Les enjeux de l'utilisation du web dans l'éducation aux médias

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UNIVERSITÉ CERGY-PONTOISE DÉPARTEMENT DE GÉOGRAPHIE

Les enjeux de l'utilisation du web dans l'éducation aux médias. Van Tichelen Clémentine Mémoire du Master « Développement culturel et valorisation des patrimoines »

2014 - 2015 Sous la direction de : Luc Marcenac Membres du jury : Luc Marcenac et Maria Basile

(Soutenu le : 25 septembre 2015 )


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Table des matières I/ Définition des termes du sujet.................................................................................................5 II/ Problématique choisie et hypothèses......................................................................................8 III/ Méthodologie adoptée...........................................................................................................8 IV/ Choix adoptés pour le développement du travail de recherche............................................9 I/ Les projections d'images à l'origine de l'éducation par les médias (fin 19e - début 20e)......11 II/ De l'éducation par les médias à l'éducation aux médias avec la massification des écrans (après 1945).........................................................................................................................................17 III/ Le web nous amène-t-il à une « école numérique » qui englobe l'éducation aux médias ? (fin du 20e siècle)............................................................................................................................24 I/ Il favorise l'apprentissage individuel par une approche ludique............................................32 II/ Il est accessible.....................................................................................................................38 III/ Il favorise le développement du cerveau.............................................................................44 I/ Elle conduit à un manque de médiation.................................................................................51 II/ Elle restreint les droits des individus....................................................................................57 III/ Elle favorise les risques liés aux écrans..............................................................................63 I/ Ouvrages................................................................................................................................72 II/ Sites web..............................................................................................................................72 III/ Entretiens et colloques........................................................................................................73

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Remerciements Je tiens à remercier tout d'abord mes membres du jury, que sont Luc Marcenac et Maria Basile, pour leur aide et leur soutien lors de la rédaction de ce mémoire. Je tiens à remercier également ma maître d'apprentissage, Emmanuelle Baumgartner, qui m'a accompagnée dans la réalisation de mes missions, ainsi que l'équipe du service de communication interne. Je tiens à remercier toutes celles et ceux qui m'ont donné de leur temps pour faire avancer ma recherche à savoir : Amel Cogard, Xavier Lemarchand, Sophie Bachmann et François Quinton. Je tiens enfin à remercier Marion Troubat, Constance Bonpain et Chloé Benitah pour la relecture de ce mémoire.

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Introduction I/ Définition des termes du sujet Dans le cadre de mon apprentissage à l'Institut national de l'audiovisuel (Ina) je travaille en tant que chargée de communication interne sur les aspects éditorial et technique de l'intranet. J'utilise le web tous les jours, que ce soit pour poster des articles que j’agrémente de photos ou pour gérer nos espaces collaboratifs d'entreprise. J'ai donc logiquement choisi de concentrer la réflexion autour de mon mémoire sur une thématique qui est liée. Au départ, je m'étais intéressée au projet de plateforme culturelle qui devait être lancé sous la présidence d'Agnès Saal. Ce projet avait pour but de numériser et de valoriser des contenus audiovisuels issus de grandes institutions culturelles françaises (visites d'expositions, captations vidéos de spectacles...). Avec les bouleversements que nous avons connu à l'Ina suite aux révélations publiques des malversations de la présidente, le projet de plateforme culturelle fut abandonné. Je me suis donc très vite mise en quête d'un nouveau sujet qui pourrait m'intéresser. Ne travaillant pas directement sur des sujets culturels j'ai décidé de prospecter auprès du service de l'action culturelle et éducative de l'Ina pour savoir les projets qui étaient menés. Celui des fresques interactives développées en interne m'a tout de suite plu. Ces fresques sont des objets multimédia mis en ligne sur des sites et disponibles gratuitement. Elles utilisent des archives audiovisuelles issues des fonds Ina. Ces archives sont éditorialisées selon des thématiques spécifiques : l'apprentissage par l'audiovisuel, le spectacle vivant, l'histoire des territoires miniers... Ces fresques ont un double intérêt : premièrement celui de permettre l'acquisition de connaissances de manière ludique et deuxièmement celui de rendre accessible au plus grand nombre des contenus audiovisuels. Je me suis très vite penchée sur la fresque intitulée « Jalons » qui présente des contenus recontextualisés selon les programmes scolaires. J'ai trouvé intéressant de réfléchir à comment le web pouvait être utilisé en tant que ressource éducative. Par ailleurs, nous vivons aujourd'hui dans une société guidée à la fois par l'image et par le numérique. En effet, depuis plus de vingt ans notre pratique du numérique a évolué. Alors qu'à sa naissance dans les années 1970 le média internet n'était réservé qu'à une élite, désormais un quart des ménages français a au moins deux ordinateurs à son domicile. De plus, un tiers d'entre eux

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utilise quotidiennement internet à des fins personnelles1. Internet est donc devenu un loisir, et est utile pour tous, français de tous âges et de toutes origines sociales. Nous sommes donc entrés dans ce que Hervé Le Crosnier appelle « la culture du numérique » qui change non seulement notre manière d'être puisque le lien entre les individus est renforcé, mais qui renforce également nos possibilités créatives2. De plus, nous évoluons actuellement dans une société débordée voire saturée d'images, que nous recevons tous les jours sans plus savoir quoi en faire. Il y a des images partout et pour tout : sur les arrêts de bus, dans les journaux, sur nos écrans d'ordinateurs et nos télévisions, des images publicitaires, des images d'actualité, des images personnelles, des images artistiques... Ces images nous attirent, nous dérangent, nous posent question, nous font rire, et même parfois pleurer. Ce ne sont que des images mais elles peuvent être puissantes ou violentes. Très récemment, la photographie du petit enfant Syrien Aylan retrouvé mort sur la côte turque a fait coulé beaucoup d'encre. Cette photographie est non seulement troublante, choquante et morbide, mais elle est également le symbole de notre temps. Elle montre à quel point nous pouvons être impuissants face à certains problèmes comme l'immigration qui devient de plus en plus massive en Europe. Elle prouve également que nous n'avons pas su gérer la crise syrienne qui dure depuis maintenant plus de quatre ans. Toujours est-il que de nombreuses voix se sont élevées pour que nous puissions enfin réagir. Comme par exemple le quotidien The Independent qui choisit de publier la photographie avec cette formule choc : « Si ces images incroyablement fortes du corps d’un enfant syrien échoué sur une plage ne changent pas l’attitude de l’Europe vis-à-vis des réfugiés, qu’est-ce qu’il faudra de plus ? »3. Nous imaginons donc bien que cette image ne peut être reçue telle quelle par les enfants. Olivier Gosselin, rédacteur en chef de « Mon Quotidien » journal dédié aux 9-12 ans nous dit en effet qu'il est très difficile de montrer cette photographie sans expliquer le contexte de la guerre en Syrie et de la crise des migrants qui en découle. Par exemple dans le journal la rédaction a décidé de publier la photo avec un message d'alerte destiné aux parents. Cette image est d'ailleurs mise en perspective avec celle du policier turc prenant l'enfant dans ses bras pour ne pas rester sur un message trop négatif4. La société de l'image appelle une chose : celle de l'éducation à l'image. Les enfants ne peuvent pas recevoir certaines images sans leur contexte puisqu'ils ne les comprendraient pas. J'ai donc décidé 1 Donnat Olivier, Les pratiques culturelles des Français à l'ére numérique : enquête 2008, Paris : Ministère de la culture et de la communication : la Découverte, 2009 2 Cinémathèque Française, Rencontres Culture et numérique : Education à l'image, aux médias et au numérique, Paris, 8 et 9 juin 2015 3 http://www.telerama.fr/medias/il-faut-montrer-la-photo-de-l-enfant-syrien-noye,130952.php 4 http://www.francetvinfo.fr/monde/europe/migrants/photo-du-petit-aylan-comment-en-parler-a-vosenfants_1069557.html

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de m'attarder sur le questionnement de l'utilisation du web dans l'éducation à l'image. Pour préciser mon sujet, il me faut tout d'abord définir plusieurs notions. Premièrement, les notions liées au numérique. Le « numérique » en informatique se dit « de la représentation d'informations ou de grandeurs physiques au moyen de caractères, tels que des chiffres, ou au moyen de signaux à valeurs discrètes » ou « des systèmes, dispositifs ou procédés employant ce mode de représentation discrète, par opposition à analogique »5. Pour que des contenus soient mis en ligne sur le réseau informatique mondial internet, ils doivent être numérisés. La numérisation d'un contenu est définie dans l'ouvrage L'enfant et les écrans comme « le processus de transformation d'une information en donnée numérique »6. Ces informations ne peuvent être lues que par des outils spécifiques que sont les ordinateurs, les écrans vidéo et désormais les smartphones et tablettes. Deuxièmement, qu'est-ce que « l'éducation à l'image » ? C'est une notion qui est à la frontière de l'éducation artistique et culturelle et de l'éducation aux médias et à l'information. L'image peut être entendue au sens large mais j'ai choisi de ne traiter dans mon sujet que les images photographiques et vidéographiques. Éduquer aux images c'est apprendre à les lire et à les décrypter. Éduquer aux images c'est apprendre à prendre du recul vis à vis d'elle, à les analyser et à les comprendre. C'est par exemple comprendre que les informations vidéo diffusées dans les médias ne sont pas objectives, ou qu'il faut restituer le contexte spatial et temporel dans lequel des photographies ont été prises pour connaître leur signification. La notion « d'éducation aux médias » est quant à elle définie par Cary Balzagette, Evelyne Bevort et Josiane Savino comme : « une pratique et un processus éducatifs destinés à permettre aux membres d'une collectivité de participer de façon créative et critique (au niveau de la production, de la distribution, et de la présentation) à l'utilisation des médias technologiques et traditionnels, afin de développer et libérer les individus et la collectivité et de démocratiser la communication »7. Le sujet de mon mémoire s'intéressera à l'utilisation de sites web tels que Jalons dans l'éducation aux médias et à l'information. J'ai en effet choisi de ne pas prendre le côté éducation artistique et culture de l'éducation à l'image car les enjeux ne sont pas les mêmes. De plus, l'Ina est un Institut qui travaille pour le compte des médias et n'a pas de liens avec l'art. L'éducation ici est entendue au sens d'apprentissage. Elle concerne plus particulièrement les enfants car ce sont eux qui sont les plus à même d'apprendre mais concerne également les adultes. 5 Définitions du Larousse 6 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 7 Cary Balzagette, Evelyne Bevort, Josiane Savino, L'éducation aux médias dans le monde : nouvelles orientations, Paris : BFI-Clemi-Unesco, 1992

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II/ Problématique choisie et hypothèses Pour mon mémoire j'ai donc choisi de répondre à la problématique suivante : Quels sont les enjeux de l'utilisation du web dans la mise en œuvre de projets d'éducation aux médias et à l'information ? Au vu du contexte actuel, mes hypothèses sont les suivantes : la première est que le web est un média qui est plus développé que les autres car nous entendons souvent parler de la « révolution numérique ». La deuxième est que le web est un média qui renforce l'attention et la motivation des élèves pour apprendre. Il favorise en effet une approche ludique et certains enfants peuvent avoir l'impression de jouer en apprenant. Ma troisième hypothèse est qu'il existe cependant des risques à utiliser trop le web dans l'éducation des enfants. Je pense par exemple au fait que les enfants peuvent se retrouver isolés derrière leur écran. Certains parents et professionnels de l'éducation parlent même de « dépendance aux écrans ». Il faut donc faire attention à la manière dont les enfants utilisent le web.

III/ Méthodologie adoptée Pour mener à bien mes recherches, j'ai choisi de comparer trois sites web d'éducation aux médias et à l'information. Ces trois études de cas seront utilisés pour étayer ma pensée. Je comparerai non seulement leurs modes de fonctionnement mais également leurs principes. Je me demanderai ensuite si ces sites corroborent ou invalident mes hypothèses. Le premier site sur lequel je vais m'appuyer est bien évidemment Jalons, la fresque interactive éducative de l'Ina dont j'ai parlé un peu plus haut. Ce site est destiné aux élèves et aux enseignants du premier et du second degré. Il contient plus de 1 600 documents audiovisuels issus de la presse filmée, de la radio et de la télévision, datant de 1914 à nos jours. Ces contenus ont été sélectionné selon les grandes thématiques des programmes scolaires. Néanmoins pour notre étude nous ne retiendrons que les contenus liés aux matières suivantes : histoire, géographie, et éducation civique. Il faut également noter que tous ces contenus sont contextualisés historiquement et enrichis d'une notice documentaire et d'une note d'éclairage médiatique. Le site est destiné à être utilisé en classe. Le deuxième site sur lequel je vais m'appuyer est le site de France Télévisions France TV 8


éducation. Il me semblait en effet pertinent de m'intéresser à des contenus audiovisuels issus d'une chaîne de télévision. A l'inverse de Jalons, France TV éducation n'est pas destiné à être utilisé lors du temps scolaire. Il s'adresse néanmoins aux élèves de la maternelle à la terminale ainsi qu'aux enseignants et aux parents. Ce site s'appuie sur la notion d'éducation au sens large puisqu'il contient toutes sortes de contenus (écrits, photographies, vidéos, jeux..). Pour notre étude nous ne retiendrons que la partie destinée spécifiquement à l'éducation aux médias. Le choix du troisième site web fut plus compliqué. Je voulais trouver le site éducatif d'un média qui utilise également des contenus audiovisuels d'actualité. J'ai donc choisi le site TV5 Monde apprendre, qui, même s'il a pour objectif d'apprendre le français aux étrangers, questionne également l'analyse et le regard que l'on peut avoir des images. Le site est multilingue et propose des exercices en lien avec des contenus d'actualité. Il est destiné aussi bien aux débutants (niveau A1) qu'aux profils avancés (niveau B2).

IV/ Choix adoptés pour le développement du travail de recherche J'ai choisi de traiter ce sujet en trois parties pour évoquer les points positifs et négatifs du développement de l'apprentissage par le numérique. Pour ma première partie, je me suis dit qu'il était important de revenir sur l'historique de l'éducation à l'image et aux médias car cela nous permettra de mieux comprendre les enjeux actuels. Alors que l'éducation à l'image est apparue à la fin du 19e siècle, elle a sensiblement évolué avec l'arrivée des nouveaux médias que sont la télévision puis internet. L'objectif de cette partie est de montrer en quoi elle a évolué et quels ont été les impacts des découvertes technologiques. Pour ma deuxième partie, j'ai choisi de mettre en lumière les possibilités offertes par le web. Aujourd'hui nous pensons en effet d'être dans une nouvelle ère, celle du tout numérique. Nous avons l'impression d'avoir vécu une véritable « révolution ». C'est ce qui est dit partout dans les médias et même dans certains écrits. Tous les acteurs importants se sont emparés de la question, même le gouvernement français depuis maintenant une dizaine d'années. L'objectif de cette partie est de montrer que même si internet est un média qui est démocratique par essence, il ne s'est démocratisé qu'au fil du temps. En effet, le web est un média ludique que chacun peut s'approprier 9


facilement même s'il existe un fossé générationnel. La génération des « digital natives » ou des personnes nées avec le numérique est celle qui est censée le mieux s'en servir. Enfin dans ma troisième partie j'aborderais les limites d'une éducation trop centrée sur le web. En effet, il est communément admis qu'utiliser trop son ordinateur conduit à avoir moins d'interactions sociales. De plus, le mythe de Big Brother semble être devenu réalité puisqu'avec le développement d'outils de plus en plus petits que nous emmenons partout, il semblerait que nous laissions des traces de nos passages. Une dernière limite est une crainte exprimée par de nombreux parents qui ont peur que leurs enfants ne deviennent dépendants aux écrans lorsqu'ils passent trop de temps devant.

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Première partie : Quelles ont été les évolutions de l'éducation aux médias ? I/ Les projections d'images à l'origine de l'éducation par les médias (fin 19e - début 20e)

1. Des projections lumineuses au cinématographe Alors que l'on pourrait croire que l'utilisation de technologies de l'image dans l'éducation est très récente, Jacques Perriault, chercheur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris X, nous apprend qu'il n'en est rien. Le professeur parle même de « trois siècles de diffusion technologique du savoir » qui auraient débuté par le livre, pour se poursuivre avec la lanterne magique, employée dès le milieu du XVIIe siècle par les jésuites, notamment par le Père jésuite Athanasius Kircher pour la catéchèse ; le microscope solaire mis au point par l’Abbé Nollet, précepteur de Louis XV ; la projection lumineuses d’animalcules vivants par le jésuite Johannes Zahn, à la fin du XVIIe siècle ; la « Bibliothèque circulante » du Musée pédagogique créé par Jules Ferry, diffusée dès la fin du XIXe siècle par courrier postal et qui ne cessera son activité que dans les années 1960 ; les projections lumineuses dans les cours du soir de 1875 à 1914 ; et enfin le cinéma pédagogique présenté à Paris lors de l’Exposition universelle de 1900 sur le thème « Une journée d’école au village »8. Quels sont donc les acteurs qui ont participé à la diffusion de ces nouveaux outils pour le savoir ? Tout d'abord, il faut noter l'importance du rôle des jésuites dans l'utilisation des technologies dans l'éducation. L'influence notable de ces intellectuels catholiques dans la réflexion sur l'apprentissage moderne n'est plus à démontrer, mais il semblerait que ceux-ci avaient même une longueur d'avance en ce qui concerne les modes de diffusion des connaissances. En effet, certains des pères jésuites ont travaillé sur les possibilités des projections lumineuses. Une projection lumineuse est « la production sur un écran des images réelles que donnent, dans certaines conditions, les lentilles employées en optique »9. C'est le principe d'un appareil bien connu : la lanterne magique. L'image des objets réels, dessins ou photographies est projetée sur un mur grâce à l'utilisation de lumière, ce 8 http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/technologie-de-leducation-sur-le-long-terme-quelques-traits-communs.html 9 http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3455

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qui permet au spectateur de voir un objet dans ses dimensions amplifiées et avec une plus grande netteté. La lanterne magique s'éclaire au pétrole au moyen d'une lampe à trois mèches, et il est disposé de telle manière que l'on peut y installer aussi une lampe Drummond, c'est-à-dire faire usage de la lumière oxhydrique. Les jésuites tels que le Père Kircher dans « Ars Magna Lucis Umbrae » (1671) vantaient alors les vertus de celle-ci car, grâce aux plaques de verre projetées « quidvolueris demonstrare potest » (tu peux démontrer ce que tu veux). Puisque l'utilisation d'une technologie nécessite de suivre des instructions précises, et afin que chacun puisse s'en servir au mieux, le Père Kircher prodiguait même des conseils dans son ouvrage. Concernant la plaque à projeter, il faut que le verre soit inséré « intra asserculos probe commissos » (dans des rainures exactement jointives). Elle pourra recevoir la source d’éclairage soit de la lampe à huile (« lucerna »), soit de la lumière solaire, grâce à un jeu de miroirs. La lanterne magique fonctionne dans un lieu obscur et projette une image sur un écran, fréquemment sur une paroi d’église. La fumée de la lampe à huile s’échappera par une petite cheminée, l’« infumibulum »10, que l'on retrouvera près de quatre siècles plus tard sur les projecteurs de 35 mm à arc électrique. Pourquoi alors l'utilisation des projections lumineuses dans l'éducation ne s’est-elle pas développée à cette époque ? Premièrement pour une question de blasphème religieux. En effet, au XVIIe siècle le terme latin « lux » (lumière) renvoyait à la fois à la lumière religieuse, spirituelle, et à la lumière matérielle. Or la source lumineuse de la lanterne magique provenait de la lumière matérielle. A ce sujet, deux conceptions s'opposaient : les pères qui pensaient qu'elle était constituée d'ondes, et ceux qui pensaient qu'elle était constituée de corpuscules11. D'après la croyance chrétienne, Jésus et Dieu sont des êtres qui ne sont faits ni de chair ni d'os, ils sont âme, et peuvent être à différents endroits à la fois. Par là même tout ce qui était projeté par de la lumière était sacré, ou devait l'être. Les ordres ne pouvaient accepter que l'on utilise la lumière divine pour s'instruire sur autre chose que ce qui avait rapport avec les évangiles. De plus, historiquement, cette période était peu propice à la recherche de l'élargissement du savoir. Seuls les fils de nobles et les membres du clergé avaient droit à une éducation. La monarchie absolue régnera encore en France jusqu'en 1789, date à laquelle est proclamée la première république. S'en suivra presque un siècle d'instabilité politique, entre Empire, monarchies et républiques. Il faudra attendre 1881 et 1882 et la Troisième République pour que les lois Jules Ferry rendent l'école laïque, gratuite et obligatoire pour tous. 10 http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/technologie-de-leducation-sur-le-long-terme-quelques-traits-communs.html 11 http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/technologie-de-leducation-sur-le-long-terme-quelques-traits-communs.html

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Une deuxième invention marquera durablement l'histoire de l'éducation à l'image et aux médias : le cinématographe. Le 13 février 1895 les frères Auguste et Louis Lumière, associés dans leur profession, déposent un brevet pour « un appareil servant à l’obtention et à la vision des épreuves chronophotographiques ». Cet appareil, le cinématographe, permet de filmer des images en temps réel mais également de les projeter. Dans la foulée ils organisent le 22 mars à Paris une première projection publique du film La sortie des usines Lumière, qui rencontrera un véritable succès. L'exploitation commerciale de l'appareil débutera à la fin de l'année, après la première séance payante. Dès l'année suivante, les frères Lumière étendront son exploitation en envoyant des commerciaux diffuser l'appareil dans le monde entier. Parallèlement, la production des films Lumière atteindra son apogée entre 1896 et 1897, pour ensuite connaître une récession due non seulement à la fin de l’exploitation du cinématographe aux Etats-Unis, mais aussi et surtout à l’absence de renouvellement du répertoire des scènes filmées. En effet, Louis Lumière, qui envisageait le cinéma non comme un spectacle mais comme une conquête technologique, recentra bientôt son activité sur la photographie. Poursuivant ses recherches techniques sur la qualité de l’image photographique, il parviendra en 1903 à mettre au point l’autochromie, un procédé très élaboré qui autorise la reproduction des couleurs, tandis que de grandes compagnies créées par Charles Pathé et Louis Gaumont entre autres se lancèrent dans la production de films12. Le cinéma restera muet jusque dans les années 1930. Avant cela, les projections étaient souvent accompagnées de bruitages et de musiciens, qui se positionnaient sur le devant de la scène, pour que l'on ait l'impression que le son provienne de l'image. Au niveau technologique, l'avancée majeure avec la création du cinématographe est que l'on passe d'une image fixe à une image animée. Plus besoin de raconter une histoire, les images se suffisent désormais à elles mêmes. En termes d'éducation, cela revient donc à montrer la réalité des faits en mouvement. Par exemple, au lieu de montrer une grenouille et d'expliquer aux élèves comment elle progresse dans l’espace, le professeur montre directement le film d'une grenouille qui avance. Enfin, en termes de médias, cette invention permettra de créer le premier magazine d'information animé : « les actualités françaises » qui seront diffusées avant les projections de films dans les salles de cinémas entre 1932 et 1969.

12 http://www.histoire-image.org/site/etude_comp/etude_comp_detail.php?i=378 13


2. L'éducation par les médias Bien qu'elles aient prouvé leur utilité dans le domaine de l'apprentissage, les technologies que sont les projections lumineuses et le cinématographe n'ont pas été tout de suite utilisées en classe. Ce n'est qu'après la défaite face à l'Allemagne en 1870 que l'Etat français prend compte de la « puissance éducative des images » notamment dans le développement de la conscience nationale et de l'esprit patriotique. Savoir reconnaître l'ennemi allemand ou savoir où se situent l'Alsace et la Lorraine sur une carte, c'est se préparer à la prochaine guerre, qui aura lieu bientôt, comme chacun l’imagine alors. Dans un autre registre, Fernand Buisson, un des inspirateurs des réformes scolaires de la IIIe République réfléchit sur la nature, les usages et l'esthétique des images à utiliser dans l'enseignement. En mai 1880, il formera même une commission de décoration des écoles et de l'imagerie scolaire13. 1880, c'est également la date à laquelle Stanislas Meunier, géologue et journaliste, et Alfred Molteni, photographe et marchand d'instruments d'optique, font une conférence dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne pour convaincre les acteurs de l'instruction publique de l’intérêt des projections lumineuses dans les écoles. Tout les personnalités influentes y sont présentes : directeurs d'écoles normales, inspecteurs primaires, représentants d'académies et du ministère de l’Instruction Public.... Or Alfred Molteni, principal fabricant d’appareils de projection au XIXe siècle, était un projectionniste habile et bénévole dans plus de 2 000 conférences animées par les plus grands vulgarisateurs de l’époque tels que Camille Flammarion, Gaston Tissandier, Stanislas Meunier. C'est sans doute pour cela qu'à la suite de cette conférence, Gérard Serrurier, directeur de la première école laïque, et Hervé Jardin, maire du Havre, fondent le 21 décembre 1880, la « Société d’Enseignement par les Projections Lumineuses », qui promeut l'utilisation de cette technologie pour la diffusion des savoirs dans un soucis d'éducation populaire14. Deux sortes de conférences sont alors mises en place : pour les enfants, et pour les adultes. Mais c'est surtout l'arrivée de Jules Ferry au ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-arts qui changera la donne. Le Parlement français vote plusieurs lois scolaires fondamentales : la gratuité de l’enseignement primaire le 16 juin 1881, son obligation et sa laïcité le 28 mars 1882. La « Société d'Enseignement par les Projections Lumineuses » basée à sa création au Havre organisera ses projections pour les enfants directement dans les classes, avec l'appui des instituteurs l'année suivante. En 1884, son catalogue comprend environ huit mille titres et il y a sept éditeurs sur la 13 Renonciat Annie (dir.), Voir/Savoir. La pédagogie par l'image au temps de l'imprimé, du XVIe au XXe siècle, CNDP, 2012 14 http://diaprojection.unblog.fr/category/projection-et-enseignement/

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place de Paris. Ces plaques circulent par la Poste, les instituteurs empruntent les lanternes au cheflieu du département, où la Ligue de l’Enseignement les met à leur disposition15. Elle sera reconnue d'utilité publique par le décret du 14 décembre 1892 et publiera un catalogue de ses collections de vues en 1894. Les prêts gratuits de ses collections s'étendent bien au-delà de la ville du Havre puisqu'en 1888 la société fournit 22 départements, 33 en 1891, 62 en 1892 et 80 en 1894 (en Belgique, en Suisse, …). En 1893 Jean Macé organise un « service de projections pour illustrer les conférences populaires » de la Ligue de l’enseignement mais l'utilisation de la lanterne magique se développera surtout dans les années 1895-198616. En 1895, ce sera au tour du ministère de l'instruction publique de mettre à la disposition des sociétés d'instruction populaire « les appareils de projections lumineuses et les collections de vues photographiques pouvant servir à l'enseignement dans les cours d'adultes et les conférences populaires ». Des collections de vues dont il avait été fait don au ministère par deux Sociétés d'enseignement furent déposées en 1896 au Musée pédagogique, et la Société nationale des conférences populaires se chargea ensuite d'assurer à ses frais l'expédition des vues, leur entretien et la correspondance. Ces vues commencèrent alors à circuler par toute la France avec franchise postale, à l'aller et au retour, pour les recteurs, les inspecteurs d'académie, les inspecteurs primaires, les instituteurs et les institutrices de l'enseignement public. Ce service des vues, organisé au Musée pédagogique, a pris un rapide développement : en 1908-1909, le chiffre des envois s'est élevé à 37 34017. Dans les années 1930, certaines maisons d'édition se spécialisent même dans la production de films fixes destinés à l'enseignement, comme ce fut le cas pour « les éditions de la photoscopie ». Concernant l'image animée, ce seront des sociétés privées comme Gaumont ou Pathé, ou des sociétés confessionnelles comme La bonne presse qui tenteront les premières le « cinéma scolaire ». Le cinématographe n’intégrera la classe que très tardivement pour plusieurs raisons. La première est que la pellicule utilisée dans cet appareil est inflammable, et donc dangereuse. Elle sera d'ailleurs interdite à la projection en France en 1922. Des projecteurs plus sûrs seront construits à partir de 1916 avec la constitution d'une « commission spécialement chargée de rechercher les meilleurs moyens de généraliser l’utilisation du cinématographe dans les différentes branches de notre enseignement » au sein du ministère de l'instruction publique. La seconde est que le musée pédagogique ne se dotera d'un service de prêt cinématographique rattaché à celui des projections 15 http://www.ina-expert.com/e-dossier-de-l-audiovisuel-l-education-aux-cultures-de-l-information/technologie-de-leducation-sur-le-long-terme-quelques-traits-communs.html 16 « Des projections lumineuses à la télévision scolaire », Thierry Lefebvre dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 17 http://www.inrp.fr/edition-electronique/lodel/dictionnaire-ferdinand-buisson/document.php?id=3455

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lumineuses que dans les années 1920. Ce service s'autonomisera d'ailleurs en 1932 pour devenir la cinémathèque centrale du ministère de l'éducation nationale18. Nous avons donc vu que même si la découverte de la lanterne magique s'est faite au XVIIe siècle, elle n'a été utilisée dans l'éducation et plus particulièrement dans le système scolaire que très tardivement. Cela est dû au contexte politique, social et religieux. Ce n'est en effet qu'avec la création de l'école laïque, gratuite et obligatoire que son utilisation en tant qu'outil de diffusion des savoirs se propagera. Il est à noter également que ses précurseurs ne travaillaient pas pour l'instruction publique mais pour la ligue de l'enseignement, organisme associatif créé par le mouvement de l'éducation populaire qui visait à répandre les savoirs pour que les citoyens français puissent bénéficier d'une certaine égalité des chances. L'usage du cinématographe en classe mettra quant à lui quelques dizaines d'années à se développer, principalement pour des raisons de sécurité et de coût des matériaux. En effet, seules des sociétés privées comme Gaumont et Pathé avaient les moyens au départ d'organiser des séances de « cinéma scolaire ». Premier média audiovisuel, le cinéma commencera à traiter de l'information dès les années 1930. « Les actualités françaises » permettront à tous les français de suivre régulièrement les informations sur la situation politique et sociale de la France et de ses voisins. L'éducation aux médias n'existe pas encore mais la période allant de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle a permis d'engager les prémices de l'éducation par les médias.

18 « Des projections lumineuses à la télévision scolaire », Thierry Lefebvre dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015

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II/ De l'éducation par les médias à l'éducation aux médias avec la massification des écrans (après 1945)

1. La télévision, premier média de masse, entre lutte de pouvoirs et diffusion de l'information L'histoire de la télévision en France est très particulière, notamment par rapport à celle de ses voisins, le Royaume-Uni, l'Allemagne et l'Italie. Elle est spécifique pour deux raisons : le lent développement de l'accès au matériel sur le territoire français, et l'importance du rôle de l'Etat dans la construction de son identité. Premièrement, le développement de la télévision s'est fait très tardivement. En effet, alors que la découverte du « Televisor » par l'écossais John Logie Baird en 1926 a suscité de vives réactions et engendré une longue phase d'expérimentations d'émissions télévisées au Royaume-Uni et en Allemagne, la France ne s'y intéressera qu'à partir des années 1930. La première émission officielle de télévision française sera lancée en 1935. Mais l'usage de postes de télévision est encore très limité, même dans les années qui suivent. Ce qui n'est pas comparable avec le Royaume-Uni et l'Allemagne qui comptent eux plus de 20 000 habitants dotés d'un appareil à cette même époque19. A l'heure de la diffusion du premier journal télévisé français, en 1949, seulement 1% des foyers français sont équipés en poste de télévision alors qu'au Royaume-Uni un an plus tard on en dénombre déjà presque un million. En 1950, l'édition du soir est reprise le lendemain midi. La télévision devient plus attractive en 1952 avec l'arrivée de Jean d'Arcy à la direction des programmes qui permet une diversification de l'offre d'émissions, et l'arrivée de la liaison directe entre Paris et Londres. Celle-ci favorise une circulation plus rapide de l'information. De plus, l'apparition du premier présentateur de journal télévisé, Claude Darget en 1954, renforce l'empathie des téléspectateurs. Le journal télévisé de la première chaîne est concurrencé à partir de 1966 puisque la deuxième chaîne puis la troisième développent le leur. La télévision couleur apparaît en 1967. Néanmoins, au départ, la diffusion de la télévision se fait uniquement en région parisienne car la portée de l'émetteur de la Tour Eiffel est limitée. Il faut ensuite construire des émetteurs en région, ce qui commencera en 1950 à Lille. La couverture globale du pays ne s'achève que dans les années 1960. Le premier journal télévisé régional date de 1963. La France ne comptabilise un million de postes qu'en 1958 alors qu'à ce moment-là le Royaume-Uni en recense dix fois plus20. En 19 http://www.inaglobal.fr/television/article/histoire-de-la-television-une-exception-francaise 20

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1962, des satellites commencent à relayer images et sons entre les Etats-Unis et l'Europe, ce qui étend encore le champ d'intervention de l'information télévisée. En 1972, la troisième chaîne développe des entretiens en direct lors des journaux télévisés ce qui permet de renforcer l'intérêt des téléspectateurs. En 1979, le taux d'équipement des ménages français en télévision est désormais de 94%21. Les postes de télévision sont très souvent installés dans le salon ou dans la salle à manger, ce qui permet à toute la famille d'en profiter. Avec le développement des nouvelles technologies et de leur utilisation, les journaux télévisés deviennent de plus en plus précis et de plus en plus réactifs sur les sujets traités. Les enjeux de leur diffusion ne sont plus les mêmes qu'à leur création22. Aujourd'hui la mise en concurrence par l'audimat est forte. Chacun veut avoir le plus de téléspectateurs possible. Deuxièmement, le développement de la télévision en France a été très fortement influencé par les luttes de pouvoir politiques, et continue de l'être, bien plus que dans les autres pays d'Europe. Dès 1945 la télévision devient le monopole de l'Etat. En 1956 le pouvoir politique décide donc de placer le journal télévisé sous son contrôle23. Il est rattaché au ministère de l'Information qui vérifie les sujets que les journalistes doivent présenter avant qu'ils ne soient diffusés à l'antenne. Ceux-ci doivent mettre en valeur l'action de la France et du gouvernement. L'organisme Radio Télévision Française (ORTF) devient un établissement public 1959. Il est donc entièrement contrôlé par l'Etat et suit les volontés politiques. Une deuxième chaîne est créée en 1964 et une troisième en 1972, ce qui permet d'élargir l'offre de programmes proposés. La censure bat son plein dans les années 1960 et ne s'éteindra qu'après la crise de mai 1968 où des revendications de liberté, notamment dans les médias, se font entendre. Le ministère de l'information est supprimé en 1969. La fin des années 1960 est également marquée par une autre révolution à la télévision, celle de la publicité. En effet, elle apparaît pour développer les moyens de production des chaînes de télévision qui ne sont pas au beau fixe24. Avec l'arrivée de Valéry Giscard d'Estaing au pouvoir en 1974, favorable à une libéralisation des médias, l'ORTF est supprimé avec une loi qui créé sept sociétés autonomes et spécialisées : trois sociétés de programmes de télévision (TF1, Antenne 2 et FR3), une société de programmes de radio (Radio France), une société de diffusion (TDF), une société de production (SFP) et une société de recherche et de formation (INA). Alors qu'au départ les trois chaînes de télévision étaient mises sur un pied d'égalité, elles sont désormais en concurrence. Elles tentent 21 Clairval François, « Dix ans de télévision », Communication et langages N°41-42, 1er-2ème trimestre,1979, pp. 132-145 22 BNF, « L'info TV : du 20 heures à Twitter », Observatoire de l'audiovisuel et du numérique, Paris, 11 juin 2015 23 Ibid 24 Clairval François, « Dix ans de télévision », Communication et langages N°41-42, 1er-2ème trimestre,1979, pp. 132-145

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alors de se diversifier à travers les programmes proposés25. Mais c'est seulement en 1982 que la télévision française est privatisée. C'est aussi à ce même moment qu'est créé le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA), organe de contrôle chargé de vérifier la bonne conformité des programmes aux lois françaises et de protéger les téléspectateurs. Le CSA a également pour mission de mesurer l'audience faite par les chaînes. Cela est permis par l'électronique. C'est la loi Léotard qui supprime les derniers monopoles. TF1 est privatisée en 1987. Des quotas de diffusion de programmes français sont imposés aux chaînes en 1989 par la loi sur l'exception culturelle française. En 1992, la loi sur le dépôt légal audiovisuel voit le jour. Les programmes des chaînes sont captés 24h/24 et 7j/7 par l'Ina et enregistrés sur des supports de conservation. Cette loi montre que désormais l'Etat français considère la télévision comme sa mémoire collective. Le développement des chaînes de télévision est également lié à une volonté politique. Par exemple, jusque dans les années 1970, l'ORTF consacrait plus de 20 heures hebdomadaires au programmes éducatifs alors qu'il n'en diffusait que 100. Ces programmes, développés au sein de la RTS, avaient pour but d'aider à la démocratisation culturelle. Ils étaient conçus au plus près des besoins des élèves puisque des enseignants étaient inclus dans leur conception. Les programmes éducatifs ont remporté un franc succès auprès des téléspectateurs malgré deux freins : l'objectif de démocratisation qui n'est pas rempli puisque ce sont les enfants dont les parents ont un bagage culturel élevé qui vont regarder ces programmes, et la volonté de pallier à la pénurie d'enseignants puisqu'ils ne remplacent pas les classes26. Ils vont diminuer dans les années 1960 à cause de la mise en concurrence des chaînes de télévision et de l'autorisation de la publicité. Canal plus et la Cinquième voient le jour en 1984 suivi de près par la Cinq et TV6 en 1986. La Cinq, chaîne de la culture et de l'éducation, est créée car les sénateurs Laffitte et Trégouet plaident pour plus de télévision éducative en France27. Le ministère de l'éducation nationale n'est alors plus qu'un partenaire occasionnel. Les enseignants ne sont plus mobilisés que pour donner leur avis sur les programmes. Sur le reste des chaînes il n'y a plus vraiment de programmes de ce genre et la cinquième a une audience qui reste à la marge. Elle déposera malgré tout le bilan en 1992, faute d'attractivité suffisante.

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26 « La télévision à l'école : de la RTF à France télévisions », Frédéric Marty dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 27 Ibid

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2. La création de la télévision scolaire La création de la télévision scolaire en France est liée à la fois à une volonté politique de permettre à tous d'avoir accès aux plus de ressources pédagogiques possibles, mais aussi à une volonté de la communauté éducative de développer de nouvelles méthodes d'apprentissage, basées sur l'utilisation de technologies de loisirs. Tout d'abord, dès le développement de la télévision en France, l'Etat entend lui confier une mission éducative. En effet dès 1951, le gouvernement confie au Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP, ex musée pédagogique) la responsabilité éditoriale d'émissions éducatives pour la radio-télévision scolaire. Néanmoins, son développement en région ne se fera qu'à partir de 1952, date de la création d'émetteurs régionaux, et massivement à la fin des années 1950 uniquement. En 1952 est créée la Fédération nationale de télévision éducative et culturelle28. Selon Marcel Cochin (1954) cité par Laurent Tremel, la télévision scolaire offre un avantage par rapport aux technologies utilisées précédemment comme le cinéma : elle est plus économique car ne nécessite pas les mêmes moyens ni les mêmes contraintes techniques. Mais elle offre également des désavantages car ses horaires sont fixes et donc contraignants, ses thèmes sont imposés à l'enseignant par les programmateurs, et il existe des risques de « psychologie collective uniforme » car tous regardent le même programme à la même heure partout en France29. La télévision scolaire provoque tout de même l'enthousiasme dans le monde culturel : Jean Renoir lui réalise des films, Paul Ricoeur et Michel Foucault participent à des émissions... Pour Frédéric Marty, le média télévisé n'est alors plus un outil mais un objet de réflexion propre, qui permet l'éducation à la citoyenneté30. Claudine Cerf, qui a été scénariste pour des fictions éducatives du CNDP note que celles-ci se sont développées sous l'impulsion de Jean-Pierre Chevènement. Selon elle, leur intérêt est d'inciter les enfants à la lecture, à l'expression écrite, à la littérature et à la lecture de l'image31. Cela leur permet par exemple de se questionner sur la véracité des faits dans un journal. Par la suite, ce sont des programmes comme le plan « Jeunes téléspectateurs actifs » (JTA) qui sont lancés par l'Etat. Entre 1979 et 1982, le gouvernement impose aux enseignants d'étudier les contenus de programmes télévisés et les techniques utilisées pour leur réalisation. Ce plan est créé en réponse aux critiques montantes de l'influence néfaste des médias par les intellectuels français qui ne 28 Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 29 Ibid 30 « La télévision à l'école : de la RTF à France télévisions », Frédéric Marty dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 31 https://www.reseau-canope.fr/notice/les-fictions-educatives.html

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supportent pas la publicité à outrance et les programmes asservissants32. Il remporte un franc succès et à sa suite est créé le Centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information (Clémi) en 1983 sous l'impulsion des médias associatifs et de la presse, pour favoriser une utilisation maîtrisée, distanciée et critique des médias par les élèves. C'est par exemple cet organisme qui a créé la « semaine de la presse à l'école » qui a lieu en mars chaque année. Pour Pierre Moeglin, le premier objectif du Clémi est « d'apprendre avec les images » mais aussi de « démystifier les images venues de l'extérieur » et « d'apprendre aux élèves à faire des images »33. Selon lui il est « important pour l'école traditionnelle de s'approprier les codes de l'école parallèle ». Les enseignants doivent pouvoir communiquer avec les élèves dans un langage qu'ils comprennent. Ils doivent également les aider à comprendre comment sont fabriquées les images pour qu'ils puissent mieux les appréhender. Selon Divina Frau Meigs, la différence du Clémi avec des organismes similaires d'autres pays est que celui-ci s'intéresse beaucoup à l'actualité et communique régulièrement avec les salariés du monde des médias. En Grande-Bretagne par exemple, l'organisme est plus porté sur le côté ludique34. Laurent Trémol tient toutefois à nuancer l'impact du Clémi, même s'il prend en charge un certain nombre de programmes éducatifs, il ne reste qu'incitatif35. Ensuite, la communauté éducative fait entendre sa voix pour jouer un rôle dans l'utilisation de l'audiovisuel dans l'éducation. Après la seconde guerre mondiale, une volonté de rendre l'école plus juste et plus accessible à tous se fait sentir. Néanmoins dans les années 1960 des études démontrent que malgré les réformes engagées l'école reste inégalitaire. Des questionnements émergent alors sur les contenus des programmes scolaires et les méthodes pédagogiques qui favorisent la culture de l'écrit au détriment de la culture visuelle. Des enseignants cherchent alors à inverser cette tendance. C'est le début de l'utilisation du son (magnétophone) et de l'image (diapositives) en classe. Des expérimentations se font de toutes parts. C'est par exemple le cas du développement de méthodes pédagogiques innovantes comme celle de Célestin Freinet36. Ce dernier veut rendre les élèves plus autonomes dans leur apprentissage par « l'enseignement programmé ». Pour ce faire, il conçoit des séquences pédagogiques divisées en étapes et au cours desquelles l'élève doit progresser seul. C'est également le cas du CES de Marly-le-Roi qui est un des premiers établissements qui va chercher à

32 Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 33 https://www.reseau-canope.fr/notice/le-clemi-1983-2014-centre-de-liaison-de-lenseignement-et-des-mediasdinformation.html 34 Ibid 35 https://www.reseau-canope.fr/notice/le-clemi-1983-2014-centre-de-liaison-de-lenseignement-et-des-mediasdinformation.html 36 Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015

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favoriser l'utilisation des ressources pédagogiques audiovisuelles37. Par exemple, les enseignants vont enregistrer des programmes télévisés intéressants pour pouvoir les diffuser en classe à l'horaire souhaité. De plus en 1959 la prolongation de l'enseignement obligatoire à 16 ans et le baby boom obligent à repenser et à favoriser les outils d'enseignement à distance38. Par exemple la radiotélévision scolaire ou les téléclubs qui voient le jour grâce aux mouvements d'éducation populaire. De plus, chez les intellectuels s'intéressant à la pédagogie, de nombreuses voix s'élèvent pour promouvoir l'utilisation de la télévision en classe. Louis Porcher (1974), comme nous le dit Maguy Chailley, pense que l'utilisation de la télévision dans le système scolaire doit être le plus large possible mais qu'elle doit être utilisée intelligemment39. C'est-à-dire qu'elle doit reprendre les codes de la télévision. L'enseignant ne peut faire un cours avec la télévision de la même manière qu'il ferait un cours sans elle. Il doit réussir à s'adapter à son langage et à son mode de fonctionnement. Pour Judith Lazar (1985), l'école doit s'emparer de la question de la télévision car sinon elle risque de creuser un fossé culturel40. En effet elle pense qu'elle offre plus de possibilités aux riches qu'aux pauvres, qui ont déjà les clés pour choisir les programmes les plus enrichissants. Quant à Geneviève Jacquinot (1981), elle plaide pour une éducation aux médias à la différence d'une éducation par les médias. Selon elle, il faut diviser les messages présentés par les médias pour mieux les analyser : ceux qui sont relatifs « au monde représenté » et ceux qui sont relatifs « à l'activité mentale mise en œuvre »41. S'ils ne sont pas les mêmes il faut pouvoir réfléchir aux conséquences que cela peut avoir sur le développement de la psychologie de l'enfant. Par exemple, comme nous le montre Maguy Chailley dans son étude sociologique dans une classe de maternelle, les enfants qui regardent la télévision changent leur manière de parler. Ils utilisent de nouveaux termes qu'ils ont entendu ce qui leur permet d'enrichir leur vocabulaire. Néanmoins, ils ne savent pas toujours ce que signifient ces termes, et cela peut donner lieu à des déformations de sens. Selon elle, il est nécessaire pour les enseignants de questionner et de valoriser les connaissances apprises par les élèves à travers la télévision car sinon ceux-ci ne les mobilisent pas de la meilleure manière qui soit. Il faut « travailler les transferts d'apprentissage entre l'école et la télévision »42. Les enseignants ont un rôle à jouer là dedans, car l'utilisation de ces technologies dépend de leur bonne volonté. Or l'école et la télévision, ce sont deux mondes, qui se sont régulièrement critiqués. La télévision serait un loisir alors que l'école permettrait de développer des connaissances réelles. Mais pour Francis Balle, la télévision joue désormais un rôle de socialisation dans le développement de l'enfant que l'on ne peut plus 37 38

Ibid Ibid 39 Chailley Maguy, « Apprendre par la télévision, apprendre à l'école », Réseaux, 1995, volume 13 n°74, pp. 31-54 40 Ibid 41 Ibid 42 Ibid

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contester43. Les enfants apprennent par la télévision les actualités, ils développent des références culturelles collectives (dessins animés), ils enrichissent leur vocabulaire... Nous sommes dans une société où l'image a peu à peu pris le pouvoir sur l'écrit. Elle était la plupart du temps donnée comme vraie alors que certaines informations révélées dans les journaux télévisés étaient parfois fausses (l'histoire des charniers de Timisoara en Roumanie par exemple). C'est pour cela qu'il est plus que nécessaire d'éduquer les élèves à sa lecture et à sa construction.

L'après-guerre en France laisse place aux premiers médias de masse : aux côtés de la radio, la télévision va peu à peu se développer et devenir un bien commun pour tous les foyers. Cela aura un impact : le développement de la société d'information de masse dans laquelle les images deviennent partie prenante. Qui contrôle alors ces images ? Et que devons-nous en faire ? L'histoire de la télévision en France nous montre que l'Etat a joué un rôle majeur dans sa constitution, au moins jusque dans les années 1970. Il contrôlait et censurait les programmes. Depuis, il est toujours partie prenante mais de grands groupes médiatiques sont apparus et ont amené « l'infotainment », c'est-àdire l'information de loisirs. Cela prouve donc que l'image télévisée est bien souvent contrôlée par le pouvoir, qu'il soit politique ou économique. Elle ne doit donc pas être reçue comme telle pour être entièrement comprise, il faut connaître ses mécanismes de construction. La pédagogie autour de la télévision a vécu deux phases : la première qui consistait à l'utiliser comme ressource pédagogique (télévision scolaire), la seconde qui l'étudie en tant qu'objet propre (éducation aux médias). D'une éducation par les médias, c'est-à-dire d'une volonté de rendre les médias à la cause pédagogique nous sommes donc passés à une éducation aux médias, qui permet d'appréhender au mieux leurs codes et leurs techniques. Les enseignants et les intellectuels qui critiquaient la télévision se sont rendus compte que mieux valait expliquer la télévision plutôt que de la critiquer. Mais à la fin du 20e siècle, avec le développement d'internet et de l'information libre, de nouveaux enjeux voient le jour. D'un contrôle total ou partiel des médias, ceux-ci deviennent incontrôlables, pour le meilleur comme pour le pire. Comment l'école et les acteurs pédagogiques se sont-ils alors emparés de la question ?

43 Balle Francis, « L'école et la télévision », Communication et langages, N°100-101, 2ème-3ème trimestre, 1994, pp. 79-88

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III/ Le web nous amène-t-il à une « école numérique » qui englobe l'éducation aux médias ? (fin du 20e siècle)

1. L'ordinateur, internet et l'information « libre » Avec la découverte d'internet, la société de l'information fait un nouveau bond : alors qu'auparavant il fallait attendre le journal télévisé ou les actualités à la radio à heure fixe pour s'informer, il suffit désormais de se connecter au réseau depuis un ordinateur. Au départ outil réservé à une élite scientifique et militaire, internet va se développer pour devenir un réseau utilisé par un nombre grandissant d'individus, jeunes et moins jeunes, sur des sujets aussi divers que variés. Tout d'abord qu'est-ce qu'internet et comment ce réseau s'est-il construit ? François Boyer le définit comme « l'ensemble des réseaux informatiques dits ouverts permettant à des machines de types différents de communiquer au moyen de certains protocoles »44. Il recense différents services que sont la messagerie électronique ; les systèmes de conférence, les listes de diffusion et le Bulletin Board System (BBS) ; la connexion à distance ; le transfert de fichiers ; les services interactifs de navigation et de recherche d'information ; le world wide web. La naissance d'internet provient d'expérimentations de chercheurs tels que Marconi à la fin du Xxe siècle45. Malgré le fait que la communauté scientifique croyait que les ondes électromagnétiques ne pouvaient être diffusées sur de longues distances, le chercheur va tenter de les envoyer les plus loin possible. Ces expérimentations seront par la suite reprises par les militaires américains dans un système qui permet d'envoyer et de recevoir des ondes. Ils sont les premiers à croire en cette technologie, c'est ainsi qu'Arpanet, fruit du ministère de la défense américain, voit le jour en 196946. Son développement se fait alors en vase clos, dans le domaine de la recherche militaire et scientifique. Néanmoins au milieu des années 1980 de jeunes étudiants, appelés « hackers », vont se servir de cette même technologie pour développer leur propre système de communication par informatique. La rencontre entre les deux univers se fera par le biais des forums appelés « Usenet » qui proposent des débats en ligne, sur des sujets de plus en plus larges. Petit à petit, les discussions prennent alors un caractère international. Alors qu'il s'est développé de manière gratuite, libre et collective, en 1990 internet devient un outil de communication à vocation commerciale qui fait désormais partie 44 Boyer François, « Internet. », Réseaux, 1994, volume 12 n°68. pp. 131-147 45 Flichy Patrice, « Technologies fin de siècle : l'Internet et la radio », Réseaux, 2000, volume 18 n°100, pp. 249-271 46 Ibid

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du système économique libéral. En effet, certains hommes d’affaire ont fini par y trouver un intérêt. En 1993, les premiers sites internet et les premiers navigateurs destinés au grand public voient le jour. Les moteurs de recherche tels que Yahoo ou Altavista vont être développés gratuitement. Ils se financent par le système de publicité. Même si internet est devenu marchand, les internautes universitaires et amateurs continuent de jouer un rôle majeur dans son développement en poussant pour la création de systèmes informatiques libres comme Linux par exemple. Pour Elmer-Dewitt, éditorialiste du Time (1995), internet est et restera un système ouvert, qui n'appartient à personne47. Concernant les médias et la société d'information, internet va bouleverser la donne. Il va entraîner une réorganisation de ce secteur. En effet, le métier de journaliste est précarisé par la très forte concurrence des médias qui fleurissent chaque jour. Ils sont désormais si nombreux qu'ils ne peuvent plus tous se permettre de bien payer les journalistes. Les journaux eux-mêmes connaissent une période difficile. Ils ne vendent plus autant qu'auparavant. Ceux-ci se doivent désormais d'avoir un site internet sur lequel on peut retrouver l'actualité. Cela entraîne un grignotage de l'information. En effet, alors que dans les journaux papiers les articles faisaient une à deux pages en grand format, les articles sur les sites internet tendent à ne faire plus qu'une page web. Le but est d'attirer le lecteur qui doit être capable de saisir rapidement une information. De plus, l'information choc est privilégiée par rapport à une analyse poussée de l'information. Les images sont aussi massivement utilisées. Enfin, la concurrence est aussi très forte entre les médias puisqu'il n'existe quasiment pas de barrière à l'entrée pour la création d'un média en ligne. Après sa naissance, comment internet a-t-il envahit nos vies et celles de nos enfants ? Laurent Meureur date l'émergence des ordinateurs familiaux au début des années 198048. L'informatique à l'école, en tant qu'objet et outil d'enseignement, fera lui son apparition quelques années plus tard. Comme nous l'avons vu précédemment internet s'est réellement développé à partir de 1994, date à laquelle il devient une composante à part entière du système libéral. Seulement, à la fin des années 1990, Laurent Trémol nous dit que seuls 23% des ménages français possèdent un micro-ordinateur, 28% un téléphone portable et 7% une connexion internet49. De fortes inégalités ressortent puisque sur 100 possesseurs d'ordinateurs, 82 sont issus d'un milieu aisé. L'essor d'internet s'est donc fait bien plus tard, à la fin des années 1990, lorsque les machines et les fournisseurs d'accès ont commencé à baisser leurs prix. Il faut noter qu'au fur et à mesure du développement d'internet, les objets utilisés pour y accéder ont vu leur taille diminuer (ordinateur fixe, ordinateur portable, 47 Ibid 48 « L'informatique à l'école », Laurent Meureur dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 49 Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015

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tablette, smartphone, montre connectée). Par là même cela donne lieu à une utilisation de plus en plus individuelle d'internet. Alors qu'avant on regardait ce qu'il s'y passait en famille ou entre amis, chacun regarde de plus en plus ses propres informations choisies en fonction du goût, de l'âge, du sexe et du milieu social. Par exemple des réseaux sociaux comme twitter ou facebook peuvent être utilisés comme outils de veille sur l'actualité par des cadres dynamiques trentenaires alors que dans le même temps ils sont des journaux intimes pour un grand nombre de pré-adolescents. Concernant les jeunes utilisateurs (12-17 ans), Isabelle Bréda nous indique que le sondage médiamétrie daté de décembre 2000 met en lumière le fait qu'ils privilégient la plupart du temps un usage ludique50. Ils vont sur internet pour (par ordre) : chatter avec leurs amis, jouer à des jeux, se divertir, connaître l'actualité, s'instruire sur des sites éducatifs. Il faut noter que malgré ce que l'on pourrait penser, plus un jeune utilise internet, plus il développe une pratique ludique. Et qu'est-ce qu'internet change concernant leurs autres loisirs ? Ils regardent sensiblement moins la télévision qu'avant (et la délaissent de plus en plus), lisent autant mais écoutent plus de musique et regardent plus de films. Isabelle Bréda insiste sur le fait qu'aller surfer sur internet est une activité que les jeunes font seuls, ils n'y vont que très rarement avec leurs parents51.

50 Bréda Isabelle, « Les jeunes et Internet : quels usages ? », Agora débats/jeunesses, n°26, 2001, pp. 53-68 51 Ibid

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2. Une volonté des pouvoirs publics de s'approprier la question du numérique Le domaine des médias et des loisirs est donc bouleversé avec internet. Il s’agit pour les professionnels du milieu pédagogique et le gouvernement de se positionner, de continuer de développer la démocratisation culturelle. Cela leur permet également d'aider les élèves à appréhender les nouveaux enjeux apportés par le numérique : De quelles informations trouvées sur internet peut-on se servir ? Comment vérifier la véracité des faits ? Quel est le meilleur moyen d'utiliser un moteur de recherche ? Comment protéger son identité sur internet ?... La première tentative du gouvernement français pour faire entrer le numérique à l'école date des années 1980 avec le plan « informatique pour tous ». Ce dernier va permettre de développer l'apprentissage de l'informatique dans les établissements scolaires par l’achat de 120 000 ordinateurs destinés à être utilisés dans 50 000 établissements. Les enseignants vont alors devoir se familiariser avec l'informatique. Selon Pierre Moeglin cet engouement s'explique par un accord tacite passé entre l'Etat et les industries françaises52. Ce n'est néanmoins que très récemment que le ministère de l'éducation nationale a décidé de mettre l'accent sur cette question. En 2009 sont votés les « investissements d'avenir », programme global d'investissements dans la recherche et l'innovation pour le numérique qui comporte un volet « e-education ». 35 milliards d'euros sont débloqués dont 4,5 pour la numérisation de contenus culturels, scientifiques et éducatifs53. En 2012 est créée la « stratégie du ministère de l'éducation nationale pour faire entrer l'école dans le numérique ». Elle regroupe les objectifs suivants : réduire les inégalités sociales, territoriales et numériques ; développer des pratiques pédagogiques diversifiées ; renforcer le plaisir d’apprendre et d’aller à l’école ; permettre aux élèves de s’insérer dans la société en tant que citoyens et dans la vie professionnelle ; et favoriser l’implication des parents dans la scolarité de leurs enfants54. La loi sur la modernisation de l'action publique datant février 2014 crée la direction du numérique pour l'éducation (DNE) au sein du ministère de l'éducation. Celle-ci « assure la mise en place et le déploiement du service public du numérique éducatif ». Elle dispose d’une « compétence générale en matière de pilotage et de mise en œuvre des systèmes d’information »55. Cela prouve donc que désormais, l'école française sans le numérique n'existe plus. De nouveaux plans tentent de pallier 52 https://www.reseau-canope.fr/notice/les-tice-les-technologies-de-linformation-et-de-la-communication-pourlenseignement.html 53 http://www.education.gouv.fr/ 54 Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 55 http://www.education.gouv.fr/

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aux inégalités entre les établissements scolaires à ce sujet. C'est le cas par exemple du programme « écoles connectées » de 2014 qui vise à garantir l'accès rapide à un haut débit pour les établissements scolaires et les écoles les moins bien desservis. Il a été reconduit en 2015. C'est également le cas du « plan numérique pour l'éducation » de 2015 qui a pour objectif de connecter 500 écoles et collèges dès la rentrée soit 70 000 élèves et 8 000 enseignants56. Parmi ceux qui ont été sélectionnés, une place importante a été donnée aux établissements relevant de l'éducation prioritaire. Les enseignants de ces établissements pourront bénéficier d'une formation spécifique aux usages du numérique dans la pédagogie. Ils seront également dotés d'équipements et de ressources numériques. Et qu'en pensent les intéressés ? Plus de 95% des répondants au sondage du ministère de l'éducation nationale de mai 2015 pensent que tous les élèves doivent être formés à une utilisation du numérique pour contribuer à réduire les inégalités57. Internet va également être intégré aux dispositifs existants d'éducation aux médias. Par exemple l'arrêté du 25 janvier 2002 dit que les supports actuels de l'information rendent plus que jamais nécessaire l'apprentissage de l'interprétation des images, des codes qui leur sont spécifiques et du langage qui permet de les décrire58. Catherine Becchetti-Bizot, inspectrice générale de l'éducation nationale, pense en effet que les technologies numériques modifient l'organisation des temps et des espaces d'apprentissage, il est donc nécessaire de savoir les appréhender59. L'éducation aux médias et à l'information est désormais inscrite dans la loi du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation parmi les axes forts de l'entrée de l'école dans l'ère du numérique. Malgré le développement massif des politiques incitatives à l'utilisation du numérique en classe, certains auteurs notent quelques écueils à ne pas négliger. En effet, Bernard Stiegler nous dit que les savoirs liés aux nouvelles technologies se sont développés en dehors du monde de l'enseignement. Tout le monde y a eu accès sans intermédiaires. C'est pour cela qu'il pense qu'il est temps de pouvoir penser une nouvelle école qui intègre ces outils et les problématiques qui en découlent. Pour ce faire les enseignants doivent être capables de penser ces pratiques et d'enseigner leurs usages aux élèves, ce qui n'est pas le cas de tous. Les « digital teachers » doivent être formés pour pouvoir s'adresser correctement aux « digital natives », or bien souvent les investissements se font en équipements et non pas en formations60. François Rabaté quant à lui note que malgré la volonté 56 Ibid 57 Ibid 58 Cité dans Renonciat Annie (dir.), Voir/Savoir. La pédagogie par l'image au temps de l'imprimé, du XVIe au XXe siècle, CNDP, 2012 59 Ecole Normale Supérieure de Lyon, Cultures numériques : éducation aux médias et à l'information, Chasseneuildu-Poitou : CNDP, 2013 60 Kambouchner Denis, Meirieu Philippe, Stiegler Bernard, L'école, le numérique et la société qui vient, Paris : Mille et une nuits, 2012

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politique peu de moyens ont été engagés pour l'utilisation de l'audiovisuel en classe. Il pense qu'il faut travailler sur des problématiques plus précises que les nouvelles technologies car sinon cela risquerait d'être une barrière face aux problèmes réels de l'apprentissage61. Enfin Jacques Perriault en 1980 mettait déjà en garde contre les réticences des enseignants de s'approprier les questions de ces nouveaux outils. Il distingue trois scénarios possibles concernant l'attitude de l'école par rapport à l'offre technologique en matière d'informatique : « le refus total », c'est-à-dire que les enseignants pensent que les nouvelles technologies doivent rester en dehors de l’école ; « l'intégration » lorsque l'école apprend les notions fondamentales et aide les enseignés à se familiariser avec les outils ; « l’hypertechnologie » si l'école revendique l'apprentissage de tous les outils. Jacques Perriault insiste sur la nécessité de créer des « réseaux à la place de l'école » qui délocalisent la transmission des connaissances62. Bien souvent cela est opéré par les médias, notamment internet.

61 Rabaté François, « De la communication aux médias : un repositionnement de l'appareil éducatif ? », Langue française. N°70, 1986. pp. 112-127 62 Jacques Perriault, 1980, cité par Rabaté François, « De la communication aux médias : un repositionnement de l'appareil éducatif ? », Langue française. N°70, 1986. pp. 112-127

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Nous avons donc vu que quelque soit la période, les innovations technologiques dans les médias ont permis des innovations sociales notamment au niveau de leur sujets, de leur contrôle et de leur consultation. L'information et sa diffusion ont évolué avec les avancées techniques : des actualités françaises diffusées avant chaque film au cinéma, nous sommes passés au journal télévisé quotidien pour arriver au flux d'information continu qui existe aujourd'hui sur internet. Ce changement a bouleversé nos modes de consommation des médias et de l'information puisque nous pouvons désormais nous informer quand nous le voulons, sur ce que nous voulons. En effet, aujourd'hui nous pouvons nous renseigner sur ce qu'il se passe dans notre ville, dans notre pays ou à l'étranger. De plus, la recherche d'information est libre. Alors qu'avant des équipes de réalisation ou des comités de rédaction nous indiquaient ce dont nous devions être au courant, il nous suffit aujourd'hui d'entrer un mot dans un moteur de recherche pour avoir toutes les informations au sujet de la thématique liée. Les changements se sont donc faits à la fois au niveau de la temporalité de l'information mais aussi de sa spatialité. Les actualités françaises n'étaient centrées que sur la France ou sur les pays avec lesquels elle avait des liens, le journal télévisé s'est lui un peu ouvert notamment pour des raisons historiques (ce sont les américains qui ont apporté les postes de télévision en France après la guerre donc au moment où a commencé la guerre froide), internet nous connecte à tout le reste du monde. Un autre bouleversement qu'a amené un média comme internet c'est la liberté d'expression. Les actualités françaises étaient détenues par l'industrie du cinéma et par l'Etat, les journaux télévisés par l'Etat et par des sociétés privées, l'information circulant sur internet est détenu certes par les industries médiatiques mais les influenceurs, qu'ils soient politiques, religieux, chercheurs, hommes d’affaire, ont également leur mot à dire. Ce qui détermine la consultation des messages d'information sur internet ne dépend pas que du pouvoir politique ou économique mais aussi du pouvoir culturel. Par exemple, la propension qu'ont certains faits de « créer le buzz », c'est-à-dire d'agglomérer des communautés d'internautes autour d'un sujet donné. Enfin, les pratiques médiatiques se sont individualisées de façon croissante. Avant nous regardions les actualités françaises au cinéma : si nous supposons que les salles étaient remplies, il devait y avoir une centaine de personnes. Puis nous avons regardé le journal télévisé en famille (élargie au départ puis nucléaire) lorsque nous avions la chance d'avoir un poste dans notre foyer. Aujourd'hui, il y a au moins un poste de télévision par ménage et il n'est pas nécessairement dans une salle commune. De plus, nous avons des ordinateurs et autres objets connectés à internet (tablettes, 30


smartphones, montres connectées) qui font que nous consommons de plus en plus une information individualisée. Ce qu'il est intéressant d’observer c'est que comme les médias ont changé, ce que l'on appelle communément l'éducation aux médias a évolué en même temps. D'une éducation par les médias nous sommes passés à une éducation aux techniques et au langage utilisés dans les médias. Internet ouvre désormais une nouvelle ère où il semblerait que tous les acteurs pédagogiques, et surtout le ministère de l'éducation nationale, s'engagent pour promouvoir son utilisation. La question du numérique dans les écoles n'en est plus une, elle doit devenir un lieu commun pour contrer les inégalités sociales et culturelles. Car l'utopie d'internet, soit disant capable d'enrichir les connaissances personnelles, est à son comble. Mais qu'en est-il réellement ? Est-ce que les outils pédagogiques développés par les médias sont à la hauteur des attentes de leurs créateurs ? Permettent-ils vraiment aux élèves les plus démunis de combler leurs lacunes ?

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Deuxième partie : Quels sont les enjeux du web dans l'éducation aux médias ? I/ Il favorise l'apprentissage individuel par une approche ludique

1. Un outil interactif Bien que l’éducation aux médias existe depuis maintenant plus d’un siècle, nous avons vu que son champ d’application et ses méthodes d’enseignement ont changé au fur et à mesure des avancées technologiques. Avec le web, l’apprentissage se fait de plus en plus individuellement. Chacun est libre d’avancer à son rythme et de choisir les connaissances qu’il veut développer. Plus besoin d’attendre les consignes du professeur pour passer à la question suivante ou regarder les corrigés. De plus, l’interactivité de l’outil permet aux élèves d’apprendre de manière ludique. Ils naviguent de page en page, choisissent les contenus qui les intéressent le plus, jouent à des jeux éducatifs… C’est ce qui rend l’outil particulièrement attractif. Tout d’abord, il est impératif de définir la notion d’interactivité. Catherine Guéneau nous met en garde, cette notion est floue et fourre-tout. Alors qu’en 1992 le Petit Robert nous dit que l’interactivité est une « activité de dialogue entre un individu et une information fournie par une machine. », en 1996 le Larousse ajoute que ce terme peut s’utiliser pour des « phénomènes qui réagissent les uns sur les autres » ou un « support de communication favorisant un échange avec le public »63. L’interactivité serait la communication. Concernant internet et les pages web, nous pouvons parler de documents interactifs. Pour Monique Linard leur véritable valeur ajoutée tient du fait qu’ils ouvrent le champ des possibles : ces documents intègrent des manipulations des formes visuelles et des signes et permettent l’auto-correction64. De plus, elle souligne que ces documents jouent sur deux tableaux qui interagissent. Premièrement « l’interactivité technique » qu’elle définit comme « la propriété de réactivité d'un dispositif lui permettant de répondre et de s'adapter à des interventions externes ». Deuxièmement « l’interaction humaine » qui selon elle est la « propriété 63 Guéneau Catherine, « L'interactivité : une définition introuvable. », Communication et langages, N°145, 3ème trimestre 2005, pp. 117-129

64 Linard Monique, « L'Interactivité au service de l'apprentissage (Revue des Sciences de l'éducation) », Revue française de pédagogie, Volume 134, 2001, pp. 180-182

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volontaire d'interdépendance et d'influence réciproque des comportements et des activités intentionnelles d'individus et de groupes sociaux ». Si les pages web sont interactives, elles le sont autant pour leurs propriétés techniques pures (redirection d’une page sur une autre) que pour leurs propriétés conversationnelles (possibilité de laisser un commentaire). Ensuite, le web est un outil qui intéresse particulièrement les élèves d’après Jean-François Bach. Il est donc intéressant de l’utiliser en pédagogie. Les motivations des élèves sont basées sur deux critères : la « sécurisation » qui repose sur le fait que le web propose une vision globale mais adaptable, et ce qu’il appelle « l’innovation » qui est en fait l’interaction des consultations et de la navigation65. Prenons les exemples des sites Jalons, France TV éducation (FTVE) et TV5 Monde Enseignement (TV5ME) et posons-nous la question : qu'ont-ils fait pour attirer les élèves ? La première chose est le tri des contenus qui nous permet de trouver au plus vite ce qui nous intéresse ou ce que nous devons réviser. Alors que sur Jalons les contenus sont classés par chronologie, par lieux, par thèmes, par programmes scolaires et par niveaux ; ils ne sont triés que par matières et niveaux sur FTVE et par thèmes sur TV5ME. Des possibilités de recherche avancée sont également disponibles sur Jalons et sur TV5ME (date, durée, référence..) ce qui permet à l’utilisateur d’être au plus proche de ce qu’il veut trouver et de retrouver les contenus par plusieurs entrées. La deuxième fonctionnalité de ces sites qui a été développée pour renforcer l’adhésion des internautes est l’ajout de liens URL. Après la consultation d’une vidéo, les trois sites proposent des contenus en lien avec ce que je viens de regarder, ce qui me permet de continuer à approfondir mes connaissances facilement. De plus, des liens externes vers des sites de partenaires sont également présents (académie de Grenoble, Eduschol, France 5…). La troisième possibilité qu’offrent ces sites internet est le partage de documents. Les vidéos sur Jalons et sur TV5ME peuvent être facilement intégrées sur des sites web et des blogs, et être partagées sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter. Cela peut me permettre de partager mes découvertes avec d’autres utilisateurs par exemple et de les faire réagir. Sur TV5, les vidéos libres de droit sont également téléchargeables. Enfin, chaque site a développé des fonctionnalités interactives propres. Sur Jalons, la vidéo « A la une » est automatiquement changée tous les jours en fonction de la date de consultation de la page. Par exemple si je consulte la page le 11 novembre, la vidéo sera très certainement en lien avec une commémoration de la fin de la première guerre mondiale. Sur FTVE il existe des jeux éducatifs en lien avec l’éducation aux médias comme « Chasseurs d’infos ». C’est un « serious game » qui a pour but de devenir rédacteur en chef d’un journal en ligne en faisant le tri parmi les informations 65 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013

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données et en créant le buzz. Ce jeu reprend les codes des vrais réseaux sociaux ce qui permet aux enfants de comprendre comment ils fonctionnent. Sur TV5 qui est une plateforme pour enseigner et apprendre le français, une place importante est donnée aux langues. Il est possible de naviguer sur le site en huit langues différentes et l’application « 7 jours pour la planète » développée par le site est disponible en sept langues. Néanmoins, il convient de prendre garde à l’utopie interactive car celle-ci connait quelques limites. En effet, Monique Linard note que les contenus présents sur les sites internet sont la plupart du temps organisés selon des modèles disponibles ce qui ne les rend pas si innovants66. Par exemple, le site Jalons de l’Ina reprend le modèle des fresques interactives. De plus, bien que la technologie offre des possibilités nouvelles pour les usagers, elles ne sont pas toujours pertinentes par rapport aux besoins réels des utilisateurs nous dit Jean-François Rouet67. Vincent Mabillot lui insiste sur le fait que « tant que l'utilisateur ne fait pas valoir ses « pouvoirs interactifs », l'interactivité n'existe pas »68. Par là il veut nous dire que l'utilisateur doit avoir conscience de son initiative sur la machine, il doit connaître les codes qui lui sont liés, pour pouvoir se servir de toutes ses fonctionnalités. Par exemple je dois savoir qu’en cliquant sur un lien URL depuis un site web il m’amène vers un autre pour avoir l’idée de le faire.

66 Linard Monique, « L'Interactivité au service de l'apprentissage (Revue des Sciences de l'éducation) », Revue française de pédagogie, Volume 134, 2001, pp. 180-182 67

Ibid

68 Mabillot Vincent, « Les proximités de l'interactivité. », Communication et langages, N°138, 4ème trimestre 2003, pp. 105-121

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2. Des possibilités d'auto-formation « Aujourd'hui, pour le peu qu'il ait consulté un bon site, l'étudiant, le patient, le consommateur, ou même l'enfant peut en savoir autant sur le sujet traité que le maître, le médecin, le directeur, le journaliste ou l'élu. Nous disons que l'autorité est en crise parce que nous passons d'une société hiérarchique, verticale, à une société plus transversale, notamment grâce aux réseaux comme internet. Tout ne coule plus du haut vers le bas, de celui qui sait vers l'ignorant », Michel Serres, Petite poucette, 2012 Avec internet, l’ère de la formation individuelle et individualisée a sonné. En effet, pour reprendre la citation de Michel Serres, nous savons que désormais chaque personne disposant d’un ordinateur et d’une connexion à internet peut approfondir ses connaissances. Pour Serge Tisseron les médias interactifs comme le web permettent à chacun de construire sa propre vision, son propre chemin d'apprentissage. Le chercheur en pédagogie met en parallèle le développement des supports numériques et le développement des écoles Montessori qui insistent sur le fait que les élèves doivent faire les choses dans l'ordre où ils ont envie de les faire69. La réflexion de Thomas Lamarche sur « l’individualisation des parcours d'apprentissage » appuie également cette idée70. Selon lui, les méthodes pédagogiques sont de plus en plus construites sur des échanges réguliers avec les utilisateurs pour comprendre leurs besoins. En effet, avec internet la possibilité de faire évoluer les contenus est très facile. L’auto-formation et le développement des technologies numériques dans la pédagogique sont de plus appuyés par de nombreux professionnels du secteur. Le ministère de l’éducation nationale par exemple, nous dit Sandrine Garcia, pense que la formation par les nouvelles technologies permet de « réduire les échecs en premier cycle, de proposer plus de diversité dans les formations et de mieux satisfaire les demandes des étudiants »71. C’est un outil de démocratisation culturelle. Plus un élève est capable d’apprendre seul, moins le besoin d’un environnement favorable pour réussir se fait sentir. C’est également un moyen de satisfaire la curiosité d’un étudiant sur une matière qu’il connait peu. L’auto-formation peut enfin être une chance pour des élèves gravement malades ou handicapés. Cela peut leur permettre de rattraper les cours qu'ils ont loupés de manière plus ludique, ou tout simplement suivre des cours classiques car 69

https://www.reseau-canope.fr/notice/les-nouvelles-pedagogies-et-les-ecrans.html Lamarche Thomas, « L'OMC et l'éducation : normalisation de l'éducation pour en faire une marchandise échangeable internationalement ? », Politiques et management public, vol. 21 n° 1, 2003, pp. 109-130

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71 Garcia Sandrine, « Croyance pédagogique et innovation technologique [Le marché de la formation à distance au service de la "démocratisation" de l'enseignement supérieur]. », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 149, septembre 2003, pp. 42-60

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Jean-Marc Lesain-Delabarre nous fait remarquer que l’intégration individuelle des handicapés en France en milieu scolaire ordinaire n'est que très peu développée72. Si nous appliquons cette réflexion à nos sites d’éducation aux médias que voyons-nous ? Premièrement, les utilisateurs ont la possibilité de s’instruire sur des sujets très variés allant des matières scolaires comme l’éducation civique ou l’histoire, aux langues (enseignement du français par les médias sur TV5 Monde) ou à l’éducation au sens large (éducation aux médias par exemple sur FTVE). Si les sites de Jalons et TV5 Enseignement sont destinés à être utilisés en classe, il est également possible pour les élèves de les parcourir et de se renseigner sur ce qu’ils contiennent seuls. Sur le site de TV5, les contenus sont régulièrement actualisés ce qui permet aux élèves de toujours s’informer plus. En effet, les dossiers d'actualité sont renouvelés chaque semaine et les dossiers sur une thématique géopolitique chaque mois. Deuxièmement, comme certains contenus sont triés par matières et niveaux scolaires il est possible de s’appuyer dessus pour réviser ou pour approfondir ses connaissances de manière la plus adaptée possible. Sur le site Jalons par exemple il existe des parcours pédagogiques spécifiques concernant des périodes historiques (les deux guerres mondiales), des matières (géographie), et des thèmes (culture). Cela permet aux élèves de s'y retrouver et de ne pas être débordé par la masse de contenus qu'il y a sur le site. Il est intéressant de noter que ces contenus balaient une très longue période historique puisqu'ils vont de 1914 (soldats français dans les tranchées lors du début du premier conflit mondial) à nos jours (discours de François Hollande sur la Panthéonisation de quatre résistants en 2014). Les parcours pédagogiques contiennent des présentations du contenu, des activités ainsi qu’une bibliographie indicative pour aller plus loin. Cela permet aux utilisateurs de se questionner, et d’élaborer des pistes de réflexion sur des thématiques données à partir des documents. Sur TV5, les vidéos sont classées selon le niveau de langue requis à partir du cadre européen commun de référence pour les langues élaboré par le conseil de l'Europe. Les élèves sont alors en mesurer de savoir quels contenus leur convient le mieux mais aussi de mesurer leurs avancées. Troisièmement, les contenus sur les sites Jalons et TV5 sont contextualisés. Les vidéos contiennent des transcriptions écrites mais également des commentaires sur le contenu lui-même et sur le contexte historique, économique ou politique. Sur TV5 il est également possible de télécharger les documents suivants pour mieux comprendre les vidéos : fiches enseignant, fiches apprenant, transcriptions, et contenus complémentaires. Quatrièmement des tests de connaissances sont disponibles sur les sites de FTVE et TV5. Sur FTVE, cela va par exemple prendre la forme d’un quiz sur l’éducation aux médias. Sur TV5, cela 72 Lesain-Delabarre Jean-Marc, « L'intégration scolaire en France : une dynamique paradoxale. », Revue française de pédagogie, Volume 134, 2001, pp. 47-58

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sera des tests de connaissances du français mis à jour deux fois par an. Enfin, sur les sites Jalons et TV5, il est possible de garder en mémoire ses contenus favoris pour pouvoir revoir certaines vidéos et donc mieux mémoriser leurs contenus.

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II/ Il est accessible

1. Un outil qui s'est démocratisé Nous avons donc vu que le web avait une première spécificité par rapport aux autres outils d'éducation aux médias : il permet de développer un apprentissage plus individualisé, en fonction des envies et des besoins de la personne, et d'intéresser plus les personnes et notamment les enfants par son approche ludique. En effet, lorsqu'un enfant joue ou regarde des contenus audiovisuels sur l'ordinateur il n'a pas l'impression de faire un devoir. Dans le cas où ces contenus contiennent des connaissances nécessaires à la culture générale de l'enfant, il les retiendra d'autant plus facilement. En plus d'être un outil prisé, le web est un outil qui est devenu de plus en plus accessible. Comme nous l'avons vu précédemment, il est présent aujourd'hui dans presque tous les foyers français et s'est développé dans une logique de gratuité. Tout d'abord le web est un outil qui est par principe démocratique. A sa création seuls des chercheurs, des étudiants et des militaires y avaient accès. Aujourd'hui plus des trois quarts des français ont un ordinateur chez eux avec une connexion internet. Cette affirmation est également valable dans tous les pays occidentaux et tend à devenir vraie dans les pays en développement. Internet s'est construit sur les principes d'une nouvelle démocratie. Pour David Imer, la « démocratie virtuelle » qui est arrivée avec internet a permis plus de libertés civiques pour les individus (internet n'est pas régulé par l'Etat), plus de libertés économiques (internet ne connaît pas de barrières économiques) et moins de règles sociales (internet ne fonctionne ni sur le principe de justice ni sur celui de l'équité)73. Chacun est libre d'exprimer toutes ses pensées sur le web, pratique qui se développe notamment par le biais des réseaux sociaux et des blogs. Chacun est libre de vendre et d'acheter sur internet. Sur « Le bon coin », site français de vente en ligne entre particuliers, certaines personnes vendent des sous-vêtements usagés. Si je veux acheter sur le site de vente aux enchères « ebay » un produit, je l'obtiendrai en mettant le prix fort. Jean-Michel Besnier souligne lui le renversement de paradoxe avec l'arrivée d'internet. Il cite Joël de Rosnay : « L'espèce humaine est engagée dans un défi sans précédent, construire de l'intérieur un organisme vivant d'un niveau d'organisation supérieur à celui de sa propre entité. Un organisme appelé à devenir son partenaire symbiotique. Aucune approche politique, philosophique ni même religieuse ne l'a préparé à cette 73

Imer David, « Internet : expression d'une démocratie économique ou suffrage censitaire ? », Quaderni, N. 31, Hiver 1997, pp. 33-40

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tâche titanesque qui met en question la souveraineté de l'homme et la portée de son action sur le monde »74. Par là il veut dire que le web permet de modifier l'action de l'homme sur le monde en la virtualisant. De plus, comme le soulignent Eric Brousseau et Nicolas Curien l'architecture d'internet fait que les données circulant par ce réseau empruntent des chemins qui sont incontrôlables. Ils rappellent également que ces informations peuvent être fragmentées ou dupliquées en plusieurs lieux de manière totale ment invisible pour utilisateur voire même pour les administrateurs du réseau, ce qui favorise leur diffusion de par le monde75. Ensuite, le web est un outil qui s'est démocratisé. En effet, comme nous l'avons vu dans la première partie, internet a de plus pris une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne de chacun. C'est un outil qui s'est démocratisé c'est à dire qu'il est « devenu accessible à toutes les classes sociales », il est désormais « à la portée de tous »76. C'est ce que nous pouvons voir dans l'étude menée par Raphaël Suire, Thierry Pénard et Sylvain Arnaud : sur l’ensemble des personnes interrogées en 2010, 64% disposaient d’une connexion internet à domicile et 61 % déclaraient utiliser internet au moins une fois par mois, que ce soit à domicile, sur le lieu de travail ou sur le lieu d’étude. 40 % de ces internautes indiquaient consommer des vidéos sur internet. 76 % des internautes de moins de 20 ans déclaraient regarder des vidéos en ligne (48 % au moins une fois par semaine), contre seulement 24 % pour les 30-39 ans et 16 % pour les 50 ans et plus77. Internet est donc partout et est un phénomène générationnel puisque les jeunes le pratiquent plus. De plus, le média audiovisuel a une place de grande importance dans la pratique du web. A l'école également internet prend une place grandissante. Pour Laurent Petit, cela est dû à l'importance des dispositifs d'incitation et de mise à disposition des ressources pour les enseignants qui passent de plus en plus par des plateformes. Il prend l'exemple de Corélis qui offre des ressources en fonction des besoins des enseignants. Il souligne par ailleurs que ce sont les collectivités territoriales permettent l'amélioration des conditions d'accessibilité de toutes ces ressources78. Selon Laurent Trémel, le développement des écrans en classe est dû au développement des nouvelles pédagogies. Celles-ci sont avec le besoin de former de plus en plus de cadres, notamment pour le secteur tertiaire. L'idée c'est que l'utilisation de médias populaires comme internet va permettre de toucher les enfants issus 74 Besnier Jean-Michel, « Démocratie, temps et conflit à l'épreuve des TIC. », Réseaux, 2000, volume 18 n°100, pp. 137-156 75 Brousseau Eric, Curien Nicolas, « Introduction : Economie d'Internet, économie du numérique. », Revue économique, Numéro Hors Série, 2001, pp. 7-36 76 Définition du Larousse 77 Suire Raphaël, Pénard Thierry, Sylvain Arnaud, « La gratuité est-elle une fatalité sur les marchés numériques ? Une étude sur le consentement à payer pour des offres de contenus audiovisuels sur internet. », Économie & prévision, Numéro 194, 2010-3, pp. 15-32 78 Cinémathèque Française, « Education à l'image, aux médias et au numérique », Rencontres Culture et numérique, Paris, 8 et 9 juin 2015

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de milieux populaires. Ces pédagogies vont à l'encontre des méthodes traditionnelles qui ne fonctionnent pas avec tous les publics79. Geneviève Jacquinot ajoute que c'est à l'école de prendre cela en charge car sinon « il en sera des images et des sons comme des mots : seuls les heureux élus pourront en jouir pleinement et des meilleures ! »80. Enfin, que pouvons-nous dire des sites d'éducation aux médias eux-mêmes. Depuis leur création ils cherchent à s'adresser à un public de plus en plus large. Prenons le cas du site France TV éducation né en 2012. Auparavant, un autre site éducatif existait dans le groupe France TV qui s'appelait « curiosphere.tv » et était produit par France 5. L'offre qui était déjà conséquente (4 000 vidéos, 300 dossiers, 200 jeux) était néanmoins méconnue, souligne Amel Cogard, responsable de France TV éducation. « Nous avons donc eu la volonté de créer une offre qui serait réellement identifiée comme celle de France TV, plus large, plus transversale » m'a-t-elle confié81. Et alors que curiosphere s'adressait aux enfants, francetveducation s'adresse également à leurs parents et aux professionnels de l'éducation. Ces sites se sont également démocratisés parce qu'ils ont enrichis leurs contenus depuis leur création. Xavier Lemarchand, responsable du studio hypermédia à l'Ina qui a créé Jalons, nous dit qu'en effet alors qu'au départ le site ne contenait qu'une cinquantaine de vidéos il en recense désormais près de 2 000. Le site est actualisé tous les ans. Par exemple, suite aux événements de janvier l'Ina a décidé, en lien avec le ministère de l'éducation nationale, de créer un corpus spécifique sur le site dédié aux questions de citoyenneté et de laïcité. Autre exemple, de plus en plus de vidéos sont publiées sur le thème du développement durable, puisqu'il est amené à prendre une place plus importante dans les programmes scolaires82. Enfin ces sites sont de plus en plus individualisés en fonction des besoins et des envies des publics. Par exemple nous rapporte Amel Cogard, sur la page d'accueil du site de France TV éducation il est possible de remplir un questionnaire sur les contenus les plus recherchés ou sur ceux que l'on aime ou n'aime pas. Par la suite ces réponses seront compilées et permettront de faire une étude des publics et d'ajuster le choix des contenus pour qu'ils soient les plus personnalisés possibles. De plus, France TV éducation aimerait par la suite organiser des comités de rédaction avec des enseignants et des parents d'élèves pour recueillir des propositions de ce qu'ils aimerait voir sur le site83.

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https://www.reseau-canope.fr/notice/les-nouvelles-pedagogies-et-les-ecrans.html Jacquinot Geneviève, L’Ecole devant les écrans, Paris : ESF, 1985 81 Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux 82 Lemarchand Xavier, Responsable du studio hypermédia à l'Ina, Entretien physique réalisé le 09/07/15 à Bry-surMarne 83 Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux

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2. Un outil gratuit (ou presque) Alors que les supports audiovisuels comme les actualités françaises ou les CD-ROM étaient payants, l'un pour une séance de cinéma, l'autre pour l'objet en lui-même, les sites d'éducation à l'image et aux médias qui se sont développés sont pour la plupart gratuits, ou disposent tout du moins d'une partie gratuite. Cela s'explique par les principes de l'internet, la mission de service public et la volonté du ministère de l'éducation nationale de disposer de ressources éducatives gratuites, et une stratégie marketing double qui s'appuie sur le gratuit pour inciter les utilisateurs à basculer vers des contenus payants. Tout d'abord, revenons sur le modèle économique d'internet. Comme le rappellent Thierry Pénard et Godefroy Dang Nguyen les premiers chercheurs qui ont développé internet ne se sont pas préoccupés de donner de la valeur à l'outil. Ils désiraient seulement partager des services84. Le système était alors basé sur le modèle du don et du contre-don : si tu m'apprends quelque chose, je t'apprendrai autre chose plus tard. Avec l'arrivée des fournisseurs d'accès à internet le système a un peu changé. Néanmoins, le financement d'internet se fait par un tiers comme pour la radio et la télévision et non pas à la connexion. Le modèle économique choisi ne pouvait pas être le tout payant car les businessmen avaient en tête le modèle de départ. Thierry Pénard et Godefroy Dang Nguyen soulignent toutefois que les systèmes de gratuité existent toujours sur internet. Ils expliquent que cela est dû à son organisation technique qui repose sur des principes d'interactivité. L'architecture du réseau qui fonctionne sur le principe « client/ serveur » fait que les acteurs du système sont interdépendants. Ils doivent pouvoir s'appuyer sur les autres pour pouvoir fonctionner. De plus, les auteurs nous disent que les internautes sont également acteurs du jeu puisqu’ils aiguillent eux aussi les requêtes85. En effet, dans les communautés d’internautes, il est plus intéressant de fonctionner sur les principes de gratuité et de libre accès, et ce dans l’intérêt individuel de chacun. La communauté fonctionne alors plus efficacement et à moindre coût pour tous. Viviane Serfaty quant à elle souligne le fait qu'internet repose sur la théorie cybernétique de Norbert Wiener qui date de 1954 : la libre circulation des flux d'information est la condition nécessaire à tout savoir. C'est dans ce cadre qu'internet s'est développé sur la culture du partage et de la gratuité86. 84

Pénard Thierry, Nguyen Godefroy Dang, « Interaction et coopération en réseau. Un modèle de gratuité. », Revue économique, Numéro Hors Série, 2001, pp. 57-76 85 Ibid 86 Serfaty Viviane, « L'Internet : fragments d'un discours utopique. », Communication et langages, N°119, 1er trimestre 1999, pp. 106-117

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Ensuite, les sites web médias sont pour la plupart gratuits car ils reposent sur des principes de service public. Par exemple la nouvelle version de la plateforme de France TV éducation lancée en avril dernier est une offre gratuite à destination de toute la communauté éducative. Chacun est libre de visionner des contenus qu'il soit enseignant ou apprenant. Il repose sur cinq objectifs dont la volonté de « développer l'esprit critique des futurs citoyens ». Cela est rendu possible par des magazines de décryptage de l'actualité et des médias par exemple et une websérie dédiée à l'éducation aux médias. Si France TV a fait le choix du gratuit, c'est aussi parce qu'elle a « une mission de service public qui est de proposer au plus grand nombre l’enseignement des services du groupe » nous dit Amel Cogard87. Groupe qui est une référence en la matière d'audiovisuel en France. Si nous prenons l'histoire du site Jalons qui a deux versions, une version de base et une version abonnés, nous voyons également que le ministère de l'éducation nationale a eu un rôle à jouer concernant la gratuité des contenus. Comme nous le dit Sophie Bachmann, chef de projet Jalons à l'Ina, au départ les établissements scolaires qui le souhaitaient payaient l'abonnement. En 2014, 1 500 établissements étaient abonnés à Jalons et plusieurs collectivités territoriales également. Mais cette même année, le ministère de l'éducation nationale a lancé le projet Eduthèque. Eduthèque c'est la mise à disposition de ressources éducatives provenant de différents partenaires pour les élèves et les enseignants. Le ministère de l'éducation nationale a choisi le projet Jalons car il s'inscrit dans une volonté de préserver une partie de la mémoire nationale. L'Ina et le ministère ont donc passé un contrat nous dit Sophie Bachmaan qui oblige d'un côté l'Ina à ouvrir 40 nouveaux Jalons par an, et de l'autre le ministère à offrir une compensation financière du montant des rémunérations perçues préalablement par l'Ina88. Enfin, pourquoi, d'un point de vue marketing, rendre ces contenus audiovisuels numériques gratuits ? Une première réponse c'est l'alignement avec la concurrence : si mes concurrents proposent des programmes gratuits alors je vais proposer des programmes gratuits. Une deuxième est liée à la particularité de ces biens numériques, qui ne sont pas des marchandises comme les autres. En effet, Raphaël Suire, Thierry Pénard et Arnaud Sylvain, se posent la question de la consultation en streaming, c'est à dire gratuitement, des contenus audiovisuels. Ils soulignent le fait que ces contenus sont des « biens d'expérience » c'est à dire que ce sont des biens « dont on ne connaît l'utilité ou la qualité sans les avoir consommés »89. De plus, ils nous disent que par leur 87

Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux 88 Bachmann Sophie, Chef de projet « Jalons » à l'Ina, Entretien physique réalisé le 21/07/15 à Bry-sur-Marne 89 Suire Raphaël, Pénard Thierry, Sylvain Arnaud, « La gratuité est-elle une fatalité sur les marchés numériques ? Une étude sur le consentement à payer pour des offres de contenus audiovisuels sur internet. », Économie & prévision, Numéro 194, 2010-3, pp. 15-32

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nature les biens numériques peuvent être dupliqués à l’infini à coût réduit sans dégradation de qualité. Les coûts sont fixes et portent sur le premier exemplaire. Les biens numériques s’échangent et se stockent facilement, ce qui les rend aisément distribuables et consommables. Ces biens ne sont donc pas très chers à produire et sûrement très difficiles à vendre. Néanmoins, il existe une stratégie marketing derrière cela. Virginie Lethiais cite Fleurot et Sommer dans son article sur « La tarification des services sur Internet » : « Si une structure produit deux services complémentaires sur internet, elle a tout intérêt à offrir le premier. La valorisation du premier permet de mieux fidéliser les clients »90. Internet est utilité par les marques comme une vitrine. C'est un outil de communication très efficace. Un site gratuit est par définition plus visité qu'un site avec des contenus payants. Rendre des contenus disponibles gratuitement sur internet, c'est faire valoir son image. Internet permet aux institutions et aux marques de montrer une partie de leurs ressources pour faire naître chez l’internaute le désir de lire ou de visionner d'autres contenus disponibles sur d’autres supports. De plus créer des plateformes ou sites web destinés aux enfants et adolescents permet de fidéliser un certain public. En effet, si je consomme les biens d'une marque étant enfant, j'aurais plus de facilité à acheter cette marque quand j'aurais des ressources pour consommer. C’est une stratégie marketing non négligeable.

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Lethiais Virginie, « La tarification des services sur Internet. Intégration verticale et gratuité. », Revue économique, Numéro Hors Série, 2001, pp. 39-56


III/ Il favorise le développement du cerveau

1. Un outil qui « favorise la mémoire de travail et la pensée visuelle » L'ordinateur, et plus particulièrement internet, en plus d'être des outils accessibles, sont des outils qui permettent aux utilisateurs d'être actifs. Je peux agir sur le cours des événements de mon ordinateur en cliquant sur un dossier plutôt que sur un autre, en recherchant un mot clé plutôt qu'un autre. Dans cette logique, l'ordinateur et internet favorisent le développement du cerveau par l'apprentissage basé sur le visuel et par la confrontation des points de vue. En effet, Jean-François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna et Serge Tisseron nous font justement remarquer dans leur ouvrage L'enfant et les écrans que « l'ordinateur favorise la mémoire de travail et la pensée visuelle »91. Tout d'abord pour ces auteurs, la « mémoire de travail » est le processus qui vise à « maintenir et manipuler mentalement des informations et des instructions »92. C'est à dire la capacité à se projeter dans le flux d'informations et de n'agir que sur ce qu'il y a de plus important. Elle est très importante car c'est elle qui nous permet par la suite d'avoir la capacité à apprendre de nouveaux concepts plus facilement. Selon l'âge de l'enfant les conséquences de l'utilisation du numérique ne seront pas les mêmes. Chez les enfants entre 6 et 12 ans il est important de les utiliser de façon pédagogique pour que le cerveau se développe bien. En effet lors de l’enfance les connexions neuronales présentes dans le cerveau se font et se défont facilement. C’est une période que l’on appelle sensible. Chez les adolescents les outils numériques vont tout de suite favoriser les capacités déductives. Pourquoi estce que l'ordinateur permet cela ? Ce sont des recherches en neurosciences cognitives qui ont démontré que les écrans et les outils numériques augmentaient le potentiel de navigation spatial du cerveau humain selon deux modes, « allocentré » et « egocentré »93. Le mode « allocentré » fait référence à la vision en survol tandis que le mode « egocentré » fait référence au vécu à partir d'un trajet personnel. Or l'ordinateur permet d'alterner entre ces deux modes, cela est donc bon pour le fonctionnement du cerveau. De plus, les ordinateurs sont considérés par les neurosciences comme des outils qui augmenteraient les potentialités de nos cerveaux. En effet le développement cognitif du cerveau est dynamique et non linéaire. Des études sur l'impact positif de certains jeux vidéo ont 91

Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 92 Ibid 93 Ibid

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eu lieu. Ceux-ci augmenteraient l’attention sélective et le contrôle cognitif du cerveau. C'est d'ailleurs ce que l'on voit avec la mise en place de procédures pédagogiques par la psychologie scientifique pour aider l’enfant et l’adolescent à exercer un contrôle cognitif qui permet de mieux contrôler les automatismes du cerveau (inhibition) et de s’adapter aux situations complexes (flexibilité). Par extension ces études peuvent s’appliquer aux écrans et à l’informatique. Si l'on prend l'exemple de France TV éducation, cette remarque peut s'appliquer aux « serious games » présents sur le site. Les « serious games » ce sont des jeux qui ont l'intention spécifique de faire passer un message de manière attractive. Ce message peut être pédagogique, instructif, ou communicatif. Le jeu intitulé « Chasseurs d’infos » est un bon exemple. L'objectif de ce jeu est de devenir un bon reporter. Pour cela il s'appuie sur des tâches qui vont amener l'enfant à développer sa vigilance : il doit repérer les bonnes et les mauvaises informations, il doit trier les informations par thèmes, il doit les hiérarchiser.... L'enfant doit donc faire un choix face aux informations qui sont produites ce qui lui permet de développer sa mémoire de travail. De plus les codes visuels du jeu sont des clins d'oeil aux outils réellement utilisés par les journalistes (réseaux sociaux, outils de communication..) ce qui le rend d'autant plus crédible. Sur le site de TV5 Monde pour apprendre le français des exercices qui permettent de tester ses connaissances sont proposés. Par exemple avec la vidéo « Europe : un obstacle de plus sur la route des migrants » l'utilisateur doit remettre les sujets abordés dans le journal télévisé en ligne dans l’ordre, il doit associer des phrases avec des images, il doit retranscrire des mots français, ou il doit dire quelles informations sont fausses et lesquelles sont vraies. Ce type d'exercice permet également le développement de la mémoire de travail puisqu'il fait appel aux informations que l'utilisateur a vu précédemment dans la vidéo qui l'accompagne. Ensuite, l'utilisation du web développe la pensée visuelle, ce qui est différent d'un apprentissage classique. Pourtant dès l'Antiquité le poète Horace disait : « Les choses qui entrent par les oreilles prennent un chemin bien plus long et touchent bien moins que celles qui entrent par les yeux, lesquels sont des témoins plus sûrs et plus fidèles »94. Néanmoins il faudra attendre de nombreux siècles avant que l'école intègre ce propos. Dans les années 1970 des chercheur comme Rudolph Arnheim nous disent que l'école a survalorisé l'apprentissage par la langue au détriment du visuel et qu'il est nécessaire de changer de pédagogie95. A l'époque de nombreux obstacles existent : il y a peu de matériel disponible et nous n'utilisons encore que peu les écrans. De plus, les images sont souvent mal utilisées et les élèves ne sont souvent pas capables de reconnaître leurs différents niveaux de fonctionnement. Pour développer une pensée, une intelligence visuelle, il faut 94

Cité par Annie Renonciat dans Renonciat Annie et Simon-Oikawa Marianne (dir.), La Pédagogie par l’image en France et au Japon, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009 95 Arnheim Rudolf, La pensée visuelle, Paris : Flammarion, 1976

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sensibiliser le regard et la perception des élèves. Sur nos sites d'éducation aux médias, l'image est prépondérante. Sur Jalons par exemple tous les contenus disponibles sont des contenus vidéos. Les parcours pédagogiques sont également souvent accompagnés de documents iconographiques. La recherche d'information est elle-même construite autour de l'image. Par exemple je peux rechercher des contenus de manière chronologique en faisant défiler une ligne du temps. Je peux également rechercher des contenus de manière géographique en naviguant sur une mappemonde.

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2. Un outil qui permet de mieux confronter les points de vue Alors qu'avec un outil comme le livre nous étions restreints à ne recueillir que le point de vue d'un auteur, l'ordinateur permet de recueillir des points de vue différents en un seul clic. Si je veux en savoir plus sur l'éducation aux médias par exemple, je tape « éducation » et « médias » dans un moteur de recherche et j'aurais 45 millions de résultats. L'ordinateur permet également de faire appel à différents médias comme la vidéo, le son ou l'écrit, ce qui renforce la multiplicité des points de vue. Bien souvent un auteur n'est pas forcément animateur radio ni présentateur à la télévision. Nous allons donc approfondir cette question en montrant ce que l'ordinateur et internet ont changé au niveau de la multiplicité des sources, et en prenant des exemples. Premièrement, il est important de comparer le fonctionnement du livre et celui d'un écran. Dans l'ouvrage L'enfant et les écrans, les auteurs définissent la « culture du livre » par les mots suivants : « pensée linéaire », « narrativité », « mémoire événementielle », « singulier », « unicité », « identité unique » et « refoulement ». En effet, une histoire écrite évolue selon une temporalité et un lieu souvent unique, fait appel à l'identité de l'auteur, et décrit des événements de manière factuelle. A cette « culture du livre » les auteurs opposent la « culture des écrans » qui elle serait décrite par : sa « pensée spatialisée », sa « mémoire de travail », son côté « pluriel » et « multiple » et son « clivage »96. L'ordinateur permet de naviguer dans une ou des histoires et fait appel à un utilisateur actif qui se doit de trier les information qu'il reçoit notamment par le biais d'internet. Internet favorise l'accomplissement de plusieurs tâches en simultané. Un cerveau dit « multitâche » saura rapidement changer de centre d'intérêt et réagir à des stimuli tout en restant concentré sur la tâche principale. Pour Jean-François Bach, Olivier Houdé, Pierre Léna et Serge Tisseron : « L’usage des écrans pour la navigation dans des espaces virtuels peut permettre d’éduquer à la pluralité des points de vue tant chez l’adulte que chez l’enfant. Dès lors l’impact porte non seulement sur la cognition spatiale mais aussi sur la cognition sociale : coordination des perspectives, tolérance à des points de vue différents du sien sur une même situation ou un même objet »97. Une étude d'Andrew et Murphy sur les joueurs de jeux vidéos a démontré leur capacité à faire abstraction des distractions visuelles tout en ayant suffisamment d’attention pour la tâche à accomplir. Ils soulignent que ce processus n'est possible que par la hiérarchisation des tâches : savoir quoi faire en premier pour perdre le moins de temps possible.

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Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 97 Ibid

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Deuxièmement, l'ordinateur en utilisant différents médias permet à l'utilisateur de combiner différentes approches de l'information : « À la lecture linéaire se superpose la navigation multimédia, interactive, hypertexte et ludique. L'approche analytique du texte est prolongée par la consultation de documents audio et vidéo, la raison et la logique sont doublées par les images et le spectacle. D'un simple clic, il est possible de pointer un mot ou une icône pour accéder à d'autres données. D'où une information plus rapide et plus complète, un apprentissage plus individualisé. Les séquences les plus rébarbatives des cours peuvent se transformer sur l'écran en un parcours de jeux. Ce qui signifie, à tous les niveaux scolaires, plus de temps pour des séminaires, des travaux pratiques. » nous dit René Duboux98. L'ordinateur, en plus de faire appel à la logique, fait appel aux sentiments et aux émotions, c'est ce qui le rend si attractif. De plus, techniquement, sur une page web, il est possible de regrouper différents points de vue. Une page écran est souvent composée d'un texte de type éditorial et d'une série de liens vers d'autres articles. Un dossier thématique peut regrouper plusieurs articles sur un même sujet et donc différents points de vue. Valérie JeannePerrier souligne le fait que le support électronique permet de supporter trois types de texte : « le texte d'approfondissement » qui va nous amener sur un article plus complet, « le texte de prolongement » qui va nous amener sur des articles déjà parus sur le sujet et « le texte de relais » qui crée des synergies avec d'autres supports comme les forums par exemple99. Elle ajoute que les supports numériques permettent une « cohabitation des temporalités » ce que ne permettait pas le support papier100. En effet sur le site du Monde je peux aussi bien consulter un article du jour même qu'un article de l'année passée ou un article datant de 2008. Troisièmement, prenons l'exemple de nos sites web médias pour démontrer la confrontation des points de vue. Ces sites utilisent différents points de vue en utilisant différents médias. Par exemple sur Jalons, des contenus audiovisuels sont disponibles, mais ils sont accompagnés de textes explicatifs du contexte historique et médiatique, et parfois de documents iconographiques, de cartes, de discours historiques... Sur France TV éducation, de nombreux médias comme la vidéo, le jeu vidéo ou l'écrit sont également utilisés. Sur TV5 Monde, il existe bel et bien des vidéos et des textes. De plus, ces sites utilisent différents points de vue en utilisant différents interlocuteurs et différentes sources. Sur les vidéos de l'Ina disponibles sur Jalons, il peut y avoir un homme politique qui parle mais aussi un journaliste ou un habitant d'une région du monde. Sur le site France TV éducation les vidéos sont issues de nombreuses sources (les chaînes de France TV bien 98

Duboux René, « De la télévision scolaire à la culture multimédia. », Communication et langages, N°110, 4ème trimestre 1996, pp. 20-34 99 Jeanne-Perrier Valérie, « Média imprimé et média informatisé : le leurre de la complémentarité. », Communication et langages, N°129, 3ème trimestre 2001, pp. 49-63 100 Ibid

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sûr mais aussi l'ECPAD, des webdocs ou des master class) et font intervenir aussi bien des journalistes, que des acteurs, des réalisateurs, et des professionnels et experts du monde des médias. Sur TV5 Monde les vidéos sont issues de différentes chaînes de télévision, en France et à l'international (ARTE, France TV, RTBF, TV5 Québec..) et même parfois d'associations de journalistes ou de spectacles. Ces sites utilisent également différents points de vue en utilisant différentes périodes historiques. Les vidéos disponibles sur le site Jalons vont de 1914 à nos jours par exemple. Enfin, ces sites contiennent des exercices qui permettent aux utilisateurs de réfléchir à tout cela. Dans les parcours pédagogiques de Jalons, l'internaute est amené à se questionner sur les liens qu'il peut y avoir entre les médias et le pouvoir, sur la manière dont est traité un sujet suivant les périodes historiques et le pays et sur les conditions de production et la qualité des sources. Dans les dossiers de France TV éducation, l'élève est amené à se questionner sur le contexte de production du document. Dans les exercices qui accompagnent les vidéos du site TV5 Monde apprendre le français les utilisateurs doivent réfléchir aux symboles, analyser des textes, débattre, tirer des conclusions ou déceler les vraies informations des fausses.

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Nous avons donc vu que les enjeux de l'utilisation du web dans l'éducation aux médias étaient multiples. Il permet tout d'abord un apprentissage autonome et individualisé de manière ludique. Alors qu'avec les actualités françaises et la télévision scolaire, je devais attendre d'être en classe pour apprendre, je peux désormais le faire depuis n'importe quel ordinateur ou smartphone, que je me trouve dans ma chambre, dans le bus ou dans la cour de l'école. Je suis également plus réceptif aux informations que je reçois car elles me sont présentées de manière ludique et que je suis acteur de mon apprentissage. En effet, si je veux connaître les enjeux de la seconde guerre mondiale, je ne suis pas obligé d'avoir appris ceux de la première guerre mondiale précédemment (même si dans les faits cela est mieux). Ensuite, le web est un média qui est utilisable et accessible facilement. Selon les principes d'internet, il suffit que je dispose d'un ordinateur et d'un accès à internet pour pouvoir consulter un nombre d'informations incalculables gratuitement. Or de plus en plus de français issus de différents milieux ont cette possibilité. Concernant l'éducation aux médias le ministère de l'éducation nationale avec son projet Eduthèque veille au grain pour la mise à disposition du plus grand nombre de ressources éducatives possibles provenant d'institutions et d'acteurs crédibles. Enfin, cela est scientifiquement prouvé, le web est un média qui améliore les performances du cerveau. Il favorise le développement de la mémoire de travail c'est à dire d'un apprentissage qui prend en compte la hiérarchisation d'informations. Il favorise la pensée visuelle qui est une méthode d'apprentissage peu développée dans les classes alors qu'elle est plus efficace que celle basée sur l'écrit. Il permet donc de pallier aux dysfonctionnements de certaines méthodes qui ne prennent pas en compte les prédispositions de la mémoire des élèves pour le visuel. Il favorise l'ouverture des élèves aux prises différents points de vue et prises de position. Ce qui est intéressant car cela leur permettra par la suite d'affiner leur esprit critique à partir d'arguments qu'ils peuvent réfuter. Le web serait donc l'outil idéal pour l'éducation aux médias. C'est néanmoins une affirmation qu'il serait dangereux de garder telle quel car il existe de nombreux détracteurs de l'utilisation d'internet dans les mécanismes d'apprentissage...

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Troisième partie : Quelles sont les limites d'une éducation trop centrée sur le numérique ? I/ Elle conduit à un manque de médiation

1. Elle limite la distance des individus vis à vis des contenus Une éducation trop centrée sur le numérique et sur l'utilisation des écrans comporte des risques pour les personnes au niveau de leur apprentissage, de leurs droits et de leur santé. Apprendre par le web, c'est tout d'abord risquer d'être face à des contenus que nous ne comprenons pas ou que nous interprétons de façon erronée. Apprendre par le web, c'est également risquer de déliter les interactions sociales, qui sont notamment très importante pour le développement de la socialisation primaire. Les enfants comme les adultes doivent pouvoir échanger sur leurs connaissances pour être au plus près de la vérité. Cela est d'autant plus vrai que nous parlons de l'apprentissage d'une matière spécifique qui est l'éducation aux médias et à l'image. Avec internet, nous pouvons certes apprendre de manière ludique et autonome. Néanmoins, nous ne savons pas toujours comment percevoir les images et les vidéos que nous regardons. Il existe bien des risques de prendre les contenus tels que nous les voyons et non pas tels qu'ils sont. Premièrement, il faut pouvoir prendre de la distance vis-à-vis des images que l'on regarde. En effet, selon Serge Tisseron, des études ont démontré que les spectateurs étaient plus enclins à s'intéresser aux images qu'ils peuvent rapprocher de leurs expériences vécues101. Pourquoi ? Ils peuvent alors s'identifier mieux à ce qui renvoie à la vie réelle, sans pour autant toujours faire de distinction entre ce qui est fictionnel et ce qui est réel. De plus, il est également possible de confondre les agissements des acteurs et des personnes réelles, notamment pour les enfants. Serge Tisseron souligne par ailleurs qu'il n'existe pas une mais trois aspects de la réalité des images. La première est ce qu'il appelle « la réalité du monde », c'est à dire la réalité multiple. A la télévision par exemple, nous ne percevons qu'une partie de celle-ci. Si une femme africaine, parle elle ne représente pas toute l'Afrique. La deuxième est « la réalité des images du monde » qui correspond à notre conception du monde. Bien souvent nous confondons la réalité et notre propre conception de 101 http://www.surlimage.info/ecrits/pdf/Tisseron-2002.pdf 51


celle-ci, qui fait appel à notre culture, à nos croyances. La troisième et dernière est « la réalité des représentations que nous nous faisons des images que nous voyons », c'est à dire la réalité que j'imagine pour l'autre102. Par exemple, si je vois des images violentes avec mes enfants, je vais vouloir les mettre en garde. Sauf que ceux-ci recherchent parfois dans leur visionnage des effets spéciaux. De plus, Serge Tisseron parle des « pouvoirs d'enveloppement des images »103. Il nous dit en effet que celles-ci peuvent être fausses car elles renvoient souvent aux émotions et aux sens, et que l'on croit que ces images sont interprétées par tous de la même manière. Or cela dépend de notre éducation et de nos codes culturels et sociaux, qui eux-mêmes dépendent de notre pays d'origine. Pour le chercheur, la seule manière de réussir à s'approprier les images est de les transformer. Nous devons établir une relation personnelle avec elles. Pour être alerte lors de la réception des images nous devons, nous dit Serge Tisseron, non seulement étudier le contexte de production des images (leur « point de vue ») mais aussi « repérer et cultiver leurs failles » et les « reconnaître comme information sur soi »104. C'est à dire que nous devons réfléchir sur la manière dont nous percevons ces images et sur les raisons de cette perception. Prenons un exemple, : celui des faux charniers de Timisoara. Christian Delage nous rappelle que cette histoire a fait le tour des médias occidentaux suite au renversement du régime de Caeucescu par les révolutionnaires. Ce qu'il s'est réellement passé est que les rebelles roumains ont voulu faire écho dans la presse occidentale pour que leur mouvement soit relayé et crédibilisé. Ils ont alors déplacé des cadavres morts de façon naturelle depuis l'institut médico-légal en faisant croire qu'ils avaient été tués par l'armée secrète de Caeucescu. Comment expliquer un tel engouement ? Christian Delage explique la réaction des médias par le fait que cette histoire s'inscrit dans « une longue tradition médiatique où l'on trouve aussi bien des effets de mise en scène (guerre civile américaine) que de contre-propagande (les nazis dénonçant, images à l'appui, la responsabilité soviétique dans le massacre de Katyn) des violences de guerre, pour mieux les faire admettre dans l'opinion ou pour se dégager de ses propres responsabilités criminelles »105. A ce moment-là, ce récit était alors tout à fait crédible. Avec l'avènement du numérique, les contenus que nous pouvons visionner sont encore à interpréter avec plus de précautions. Jean-François Bach souligne en effet que même si toutes les grandes inventions utilisant les images ont joué sur les perceptions que nous avions de celles-ci, la réalité virtuelle nous donne un sentiment d'immersion d'autant plus complet qu'elle utilise le son106. 102Ibid 103Ibid 104Ibid 105 Delage Christian (dir.), La fabrique des images contemporaines, Paris : Cercle d'art, 2007 106 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013

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Cette réalité touche donc tous nos sens. Parfois, elle paraît tellement forte que nous avons la sensation de pouvoir interagir directement avec elle. Hervé Le Crosnier critique quant à lui l'appellation « digital natives » qui sous entend le fait que naître avec internet permet de mieux l'utiliser. Le chercheur pense qu'une médiation est nécessaire entre les élèves et l'ordinateur107. Ils doivent chercher à mieux le comprendre car la plupart des images qui sont diffusées par ce biais sont instantanées. Elles sont donc perçues directement par les internautes, sans aucun filtre. Pour Jean-Yves Capul, sous directeur des programmes de l'enseignement, de la formation des enseignants et du développement numérique au Ministère de l'Education Nationale, nous devons apprendre à nos enfants à se servir d'internet. C'est à dire que nous devons leur apprendre à trouver des informations pertinentes et à transformer ces informations en connaissances. Philippe Quéau, directeur de la division de l'éthique et du changement global à l'UNESCO, renchérit en nous disant qu'il faut « apprendre à apprendre » aux élèves108. Apprendre signifie ici localiser, récupérer, analyser, organiser, évaluer, utiliser, appliquer, reproduire, et communiquer l'information trouvée sur internet. Pour illustrer ce besoin, prenons deux exemples, l'un disponible sur Jalons, l'autre sur France TV Education. Sur Jalons, si je regarde la vidéo intitulée « La construction de la mosquée de Strasbourg » sans en connaître le contexte, que vais-je penser ? Premièrement, il faut que je connaisse la situation dans laquelle est la religion musulmane en France pour comprendre que les Français sont partagés sur la question de la construction des mosquées. Deuxièmement, il faut que je sache que la France est un pays laïc dans lequel chacun est libre de pratiquer sa religion. Troisièmement, pour comprendre pourquoi des pays comme l'Arabie Saoudite financent des mosquées en France, je dois connaître ces pays et leur situation géopolitique. Je comprendrai alors pourquoi Strasbourg a fait le choix de laisser les fidèles plutôt qu'un pays financer la mosquée. Si je regarde sur FTVE la vidéo intitulée « Un journaliste syrien réfugié rencontre des lycéens », que faut-il que je sache pour avoir toutes les clés de compréhension en main ? Tout d'abord savoir quelles sont les causes de la guerre en Syrie et de l’engagement de la France là bas. Ensuite pourquoi les journalistes syriens ne sont pas libres d'exprimer ce qu'ils pensent du régime dans les médias nationaux. Enfin connaître le quotidien des syriens actuellement.

107 Cinémathèque Française, « Education à l'image, aux médias et au numérique », Rencontres Culture et numérique, Paris, 8 et 9 juin 2015 108 Ecole Normale Supérieure de Lyon, Cultures numériques : éducation aux médias et à l'information, Chasseneuildu-Poitou : CNDP, 2013

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2. Elle limite l'interaction avec les autres individus En plus de favoriser le manque de distance vis à vis des contenus, l'utilisation à outrance du web dans l'éducation peut empêcher les élèves d'interagir avec les professionnels du secteur pédagogique et avec leurs parents. Certains acteurs qui prônent l'utilisation du numérique l'ont très bien compris, c'est pourquoi ils suggèrent deux choses. La première est l'usage de ces ressources durant le temps scolaire pour que les professeurs puissent échanger avec leurs élèves, la seconde est la mise en place d'activités extra scolaires liées à l'éducation aux médias. Tout d'abord, Serge Tisseron affirme que : « toute éducation à l’image doit commencer par donner la parole aux enfants afin de comprendre ce qu’ils ont vu et compris, à la fois des images et de la réalité »109. En effet, tous les enfants ne réagissent pas de la même manière face à des images violentes par exemple et tous les enfants n'ont pas le même niveau de compréhension des informations. Serge Tisseron pense que les enseignants doivent inciter les enfants à exprimer les aspects sensoriels, émotionnels et corporels que provoquent les images chez eux. Cela leur permet de s'immuniser face aux spectacles des horreurs réelles auxquelles ils pourront être confrontés par la suite. De plus, le chercheur nous dit qu'il est intéressant de proposer des activités de jeux de rôle aux enfants pour leur permettre de rejouer les scènes d'actualité auxquelles ils ont assisté. En effet, certains enfants n'arrivent pas forcément à décharger leurs émotions par la parole. Serge Tisseron préconise également l'apprentissage des techniques de production des images en plus de l'apprentissage de leur lecture. Cela permet aux enfants de se rendre compte par exemple des effets spéciaux qui sont utilisés ou de la subjectivité que peut recouvrir une prise de vue photographique110. Sophie Jehel, maître de conférences à l'université Paris 8, va également dans ce sens lorsqu'elle nous dit qu'il est nécessaire pour les élèves de garder des activités hors écran pour construire une compréhension critique des médias. Une éducation aux médias idéale repose selon elle sur une initiation aux rôles de ceux-ci et aux principes sur lesquels ils reposent. Pour comprendre cela, il faut pousser à l'analyse des codes dramaturgiques des contenus médiatiques, du fonctionnement économique des médias, ainsi que des valeurs des messages médiatiques111. Une autre donnée à prendre en compte dans le fait de ne pas négliger les interactions avec les élèves est la méfiance des enseignants vis-à-vis des outils numériques. C'est ce que nous dit Jean-Michel Perron en ajoutant que pour le moment il n’existe aucune étude concrète sur les impacts positifs du 109

http://www.surlimage.info/ecrits/pdf/Tisseron-2002.pdf 110 Ibid 111 Ecole Normale Supérieure de Lyon, Cultures numériques : éducation aux médias et à l'information, Chasseneuildu-Poitou : CNDP, 2013

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numérique sur l’éducation ou les connaissances acquises grâce à lui112. Le rôle des professeurs n'est donc pas remis en cause comme certains pourraient le croire, il reste au contraire indispensable dans notre société. Ensuite, bien que les acteurs prônant l'utilisation du numérique soient de plus en plus nombreux, ils ne poussent pas pour autant à réduire les interactions sociales lors de l'apprentissage. Un médiateur comme Canopé, qui est un réseau de création et d'accompagnement pédagogique sous la tutelle du Ministère de l'Education Nationale, a pour mission de créer des liens entre l'innovation et la pédagogie dans le but de favoriser la création de « l'école numérique ». L'offre que propose Canopé est une offre de proximité puisqu'il existe plus de 100 sites décentralisés en France. Ces antennes sont à la fois des librairies, des médiathèques, des espaces de formation et d'animation, aussi bien à destination des élèves que des enseignants. L'expertise de Canopé est également complète puisqu'elle relève de la conception de scénarii pédagogiques, de la création de ressources novatrices, de l'impulsion d'une politique d'innovation, de l'aide et de la formation à l'utilisation de ressources, du conseil aux enseignants, de la valorisation des pratiques pédagogiques numériques et enfin du développement d'ateliers d'expérimentations. De même, Canopé est partenaire de nombreux acteurs du milieu de l'éducation aux médias, tels que France TV Education ou l'Ina. C'est donc dans le même sens que vont ces protagonistes. Chez France TV Education par exemple, bien que les ressources disponibles sur le site ne soient destinées qu'à un usage hors temps scolaire, les équipes ont décidé de mettre en place des actions de terrain. C'est ce que m'a confié Amel Cogard. Ces actions prennent souvent la forme de masterclass où sont diffusées en avant-première des fictions de France TV, ce qui permet aux enfants de dialoguer avec les équipes de tournage. De plus, les contenus choisis pour le site sont indexés grâce à l'aide d'enseignants et d'experts. Bien qu'ils ne soient pas destinés à une utilisation en classe, ils doivent quand même être en rapport avec les programmes scolaires113. Concernant Jalons, la problématique est différente puisque le projet s'inscrit directement dans le programme du Ministère de l'Education Nationale intitulé « Espace Numérique des Savoirs ». Comme le souligne Sophie Bachmann, ce programme a pour mission de constituer une base de ressources granulaires, issues d’établissements publics ou de sociétés privées, destinées aux professeurs et à leurs élèves pour des cours ou des exposés114. Jalons a pour finalité d'être utilisé en classe, c'est pourquoi sa version intégrale permet de télécharger les vidéos pour pouvoir les visionner même sans avoir accès à internet. Les vidéos de l'Ina disponibles sur Jalons 112 https://www.reseau-canope.fr/notice/les-nouvelles-pedagogies-et-les-ecrans.html 113 Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux 114 Bachmann Sophie, Chef de projet « Jalons » à l'Ina, Entretien physique réalisé le 21/07/15 à Bry-sur-Marne

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sont donc mises en relation avec les programmes scolaires. Pour Xavier Lemarchand, l'Ina n'étant pas expert en la manière, il se devait d'associer des professeurs dans le dispositif. Environ une trentaine d'enseignants ont ainsi été sollicités depuis le début du projet115. Ils aident à réaliser la cartographie des programmes scolaires mais aussi à sélectionner les vidéos les plus adaptées aux sujets étudiés. Ensuite, les professeurs contextualisent les vidéos de l'Ina en faisant une description documentaire riche (transcription, découpage plan par plan, indexations thématiques...). C'est pourquoi les vidéos disponibles sur Jalons, et notamment celles des parcours pédagogiques, contiennent déjà des questionnements et des analyses qui peuvent orienter l'utilisateur. Néanmoins Sophie Bachmann regrette que l'usage de Jalons en classe ne soit pas plus développé. Elle souligne le fait que non seulement les directeurs d'établissements mais aussi les professeurs doivent être partisans de cela. Elle ajoute qu'il faudrait des plages aménagées dans l'emploi du temps des élèves pour favoriser l'emploi de ce type d'outils116.

115 Lemarchand Xavier, Responsable du studio hypermédia à l'Ina, Entretien physique réalisé le 09/07/15 à Bry-surMarne 116 Bachmann Sophie, Chef de projet « Jalons » à l'Ina, Entretien physique réalisé le 21/07/15 à Bry-sur-Marne

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II/ Elle restreint les droits des individus

1. Elle réduit la protection de la vie privée Une éducation trop centrée sur le numérique risque également de restreindre les droits des individus. Tout d'abord, les droits de ceux qui l'utilisent, à savoir les enseignants et les élèves. En effet, internet ne protège pas la vie privée des individus comme il le devrait. Ensuite, les droits des auteurs de contenus audiovisuels peuvent parfois être bafoués. Concernant la vie privée des individus, internet connaît deux écueils. Le premier est celui qui incombe à tous les médias, à savoir qu'ils sont supposés être neutres mais que dans la pratique ils dépendent de ceux qui détiennent le pouvoir économique et le pouvoir politique. Le second est qu'internet, en étant libre, permet la circulation de toutes sortes de données dont nos informations personnelles. Tout d'abord, depuis toujours les médias, puissants relais de l'information, sont considérés comme des outils subjectifs. C'est ce que nous rappelle Frédéric Marty qui parle d'une instrumentalisation de la question du numérique par le pouvoir politique en France117. En effet, nous avons vu dans la première partie de ce mémoire que l'engagement du Ministère de l'Education Nationale en matière de numérique était fort. Il s'agit là pour lui de favoriser le développement des pratiques numériques et donc la commercialisation des outils informatiques. Le plan « informatique pour tous » qui date des années 1980 était d'ailleurs un accord tacite entre le gouvernement et les industriels français dans l’objectif d’augmenter les ventes d'ordinateurs. Néanmoins les gouvernements successifs ont justifié leur engouement par une volonté de renforcer les aptitudes professionnelles des futurs citoyens et leur épanouissement personnel. Quant à Mathieu Perona, il interroge la neutralité du net économique dans un article publié sur Ina Global. Le chercheur se demande si cette affirmation est toujours valable. A sa création, on justifiait la neutralité d'internet par le principe de non discrimination des contenus. C'est à dire que toutes les données circulant sur le web sont traitées de la même manière quelque soit leur source ou leur destination118. Par exemple, les données provenant des entreprises ne circulent pas plus rapidement que celles provenant des particuliers. Elles ne sont pour autant pas traitées de la même manière si l'on pense à la nécessité de référencer ses contenus 117

« La télévision à l'école : de la RTF à France télévisions », Frédéric Marty dans Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015 118 http://www.inaglobal.fr/numerique/article/neutralite-du-net-un-dogme-intouchable

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pour qu'ils deviennent les plus visibles possible. De plus, Mathieu Perona nous dit qu'il serait désormais possible de traiter ces informations de manière différenciée car il existe des outils capables d'inspecter le trafic en temps réel. C'est ce que voudraient instaurer les fournisseurs d'accès à internet et les opérateurs de téléphonie mobile119. Ensuite, internet permet la libre circulation de nos données personnelles et favorise même leur développement. C'est ce que nous expliquait une fiction parue dans la revue Le Tigre en 2008 : nous faisions connaissance avec Marc L**, individu lambda qui utilise internet tous les jours. Grâce à ses traces numériques, sa vie, sa personnalité, ses déplacements, ses goûts et ses envies étaient retracés en un clic. Raphaël Suire, dans un article publié sur Ina Global, reprend cet exemple et nous dit que désormais la neutralité du net est remise en cause. En nous connectant sur internet, nous favorisons en effet ce qu'il appelle la « prédictibilité » et la « monétisation de nos données personnelles ». La prédictibilité est la possibilité de déduire à partir de nos traces numériques ce qu'est la personne et ce qu'elle fait. Or les usages numériques se faisant à partir de plus en plus d'objets connectés, nous ne faisons que la renforcer. De plus internet utilise la proximité entre les usagers pour nous suggérer des contenus qui peuvent nous intéresser120. Cela est d'autant plus vrai chez les enfants, car ils aiment affirmer leur personnalité sur internet tout en n'ayant pas ou peu de notion de la protection de leurs informations personnelles. En plus de collecter nos données, Raphaël Suire ajoute que les grandes entreprises du numérique les monétisent. Elles considèrent que cela est juste puisqu'en contrepartie elles nous offrent des services disponibles sur le web. Un exemple flagrant est que ces grandes entreprises comme Google ou Microsoft recrutent des experts en sociologie des usages et psychologie cognitive pour affiner leur stratégie marketing. De plus, elles proposent de plus en plus des plateformes agrégatives, c'est à dire qui cumulent les services. Par exemple avec un identifiant Google, je peux me connecter sur gmail, sur android mais aussi sur de nombreuses applications (Airbnb...)121. De plus en plus de nouvelles plateformes ou de nouvelles fonctionnalités se développent. Pour les utilisateurs cela est en effet plus simple d'utilisation mais il devient difficile de s'extraire de ce jeu. Pour Raphaël Suire, la nouvelle fracture numérique est là : celle de la rationalisation de notre pratique du numérique. Est-on capable de se protéger contre l'usurpation d’identité et la publicité ? Si nous prenons en exemple les sites d'éducation aux médias étudiés, nous nous rendons bien vite compte que tout cela est vrai. Sur les trois sites, il est possible de créer un compte personnel. Sur France TV Education, il servira à garder en mémoire nos scores aux jeux, 119 Ibid 120 http://www.inaglobal.fr/numerique/article/la-deconnexion-volontaire-nouvelle-fracture-numerique-8283 121 Ibid 58


tandis que sur Jalons et sur TV5 Monde il servira à garder en mémoire des contenus que l'on veut étudier. Alors que sur Jalons les comptes associés sont ceux des professeurs de l'Education Nationale, sur TV5 c'est notre boîte mail personnelle. Cela veut donc dire que nous recevrons possiblement des mails sur des offres de voyages si nous avons visionné une vidéo sur le Japon ou sur le Canada. Lors de la création de notre compte France TV, il est possible d'utiliser un compte facebook, google ou twitter et donc d'agréger nos données liées à ces comptes. De plus, France TV se propose de recueillir nos centres d'intérêt pour que nous puissions « recevoir des informations adaptées ». Enfin, France TV tente de récupérer des informations telles que notre adresse postale et notre numéro de téléphone.

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2. Elle restreint la protection du droit d'auteur Non seulement les individus perdent la protection de certains de leurs droits avec l'avènement d'internet, mais les auteurs d’œuvres de l'esprit sont également menacés. Pour comprendre pourquoi, il faut tout d'abord définir le droit d'auteur puis expliquer ce qui a changé depuis l'arrivée d'internet, et enfin mettre en lumière les risques qui y sont liés. Le droit d'auteur est défini par le Ministère de la Culture et de la Communication de la manière suivante : il « porte sur les œuvres de l'esprit (écrits, photos, partitions, logiciels, etc.), confère à l'auteur un droit de propriété exclusif sur sa création, aussi bien en matière de droits moraux (divulgation, par exemple) que patrimoniaux (droit d'exploitation de l'œuvre : représentation, reproduction ou adaptation) ». Pour être considérée comme une « œuvre de l'esprit », une création doit être reconnue comme « originale ». Selon le droit français, l'originalité étant « l'expression juridique de la créativité de l'auteur, elle est définie comme l'empreinte de sa personnalité »122. Toutes les créations qui ne remplissent pas ces critères ne peuvent être protégées. En France il existe des sociétés de gestion des droits d'auteur qui jouent le rôle d'intermédiaire entre les auteurs et les exploitants d’œuvres. Ce sont des sociétés de droit privé reconnues d'utilité publique. Suivant la nature de mon œuvre (musique, pièce de théâtre, installation plastique..), je dois m'adresser à une société spécialisée (SACEM, SACD, ADAGP..). Les contenus audiovisuels dépendent bien sûr du régime du droit d'auteur donc il faut payer des droits spécifiques pour pouvoir les utiliser. A l'Ina, la situation est un peu particulière car la loi sur le dépôt légal de 1992 oblige l'Institut à numériser, conserver et stocker tous les contenus issus des chaînes de radio et de télévision françaises dans un souci de préservation du patrimoine national. Néanmoins ces contenus audiovisuels ne lui appartiennent pas pour autant. Pour que l'Ina puisse diffuser des archives issues de ses fonds, il faut soit attendre qu'elles soient tombées dans le domaine public (70 ans après la mort de l'auteur), soit qu'elles constituent des productions propres ou des programmes d'actualité (journaux télévisés), soit négocier les droits avec les auteurs de ces programmes. Cela est donc très complexe car pour un programme audiovisuel il faut prendre en compte non seulement les droits du réalisateur mais aussi ceux du scénariste, du producteur.... Avec internet, il existe désormais un paradoxe entre le droit des auteurs et le droit d'accès à l'information (droit des utilisateurs). La piraterie est démultipliée par les nouveaux modes de communication du fait de sa facilité. En effet, les contenus informationnels sont de plus en plus 122 http://vosdroits.service-public.fr/professionnels-entreprises/F23431.xhtml 60


numérisés. En les numérisant, leur reproduction est simplifiée et les contenus peuvent être dupliqués à l'infini. Alors que la reproduction d'une œuvre sur internet du fait de sa diffusion et de sa représentation fait partie du monopole du droit d'auteur, nous dit Isabelle de Lamberterie, il est de plus en plus difficile de la protéger. Il était donc nécessaire de mettre en place une protection juridique renforcée. C'est le cas de l'accord de commerce international portant sur le régime de la propriété intellectuelle et datant de 1994 qui vise à « promouvoir une protection efficace et suffisante des droits de propriété intellectuelle et à faire en sorte que les mesures et les procédures visant à faire respecter les droits de propriété intellectuelle ne deviennent pas elles-mêmes des obstacles au commerce légitime »123. Néanmoins, après plus de vingt ans nous pouvons dire que le problème reste entier. Premièrement parce qu'internet est un réseau sans frontières et sans barrières et qu'il est difficile de trouver une législation contraignante au niveau international. Deuxièmement parce que la diffusion d'une œuvre sur internet sans accord entraîne de nouvelles reproductions. Comme le soulignent Joëlle Farchy et Fabrice Rochelandet, les nouvelles technologies favorisent la violation du droit d'auteur. En effet, les risques de reproduction augmentent par le numérique car la diffusion de contenus est plus rapide, simultanée et anonyme124. La question de la protection des droits patrimoniaux sur internet est donc ouverte. Pour les sites ayant choisi de diffuser des contenus encore soumis au droit d'auteur, il y a trois options, nous dit Jérôme Shweitzer. La première est de publier sans demander les droits. L'éditeur du site web attend alors qu'un ayant droit demande de retirer le contenu. La deuxième est de contacter les ayants droits et de leur reverser ce qui leur est dû. La troisième est de n'autoriser qu'une diffusion locale, pour des chercheurs ou des étudiants par exemple125. Si nous étudions de près la question avec les protagonistes de nos sites d'éducation aux médias, que voyons-nous ? Chez France TV Education, les formats des vidéos proposées sont courts. Cela a favorisé la libération des droits par le service acquisitions de France TV nous dit Amel Cogard. Des conventions cadres de trois ans sont alors signées avec leurs partenaires que sont l'Ina, ARTE ou la BBC126. A l'Ina, la stratégie n'est pas du tout la même. Sophie Bachmann nous rappelle qu'un tri préalable est fait concernant les documents sur lesquels il pourrait y avoir des questions de droits. L'Ina essaie au maximum de trouver des reportages faits par France TV par exemple puisqu'ils peuvent être publiés sur leur site neuf mois 123 de Lamberterie Isabelle, « De l'incitation à la création au droit à la culture : quelle dynamique pour les droits d'auteur aujourd'hui ? », Réseaux, 1998, volume 16 n°88-89, pp. 77-90 124 Farchy Joëlle, Rochelandet Fabrice, « La remise en cause du droit d'auteur sur internet : de l'illusion technologique à l'émergence de barrières à l'entrée », Revue d'économie industrielle, Vol. 99, 2e trimestre 2002, pp. 4964 125 Shweitzer Jérôme, Numériser le patrimoine écrit et iconographique pour commémorer la grande guerre : enjeux scientifiques et culturels, stratégie documentaire et partenariale, Mémoire d'étude : ENSSIB : Lyon, 2011 126 Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux

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après leur diffusion à l'antenne127. Après cela, les stratégies adoptées sont l'autorisation gracieuse ou la prise de risques. Ce qui ne fonctionne pas à tous les coups puisque l'Ina a récemment été en litige avec un éditeur de littérature pour cette raison. Xavier Lemarchand souligne qu’une troisième stratégie existe. Elle consiste à exploiter des vidéos pour lesquelles l'Ina a passé des accords globaux avec les sociétés d'auteurs. Des accords spécifiques ont néanmoins été passés avec Gaumont-Pathé pour les archives datant de la guerre de 1914-1918128.

127 Bachmann Sophie, Chef de projet « Jalons » à l'Ina, Entretien physique réalisé le 21/07/15 à Bry-sur-Marne 128 Lemarchand Xavier, Responsable du studio hypermédia à l'Ina, Entretien physique réalisé le 09/07/15 à Bry-surMarne

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III/ Elle favorise les risques liés aux écrans

1. Elle contribue au développement des maladies liées aux écrans Une éducation trop centrée sur l'utilisation numérique est enfin facteur de risques pour la santé. Elle peut non seulement contribuer au développement de maladies ou de troubles liés à la surexposition aux écrans, quelque soit l'âge de la personne. Mais elle peut également questionner la notion de « dépendance aux écrans » qui revient régulièrement au cœur des discussions des parents d'élèves. Tout d'abord une éducation trop centrée sur le numérique risque de troubler le développement des enfants. Avec l'âge ce risque diminue mais d'autres apparaissent Serge Tisseron nous dit que le jeune enfant développe en parallèle ses repères spatiaux, ses repères temporels et ses capacités d'interaction sociale129. Si un enfant qui n'a pas encore développé ces repères utilise un écran, il risque de se perdre. Les repères d'espace et de temps permettent en effet à l'enfant d'avoir une base de sécurité suffisante pour pouvoir faire usage de toutes les fonctionnalités d'un écran. Par exemple il va moins confondre le monde virtuel et le monde réel. D'un autre côté, Serge Tisseron affirme que ces outils numériques peuvent être source de stimulation chez le jeune enfant s'ils sont bien employés. Ils permettent de cultiver les formes sensori-motrices, à savoir l'intuition et la déduction, de son intelligence130. Pour ce faire, une alternance entre les phases de jeux et les phases de discussions autour de ces jeux doit être mise en place. Par ailleurs le psychanalyste nous dit que pour prévenir ces risques, mieux vaut adapter la pédagogie aux âges de l'enfant et ne pas confronter l'enfant aux outils numériques trop jeune. C'est ce que démontre une nouvelle tendance présente dans de la Silicon Valley. Les hommes d'affaires des grands groupes d'informatique aux Etats-Unis sont de plus en plus nombreux à envoyer leurs enfants dans des écoles où l'utilisation de l'ordinateur et d'internet est soit bannie soit maîtrisée. Cela prouve bien qu'ils ont conscience qu'une exposition trop précoce peut être problématique. L'article d'Alice Gillet publié sur le site l'Etudiant revient sur cette tendance en expliquant l’engouement qui existe autour de la pédagogie Waldorf131. Créée par l'anthropologue autrichien Rudolf Steiner au début du 20e siècle, elle connaît un regain d'attention ces dernières années partout dans le monde. Une approche holistique et une philosophie humaniste 129 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 130 Ibid 131 http://www.letudiant.fr/educpros/enquetes/aux-etats-unis-une-pedagogie-slow-tech-pour-former-les-leaders-dedemain.html

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conduisent à tenter de former des élèves libres et responsables. Pour ce faire, beaucoup de travaux manuels sont au programme et l'introduction de l'ordinateur ne se fait pas avant l'âge de 14 ans. Les responsables de la Waldorf School of the Peninsula, située en plein centre de la Silicon Valley, sont de cet avis. Ils pensent que la technologie ne doit pas être introduite chez l'enfant trop tôt mais lorsque celui-ci s'est suffisamment développé. De plus, son usage doit avoir une utilité : par exemple internet peut servir à faire des recherches complémentaires à celles faites en bibliothèque. La devise de Pierre Laurent, vice-président de l'école, est : « On ne peut pas comprendre le monde à partir d’un ordinateur ; ce n’est qu’un outil qui ne pourra jamais remplacer l’enseignant. »132. Un apprentissage empirique et une approche sensorielle de la pédagogie sont au contraire valorisés. Pour Pierre Laurent, cette méthode prépare mieux les jeunes au monde de demain qu'une méthode prônant le tout numérique. Pourquoi ? « Les chefs d’entreprise savent bien que la réussite ne repose pas sur la maîtrise de compétences techniques. Les gens qui réussissent sont ceux capables d’avoir une pensée créative et critique, ceux qui savent collaborer et communiquer »133, nous dit-il. Les élèves n'auront aucun mal à apprivoiser les outils technologiques plus tard puisqu'ils sont conçus pour être intuitifs. L'ordinateur deviendra alors une activité parmi d'autres. Ensuite, une éducation trop centrée sur le numérique peut avoir des conséquences néfastes sur la santé des enfants. L'académie américaine de pédiatrie par exemple, dans un rapport publié en 1999, met en garde contre les risques d'une exposition trop précoce aux écrans. Elle déconseille leur utilisation aux moins de deux ans et plus de deux heures par jour quand ils grandissent. Sinon, il peut y avoir des conséquences sur l'enfant, comme des difficultés pour apprendre le langage, du surpoids ou une réduction des capacités d'attention et de concentration. Ces influences peuvent persister jusqu'à l'âge de 10 ans. De plus, l'académie américaine note chez certains enfants une diminution de l'intérêt en classe et une augmentation du risque de devenir le bouc émissaire de la cour de récréation. Chez le très jeune enfant, la télévision pourrait entraîner un sentiment d'insécurité psychologique134. Chez les enfants plus grands et les adolescents, nous dit Serge Tisseron, la sur-exposition aux écrans favorise une surconsommation de nourriture sucrée qui peut conduire certains enfants à devenir obèses ou à faire de l'hypertension artérielle135. Il faut néanmoins faire attention à nuancer ces propos car cela est moins observable en France qu'aux Etats-Unis. Les nuits de sommeil peuvent également être écourtées, surtout si les enfants regardent leurs écrans le soir. Le manque de sommeil à cause d'une sur-exposition aux écrans concerne un jeune sur cinq, 132 Ibid 133 Ibid 134 Cité dans Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 135 Ibid

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nous rappelle Serge Tisseron136. Enfin, les enfants sont confrontés plus précocement à la sexualité par le biais des écrans. Pour le moment, aucune conséquence durable n'a été notée à l'âge adulte mais il est nécessaire de savoir quel impact traumatique cela peut avoir sur l'enfant. Pour cela il faut leur laisser la possibilité d'en parler avec des adultes. Enfin, un visionnage prolongé des écrans n'a pas que des conséquences sur les enfants. Il peut également en avoir sur les adultes, comme le montrent certaines études faites dans le cadre de la mise en place d'une législation concernant l'utilisation d'un ordinateur au travail. Cela nous concerne tous puisqu'une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) datant de 2012 nous dit qu'un français passe en moyenne 36h par semaine devant un écran, tous supports confondus, activités professionnelles et loisirs cumulés. L'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) dresse quant à lui trois risques pour la santé liés aux écrans. Le premier est la fatigue visuelle qui peut se manifester après avoir passé plusieurs heures devant un écran. Elle peut avoir comme conséquences des sensations de lourdeur des globes oculaires, des rougeurs, des picotements, des éblouissements, de la myopie temporaire, des yeux secs ou des maux de tête. Ces symptômes disparaissent avec le repos, mais pour cela il faut pouvoir déterminer quand nous en avons besoin, ce qui n'est pas forcément le cas pour les enfants. Le second est l'augmentation des troubles musculo-squelettiques. En effet la posture statique maintenue pendant de longues périodes devant un écran d'ordinateur favorise cela. Le travail répétitif effectué par les doigts (avec la souris ou le clavier) peut être un facteur de trouble. De plus, il faut prêter attention à la position de l'écran par rapport à la personne. S'il est trop haut ou trop bas, la personne va devoir se tordre pour pouvoir le regarder. Des douleurs dans le dos peuvent également être ressenties si le dos est trop rond ou trop redressé. Enfin, un appui continu du poignet pendant la frappe ou une souris trop éloignée peuvent créer des troubles dans les membres supérieurs. Le troisième et dernier risque est le stress. Il est prouvé que passer trop de temps devant un écran peut engendrer des situations de stress qui se traduisent par des troubles émotionnels et psychosomatiques137.

136 Ibid 137 http://www.inrs.fr/risques/travail-ecran/ce-qu-il-faut-retenir.html

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2. Elle questionne la notion de « dépendance aux écrans » Une utilisation massive des écrans questionne également la notion de « dépendance aux écrans ». Qu'est-ce qu'être dépendant ? Et surtout peut-on parler de dépendance aux écrans dans des cas de sur-exposition à ceux-ci ? Ce sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre. Tout d'abord, quelques définitions. Le gouvernement français définit la dépendance comme un terme « couramment employé pour parler de la dépendance à l’usage d’une substance psychoactive dont l’absence de consommation entraîne un malaise psychique, voire physique, incitant le consommateur devenu dépendant à reprendre sa consommation et à la pérenniser »138. Pour être dépendant, il faut donc consommer un produit. Plus loin, le gouvernement français définit une autre notion, celle de « l'addiction ». Elle est « une relation de dépendance plus ou moins aliénante pour l’individu, et plus ou moins acceptée voire parfois totalement rejetée par l’environnement social de ce dernier, à l’égard : d’un produit (drogue, tabac, alcool...) ou d'une pratique (jeu, achat, sexe, Internet...) »139. On parlerait donc plus d'une addiction à internet et aux écrans que d'une dépendance car le manque est plus psychologique que physique. De nombreux parents sont d'ailleurs très inquiets à ce sujet et font remonter leurs doutes à des associations de prévention. Pourtant, Serge Tisseron nous dit qu'aucune étude scientifique ne permet aujourd’hui d'affirmer qu'il existe des dépendances aux écrans dans le sens communément admis140. Néanmoins il existe des usages compulsifs des écrans. Ceux-ci doivent être relativisés par rapport à quatre conditions. La première est le temps passé devant l’écran, qui doit tout de même être contextualisé suivant les activités réalisées et son évolution dans le temps. Une chose peut nous faire dire que l'impact est réellement négatif, c'est l'usage des écrans perturbant l'emploi du temps de l'enfant. La deuxième est l'âge des enfants. En effet, des usages massifs se développent souvent à l'adolescence mais prennent fin dès qu'elle se termine. Selon Serge Tisseron, ce qui l'explique, c'est l'impossibilité physiologique de contrôler ses impulsions à ces âges. L'adolescence est une période transitoire de la vie. La troisième condition est le sexe de l'enfant. Les garçons passent globalement plus de temps devant des écrans que les filles et sont plus menacés par leurs usages problématiques. Les usages ne sont également pas les mêmes, même si ces différences tendent à s'estomper. Il a été observé que les filles conversent beaucoup par ordinateur tandis que les garçons préfèrent les jeux en ligne. La 138 http://www.drogues.gouv.fr/comprendre-laddiction/presentation/definitions/ 139 Ibid 140 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013L'enfant et les écrans

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quatrième et dernière condition est la comorbidité c'est à dire l'association de deux maladies psychiques ou physiques sans causalité établie, fréquemment observée dans la population141. Chez les personnes atteintes de dépendance aux écrans, on trouve des personnes souffrant de troubles de l'humeur, de troubles obsessionnels compulsifs, de troubles bipolaires et d'anxiété sociale ainsi que d'autres addictions. Serge Tisseron souligne que celle qui apparaît le plus souvent est celle des personnes atteintes de troubles dépressifs142. Cela est par ailleurs un trouble circulaire : je peux trop utiliser les technologies car je suis dépressif mais une utilisation intensive des écrans peut, après 3 ans, avoir des impacts négatifs sur mon humeur. Qu'en est-il alors de cette dépendance ? Un rapport de l'académie de médecine datant de 2012 nous dit qu'il n'existe pas « d'addiction aux écrans » mais plutôt des « pratiques excessives ». La différence réside dans le fait qu'une utilisation excessive des écrans ne conduit pas forcément à avoir une utilisation pathologique de ceux-ci. Elle peut au contraire être source de création, de socialisation et d'enrichissement nous dit Serge Tisseron. Le seul cas où l'isolement devant un écran est problématique est celui où il n'est pas utilisé pour trouver du plaisir mais pour fuir une situation de mal-être. Cette situation peut intervenir suite à un « bouleversement auquel il est impossible de faire face » (décès, rupture affective, divorce des parents..), suite à un « trouble mental débutant tel que la dépression ou la phobie » (volonté de s'isoler avec un écran) ou suite à « l'angoisse de la crise d'adolescence »143. Cela ne devient pathologique que si la situation est durable car on ne parle normalement d'addiction que pour les personnes adultes. Que faire alors quand on est parent et que l'on s'inquiète pour son enfant ? La première chose est d'avoir soi-même un rapport aux écrans, nous dit le philosophe Bernard Stiegler. Il pense en effet que les écrans ne sont pas mauvais en soi mais peuvent empêcher le développement de la socialisation, il « empêchent les parents d'être des parents » car l'enfant peut se replier sur luimême144. Les parents doivent donc se renseigner sur cela et tenter d'en discuter avec leurs enfants. La seconde chose est de faire des « efforts d'anticipation des risques liés aux écrans », comme le préconise le psychologue clinicien Jean-Pierre Couteron145. Les parents ont devant eux certains signes qui ne sont pas trompeurs, souligne Hélène David, responsable de l'association « Ensemble pour la Prévention, l'Insertion, les Soins, et l’Évaluation en Addictologie » (EPISEA), comme les déficits notables de sommeil, une perte de concentration et d'attention en classe et lors des devoirs à 141 Ibid 142 Ibid 143 Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013 144 http://www.dailymotion.com/video/xhvrms_bienvenue-dans-un-monde-tout-ecran_creation 145 Ibid

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la maison146... Enfin, ne pas trop s'inquiéter. Pour Serge Tisseron, les adolescents ont toutes les raisons de se renfermer derrière leurs écrans car ils espèrent ainsi fuir leurs parents qu'ils ne peuvent pas fuir physiquement. Un joueur addict quant à lui se repère simplement car il joue « de manière répétitive, stéréotypée, fait toujours la même chose dans ses jeux, joue tout seul, se désocialise » nous confie le psychanalyste147. Pour prévenir ces risques, Serge Tisseron préconise une « solution éducative » sur le modèle de celle créée contre les mauvaises habitudes alimentaires. Il pense que ce sont tout d'abord les parents, les éducateurs et les enseignants qui doivent être vigilants et non les enfants eux-mêmes148.

146 http://www.dailymotion.com/video/xhvrnk_des-raisons-de-syinquieter-y_creation 147 Ibid 148 http://www.anpaa.asso.fr/sinformer/entretiens/226-entretien-professeur-serge-tisseron-psychiatre-psychanalystespecialise-relations-jeunes-medias-images

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Conclusion L'utilisation du numérique dans l'éducation, et plus particulièrement l'éducation aux médias revêt plusieurs enjeux. Le premier est l'avènement d'une société de l'image que nous devons savoir appréhender. En effet, l'origine de l'éducation à l'image ne commence lorsqu'il a été possible de montrer des images sur grand écran. Ce fut le cas avec les projections lumineuses puis avec le cinématographe. Néanmoins, nous ne parlions pas encore d'éducation aux médias mais d'éducation par les médias. C'est seulement avec l'arrivée du média de masse qu'est la télévision qu'elle a été créée. Avec le web, nous entrons dans une nouvelle ère puisque le ministère de l'éducation nationale parle désormais « d'école numérique ». La liberté d'expression et d'information présente sur internet amène en effet de nouveaux questionnements : peut-on tout dire ? Que comprendre et que retenir des informations que nous trouvons sur internet ? L'histoire des médias nous fait tout de même relativiser par rapport à la notion de « révolution du numérique ». En effet, le développement d'internet est sensiblement le même que celui d'autres médias de masse comme la radio ou la télévision. C'est à dire que dans un premier temps la découverte est faite puis commercialisée. Elle se démocratise alors pas à pas puisque les prix des équipements baissent. Une différence notable existe cependant par rapport à l'utilisation utile que l'on peut en faire. Alors que la radio et la télévision restaient à la maison, l'ordinateur et internet sont désormais partie prenante de notre quotidien au travail. Le deuxième enjeu de l'utilisation du web dans l'éducation aux médias concerne la façon d'apprendre. Alors qu'avec la télévision nous étions des utilisateurs passifs, avec internet nous sommes désormais des acteurs. Nous pouvons en effet facilement interagir avec l'outil en lui disant quoi faire. Apprendre avec le web, c'est pouvoir apprendre de manière individuelle. Cela est aussi intéressant pour les enfants que pour les adultes comme le prouve le développement de cours gratuits en ligne les « Massive Open Online Course » (MOOC). Ces cours sont destinés à tous et sont créés bénévolement par de véritables professeurs sur proposition d'un communauté d'internautes. Ils concernent toutes les disciplines (histoire de l'art, sciences, philosophie...). L'approche ludique du web favorise par ailleurs la motivation des enfants qui y voient un outil de loisirs. Néanmoins, une éducation trop centrée sur le numérique conduit à un manque de médiation vis à vis des ressources disponibles. Cela est d'autant plus important dans un domaine tel que celui de l'éducation aux médias et à l'information puisque nous avons vu que certaines images très violentes peuvent ne pas être comprises par les enfants. Ils ont souvent besoin de connaître le 69


contexte de production de ces images et de pouvoir exprimer leurs ressentis, leurs émotions, vis à vis d'elles. Le troisième enjeu de l'usage du numérique dans l'éducation aux médias est son accessibilité. Nous savons désormais qu'internet est un outil démocratisé puisque nous avons tous au moins un ordinateur avec une connexion chez nous. Les enfants de la « génération Y », nés avec internet ont donc un outil tout près pour apprendre de la meilleure manière qui soit. Néanmoins, il convient de remettre en cause la notion de « digital natives ». En effet ces enfants, bien qu'ils soient nés avec un ordinateur dans les mains, ne savent pas pour autant qu'ils savent mieux s'en servir. Dans le sens où ils ne savent pas forcément mieux appréhender leur fonctionnement. Le quatrième enjeu de l'utilisation du web dans l'apprentissage est son prix. Internet est vu comme un outil démocratique puisqu'il s'est développé de manière quasi gratuite. Néanmoins, il cherche à être rentable par d'autres biais. Par exemple en utilisant la stratégie marketing qui consiste à donner envie aux utilisateurs d'acheter des contenus payants s'ils n'en ont visionné qu'une partie. Un autre exemple plus frappant est celui de la monétisation des données personnelles. Nous avons en effet vu qu'internet restreint la protection de la vie privée en cherchant à connaître de nombreuses informations sur ses utilisateurs. Ces données personnelles seront ensuite utilisée pour nous suggérer de la publicité ou pour tout simplement nous suivre. Les fonctionnalités de géolocalisation se développent en effet de plus en plus. D'un autre côté, internet tend à contraindre le système économique des droits d'auteur à ne plus exister. De plus en plus de contenus sont publiés sur internet sans l'accord de leurs auteurs qui devraient percevoir des rémunérations pour cela. C'est un problème pour de nombreuses professions comme par exemple celle de photographe reporter qui sont de moins en moins nombreux et vivent dans des situations de plus en plus précaires. Le cinquième enjeu de l'usage du numérique dans l'éducation aux médias est sa bonne utilisation. Internet est un outil qui est bon pour le cerveau puisqu'il fait travailler à la fois notre mémoire de travail, notre pensée visuelle et nous permet de mieux confronter les points de vue. Si nous arrivons à utiliser de manière optimale les informations trouvées sur internet nous pouvons intégrer une somme de connaissances impressionnante. Il faut néanmoins pouvoir analyser ces données et prendre du recul. De plus, il existe des risques liés à la surexposition aux écrans. Par exemple le web ne favorise pas la concentration des élèves bien au contraire. Si les séances avec ordinateur sont trop longues ou si l'enfant est habitué à utiliser son écran plusieurs heures par jour il risque de perdre ses capacités d'attention et de concentration. Avec le temps des troubles musculo70


squelettiques peuvent également apparaître si nous ne n'utilisons pas l'ordinateur dans une position confortable. Il faut tout de même penser à relativiser la question de la dépendance aux écrans puisqu'elle ne concerne réellement qu'une partie infime de la population. De plus c'est bien souvent lors de la crise d'adolescence que cette question est posée. Or nous savons que cette période de la vie n'est que transitoire. Le dernier enjeu de l'utilisation du numérique dans l'éducation est politique. L'Etat français, par l'éducation nationale, tente de s'emparer de cette question en essayant de créer ce qu'il appelle « l'école numérique ». Nous ne sommes pas encore dans une société du tout numérique mais celle-ci va se développer encore ces prochaines années. Néanmoins, il est intéressant de se poser des questions par rapport à cela. A savoir : est-ce à l'Etat de devoir apprendre aux élèves à utiliser le numérique ? Est-ce vraiment démocratique de vouloir que chacun puisse avoir un ordinateur à l'école ? Des études montrent en effet que ce ne sont pas les individus les plus pauvres qui choisissent de ne pas avoir d'ordinateur chez eux, bien au contraire. L'Etat ne devrait-il pas alors favoriser d'autres médias auxquels ces élèves n'ont pas accès ? Est-ce que l'Etat prend assez en compte tous les risques de l'utilisation du numérique ? Est-ce le rôle des professeurs d'apprendre aux élèves à utiliser les ordinateurs et internet ? Et surtout en ont-ils envie ?

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Bibliographie I/ Ouvrages Arnheim Rudolf, La pensée visuelle, Paris : Flammarion, 1976, 350p. Bach Jean-François, Houdé Olivier, Tisseron Serge, Léna Pierre, L'enfant et les écran : un avis de l'académie des sciences, Paris : le Pommier, 2013, 267p. Delage Christian (dir.), La fabrique des images contemporaines, Paris : Cercle d'art, 2007 Ecole Normale Supérieure de Lyon, Cultures numériques : éducation aux médias et à l'information, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2013, 200p. Jacquinot Geneviève, L’Ecole devant les écrans, Paris : ESF, 1985, 135p. Kambouchner Denis, Meirieu Philippe, Stiegler Bernard, L'école, le numérique et la société qui vient, Paris : Mille et une nuits, 2012, 220p. Renonciat Annie et Simon-Oikawa Marianne (dir.), La Pédagogie par l’image en France et au Japon, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2009, 152p. Renonciat Annie (dir.), Voir/Savoir. La pédagogie par l'image au temps de l'imprimé, du XVIe au XXe siècle, CNDP, 2012, 254p. Shweitzer Jérôme, Numériser le patrimoine écrit et iconographique pour commémorer la grande guerre : enjeux scientifiques et culturels, stratégie documentaire et partenariale, Mémoire d'étude : ENSSIB :Lyon, 2011, 99p. Tremel Laurent (dir.), 50 ans de pédagogie par les petits écrans, Chasseneuil-du-Poitou : CNDP, 2015, 96p.

II/ Sites web "Les nouvelles pédagogies et les écrans", CNDP, 2014 : disponible sur <https://www.reseaucanope.fr/notice/les-nouvelles-pedagogies-et-les-ecrans.html> (consulté le 11/07/15) "Les Tice : les Technologies de l'information et de la communication pour l'enseignement", CNDP, 2014 : disponible sur <https://www.reseau-canope.fr/notice/les-tice-les-technologies-delinformation-et-de-la-communication-pour-lenseignement.html> (consulté le 11/07/15) "Les fictions éducatives", CNDP, 2014, disponible sur : <https://www.reseau-canope.fr/notice/lesfictions-educatives.html> (consulté le 11/07/15) "Le Clémi : centre de liaison de l'enseignement et des médias d'information", CNDP, 2014, 72


disponible sur : <https://www.reseau-canope.fr/notice/le-clemi-1983-2014-centre-de-liaison-delenseignement-et-des-medias-dinformation.html> (consulté le 11/07/15)

III/ Entretiens et colloques Bachmann Sophie, Chef de projet « Jalons » à l'Ina, Entretien physique réalisé le 21/07/15 à Brysur-Marne Cogard Amel, Responsable des actions culturelles et éducatives de France Télévisions, Entretien physique réalisé le 22/07/15 à Issy-les-Moulineaux Lemarchand Xavier, Responsable du studio hypermédia à l'Ina, Entretien physique réalisé le 09/07/15 à Bry-sur-Marne Quinton François, Directeur de la publication d'Ina Global, Entretien physique le 07/07/15 Cinémathèque Française, « Education à l'image, aux médias et au numérique », Rencontres Culture et numérique, Paris, 8 et 9 juin 2015 BNF, « L'info TV : du 20 heures à Twitter », Observatoire de l'audiovisuel et du numérique, Paris, 11 juin 2015

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