, les partisans du droit à la ville pour tous, bien conscients du rôle social du droit foncier. Les villes indiennes sont désormais ouvertes à l’économie de marché, connectées, largement accessibles à l’économie et à la culture mondialisées, et en transformation rapide. D’après Christian Makarian, depuis les années 1980-1990, les basses castes et même les intouchables ont pu profiter de la discrimination positive appuyée sur des quotas. « Ces basses castes ont même pu prendre le pouvoir dans certains Etats indiens. 14 » Les centres anciens sont rapidement doublés par les nouveaux quartiers et les nouvelles villes, dans un climat de concurrence effrénée entre les quinze premières du palmarès. Et il reste des points majeurs à traiter, tels que résoudre l’équation environnementale, en particulier l’accès à l’eau ; garder en mémoire les différentes phases de l’histoire, traduites sur le terrain par un patrimoine exceptionnel et qui constituent un facteur de richesse et de cohésion essentiel aux Indiens et pour l’image internationale; mais surtout intégrer l’autre moitié de la population qui n’a pas encore profité du bénéfice de l’Inde qui brille.

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Dans PLANET INDIA, l’ascension turbulente d’un géant démocratique, ACTES SUD questions de société, KAMDAR Mira, 2007, p. 222

« Les villes de l’Inde constituent le deuxième ensemble urbain dans le monde, après celui de le Chine. C’est un système urbain en crise. Les villes de L’Inde souffrent de décennies de négligence, de corruption effrénée, d’infrastrutures inadéquates et de développement chaotique. Des millions de citoyens parmi les plus pauvres de l’Inde ont afflué dans les cités du pays, où, avec des ressources limitées, ils ont trouvé des gagne-pain et formé des communautés fourmillantes, comme celle de Dharavi à Bombay, une ruche animée d’artisans et d’habitations minuscules où des familles vivent, travaillent et jouent littéralement les unes sur les autres. Malheureusement, un grand nombre de ces communautés sont des bidonvilles qui manquent des installations sanitaires de base, sans même parler d’autres commodités. Les Nations Unies classent 40% de la population urbaine de l’Inde parmi les pauvres. En attendant, le boom économique du pays attire des centaines de sociétés internationales et propulse des entreprises indiennes vers des niveaux toujours plus élevés de compétitivité et de professionnalisme. Les affaires exigent de nouveaux immeubles de bureaux, des centre de recherche/développement bien équipés et des unités de production modernes. Leur employés instruits et bien payés réclament de bonnes écoles, l’accès à des soins médicaux de qualité et des logements confortables. Alors prolifèrent les centres commerciaux, les autoponts pour survoler l’écrasant trafic urbain et les enclaves protégées par des grilles où les riches pourront se reposer à l’abri du chaos de la cité. 15 »

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Source internet Photographie provenant du blog : erwaneninde. wordpress.com Vue sur un bidonville au premier-plan et des tours en construction en arrière-plan, à Bombay

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83, p.48

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Développement des mégacities et des villages urbains Les « mégacities » connaissent une forte croissance urbaine. Trois villes dépassent aujourd’hui les 14 millions d’habitants : Delhi, Mumbai et Calcutta ; huit villes comptent plus de cinq millions d’habitants. L’Inde figure parmi les pays en plus forte croissance et parmi les mégacities définies par l’ONU. Cependant, l’enjeu ne se situe pas uniquement dans le potentiel des villes géantes, mais aussi dans le développement massif des villes intermédiaires qui se sont multipliées depuis les années 1950. Cette explosion urbaine montre bien l’importance de la présence du monde rural malgré l’émergence de mégalopoles. Les statistiques, incertaines et difficiles à saisir lorsqu’il s’agit des petites villes et des villages, indiquent tout de même la constante identitaire de cette nation à posséder de petites agglomérations.

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.47

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Idem

Les statistiques officielles indiennes classent les villes en six catégories. De la class I pour des villes de 100 000 habitants à des class II, III pour des villes de 50 000, 20 000 habitants, etc. « Au recensement de 1891, la class I comptait 23 villes pour 250 millions d’habitants. En 2001, on en trouvait 394 pour plus d’un milliard d’habitants. 16 »

/Les mégacities L’Inde a été dominée par quatre mégacities durant les cinquante dernières années formant les sommets du rectangle d’or : Delhi, Mumbai, Calcutta et Chennai. « En 1872, Calcutta fut la première agglomération à dépasser le million d’habitants hors des pays industrialisés. Elle est détrônée en 1991 par Mumbai, qui arrive en tête pour les fonctions économiques métropolitaines internationales, mais c’est actuellement Delhi qui est passée au premier rang 17 »

/Les villes intermédiaires Il est possible d’affirmer par les chiffres que l’Inde fonctionne selon une forme de centralisation étatique au niveau de la capitale Delhi, des autres mégacities mais aussi à l’échelle des Etats de l’Union lorsque l’on observe la primatie de leurs capitales politiques. Les agglomérations dynamiques sont avant tout des centres politiques, culturels et administratifs. Mais la répartition des villes et leur position restent stratégiques. Leur développement profite de la proximité des terres agricoles fertiles et irriguées. La plaine Indo-Gangétique, les deltas et plaines littorales du Sud, les versants et les plaines arrosées du Kerala sont des lieux adéquats. Les résultats d’étude démontrent que les lieux privilégiés pour l’expansion urbaine des villes de 20 000 habitants ne se concentrent pas uniquement le long du littoral indien, mais au sein de vastes régions métropolitaines à la périphérie des mégalopoles.

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/Les petites agglomérations A l’image de l’Inde, les formes urbaines sont diverses et la place phare des petites villes constitue un des éléments clés du système structurant l’organisation générale du pays. Leur prolifération ce dernier demi-siècle par rapport à la croissance, en comparaison plus douce, des mégalopoles relève bien de certaines vérités : la baisse du taux d’accroissement naturel, liée à celle du taux de fécondité, plus rapide dans les villes que dans les campagnes. Ensuite, la mobilité résidentielle qui alimentait l’exode rural en direction des grandes agglomérations tend à s’effacer au profit de la mobilité pendulaire liée aux développements des réseaux de transport, eux-mêmes rentabilisés par les fortes densités résidentielles de la périphérie rurale et urbaine. Photographie : Marion Denizart, étudiante en 3e année d’architecture à l’ENSAN

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Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83, p.50

Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83, p.47

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Les castes en ville 18

Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 70

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Idem

La question des castes en ville se pose dès lors que l’on sait que la société indienne repose sur cette structure sociale. En effet, la spécificité de la société indienne réside dans son organisation en catégories socio-religieuses héréditaires et endogamiques : les castes. Qu’en est-il de l’évolution de celles-ci au sein d’une société qui change rapidement, avec des conséquences sur les mœurs et les coutumes des Indiens ? Les mutations sociales et controverses idéologiques sont présentes actuellement au sein des villes. Y a-t-il une véritable résistance du système des castes en ville ? Ou bien au contraire un attachement réel à ce fonctionnement très ancien, toujours présent, dans les villages notamment, qui démontre à quel point cette hiérarchie sociale constitue un des piliers identitaires de l’Inde. Les castes correspondent-elles davantage à la société traditionnelle indienne et au monde rural, perdurent-t-elles par ce qu’elles génèrent en terme de vie sociale ? On ressent tout de même une violence culturelle parfois jugée positivement comme la fin d’un archaïsme, ou négativement comme une perte d’identité. « Chaque caste, chaque ethnie, même en ville, veut maintenir sa distinction. Tout cela a pour conséquence de limiter le mélange des populations, d’assurer la survie, sur le long terme, de communautés différentes. 18 » Les villes indiennes évoluent ainsi entre gigantisme et contrastes. La place des castes en ville est posée puisque leur développement a reposé sur les modèles coloniaux, musulmans et actuellement occidentaux. Les hindous, majeure partie de la population, subissent la ville importée et s’abandonnent pour certains à une totale acculturation. « La concurrence intercastes, qui s’est accrue depuis un siècle avec la discrimination positive, les effets pervers des recensements, de la propriété personnelle, a eu tendance à fixer des positions anciennes : il faut coûte que coûte maintenir, voire accroître, la distance avec les castes inférieures et diminuer ou nier la distance d’avec les supérieures. 19 » Face à l’obligation de la coexistence des castes au sein de la ville, certaines distances sont maintenues, invisibles mais présentes, maintenues autrement que dans les villages où les castes se répartissent par quartiers, par zones distinctes qui ne mélangent pas aussi brutalement les différentes castes entre elles. Les castes et leurs limites ne tiennent pas à un espace organisé du monde matériel. Et cela vaut mieux puisque les villes sont avant tout des lieux de brassage et de concentration qui, sans être détachées du système dominant des valeurs, n’en obligent pas moins à des frottements. Certains espaces en ville ne correspondent pas non plus particulièrement à la cohabitation des castes entre elles,

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tels que les temples ou encore les bidonvilles. En effet, concernant les habitats insalubres, il semble nécessaire de rappeler que c’est la pauvreté qui amène tous ces gens à y vivre, les castes n’entrant en compte qu’en arrière-plan. Différentes castes habitent à côté les unes des autres, jusqu’aux intouchables, ceci montrant davantage les problèmes d’inaccessibilité à un habitat conventionnel et d’absence de logement social, que les problèmes de cohabitation des castes. Les castes moyennes et supérieures trouvent d’autres solutions et ne se résolvent pas facilement à y habiter. La classe moyenne constitue un exemple remarquable pour exprimer le changement que connaît l’Inde malgré la conservation des castes. Elle est apparue relativement récemment à la suite de la mondialisation et de la création de nouveaux emplois par milliers, en informatique notamment. Ainsi les Indiens de la dernière génération ont pu profiter de ce rebondissement économique et accéder à un niveau d’indépendance financière par rapport à leurs parents. Les jeunes couples ont alors souhaité avoir leur propre appartement et vivre avec leurs enfants, et non plus dans la niche familiale classique qui regroupait plusieurs générations. Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 90 « À Mumbai, un habitant sur deux vit avec moins de 1,5 euros par jour. »

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II. ESPACES PUBLICS,

de l’échelle de la ville à l’échelle de la rue


II. ESPACE PUBLIC - de l’échelle de la ville à l’échelle de la rue a) ÉCHELLE DE LA VILLE

Choix d’implantation Le choix d’implantation des villes, concernant la région du Rajasthan, correspond systématiquement à un contexte géographique donné et remarquable. En effet, l’observation de plusieurs cas permet de comprendre ce qui a pu attirer l’homme à construire à tel ou tel endroit. TOPOGRAPHIE Tout d’abord, la topographie constitue un des atouts essentiels, puisqu’elle permet avec des collines abruptes par exemple, de concevoir une ville comme un lieu de sécurité et d’échanges. La puissance du Rajasthan au XVIIIe siècle peut se lire par l’édification des fortifications et de systèmes de défense, si possible sur les hauteurs, protégeant la ville située en partie basse du relief. L’omniprésence des forts est une particularité des villes du Rajasthan. On comprend qu’à l’époque des Maharajas cet élément défensif était une des clés de la constitution normale et nécessaire d’une ville. Cela impliquait le choix d’une implantation stratégique. C’est le cas par exemple du fort à Jaisalmer, installé sur la colline, avec le développé du reste de la ville tout autour des enceintes, en contrebas. Et ceci, aux portes du désert, permettant ainsi l’observation d’éventuelles attaques. Le fort de Jodhpur quant à lui domine de plusieurs dizaines de mètres la jolie ville bleue et montre la toute puissance du Maharaja de cette ville sur le territoire alentour. Les sept portes qui amènent au cœur même du fort montrent la fonction de défense de l’édifice. Le fort est ainsi un élément servant à la fois de protection à la ville et d’image dans le but d’impressionner l’ennemi et de montrer sa richesse. Chacune des villes de la région se dote donc de ce type de construction. APPORT D’EAU Le climat sec du Rajasthan dès l’origine a impliqué de s’intéresser aux problèmes de disponibilité en eau. La création d’une ville dépend en effet des conditions de captation, de stockage et de distribution de l’eau. C’est durant la période assez courte de la mousson que l’eau tombe et s’écoule. L’implantation d’une ville sur un territoire en dépend et est conditionné par des bassins naturels déjà existants, pouvant être améliorés par l’homme mais ayant les capacités pour retenir l’eau.

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La topographie rentre à nouveau en compte pour un autre élément essentiel, l’eau. On peut observer dans les villes de Jaisalmer et de Jodhpur cette conformité topographique induisant une retenue d’eau naturelle, ou encore l’amélioration de bassins naturels à Jaipur, permettant la création de lacs permanents à la limite de la ville. Des systèmes de canaux y ont été mis en place dans le but de récupérer les eaux de pluies s’écoulant des collines alentours. Plusieurs dispositifs ont été inventés, répondant ainsi aux besoins de la ville en eau. Plus de 800 puits permettent encore aujourd’hui à 40% de la population de Jaipur de s’approvisionner en eau.

Carte territoriale de la présence du stockage de l’eau, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 60

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Photographie personelle, Vue du «Brihat Samrat Yantra», cadran solaire de 27 mètres de haut qui permet d’obtenir aux équinoxes une mesure de l’heure atteignant une précision de 0,5 seconde. L’ensemble de l’observatoire astronomique et astrologique de Jaipur comprend 17 instruments de la sorte.

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Développement de la ville La plupart des villes indiennes se sont constituées par elles-mêmes, c’est-à-dire sans le moindre plan d’urbanisme. Ce sont simplement les intérêts naturels – étudiés dans la précédente sous-partie – qui déterminent le choix d’implantation de la ville ; les éléments structurant la ville tels que le fort, les palais et les temples sont les premières constructions. Puis le développement de la ville s’est fait progressivement, par l’installation successive d’habitations, de petits commerces, etc.

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Interview de Benninger donnée au Times of India, 13 mars 2003

Le cas de la ville de Jaipur est quant à lui particulier, puisque le ville fut construite seulement en 1727. Il s’agit d’une ville récente par rapport aux autres villes du Rajasthan. Elle est d’ailleurs la plus grande ville et la capitale de la région. Elle est entourée par des chaines montagneuses au nord et à l’est et son alimentation en eau dépend principalement des nappes phréatiques. Ce sont le roi Sawai Jai Singh II et son architecte Vidyadhar qui conçoivent le plan de la ville basée sur une trame à 9 cases : inspiration directe du Vastu Vidya. Le but recherché dès l’origine de la conception de Jaipur fut de la rendre attractive et d’y implanter un dynamisme commercial. C’est ainsi que les commerçants et les artisans étaient invités à s’installer à l’intérieur de la ville, entourée alors par un mur d’enceinte, franchissable par sept portes. C’est le pouvoir d’un seul homme, qui a apporté le financement et la prise de décision centrale pour le développement de la ville, c’est-à-dire au niveau de la question de l’eau, de la défense, de la nature de son tracé, etc. Le roi est à cette époque le « centre de l’univers » et sa prise de position supplante tout le reste. Un « traité d’amitié » est signé avec les colons britanniques en 1818. Cela amènera la ville à se moderniser en 1835 sous l’influence britannique. L’extension de la ville en dehors de l’enceinte d’origine et de la rigidité de la grille de la vieille ville offre un vocabulaire se rapprochant du style anglo-saxon. La ville s’agrandit vers le sud, avec la construction de toute une série d’édifices publics tels que des collèges, un musée, une bibliothèque, etc. Deux hommes prenaient alors les principales décisions. Après l’indépendance de l’Inde, les acteurs dans la ville se sont multipliés. Certaines références urbaines telles que le concept d’une cité-jardin ou encore le modèle de la ville baroque sont utilisées de manière assez superficielle pour l’agrandissement de la ville. Critiqué en partie, le développement de Jaipur est le résultat actuel de l’association entre responsables politiques, administratifs et entrepreneurs. La collaboration est efficace, surtout depuis le réveil économique de l’Inde à partir des années 1990. Cependant les enjeux sociaux, environnementaux ne sont pas pris en compte. « Il n’y a pas de principes urbains, ni de plan directeur, et il n’y a pas de participation citoyenne. Dans les métropoles, seuls les grands acteurs participent : le gouvernement, les grands propriétaires fonciers, les bureaucrates et les aménageurs. Nous avons exclu des processus de décision les gens pour lesquels nous déclarons concevoir les villes. 20 »

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Organisation du tissu urbain Grâce aux chapitres précédents, on peut comprendre que la plupart des villes du Rajasthan se sont développées en contrebas d’un fort, autour d’un lac, prenant ainsi comme point d’attache un élément naturel leur permettant de mettre en place des systèmes de défense, de sorte à vivre à l’abri des attaques et à être alimenté en eau. Le développement de la ville et de son tissu urbain s’établit petit à petit, par la main de l’homme qui construit en premier lieu les éléments essentiels comme le fort, les palais, les temples en nombre, quelques maisons. Il s’agit ensuite d’une extension d’un tissu urbain, « anarchique » aux yeux des occidentaux, avec d’autres habitations et des commerces. En effet, la composition du tissu urbain se traduit dans les centres anciens des villes par un labyrinthe de maisonnées, de petits hôtels, de commerces, de temples de quartier desservis par des ruelles courbes se ressemblant fortement. Leur charme est dû notamment à la couleur de ces villes et à ce parcours lors de la déambulation de l’usager. La circulation des voitures y est quasi impossible, ce qui n’empêche pas des milliers de rickshaws et de scooters de se déplacer. Quelques artères situées en périphérie de ce labyrinthe sont un peu plus larges, quelques axes existent, conçus plus tard, suite à l’agrandissement des villes et à la construction de nouveaux quartiers conçus sur une base de tracé plus orthogonale, répondant à un schéma plus moderne. Des immeubles remplacent les havelis et les maisons plus simples mais typiques des centres anciens. Nous allons continuer d’étudier le cas de la ville de Jaipur, ville en marge des autres de la région par la date de sa conception, par son fondateur scientifique et lettré, et par la suite de son histoire. La conception de la ville de Jaipur se comprend par la lecture et l’analyse du Vastu, texte sacré de l’architecture indienne. Selon le texte sacré sont définies un ensemble de règles définissant notamment l’orientation de la ville, des édifices, des maisons ainsi que la répartition et la largeur des voies, la disposition des bâtiments les uns par rapport aux autres. Il s’agit pour cette ville d’un plan à 6 cases, organisé autour d’un palais central, se rapprochant ainsi du modèle à 9 cases. La case nord-ouest a été déplacée au sud-est, à cause de la présence de collines. Des incohérences se retrouvent lorsque l’on effectue la comparaison entre le Vastu et la composition réelle de Jaipur, ce qui reste un mystère sans explication. Par exemple, il est dit que la ville doit posséder une route à l’intérieur du mur d’enceinte, séparant les îlots périphériques de la fortification, or ce n’est pas le cas. Le plan a subi un pivotement de 15° tout d’abord pour s’aligner sur la ligne de crète. La position du palais au centre de la ville sur deux cases oriente le reste du dessin du plan. Un observatoire astronomique très précis a été également construit et utilisé dans les calculs pour le tracé de la ville. Directions, axes, longueurs, sont définis selon des instruments qui imposent ensuite des limites, des carrefours importants où se situent les temples ou encore les portes de la ville.

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Hypothèse du tracé régulateur d’après les plans et chartes anciens du City Museum à Jaipur, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 37

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b) ECHELLE DU QUARTIER

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Dans L’Idée de l’Inde, KHILNANI Sunil, Fayard, 2005, p. 176

Composition de l’espace public et privé Deux schémas principaux se dessinent dans la composition et l’organisation des espaces publics et privés au sein des villes indiennes. Tout d’abord, il existe le schéma suivant : l’espace public constitue la résultante organique d’une stratification des constructions au cours du temps, cas faisant référence notamment aux nombreuses villes médiévales. La particularité des villes du Rajasthan tient à l’irrégularité de leur géométrie. Les bâtiments ne s’alignent pas le long des voies ; c’est la composition interne qui conserve sa logique, débordant ainsi sur l’espace public. Des espaces publics tels que des carrefours ou des dégagements sont ainsi la résultante simple de ces débordements. L’espace public n’est pas composé de manière délibérée, mais est plutôt le fruit de cheminements préexistants, occupant le résidu géométrique laissé par les constructions. Cela crée des lieux plus ou moins visibles, exploités par des commerces par exemple qui profitent d’un recoin en marge du flux de circulation. La direction des parcelles et des bâtiments n’est pas obligatoirement parallèle et ce, même sur une voie principale. Le dessin des voies se réalise de manière simple et naturelle à partir de la topographie, c’est-à-dire selon les courbes de niveaux. Dans une ville au relief pentu, les voies principales se situent le plus bas, en fond de vallée, permettant ainsi le passage du ruissellement de l’eau lors des moussons. S’installe ensuite perpendiculairement à ce réseau primaire un maillage de voies secondaires, se terminant en escalier pour les plus fortes pentes. Ensuite, le second schéma, correspondant au cas de la ville de Jaipur, offre une organisation du tissu urbain tout à fait différente. En effet, c’est le tracé des voies qui détermine l’implantation des bâtiments. C’est donc à partir du système de voies que l’on peut comprendre la composition générale de la ville. Les chowkri correspondent aux grandes cases du tracé de Jaipur et constituent les quartiers de la ville. Rappelons que ces cases sont le fruit du quadrillage des bazars. Les chowkri partitionnent ainsi la ville en six entités distinctes, aux fonctions hiérarchiques et sociales différentes. « Les villes indiennes présentaient une organisation interne tout à fait typique : elles établissaient des distinctions entre quartiers de travail et de résidence, et des séparations plus subtiles, à l’intérieur de ceux-ci, par castes, sectes et communautés religieuses. 21 » Au centre du plan est positionné le palais du maharaja, ainsi que les services attenants, soit un grand marché et quelques habitations. S’organisent autour de ce centre les autres quartiers répartissant respectivement au sudouest les artisans et sculpteurs sur pierre, au sud les commerçants et les riches jaïns, au sud-est les marchands, artistes et ouvriers, à l’est les temples et de grandes haveli.

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Rythmes des voies sur le plan d’ensemble de 1925, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 88

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Topkhanadesh Chowkri, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 90

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Parcellaire et fonctionnement d’un îlot Le chowkri, sorte d’arrondissement, se divise ensuite de manière interne en mohalla, distribué par des voies orthogonales. Il correspond à un ensemble de maisons réparties selon les groupes sociaux unis par la religion, la caste, l’origine ethnique ou la corporation. Leur dimension est de 40 à 50 parcelles. La dimension et la caractéristique d’une parcelle varient selon l’occupant et sa caste. Les règles indiquées par le Vastu présentent des détails précis qu’un brahmane, un guerrier, etc. doivent suivre selon le texte sacré. Un mohalla se constitue de membres d’une communauté unie par des liens sociaux et professionnels. L’intimité de ce groupe est préservée notamment par l’interdiction d’y pénétrer faite à certains groupes d’un jati (statut dès la naissance) différent. La configuration de l’organisation à l’intérieur des mohalla est spécifique à Jaipur et différe de celle que l’on connaît en Occident. En effet, la trame des rues orthogonales définit une des entités urbaines d’une cinquantaine de maisons entourées de voies dites gali (ruelle) ou rasta (rue). La distribution des maisons ne s’effectue pas uniquement depuis la rue, mais également par l’intérieur du cœur d’îlot sur un espace commun plus intime au caractère semi-public. L’autonomie des îlots est renforcée et sécurisée puisque ces accès peuvent être fermés. Les commerces prennent position le long des voies principales, laissant le cœur d’îlot aux habitations. Le cœur d’îlot est donc, au départ, un espace commun à un groupe d’habitants, qui s’est densifié au cours du temps. On peut l’assimiler à une réserve foncière non planifiée. On peut d’ailleurs observer pour une majorité de cas à Jaipur que les îlots sont davantage réguliers en périphérie qu’au centre. Les constructions sont en effet installées de manière plus aléatoire. Le temps a participé aux déformations successives ayant eu lieu et fait évoluer le tissu urbain. Cependant, plusieurs exemples peuvent encore montrer l’utilité de ces lieux semi-publics de cœur d’îlot comme l’exploitation de ces espaces par du bétail, par de petits entrepôts, par des puits-fontaine ou encore par la présence d’un temple et de son arbre sacré. Ainsi, l’organisation de chowkri par la rectitude des voies tout d’abord autour des mohalla permet la bonne circulation de l’air à travers le tissu urbain. De plus, les rues étroites et les débords architecturaux tels que les chaja et les jharokha (corniches saillantes) évitent l’ensoleillement excessif, favorisant de la sorte le rafraîchissement de l’espace public. On retrouve le même souci de ventilation, d’adaptation au climat dans le fonctionnement d’une haveli.

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Hiérarchisation des voies On peut établir une hiérarchisation des voies selon le critère de la largeur, de la densité commerçante, de l’importance de la circulation et de la régularité de composition. De manière générale, on compte six types de voies : - l’avenue, de 33m de large, sur laquelle sont situées les commerces derrière l’ordonnance d’une galerie au rythme régulier. Les parcelles d’habitations ne donnent pas directement sur cette voie - la grande rue, de 13m de large en moyenne, présente à la fois des commerces et l’accès aux différentes Haveli. La trame des parcelles donnant sur la grande rue est en général assez large - la rasta ou encore rue secondaire, de 7 m de large, avec ou sans fonction commerciale, avec accès dans les Haveli - le gali, espace public étroit, de 2 à 3 m, en cœur d’îlot desservant plus de parcelles que les voies précédentes. Ce type de rue permet une relative indépendance du cœur d’îlot - les impasses et passages, peu larges, peuvent également distribuer certaines parcelles en cœur d’îlot - le ghandi gali, ou « rue sale », est une ruelle étroite pouvant faire moins d’un mètre de large et constituant l’espace libre entre deux haveli Ce dernier élément constitue une particularité des haveli. En effet, le ghandi gali possède plusieurs fonctions, dont une indépendance de construction entre les mitoyens. De plus, face à la mauvaise qualité de la pierre de la région, les possibilités en terme de reprises d’appui sur un même mur mitoyen lors de constructions décalées dans le temps se voient limitées. Ensuite, cet espace permet la bonne circulation de l’air entre les haveli. Une de ses attributions était également de servir d’égout à ciel ouvert pour les rejets sanitaires des occupants. Est prise en compte la notion d’hygiène par la circulation de l’air à travers le tissu urbain et, a contrario , cet espace possède également la fonction d’évacuer les déchets. Lors de son installation au XVIIIe siècle, le nettoyage était quotidien, alors qu’à présent ces ghandi gali ne sont nettoyés qu’une fois par an, ce qui contrarie la question de l’hygiène du centre historique de la ville de Jaipur. Une mesure positive actuellement est certainement l’installation de réseaux d’évacuation dans ces passages étroits, conservant ainsi une des fonctions d’origine.

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Photographie personnelle, Ruelle dense et animée, à Varanasi

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b) ECHELLE DE LA RUE

Définition de la rue en Inde La rue peut être approchée selon différents thèmes qui la composent. Hétéroclite, multiculturelle, elle est le centre d’une activité débordante entre tradition et modernité, richesse et pauvreté… Occasion de découvertes, surprises, incompréhensions, la rue en Inde peut se contempler durant des heures.

Densité humaine contrastée Rappelons que l’Inde est le second pays le plus peuplé du monde, mais également que le Rajasthan, étudié dans ce mémoire, constitue l’une des régions les plus denses du pays en terme de population. Cela participe au nombre incroyable de gens dans la rue, s’affairant à de multiples activités. De plus le climat chaud et la tradition de vivre dehors de manière collective et partagée jouent évidemment un rôle dans la saturation de l’espace public. Une mixité réelle existe au niveau de la population qui se côtoie quotidiennement, dans de bonnes conditions la plupart du temps. Très denses et très animés, les centres historiques des villes, ne permettent pas une perception claire dès le début. Un temps d’observation est nécessaire pour comprendre et s’approprier un minimum cet espace. La rue constitue par excellence un lieu de rencontres, un espace où le brassage culturel et social se lit constamment. La réalité sociale de l’Inde s’observe dans la rue où les milliers de castes différentes vivent ensemble. La concentration de telle ou telle caste et religion peut être plus ou moins présente selon le lieu géographique et caractériser davantage un lieu par la dominance des hindous, des musulmans ou autres croyants. Cela joue sur la manière de percevoir l’espace urbain. La part d’influence du système des castes joue actuellement un rôle nouveau, avec l’apparition de nouvelles professions qui crée des liens entre des personnes de castes différentes. La mixité sociale ainsi renforcée offre de nouveaux horizons en terme d’échanges au sein de l’espace public de la rue. « Le système des castes demeure vivace, notamment en matière matrimoniale, où il conduit à l’endogamie. Mais il n’est pas sans influence non plus dans le domaine professionnel. A chaque caste correspond en effet, dans la société traditionnelle, une spécialisation professionnelle héréditaire. Il existe ainsi des castes de barbiers ou de blanchisseurs, de tanneurs ou de bouviers, etc. Les castes entretenant entre elles des relations d’interdépendance

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«Le chaos urbain» vu par Ben Radis, dessinateur de bande dessinée

qui ne vont pas sans de profondes inégalités. Si la plupart des barbiers ou des tanneurs appartiennent à la caste correspondante, l’inverse n’est pas nécessairement vrai, la grande majorité des Indiens étant occupés, en réalité, à des activités agricoles. Le système des castes peut constituer un frein à la mobilité sociale. Toutefois, le développement de l’économie moderne affaiblit le lien entre caste et profession, dans la mesure où il n’existe ni de caste d’ouvriers spécialisés ni de caste d’informaticiens. L’apparition de ces nouveaux emplois favorise le brassage entre Indiens appartenant à différentes castes. 22 »

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Inde : quelles règles sociales dans une économie émergente ? Rapports d’information sur www.senat.fr

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Photographie personnelle, Vue du trafic routier d’une grande avenue, à Jaipur

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Trafic routier, circulation piétonne Le trafic routier en Inde est réputé pour être dense et bruyant. Les rickshaws constituent la majorité des véhicules en ville, les camions colorés et les bus la majorité des véhicules sur les routes. Une des caractéristiques du trafic routier est qu’il est très coloré et participe à rendre la rue aussi vivante.

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Blog web de Thierry Crouzet

Le rickshaw fait partie intégrante du trafic routier. Ce tricycle de couleur jaune et noire quand il a la fonction de taxi est produit par des constructeurs spécialisés. Les rickshaws motorisés (on les oppose aux rickshaws traditionnels qui sont tractés par des êtres humains) sont construits sur la base d’un scooter complété par une carrosserie en tôle. La conduite du rickshaw est un art maîtrisé seulement par les autochtones dont l’audace est sans limites. Ils sont capables de se faufiler partout signalant leur présence par de petits coups de klaxons. La circulation automobile indienne sous ses apparences «anarchiques» est relativement disciplinée. Le klaxon est l’élément indispensable. Les conducteurs préviennent lorsqu’ils veulent doubler, lorsqu’ils ont besoin de place, et les autres se poussent naturellement sur le bas-côté de la route. Avec du recul, tout s’organise assez bien. Les plus gros ont la priorité sur les petits, et tout le monde le sait. La signalisation ne sert plus à rien mais chacun trouve sa place. On slalome, on zigzague, la circulation reste fluide. « Un lecteur a attiré mon attention à propos d’une vidéo extraordinaire qui nous montre pendant quelques minutes un carrefour routier dans une ville indienne. (...) Je suis sûr que si le croisement filmé était équipé de feux, le débit du trafic serait inférieur. La vitesse des voitures est assez extraordinaire. Cet exemple démontre qu’augmenter les signalisations n’implique pas une plus grande harmonie, au contraire. La question est alors de savoir si ce croisement cause plus d’accidents qu’un croisement avec signalisation. Je n’ai pas la réponse. Je découvre qu’entre 1978 et 1998, le taux de mortalité dû aux accidents de la circulation a augmenté de 79 % en Inde. Cette croissance est en fait en phase avec celle du nombre de véhicules. J’ai aussi lu que l’Inde possédait un des plus hauts taux de mortalité sur route. Mais cette mortalité n’est pas nécessairement imputable à l’auto-organisation du trafic : les véhicules sont en aussi mauvais état que les revêtements. 23 » Concernant le déplacement à pied, il n’est pas évident de se faire un passage, la plupart des voies étant dédiées au trafic automobile, qui obligent le piéton à être constamment sur ses gardes. Cependant, il est malgré tout assez bien respecté, restant dans le champ visuel des automobilistes, en sécurité même au milieu de la chaussée. Temps et énergie sont par contre très utiles pour traverser une voie.

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Dans Comprendre la culture hindoue, TISON Brigitte, 2005, p. 54

« La vache sacrée. Elle demeure aux yeux de beaucoup d’occidentaux un «scandale». Ils ont à l’esprit les enfants des rues et les pauvres hères qui parcourent les villes et ils ne comprennent pas que l’on puisse laisser les vaches errer et ne pas s’en servir pour nourrir ces foules de miséreux. En fait, la vache est un symbole de fertilité. Elle nourrit et protège la vie. Le plus souvent, elle est associée au feu. Elle symbolise l’Inde «Mother India». Les vaches peuvent circuler librement dans les rues des villes et des villages et se nourrir aux étals des commerçants. La vache outre qu’elle nourrit grâce à son lait est un animal riche à cause de sa peau, riche à cause de son corps, de ses os et à cause de sa bouse. Rien n’était perdu autrefois. Si aujourd’hui, les hindous ne consomment pas sa viande, ils utilisent sa bouse pour parfois cuire la nourriture quand il n’y a pas de bois à ramasser suite à une sécheresse trop grande, pour en enduire les murs de leurs maisons dans les campagnes. Ce qui éloigne les insectes. Ils en fabriquent des tapis séchés pour recouvrir le sol de leur maison et chaque hindou qui pénètre dans une maison en enlevant ses chaussures foule aux pieds un espace sacré. Car la vache est un animal sacré. 24 »

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Photographie personnelle, Vache sacrée errant de manière autonome dans une rue en plein coeur de la ville, à Pushkar

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Commerce formel / informel La rue comporte à la fois des boutiques formelles et informelles, c’est-à-dire des espaces de vente installés dans des locaux permanents et d’autres s’improvisant une place au coin d’une rue, installés sur un trottoir, devant les sites touristiques et même devant les boutiques formelles. Ces installations précaires restent une des caractéristiques principales de la rue en Inde. L’opportunité de croiser des centaines de vendeurs ambulants participe pleinement au bouillonnement de la rue. Toutes sortes de marchandises sont proposées à la vente ; notamment en terme d’alimentation : des fruits aux légumes en passant par un ensemble de produits se grignotant « sur le pouce », entre les heures du repas. Les centaines de stands se remarquent par l’odeur et la fumée qui s’en dégagent. Des marchés couverts offrent également la possibilité de s’approvisionner en aliments frais, infestés toutefois par moments de mouches et insectes en tout genre. Les couleurs présentes sur place offrent un visuel d’ensemble magnifique et sont intensifiées par les odeurs qui se dégagent des aliments et des épices. La ville répartit les commerces par quartier selon les domaines. On se rend donc dans un certain quartier pour l’achat d’un pneu et dans un autre pour celui de pierres précieuses. On passe des échoppes de tissus – domaine des femmes – au quartier de la poterie et du cuivre, puis aux étals de fleurs, de légumes et de sucreries. On peut également pénétrer dans des rues où travaillent les teinturiers puis des sculpteurs. A Jaipur, l’organisation apparaît clairement : les grandes avenues sont occupées par les bazars permanents sous la galerie commerçante sur des kilomètres dans le centre historique. Devant cette même galerie s’installent des petits commerçants proposant les produits de leur chariot. On trouve ensuite, à l’arrière des grandes avenues, dans les petites rues étroites, des artisans en nombre travaillant dans de petits locaux ouverts sur la rue. Les discussions fusent entre commerçants et acheteurs. Celles-ci se font d’ailleurs en partie sur le peu de trottoirs existants, défoncés ou occupés par des commerçants ou des matériaux. Du fait de l’essor économique et de l’augmentation des classes moyennes, des centres commerciaux voient le jour. Ces espaces de consommation sont créés selon le modèle occidental et proposent un ensemble de magasins aux tenues européennes loin des saris traditionnels. Des fast-food ou encore des salles de sport y sont intégrés. Cela conditionne les Indiens à un style de vie copié de l’international, différent du style de vie traditionnel auxquels ils étaient habitués. C’est également l’accès à la pratique de loisirs. Remarquons qu’une part importante des habitants ne peut en aucun cas profiter de ces lieux destinés à une population possédant un minimum de richesses.

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Photographie du site web : www.insecula.com Vue de la galerie des bazars, à Jaipur

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III. ESPACE DE L’HABITAT

typologie et composition de l’habitat au Rajasthan


III. ESPACE DE L’HABITAT - typologie et composition de l’habitat 25

Dans « Villes Indiennes », Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 3983, p.52

a) TYPE D’HABITAT

Habitat insalubre Les habitats insalubres correspondent à ce que l’on dénomme bidonville, taudis ou encore « slum ». Leur place au sein du paysage urbain indien est ancrée. Le problème dans le fond correspond à un manque de logement social à bas coût. Mais la crise du logement touche une bonne majorité des habitats en Inde, le pays n’ayant que peu de logements standards confortables avec des services basiques (accès et approvisionnement en l’eau, équipement sanitaire, assainissement des eaux usées, électricité, ramassage des poubelles, etc.). La proportion de population vivant dans des slums reste indiscutablement un indicateur des mauvaises conditions de logement dans les villes indiennes. « Selon le recensement de 2001, 43 millions d’urbains vivent dans les slums (des villes de plus de 50 000 habitants), soit au minimum 15% de la population urbaine totale, et 23% de la population des villes affectées par ce type d’habitat. Cette proportion augmente dans les plus grandes métropoles : un quart dans les villes de plus d’un million d’habitants, un tiers dans la municipalité de Calcutta et plus de la moitié dans celle du grand Mumbai, qui s’illustre pour abriter « le plus grand bidonville d’Asie », Dharavi, avec une population estimée entre 500 000 et 1 million d’habitants. 25 » Dans chaque ville en Inde existent des slums qui abritent un pourcentage important de la population indienne. Qu’il s’agisse des mégalopoles telles que Delhi ou Mumbai ou des villes intermédiaires, la pauvreté peut se lire immédiatement dès l’arrivée dans les gares, avec des habitations précaires de tôle, de matériaux de récupération, de pneu, qui abritent grand nombre de citadins. Il est difficile de croire qu’autant de gens vivent dans une si grande précarité à proximité immédiate de la richesse indienne, des centres commerciaux, des hôtels de luxe, etc. L’on comprend aisément que les promoteurs souhaitent récupérer les terrains utilisés par les bidonvilles de manière illégale pour la plupart, en plein centre-ville de surcroît. Leurs localisations traduisent les stratégies d’implantation des nouveaux migrants pauvres à proximité des sources d’emplois : les espaces vacants dans les zones industrielles, près des chantiers de construction, sur des friches encore inexploitées qu’ils squattent. Les populations sont souvent menacées par l’éviction des lieux qu’ils occupent. Leur avenir reste incertain, la peur et la faim sont l’actualité de chaque jour. Ces installations fortuites sur des terrains vacants et non surveillés de l’espace urbain ou en bordure de l’espace bâti dans les périphéries ne les aident pas sur le plan d’une quelconque garantie vu la situation illégale dans laquelle ils se trouvent.

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Des lois et des procédures ont été votées et entreprises au fur et à mesure des années, mais les défenseurs des droits des pauvres et les environnementalistes sont moins nombreux que les investisseurs privés et les promoteurs qui ne jurent que par l’argent. Le logement d’une grande partie de la population constitue donc un des problèmes majeurs de la société indienne. Il n’est pas réglé actuellement, loin de là… Des politiques de réhabilitation des slums sont mises en œuvre, de sorte à construire en dur in situ et d’apporter les services minimum à ces endroits insalubres où la majorité des habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté. Cette solution est à considérer car le fait de ne pas délocaliser les gens leur permet de continuer à travailler à proximité de leur lieu de travail et du centre ville, pour les bidonvilles qui y sont situés. En effet, l’autre solution majoritairement pratiquée est la destruction des zones de slums, en particulier de celles qui sont situées au centre-ville ou à proximité. Le but est de reloger les pauvres au mieux dans des logements sociaux, ou de leur donner des parcelles avec du bâti dur basique en périphérie de la ville. Photographie d’un bidonville, dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 94

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Habitat traditionnel Photographie personnelle, Vue d’un haveli traditionnel, à Jaisalmer

Chaque région possède une architecture qui lui est singulière, liée au climat et aux matériaux de construction, présents localement si possible, mais aussi différente selon qu’il s’agisse du milieu rural ou urbain. L’architecture de l’habitat traitée dans ce mémoire portera sur celle de la région du Rajasthan. L’habitat traditionnel répond aux systèmes des castes par le principe d’opposition du « pur » et de l’« impur ». La conception de la maison est faite pour éviter que les éléments des deux catégories précédentes ne se rencontrent, qu’ils s’agissent du contact entre visiteur et habitant, ou bien même entre homme et femme. La cour centrale, autour de laquelle se tiennent les autres pièces de la maison, en témoigne directement : lieu de fête, de rencontres et d’évitements également. Vient compléter cet espace central, où il est possible de s’éviter facilement, un système d’entrées, de passages, de portes. Un brahmane peut utiliser une autre entrée que le livreur pour récupérer son bien, une femme une autre sortie que celle empruntée par un visiteur.

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Rentre en compte également le Vastu Shastra, origine du principe du « pur » et de l’ « impur ». Les préceptes qui en découlent organisent l’espace lors de l’établissement d’une maison. Même si les nouvelles générations y sont moins sensibles, cette tradition reste fortement ancrée dans l’ensemble de la population. Les exigences du Vastu interviennent pour un hindouiste dès lors qu’il y a utilisation du sol et de la construction de bâtiments. Elles définissent des dispositions favorables dans l’organisation de la vie domestique. Et l’on peut voir que ces croyances traditionnelles ne sont pas figées dans l’immobilisme et s’adaptent à la modernité et à l’apparition de nouveaux objets tels que la télévision, les emplacements automobiles, etc. Ainsi, réactualisées, elles font toujours partie intégrante de l’habitat indien.

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Rajasthan, Encyclopédie du Voyage, Editions Gallimard, 2011, p.86

Il existe deux principaux types de constructions, en dehors du bâti constitué de béton et de brique, d’intérêt secondaire dans cette étude. Tout d’abord, l’habitat rural peut être défini par une maison à base circulaire construite en terre avec un toit cônique en chaume. Le système d’évitement, dont il était question dans le paragraphe précédent, n’est pas présent à l’intérieur de la maison rurale, mais le principe est conservé à l’extérieur de celle-ci. Ce sont les maisons qui s’organisent en formant une place centrale aux multiples passages. Ensuite, l’habitat urbain, le haveli, « réponse magistrale à une forte densité urbaine, prototype de la maison de ville pour riches Rajasthanis. Ces endroits clos adaptés à l’aridité du climat donnent sur des ruelles sinueuses et ombragées jalonnées de commerces et de temples. L’homogénéité du matériau de construction assure une unité architecturale à la ville. 26 » Construites autour d’une cour intérieure sur deux ou trois niveaux, d’une taille plus ou moins importante, leur architecture est remarquable par les éléments décoratifs ainsi que les peintures murales, envisageables grâce à la richesse de leurs anciens propriétaires. Cependant, grand nombre de ces maisons sont actuellement abandonnées ou mal entretenues, faute de moyens. Malgré cette situation alarmante, des fonds privés permettent de préserver tant bien que mal ce patrimoine remarquable par la restauration. Habitées ou transformées en musée, des havelis ont retrouvé leur potentiel et leur charme, ce qui promeut cette architecture traditionnelle, plus spécifique à la région du Rajasthan. Les havelis sont remarquables par leur qualité architecturale, par l’inventivité de leurs dispositions spatiales et par l’ingéniosité de leurs systèmes constructifs. Il s’agit d’un habitat urbain riche et diversifié. Les maisons les plus modestes montrent également une perfection formelle. L’agrément dans l’utilisation des espaces et le plaisir d’habiter cette architecture vernaculaire, vécus de l’intérieur par ceux qui les ont construits font de ce type d’habitat un des plus intéressants de l’Inde. Cette architecture savante et populaire provient de la culture indo-moghole.

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Habitat moderne 27

L’Inde, côté des villes, Thierry Paquot, L’Harmattan, 2004, p.11

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 92

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Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 90

L’habitat indien actuel est représenté à la campagne par des maisons individuelles. La manière la plus répandue d’occuper le territoire rural dans les pays sud asiatiques se fait le plus souvent le long des voies principales entre villes, créant ainsi une sorte d’étalement horizontal continu qui s’étend à perte de vue. « (…) les villages ont tendance à s’étirer le long des axes routiers, ce qui donne parfois l’impression d’une urbanisation linéaire. 27 » Dans les villes dites « intermédiaires », on trouve majoritairement des appartements dans des immeubles de taille moyenne s’élevant sur deux ou trois niveaux, mais pouvant aussi aller jusqu’à six étages. Dans ces villes à échelle plus humaine, l’espace disponible ne suffit tout de même pas : maisons et boutiques se jouxtent les unes aux autres, empiétant petit à petit sur l’espace public. Les havelis font partie de ce paysage urbain et prennent place au milieu des diverses constructions des centres villes. Au sein des mégalopoles se sont construites des milliers de tours, se détachant du modèle d’habitat traditionnel indien. Le prix des loyers est très élevé dans des villes immenses telles que Mumbai, où chaque mètre carré est rentabilisé, pour des surfaces d’habitation minimes de surcroît… « (…) le prix au mètre carré dépasse les tarifs pratiqués à Paris, Londres ou Shangai… 28 ». La proximité des tours dernièrement construites, souvent situées en périphérie de la ville, engendre des situations d’ « entassement urbain », qui limite quasiment toute forme d’intimité. De plus, des problèmes de mise en œuvre et d’entretien sont situation courante dans les immeubles et tours destinés à la classe moyenne. Les douteux systèmes de canalisations et les multiples extensions et revirements de situation entrainent des fuites, des arrivées d’eaux usées dans les baignoires, des moisissures et autres désagréments au sein même des appartements. « Chaque année, les lumières de Mumbai attirent des centaines de milliers d’Indiens pleins d’espoir, venus en train ou en autocar, des jours durant, des vastes plaines du Deccan ou des contreforts de l’Himalaya, et qui s’aperçoivent en quelques heures qu’il est plus facile d’y décrocher un job qu’un endroit propre pour dormir. 29 » Les riches quant à eux vivent dans de grands immeubles luxueux, parfois à proximité des bidonvilles. De nombreux ghettos sécurisés voient le jour, créant des zones très disparates au sein de la ville avec des quartiers aux inégalités marquées. Les contrastes de richesse entre les individus se retrouvent immédiatement dans le type d’habitat. Le brassage de population existe, mais la cohabitation peut être aberrante vu la situation critique d’une grande part de la population. Malgré tout, Mumbai, capitale économique de l’Inde, attirant de nombreux migrants de toutes les régions par son haut niveau de vie, assure au niveau de l’habitat un brassage social et culturel intéressant, notamment quant au mélange des castes. D’ailleurs, la dernière génération revendique davantage le droit à un logement confortable en ville ou en périphérie, avec si besoin un rapprochement avec d’autres castes, plutôt que la nécessité de

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respecter à tout prix les frontières traditionnelles classiques entre elles. Elle commence à habiter les fameuses zones entre-deux « qui n’est déjà plus la campagne mais pas encore la ville : des immeubles, des hôtels, des maisons individuelles, le tout sans aucun plan d’urbanisme et vraisemblablement aucune autorisation de construire ! La ville s’étend sans gêne. Elle semble partout chez elle. De nouveaux territoires sont urbanisés dans une confusion sans nom et deviendront au fil des années, espérons-le, des lieux habités et non pas hantés, (…). 30 »

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L’Inde, côté des villes, Thierry Paquot, L’Harmattan, 2004, p.28

Photographie personnelle, Vue sur des tours d’immeubles modernes, à Jaipur

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b) ESPACE PRIVÉ - INTÉRIORITÉ DE L’HABITAT, LE HAVELI

Composition, Orientation Les havelis, omniprésents dans la région du Rajasthan, constituent comme on l’a dit précédemment le type d’habitat traditionnel au sein d’une des régions d’Inde les plus riches. Les forts, les palais, et la force de l’organisation et de la constitution du bâti de ces villes offrent un terrain d’étude de grande qualité. Cet habitat traditionnel présente des caractéristiques déterminées par des préceptes religieux. En effet, cet habitat se compose selon la représentation traditionnelle de Purusha, qui s’inscrit dans la figure d’un mandala carré divisé en cases, généralement en 9 * 9 m, ou 8 * 8 m. Les cases centrales sont vouées à Brahma, celles étant situées en périphérie à d’autres dieux, un dieu par case. Cela se complète par l’importance accordée à l’orientation du bâtiment et des pièces qui la composent. Ceci se retrouve directement dans la conception et l’organisation de la maison. La religion et les principes qui en découlent mettent en place un système strict à la base, par la suite adaptable selon les nouveaux besoins, tels que l’emplacement des garages automobiles, les objets modernes comme le poste de télévision, etc. Les prescriptions religieuses sont innombrables, créant un guide de construction auquel sont censés se tenir les habitants hindous. Sont indiqués par exemple l’emplacement et la direction d’un lit, le sens d’enroulement des escaliers pour descendre dans une direction précise ou encore le bon positionnement pour creuser un puits. Le Purusha est placé dans la case centrale de la maison, la tête en direction du nord-est. Ainsi, tout ce qui se trouve dans le coin nord-est de la maison est favorable, au contraire de ce qui est situé dans le coin opposé, au sud-ouest. Cela induit l’emplacement des pièces nobles vers le nord et l’est, et celui des zones de service comme la cuisine vers le sud et l’ouest. En façade également, les meilleures orientations sont le nord et l’est, puisque l’Inde se trouve dans l’hémisphère sud. L’orientation du bâtiment par rapport à la lumière est différente, ainsi que la prise en compte de la protection par rapport à la chaleur de ces pays atteignant en haute saison des températures proches des 50°C. Cependant l’intégration de ce type de bâti au sein d’un milieu urbain n’est pas forcément évidente dans la pratique réelle de la ville. En effet, le haveli demande une certaine orientation face aux exigences des préceptes religieux. La réalité est beaucoup plus nuancée car cela imposerait systématiquement un côté de rue fermé, un autre ouvert. Les principes sont donc mis en place et adaptés selon le contexte urbain.

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Photographie personnelle, Vue sur la cour d’un haveli, à Mandawa

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Site web : www.wikipédia/ Vastu.com Représentation du Vastu

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Le Vastu et la rigueur géométrique Tout d’abord, il s’agit de faire des distinctions entre les règles qui régissent les usages, la répartition des espaces et celles qui s’appliquent plus spécifiquement aux formes. On peut remarquer dans les plans des maisons traditionnelles du Rajasthan que le plan est toujours doublement symétrique selon les deux axes perpendiculaires passant par le centre de la cour centrale. Cela entraine une parfaite interchangeabilité de l’attribution fonctionnelle d’un côté à l’autre et permet aux maitres d’œuvre de construire plus aisément tout en respectant les règles du Vastu. Certaines ambiguités surviennent en ce qui concerne les exigences du Vastu, comme par exemple l’orientation des pièces. Ces règles doivent en effet définir clairement si l’orientation des pièces se fait selon les façades extérieures du haveli ou selon celles situées à l’intérieur de la cour. La lumière rentre davantage côté sud que côté nord. Ce qui compte finalement est la direction générale de la pièce et non celle de ses ouvertures. La règle du Vastu selon laquelle la case centrale sur le tracé du mandala est dédiée à Brahma et doit par conséquent rester vide influe sur la typologie du logement avec une cour intérieure systématiquement en position centrale au cœur de la maison. On retrouve cependant ce type d’habitation dans des maisons musulmanes, ou autres. D’autres déterminants tels que le climat entrent également en jeu et n’ont pas uniquement un rapport avec les préceptes religieux. De plus, on voit actuellement une évolution de la manière de concevoir le logement moderne avec des typologies se rapprochant de l’habitat occidental, et s’éloignant petit à petit des traditions et des fondements clés du Vastu, avec par exemple le pavillon en fond de parcelle. C’est au niveau de la conception géométrique stricte et organisée à partir de la base du carré qu’il est possible de reconnaître le plan d’un haveli traditionnel. L’attachement à la symétrie, aux axes et aux oppositions claires entre nord - sud, est - ouest tient l’ensemble générateur du principe même de cette typologie d’habitat. Bien évidemment la réalité urbaine montre des exemples qui s’adaptent à leur contexte, s’éloignant parfois du modèle d’origine, mais les principes généraux restent présents. Ainsi, certains Haveli possèdent un plan rectangulaire en plein centre ville, mais encore une fois, cela répond directement aux contraintes parcellaires, laissant de côté à nouveau les fondements religieux. Ainsi, on peut affirmer que l’idéal dans le tracé d’un plan doit se tenir au carré ; celui de la cour intérieure également. Pour des maisons situées sur des parcelles étroites, se développant davantage en longueur, la cour jouxte directement les murs mitoyens dans le but de conserver la forme du carré, figure la plus parfaite.

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Dans Rajasthan - Gujarat, Agra - Dehli – Fatehpur sikri, Guides bleus, Editions Hachette Tourisme, 2010, p. 244

Les haveli, tout un art de vivre

« Opulentes et spacieuses demeures parfaitement adaptées à la forte densité urbaine, les haveli furent pour la plupart bâties au XVIIIe siècle ou au début du XIXe siècle, avant que leurs propriétaires - souvent de riches négociants marwaris poussés par d’impérieuses nécessités économiques, ne soient contraints de quitter leurs régions natales et d’émigrer dans les grandes villes pour s’y reconvertir dans le commerce du textile. Massives et parcimonieusement ouvertes sur l’extérieur, les haveli, de par leur agencement interne, étaient parfaitement adaptées aux usages sociaux comme aux impératifs familiaux de l’époque et respectaient la séparation de rigueur entre hommes et femmes. A l’intérieur, les pièces d’habitation se répartissaient généralement autour de deux cours distinctes. La porte d’entrée donnait sur une première cour bordée de deux salles ouvertes, lesquelles constituaient le mardana, la partie de l’habitation réservée aux hommes, en particulier au maître de maison, qui y recevait ses hôtes et y traitait les affaires. La seconde cour, souvent dérobée aux regards indiscrets par une chicane, ouvrait quant à elle sur l’espace dévolu aux femmes; au rez-de-chaussée se trouvaient les pièces fonctionnelles et au premier étage les chambres d’habitation, pièces sommairement meublées et se prêtant à une décoration abondante. 31 »

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Photographie personnelle, Vue d’un plafond d’une haveli, à Jaipur

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Photographie personnelle, Vue sur l’avant-cour d’un haveli, à Jaipur

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La cour Le Rajasthan est une des régions les plus peuplées. Le tissu urbain des villes est par conséquent très dense. Cela entraine quasi systématiquement une emprise au sol totale des parcelles en cœur de ville. La typologie des maisons à cour est une des plus répandues. On comprend très vite le rôle fondamental de la cour, élément permettant à la fois la respiration de la maison et élément extérieur offrant la possibilité de répondre à certains usages. Seules quelques maisons possèdent des jardins en fond de parcelle, mais cela reste un luxe en centre ville. La cour constitue l’élément fondateur de l’organisation de l’espace architectural et de la vie domestique. Ce composant dépasse le rôle d’espace de dégagement, d’aération et d’éclairage, classique dans les typologies occidentales par exemple. Ce lieu devient un véritable espace de vie, un des plus vivants de la maison, utilisé et habité. Cela est dû notamment au fait que la cour est un espace distributif à part entière, un lieu de passage obligé pour passer d’un bout à l’autre de la maison ; ce qui est rendu possible notamment par rapport au climat. Mais la maison à cour peut posséder plusieurs cours, deux ou trois, même dans des habitations modestes. Situées en enfilade, leurs fonctions sont respectivement différentes. Elles ont des attributions spécifiques aux besoins de la maison, correspondant directement à l’emplacement des pièces et à l’usage qui leur est destiné. Assez naturellement, la multiplicité des cours peut séparer spatialement les espaces plus nobles de l’habitation des espaces de service. Dans les villes indiennes, une seule entrée permet d’accéder au logement, ce qui n’influe pas sur une éventuelle répartition des entrées spécifiques aux femmes et aux hommes, ou à des entrées nobles et de service. Dans notre cas, tout le monde utilise la même entrée, cependant les espaces du zenana, partie réservée aux femmes, se situent plus au fond de la parcelle tandis que les espaces dédiés aux activités des hommes, ceux du mardana, se trouvent devant. La maison est parcourue selon l’enfilade des cours, qui temporise le lieu et participe à répartir les usages et les indépendances entre les usagers. Il existe une sorte de hiérarchie assez franche entre les cours. Dans la plupart des cas, la maison possède deux cours : l’avant-cour, très peu formalisée, qui annonce et séquence l’espace, se dévoile comme un espace résiduel, confirmant son rôle secondaire. C’est dans la géométrie du plan que l’on comprend davantage les statuts des cours : si le plan est carré, à géométrie parfaite, c’est que l’on se situe dans la partie noble, généralement en lien direct avec la seconde cour ; les coins résiduels et l’imparfaite géométrie en plan indiquent une situation d’avantcour.

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La façon de pénétrer depuis la rue à l’intérieur de l’habitat se fait par l’intermédiaire de la cour. Selon le nombre de cours présentes au sein du haveli, on entre différemment : si la maison possède une cour unique, on entre systématiquement en chicane par le biais d’un mur sur rue, le javab, qui établit une séparation visuelle et spatiale entre l’espace public de la rue et l’intériorité privée de la cour ; si la maison possède plusieurs cours, on entre directement de la rue dans l’avant-cour, ce sont alors les autres cours qui sont accessibles par des systèmes de chicanes intégrées dans l’habitat. Photographie personnelle, Vue plongeante sur la cour d’un haveli, à Jaisalmer

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Photographie personnelle, Vue sur l’enfilade des cours d’un haveli, à Jaipur

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Photographie personnelle, Vue sur l’avant-cour d’un haveli, à Jaipur

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Le mot chowk signifie en hindi le carrefour, la place ou la cour. Cela entraine certaines confusions sur le sens du mot, largement défini. Le chowk constitue un espace particulier fort dans l’ensemble global de la maison. Il possède des statuts variant significativement, allant même de la notion de privé à public à l’intérieur même de l’habitat. C’est-à-dire que l’avant-cour est dans la réalité et dans la pratique quotidienne un espace quasi public, ouvert sur rue, réservé uniquement aux hommes, même si les femmes y passent pour rentrer dans la maison. Les activités marchandes qui s’y déroulent constituent une extension de l’espace public, ce qui l’agrandit indiscutablement. Cette cour peut remplir des fonctions très diverses, accueillir des bureaux, des commerces ou encore des ateliers d’artisans qui s’installent autour de ce lieu transitoire. Cependant, pour les maisons à cour unique, on a pu observer que cette cour n’est pas accessible visuellement et spatialement directement depuis la rue. Son statut est privé, dédié aux usages de l’habitation, de l’ordre du domestique. La manière d’utiliser ces cours a un lien étroit avec les saisons chaudes et froides. En effet, selon le climat et la période de l’année, les pratiques domestiques liées à l’habitation s’adaptent. Elles se font davantage à l’étage durant la période hivernale, et au contraire au rez-de-chaussée dans et autour de la cour en période chaude. De nos jours, la cour sert également à entreposer des scooters ou autres objets mécaniques, réduisant de manière plus ou moins considérable la place dédiée traditionnellement aux usages domestiques. On peut donc comprendre l’espace de la cour davantage comme un espace distributif. Cette observation se rapporte plus aux maisons à cour unique qu’aux maisons à plusieurs cours qui offrent davantage de place et donc une multiplicité des usages. La densité des milieux urbains du Rajasthan entraine à la fois une emprise au sol quasi totale de la parcelle, à l’exception de l’espace des cours, et une verticalité des constructions avec un développé des niveaux sur quatre ou cinq étages. La cour forme alors un puits de lumière vertical. La hiérarchie des cours se retrouve également dans les étages : plus on monte, plus l’on accède aux parties les plus privées de l’habitation.

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La façade 32

JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 110

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JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 112

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Idem

L’importance des cours comme lieux distributifs, comme lieux de vie, intériorise l’habitat sur lui-même, ce qui engendre un rapport moins direct avec la rue. De plus, les murs extérieurs sont pour la plupart mitoyens à ceux d’autres haveli. C’est la façade sur rue, celle où se situe l’entrée de l’avant-cour qui présente le plus d’ouvertures vers l’extérieur. Il est possible néanmoins d’observer sur les autres façades des ouvertures en parties hautes, ainsi que des saillies telles que les moucharabieh. Dans ce cas précis, le rapport à la rue est unilatéral, du logement vers l’espace public. Il n’y a pas de dialogue direct de l’espace domestique avec l’espace public. Cela traduit des mœurs et une manière de concevoir l’habitat de l’intérieur comme quelque chose de très privé, de personnel. La question de la place de la femme et de la vie de la famille a d’ailleurs un lien étroit avec cette distanciation frappante. Il en résulte une sobriété dans le traitement de l’enveloppe extérieure. Cependant, les façades ouvertes et mises en avant sur l’espace public montrent dans leur dessin une volonté accrue de représentation donnant à voir la richesse de la famille. Ordonnancement de la façade, qualité des percements et des matériaux mis en œuvre, etc. Trois éléments architecturaux caractérisent les façades du Rajasthan. Il s’agit tout d’abord des jharokha, qui sont « des volumes en encorbellement, formant des oriels individualisés ou en bande continue venant en surplomb de la rue et toujours disposés en symétrie par rapport à l’entrée. Ils constituent un des principaux signes d’identification de l’architecture indo-moghole. 32 » Élements constitutifs de la façade, les jharokha établissent l’interface principale de la maison avec la rue. Leur insertion en façade sert également à donner plus de surface aux étages supérieurs et à créer un espace ombragé en rez-de-chaussée sur rue. Ensuite, le mukh ou le pol, constitue le deuxième élément marquant en façade. Il correspond au porche d’entrée et se situe toujours en saillie sur la façade de la maison. « Ces porches présentent un dessin à la fois riche et stéréotypé. Ils sont invariablement surmontés par une voûte bengali qui s’ouvre par une arcature polylobée de style moghol. Ils sont creusés latéralement par deux niches-sièges censés abriter, de chaque côté, les dvara palas (gardiens de la porte). 33 » Le tout, orné de nombreux éléments décoratifs sculptés et peints, est protégé de la mousson par une corniche formant une saillie oblique et incisive. Enfin, le chabutra vient compléter la façade. « Sorte de podium longeant l’élévation de la maison sur rue. Il constitue un devant de porte surélevé où les habitants viennent s’asseoir pour observer la rue, être en contact et discuter avec les passants. 34 »

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Photographie personnelle, Vue sur la cour d’un haveli, à Jaisalmer

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Shémas du nombre de travées par rapport à la cour, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 121

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Le plan tramé La composition classique de la maison à cour dans des villes d’Inde du Nord est singulière et spécifique avec un dessin unique suivant notamment la culture du Vastu. En effet, cette typologie d’habitat se développe en partant d’un bloc unitaire, ensuite subdivisé régulièrement selon une trame régulière qui se retrouve en façade. De cette trame est soustrait un vide central correspondant à la cour. Tous les espaces de la maison, intérieurs comme extérieurs, sont intégrés à ce bloc unitaire et s’organisent ensuite autour de la cour. Les diverses parties de la maison sont obtenues non pas par addition des espaces mais par division et subdivision selon une trame. L’espace de la cour apparaît comme un volume parallélépipédique en creux venant évider le bloc massif de la maison. Les haveli possèdent donc un plan tramé. Les lignes parallèles et perpendiculaires qui traversent le plan définissent l’implantation des parois extérieures et des refends. Cela donne des effets d’alignement élégants en façade, ainsi que des correspondances d’une extrémité à l’autre de la construction. Cet art de construire et la qualité d’exécution montre un savoir-faire remarquable des anciens maîtres d’œuvre, ainsi qu’un haut niveau de culture géométrique. La trame est obtenue par un certain nombre de travées, dans le sens de la profondeur de la parcelle et dans le sens perpendiculaire. C’est le nombre de travées qui différencie un type de maison d’un autre. On remarque que c’est autour de la cour, élément fondateur du plan, que viennent se greffer dans ce bloc unitaire de base une, deux travées de part et d’autre de la cour, toujours disposées de manière symétrique par rapport à la cour. Le nombre de travées définit la proportion globale du haveli. Il peut varier selon le nombre de cours, se développer symétriquement mais avec la possibilité d’avoir une trame de chaque côté de la cour sur la longueur de la parcelle et deux trames sur sa largeur. Cela dépend notamment de la surface et des limites parcellaires. Le nombre d’assemblage est restreint, car très strict dans son développement. On compte en tout quatre systèmes de découpage qui, combinés à la présence d’une cour ou de cours multiples, donnent huit possibilités. Cette déclinaison typologique est extrêmement répétitive. Selon le contexte cependant, apparaissent quelques exceptions qui participent à assouplir cette rigidité, à la fois séduisante par son homogénéité d’ensemble dans la ville. Ces exceptions gagnent notamment en épaisseur sur la longueur ou la largeur suivant l’implantation du haveli. Il faut remarquer également que les jharokha ne s’intègrent jamais à l’intérieur de la trame et constituent des éléments venant s’ajouter en façade, comme si le besoin de sortir de cette trame devenait nécessaire à certains moments. Tel est le cas également pour les coursives qui s’ajoutent à l’intérieur de la trame courante sur le pourtour de la cour. Ces éléments figurent comme des épaisseurs supplémentaires.

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Les travées sont peu larges pour la plupart des maisons modestes. Cela a pour conséquence de séquencer la maison en de multiples espaces, aux qualités diverses et variées. La présence de murs, de refends, de colonnettes, etc., participe à créer cette sensation de passages, de traversées d’un espace à autre, qui permet dans le cas de ces maisons à cour de donner à chaque espace sa raison d’être et une véritable appropriation du lieu. La cour, même si elle peut être de petite dimension, ressort davantage en réaction à l’étroitesse des pièces qui l’entourent. Malgré le fait qu’il n’y est que peu de trames différentes et malgré la répétition qui semble se lire dans les plans, on remarque qu’il existe des possibilités multiples dans la façon de traiter la travée. On comptabilise trois types de travées différentes. Tout d’abord, la travée peut être close et couverte, constituant la pièce de vie classique, portant le nom de kamra que l’on peut traduire par « chambre », c’est-à-dire pièce à vivre et chambre à coucher à la fois. Cet espace permet une appropriation multifonctionnelle, accessible par une ou trois portes depuis la cour. Si l’on souhaite agrandir la pièce, on utilise deux travées en profondeur. Cette pièce peut accueillir des affectations ainsi que des appellations différentes : le baithak pour le salon, le mahal pour la pièce de réception, souvent située en façade sur rue. Ce qui rend identifiable la fonction d’une pièce par rapport à une autre concerne l’ornementation qui exprime l’importance de la pièce à l’intérieur de la maison. Ce n’est en aucun cas l’espace architectural, qui est identique. Ensuite, la travée peut être couverte mais ouverte latéralement d’un seul côté, pour former un portique couvert, le tibara. S’ouvrant sur la cour, au travers d’arcades de style moghol, venant elles-mêmes s’appuyer sur des colonnettes renflées, ornées de feuilles de lotus. Cet espace est assez profond par rapport à une galerie puisqu’il occupe l’espace d’une travée. Cette « pièce extérieure » est un lieu de vie à part entière, non un simple lieu de circulation. Abrité à la fois du soleil, cet espace possède également la qualité d’être aéré. Enfin, la travée peut être close mais découverte. Elle correspond à une sorte de cour à ciel ouvert, suspendue et située en étage. Cet espace, le chandni, s’inscrit parfaitement dans la trame. C’est simplement une pièce dont le plafond aurait été enlevé. Il peut occuper une ou plusieurs travées selon les besoins de la maison. Cet espace ne peut être confondu avec une terrasse qui présente beaucoup moins d’intimité. Il peut être placé à différents niveaux selon le nombre d’étage aussi, sa particularité étant d’être à ciel ouvert. Il peut y avoir plusieurs chandni au sein d’une même maison, à des étages différents. On vient profiter de ce lieu au clair de lune, y dormir à la belle étoile. D’ailleurs, le chandni possède tous les équipements habituels d’une pièce à vivre classique tels que des niches pour ranger divers objets, d’emplacements pour l’éclairage, de jharokha pour venir s’asseoir ou s’allonger près de la façade. Le chandni fonctionne comme une cour, sa particularité réside dans le fait qu’il est situé en étage. Il ne fait qu’évider le plan au fur et à mesure que l’on monte dans la maison. Son emplacement dans le

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Extrait d’un tableau typologique effectué sur la base de vingt-sept exemples, dans JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 151

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plan du haveli est toujours récurrent : sur un des côtés de la cour en position médiane, jamais dans les angles de la construction. Sa position axiale, souvent au fond de la cour par rapport à l’entrée démontre à nouveau l’importance liée à la hiérarchie allant du public au plus privé, de la rue au fond de la parcelle. Le chandni possède aussi un rôle très important dans la composition de la maison. En effet, cette pièce couverte mais ouverte peut établir un entre-deux entre la cour et les pièces situées sur la cour. Si les pièces ne sont plus desservies par la cour, mais par un chandni situé perpendiculairement à la cour, cela permet de desservir trois pièces et non plus une seule. Les pièces s’ouvrent alors sur le chandni, de manière frontale par rapport à la cour. Cette technique savante permet une multiplicité de compositions et la démultiplication du nombre de corps de bâtiments desservis. Le rapport à la construction entre également en compte : les points durs se situent dans les cases des angles de la maison, plombant parfaitement les uns sur les autres, assurant le contreventement et la stabilité du bâtiment. Ces pièces sont fermées et accueillent les kamra. Les parties centrales du bâtiment ont le potentiel constructivement d’être plus ouvertes et plus légères. On y trouve les pièces ouvertes telles que les tibara, ou bien les chandni. Ainsi, au sein de cette trame, des espaces architecturaux prennent place en affirmant l’intelligence de ce système rigoureux suivant une trame régulière mais laissant libre cours à des dispositions variables. Ces espaces sont en effet interchangeables à l’intérieur même de la trame. Des combinaisons variées en découlent, jouant du lien extrêmement fort qui existe avec la cour. Étonnamment, c’est certainement la rigidité de la trame qui permet ces jeux d’ouverture et de fermeture et produit finalement une variété de situations spatiales ainsi qu’une richesse de parcours. Cela donne un ensemble harmonieux au niveau urbain, qui répond aux besoins spécifiques d’une famille et crée des haveli aux spécificités apparentes et singulières. De plus, la richesse spatiale n’est pas visible entièrement depuis la cour, au premier regard porté. En effet, le volume global paraît simple, sans difficultés à priori pour le déchiffrer. Pourtant, c’est en montant dans les étages que l’on commence la déambulation à travers une complexité spatiale pleine de surprises. Il est possible de découvrir durant le parcours d’un haveli une enfilade architecturale qui traverse toute l’épaisseur du bâtiment, ceci par un jeu de transparence particulièrement raffiné : grand arc, triple arcature, petites ouvertures, jusqu’à l’espace public. Visuellement, l’effet scénographique est encore renforcé par l’alternance franche entre l’ombre et la lumière sur les divers plans consécutifs. De même, il est possible de découvrir soudainement un chandni, dissimulé puis offert au regard et à la pratique. Cet ensemble qui paraît très clair, dès le premier coup d’œil, cache son jeu. Il se dévoile au fur et à mesure qu’on le parcourt. C’est du haut du haveli qu’il est le plus évident d’en comprendre le fonctionnement général. On peut

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alors lire facilement rapports et liaisons entre les espaces, non explicites visuellement à l’arrivée. Les circulations semblent être conçues de sorte à déconcerter, voire désorienter le visiteur. L’usager peut tantôt se sentir surveillé de toute part à certains endroits, tantôt se trouver dans une position de supériorité qui permet de contrôler l’ensemble de la maison au niveau du dernier étage. Cas courant aujourd’hui, plusieurs locataires occupent un même haveli. Ils savent alors profiter au mieux de cette subtile stratégie spatiale. Le parcours ascensionnel amène finalement aux terrasses situées au dernier niveau. Durant la saison chaude, les étages inférieurs sont utilisés à bon escient contre les fortes températures. Cependant, dès qu’il est possible en terme de chaleur de profiter des terrasses, les habitants ne s’en privent pas. Ce lieu est agréable pendant l’hiver ainsi que lors des nuits où la chaleur redescend enfin. Elles permettent à l’habitant du haveli une variété d’activités : les femmes viennent s’y détendre, y font sécher le linge, etc. On trouve comme dans un chandni des niches créant des espaces de rangement, ainsi que des équipements les faisant fonctionner comme de véritables pièces à vivre. Les terrasses ne sont généralement pas pourvues d’ornements et de décors mais présentent la construction à l’état brut, en opposition avec le reste de la maison. On remarque une attention à l’égard des garde-corps, formés de minces plaques de grès verticales, rythmant la longueur du bâtiment en partie haute. Il est visible qu’il existe une différence de traitement entre les espaces conventionnels et parfaitement réglés des étages inférieurs et des terrasses. On sent que l’usage est d’ordre privé, suivant la hiérarchie ascendante de la maison. Espace extérieur également, le but n’est pas de montrer sa richesse, mais bien de se tenir dans un espace à usage domestique et privé. Le « mobilier » a été pensé de sorte à être parfaitement intégré dans le but de faciliter l’usage du lieu, ainsi des sièges fixes en maçonnerie occupent les angles des balustrades ou sont placés le long de l’escalier offrant ainsi une position de belvédère. On comprend que leur positionnement a été pensé de sorte à pouvoir contempler la ville, ou bien à surveiller les passants plus bas dans la rue. Le rapport visuel établi à travers les jeux de transparence et l’assemblage des volumes traduit l’importance donnée aux vues et aux écrans entre les habitants au sein même de la maison, mais également entre les habitants et l’extérieur du haveli.

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Le mode constructif 35

JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 153

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JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, Paris : Thalia édition, 2007, p. 154

« La construction des haveli combine deux types de mise en œuvre : une construction lourde formant la trame principale de la maison et une construction légère venant s’accrocher dessus. 35 » La construction lourde est composée de murs porteurs de cinquante centimètres en maçonnerie, constitués de moellons de grès, de schiste ou parfois de calcaire, noyés dans le mortier. Un enduit lisse badigeonné par exemple en rose, recouvre systématiquement les parois sur la surface extérieure. Cette construction lourde n’est que peu visible car elle est masquée par les éléments légers de construction. Elle est davantage visible en terrasse en partie à l’arrière du bâtiment. Le mur porteur prend un tout autre aspect à l’intérieur des pièces. En effet, son épaisseur permet de ménager plusieurs évidements, utilisés sous forme de niches pour d’éventuels rangements. On retrouve cette particularité fonctionnelle dans la cuisine notamment. Ces appréciations visuelles qui donnent une certaine modénature au mur et donc à la pièce s’intègrent parfaitement avec le mode de vie traditionnel sans mobilier. La construction légère vient se greffer sur la construction lourde, donnant un aspect aérien à l’ensemble de la haveli. Il s’agit par exemple des jharokha, accrochées en porte-à-faux au-dessus de l’espace public. Ces boîtes légères sont en réalité des « minces plaques de grès monolithes, épaisses d’une douzaine de centimètres, dressées à la verticale et percées de petites ouvertures. Le plancher est constitué, lui aussi, par des dalles de grès posées parallèlement à la façade sur de vigoureuses consoles qui soutiennent l’ensemble. Le tout est couronné par un chajja en forte saillie, formé par l’accolement de fines dalles de schiste encastrées en biais sous l’acrotère. 36 » L’ensemble du jharokha est toujours sculpté, décoré, et comporte à l’intérieur comme à l’extérieur, une modénature raffinée traitée en creux. La multiplicité des micro percements accroche le moindre rayon lumineux. Un des aspects marquants de la culture indienne est de se protéger du regard d’autrui, ce qui vaut notamment pour les femmes, observant sans être vues des passants depuis le jharokha. Quelques matelas sont disposés dans ce petit espace confiné offrant une position des plus agréables pour se reposer ou discuter. L’art de vivre des Indiens se retrouve entre autres dans ce genre de dispositif. Apportant tout d’abord une lumière douce à l’intérieur de la pièce, le jharokha possède également des minuscules ouvertures en hauteur qui, lorsqu’elles sont ouvertes, permettent l’aération ainsi que la ventilation à l’intérieur. Ainsi, les percements jouent un rôle pour la vue, pour l’éclairage et pour la ventilation. Cet élément léger est conçu de manière purement symétrique, par des séries rythmées se répétant ou variant, le tout dans une harmonie d’ensemble. De l’espace public, on remarque cet élément subtil et sophistiqué, qui masque à la fois l’intérieur du haveli et son découpage rationnel, tout en enrichissant la façade extérieure.

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Photographie personnelle, Vue sur une cour avec des jharoka en façade (structures légères), à Jodhpur

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Site web : guyomeditheninde.blogspot.com, Photographie des coursives d’une cour d’un haveli

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D’autres systèmes légers proposent des alternatives au jharokha. Il existe en effet des éléments semblables à ces derniers, mais totalement ajourés par des jali, se transformant ainsi en moucharabieh. La ventilation profite davantage aux pièces à vivre. De lourds stores peuvent occulter la pièce si besoin. Les coursives, dénommées vedi, sont également situées en porte-faux sur de fortes consoles, côté cour, greffées sur les façades internes du haveli. Elles peuvent être considérées comme le pendant interne des jharokha, sans fermeture. Le garde-corps qui les accompagne est composé de plaques verticales de grès monolithes. On peut constater l’homogénéité des matériaux servant à la construction de la maison traditionnelle. Ce sont comme on l’a dit les multiples ornementations ainsi que la composition spatiale qui participent à donner une singularité à chaque haveli. La minceur des garde-corps s’accompagne de renforcements dans les angles pour apporter une certaine stabilité à l’ensemble, bien que cet élément soit de type léger. On peut remarquer des personnalisations réalisées sur les coursives par l’ajout notamment d’écrans partiels qui ont pour but premier de diminuer la visibilité entre les circulations. Les haveli sont actuellement, pour la plupart, divisées et louées par leur propriétaire. Ce n’est plus une seule grande famille qui l’habite, ce qui entraine davantage de problèmes liés à l’intimité des usagers. Ces ajouts, pouvant être considérés comme une seconde façade interne, permettent cette distance entre habitants. Les écrans, travaillés sur la totalité du linéaire de garde-corps, sont de plus en plus hauts lorsque l’on se rapproche du rez-de-chaussée. Il est certainement préférable d’habiter alors dans les derniers étages pour être privé le moins possible de la lumière naturelle. Le degré d’intimité compte beaucoup dans cette culture, mais est pensé à l’origine pour que ce soit une seule et même famille qui vive ensemble au sein du haveli, et non différents locataires. Des solutions sont donc apportées pour répondre à ces nouveaux besoins sociétaux. Des portiques d’une finesse exquise prennent position sur le pourtour de certaines coursives. Construits en pierre et non en bois comme on pourrait le croire au premier regard, leur rôle est de créer un voile permettant à nouveau de retrouver de l’intimité. Ils créent un effet graphique intéressant sur cette nouvelle façade interne avec un jeu d’ouvertures plus ou moins grandes sur le pan des garde-corps. Ces ossatures tendues sont ensuite enduites avec de l’araish. Ils servent de support à des tentures ou à des stores, pour protéger également du soleil. Le portique est donc occultable et permet par conséquent de s’ajuster aux besoins du quotidien, de la saison. Ainsi, les éléments constituant la construction légère sont à la fois facilement modifiables, et permettent une véritable appropriation des espaces. Ces parties légères, mises en avant de la structure porteuse, en porte-à-faux côté rue et côté cour, constituent des sortes de façades rideaux, une double peau au bâtiment dur, et offrent au logement une extension de qualité.

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Dimension et échelle des maisons Les observations et les analyses précédemment réalisées montrent à quel point la cour constitue l’élément majeur d’un haveli. Le plan, qui suit une trame très régulière, possède pourtant un ensemble surprenant de combinaisons et d’assemblages des volumes entre eux. Ouverts, fermés, couverts, à ciel ouvert, tout autant de possibilités d’usage qui font de cette typologie d’habitat une véritable démonstration savante. À cela peut être rapporté l’intelligence du système de greffe des éléments légers sur la structure dure, créant ainsi des extensions remarquables dans la pratique de l’usage et répondant aux mœurs des Indiens. Cependant, on a pu observer également que la trame qui se dessine sur le bloc unitaire de base, lui-même évidé de la cour en partie centrale, ne permet pas d’obtenir des travées très larges. Ceci dépend bien sûr de la dimension de la cour. La plupart des maisons sont de taille modeste, leur cour est par conséquent de taille réduite, parfois minuscule, alors que l’on connaît aujourd’hui l’importance de cet élément, à l’origine des connexions à travers le bâtiment. Or, pour des grandes haveli, on peut faire le constat que la largeur des travées ne varie pas tellement. Cela est rendu possible par l’agrandissement naturel de la cour, qui influe sur la largeur des travées. Malgré tout, pour une question de descente des charges, les portées ne peuvent être que de peu conséquentes. On agrandit les pièces dans la profondeur et par l’ajout des jharokha sur l’extérieur de la maison et des coursives en façade interne. Par ailleurs, le dimensionnement de certains éléments architecturaux peut surprendre un visiteur non coutumier de la manière de vivre des Indiens. En effet, les dimensions des portes, des garde-corps - 60 cm tout au plus –, des fenêtres qui paraissent davantage basses et petites, participent à déstabiliser un Occidental. Elles sont calculées par rapport à un individu assis ou allongé dans un jharokha ou sur la coursive. Les détails tels que les petits percements carrés situés dans les garde-corps sont pensés par rapport à des questions visuelles puisque l’on considère les dimensions en fonction de la position assise ou allongée. La largeur des coursives, des entrées dans les pièces, accompagnée de la présence des seuils à toutes les portes, participent à minimiser la vitesse des déplacements et l’importance des circulations. Ceci profite aux espaces servis où règne une quiétude. La mise en place de ces éléments confère la volonté de base de donner la sensation à l’espace d’être statique ; logique complètement à l’inverse de la fluidité et de la dynamique qui existe en Occident. Ceci se révèle profitable à l’habitation au climat serein et calme en opposition avec l’agitation débordante et omniprésente en journée de la rue.

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La similarité de composition entre les maisons montre une régularité dans la manière de concevoir et de construire l’habitat, quelque soit la taille de la maison. La trame régulière associée à un nombre restreint de systèmes entraine une ressemblance frappante, même entre des haveli de tailles variées. Il s’agit finalement d’un agrandissement ou inversement proportionnel à un modèle de base. Les règles ainsi que les enjeux culturels sont les mêmes. Cette cohésion d’ensemble se lit par cet assemblage de modèles quasi identiques. On remarque d’ailleurs que la question de l’échelle, du dimensionnement et de la proportion se retrouve dans les éléments architecturaux tels que la hauteur des arcades, des portes, des fenêtres, etc. qui deviennent plus hautes à mesure que le haveli s’agrandit. Les portes peuvent en effet passer d’1,6 m de haut à 2,2 m. Seul élément qui ne s’accroit pas proportionnellement, la profondeur de travée. L’agrandissement d’une pièce s’effectue par l’utilisation de deux travées au lieu d’une seule. Ce même rapport de proportion se retrouve au niveau de la cour. Les cours carrées subissent invariablement ce système d’agrandissement. Cette élasticité des dimensions se remarque davantage dans les maisons de taille réduite. La réduction dimensionnelle qui s’y observe est frappante. Tous les composants architecturaux se retrouvent réduits simultanément, ce qui produit un effet de miniaturisation. Ceci peut s’expliquer par l’attachement au tracé d’une géométrie parfaite plus qu’à une juste proportion des dimensions. La dimension humaine n’est pas forcément respectée. Ce n’est d’ailleurs pas ce point qui obtient le plus d’importance dans cette forme d’idéalisme architectural.

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IV. CONFRONTATION AVEC LA MANIÈRE de vivre en Occident


Photographie personnelle, Vue sur le Taj Mahal depuis le fort rouge, à Agra

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IV. CONFRONTATION AVEC LA MANIÈRE DE VIVRE EN OCCIDENT

Approche conceptuelle Le but premier de cette étude est d’aborder sous différents aspects – la ville, l’espace public et l’espace de l’habitat - la manière d’habiter en Inde, et particulièrement dans la région du Rajasthan. L’observation faite sur le terrain durant mon voyage et l’analyse effectuée ensuite par la rédaction de ce mémoire m’ont permis d’approfondir sur plusieurs mois ce qui caractérise et compose la vie quotidienne des Indiens. La suite de cette réflexion consiste à établir un bilan de ces aspects et de le mettre en confrontation avec la manière de vivre en Occident, différente certes sur les plans historique, économique, social et culturel. L’idée est, par le biais de cette expérience indienne, de tirer des conclusions pouvant influencer, dans les années à venir, ma manière de concevoir l’architecture en Occident. L’objectif n’est évidemment pas de faire un copier-coller des observations quant à la manière de vivre en Inde et de les reporter en Occident, mais d’essayer de tirer quelque chose de cette analyse qui est le fruit d’une approche sensible par rapport à un contexte et à une population qui m’a touchée dans la façon de vivre ensemble. C’est donc certains points étudiés qui peuvent par la suite donner lieu à voir et à concevoir un lieu, un espace, d’une manière un peu différente. Je chercherai donc à mettre en lien des éléments qui composent la vie quotidienne en Orient comme en Occident, qui créent le vivre ensemble, qui rassemblent les gens autour d’une même cause. Malgré les disparités entre nos cultures respectives, le sujet abordé dans cette étude est l’homme et la manière qu’il a d’habiter l’espace de la rue et de la maison avec l’autre. Comment s’organise l’espace vécu ? Quels enjeux urbains et sociaux existe-il au sein du contexte de la ville, apparemment vouée à l’échange et à la rencontre ? Pour établir une suite logique aux thèmes abordés dans cette étude, je vais m’intéresser aux liens qui peuvent exister entre Orient et Occident à la fois dans le domaine public, mais également dans le domaine privé.

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a) DOMAINE PUBLIC

Valorisation de l’espace public et de l’usager La vitalité criante qui compose l’espace public indien tel qu’il est donne l’envie de parvenir à créer des lieux en Occident et par exemple en France, dans nos villes, où peut régner cette même émulation, sous une forme certainement différente. On peut en effet constater que les rues et ruelles en Inde sont très denses, au niveau du nombre de citadins au mètre carré, de la présence de multiples petits commerces, d’activités, de la présence d’animaux. Cela apporte de la vie et des interactions permanentes entre les citoyens. Tous les espaces sont occupés, de manière diverse selon la nature de l’espace. On peut souhaiter que la conception des espaces publics soit pensée pour éviter de créer uniquement des lieux de transit au sein de la ville mais également des lieux « immobiles », où l’usager prend conscience de l’espace, des citadins et du potentiel d’appropriation des espaces de la ville. L’espace urbain indien ne se présente pas comme un espace où l’individualisme est roi, mais au contraire comme un espace collectif où les gens vivent véritablement ensemble. Certains espaces sont en effet des lieux de transit, mais la majorité des espaces présentent un caractère social où les échanges sont continus. Pour cela, il s’agit de repenser la ville à l’échelle humaine avec des éléments de réponse simples mais qui offrent la possibilité de dialogue entre les gens. La mise en avant de l’échelle du quartier est bien entendu un des enjeux urbains principaux. Ce qui permet une appropriation du lieu où l’on habite, où l’on travaille va de pair avec la vie de quartier. Et celle-ci peut s’avérer très épanouissante et vivifiante dès lors qu’ il y a participation à cette identité commune qui fonde l’essence et la singularité d’un lieu. Le sentiment d’appartenir à un espace urbain est lié à la sensibilisation au contexte environnant. L’échelle de la ville est bien entendu à prendre en considération même si on pense dans un premier temps aux questions de déplacement, de flux extérieur/intérieur et vice-versa, dans le but de mettre en place un fonctionnement urbain de qualité. En dehors de la question de la mobilité donc, rentrent en compte également à cette échelle des solutions pour rendre la ville plus riche en terme d’attractivité et d’intérêts qui rassemblent les gens.

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Photographie personnelle, Vue sur la Clock Tower et la place du marché, à Jodhpur

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Place du commerce dans la société On a pu voir dans un des chapitres précédents l’importance du petit commerce dans la vie collective au sein de la ville en Inde. L’ouverture des boutiques sur rue, les multiples commerces informels, le travail des artisans dans les ruelles participent à la démarche collective qui crée à la fois de l’échange, du dynamisme et une valorisation des commerçants et des artisans. La place du commerce constitue un élément fondamental dans la vie de quartier. Avec le développement des zones commerciales dans les périphéries du centre, l’individualisme s’est renforcé. Ce système de vente n’offre pas l’aspect authentique, proche que l’on peut avoir avec les petits commerçants. L’échange entre commerçants et clients et entre clients diminue au profit d’une société où la consommation prime sur les rapports entre les hommes. Le rapport de voisinage et donc l’intérêt porté à l’autre se perd actuellement au profit de l’avoir et de la possession matérielle. Ce système commercial n’offre pas non plus la même qualité. Il est vital de repenser la manière de consommer. On a pu voir que des centres commerciaux modernes apparaissent en masse en Inde du fait de l’essor économique du pays. Cependant, les grandes chaines telles que Carrefour ou Auchan ne correspondent pas au mode de consommation des Indiens. En effet la réalité est bien plus « heureuse » : dans les familles riches par exemple, ce sont les employés de maison qui vont faire les courses ; en aucun cas ces femmes n’iraient dans un centre commercial où les habitudes sont différentes de celles de la rue où l’on négocie avec le commerçant, où l’on peut toucher, sentir une épice ou un autre type de produit. Bien que cette attitude soit liée à une culture différente de la nôtre, on aime à penser qu’il serait bon pour les Occidents de revenir à des habitudes de consommation plus respectueuses de l’environnement, avec des produits locaux, et un échange retrouvé avec le commerçant. Le commerce de proximité constitue un élément de réponse. Un concept intéressant a vu le jour depuis quelques années également : il s’agit de l’achat de produits frais directement auprès de l’agriculteur chaque semaine. L‘idée est simple, réduire les acteurs de la chaine de consommation qui va de la production aux grossistes, à la grande distribution, et enfin au client. Les coûts sont ainsi réduits et les aliments, de meilleure qualité, suivent le cours des saisons. Cela permet également de développer l’éducation des enfants qui, pour certains, ne sont plus capables de reconnaître une courgette d’un chou-fleur. Les jardins dits « ouvriers » apportent un autre type de solution qui réunit des gens autour d’un projet collectif et censé. On peut produire soi-même son potager et son jardin, avec la possibilité d’un contact avec les autres « jardiniers » ou même décider de créer un jardin commun. Fruits d’un travail collectif, de très joyeux repas peuvent ensuite avoir lieu !

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Place aux événements ! La création d’événements permet d’apporter aux citadins, en dehors de leurs heures de travail et de la routine de la vie quotidienne, quelque chose qui rassemble. Cela incite notamment à se sentir intégré au sein d’un même contexte urbain. Le fait que l’événement soit organisé par la ville ou par des associations de quartier engage une confiance et une appréciation positive de l’environnement urbain. En Inde, les gens se retrouvent autour de la religion et partagent ensemble tout le long de l’année des fêtes religieuses. Ces moments permettent de rassembler toutes les castes. C’est le lieu de prédilection en terme de mixité sociale. En Occident, ce n’est plus la religion qui rassemble. Cependant des événements culturels, associatifs, sportifs, se sont développés au sein des villes, permettant de lier à la fois festivités et implication du citoyen. En effet, certains événements organisés favorisent la réflexion, sur des sujets de société notamment, mais également le développement de la créativité de chacun. Je pense par exemple à la journée PARKIN’G DAY où l’on interroge la place de la voiture dans la ville en y apportant une alternative écologique ou simplement récréative. Sont organisés par la municipalité également des concerts et festivités en tout genre qui réunissent à nouveau les gens. Il s’agit par exemple de la Fête de la Soupe, à Nancy, qui consiste à réaliser une soupe originale, goûtée par les gens sur place et donnant lieu à un petit concours pour récompenser la meilleure soupe. Tout le monde est invité à y participer, ce qui permet de rencontrer de nouvelles personnes, d’horizons variés. L’exemple des concerts organisés par la ville de Paris durant l’été pour ceux qui ne partent pas en vacances et pour tous les intéressés permet d’apporter de la convivialité au sein du quartier, parfois un peu endormi durant la période de l’été. Les gens viennent pique-niquer, boire quelques bières, se détendre, et ont la possibilité de rencontrer de nouvelles personnes. Cet enjeu de sociabilité est primordial à mettre en place et à entretenir pour faire de notre ville un bouillonnement de vie et d’échanges.

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b) DOMAINE PRIVÉ

Habitat Suite à l’analyse effectuée précédemment sur la question de l’habitat, on peut constater que le modèle d’habitat traditionnel indien est introverti pour répondre à des besoins d’intimité, d’autonomie, d’indépendance par rapport à l’espace public. Cela correspond également à une culture où des solutions architecturales permettent de donner l’intimité ordonnée à une femme. Ce qui est intéressant dans la manière dont est conçu ce type d’habitat, c’est le contraste entre l’émulation de l’espace public et la forme de repli de l’habitat. Cela fonctionne assez bien puisque si l’on peut le résumer ainsi, la rue propose un cadre à la fois vivant et fatiguant, et la maison un espace de tranquillité, centré sur la famille. La manière dont sont conçus actuellement les ZAC en France et les éco-quartiers démontre par certaines intentions l’envie de créer du bâti dense en milieu urbain, en combinant mixité programmatique et sociale et en donnant la possibilité de s’approprier collectivement ou individuellement les espaces du projet. Le lien qui peut être établi avec le modèle indien est le suivant : prendre véritablement en compte la question de la nature des espaces pour leur donner un sens en terme d’espace vécu en harmonie avec les autres ou au contraire une appropriation individuelle, permettant de trouver sa place dans la ville. L’étude effectuée précédemment sur le fonctionnement d’un îlot traditionnel indien montre le potentiel d’exploitation des espaces semi-public, semi-privé du cœur d’îlot. On constate qu’il est peut être utilisé par du bétail, par de petits entrepôts, par des puits ou encore par la présence d’un temple. Cet espace est appropriable par l’habitant de cet îlot qui bénéficie d’un espace supplémentaire par rapport à son logement. Cela renforce le sentiment d’appartenance à un territoire, à un quartier, à un îlot. La qualification des espaces habités et partagés offre un potentiel d’intégration dans la ville et influe sur la participation de l’habitant. La mise à disposition et l’utilisation d’espaces communs offre également la possibilité de créer des rencontres de voisinage et donc un apport social non négligeable. La contribution au développement d’une vie de quartier implique la présence d’équipements collectifs, d’une animation socio-culturelle et du soutien aux initiatives individuelles et associatives.

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Partage d’activités en collectivité L’Inde est synonyme de collectivité. Elle lui est rattachée par les interactions entre habitants. L’ « autre », l’inconnu n’a pas de sens dans cette civilisation pourtant hiérarchisée par le système des castes. Les habitants partagent un espace qu’ils exploitent ensemble. En Occident aussi il existe des activités qui réunissent les gens et ce, également dans le domaine privé. Il est évident que la réalisation d’un projet en commun par plusieurs habitants renforce les liens entre ces personnes et nourrit la vie quotidienne du lieu. L’auto-construction et les chantiers partagés constituent de nouvelles manières de penser et de construire l’espace habité. L’association et la participation du plus grand nombre d’acteurs à la conception et à la mise en œuvre d’un projet entre dans une démarche participative. De même, depuis quelques années l’apparition de « jardins partagés » développe un esprit participatif quant à l’élaboration d’un projet dans sa ville, mais également un esprit citoyen, familial, de voisinage, et favorise les rencontres intergénérationnelles. Ce nouveau rapport dans l’espace de la ville incite à l’expérience collective. L’épanouissement personnel se fait à travers le collectif, à travers le partage d’un espace, d’un projet, d’activités, d’une récolte, etc. L’habitant est alors un acteur de la société à part entière par ces contributions qui allient plaisir et implication.

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CONCLUSION


Photographie personnelle, Vue sur le temple d’un petit lac, à Jaisalmer

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CONCLUSION Cette étude sur la manière de vivre en Inde abordant différents thèmes tels que le développement des villes actuelles, l’espace public, l’espace de l’habitat, m’a permis d’avoir une approche générale du fonctionnement des villes et de leurs habitants. Le sujet a été choisi en réaction à la découverte de ce pays qui m’a touché. J’ai pu constater en Inde la permanence des échanges humains alors que le combat pour la vie y est bien différent de celui vécu en Occident. C’est à la question du relationnel que j’ai souhaité m’intéresser. J’ai pu ainsi découvrir l’espace dans lequel les Indiens vivaient et les raisons des connivences entre les habitants d’un même lieu. Le voyage génère une pensée, une réflexion sur une manière de vivre différente de celle que l’on connaît en Occident. Cela permet tout d’abord une ouverture d’esprit, mais également de prendre du recul par rapport à sa propre façon de fonctionner. L’expérience des visites, des découvertes et des rencontres enrichit le voyage et permet de comprendre de près, par le biais de témoignages spontanés, ce qui fait la singularité d’un lieu, d’une ville, d’un pays. De plus, le regard de l’architecte offre une certaine capacité technique d’observation par rapport à un lieu. Cependant, l’observation faite lors du voyage peut être complétée d’une analyse donnant l’occasion de l’approfondir et d’en tirer un bilan plus conséquent. C’est ce que j’ai tenté de réaliser dans cette recherche. La lecture de documents, d’ouvrages de réflexion, de romans constitue également l’une des clés de l’enrichissement de la réflexion. Dans le cas de ce mémoire, les ouvrages abordaient malheureusement souvent les mêmes thèmes comme le système des castes, l’essor économique de l’Inde, etc. Cela m’intéressait bien entendu pour comprendre la situation de ce pays marqué à la fois par un fort développement économique et par le désir de conserver des traditions ancestrales. Cependant, mon sujet concernait principalement l’espace de la ville, étudié à différentes échelles et l’espace de l’habitat. Le nombre d’ouvrages traitant de ces domaines était plus limité. J’ai trouvé cette recherche intéressante parce qu’elle m’a permis de comprendre en profondeur les relations qui régissent le système urbain indien. Les étapes successives du voyage et de l’analyse m’ont laissé le temps de réflexion nécessaire pour la maturation des idées et sujets abordés. Cette aventure a débuté en effet il y a plus d’un an. Il m’a fallu ce temps pour développer ce mémoire. Le résultat correspond dans l’ensemble à l’idée que je me faisais de l’Inde et de ses habitants. Par ailleurs, l’exemple de l’Inde est à double tranchant. L’étude réalisée sur les centres anciens et l’habitat traditionnel mais également sur le développement des villes et sur la manière actuelle de construire le bâti ne montre pas que des signes positifs. Quelles directives feront l’Inde de demain ? Va-t-elle réussir à conserver sa force en terme de relations humaines et de principes constitutifs de la culture indienne ou au contraire se précipiter dans un gouffre par les décisions prises quant à la manière de concevoir le bâti ?

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ANNEXES BIBLIOGRAPHIE REMERCIEMENTS


ANNEXES Dans « spécial Inde 85 pages », L’EXPRESS, MAKARIAN Christian, 2012, n°32073208, p. 50-160, p. 84-85

1,3 MILLIARDS d’HABITANTS

67,15

(2e rang mondial)

UN GÉANT

EN

MARCHE ANNÉES D’ESPÉRANCE DE VIE

68,3 ans pour les FEMMES et 66 ans pour les HOMMES 9,8 % de chômeurs

63 % ALPHABÉTISÉS en 2006 7,43 décès par an pour 1000 habitants (116e rang mondial)

20,6

naissances par an pour 1000 habitants (86e rang mondial)

2,58 ENFANTS par femme (82e rang mondial)

30,2 %

de moins de 15 ANS

5 % de plus de 65 ans

29,8 % de PAUVRES

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Source internet Photographie provenant de «The Renegade Art Gallery», Petite fille devant un palais sur l’eau, à Udaipur

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Poésie

Le sourire de l’Inde N’allez point le chercher dans l’atmosphère feutrée des hôtels luxueux Des palais des puissants, ou dans le cœur branché des métropoles. Prenez plutôt les chemins sinueux des campagnes, à l’ombre des villages Sur les visages des faibles et des pauvres, Dans la poussière immémoriale du travail recommencé.

La dignité de l’Inde N’est pas de celle qui s’exprime en déférences et conformités En volutes respectueuses des usages et de la tradition. Elle est dans le regard simple et droit des infirmes et des mendiants Dans les mélopées des aveugles, le long des trottoirs sous les abris de fortune, Éclaire de sa présence le quotidien âpre des cités bidonville.

La richesse de l’Inde N’est pas celle qu’empilent les nababs dans le secret des palais Ne découle ni de quelque manne boursière, ou de juteux capitaux. Elle s’écoule en flot continu dans les jeux et les rires des enfants Dans leur énergie débridée et leur insatiable curiosité, Par le trou de leurs rêves brisés, leurs petites intelligences minées.

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Revue de Poésie, d’Art et de Réflexion, de Silvaine Arabo

La force de l’Inde Ne se manifeste pas en fierté militaire et défilés de grandeur Elle n’a besoin ni de politiques belliqueuses, d’idéaux malfaisants. Elle gît dans les mains et les têtes des petits travailleurs et artisans Dans leur savoir-faire ancestral, à la source de leur inépuisable talent, En inventivité, débrouillardise, et autres recyclages ingénieux.

La beauté de l’Inde N’a pas pour unique domicile les salons des musées, les façades des temples Ne s’exprime pas seulement dans l’art des musiciens, des danseurs, des yogis. Elle est partout présente, dans le son d’une cloche, la lumière d’un matin Là où on ne l’attend pas, un ravissement de l’instant, Elle est la trame invisible où se nouent les choses, les êtres, les événements.

La souffrance de l’Inde Sachez la tutoyer tout en la respectant, car elle est un miroir pour l’humanité Ne l’enfermez pas dans un carcan de sentiments, de vertus, de jugements. Elle vient se briser en vagues tumultueuses sur des rivages inexplorés Et ce sont étrangement par quelque énigme magnifique et troublante Ceux qui la subissent le plus qui savent préserver mieux... ~ Le sourire de l’Inde.

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Photographie personnelle, Vue sur l’étal de fleurs d’un commerçant, à Jodhpur

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BIBLIOGRAPHIE / OUVRAGE • LUCAN Jacques, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, de la collection « Etude et perspectives », Editions de la Villette, 2012 • BORIE Alain, CATALAA Françoise, PAPILLAULT Rémi, JAIPUR, ville nouvelle du XVIIIe siècle au Rajasthan, Paris : Thalia édition, 2007 • Thierry Paquot, L’Inde, côté villes, L’Harmattan, 2004 • Falko Brenner, 100 villes du monde, voyagez au cœur des métropoles de notre planète, Editions Parragon, 2010 • Pascal Grellety Bosviel, Trip indien, De l’Inde des hippies à la création de MSF, Editions Elytis, 2012 • Olivia Aubriot, Frédéric Landy, Le Gange, miroir social, Editions La Dispute, Tout autour de l’eau, 2011 • Olivier Föllmi, Hommage à l’Inde, Editions de la Martinière, 2011 • Jean-Claude Perrier, Dans les comptoirs de l’Inde, Collection Genua, Editions Imperiali Tartaro, 2013 • Janine et Gilbert Leroy, Rajasthan, richesse de l’Inde, Collection Anako, Editions Pages du Monde, 2012 • Olivier Guillard, Géopolitique de l’Inde, le rêve brisé de l’unité, Collection MAJOR, puf, 2012 • Mira Kamdar, PLANET INDIA, l’ascension turbulente d’un géant démocratique, ACTES SUD questions de société, 2007 • Brigitte Tison, Comprendre la culture hindoue, Chronique sociale, 2005 • Charles Malamoud, Féminité de la parole, études sur l’Inde ancienne, Sciences des religiones, Editions Albin Michel, 2005

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/ OUVRAGE • Clémentin-Ojha, Dictionnaire de l’Inde, Larousse, 2009 • Pascale Haag, Blandine Ripert, L’Inde, Idées reçues, Editions Le Cavalier Bleu, 2009 • Sunil Khilnani, L’Idée de L’INDE, fayard, 2005 • Pavan K. Varma, LE DÉFI INDIEN, pourquoi le XXIe siècle sera le siècle de l’Inde, ACTES SUD, 2005 • Pavan K. Varma, La classe moyenne en Inde, naissance d’une nouvelle caste, ACTES SUD questions de société, 2007 • Pavan K. Varma, Devenir indien, la révolution inachevée de la culture et de l’identité, ACTES SUD questions de société, 2010 • Pauline Garaude, Inde, Histoire Société Culture, Editions La Découverte, 2013 • Photographies : Laurence Mouton et Sergio Ramazzotti, Textes : Catherine Bourzat, Inde, Editions Chêne, 2012 • Photographies : Melba Levick, Aux couleurs de l’Inde, Traditions, artisanat, vie quotidienne, Editions Aubanel, 2008

/ REVUE • MAKARIAN Christian, spécial Inde 85 pages, L’EXPRESS, 2012, n°3207-3208, p. 50-160 • Villes Indiennes Revue URBANISME, juillet-août 2007, n°355, p. 39-83

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/ ROMAN • CHERIAN Anne, Une bonne épouse indienne, Paris : Folio, 2008 • Pier Paolo Pasolini, L’odeur de l’Inde, Collection Folio, Editions Denoël, 1984 • Sonia Faleiro, Bombay, Baby, Editions Canongate Books Ltd, 2010

/ MÉMOIRE, TPFE • AUBERTIN Christophe, Urbanités émergentes, bidonvilles et alternatives, TPFE ENSAN, octobre 2006 • DENIZART Marion, La rue indienne, ENSAN, 2012

/ GUIDE TOURISTIQUE • Inde du Nord, Rajasthan, Carnet de Voyage, Editions le Petit Futé, 2011 • Rajasthan, Dehli et Agra, Le Guide Vert, Editions Michelin, 2011 • Rajasthan - Gujarat, Agra - Dehli – Fatehpur sikri, Guides bleus, Editions Hachette Tourisme, 2010 • Rajasthan, Encyclopédie du Voyage, Editions Gallimard, 2011 • Inde, bibliothèque du voyageur, Editions Gallimard, 2011

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REMERCIEMENTS Je souhaite remercier les personnes qui ont contribuées à l’élaboration de ce mémoire par des discussions, des échanges d’idées, etc. Cela m’a en effet permit de prendre du recul, de me recentrer sur certains points ou au contraire de découvrir de nouvelles pistes au fur et à mesure des mois. Ce sujet m’est réellement précieux et complète mon voyage de cinq semaines en Inde, réalisé en août 2012. Je remercie bien sûr les « voyageurs » pour leurs récits si riches. Il expriment chacun à leur manière cette sensation commune de liberté, de vie et de sensibilité par rapport à cet environnement captivant qu’est l’Inde. Un grand merci donc à Gaël Claude, qui a été au passage un très bon compagnon de voyage, Marion Denizart et Charlène Bouilly qui nous ont notamment accueillis à Jaipur au début de notre périple, Aurélie Mamelle, Charlotte de Romémont et Guillaume Cecchin. Je remercie très sincèrement Christophe Aubertin, qui m’a tout d’abord consacré du temps. Son témoignage m’a permis d’établir le lien entre voyage, expérience, analyse et observation des expériences et travaux possibles in situ de l’architecte. Celui-ci a un véritable rôle à jouer dans des pays émergents tels que l’Inde. Leur développement économique, leur pleine croissance, mêlés à la grande pauvreté nécessite la présence et le soutien des architectes pour le devenir des villes et des populations. Je le remercie de surcroît pour les ouvrages qu’il m’a prêté et qui m’ont été fort utiles dans l’approfondissement et le développement de mes recherches. Enfin, je remercie Karine Thilleul, ma maître de mémoire, pour le temps et l’énergie qu’elle a consacré au suivi de mon mémoire au long de l’année. Elle nous a en effet donné un cours en début d’année pour connaître les bases concernant le mémoire : démarche, recherche documentaire, élaboration de la problématique, bibliographie, etc. Ses conseils lors des réunions personnelles, mais aussi lors des réunions en groupe ont été précieux.

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Photographie personnelle, Vue sur une rue passante, à Pushkar

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EN CONCLUSION Ce travail d’observation et d’analyse sur la manière de vivre en Inde, abordant plusieurs thèmes tels que le développement actuel des villes, l’espace public et l’espace de l’habitat m’a permis d’avoir une approche générale du fonctionnement des villes et de leurs habitants. Le voyage amène à une pensée, à une réflexion sur la manière de vivre, différente de celle que l’on connaît en Occident. Cela permet une ouverture d’esprit, mais également de prendre du recul sur sa propre façon de fonctionner. On apprend des autres, on apprend par la différence. Le regard de l’architecte apporte aussi une lecture critique et technique des lieux.

L’OUVERTURE… Cette étude tente de montrer les limites rencontrées actuellement en Inde dans le développement des villes par rapport au système urbain traditionnel : Suite à l’analyse réalisée, on peut se demander ce que sera l’Inde de demain ? L’évolution actuelle démontre déjà des failles profondes et un bouleversement des codes traditionnels. Quelles en seront les conséquences ? Va-t-elle réussir à conserver sa force en terme de relations humaines et de principes constitutifs de la culture indienne ? Au contraire, se précipite-elle dans un gouffre par les décisions prises quant à la manière de concevoir le bâti ?


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