Un projet d’architecture de Pierre Soulages, Soulages
L’Abbatiale Sainte-Foy Foy de Conques
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Clément Latieule Directeur de mémoire : Gilles-Antoine Langlois Mémoire de Master Domaine A Ecole Nationale Supérieur d’Architecture et de Paysage de Bordeaux Février 2016 3
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Un projet d’architecture de Pierre Soulages,
L’Abbatiale Sainte-Foy de Conques
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Sommaire Avant-propos ..........................................................................9 Introduction ..........................................................................11 Chronologie des travaux (1986 -1994) Vitraux de l’abbatiale Sainte Foy de Conques ......................................17 I Lecture du lieu, Conques un lieu réel...............................23 Conques, un écrin médiéval dans le paysage du Rouergue ................................................................... 23 L’expérience du clos, Parcours d’architecture romane et de lumière ................................................ 34 Du vitrail à la posture d’architecte de Pierre Soulages ..................................................................... 53 Analyse éclairée...................................................... 53 De la démarche empirique de l’espace à la mise en œuvre des vitraux ................................................... 59 Mise en perspective du travail de Soulages ............ 71 La Cathédrale de Nevers, des recherches artistiques plurielles au détriment du déjà-là ........................... 73 La chapelle du rosaire de Vence, une œuvre totale de Matisse.................................................................... 79 La lumière ................................................................. 94 La masse .................................................................... 98 La matérialité .......................................................... 102 La structure............................................................. 106 7
Les proportions ....................................................... 110 Le temps ................................................................... 114 Conclusion .......................................................................... 119 Bibliographie ...................................................................... 125 Annexes ............................................................................... 130
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Avant-propos
Après cinq années d’études supérieures à l’école d’architecture ce mémoire n’a d’autre ambition que de chercher à développer un imaginaire pour raconter une pratique d’architecture. A la promesse d’un avenir professionnel incertain, nous explorons les limites d’un champ disciplinaire étonnant. Les études en architecture m’ont permis de développer un regard sur le monde et un point de vue différent de celui que j’avais avant ces cinq années. Aujourd’hui, chaque élément de la vie, chaque lieu que je découvre je le vois à travers le filtre que m’a apporté cet enseignement. S’approprier un élément, détourner une lecture initiale, l’outrepasser afin de s'ouvrir le champ des possibles devient la mise en route d’un processus de pensée que j’ai ainsi découvert, celui du projet, cet état d’esprit qui englobe tout fabrique notre environnement et ouvre notre sensibilité. Finalement, toutes les expériences spatiales que je serai amené à connaître désormais seront soumises à ce mécanisme que je continue de développer continuellement. Ce mémoire c’est le récit d’une vision d'architecture, à travers cette vision personnelle, porté par l’intérêt d’une architecture sans architecte, d’un artiste a la sensibilité spatiale, qui révèlent des spatialités saisissantes.
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Introduction
Certains lieux, créent une mémoire spatiale d’esprit, par leur singularité et les forces qu’ils convoquent, ils sont autant d’expériences spatiales qui développent un imaginaire subjectif. Depuis les premiers exercices d’architecture, je ressens une émotion singulière lorsque je suis amené à découvrir des espaces architecturaux primaires ou à les imaginer. Leur singularité et la puissance des éléments qui les constitue deviennent une source d’inspiration constante. Pour moi, l’abbatiale Sainte Foy de Conques est l’un d’eux. Cette écriture architecturale riche d’évocation s’inscrit dans la simplicité et la force des paysages aveyronnais qui me fascinent. C'est avant tout l'intérêt pour ces déserts naturels, ce territoire et son rapport à l’architecture qui guide la raison d’être de ce mémoire. En ce lieu, l’architecture rencontre le travail d’un artiste, Pierre Soulages. Particulièrement sensible à ses recherches, j’entreprends aujourd’hui d’étudier plus finement son travail, en l’abordant comme un projet d’architecture. Mais ce récit c’est aussi et surtout celui d’une architecture religieuse du XIIe siècle, parvenue jusqu’à nous comme une création fascinante, autrefois abbatiale romane centre de gravité de l’activité religieuse de toute une région elle cristallise aujourd’hui le tourisme religieux et patrimonial du Rouergue. Mais les données du lieu n’ont pas changé, cet espace contemporain étonnant continue de surprendre ses visiteurs. Que ressent-on lorsque qu’on arrive à Conques ? Qu'est-ce que l'abbatiale de Conques aujourd'hui ? La narration subjective de cet espace 11
architectural constitue le point de départ de l’étude. Lorsque je découvre un espace architectural qui m’apparait, primaire et savant, quelles sont les clés de compréhension de cet espace architectural ? Peu importe l’architecte, le style, l’époque de construction ou les motivations d’une telle réalisation, la première chose qui s’exprime c’est le corps, sa réaction face aux éléments, face à ce lieu tel qu’on en fait l’expérience aujourd’hui. Ensuite, un approfondissement de cette rencontre initiale permet d’en capter toutes les subtilités et en comprendre les mécaniques et les évolutions. Explorer le travail de Pierre Soulages à Conques c’est s’imprégner d’un savoir-faire artisanal au service de l’art du vitrail. La France est le berceau de cet art religieux depuis le Moyen-âge jusqu’à aujourd’hui. Après la seconde guerre mondiale cet art connait un renouveau à travers la commande publique pour remplacer et revitaliser. Cette recherche ne vise pas à faire de Soulages un architecte mais plutôt d’étudier son travail sur le vitrail, par sa résultante spatiale. Celle-ci guide la démarche empirique de l’artiste afin de définir une lumière caractéristique pour le lieu. Qu’est-ce que la lumière de Conques ? On note dans ce renouveau de l’art sacré d’après-guerre montre une diversité de processus créatif et donc autant de verrières. Quelle perspective cette recherche spatiale singulière prend-elle dans le nouvel essor de l’art du vitrail au XXe siècle ? La comparaison du travail de Soulages avec d’autres projets de vitraux, tous différents mais relevant des communs vient la singularité de la réponse architecturale faite par Soulages. On note l’intérêt porté à l’architecture du travail de Matisse notamment. Avec ses propres perspectives, la commande publique passée pour reconstruire les vitraux 12
de la Cathédrale de Nevers est un point de départ intéressant pour mener cette confrontation. Cette expérimentation autour de plusieurs artistes donne lieu à une pluralité de réponses et une difficulté à trouver un sens commun qui relie le lieu et l’éclairement de l’espace religieux. La plupart des ouvrages qui traitent de l’intervention de Soulages à Conques présentent la démarche de soulages, les expositions successives des outils mis en œuvre pour créer les vitraux, les notes de travail de l’artiste ainsi que quelques bribes d’analyse architecturale. L’opportunité d’émettre une hypothèse reliant ce travail á l’architecture apparait alors un postulat décalé au vue des œuvres écrites jusque-là. Alors que les sources bibliographiques, que j'ai pu me procurer, traitent principalement cette intervention comme une œuvre artistique. Les notes de travail de M. Soulages, nous servent de matière première pour l'écriture de ce mémoire et fournissent des clés de compréhension précieuses. De plus le Musée Soulages de Rodez représente à la fois une source de motivation á la rédaction de ce mémoire d’architecture et une compréhension du travail de l’artiste aveyronnais. Car comme on le sait la naissance du musée soulages est étroitement liée à la commande publique pour les vitraux de Sainte Foy de Conques.1 Lorsque nous réalisons l’analyse du parcours dans l’abbatiale, on s’appuie sur les écrits de Marie Renoue, auteure de nombreux ouvrages sur cette œuvre architecturale. Mais qui se démarque en définissant le projet de Soulages comme une œuvre d’art, visible, mesurable et explicable, avec une étude très précise des 1
DECRON Benoît, Soulages verre, cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.49.
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différentes intensités lumineuses et leurs évolutions au cours du jour et de l’année. Enfin certains ouvrages m’ont permis de prendre connaissance des éléments caractéristiques de l’architecture religieuse médiévale dans une vision théorique générale ou bien particulièrement traitant de l’abbatiale de Conques. Le récit de l'intervention de Soulages à Conques né d’un désir personnel d’étudier l’architecture à travers une perspective différente, celle d’une manière autre de fabriquer de l’architecture, où sinon d’intervenir sur un lieu. Quelles sont les caractéristiques de ce projet d’architecture? C’est un regard, une pensée créative singulière sur l’espace, au-delà de questions, de conservation exacerbée, de soucis financiers, ou de contraintes de délais. Simplement guidé par la volonté d’apporter du sens nouveau à un lieu construit, de révéler des possibles par un geste sur l’espace. Soulages se rendil compte qu’il est en train de faire de l’architecture lorsqu’il intervient à Conques? Finalement c’est une manière de parler d’architecture, par l’approche spatiale, celle de la matière, de la lumière et du temps, la transformation du réel en émotion, une vision subjective, idéaliste. Pour cela, le film de Jean-Noël Cristiani est un témoignage des aspirations et des recherches de Pierre Soulages et Jean Dominique Fleury. Cette recherche part d’un récit d’architecture, une expérience spatiale contemporaine, dans un édifice médiéval. Dans l’analyse des invariants qui constitue cet atmosphère d’architecture, le travail de l’artiste contemporain Pierre Soulages tient une place prépondérante. Sans traiter l’œuvre d’art de Soulages, je ne ferais pas de parallèle entre l’art et l’architecture seulement mettrait en évidence une écriture architecturale 14
et ses composantes. Ce travail ne vise pas non plus à étudier l’art du vitrail comme œuvre de sens. Mais plutôt comme une partie intégrante d’un tout, l’esprit du lieu, qui s’exprime par la construction au sens le plus vaste du mot. Cependant l’analyse replace le travail des vitraux de Conques dans une période où l’art du vitrail prend un nouvel essor, et notre visée s’illustre par le contraste entre différentes réalisations. Lorsque l’on fait l’expérience physique de l’espace, réfléchie ou non, nos sensations s’inscrivent dans une mémoire sensitive. Les images mentales que l’on s’en fait sont autant de fragments d’un langage propre à chacun. Elles contiennent notre savoir sur l’architecture accumulée dans le temps, au-delà de l’enseignement fourni par le cadre universitaire. Finalement qu’est-ce que l’architecture ? Comment voir l’architecture ? « Alors dans ce vide de la perception, il peut remonter à la mémoire de celui qui regarde un souvenir semblant surgir du fond des temps. Voir l’objet c’est aussi pressentir le monde dans sa totalité ; car rien n’est là qui ne soit destiné à être compris. »2 Peter Zumthor. L’abbatiale de Conques est pour moi une leçon d’architecture. Comme Livio Vacchini nous transmet ses pensées d’architecture dans l’œuvre Capolavori. Je crois primordial la compréhension de chacune des leçons du passé. Elles deviennent alors une source de possible pour les projets à venir, de la capacité à capter les fondements de ces pensées, dépend la force et la justesse de la réponse 2
Peter Zumthor, Penser l’architecture, Birkhäuser, 2010.
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architecturale. Afin de dépasser la vision d’architecture commerciale sans véritable sens commun que l’on observe se développer beaucoup trop dans nos villes contemporaines. Comment retrouver quelque chose d’authentique, dans les objets crées par l’Homme au-delà des signes et des symboles simplement guidé par l’émotion et l’inspiration qui donnent naissance à la substance fondatrice propre de l’architecture.
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Chronologie des travaux (1986 -1994) Vitraux de l’abbatiale Sainte Foy de Conques
1986 12 Février. C’est avec insistance que le délégué aux arts plastiques Claude Mollard demande à Pierre Soulages de réaliser des vitraux et lui propose différents lieux, tous très prestigieux. Pierre Soulages refuse, jusqu’au moment où on lui propose Conques. Il hésite, mais refuse encore. Claude Mollard propose alors un déplacement à Conques. 23 Mars. Visite à Conques, où les attendent onze responsables culturels régionaux et nationaux dont Patrice Béghain, directeur des affaires culturelles de MidiPyrénées. Pierre Soulages, contraint, finit par accepter la proposition. Le projet reste sans suite pendant près d’un an.
1987 26 Février. Lancement de la commande publique par Dominique Bozo, nouveau délégué aux arts plastiques. 29 Mai. Pierre Soulages revient à Conques en observe l’architecture, va voir ensuite les vitraux d’Aubazine, La Bénissons-Dieu, Bourges, Noirlac, etc. Pendant l’été, Saint-Paul de Vence, et en Allemagne, Augsbourg, Cologne.
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Septembre-Décembre. A la recherche d’une translucidité « provenant de la masse même du verre » et d’un matériau industriel, Pierre Soulages fait le tour des fabricants industriels, sans succès.
1988 14 Janvier. C’est par un ami, Jean-Pierre Causse, directeur scientifique à Saint-Gobain et conseiller technique au Cirva, qu’il rencontre Françoise Guichon, directrice de ce centre de recherches sur le verre, à Marseille. Il y fera plusieurs séjours, en février, mars et mai. Les essais menés avec Hannke Fokkelman pour produire un verre ayant les qualités requises vont durer deux ans au rythme d’un échantillon tous les deux jours. Avril. Abandon des essais avec des microbilles, Pierre Soulages s’oriente vers l’usage du verre broyé. Mai. Sur une idée de Patrice Béghain la commande d’un film sur les recherches est lancée : le choix de Pierre Soulages se porte sur Jean-Noël Cristiani, qui suivra tous les travaux. 22 Juin. Premiers contacts avec le centre de recherche de Saint-Gobain à Aubervilliers. 7 Juillet. Réunion des responsables culturels à Conques : quatorze personnes, dont Patrice Béghain et Alfred Pacquement, auxquels Soulages parle de ses recherches, et n’apporte pas les maquettes attendues. Commencement du tournage à Conques par Jean-Noël Cristiani. A nouveau à conques fin Août et début
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Septembre, ensuite au Cirva : il sera toujours présent jusqu’à la pose des vitraux terminés. 29 Juillet. Début de la collaboration avec le peintre verrier Jean-Dominique Fleury. 7 Septembre. Début des essais à Saint-Gobain Recherche à Aubervilliers.
1989 Poursuite des essais à Saint-Gobain ainsi qu’au Cirva. 2 Octobre. Après la mise au point d’un procédé expérimental en laboratoire, premiers essais de production industrielle à la verrerie Saint-Just (Loire), filiale de Saint-Gobain spécialisée dans les verres à vitraux traditionnels. Soulages y travaillera à plusieurs reprises, mais les techniques employées se révéleront inadaptées à ses recherches. 18 Décembre. Réunion à Conques avec les diverses parties prenantes, dont François Barré, nouveau délégué aux arts plastiques, et Béatrice Salmon. 1990 24 Avril. Premier carton réalisé dans l’atelier de Paris. Mise au point de la méthode de travail utilisant du ruban adhésif –appelé graffeur- pour figurer les plombs et barlotières sur des panneaux de bois en laminé blanc.
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1991 Recherche d’une unité de production, en France, en Angleterre. Essais en Italie. 16 Décembre. Un déplacement en compagnie de Béatrice Salmon et de Jean-Dominique Fleury ; pour un premier contact avec l’entreprise Glaskunst Klinge, à Rheine (près de Münster, en Allemagne). Premiers essais encourageants. Grâce à un outillage très performant, la fabrication peut être entreprise avec les techniques mises au point par Saint-Gobain Recherche. Les commandes se succèdent régulièrement, avec des croquis adressés par fax.
1992 Avril-Mai. Plusieurs séjours à Rheine, pendant les quels Hermann Arnhold, un jeune conservateur du Westfälisches Landesmuseum für Kunst and Kultur, de Münster, lui sert d’interprête. 9 Août. Avec un premier essai in situ fait avec un verre de frande dimension produit par Glaskunst Klinge, Pierre Soulages découvre que la perception du vitrail est également heureuse depuis l’extérieur. 15 Octobre. Exposition à la galerie de France, Paris (Peintures et cartons des vitraux de Conques). Catalogue, textes de Béatrice Salmon, sur la commande publique, et de Bernard Marcadé.
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28 Septembre. Les derniers cartons, les plus hauts, sont réalisés à Sète. Jean-Dominique Fleury et Eric Savalli ont réalisé les autres, parfois à Paris, mais surtout à Toulouse. Pose des vitraux.
1994 Mars. Les derniers vitraux sont installés sur la façade ouest. Juin. Parution de Conques. Les vitraux de Soulages, textes de Christian Heck, Jean-Dominique Fleury et Pierre Soulages, préface de Georges Duby, éditions du Seuil, Paris. 26 Juillet. Inauguration de la commande publique par le ministre de la Culture Jacques Toubon. 3 Décembre. Exposition : Soulages Lebendiges Licht, Westfälisches Landesmuseum, Münster (peintures et cartons des vitraux de Conques), textes de Klaus Bussman et de Hermann Arnhold. Chronologie de Pierre Soulages, avec l’aide de JeanDominique Fleury, Vincent Cunillère et Colette Soulages.
2014 Mai. Inauguration du musée Soulages Ouverture de la première exposition temporaire sur le thème de l’outrenoir en Europe.
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I Lecture du lieu, Conques un lieu réel
Depuis Le Puy vers Saint Jacques de Compostelle, il existe une étape qui marque chacun des pèlerins amené à y passer. Conques, village d’apparence médiéval, fait référence à un autre temps, celui où la religion catholique administrait et catalysait toute la vie du Rouergue. Encore et toujours escale sur le pèlerinage de Compostelle, Conques est une place forte du tourisme religieux. Tous les regards se fixent sur le cœur du village, l’Abbatiale Sainte Foy, étonnante par sa verticalité elle offre des tonalités changeantes et invite au parcours.
Conques, un écrin médiéval dans le paysage du Rouergue En chemin dans la vallée du Dourdou, la route suit continuellement la rivière de l’Ouche et laissent à peine voir quelques constructions ponctuant les bords de route et les flancs de collines. Au cœur de ce paysage naturel accidenté, nous arrivons dans la partie basse de Conques, cette partie du village éparpillé constitue une rue autour de la route nationale. Au cœur de la vallée on ne peut observer directement l’abbatiale, il nous faut d’abord s’élever vers la cime du vallon pour découvrir la Conques médiévale, la partie haute du village. Au nord, nous cheminons depuis la partie culminante de la montagne et bénéficions finalement de la vue panoramique sur le village, et le relief alentour. Au premier plan le regard s’arrête sur un bâtiment qui tente de disparaître dans la végétation, le Musée et Centre d’Art Européen d’art 23
Roman symbolise à lui seul l’évolution contemporaine du village.
DIEUZAIDE Jean,Photographie de l’ensemble du village depuis l’arrivée nord ouest, 1963.
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Dans cet univers essentiellement constitué de bois et de roc, la couleur de la pierre rompt cette harmonie élémentaire pour voir se développer « une demi-lune qui s’étire » ce qui vaudra à Conques son nom. L'abbatiale domine le village, au cœur de celui-ci, à flanc de colline elle dépasse toutes les autres constructions. L’église s’impose dans le lieu, depuis les collines environnantes. Elle se dresse au dessus de toutes les constructions du bourg et fait écho aux croix de bois plantées dans les rochers qui émergent des monts surplombant le site. « C’est sur le versant le plus ensoleillé, sur la pente descendant vers l’Ouche que les bâtisseurs ont choisis d’élever Conques »3. Le village de Conques voit le jour lorsqu’un ermite décida de s’établir sur ce terrain privilégié entre le plateau désertique de l’Aubrac et les plateaux méridional du Lévézou et des Causses de l’Aveyron. La situation stratégique du village, à la rencontre de l’Ouche et le Dourdou, offre des caractéristiques géographiques privilégiées. « Qu’un tel lieu soit apparu propice à l’isolement des ermites, premiers arrivants, nous dit la légendaire histoire de Conques, à la méditation et au recueillement ne saurait donc nous surprendre »4. Dès lors, de la domestication progressive de la nature se développe une bourgade médiévale centrée sur l’activité religieuse de son abbaye. Dans cette évolution historique, un édifice cristallise l’impact de la communauté religieuse dans la région, c’est l’Abbatiale Sainte Foy de Conques.
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RENOUE Marie, Sémiotique et Perception esthétique, Pulim, Limoges, 2001, p.56. 4 RENOUE Marie et DENGREVILLE David, Conques moyenâgeuse, mystique et contemporaine, Ed du Rouergue, Rodez 1997, p.10.
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On entre dans le village, son unité architecturale surprend, il apparaît comme écrin sauvegardé, une véritable mémoire « vivante » médiévale. Autour d’une rue sinueuse s’élèvent des maisons à encorbellement ou à colombages couvertes de lauzes et de schistes. La valorisation et la restauration du patrimoine du village dont le but était probablement de créer plus d'homogénéité entre l'édifice religieux emblématique et les constructions classiques du village. L’écriture de cette architecture vernaculaire reconstituée participe à la mise en abîme de toute une stratégie touristique de conservation du lieu-dit, « ici comme à Lourdes ou à Compostelle, religion et tourisme sont liés et créent l’unique source de vitalité dans ce paysage rural. Quelques moines de la confrérie prémontrés vendent des tickets d’entrée pour le célèbre trésor de Conques, et assurent des offices religieux quotidiens, principale attraction du lieu et permettent la permanence d’une activité cultuelle dans ce lieu mythique. Il est difficile, aujourd’hui de s’imaginer l’activité grouillante, des paysans aux aubergistes, des pèlerins aux artisans, une ville étape animée par le flux constant de pèlerins faisant de Conques une cité majeure du Rouergue médiévale. Conques est alors une étape majeure sur le pèlerinage de Compostelle, le vol des reliques de la Sainte Foy leur a permis d’assoir une renommée d’abord régionale dans la route reliant le Puy à Saint Jacques de Compostelle. Le destin de Conques est intimement lié à celui du développement de ce pèlerinage, la communauté conquoise s’enrichit au fil des arrivées toujours plus massives de pèlerins venu de toute l’Europe de l’ouest et
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les oblige à construire des édifices capables d’accueillir la foule. Toutes les rues nous conduisent à l’abbatiale, centre historique, religieux et économique du village, c’est aujourd’hui un site touristique par excellence, c’est au détour de la ruelle principale, que l’on se retrouve face à l'abbatiale. La façade Est de l’abbatiale se dévoile mais pas dans le même rapport physique que celui ressenti lors de la perception lointaine, La confrontation directe avec l’édifice due à la déclivité du terrain, situe le regard presque au niveau des toitures de l’église, l'échelle du bâtiment apparaît tout autre. En effet, contrairement à l’ensemble des bâtiments profane du village, celui-ci s’installe sur un terre-plein artificiel pour gérer la pente naturelle, reprise par un mur de soutènement afin de créer la Via podiensis empruntée par les nombreux pèlerins et touristes. Ce rapport au sol singulier, crée une distanciation entre le patrimoine civil du village et l’abbatiale. Cette séquence d'entrée dans le village de Conques est d'autant plus déstabilisante que depuis l'extérieur, l'église apparaît complexe, les toitures se superposent. Le grès rouge donne un caractère austère à l'édifice religieux ainsi que les vitraux qui participent aussi à l'établissement de cette sensation. A seulement quelques mètres, on se retrouve à proximité des vitraux, c'est l'instant où on s'en approche le plus finalement grâce à la géographie du site et l'intégration du bâtiment dans un territoire constitué, ils laissent voir leur constitution granuleuse et participent de l’expression de masse de l’édifice.
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Photo personnelle, vue du chevet au nord est dans l’ombre depuis la rue principale, 30.10.2015 à 8h30.
L'expression des vitraux depuis l'extérieur convoque une matérialité inédite, des contrastes lumineux ordonnancé par une double trame de lignes de plombs prennent place dans les murs épais. Ce vitrage fait d’avantage penser à 28
celui de sheds industriels ou d'un hangar qu’aux vitraux d’une église. Mais ici la proportion de la fenêtre, le dessin et le rythme des plombs transforme cette matérialité en objet opaque en contact avec la pierre de la vallée. Le cheminement se poursuit parcourant la rue principale du village, moyen-âge reconstitué. Obligé de parcourir cette rue animée par les activités touristiques, toute liées à l'abbatiale et au chemin de Compostelle. L’apparente uniformité architecturale du village que l’on relevait précédemment est nuancée par l’apparition de quelques bâtisses seules véritables traces des XV et XVIème siècles dans le village. Finalement après un détour sur la droite nous voilà, sur une petite place entouré d'édifice moyenâgeux, le parvis de l'abbatiale étroit et contenu se dessine directement dans la trame urbaine. La morphologie rappelle la déclivité importante du sol. C'est là que nous prenons toute la mesure de la façade Ouest de l’abbatiale, celle du tympan, qui forge l’identité de l’abbatiale et du village tout autant que le trésor.
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Photographie de l’élévation Ouest avant l’intervention de JeanCamille Formigé.
L'édifice solide, massif, roman qui s’élevait autrefois a quelque peu perdu son identité romane, notamment au niveau de la façade occidentale, où Formigé édifiera les deux toitures pyramidales lors d’une restauration du XIXème siècle. Cette place c'est l'espace 30
de représentation de conques, sur toutes les cartes postales, il est à la fois parvis, place publique et terrasse du village. Tous les regards convergent vers le tympan de l’abbatiale. L’Abbatiale Sainte-Foy entretient un lien intrinsèque avec son environnement. Son positionnement exigu au cœur du village, l’importance du dénivelé du terrain où elle s’implante, créent une interaction singulière entre l’édifice religieux et le genius loci. Lorsque l’on arrive devant la façade Ouest, on est conditionné par la lumière et les contrastes de l’espace urbain médiéval, recrées sur le parvis étroit de l’abbatiale. En effet, les ruelles étroites et la place contenue nous plongent dans un fort contraste entre ombre et lumière, renforcé par la présence du mur de soutènement au nord. Cependant lorsque l’on entre dans l’abbatiale, l’espace intérieur jouit d’un éclairement très intense, la nef nous apparaît ainsi baignée de lumière et cette clarté intérieure surprend le visiteur. La transmission de la lumière solaire dans l’espace intérieur est permise par la création de cent quatre grandes baies. Evidées depuis les épais murs de pierre, elles illuminent l’espace et donnent le rythme structurel de l’édifice. L’architecture de l’abbatiale permet l’ordonnance singulière de la lumière mais « la lumière de Sainte Foy est soumise à un tempo lent et régulier qui en régule les transformations et l’inscrit dans un devenir cyclique déterminé»5, celui du cycle du jour. La temporalité de la course du soleil définit des intensités et les zones de lumière, dans l’abbatiale ce sont surtout les 5
RENOUE Marie, Sémiotique et Perception esthétique, Pulim, Limoges, 2001, p.118.
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projections des lumières plus intenses qui indiquent la position de l’astre solaire. En effet, tout comme l’environnement extérieur construit, les variations de luminosité extérieures sont directement observables dans l’atmosphère lumineuse intérieure. A cette mobilité, des taches de lumière s’ajoutent comme indicateur du temps, l’intensité générale de l’espace qui augmente et baisse en fonction du déplacement de l’astre solaire dans le ciel. A Conques, contrairement à une idée commune qui fait de l’évolution de l’ombre, le révélateur de l’écoulement du temps ce sont les évolutions de la lumière qui souligne ce rythme quotidien. L’exigence romane de manifester le temps, son passage et sa régulation, par la vie, constituée d’événements singuliers et de modifications ordonnées de la lumière".6
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DUBORGEL Bruno, Conques / Une lumière révélée Pierre Soulages, Bernard Chauveau, Paris, 2014, p.10.
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DIEUZAIDE Jean, Photographie dans l’axe de la nef et du chœur, 1963.
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L’expérience du clos, Parcours d’architecture romane et de lumière Lorsque l'on passe la porte d’entrée de l’église, on est directement accueilli dans l'espace de l'abbatiale, le vestibule a disparu seule une légère différence de hauteur permet la partition de l'espace qui marque l'entrée et soutien les deux tours occidentales. On fait alors l’expérience de la clôture, l’espace est contenu, l’extérieur disparaît, "une clôture pour confiner le regard dans l'espace même de l'architecture."7 L’espace s'élève, la nef haute et peu large conduit notre regard vers le chœur, plus lumineux que le reste de l'église encore plongé dans un éclairement incertain à cette heure. L’effet de grandeur qui se produit est le fruit d’une recherche de hauteur audacieuse pour un édifice roman de cette époque. Ce volume interroge, les proportions inédites pour un édifice religieux roman lui donnent une identité singulière. La nef (22m10 sous voûte) paraît d’autant plus haute qu’elle est étroite (6m80). Cet élancement est accentué par la hauteur importante des arcades des collatéraux (9m40) De la complexité des murs et des toitures extérieures on ne lit désormais que limites verticales, l’espace est simple, sa lumière aussi. « La voûte en berceau à doubleau de la nef donne une sensation de légèreté, qui couvre le vaisseau central, s’élève non sur des murs pleins, mais sur deux étages d’arcades »8 dont les larges baies éclairent profusément. L'espace religieux roman détient ses propres codes, ces propres singularités et écritures formelles. En outre, les 7
Ibid. GAILLARD Georges, Rouergue Roman, Zodiaque, Nancy, 1963, p.43.
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églises de pèlerinage sont dans cette architecture une sous catégorisation formelle et spirituelle. En effet les usages en sont profondément modifié, ici le pèlerin ou le simple touriste parcourt l'église et la traverse jusqu’au chevet d'où l'importance spatiale donnée aux déambulatoires. Les espaces de circulations sont magnifiés, dès qu’entre la lumière naturelle, la paroi sud laisse pénétrer une clarté qui révèle « ses sous-espaces » et leur donne une ambiance spéciale qui crée un anneau lumineux tout autour de l’espace central. La séparation avec l’espace central de l’église se lit spatialement avec un espace central comprenant le chœur et la nef dans lequel s’organise le service liturgique. Cette structure spatiale en double enveloppe est un invariant des églises de pèlerinage. L'échelle de l'édifice lui donne sa singularité, facile à parcourir, à comprendre, et à en appréhender la construction et la pensée.. La faible longueur de la nef en comparaison avec la longueur du transept crée une géométrie inédite et donne à Sainte Foy une différenciation vis-à-vis des autres églises de pèlerinage romane. Les proportions du transept sont héritées de la déclivité du site, son importance dans le plan est aussi soulignée par la taille des ouvertures dans les murs permettant un événement lumineux dans le parcours du visiteur.
Mais déjà le dialogue entre la lumière et les murs s'instaure, la lumière, diffuse, vient souligner la couleur des pierres, le rythme des piles. On sait alors que l'on est dans un édifice conçu comme une boîte à lumière. En parcourant la nef on découvre l'alternance des colonnes engagées et des piliers qui 35
pour éviter la monotonie captent la lumière de manière distinctes9 et finalement le regard se tourne vers une multiplicité de détails qui enrichissent la composition de cet espace contenu. La gestion de la lumière est un élément privilégié dans l’établissement de la liturgie chrétienne à travers les âges. On observe une évolution d’éclairage et des symboliques de la lumière au cours du temps dans les édifices chrétiens. « Aux sombres catacombes et aux églises byzantines ; profitant d’une lumière qui semblait émaner que d’ellesmêmes, ont succédé les églises romanes qui introduisaient et canalisaient, avec art parfois, la lumière extérieure. »10
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SOULAGES Pierre, Conques Les vitraux de Soulages, Notes de travail, Seuil, Paris, 1994, p.42. 10 RENOUE Marie, Sémiotique et Perception esthétique, Pulim, Limoges, 2001, p.100.
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FERRANTI Ferrante, Mère Méditerranée, Photo de la lumière émanant de l’oculus coupole du panthéon de Rome.
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Depuis le panthéon de Rome, l’Homme utilise l’architecture afin de sculpter la lumière naturelle, et utiliser son rythme cyclique à des fins de singularité spatiale, et de maîtrise de la nature. Dans les églises de pèlerinage, la lumière est évidemment associée au culte et à la communication avec Dieu, c’est la première ordonnance remarquable de la lumière de l’abbatiale Sainte Foy de Conques. En outre, la diminution maîtrisée de la lumière solaire ou l’apparition de l’ombre, apparaît comme le souligne Marie Renoue, comme facteur de méditation, de recueillement et de concentration pour un sujet alors tourné vers un simulacre de lumière. La lumière de Conques, du village est transformée lorsque que l’on entre, de manière étonnante, avec la structure des ouvertures romanes et la constitution du verre des vitraux de Soulages, les murs ne semblent pas réellement traversée par la lumière du jour mais renvoi une certaine clarté à l'édifice, la lumière est voilée. L’église, orientée, est à l’écoute des variations des saisons et du rythme du jour. La lumière de Conques pénètre généreusement dans l’espace intérieur, épurée par les vitraux de Soulages. La volonté des constructeurs, de magnifier la lumière dans l’abbatiale est perceptible grâce à une partition relativement souple qui vise à ouvrir le vestibule sur l’abbatiale, mais surtout l’absence de crypte qui supprime cet espace habituellement le moins lumineux des édifices religieux. L’ombre semble alors disparaître de l’abbatiale durant la journée pour laisser place à la variation d’intensité d’ensoleillement. Au cours de l’année, la hauteur du soleil varie, l’ambiance lumineuse s’en trouve modifiée Les événements lumineux réapparaissent ainsi soumis à des rythmes naturels différents qui modifient l’ordonnance de la lumière dans 38
l’espace. En outre des événements météorologiques imprévus viennent rompre ces mouvements continus. La position plus haute du soleil, l’été permet également à l’autel de profiter de la lumière déversée abondamment par la tour lanterne, tandis que le nord reçoit la lumière réfléchie par le mur de soutènement et l’ouest celle réfléchie par les demeures environnantes.11 Et finalement à la tombée du jour, la façade ouest de l’abbatiale s’illumine d’une intensité modérée. Seules deux baies et un oculus creusent la paroi épaisse qui marque l’entrée dans l’édifice et dessinent la façade extérieure sur la place. A cet instant né un équilibre relatif entre les différentes façades. Le faible nombre d’ouverture sur la façade harmonise l’éclairement de l’édifice. Les vitraux se teintent de cette lumière crépusculaire, et transforme les relations chromatiques entre lumière et pierre. Ces transformations relèvent le passage du temps, au centre de la démarche des constructeurs romans comme dans le travail de l’artiste ruthénois. Contrairement aux églises gothiques, où la lumière du soleil couchant à l’ouest est magnifiée et accentuée par une ouverture à l’échelle de l’édifice, la rosace. A Conques, cette dernière lumière du jour et simple et amorce le retour dans l’ombre.
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RENOUE Marie, Sémiotique et Perception esthétique, Pulim, Limoges, 2001, p.118.
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Photo personnelle, vue vers les tribunes illuminÊes qui contrastent avec les murs dans l’ombre de la nef en partie haute.30.10.2015, 10h25.
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Cependant, les différenciations d’éclairement dans l’Abbatiale sont plus complexes qu’un simple rythme cyclique entre le jour et la nuit. A l’intérieur, ces baies ordonnancent l’apport de lumière extérieure des différents espaces. Leur organisation et enchaînement donnent lieu à des différenciations d’ambiances lumineuses selon les espaces de l’abbatiale on observe le parcours lumineux que les bâtisseurs romans ont crée et que le travail de Soulages vient appuyer. Tout d’abord comme on peut l’observer dans la mécanique spatiale de la plupart des églises chrétiennes, la lumière tient une signification majeure dans la communication de symbolique ; La structuration de l’espace par la lumière souligne sur l’axe horizontal la forme de l’architecture, tout en la déséquilibrant un peu par la dissymétrie créée entre les luminosités du sud et du nord de la nef aux formes architecturales identiques.12 Dès l’entrée dans l’Abbatiale Sainte Foy de Conques, on observe la prédominance de l’axe nef-cœur-chevet dans l’ordonnance de la lumière. Depuis le seuil d’entrée, l’élancement de la nef souligne cette ligne de lumière et dirige le regard du visiteur. Le chevet nous apparaît très lumineux et contraste fortement avec le seuil d’entrée. La lumière émane depuis la hauteur de l’édifice, la tour lanterne laissant pénétrer la lumière depuis les hauteurs. Le parcours vers la lumière dans l’édifice religieux de 12
Ibid.
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Conques, est centripète, les intensités lumineuses s’ordonnent depuis le déambulatoire plus sombre vers la clarté du chevet. Le chœur est l’espace le plus clair, le plus lumineux avec ses 20 ouvertures réparties sur deux niveaux. Le nombre des ouvertures diminuent ensuite de façon symétrique entre le transept, la nef, les bas-côtés et le vestibule de plus en plus sombres, tandis que l’intensité lumineuse variable au nord et au sud introduit des variations.13 Il s’installe une alternance, entre la partie basse où l’expression des piles massives de surfaces claires avec les murs sombres des bas-côtés percés de baies, et la partie haute constitué par les tribunes éclairées par des baies invisibles depuis la nef. Cette dualité d’entrée de lumière dans la nef crée une uniformisation lumineuse entre le haut et le bas, malgré que les deux sources de lumière soient différente, l’une émanant de murs percés et l’autre depuis un volume supérieur mystérieux très lumineux. L’architecture, par les proportions, le rythme d’alternance des pilastres et des colonnes engagées guide notre regard vers le cœur faisant de la nef un véritable chemin clair et lumineux, orienté vers la lumière et cerné d’espaces plus sombres. Au cours de la journée la course du soleil modifie cette opposition et l’adoucie. Les murs et les piles de la nef du côté nord, réfléchissent la lumière émanant du sud et ainsi participent à l’éclaircissement général de la nef lorsque le soleil est au zénith. La lumière directe intense émanant du 12
Ibid.
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sud, plongent ces murs dans l’ombre et mettent en lumière la partie nord de la nef. La nef apparaît ainsi comme un chemin lumineux entre espaces émetteurs ou réflecteurs de lumière.
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Photo personnelle,vue du narthex depuis le collatéral sud à la lumière soleil levant, 30.10.2015 à 8h30.
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Photo personnelle, vue du narthex depuis le collatéral nord éclairée par les baies haute du sud de la nef, 30.10.2015 à 8h30.
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Les bas-côtés présentent des intensités lumineuses différentes, les dimensionnements des baies varient, les entrées lumineuses développent une opposition entre le nord et le sud. Comme le rappelle l’auteure, c’est évidemment l’architecture qui accuse nettement l’opposition entre le nord et le sud. Finalement, l’ambiance lumineuse des bas-côtés évolue considérablement en fonction de la journée. Cet espace servant avant tout à canaliser le flux des pèlerins est plus sombre et forme avec le déambulatoire une ceinture de circulation plus obscure, que les espaces véritablement lié à la pratique liturgique de la religion chrétienne. La géométrie du plan prend vie à travers la gestion des apports lumineux, modifiant la symétrie initiale et contraste les espaces du sacré ou du profane. Au sortir des collatéraux nous parvenons au transept, qui semble servir de transition douce entre les espaces de circulations périphériques et le chœur. C’est une nouvelle fois la qualification de la propagation des rayons lumineux qui clarifie la partition spatiale de l’Abbatiale. Cependant, le transept obéit à une logique qui lui est singulière, les rapports des dimensionnements des baies traduisent une inversion équivoque entre le haut et le bas des croisillons nord et sud. Derrière nous, les bas-côtés disparaissent et l’espace se développe en toute hauteur, laissant l’espace baigné de lumière intense et diffuse. Les dimensions des baies dans le bas des croisillons nord (2.48 m² en moyenne) et sud (3.02 m² en moyenne) indiquent le désir des concepteurs d’augmenter la différence entre un sombre nord et un lumineux sud. […] Dans le haut du transept, les écarts demeurent entre les dimensions des 46
baies, mais les plus grandes, qui sont aussi les plus grandes de l’édifice (80,82 au nord et 55,57 au sud), se trouvent au nord (4.74m² au nord en moyenne et 3.80m² en moyenne au sud). Le désir de rééquilibrer l’intensité lumineuse entre le nord et le sud, évoqué pour le chœur, semble ici aussi évident.14 Le transept néglige la mécanique d’éclairement générale de l’édifice et devient une singularité par le changement de logique constructive entre les baies hautes et les basses des croisillons, de plus, la propagation de la lumière est stoppée au sud par un volume construit au XVe siècle abritant la sacristie qui fractionne l’espace et contraint la libre circulation de la lumière naturelle extérieure dans la partie sud, à l’inverse de la partie nord, espace dégagé. Cet équilibrage de l’intensité lumineuse dans le transept semble éviter la précellence d’un coté sur l’autre. Pas de direction vers le nord ou le sud qui suivrait une gradation lumineuse. L’espace le plus lumineux est ici le centre du transept profitant de la lumière directe déversée par la tour lanterne.15
14 15
Ibid. Ibid.
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Photo personnelle, Vue depuis le déambulatoire sombre vers le chevet, La lumière guide le parcours du pèlerin, 30.10.2015, 10h50.
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Le déambulatoire structure le parcours du pèlerin autour du chœur, qui disparaît dans l’ombre. C’est finalement, le corridor entre chœur et chevet, deux espaces majeurs de la vie religieuse de l’abbatiale qui accentue cette disparition du pèlerin dans l’ombre. La courbe conduit le visiteur vers le chevet et ses trois chapelles rayonnantes. Malgré les quatre ouvertures l’espace reste dans la pénombre, la pierre des murs sombre et sa voûte claire en berceau annulaire sont peu favorables à l’expression de la luminosité selon la perception du lieu et les descriptions de Marie Renoue. Le chevet, physiquement et visuellement relié au déambulatoire se présente comme un espace plus complexe que le reste de l’abbatiale. Espace partitionné et composé, il participe aussi à l’axialité de l’édifice définie au début du parcours, et dessine un fond sombre à l’image spatiale que nous offre l’entrée dans l’espace de l’abbatiale. Les chapelles reçoivent la lumière naturelle grâce à trois baies percées dans un mur circulaire qui définit la limite de cet espace de recueillement. La différence de couverture avec le déambulatoire, leur confère une certaine intériorité et les mettent en contraste du chemin de ronde de l’église. Cette différenciation de couvert empêche la prolifération des rayons solaires vers le déambulatoire. Le visiteur observe alors les images religieuses placées dans les chapelles rayonnantes éclairées depuis un déambulatoire sombre. La géométrie de la lumière induit le mouvement du pèlerin et son usage de l’espace. Au détour du déambulatoire, apparaissent les chapelles latérales. Ces sous espaces « quasi symétrique » du nord au sud, présente une fois de plus des différences de 49
rapport de percement lumineux. L’après-midi la forte réverbération de la lumière la paroi nord du transept accentue ce déséquilibre. Enfin, nous arrivons, au centre de l’abbatiale, le chœur, l’espace du rite, véritable centre lumineux équilibré au sein d’une composition dissymétrique et déséquilibrée. Le point névralgique de l’axe lumineux principal de l’abbatiale porte un contenu symbolique manifeste. Un contenu axiologique sous-jacent à ce traitement de la lumière peut apparaître. Il s’agit manifestement d’affirmer la présence de la lumière, de la séparer de l’ombre pour la présenter comme un principe unique. Les axes dessinés par la progression de l’intensité lumineuse vers l’est et vers le haut indiquent au visiteur les voies à suivre pour atteindre la lumière, identifiée dans cet espace divin, à l’euphorique. Le contenu religieux sous-jacent est d’autant plus évident qu’à Conques, comme à Vézelay ou à Compostelle, le Christ représenté sur le tympan ou le trumeau du portail est situé dans l’axe de l’autel, de l’espace le plus lumineux.16 L’étude de l’orientation et les dimensionnements des ouvertures met en abîme la connivence entre partition architecturale et quantité de rayonnement solaire qui s’infiltre dans l’espace, à Conques, l’apport de lumière
16
Ibid.
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solaire crée des continuités, des fractures entre les espaces et organise le parcours et l’usage du pèlerin contemporain. L’éclairement de l’Abbatiale entretient une relation intrinsèque avec la nature du site qui fait jaillir une vie nouvelle continuellement, fait résonner le lieu et transforme l’acte bâti en expérience spatiale riche de sens. Le traitement architectural de la lumière dans l’abbatial est le socle de compréhension de l’Abbatiale de Conques. L’homme roman devinait dans la beauté du cosmos une préface des perfections absolues, et dans la régularité des circulations des astres une annonce de l'éternité. 17 Comment cette organisation de l’éclairement de l’espace, nourrit la pensée créative de Soulages, comment l’héritage d’un édifice donne les clés de lecture de l’intervention de l’artiste.
17
DUBORGEL Bruno, Conques / Une lumière révélée Pierre Soulages, Bernard Chauveau, Paris, 2014, p.10.
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II L’art du vitrail contemporain, mise en perspective du travail de Soulages
Du vitrail à la posture d’architecte de Pierre Soulages
Analyse éclairée Nous nous intéressons ici à la généalogie du projet de Pierre Soulages pour l’Abbatiale de Conques, comment son analyse de l’architecture conduit au projet et quelle méthode de travail le guide dans la conception de l’objet final. En menant une étude précise sur l’architecture du lieu, les caractéristiques de la lumière et les singularités de chacun des sous espaces nous nous appuierons sur les notes de travail de l’artiste écrites durant son travail et largement publiée après la pause des vitraux. Le 29 mai 1987, quelques mois après le lancement de la commande publique, «Pierre Soulages revient à Conques en observe l’architecture, va voir ensuite les vitraux d’Aubazine, La Bénissons-Dieu, Bourges, Noirlac, SaintPaul de Vence, et en Allemagne, Augsbourg, Cologne. »18 Ainsi débute la démarche créative de Soulages pour les vitraux de Conques, avec l’étude de vitraux de références qu’ils soient contemporains ou plus datés. C’est le point 18
MUSEE FABRE, Soulages verre, cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.21.
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de départ de son intervention, petit à petit il n’aura de cesse que de s’éloigner de la fabrication traditionnelle du vitrail afin de créer une définition autre de cet élément architectural. Cependant on doit préciser que l’artiste entretient une affinité particulière avec le lieu, il le connait depuis qu’il est jeune et raconte même que c’est à Conques, dans l’abbatiale, qu’il eu ses premières émotions artistiques. Lorsque la commande publique pour l'abbatiale Sainte Foy de Conques est passé à Soulages il retourne à Conques, il vient s’imprégner de ce lieu afin de basculer dans la situation de projet en développant un regard critique et instruit. Outrepasser la commande initiale, comprendre les réels enjeux de l’édifice le dessein étant de proposer un intérieur inédit. C’est de l'étude de l'édifice, sa constitution, ses transformations successives, les sensations éprouvées que né l'imaginaire du projet. La pensée créative se met en action dès lors que, « Soulages entreprend une analyse méthodique, un examen minutieux et structural des composantes de l'édifice; s'enchaînent alors des repérages rigoureux de géomètre, des relevés et des plans de architecturaux, des classements des formes et de leurs chromatiques, des questionnements du nombre, des dimensions et des ordres de répartition des ouvertures, en même temps que des distributions et des
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transformations de l'ombre et de la lumière."19 Il se familiarise avec l'édifice comme œuvre architecturale comme construction, il cherche à en comprendre l'essence architecturale à travers les d’échelles, les dimensionnements et les rapports de volumétries. Soulages étudie le plan de l’abbatiale qu’il qualifie justement de très fort, massif. Il lit le plan et l’élévation comme il a l’habitude de le faire pour le calibrage des châssis de ses peintures "il élit avec constance un châssis dont la longueur est égale à la largeur multiplié par racine de deux ou par racine de cinq plus un sur deux"20 qui leur donne leur identité dans une démarche entre mathématique et avec exactitude technique. En effet il établit des proportions entre les dimensions de l’édifice, ici, la longueur n’est qu’une fois et demie la largeur Au-delà de l’écrin préservé que représente l’abbatiale, Soulages a des images architecturales en tête, notamment lorsqu'il cite Etienne-Louis Boulée, Si je peux éviter que la lumière arrive directement et la faire pénétrer sans que le spectateur aperçoive d'où elle part, les effets résultant d'un jour mystérieux produiront des effets inconcevables et, en quelque façon, une
19
DUBORGEL Bruno, Conques / Une lumière révélée Pierre Soulages, Bernard Chauveau, Paris, 2014, p.7. 20 Ibid. p.15.
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espèce de enchanteresse. 21
magie
vraiment
La référence qu’il convoque est d’ordre utopique, mais les caractéristiques de mise en lumière définissent clairement une volonté spatiale, une intuition projectuelle.
Analyse sensible
Le second contact de Soulages avec l’édifice, apparaît comme une analyse similaire à celles que l’on a pu mener tout au long de nos études, la compréhension du lieu à travers ses caractéristiques métriques. Cependant cette investigation demande un positionnement vis-à-vis de l’objet d’étude. De la compréhension jusqu’à l’appropriation des caractéristiques de l’espace, Soulages construit une pensée projectuelle. Il s’approprie les éléments constituants du lieu qui font sens pour lui. L’étude rationnelle que l’on a mise en avant, s’enrichit continuellement d’une vision plus sensitive, directement liée à l’architecture et à la volonté des bâtisseurs romans. A Conques, Soulages nous raconte la rencontre de la lumière avec la matière, et la qualification de ces aspérités. Autant de singularités, de rythmes que Soulages nous fait redécouvrir, à la lecture de ces notes de recherches on prend conscience de l'importance du regard
21
MUSEE FABRE, Soulages verre, cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.21.
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avec lequel Soulages scrute l'abbatiale et comment notre propre regard s'en retrouve modifié.
CUNILLERE Vincent, Vue des baies de la tribune sud, 1993.
Soulages classifie les baies, par leurs positions dans l’abbatiale, la qualité des pierres qui les entourent.
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L’intérêt de Soulages pour la nature des interactions entre matière et lumière débute dans l’observation de détails qui apparaissent antérieurement à une analyse plus générale de la répartition de la lumière dans l’édifice dans ses notes de travail. « L’alternance de pilastres et des colonnes engagés : dans un pilastre, une face est éclairée, l’autre dans l’ombre, séparée par une ligne nette, dure ; au pilier suivant, sur le demicylindre de la colonne engagée, la lumière passe à l’ombre avec douceur. »22 Il définit clairement la constitution des murs du bâtiment, l’utilisation de trois pierres différentes, les grès rouges, les ocres, et les schistes bleus, extraits de trois carrières différentes qui donnent le caractère singulier à la stéréotomie de l’édifice et animent par « contrastes, tons sur tons, accords de complémentaires, subtiles modulations des ocres clairs »23 les parois massives du XIème siècle. Lorsqu’il qualifie la matérialité de l’Abbatiale, Soulages l’observe depuis le point de vue de la lumière, c’est la lumière naturelle qui offre ces jeux de couleurs et d’intensité. C’est le renversement de cette définition qui consiste à montrer l’importance de l’apport lumineux qui permet la mise en abîme de la matérialité et modifie profondément la raison d’être du projet.
22
SOULAGES Pierre, Conques Les vitraux de Soulages, Notes de travail, Seuil, Paris, 1994, p.42. 23 Ibid. p.49.
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Soulages note les singularités de répartition de la lumière naturelle dans l’édifice et s’engage « à ne rien changer à cette ordonnance incontestable de la lumière qui est une des composantes majeures de l'identité de cette architecture »24. L’engagement de l’intervention vise à conserver la mécanique spatiale de l’entrée de lumière naturelle dans l’Abbatiale Sainte Foy, telle qu’elle est ordonnancé au moment où il se retrouve en position de faire projet dans le lieu, la souligner et l’accentuer afin d’en faire l’identité même de l’édifice. Sa posture vise à redonner à voir un ordonnancement lumineux qui avait disparu avec les vitraux de Pierre Parot crée en 1942 pour l’abbatiale et crée un nouveau rythme des verrières en lien avec la matérialité du verre et sans redite formelle avec l’architecture romane. De la démarche empirique de l’espace à la mise en œuvre des vitraux Lorsque le ministère de la culture nomme Pierre Soulages pour la commande de 106 vitraux Soulages déplace la commande initiale visant à introduire des vitraux contemporains dans un édifice religieux vers la requalification de cet espace architectural. Dès le début j’ai été animé par la volonté de servir cette architecture prestigieuse telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, en respectant la pureté des lignes, des proportions, les modulations des tons de la pierre, 24
Ibid. p.47.
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l’organisation de la lumière inséparable de la vie de l’espace très particulier du bâtiment. Mon désir fondamental a été de les donner à voir25. Cette célèbre tirade de Pierre Soulages établit parfaitement l’intension de son œuvre. La mission est trouvée, rétablir l'accord vivant de la lumière et des matériaux de la basilique, comme il n’aura de cesse de le répéter après la diffusion du projet. L’étude de terrain qu’il a mené le conduit à définir clairement sa posture de concepteur d’espace, en justifiant l’identité d’éclairement de l’église romane. Je n’ai été animé que par la volonté de servir l'architecture telle qu’elle est parvenue jusqu’à nous, telle que nous l’aimons. Le but de ma recherche a été de la donner à voir, loin de tout moyenâge reconstitué ou rêvé.26 Dès lors, la matérialisation de l’idée devient la suite logique du cheminement. Soulages se tourne vers la recherche d'une lumière « appropriée » au lieu, et ses exigences. Il cherche à concevoir un espace architectural à partir de cette lumière qu’il prend soin de qualifier ; 25
SOULAGES Pierre, Texte Exposition : De la passion à la résurrection, Vitraux de l’abbatiale Sainte Foy de Conques, 1987-1994 ″De la passion...″ présentée au musée Matisse, Nice, du 21 avril au 10 sept. 2001 et ...″à la Résurrection″, présentée au château de Villeneuve-Fondation Emile Hugues, Vence, du 21 avril au 25 juin 2001. 26 SOULAGES Pierre, Conques Les vitraux de Soulages, Notes de travail, Seuil, Paris, 1994, p.49.
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« Cette lumière que l'on pourrait dire "transmutée" a une valeur émotionnelle, une intériorité, une qualité métaphysique en accord avec la poésie de cette architecture comme avec sa fonction : lieu de contemplation, lieu de méditation. » Ces intentions spatiales supposent la mise en œuvre d’un matériau, un verre qu’il définit à travers les qualités nécessaires. Ma recherche a donc porté sur un verre non coloré, dit « blanc », translucide et non transparent, respectant les variations de la lumière naturelle. Dès septembre 1987, il se met à la recherche d’un verre industriel présentant l’ensemble des qualités susceptibles d’assouvir ses aspirations d’atmosphère architecturale. Malgré des recherches méthodiques, Pierre Soulages ne trouve pas le verre adéquat. Il se lance alors dans une démarche empirique de création de ce verre si singulier en janvier 1988 et débutera les essais au Cirva27 avec Hannke Fokkelman « au rythme d’un échantillon tous les deux ans ». Ainsi, la démarche de recherche matérielle le conduit à affiner ses connaissances du lieu et ses envies. A travers les échecs il comprend ce qu’il ne souhaite pas pour Conques,
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Cirva, Centre International de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques, à Marseille.
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J'ai dès le départ, éliminé les feuilletés au polyvinyle butyral que j'avais expérimentés [...] mais qui ne me paraissaient pas apporter les garanties de stabilité dans le temps pour ce projet de Conques.28 Son carnet de note atteste de cette recherche physique du matériau et l’importance des enseignements qu’il en tire.
Musée
Soulages, Essais de verre, Dépôt Fnac. 28
MUSEE FABRE, Pierre Soulages verre cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.23.
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Ainsi il interroge sans cesse des matériaux et des méthodes. Ce temps d’expérimentation de type de verre est le temps le plus long du projet des vitraux de Conques. Cette quête durera près de quatre ans avec de nombreuses collaborations et d’études. Pour finalement découvrir une mise en œuvre en harmonie avec les attendus. Les grains de verre sont obtenus en versant du verre en fusion dans un liquide froid; il éclate alors en milliers de petits fragments. Ils sont alors sélectionnés avec des tamis spéciaux et rassemblés selon leur grosseur. A une haute température très précisément contrôlée, les éclats de verre s'agglomèrent et se dévitrifient partiellement. Les gros grains laissent passer la lumière, les petits, plus denses, rendent le verre plus opaque. Les modulations lumineuses sont fonction de la répartition des éclats de verre dans le moule. Voici le récit technique qui permettra la création du verre pour les vitraux épais de 8mm, il est ensuite produit en grand volume par l’entreprise allemande Glaskunst Klingeusine à Rheine (près de Münster). On remarque que ce processus de fabrication conquis pas à pas né d’un savoir-faire étranger à l’artiste. Malgré une approche scientifique, on note aussi l’aspect sensible de cette expérience laissant même une part du hasard s’exprimer à divers moments de la création. La répartition devient alors un facteur défini par l’artiste. C’est la répartition des grains qui crée les variations de luminosité observable dans l’abbatiale. 63
Soulages invente alors de nouveaux matériaux pour travailler cette matière vivante, répandre les grains de façon maîtrisé et non répétitive, en modifiant continuellement l’inclinaison des supports il définit les intensités de lumière qui naissent des vitraux.
Colette Soulages, répartition des grains de verres de différentes grosseurs à Saint-Just, Exposition des travaux préparatoires de Pierre Soulage au Musée Fabre de Montpellier.
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La conception des vitraux se concentre ici sur la qualité et la qualification d’un verre visant à obtenir une qualification spatiale souhaitée. L’identité de la réponse de Soulages pour la commande des vitraux de Conques réside dans cette recherche et dans sa résolution, la matérialité de ce verre qui n’est pas une fin en soi mais la masse permettant une expression nouvelle au vide de l’abbatiale. La définition de cette nouvelle lumière vivante pour l’édifice né de cette création, le travail de dessin des vitraux, d’un souffle nouveau devient alors simplement la structure permettant cette expression. Malgré une recherche d’expression formelle inédite et un travail de calibrage des lignes et leur espacement. Finalement Pierre Soulages a trouvé l’expression du verre qu’il souhaite pour l’abbatiale de Conques et aborde donc le dessin des armatures constituant la verrière. De la remise en état des barlotières précisée dans le cahier des charges de la commande Soulages préfère en changer le rythme, et surtout la perception. Pierre Parot dessine des vitraux ordonnancés par cinq barlotières qui divisent la baie en six parties. Cette proportion symétrique dérange Pierre Soulages qui ne peut se résigner à laisser une barlotière s’exprimer au centre de la baie. De plus la volonté de simplicité et de pureté architecturale le poussera à supprimer la bordure habituelle des vitraux. En effet le désir d’éclairement diffus maximal pour l’espace intérieur vise à laisser s’exprimer la baie comme une surface uniforme, toute la surface de la baie permet l’émission de cette clarté.29 Les barlotières organisent la plastique des formes de la baie. A la fois structure horizontale de la baie et surtout élément de serrurerie 29
MUSEE FABRE, Pierre Soulages verre cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.65.
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porteur scellée dans la maçonnerie qui soutient cette masse lumineuse. Pour le dessin des plombs, Soulages éprouve le besoin « de différencier le monde formel de la lumière de celui de l'opacité."30 On entend qu’il cherche une écriture formelle nouvelle dans l’architecture de l’abbatiale afin d’éviter le mimétisme des lignes de la construction de l’église romane. On a remarqué précédemment que les verticales d’abord et les horizontales ensuite sont prégnantes dans l’expression de cette intériorité. Il proportionne alors ces lignes en fonction des dimensions de chaque ouverture et de la composition générale dans le parcours architectural de l’abbatial visant à rétablir une lecture de l’ordonnancement roman de la lumière dans l’espace. En me laissant porter par l'espace du lieu j'ai choisi des formes fluides tendues vers le haut, Formes différentes des verticales rectilignes dominantes et s'opposant à la pesanteur et l'opacité de la pierre des murs.31 Ce travail de recherche, d’approximation en approximation voit le jour dans les ateliers de l’artiste. Les cartons préparatoires deviennent le support du projet. Ces plaques de mélaminé blanc représente les baies de l’abbatiale à l’échelle une, le papier kraft représente la masse des murs et le ruban adhésif noir, de deux largeurs
30
SOULAGES Pierre, Notes de travail, Conques : les vitraux de Soulages, Paris, Ed. Seuil, 1994, p.65. 31 Ibid.
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différentes vient dessiner tour à tour barlotières et baguettes de plomb.
Photo personnelle, Carton préparatoire des vitraux de Conques exposé au Musée Soulages, Rodez.
Pierre Soulages et Jean Dominique Fleury dessinent et modifient les tracés révélées par ces lignes de scotch repositionnable qui reproduisent l’armature du vitrail. Ces maquettes évolutives représentent en proportions réelles les lignes directrices des vitraux. Le dessin imprécis initial de Soulages découle d’une étude formelle des typologies les plus utilisées dans l’histoire de l’art du vitrail. C’est le changement d’échelle, et de support qui lui permet d’affiner l’expression des pleins et des vides. Ce contrôle visuel s’établit à distance, comme on le voit dans le film de Jean-Noël Cristiani32, Soulages dirige le 32
CRISTIANI Jean-Noël, Les vitraux de Conques, Courtmétrage (47 min), 1994.
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positionnement des traits, définissant les continuités et les ruptures. Ces traces de recherches sont perceptibles lorsque l’on parcourt l’espace dédiée aux vitraux de Conques du Musée Soulages. La proximité avec les cartons nous laisse entrevoir les tracés au crayon qui cherchent la ligne, la courbe juste pour le schéma ascensionnel des plombs.
CUNILLERE Vincent, Installations de deux baies témoins, 1993.
La pause de deux baies témoins permet l’ajustement final des détails et les premières réalisations du maître-verrier offrent une nouvelle échelle à l’œuvre, celle de l’approximation du plomb, les tracés homogènes au ruban adhésif sont évidemment plus irréguliers en plomb. De plus la recherche d’un verre permettant la diffusion d’une lumière transmutée à l’intérieur fait naitre une expression extérieure nouvelle. Pensé comme un mur de diffusion de clarté, à l’intérieur, dehors les vitraux participent de la massivité de l’édifice. Lisses et grisâtres, ils se teintent à 69
l’égal que la face intérieure en fonction des temporalités du jour. La vue des vitraux à l'intérieur est lié à celle de l'extérieur, l'une découlant de l'autre selon que la lumière naturelle est réfléchie ou transmise par le verre.33 La finalité du projet est confiée au maître verrier et son équipe. Ils réalisent l’ensemble des vitraux dans la continuité du travail effectué avec l’artiste aveyronnais. L’extension du champ d’intervention du maître verrier est une des clés de réussite de ce projet. Depuis la réalisation des esquisses jusqu’à l’exécution finale, la connaissance du matériau exige une compétence nouvelle pour les artisans amenés à travailler sur ce projet. L’invention de nouveaux outils, transforme un savoir-faire, l’enrichit de nouveaux gestes pour appréhender ces masses de verre et aboutir au dessin intuitif de Soulages. Il va falloir repenser nos habitudes, le matériau nous y contraindra par sa force. C'est sans cesse un travail d'interprétation, pour contrôler la direction, amener le mouvement. A chaque étape, l'attente, la surprise, parfois l'émerveillement. Les trous des barlotières coïncident avec ceux de l'édifice, le tracé de Soulages coïncide avec celui de l'abbatiale.34
33
SOULAGES Pierre, Conques Les vitraux de Soulages, Notes de travail, Seuil, Paris, 1994, p.70. 34 Jean Dominique Fleury, Entretiens Conques : les vitraux de Soulages, Paris, Ed. Seuil, 1994.
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La singularité de ce projet dépend donc de ce partenariat entre artisan vitrier et artiste sortant des codes établis dans les collaborations entre artiste contemporain et maître verrier au XXe siècle. Généralement, le travail d'un artiste chargé de concevoir des vitraux consiste à réaliser des esquisses colorées remises au maître-verrier qui interprète et retranscrit la création de l’artiste. A Conques, Soulages n’agit pas comme un peintre mais plutôt comme un concepteur d’atmosphère spatiale. Cette approche qui se veut inédite dans le processus de création du vitrail doit être mise en contraste par d’autres commandes de vitraux afin d’en observer les divergences et de valider les possibles singularités d’une telle méthode.
Mise en perspective du travail de Soulages Au cours du XXe siècle, l’art du vitrail se renouvelle autour d’un nouveau langage de couleurs, formes, textures et symboles. À la narration des récits bibliques et des vies des saints, on préfère désormais l’évocation d’une atmosphère spirituelle incitant à la méditation et à la prière. Et progressivement des recherches singulières sur la couleur la forme et la relation à l’architecture du lieu. J’ai choisi de mettre en corrélation le travail de Soulages à Conques avec deux interventions de cette période. Tout d’abord, la commande publique majeure pour les vitraux de la cathédrale de Nevers qui fait intervenir divers artistes au cours d’une durée de temps relativement longue et servira de leçon pour l’art religieux à venir. J’ai souhaité contraster le travail de Soulages avec une 71
commande plus importante, révélatrice de ce nouvel essor de l’art du vitrail au XXe siècle. Cette commande se déroule sur une période de temps très long, durant laquelle interviennent différents artistes. Cette analyse se veut critique dans la manière d’employer le vitrail comme élément décoratif et non comme un fragment fédérateur de l’espace architectural. Pour cela on s’intéresse ensuite à l’œuvre de Matisse. Son travail se détache fortement de celui de Nevers dans l’échelle premièrement mais aussi dans l’établissement d’un véritable univers spatial ou l’éclairement tient une place privilégiée. En effet, il s’inscrit, comme Soulages dans une démarche totale du projet de vitraux, dans une certaine mesure certaines de leurs interrogations se recoupent mais on observe une recherche différente et une œuvre physique très contrastée. De plus les deux interventions relèvent d’un intérêt majeur de ces artistes pour l’architecture dans laquelle ils s’insèrent. Pour les deux il s’agit d’un travail majeur dans leur carrière respective, et sont la trace d’une énergie créative singulière. Peu habitués à la réalisation de vitraux, ce sont leurs seules œuvres dans cet art, elles révèlent une certaine persévérance dans l’écriture et dans le temps. Ces œuvres deviennent pour eux une sorte de manifeste, non seulement à travers leur résultante finale mais surtout leur processus créatif.
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La Cathédrale de Nevers, des recherches artistiques plurielles au détriment du déjà-là
Gottfried Honneger, Etude d’un vitrail pour la cathédrale de Nevers, 1995 FNAC Centre National des Arts Plastiques / CNAP / photographe: Yves Chenot
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La commande publique pour les vitraux pour la cathédrale Saint-Cyr Sainte Juliette de Nevers s’étend depuis 1976 jusqu’ à 2011. Apres une première commande dans les années 1970 sous le ministère d’André Malraux, c’est en 1981, que le projet se développe à l’échelle qu’on lui connait aujourd’hui. Pour cela, 34 artistes d’envergure internationale sont consultés, le projet est désormais soutenu par François Mitterrand. En 1987, cinq artistes Claude Viallat, Jean-Michel Alberola, François Rouan, Raoul Ubac et Gottfried Honegger sont choisis pour établir le nouvel éclairement de la cathédrale. Cette commande considérable de vitraux, la plus grande d’Europe soit environ 1052m2 répartis en 130 baies devient un panel de référence et de démarche varié et créer un tout intelligible devient une aspiration difficile à atteindre. Alors que la cathédrale de Metz fut la première cathédrale a tenté une telle expérience, celle-ci s’avère plus complexe par l’ampleur de la commande, les questions d’esthétique contemporaine et son insertion dans un lieu sacré et finalement la diversité de réponses plastiques des artistes. L’opportunité que représente le remplacement de l’ensemble des vitraux détruits de la cathédrale de Nevers marque un tournant décisif dans l’histoire du vitrail contemporain. Long et expérimental, ce chantier conduit à la mise en place d’une véritable politique publique de la commande de vitraux.35 35
Dossier de Presse, Le vitrail Contemporain, Exposition du 20 mai au 21 Septembre 2015, Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
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Chaque artiste se voit confier un espace de la cathédrale pour y établir son œuvre au sein des baies qui lui sont attribuées. Des lors, ces artistes constituent des binômes avec des maîtres-verriers et débutent cette collaboration.
François Rouan, Sans titre, maquette de vitrail, fenêtre haute de la nef de la cathédrale de Nevers (Nièvre), vers 1988-1990 ADAGP, Paris, 2015© CNAP/Photo Yves Chenot.
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Jean-Michel Alberola, Etude baies n°46-47 pour la cathédrale de Nevers, mai 1991, FNAC Centre national des arts plastiques © ADAGP / CNAP / photographe : Yves Chenot
Claude Viallat et Bernard Dhonneur se voient attribuer le chœur gothique. Leur intervention s’intéresse à la richesse des couleurs, une couleur transformée en « «volume de lumière ».
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Jean-Michel Alberola avec Charles Marq-Atelier Simon interviennent au niveau du transept roman. Ils réalisent une véritable réinterprétation iconographique de l’Apocalypse et du Couronnement de la vierge. JeanMichel Alberola remplace Markus Lüpertz initialement choisi pour les baies des chapelles du chœur gothique et qui a finalement démissionné. Il développe l’immatérialité en conservant des espaces vierges, blanc, il évoque la présence divine. Cette non-figuration exprime la volonté de l’artiste « de laisser à l’imagination, au cœur et à l’esprit, la liberté d’aller au-delà de ce que l’on voit ». 36 L´artiste François Rouan associé à Benoît Marq et à l’Atelier Simon repensent l’éclairement des fenêtres basses de la nef, des chapelles latérales et du transept gothique. Rouan souligne l'unicité de chaque fenêtre des bas-côtés, sa couleur propre, sa manière d'effacer et de reconstruire l'architecture de pierre. Dans le chœur, il met en lien avec bonheur l'œuvre de Viallat et celle de Honegger. 37 Dès 1973, Raoul Ubac est contacté pour réaliser les fenêtres du chœur roman. Ces vitraux relativement discrets au sein de l’intervention générale entretiennent une proximité importante avec la fresque romane, qu’il souhaite révéler.
36
LOISY de Jean, L'affaire des 1 052 m², les vitraux de la cathédrale de Nevers, Editions Presses du réel, Dijon, 2011. 37 Ibid.
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Gottfried Honegger travaille lui avec Jean Mauret au niveau des fenêtres hautes de la nef. Cette intervention très singulière entraine par les rythmes des courbes géométriques de la nef vers le chœur, lieu de l’office religieux. Chacun a réagi selon son caractère et son tempérament. Je pense que chaque groupe de vitrail est représentatif, il y a des décalages, mais chacun est resté fidèle à lui-même. J'avais redouté le chaos complet. La catastrophe a été évitée, compte tenu de la difficulté de la partie et que l'administration n'avait pas choisi de jouer l'homogénéité.38 L’organisation entre différents artistes aux sensibilités diverses complexifie le rapport entre la démarche artistique et le lieu. Viallat exprime clairement le souci qu’à engendrer la pluralité de cette commande dans la volonté de faire sens entre l’œuvre contemporaine et l’édifice dont la construction s’est déroulé du XI au XVIe siècle. Finalement chaque vitrail s’observe comme une œuvre en soi ou comme un petit ensemble d’œuvre au sein du même édifice. Chacun mérite alors une attention particulière pour en comprendre le message liturgique et la recherche formelle. Comme « un livre d’images figuratives et abstraites » ce jeu de vitraux permet une multiplicité de couleurs et de lumière dans l’espace religieux de la cathédrale mais la durée et la complexité de l’œuvre finale ont servi de leçon pour la future commande publique de vitraux.
38
AFP, A la cathédrale de Nevers, les vitraux jouent de nouveau avec la pierre, L’express, publié le 29/04/2011
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Apres cette expérience, le ministère confie désormais l’aménagement du décor vitré d’un édifice religieux à un seul et même artiste. Comme on peut l’observer dans la commande des vitraux de l’Abbatiale Sainte-Foy de Conques, l’artiste s’associe avec un maître-verrier de son choix, à même de traduire sa création selon une technique appropriée.
La chapelle du rosaire de Vence, une œuvre totale de Matisse De 1948 à 1951 Matisse crée l’aménagement de la chapelle du rosaire, destinée aux sœurs dominicaine de Vence comme une réalisation totale. Au-delà de la création de simple vitraux, ici l’artiste élabore les plans et les éléments qui constitue cet espace sacré, tels que les vitraux, des céramiques, des bénitiers etc. Il ne compose pas avec un déjà-là mais participe à l’établissement d’un environnement intérieur concis et dépouillé. Le plan de la chapelle rappelle celui d’une église traditionnelle en forme de croix mais épuré lui aussi. Il construit une connivence entre tous les éléments de la chapelle qui participent à établir un esprit du lieu et vise à impacter le visiteur qui regarde. Matisse convoque les couleurs pour contraster avec les composantes de l’espace intérieur blanchis à la chaux. En effet le sol, les murs et le plafond contrastent avec les vitraux colorés créant un déséquilibre dans la perception de l’espace. Il induit une dilatation des espaces par son traitement de la lumière,
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exprime «une impression d’espace illimité en dépit des dimensions réduites du bâtiment.»39
LIFE, Henri Matisse in the Chapel of the Rosary in Vence, 1951.
39
MATISSE Henry, COUTURIER M-A et RAYSSIGUIER LB, La Chapelle de Vence journal d’une création, Editions du Cerf, Paris, 1993.
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Les vitraux apparaissent comme le seul élément coloré de l’espace crée par le peintre. La réalisation des vitraux met en avant la technique de gouaches découpés qu’il préconise dans ses peintures dès 1943 suite à une maladie qui ne lui permet plus de peindre avec de l’huile ou de la gouache. Grâce à elle il explore les sensations rétiniennes que provoquent une gamme chromatique restreinte où la couleur chaude, le jaune, exprimé comme la lumière divine et des couleurs froides, le bleu et le vert voulu translucide visent à donner, avec une surface très limitée, l'idée d'immensité.40 « Dans la chapelle de Vence, qui est l'aboutissement de mes recherches antérieures, j'ai tenté de réaliser cet équilibre de forces, les bleus, les verts, les jaunes des vitraux composent à l'intérieur une lumière qui n'est à proprement parler aucune des couleurs employées, mais le vivant produit de leur harmonie, de leurs rapports réciproques ; cette couleur-lumière était destinée à jouer sur le champ blanc, brodé de noir, du mur qui fait face aux vitraux, et sur lequel les lignes sont volontairement très espacées. Le contraste me permet de donner à la lumière toute sa valeur de vie, d'en faire l'élément essentiel, celui qui colore, réchauffe, anime au sens propre cet ensemble dans lequel il importe de 40
MATISSE Henri, « Il faut regarder toute la vie avec des yeux d'enfants » propos recueillis par Régine Pernoud, Le Courrier de l’UNESCO, vol.VI, n°10, octobre1953.
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donner une impression d'espace illimité en dépit de ses dimensions réduites. Dans toute cette chapelle, il n'y a pas une ligne, pas un détail qui ne concourt à donner cette impression. »41 Il dessine différents types de vitraux en fonction de leur position dans le lieu de culte. La première série d’ouvertures sont hautes et étroites et située sur l’élévation sud de la chapelle afin d’éclairer l’édifice. En outre il différencie « les vitraux des fidèles, des vitraux des sœurs », en fonction de la personne qui le regarde. Bien qu’elles présentent une esthétique similaire, ces quinze ouvertures verticales développent un motif végétal exprimé en alternance par la couleur jaune et la couleur bleue. Une feuille de palmier qui se répète verticalement marque profondément l’espace. L’ombre portée de la lumière des vitraux vient contraster avec les céramiques du sol. Les neufs «vitraux des sœurs» sont placés à l’arrière des stalles réservées aux sœurs durant l’office Cet espace forme une sorte d’alcôve invisible lorsque l’on pénètre dans le lieu. Les vitraux de l’arbre de vie placés dans le chœur de la chapelle, fonctionnent comme un diptyque, s’élevant depuis le sol, ils sont joints par le sujet qui les compose. Des feuilles d’un figuier de barbarie se dessinent sur les tons bleus alors que les fleurs jaunes sont réparties sur toute la surface bleue, de taille décroissante de bas en
41
MATISSE Henri, « Il faut regarder toute la vie avec des yeux d'enfants » propos recueillis par Régine Pernoud, Le Courrier de l’UNESCO, vol.VI, n°10, octobre1953.
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haut. Toutes orientées dans un même sens celui de l’élévation.42 Un dernier vitrail peut être observé dans l’escalier d’entrée menant à la chapelle de Vence. Ce vitrail dit du « Poisson à l’étoile », une étoile bleue positionnée sur la partie supérieure du vitrail apparaît comme la seule touche colorée de ce vitrail annexe, le reste de la composition étant un jeu de verre incolore et translucide et de plombs qui dessine un poisson au milieu de losange accidentés. « L’architecture, la scénographie des éléments graphiques comme le traitement de la lumière concours à dilatation des espaces, à leur respiration. »43 Il me semble particulièrement opportun de souligner l’organisation des éléments que met en place Matisse au cours de son intervention, comme les vitraux ou encore l’autel joue un rôle primordial dans cet espace épuré. Dans la mécanique qu’il conçoit, l’architecture n’a qu’un rôle secondaire, celui de fond de décor, un fond blanc sur lequel les vitraux et les fresques viennent s’appuyer pour donner toute la force à l’espace intérieur. C’est la différence la plus importante à relever en relation au travail de Soulages, en effet, ne s’appuyant pas sur une construction déjà établi, l’œuvre de Matisse impose son écriture à l’ensemble, l’ensemble devient l’œuvre de Matisse à tel point qu’on ne sait plus si Matisse réalise toute la Chapelle et on peut se poser la question du rôle qu’ont 42
MATISSE Henry, COUTURIER M-A et RAYSSIGUIER LB, La Chapelle de Vence journal d’une création, Editions du Cerf, Paris, 1993. 43 SOEUR Jacques-Marie, Henri Matisse, La Chapelle de Vence, Bernard Chauveau, Paris, 1992.
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joué tout d’abord Frère Rayssiguier et plus tard Auguste Perret, véritables architectes ou simples consultants habiles Progressivement, Matisse décide de concevoir ce projet dans sa globalité et de réaliser une chapelle qui serait offerte aux dominicaines. […]Il élabore les plans de l’édifice et tous les détails de sa décoration (vitraux, céramiques, stalles, bénitiers, objets de culte, ornements sacerdotaux...). Pour la première fois, un peintre réalise un monument dans sa totalité, de l’architecture au mobilier et aux vitraux.44
44
SOEUR Jacques-Marie, Henri Matisse, La Chapelle de Vence, Bernard Chauveau, Paris, 1992.
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Lucien HERVÉ, Henri Matisse, peintre et sculpteur, Le Régina, Nice, 1949
Si l’on en croit le texte de présentation réalisé par la mairie de Vence, il semble alors que Matisse à luimême réalisé et conçu l’espace de la chapelle dans son ensemble. Alors que le Centre Pompidou nuance cette partie en « Matisse a collaboré avec le frère Rayssiguier qui en a conçu les plans avec l’architecte Auguste Perret, et le père Couturier, commanditaire du couvent de la Tourette réalisé par Le Corbusier»45. En ce qui concerne les vitraux, on remarque que Matisse utilise la même 45
AFP, A la cathédrale de Nevers, les vitraux jouent de nouveau avec la pierre, 29/04/2011
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technique que celle qu’il utilise lorsqu’il réalise un tableau, certes ici il projette cette technique sur tout l’espace de la chapelle. Ainsi Matisse ne recourt pas à la maquette, mais préfère composer à grandeur réelle pour ses verrières à l’aide de papiers colorés découpés. L’autre différence majeure, est l’utilisation de la couleur qui devient chez Matisse l’identité même de la lumière qui pénètre le lieu. La diversification de la production du vitrail au cours du XXe siècle a permis l’élaboration de nouvelles ambiances spatiales dans des édifices religieux. L’entrée de l’art contemporain dans ces lieux sacrés historiques devient alors un enjeu important pour apporter un renouveau. Après la seconde guerre mondiale, la construction et la reconstruction de lieux de cultes en France propose un renouvellement de l’expression du vitrail. De nouvelles techniques voient le jour et c’est tout le langage esthétique du vitrail qui est renouvelé. L’éclectisme de ces créations nouvelles donne naissance à des œuvres remarquables, comme La chapelle de Vence, L’église de Ronchamp etc. Les effets d’éclairement deviennent alors de plus en plus différenciés dans le cadre de l’architecture et développe l’usage et la recherche sur le verre. C’est toute un imaginaire religieux qui se trouve alors transformé par la réhabilitation de l’espace du culte. Cette évolution du langage du vitrail s’appuie généralement sur la collaboration entre artiste et maître-verrier ou la création du premier compose avec le savoir-faire du second. La création d’un vitrail demande une maîtrise d’œuvre hautement spécialisé, pour cela dans l’artiste prépare une maquette, une esquisse du vitrail final et c’est le maîtreverrier qui détient les clés de la réalisation de l’œuvre. Comme on l’a vu, dans sa démarche Pierre Soulages bouleverse cette organisation usuelle. Un intérêt de ces 86
commandes publiques est que les artistes convoqués, pas toujours habitué à concevoir des vitraux, transforment cet exercice. Ils débarquent avec leur histoire, leur recherche et leur envie. Ils inscrivent dans le renouveau du vitrail, une empreinte singulière, ce travail s’inscrit pour eux dans une continuité formelle ou de recherche artistique. Il est n’est pas aisé de comparer des œuvres finalement très différentes. Entre le respect du cadre religieux et la technique du vitrail héritée de l’histoire, les attitudes de projet sont très divergentes. L’analyse réalisée vise à regarder l’œuvre dans son rapport à l’architecture, à l’esprit du lieu. L’architecture religieuse est systématiquement le socle de ces interventions. Mais ces architectures sont toujours différentes, l’échelle les matériaux, des caractéristiques diverses qui transforment chaque espace de culte. En cela il semble judicieux d’observer la difficile lecture spatiale que propose la réhabilitation des vitraux de la Cathédrale de Nevers visà-vis des deux autres interventions. Matisse comme Soulages présentent une mécanique spatiale dans leur œuvre, le premier crée de toute pièce cet ordonnancement à partir de l’idée d’espace et de lumière qu’il souhaite pour ce lieu, en accord avec les commanditaires. Alors que soulages, lui se fonde sur les baies existantes tracées et construites par les bâtisseurs romans. Pour la Chapelle du Rosaire de Vence, Matisse construit un mode de vie de l’espace. La commande est différente, les vitraux sont un élément d’une démarche plus grande, la scénographie de cet espace du culte. Pour cela il dessine des objets liturgiques, des céramiques, des vêtements sacerdotaux.. Il conçoit l’espace comme un tout, prenant en compte la vie du lieu, les visiteurs, religieux et laïque. Il règle toute la décoration et l’aménagement intérieur et en définit l’architecture. Tout le projet se met au service du culte 87
religieux. Quant à Soulages, sa préoccupation est la lumière du lieu. Elle pénètre à l’intérieur de l’abbatiale pour redonner vie à l’espace architectural. Leurs vitraux sont profondément marqués par leur langage pictural. Pour Matisse ce projet est le dernier de sa vie, il y engage toute sa personne et donne ainsi une nouvelle perspective à son travail. Dans son livre illustré, Jazz, qu’il écrit entre 1943 1947 dans le sud de la France, il exprime sa nouvelle technique de création juxtaposé avec des textes. Les papiers découpés qu’il met en œuvre lui servent d’introduction à la réalisation de la Chapelle. Tous deux passent de l’œuvre d’esprit à l’œuvre matérielle. Leur recherche passe par la volonté de trouver un sens total entre l’homme, la religion, l’architecture et la nature. Soulages note ses recherches et ses intentions. Ce sont les visites sur le site et l’analyse qu’il en fait qui guident son projet. Il recherche un sens architectural avant d’établir une véritable réponse graphique. En cela il rompt avec la commande traditionnelle. Il réfléchit d’abord à la matérialité du verre avant de réaliser le dessin du vitrail. Ce travail était jusqu’alors laissé au maître-verrier et n’entrait pas véritablement dans le processus créatif. La collaboration entre l’artiste et le maître artisan est changée. Le processus créatif intègre les deux corps bien que l’artiste est la prépondérance dans les intentions. Cependant l’artisan vitrier garde le contrôle de la mise en œuvre du produit verrier et de la structure. A Conques par exemple, le cahier des charges contraint le duo à utiliser la technique de construction des verres sertis de plombs, savoir-faire utilisé depuis le Moyen-âge par les maîtres verriers. Il est en effet difficile, à partir d’une simple maquette, de savoir si les artistes 88
parviendront avec leurs œuvres a une véritable polyphonie soutenue par l’architecture ; bien trop vite ce genre d’expérimentations débouche sur une addition de monologues ce qui n’est pas dépourvu d’un certain intérêt, mais n’est pas profitable à chaque enceinte.46 On serait tenté de dire au vue de ces trois études, à l’instar de l’architecture, le projet dépend évidemment de la volonté de tous les acteurs amenés à interagir autour de l’œuvre. La volonté du clergé affectataire doit se trouver en accord avec la création de l’artiste. Ainsi l’artiste jouit d’une relative liberté qu’il défend à sa manière. La relation entre architecture et vitrail n’est pas toujours une thématique de recherche dans le processus créatif du vitrail. Il est plus facile de venter une pseudo relation entre les deux que de prouver réellement un lien immuable entre les deux. L’acte créatif reste toujours difficile à commenter ce sont les intentions et les résultantes qui définissent le rapport de l’œuvre à l’architecture. Le film de présentation des vitraux pour le musée Soulages illustre parfaitement cette réalité où l’on passe d’une idée à sa réalisation et comment on observe la modification de atmosphère spatiale avant et après la pause des vitraux. Nous avons mis en avant l’importance de l’architecture comme clé de compréhension du travail de Soulages.
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Dossier de Presse, Le vitrail Contemporain, Exposition du 20 mai au 21 Septembre 2015, Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
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III L’expérience de l’espace architectural, définition des attributs d’un langage architectural pour l’Abbatiale de Conques. Il existe autant de réponse à la définition de l’architecture que d’architecte qui ont tenté d’en définir l’essence. A l’instar de ces architectes il me semble révélateur de tirer d’une expérience physique comme celle de Conques une définition des forces mise en œuvre pour dépeindre une telle architecture. L’idée n’est pas de faire de Soulages un architecte mais plutôt d’observer comment l’impact de son intervention dans l’espace architecturé de Conques, participe de l’expérience spatiale. Nous allons voir quels sont les fondamentaux qui s’exercent dans l’espace de l’abbatiale et comment Soulages les donne à voir afin de transformer l’espace. Dans le champ lexical propre à l’architecture, certains éléments réapparaissent constamment et tentent de fournir une explication à l’établissement de ces expériences d’architecture. De la même manière que Le Corbusier nous enseigne, les invariants de l’urbanisme, selon lui : « Les matériaux de l’urbanisme sont le soleil, les arbres, le ciel, l’acier, le ciment, dans cet ordre hiérarchique et indissolublement. »47 Livio Vacchini raconte ses émotions architecturales via des « problèmes auxquels il aime penser ». L’intérêt pour moi, n’est pas tant de définir comme Le Corbusier des règles qui régirait le vaste dogme que représente l’architecture mais plutôt de capturer la compréhension d’un lieu, d’une intervention pour en tirer une instruction. Entre subjectivité et 47
LE CORBUSIER, Vers une architecture, éd. G. Crès, 1924.
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universalité il existe des lieux capables de faire naitre des sensations mémorables, des expériences inédites. Pour moi, l’abbatiale Sainte Foy en est un. Un des premiers ouvrages d’architecture que j’ai pu lire, considéré comme une porte d’entrée dans le champ de l’architecture est Apprendre à voir l’architecture de Bruno Zévi. Il nous donne une définition de l’architecture par le vide. « Que l’espace, le vide, soit le protagoniste de l’architecture, n’est-cepas, du reste naturel ? L’architecture n’est pas seulement un art, pas seulement l’image des heures passées, vécues par nous et par d’autres : c’est d’abord et surtout le cadre, la scène où se déroule notre vie. »48 La délimitation d’un espace est le dessein même de l’architecture, l’espace interne, le vide résultant de la construction devient l’essence et la singularité de tout acte de construction. Le cas de l’Abbatiale Sainte Foy de Conques est selon moi révélateur de cette manière de penser et de voir l’architecture. L’expérience de l’espace, soulève un intérêt et suscite une émotion singulière contenue dans ce lieu. Un espace intérieur d’une grande intensité né de la cette mise en œuvre faite d’éléments simples dépourvus de tout artifice. La construction
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ZEVI Bruno, Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de Minuit, Paris, 1959, p.17.
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devient alors l’art de former à partir de nombreux éléments un tout cohérent.49 Dès lors, la définition de l’architecture dépend des invariants qui la constituent. Les matériaux d’architecture, véritable matière de substantialité réelle forment un langage primaire fondamental. L’architecture fait jaillir du lieu une vie nouvelle comme Soulages donne un souffle nouveau à l’expérience corporelle à Conques. L’expérience architecturale est manifeste, les effets de matière et de lumière que l’on peut observer dans la nature sont rendus visibles par la construction, ce sont les limites qui soulignent le vide. Comme nous enseigne Tadao Ando, l’architecture est le médium qui rend l’homme capable de sentir la présence de la nature.50 Soulages nous montre le caractère le plus essentiel du lieu, la triade lumière matière et temps définit le lieu, crée des atmosphères, des scènes possibles qu’à travers la médiation de l’architecture. L’alphabet architectural ainsi constitué, met en vibration le lieu et les individus. Il instaure une relation unique et permet le dialogue entre le lieu où nous vivons et ce qui nous entoure. Nous allons essayer d’explorer ces fondamentaux, révélateurs d’architectures, source d’inspiration constante pour une mémoire spatiale individuelle et collective. A Conques, la pratique de l’espace induit différentes temporalités en lien avec les invariants de cette architecture. Sans véritablement détacher l’intervention de Soulages de la construction médiévale, qualifier l’expérience dans son ensemble. 49
ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkhäuser, 2010 NUSSAUME Yann, Tadao Ando, Pensées sur l’architecture et le paysage, Arléa, Paris, 2014, p.79. 50
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La lumière
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Photo personnelle, Vue des baies éclairant les chapelles rayonnantes depuis le collatéral Sud, 30.10.2015 à 12h31.
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La lumière nous accompagne quotidiennement, elle permet la vie, rythme nos saisons, elle est universelle et partagée de tous. Elle nous permet de voir, d’interpréter, de ressentir des choses avant de les toucher. L’homme peut alors ressentir au cœur de ce rayonnement délicat, la totalité même de la nature traversant la matière. 51 La lumière modèle notre vision, elle possède un pouvoir de transformation sur le monde. Elle nous apporte une compréhension de la matière qui la capte ou la renvoie, révélant certains aspects, textures, irrégularités ou grains. La rencontre délicate des deux permet de redécouvrir des formes, des masses, et des creux. Ici il y a comme une personnification de la lumière, qui se ferait le sculpteur de la matière à l’état brut. La lumière devient donc un outil essentiel pour l’architecture qui sculpte l’espace, Henri Focillon le souligne très bien lorsqu’il nous dit que la lumière ne saurait s’y poser sans être déchirée, sous ces alternatives incessantes, l’architecture bouge, ondule et se défait. La vie de l’architecture se fait à travers la lumière. Elle devient la matière vivante et immatérielle nous permettant de voir. Non seulement, la manière dont elle est diffusée et pénètre dans l’édifice mais fait naître des émotions particulières, propre au lieu. William Curtis lorsqu’il analyse les réalisations de Louis Kahn, va même jusqu’à définir son travail seulement à travers le filtre de la lumière. La lumière était l’absence d’ombre, une force donnant vie à la matière. Il parlait 51
NUSSAUME Yann, Tadao Ando, Pensées sur l’architecture et le paysage, Arléa, Paris, 2014, p.67.
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de l’architecture elle même comme de la lumière dépensée spent ligh».52 On perçoit alors le dialogue qui s’instaure entre masse, matière et lumière qui est au cœur de la sensation corporelle de l’abbatiale. Comme nous l’avons observé tout au long de cette analyse, la lumière naturelle existe par son infiltration dans l’espace, les ouvertures et plus finement les vitraux définissent cet apport privilégié de lumière dans le lieu. En cela il semble que les vitraux soit essentiels pour la définition de l’atmosphère du lieu. La lumière du lieu, transmutée et passée au filtre de l’architecture met en abîme l’espace intérieur, et ses limites. Cette lumière que l'on pourrait dire "transmutée" à une valeur émotionnelle, une intériorité, une qualité métaphysique en accord avec la poésie de cette architecture comme avec sa fonction : lieu de contemplation, lieu de méditation.53 Au centre du travail de Soulages le traitement de la lumière, et son rapport à la matière deviendra la recherche incessante de son travail après la réalisation des vitraux. Il s’agit toujours de la lumière, lumière vivante, on voit dans les vitraux de Conques, la représentation exacte de Pierre Soulages et de ses convictions en matière de création artistique.
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CURTIS William, L’architecture moderne depuis 1900, Phaidon, 2006. 53 MUSEE FABRE, Pierre Soulages verre cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.52.
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La masse
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DIEUZAIDE Jean,Photographie de la base des piliers du collatĂŠral Nord et vue vers la nef, 1963.
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Le verre de Soulages lourd comme une dalle, a guidé, dicté le respect qu'on lui a accordé. La plaque de verre a un poids une présence. Lorsqu'on la met contre un mur elle est comme une stèle, comme une élévation. Lorsqu'on la coupe il faut être fort, calme, tout à elle.54 La notion de masse renvoi à l’accumulation de la matière, formant ainsi une limite uniforme. Le caractère de puissance et de poids que traduit cette idée donne l’architecture sa présence réelle, comme socle, cadre bâti. Cette masse géométrique constituée compose le vide et fait appel aux techniques de mise en œuvre crées par l’homme. Paul Virilio illustre cette notion par la « cohérence » de la matière qu’il met en avant comme un plein uniforme lorsqu’il fait l’analyse des bunkers sur la côte atlantique française. A Conques, la masse s’exprime par l’épaisseur des murs et des piles. Le plan de l’abbatiale présente les murs comme un bloc marquant la limite entre extérieur et intérieur. L’espace intérieur de l’abbatiale s’apparente alors grossièrement à une grotte creusée à même la roche. Le pendant à cette notion souvent utilisé est le monolithe, expression désignant le plein. On se rapproche de l’image de la roche. Véritable expression naturelle de la puissance que peut représenter cette notion. La masse reste cependant associée à la matière qui la compose car elle n’existe que par l’épaisseur de cette dernière. Il y a quelque chose de naturel, de brut et fort qui s’établit. Quelque chose d’essentiel, de vrai, de pérenne émane de 54
FLEURY Jean Dominique, Entretiens Conques : les vitraux de Soulages, Paris, Ed. Seuil, 1994, p.102.
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cette idée et fait directement écho à la muralité de l’abbatiale. La masse est directement liée à la matière, élément de la nature que l’homme a modelé pour la transformer et la donner à voir d’une forme inédite. Soulages nous donne à voir la massivité de la pierre, du bâtiment médiéval à travers le filtre du verre qu’il crée, ce verre traversée par la lumière s’exprime aussi dans sa masse, la transmission de la lumière provient de la masse même de la matière, les verrières se développent comme des murs de lumière, des masses substantielles habitées de lumière.55
55
DUBORGEL Bruno, Conques / Une lumière révélée Pierre Soulages, Bernard Chauveau, Paris, 2014, p.15.
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La matérialité
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Photo personnelle, Vue extérieure de la baie n°28 sur la Façade Nord depuis la rue, 30.10.2015 à 10h25.
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Je ne cherche pas un verre, mais sa lumière, une modulation de la lumière, c'est à dire une surface vivante.56 Au départ issue du visuel, cette idée est associée à d’autres notions telles que la couleur, le grain, la forme. Mais c’est surtout la qualité poétique du matériau, sa relation avec le lieu et l’atmosphère crée qui nous intéresse ici. Trouver une résonnance et un rayonnement du matériau qui s’exprime dans le lieu est un des enjeux majeurs de l’architecture. Aujourd’hui cette recherche est éclipsée par un souci économique et une prépondérance des matériaux issus de l’industrie et une mise en œuvre qui favorise la rapidité et le faible coût de l’intervention. A Conques, c’est d’abord la pierre qui est l’identité physique du lieu, les trois pierres extraites de trois carrières différentes de la région, imprègnent le souvenir du village de Conques. Contrastes, tons sur tons, accords de complémentaires, subtiles modulations des ocres clairs ne doivent pas être violentés par des verres colorés qui les éteindraient. Seules les infinies variations de la lumière naturelle peuvent les éclairer sans les détruire.57 La lumière devient un matériau au service de l’architecture. La logique que développe Soulages à Conques, s’inspire plus de la mise en œuvre précise et sensuelle des matériaux, recherche constante dans les 56
MUSEE FABRE, Pierre Soulages verre cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010 p.52. 57 HECK Christian, Conques : les vitraux de Soulages, Paris, Ed. Seuil, 1994, p.49.
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travaux des artistes du mouvement de l’arte povera. A l’instar de Joseph Beuys la matérialité endosse un sens poétique indéniable, Soulages convoque ici le verre, ou plutôt un verre, qui permet la création d’une atmosphère spatiale nouvelle, riche de sens pour cet espace roman. La longue recherche du verre de Conques devient pour Soulages le travail artistique en soi. La création d’un produit verrier constitué de deux états de verre distinct, l’un à l’état cristallisé (opaque) l’autre à l'état liquide en surface (transparent) recherche la vitalité par le contraste entre les teintes et le contact qui s’établit entre la lumière et les matérialités. Ce qui guide Soulages vers cette matérialité c’est finalement une recherche de lumière, la matérialité n’est une finalité que par l’expression de la lumière. La pierre de Soulages, en mouvement, est en quelque sorte une transmutation de sa matière en lumière.
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La structure
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Photo personnelle, Vue intérieure de la baie n°21 sur la Façade Sud depuis le collatéral Sud, 30.10.2015 à 12h19.
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La géométrie projetée au sein de la nature revendique son propre caractère dans le contraste qu’elle crée avec la nature.58 A travers cette notion nous initions l’idée d’une cohérence entre divers éléments. La structure évoque couramment pour le sens commun, des éléments stables qui permettent la cohérence d’un ensemble. La compréhension d’une peinture, d’une architecture, d’une sculpture apparaît alors. Mais elle permet aussi la mise en musique naturelle de l’ensemble ou chaque élément contribue à l’harmonie de la composition le temps d’un instant. Ce sont donc des éléments fondamentaux, auxquels on se fie, et qui sont réels car ils servent de repère ou de guide. Elles expriment aussi une certaine simplicité. Dans l’art à trois ou quatre dimensions elle prend une force encore plus concrète. En effet elle est l’expression de la géométrie la plus pure car elle prend la forme nécessaire à la structure de l’ouvrage, de la sculpture. Elle dessine, elle rend palpable une certaine immatérialité. L’ombre vient répondre à la lumière découpée par le rythme de la structure et dévoile l’espace. Cette complémentarité entre structure, lumière et espace apporte une force expressive à l’intériorité romane de Conques. Luis Kahn évoque «l’incommensurable» en architecture, transposer des desseins concernant la réalité en un «ordre supérieur» dans lequel l’espace, la structure et la lumière fusionneraient.» La répétition rythmique par exemple insuffle un sens de l’ordre. Une grande part de la puissance spatiale et NUSSAUME Yann, Tadao Ando, Pensées sur l’architecture et le paysage, Arléa, Paris, 2014. 58
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visuelle se dégage de ces complémentarités entre les diverses notions exprimées peu à peu. L’omniprésence de l’appareillage de pierre, mise en valeur par la lumière qui adoucit cette matière. La structure de par sa répétition apporte une autre dimension, et nous nous retrouvons le temps d’un instant, transporté. Soulages dessine un nouvel ordre, compose de nouveaux rythmes pour les vitraux de l’abbatiale, en composant avec les tracés et les sensibilités de l’édifice. En plaçant son intervention des vitraux au service de l’espace architectural, il laisse la primauté à l’expression de la lumière naturelle. Cependant Pierre Soulages a voulu donner aux barlotières, ces barres d'acier indispensables pour rigidifier et soutenir le vitrail, un rôle primordial dans l’organisation plastique du projet. La structure du vitrail devient le projet formalisé de l’artiste. Les barlotières, en nombre pair afin de ne pas diviser la surface en son milieu, constitue les lignes horizontales majeures qui dessinent le vitrail. A ces lignes horizontales s’ajoutent des obliques plutôt fluides tendues le plus souvent dirigées vers le ciel. Le tracé de l'artiste coïncide avec celui des constructeurs de l'édifice en évitant les redites formelles dans le dessin des plombs et des barlotières. Ces lignes s’élèvent comme un souffle, un élan dans le dessin architectural de la baie et développe des rythmes nouveaux à l’échelle déterminée par les ouvertures de l’église.
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Les proportions
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CUNILLERE Vincent, Vue de l’élévation sud un matin d’été, 1993.
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L’équilibre entre les divers éléments exprime un état fini à un moment donné, il instaure un état parfait. Ainsi en peinture on peut parler de bonne harmonie ou répartition des couleurs, des formes, ou d’un déséquilibre voulu de l’artiste, instaurant ainsi un dialogue et des proportions singulières. En architecture, la relation entre la masse, l’épaisseur de la matière, la couleur, la lumière, donne naissance à des sentiments, des émotions, des impressions qui deviennent palpables à travers l’espace créé. Chacun peut se l’approprier car l’espace généré est vécu par l’homme. Comme le nomme Donald Judd lorsqu’il parle de la « raison rendu visible » cette idée place l’homme et sa relation aux éléments au centre de cette réflexion, c’est la mesure de base qui permet de nous transporter. L’Homme au cœur du processus artistique ou architectural. Bruno Zévi en fait un élément fondateur, […] toute œuvre architecturale est déterminée tant pour ce qui concerne l’espace interne que la volumétrie, par un élément fondamental, l’échelle, c’est-à-dire par le rapport entre les dimensions de l’édifice et les dimensions de l’Homme.59 Les jeux de proportions nous permettent de nous repérer, mais surtout l’auteur peut jouer avec la relation des divers éléments, en appuyant plus ou moins sur une notion pour nous transporter dans un univers, un imaginaire singulier. L’espace s’empare de nous par la poétique qui émane du lieu, l’auteur réussi alors comme le poète le fait à travers ses écrits, à nous offrir des images issues de notre vécu. 59
ZEVI Bruno, Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de minuit, 1959.
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Quand on vit l’espace religieux de Conques, c’est l’espace comme une unité qui nous fournit une sensation de verticalité et de clos face au monde extérieur. Les ouvertures s’inscrivent dans cette mécanique et ne sont que peu perceptible par leur échelle propre. Indéniablement, le dessin des plombs est le souffle contemporain que Soulages apporte au lieu, Mais les barlotières, au nombre pair par un souci d’annihiler toute symétrie, rythment les ondes de plomb de sorte que les vitraux deviennent de véritables « mélodies muettes ». C’est la dualité entre des lignes courbes s’élevant dans l’espace et des horizontales épaisses qui ordonnent le verre. Elles sont l’expression physique de la structure du vitrail et la signature artistique de Soulages. Finalement c’est cela l’œuvre d’art visible que l’on attend d’une commande publique pour des vitraux. Malgré ce que l’on lit souvent a posteriori, c’est ce dessin qui est mis en avant plutôt que l’expression de l’espace permise par le verre. On prend toute la mesure de cette notion lorsque l’on se trouve au plus proche des vitraux de Conques. Deux moments m’ont permis de découvrir cette proximité et cette relation intrigante à la monumentalité de ces ouvertures. Tout d’abord la déclivité du site nous emmène depuis l’extérieur à une proximité saisissante avec le vitrail. Ensuite, c’est lorsque l’on visite le musée Soulages de Rodez ou le travail de Conques tient une importance non négligeable de l’exposition permanente. Cet imaginaire se trouve enrichi comme nous allons le voir, lorsque le temps intervient dans cette expérience, depuis le déplacement du regard jusqu’à l’ordonnancement de la course du soleil.
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Le temps
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Photo personnelle, Un Frère Prémonté se rend à l’office de midi, 30.10.2015 à 11h52.
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Le temps est une préoccupation constante dans l’architecture romane. L’exigence des bâtisseurs romans de manifester le passage et la régulation du temps par la vie de la lumière prend à Conques tout son sens symbolique. L’architecture comme regard sur la nature, comme trace du temps qui passe. Le passage, d’un jour, d’une saison est révélé par l’architecture religieuse de Conques, elle instaure un dialogue singulier avec l’environnement du site. Les modulations de la lumière et de la pierre qu’apportent les vitraux participent de cette trace architecturale d’une empreinte du temps sur le quotidien. Du matin au soir, vu de l'intérieur, les vitraux se colorent différemment et se modifient avec le temps qui s'écoule. Je trouve important que l'écoulement du temps, et le sens qu'il a, puissent s'inscrire dans un tel lieu.60 Le temps dans l’Abbatiale Sainte Foy de Conques c’est aussi celui du déplacement, du parcours, point de vue mouvant de l’homme, multipliant les angles visuels et ainsi les perceptions d’un même espace. La quatrième dimension dont nous parle Bruno Zévi, c’est finalement ce qui fait de l’œuvre de Soulages une quête spatiale avant d’être une œuvre d’art. Il faut faire l’expérience du lieu, en découvrir une réalité à un instant donné, peut-être réussir à en capter plusieurs concrétisations. L’homme en se déplaçant dans l’édifice, le regardant sous des points de vue successifs, crée lui-même la quatrième 60
MUSEE FABRE, Pierre Soulages verre cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.40.
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dimension et donne à l’espace sa réalité intégrale.61 Nous avons une relation intime avec le temps, nous vivons rythmés par ce dernier, et vieillissons à ses côtés. Au même titre que le temps agit physiquement sur le paysage. Une montagne s’érode, la végétation vient envelopper certains lieux, des fissures viennent se dessiner, l’océan creuse peu à peu la falaise. Ainsi nous avons facilement tendance à personnifier ou à nous identifier à des lieux avec lesquels nous avons grandi. Il y a quelque chose d’intemporel à l’œuvre dans la relation entre l’architecture par l’humain. Une universalité intemporelle. Dans une interview donnée en 1961 Pierre Soulages exprime l’intérêt que le temps occupe au cœur de sa démarche créative, mais surtout les rapports qu’il entretient avec l'espace.62Son travail à Conques révèle donc ce double intérêt à savoir de requalification de l’espace intérieur mais aussi de retrouver un dialogue permanent avec le monde extérieur. Le regard contenu dans l'espace même de l'architecture Soulages nous donne à voir, tout en respectant la mécanique établie par les romans, la nature abstraite passée au filtre d’un verre rigoureusement sélectionné. Il existe des lieux qui semblent intemporels, presque éternels qui procurent et continueront de procurer des sensations auxquels Sainte Foy appartient selon moi. C’est là, la force de l’architecture, qui traverse le temps en 61
ZEVI Bruno, Apprendre à voir l’architecture, Les éditions de Minuit, Paris, 1959, p.15. 62 SOULAGES Pierre, interview Catalogue d'exposition musée d'art et d'industrie de SaintEtienne, 1961.
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tirant sa force du site, des matériaux, de la lumière, de ses proportions, instaurant un dialogue entre l’Homme et la magie du réel capturée pour un instant vécu. Elle fabrique ainsi une mémoire sensorielle du lieu.
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Conclusion
Finalement une vingtaine d’années après l’installation des vitraux à Conques, lorsque l’on se rend à Rodez au musée dédié à l’œuvre de Soulages on observe et comprend les méthodes et les recherches qu’a mené l’artiste tout au long de sa vie. On note que les vitraux de Conques appartiennent à une généalogie, celle des brous de noix, de l'œuvre imprimé, principalement des eaux fortes.63 Ce travail est un pilier dans la vie artistique de Pierre Soulages. Ultime œuvre d’architecture de l’artiste, le musée est une œuvre de l’artiste. De concert avec les architectes catalans de l’agence RCR ils apportent un souci particulier à l’apport de lumière dans les différents espaces composants le musée et particulièrement pour l’espace consacré aux vitraux. La volumétrie de la salle d’exposition des vitraux n’est pas sans rappeler la nef verticale de Conques. Cependant il ne s’agit pas d’une retranscription de l’espace de Conques. C’est avant tout une leçon, la rétrospective du travail de l’artiste qui explicite sa recherche. Comment naissent ses œuvres. C’est lors de cette visite que l’on prend toute la mesure de l’importance des vitraux de Conques dans l’œuvre de l’artiste ruthénois. Dès 1979 et la recherche menée par les Outrenoirs, on capte l’importance que l’artiste voue à la lumière et son rapport à la matière. Devant elles, le spectateur est assigné frontalement, englobé dans l’espace qu’elles sécrètent, saisi par l’intensité 63
MUSEE FABRE, Soulages verre, cartons des vitraux de Conques, Actes Sud, Nîmes, 2010, p.53.
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de leur présence. Une présence physique, tactile, sensuelle et dégageant une formidable énergie contenue. Mais métaphysique aussi, qui force à l’intériorité et à la méditation. Une peinture de matérialité sourde et violente, et, tout à la fois, d'« immatière » changeante et vibrante qui ne cesse de se transformer selon l’angle par lequel on l’aborde.64 Lorsqu’on lit l’analyse des Outrenoirs que nous donne françoise Jaunin on ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec les vitraux de Conques. La filiation est palpable. Même si l’on voit déjà apparaître la notion de mouvement je crois que c’est à Conques dans l’Abbatiale Sainte-Foy qu’elle prend un sens plus remarquable. Le travail sur les vitraux va permettre l’introduction de l’espace à travers une expression plus grande, la quatrième dimension donne la mesure de l’œuvre. L’architecture de l’abbatiale devient le cadre d’expression pour l’œuvre mais à aussi elle vient fabriquer une atmosphère nouvelle pour l’espace intérieur. La matière est vivante, Pierre Soulages tente de rétablir l’accord vivant entre la lumière et les matériaux de l’abbatiale. Par la direction ascensionnelle de l’espace, l’architecture appelle son spectateur à lui ressembler.
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JAUNIN Françoise, Pierre Soulages; Outrenoir, Entretiens de Françoise Jaunin avec Pierre Soulages, La Bibliothèque des Arts, Lausanne, 2012. 120
La qualification d’une telle lumière échappe alors à toute valeur traditionnelle et demande au visiteur un regard éclairé, une culture de l’espace pour en capter la subtilité. Selon ses proportions, sa forme, la situation de la baie dans l'espace de l'abbatiale; selon le type de répartitions des grains de verre ; selon le déplacement du point de vue; selon la qualité et la quantité de lumière naturelle ; l’heure du jour au sein de telle ou telle saison; selon qu’il donne à voir, selon que l’on se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur, le vitrail se présente autrement.65Comme Bruno Duborgel on observe toutes les possibilités de lumière naturelle que les vitraux permettent dans l’abbatiale. Mais surtout quelle relation ils entretiennent avec la nature et l’architecture. Pierre Soulages appuie son intervention sur un déjà-la, une architecture construite, église romane orientée, l’abbatiale Sainte Foy de Conques porte en elle cette relation singulière au lieu et en fait déjà un capteur de lumière puissant. Le verre de Conques ne vient alors que raviver ce lien et le souligner de ces traits de plombs fuyants. Les verres mis au point nous permettent d’apprécier les évènements naturels journaliers et saisonniers rendu abstrait par l’espace architectural. L’intérêt porté à l’œuvre de Soulages nous conduit finalement à regarder l’architecture par son écriture essentielle, la simplicité de la lecture de l’espace comme l’essence de sensation spatiale. Cela est possible grâce à la continuité formelle entre les vitraux contemporains et l’édifice religieux. ON retient de Conques l’expérience d’un lieu, les vitraux n’occupent pas une place différente 65
DUBORGEL Bruno, Conques / Une lumière révélée Pierre Soulages, Bernard Chauveau, Paris, 2014, p.30.
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de celle des pierres, des sculptures ou encore des grilles du chœur en fers forgés. Malgré toutes les évolutivités que permet la commande des vitraux, il s’intègre dans l’esprit de cette architecture sans pour autant être un pastiche. La présence de certaines constructions a pour moi quelque chose de mystérieux. Elles semblent être simplement là. On ne leur accorde aucune attention particulière. Et pourtant il est impossible de s’imaginer l’endroit où elles sont sans elles… Elles ont l’air de faire naturellement partie de leur environnement et de dire ; « Je suis telle que tu me vois et ma place est ici »66. L’idée de mettre en exergue des notions qui définissent les qualités spatiales d’un lieu, permet une autre lecture des objets, des espaces, des atmosphères qui se dégagent de l’ensemble de la création humaine a travers le filtre du ressenti. Néanmoins, cette analyse pose le problème du manque d’exhaustivité. Elle se limite à un regard unique sur l’espace. Regard, qui ne peut être neutre d’une certaine culture de l’espace et du plaisir à le découvrir et le qualifier. Tous les visiteurs de Conques n’ont pas les mêmes sensations et la même vision du lieu. Les réactions vis-à-vis des vitraux restent très contrastées. Comme l’indique la guide conférencière à Conques, Anna 66
ZUMTHOR Peter, Penser l’architecture, Birkhäuser, 2010.
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Romiguière, aujourd’hui encore la moitié des visiteurs sont sceptiques voire même réprobateurs.67 Cette réception contreversé réfute cette analyse subjective. Montrant que dans un édifice religieux tel que celui-ci il existe autant de réalité possible que de personnes qui viennent vivre le lieu. A la fin de cette étude, notre conclusion reste à peu près identique à ce que l’on posé au départ. Cependant elle vise à exclure fortement le travail de Soulages à Conques de l’ensemble des travaux de vitrail réalisé au cours du XXe siècle ce qui ne peut en aucun servir de compréhension d’une relation entre le vitrail et l’architecture. Mais elle montre la résultante que peut prendre une telle commande lorsque la volonté de créer une atmosphère architecturale en lien avec le construit se dessine pas à pas. Et c’est finalement en qualifiant de l’espace architectural résultant qu’apparait la raison d’être de cette étude. Les fondamentaux que l’on développe dans la troisième partie, donnent vie à des situations singulières. Des émotions authentiques naissent alors du contact entre le réel et l’humain. Quel que soit notre culture ou nos gouts individuels, il est étonnant d’observer l’impact que ces constructions créent en nous. Ces lieux ne sont d’ailleurs pas une finalité en soi mais bien des espaces de possibles, entre universalité et subjectivité ces lieux intègrent un imaginaire qui nous entoure mais qui n’est plus directement le support de note vie quotidienne. Il y a des moments ou des endroits avec lesquels nous sommes en contact depuis toujours et qui nous procurent des 67
AFP, Quand Conques la médiévale rejetait « la lumière » de Soulages, L’express, publié le 17/05/2014.
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sensations. Que l’on se trouve au sein du Panthéon de Rome, d’un buron sur l’Aubrac ou dans une rue étroite de Bordeaux ou bien dans l’Abbatiale Sainte Foy de Conques, au travers de situations singulières chacun vit l’espace et le ressent selon sa propre sensibilité. C’est une idée d’architecture, vaste et imaginaire. Une piste que ce mémoire ouvre afin de poser un regard sur la production contemporaine peu soucieuse de la jouissance de la vie quotidienne. Et c’est finalement ce lien infime entre nature architecture et humanité qui perd petit à petit de sons sens. Perdu dans un fantasme économique et sociétal où l’on doit retrouver la capacité d’imaginer afin d’accroître les valeurs de la réalité. L’espace doit faire éprouver quelque chose d’authentique sinon on n’aurait pas besoin d’architecture, l’ingénierie suffirait.68
68
LIEBENSKID Daniel, Entretiens, Documentaire Arte, Le musée juif de Berlin, entre les lignes, Arte France, 2002.
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:
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Filmographie CRISTIANI Jean-Noël, Les vitraux de Conques, Courtmétrage (47 min), 1994. NEUMANN Stan, L’abbatiale Sainte Foy de Conques, ARCHITECTURES 4, Arte France, 2005. NEUMANN Stan et COPANS Richard, «Le musée juif de Berlin, entre les lignes», ARCHITECTURES 4, Arte France, 2002.
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Annexes
Entretiens avec Pierre Causse, Ancien Architecte Bâtiment de France de l’Aveyron. Entretiens avec Benoît Decron, conservateur du Musée Soulages. Entretiens par mail avec Marc Censi, ancien maire de Rodez, membre. Entretiens avec Pierre Causse, Ancien Architecte Bâtiment de France de l’Aveyron. Entretiens avec Benoît Decron, conservateur du Musée Soulages. Entretiens par mail avec Marc Censi, ancien maire de Rodez, membre.
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